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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/guidemusicalrevu190551brus
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VOL. M. N° I. 1er JANVIER 1905
LE GUIDE
MUSICAL
REVUE INTERNATIONALE DE
LA MUSIQUE ET DES THÉÂTRES
SOMMAI RE
HUGUES IMBERT. — LE « VAISSEAU FANTOJ1E » DE
RICHARD WAGNER, A L'OPÉRA-COMIQUE.
HENRI DE CURZON. — LA MILLIÈME DE « CARMEN ».
LA SEflAINE : PARIS : Concerts Lamoureux, J. d'Offoèl ;
Concerts Cortot, H. I.; Audition des envois de Rome, F. de
nénil; Concerts divers; Petites nouvelles. — BRUXELLES :
Théâtre royal de la Monnaie, R. S.; Concerts divers.
CORRESPONDANCES : Anvers. — Berlin. — Bordeaux. —
Bruges. - Grenoble. — Liège. — Lille. — Londres. — Lyon.
Munich. — Strasbourg-. — Verviers.
NOUVELLES DIVERSES; BIBLIOGRAPHIE; NÉCROLOGIE;
AGENDA DES CONCERTS.
PARIS LE NUMERO
BRUXELLES 40 CENTIMES
IlE ©UIDE flûUSICAL
Revue internationale de la Musique et des Théâtres
Fondé en 1855 ^Sî^ Paraît le dimanche
RÉDACTEUR EN CHEF A PARIS : Hugues IMBERT DIRECTEUR-ADMINISTRATEUR : N. LE KIME
33, rue Beaurefiaire, 33 35, rue Royale, Bruxelles
RÉDACTEUR EN CHEF A BRUXELLES : Robert SAND SECRÉTAIRE DE LA RÉDACTION : Eugène BACHA
4, rue du Frontispice, 4 Avenue du Bel- Air, iç, Uccle
principaux Collaborateurs
Ed. Schuré. — Maurice Kuflerath. — Julien Tiersot. — J. Houston Chamberlain. — Charles Tardieu.
— Ch. Malherbe. — Dr Istel. — H. de Curzon. — Georges Servières. — Albert Soubies. — Henri
Lichtenberger. — H. Fierens-Gevaert. — Th. Lindenlaub. — Etienne Destranges. — Julien Torchet.
Michel Brenet. — Henry Maubel. — Ed. Evenepoel. — G. Samazeuilh. — Marcel Remy. — Ernest
Closson. — M. Daubresse. — G. et J. d'Offoël. — J. Brunet. — Calvocoressi. — Jean.Marnold. —
Raymond Duval. — L. Alekan. — Frank Choisy. — Ed. de Hartog. — L. Lésera uwaet. —
I. Albéniz. — d'Echerac. — Montefiore. — E. Lopez-Chavarri. — Léopold Wallner. — F. de MéniL
— A. Arnold. — Ch. Martens. — J. Dupré de Courtray. — Oberdœrfer. — N. Liez. — •
M. Margaritesco. — H. Kling. — de Sampayo. — Dr Colas. — Johannès Scarlatesco. — Ch Cornet.
Henri Dupré. — A. Harentz. — Fichefet. — Jacques Tourrette. — I. Will. — May de Rudder. —
L. Delcroix. — G. Peellaert. — Cantel.
Masques et Profils de Musiciens, Frontispices, Culs-de-lampes par G.=M. STEVENS
ABONNEMENTS :
France et Belgique : 12 francs. — Union Postale : 14 francs. — Pays d'outre-mer : 18 francs
LES ABONNEMENTS SONT REÇUS
A PARIS, à la LIBRAIRIE FISCHBACHER, 33, rue de Seine
A BRUXELLES, à l'imprimerie du Guide Musical, 7, Montagn^-des-Aveugles (Téléph. 6208>
EN VENTE
BRUXELLES : Dechenne, 14, Salerie du Roi ; Jérôme, Galerie de la Reine
PARIS : Librairie Fischbacher, 33, rue de Seine. — M. Brasseur, Galerie de l'Odéon
M. Legoux, éditeur, rue Rougemont, 4, et chez tous les éditeurs de musique
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VYU&\i ^-lâ^lo
REVUE INTERNATIONALE DE
LA MUSIQUE ET DES THÉÂTRES
Principaux Collaborateurs :
Ed. Schuré — H. de Curzon — Julien Tiersot — Paul Flat — Charles Widor
Michel Brenet — H. Lichtenberger — Jaques- Dalcroze
Etienne Destranges — Georges Servières — H. Fierens-Gevaert — Henri Kling
Albert Soubies — J. Houston Chamberlain — Maurice Kufferath — Félix Weingartner
Charles Tardieu — Ch. Malherbe — Frank-Choisy — Ed. Evenepoel — N. Le Kime
Marcel Remy — Henry Maubel — Ed. de Hartog — N. Liez — I. Will — Ernest Closson
Oberdœrfer — J. Brunet — Marcel De Groo — L. Lescrauwaet — Robert Sand
j. Derepas — G. et J. d'Offoël — L. Alekan — G. Samazeuilh — F. de Ménil — A. Arnold
Ch. Martems — Jean Marnold — d'Écherac — Désiré Paque — Lucien Hauman
E. Bâcha — A. Harentz — J. Dupré de Court ray — H. Dupré — Montefiore — Léop. Wallner
Dr Colas — Calvocoressi — E. Lopez-Chavarri — de Sampayo — M. Daubresse
M. Margaritesco — J. Scarlatesco — DrE. Istel — I. Albéniz — G. Houdard — Cantel
Julien Torchet — Th. Lindenlaub — N. Gatty, etc.
Secrétaire de la Rédaction : Eugène BACHA
Directeur- Administrateur : Nëko» LE KIME
Rédacteur en chef (Paris) V Henri *de. CURZON
A:HÉE 19.0 5.
BRUXELLES
IMPRIMERIE TH. LOMBAERTS
7, Montagne-des-Aveugles
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
33, rue de Seine, 33
o
CINQUANTE ET UNIEME ANNEE
TABLE DES MATIÈRES
Articles originaux
Alton. — A propos de Marie Jaëll, 374.
Br. (J.). — Pépita Jimenez et X Ermitage fleuri, de J, Albe-
niz, au théâtre royal de la Monnaie, 27.
— Martille d'Albert Dupuis, 187.
— Le Songe de Gérontius de Sir Edward Elgar aux Con-
certs populaires, 275.
Brenet (Michel). — Les neuf symphonies, 3n.
— Quel fut le maître de Palestrina? 611.
C. (H.)- — Chansons populaires des provinces belges,
So5.
Calvocoressi (M.-D.). — La sonate de piano et violon de
Vincent d'Indy, 291, 33i.
Cantel. — Parsifal à Amsterdam, 498
Closson (Ernest). — Un nouveau livre de M. F. -A. Ge-
vaert : Traité d'harmonie, 521, 53g.
— La facture des instruments de musique en Belgique,
685, 7o3, 723, 747, 766.
de Cùrzon (H.). — La millième de Carmen, 5.
— Croquis d'artistes : Mme Marie Thiéry, 45.
— Hugues Imbert, 64.
— Une nouvelle version d'Orphée, 145.
— Les interprètes de Carmen, i63, 222.
— Pauline Viardot-Garcia, 211.
— Félix Weingartner, 314.
— Armide à l'Opéra; hier et aujourdhui, 317.
— L'ancien Théâtre italien à Paris, 1789-1905, 35i,
371, 3gi.
— Au temps d' 'Armide; les coulisses de l'Opéra de Paris
en 1777, 354.
— Le festival Beethoven à Paris, 397.
— Chérubin de J. Massenet, à l'Opéra-Comique dé Paris,
433.
— Les ténors, par un ténor, 56i.
— Les Lieder et airs détachés de Beethoven, 575, 591.
— Compositeurs et virtuoses belges en France pendant
soixante quinze ans, 647.
— Une causerie de M. C. Saint-Saëns sur l'art du
théâtre, 666.
— La musique de la Garde républicaine et son réper-
toire, 668.
— La reprise du Freischiitz à l'Opéra de Paris, 683.
de Curzon (HA — A propos d' Armide; notules rétrospec-
tives, 707.
— Miarka d'Alexandre Georges, à l'Opéra-Comique,
726.
— Le centenaire de Fidélio, 743.
— Croquis d'artistes : M™e Bilbaut-Vauchelet, 75o.
— Croquis d'artistes : M™e Félia Litvinne, 823.
de Rudder (May). — Les chants de l'Abandonné dans
Schubert et Schumann, 43, 65, 83, io3, 123, 143.
— Pauline Viardot-Garcia et l'Allemagne, 2i5.
— Le Songe de Gérontius, 232.
— Peter Cornélius. — Ses Lieder, 411, 431, 451, 478.
— Chants primitifs des peuples du Nord, 65o, 663.
— La réhabilitati jn de la danse : Isadora Duncan et
Artémis Colonna, 788.
Gevaert (F. -A.). — De l'exécution musicale, 783.
Goullet (A.). — Daria de Georges Marty, io5.
— L'Enfant-Roi d'Alfred Bruneau, 217.
— Armide à l'Opéra, hier et aujourd'hui, 3i5.
— La Cabrera de Gabriel Dupont, 396.
Hellouin (Frédéric). — Le noël musical français, 8o3,
826, 843, 863.
Heyninx (D1)- — La découverte du laryngoscope, 217.
Imbert (H.). — Le Vaisseau fantôme, reprise à l'Opéra-
Comique, 3.
K. (C.). — Princesse Rayon de soleil de Paul Gilson, 597.
Kufîerath (M.). — Lettres de Richard Wagner à Mathilde
Wesendonck, 763.
Lichtenberger (Henri). — Le langage musical de J.-S.
Bach, 25i, 271.
Maubel. — L'histoire du piano, 497.
— Le public et la critique belges, 635.
S. (G.). — Quelques notes sur les Festspiele de Cologne,
498.
S. i.R.). — Wagneriana, 23i.
— Parsifal à Amsterdam, 253.
— M. Félix Weingartner et Johannès Brahms, 353.
Sand (Robert). — Le centenaire de Manuel Garcia, 2o3.
— Maria Felicia Garcia-Malibran, 206.
— Harpe diatonique et harpe chromatique, 495.
Sérieyx (Auguste). — La Fête des vignerons, 563.
Servières (Georges). — La chapelle royale sous la Res-
tauration, 5i5, 5 35, 55g.
Schuré (Edouard). — Discours aux funérailles de Hugues
Imbert, 98.
Speyer (Edward). — Mozart et son Don Juan, 524.
Tardieu (Ch.). — Notes sur Faust, 23.
— Souvenirs du théâtre de la Monnaie, 555.
Torchet (Julien). — La Croisade des enfants de Gabriel
Pierné, 86.
— Chérubin de Massenet, à Monte-Carlo, i63.
— Gabriel Fauré, directeur du Conservatoire de Paris,
475.
— Emile Zola musicien, 616.
Van Dyck (Ernest). — J. Massenet par un de ses inter-
prètes. 846.
Anonymes. — D' Armide en 1870, 3i8.
— Wagneriana, 413.
— Armide, 63 1.
— La musique dramatique en France pendant l'an-
née 1904, 636,
— La réforme du Conservatoire de Paris, 652.
— Groupe des compositeurs belges, 847.
Chronique de la Semaine
PARIS
Opéra. — 9. 48, 69 (Sigurd), 70, io5 (Daria de M.
Georges Marty), i3i, 295, 3i8 (Armide), 321 (Tristan
et Isoldê, M. Van Dyck), 415 (Le Cid), 525, 771, 809,
829, 849 (La Ronde des Saisons, ballet de M. Henri
Bùsser),
Opéra-Comique. — 3 (Le Vaisseau fantôme), 5 (la mil-
lième de Carmen), 9, 48, 69 (Hélène ; cinq-centième de
Manon), 70, 88 (Xaviere), i3i, 145 (Orphée, Mnie Rose
Caron), T47, 217 (VEnfant-Rob, 234 (Le Légataire uni-
versel), 396 (La Cabrera), 3g8 (Philémon et Baucis), 433
(Chérubin), 456, 619 (réouverture), 637, 654, 671, 688,
8' 9, 829, 85o, 867 (Les Pêcheurs de Saint-Jean de M. Ch.
Widor, La Coupe enchantée de M. Pierné).
Opéra Italien. — 375 (Adriana Lecouvreur, Siberia),
397 (Amico Fritz), 415 (Fedora), 434 (Zaza), 454 (Bar-
biere di Siviglia, Andréa Chenier), 481 (Chopin), 688.
Bouffes. — 809 (Les Filles Jackson et C-te de M. Justin
Clérice).
Théâtre Sarah Bernhardt. — 334 (Esther).
Odéon. — 107 (cinq-centième de V Artésienne).
Gaîté. — 49 (Le Bourgeois gentilhomme de Lulli).
Variétés. — 48 (La Vie parisienne, l'Œil crevé), 89 (La
Petite Bohème), 147 (Les Dragons de l'Impératrice), 235
(Miss Helyelt).
Conservatoire. — Concerts : 49, 71, 90 (Saiil de Hsen-
deb, 125, 166, 235, 276, 334, 355, 3g8 (concert Bee-
thoven),"8o9. Concours ; 5oo, 5i5, 541, S70 (Envoi de
Rome).
Concerts Colonne. — 5o (M. Arthur Nikisch), 86 (La
Croisade des Enfants de M. Gabriel Pierné), 126, 148,
167, 188, 236, 254 (Requiem de Berlioz), 278, 294
(Damnation de Faust), 322, 356 (festival Wagner), 671,
688, 710, 73i, 752, 772, 790, Su, S29, 852, 870.
Concerts Lamoureux. — 7, 29, 5a, 91 (M. P. Mascagni),
107 (M. P. Mascagni), 125, 14S, 1G6, 189, 219, 236 (La
Damnation de Fatist), 278, 2g3, 671, 691, 711, 732, 753,
773,791, 810, 83o, 85i (M. Safonow), 871.
Concerts Risler. — 712, 732, 753, 792, Su, 83o, 871.
Concerts Cortot. — 7, 70, 91, 190 (Sainte Elisabeth de
Liszt), 357, 437 (Requiem allemand de Brahms). .
Schola Cantorum. — i3o, 149, 237, 282, 321 (La Passion
selon saint Jean), 335, 403, 420, 457.
Société philharmonique. — 128, 236 (festival Beethoven :
le Quatuor Joachim), 872.
Société nationale de musique. — 5i, 127, 167, 219, 255,.
294, 334, 376.
Festival Beethoven. — 397, 419 (M. Félix Weingartner).
Festival Lulli-Rameau. — 436, 456.
Concours de Rome. — 5o2.
Concours Rubinstein. — 565.
A propos du Conservatoire, 58i.
BRUXELLES
Théâtre royal de la Monnaie. — 10, 27 (Pépita Jime-
nez et l'Ermitage fleuri). 3o (Lohengrin), 52, 72, g3
(Tristan et Isolde), 111 (Une Aventure de la Guimard\
i32 (Hérodiade, Lahné, La Basoche), i52, 170 (Carmen,
Mme Maria Gay), 187 (Martille), ig5 (Mireille), 222,
241, 261 (Hamlet, Rigoletto), 2S2 (La Navarraisé), 3oo
(Le Postillon de Lonjumeau), 324 (Le Trouvère), 341 (Le
Crépuscule des Dieux), 36o, 38o, 423, 549, 567 (Princesse
d'auberge), 582 (Carmen), 602 (Fiancée de la mer), 621 (Le
Barbier de Sévillé), 638 (Lahné), 655, 674 (Louise), 713,
733 (Armide), yj5, 795, 8i3, 834, 855 (première repré-
sentation de Chérubin de M. Massenet), 874 ( Werther).
Conservatoire. — Concerts : i33, 261, 342, 85o. Con-
cours : 487, 5o3, 526, 874.
Concerts populaires. — i52, 275 (Le Songe de Gérontius),
758 (La Mer de P. Gilson), 81 3 {La Mer de Debussy).
Concerts Ysaye. — 52 (M. Edouard Brahy), 134 (M.
Mengelberg). 222 (M. Fritz Steinbach), 3oi (M. Men-
ge!berg), 404 (M. Karl Muck), 6g3, 775, 834.
Nouveaux Concerts (FI. Delune). — 72, 171, 241.
Cprcle artistique et littéraire. — 72 (M. Casais), 94 (la
Guirlande de Rameau, cinquième acte à' Armide de
Gluck), 172 (M. Mark Hambourg), 3oi (MM. Pugno
et De Greef), 855 (la Société des instruments anciens).
Concerts Crickboom. — 134, 223, 342.
Concerts de la Libre Esthétique. — 224, 262, 282.
Concerts de l'Exposition des Peintres et Sculpteurs de
l'Enfant. — 342, 36i, 38 1, 444.
Fêtes nationales. — 548.
Correspondances
Aix-!es-Bains. — 639.
Anvers. — u, 3i, 54, 74, g5, 112, 154, 196, 242, 263,
3o3, 343, 36i, 382, 54g, 63g, 655, 674, 6g3, 7i5, 737,
757, 776, 797, 816, 835, 857.
Arlon. — 74.
Athènes. — 36i.
Bade. - 382.
Bâle. — 32.
Barcelone. — 154 (les Maîtres Chanteurs), 344, 382.
Berlin. — u, 57, 346 (Mariage à contre-cœur, de Humper-
dinck), 507.
Bilbao. — 601, 621 (concours de chant d'ensemble).
Blankenberghe. — 568.
Bonn. — 4S8 (Festival Beethoven).
Bordeaux. — ï2, 32, $4, 74, Ii3, i55, 224, ?63, 3o3, 325,
362 (première du Tasse, de M. d'Harcourt), 715, 797,
816, 835.
Bruges. — 12, i55, 196, 263, 304, 344,875.
Bucarest. — 32, n3, 383, 504, 714.
Cette. — 405.
Cologne. — 498.
Constantinople. — 75, 304,
Croix (Nord). — 198.
Dieppe. — 640.
Dijon. — 33, 173, 325.
Dresde. — 33, 197, 423, 583.
Dusseldorf. — 5o5 (quatre-vingt-deuxième festival rhénan).
Francfort-sur-Mein. — 55.
Gand. — 114, i56, 243, 304, 425, 656, 7i5, 776, 836.
Genève. — 55, 776, 836.
Graz. — 489 (quarante-et-unième festival).
Grenoble. — i3.
Hambourg. — 3o8.
Hasselt. — 640.
Huy. — 243.
La Haye. — 34, 56, 75, 114, i35, 173, 243, 265, 326, 363,
383, 405, 445, 467, 490, 5c6, 52g, 549, 568, 583, 602,
624, 641, 656, 675, 693, 715, 737, 758, 776, 797, 816,
857, 876.
La Roche-sur-Var. — 817.
Leipzig. — 34.
Liège. — i3. 55, 76, g5 (la Fiancée de la Mer, de J.
Blockx), n5, i35, i56, 174, 225, 244, 265, 3o:, 345,
385, 468, 602, 693, 737, 817, 837, 857.
Lille. — 14 (la Vestale, de Spontini), n5, i36, 174, 225,
265, 363.
Lisbonne. — 96, 225, 406.
Londres. — i5, n5, 175, 286, 363, 445, 468, 490, 5o6,
694, 716, 758.
Louvain. — 76, i36, 197, 469, 837.
Luxembourg. — 777.
Lyon. — i5, 406, 798 (première représentation d'Armor,
de M. Sylvio Lazzari), 817, 876.
Madrid. — 286, 407, 758, 818.
Marseille. — 3o5, 676.
Monte-Carlo. — i63 {Chérubin, de Massenet).
Montreux. — 407.
Munich. — 16, 226, 738.
Nancy. — 35, 77, 116, i56 (Festival Wagner), 245, 345,
876.
New- York. — 365.
Nice. — 157, 265, 838.
Ostende. — 35, 327, 507, 55o, 584, 624.
Pau. — 384, 818.
Poitiers. — 446.
Rome. — 17, 36, 175, 858.
Rouen. — 36, 157, 287, 327, 364.
Roubaix. — 175.
Strasbourg. — 17, 56, 469, 778.
Toulouse. — i58, 245, 307, 799.
Tournai. — 96, 176, 245, 287, 364 {Linario, de M. Nico-
las Daneau), 641, 858, 877.
Verviers. — 17, 96, 176, 198, 346, 446, 569, 676, 691, 877,
Vienne. — 56g.
Wiesbaden. — 77.
Bibliographie
Aderer (Ad.). — Hommes et choses de théâtre. 698.
Azkue (D. R. M. de). — La Musica popular Baskongada.
718.
Baumann (Emile). — Les grandes formes de la musique;
L'œuvre de Camille Saint-Saëns. 698.
Bourgault-Oucoudray. — La Chanson de la Bretagne. 53i.
Boutet de Monvel (Roger). — Les Variétés : 1850-1870.
608.
Bouyer (Raymond). — Le secret de Beethoven, 879.
de Lagenardière (R.) — Observations d'un musicien pour
Louis Lombard. 5i2.
d'Offoël (Jacques). — Lieder de Beethoven, 607.
Dressel (Otto). — Symphonies de Beethoven, réduites
pour piano à quatre mains. 448.
Elgar (Edward). — Le Songe de Gérontius. 53i.
Expert (.Henry. — Les maîtres musiciens de la Renais-
sance française. 426.
Golestan (Stan). — Chant d'Automne, Souvenirs, les Fleurs.
608.
Hellouin (Frédéric). — Essai de critique de la critique
musicale. 779.
Jaqùes-Dalcroze. - Chansons de route. i38.
Jongen (J.) et Debroux (J.). — Les maîtres français du
violon au xviue siècle. 719.
Laloy (Louis). — Aristoxène de Tarente et la musique de
l'antiquité. 571.
Lambert (Louis). — Chants et chansons populaires du Lan-
guedoc, 718.
Lœwe (Cari). — Ballades choisies, 642.
Magrini XG.). — Arte e tecnica del Canto, 780.
Mathias (Dr F.-X.) — Der Straszburger Chronist Kônigshofen
als Choralist. 38.
Moortgat (Alf.). — Liedjes voor het Volk. 643.
Niemann (Dr Walter). — Atlas de la musique et des musi-
ciens. 53i.
— Musik uni Musiker. 679.
Pierre (Constant). — Les hymnes et chansons de la Révo-
lution, 53o.
Prodhomme (J.-GJ. — Hector Berlioz. 428.
Rameau Jean-Philippe). — Pièces de clavecin. S.11.
Rolland (Romain). — Paris als Musikstadt, 819.
— Manuel universel de la littérature musicale, 840.
Scheibler (Ludwig). — Fr. Schubert einsîimmige Lieder, Ge-
sclnge uni Balladen mit Texten von Schiller. 587.
Schneider (Louis) et Mareschal (Marcel). — Schumann, sa
vie et ses œuvres, d'après sa correspondance et les
documents les plus récents, 586.
Schuré (Edouard). — Le théâtre de l'âme : Léonard de
Vinci. 19.
Soubre (Léon). — Airs tendres, menuets et rondes du
xvme siècle.
Tiersot (Julien). — Chants de la vieille France. 427.
— Notes d'ethnographie musicale, 879.
Van Duyse (FI.). — Tien oude nederlandsche liederen voor
koor met of zonder harmonium begeleiding. 53o.
Von Schorn (Adelkeid). — Franz Liszt et la princesse de
Sayn-Wittgenstein. 587.
Nécrologie
Achard (Léon), 532.
Auger (Maurice), 588.
Barbacini, 660.
Bartboldy, 3g.
Baumann (Kahrlis), 119.
Biancolini (Marietta), 492.
Bochringer (Louise). 227.
Bonamici (Ferdinando), 699.
Boudouresque (Aug,), 119.
Brandts-Buys (Henri), 699.
Carnevali (comte), 660.
Celli (Frank), 5g.
Cipollone (Mattia), 719.
Co^ (Mme Bella), 99.
Crowell (Frédéric), 760.
Cucchi (Leopoldo), 492.
Curti (Enrico), 588.
Danbé (Jules), 719.
Dannrâuther (Edouard), 179.
David (Jean), 552.
De Champs (Ettore), 387.
de La Grange (Mme Anna),
386.
Dienel (Otto), 328.
Dôrffel (Alfred), i3g.
Dolmetsch (Victor), 20.
Dufrane (MUe Eva), 492.
Dvorzak (Eusèbe), 588.
Echegoyen (Théod.), 860.
Eitner (Robert), 227.
Fanti (Mme Clementina),
740.
Faure-Lefebvre(Mme), igg
Forino (Ferdinando), 572.
Firpo (Giovanni), 79.
Galli (Carlo), 740.
Galli-Marié (Mme). 628.
Gerl (Hélène), 288.
Gey (Marie), 119.
Giordani (Enrico), 448.
Glen (John). 3g.
Grodvolle (Alfred), 644.
Guerra (Paolo), 99.
Guyon (Alexandre), 179.
Heubner (Conrad), 492.
Hillebrand (Mme jeSsie),
472.
Imbert (Hugues), g7.
Joly (Charles),' 552.
Jonas (Emile), 472.
Jouret (Léon), 472.
Kienle (le père Ambro-
sius), 552.
Kniese (Julius), 387.
Kôhler (Louise), 7g
Komzak (Cari), 448.
Kufferath (Mme veuve Fer-
dinand), 7S.
Kupfer-Berger(Mme), 428
Kuppe (Wilhelm), 532.
Langer (Ferdinand) 588.
Leenders (Maurice), 608.
Litvinne (M1]e Céline), 159
Lôschhorn (Albert), 4g2.
Mascanzoni (Giulio), 740.
Maurice (Alphonse), i3g.
Mans (M^e), 288.
Manzotti (Luigi), 288
Merian- Genast (Mme Emi-
lie), 328.
Merklin (Joseph), 572.
Meunier (Constantin), 3o8.
Minvielle (M.), 227.
Moran-Olden (M'"e Fan-
ny), 17g.
Moulinier(Alphonse), 6gg.
Mugnone (F.), 880.
Mûller (Fidelis), 643.
Muller (William), 588.
Munzinger (Edgar), 660.
Ney (David), 67g.
Noret-Koning (Johann),
448.
Offermans (Louis), 699.
Orban (Alfred), i3g.
Pauer (Ernst), 428.
Portiers, 446.
Razzano - Romano (Giu-
seppe), 760.
Ronzi-Checchi (Mme), 3g.
Rosati (Mm'' Caroline),
448.
Sali (Carlo), 20.
Schlottmann (Louis), 5i2.
Schweighofer (Charles),
i3g.
Seiss (Isidore), 679.
Sennevvald (Fritz), 428.
Silvo (Léo), 119.
Soulacroix (G -V.), 572.
Staegemann (Max), 119.
Steuer (Max), 428.
Tam^gno (Francesco),
Volkland (Alfred), 532.
von Erdmannsdôrffer
(Max), 227.
von Grùnhoff (Nathalie),
387.
von Reichenberg (Franz),
65g.
Webber, 5i2.
Ysaye (père), 608.
Zwintscher (Bruno), 227.
LE GUIDE MUSICAL
BREITKOPF & H^RTEL
EDITEURS
Bruxelles — 45, Montagne de la Cour, 45. — Bruxelles
1
LIUS
%. Hymne athénien.
a. Berceuse.
3. Ai-je rêvé?
4. Perdus.
.5. Parle, ô vague.
MELODIES
Traduction irançaise de J. D'OFFOËL
6. Lever de soleil. n. Le premier baiser.
7. Roses funèbres. 12. L'avril s'envole.
8. Mon oiseau ne revient pas. i3. Rêve.
9. Bal à Trianon. 14. A Frigga.
10. Gretchen vient du rendez- vous. i5. Le jeune chasseur.
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Robert - Fischoff — E. Ludwig — H. Schenker Ch. de Bériot - Alph. Duvernoy
Professeurs au Conservatoire de Vienne Professeurs au Conservatoire de Parts
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Direction de Concerts de la SOCIÉTÉ MUSICALE (G. Àstruc & C1
33, Boulevard des Italiens et 32, rue Louis-le-Grand (Pavillon de Hanovre), PARIS
3 RÉCITALS DE PIANO
DONNÉS
les 17 et 26 Janvier et le 2 Février 1905
à la SALLE DES AGRICULTEURS, 8, rue d'Athènes, Paris
à 9 heures du soir
PREMIER RECITAL
PROGRAMME
i. Fantaisie et fugue en sol mineur. Bach-Liszt.
2. Sonate en ut majeur (op. 53J . . Beethoven.
Allegro con brio ; Adagio molto ; Rondo.
3. Carnaval (op. g\
SCHUMANN.
4. a. Fantaisie en fa mineur .
b. Impromptu en fa dièze maj
c. Valse en la bémol majeur
d. Mazurka en la mineur .
e. Polonaise en la bémol maj
Chopin.
DEUXIEME RECITAL
PROGRAMME
1. Etudes symphoniques .
2. Sonate en si mineur (op. 58).
Allegro maè'stoso. — Scherzo. — Largo.
Finale (Presto non tanto) .
3. a. Rhapsodie en 50/ mineur .
b. Variations sur un thème de
Paganini (2e Cahier) . . .
schumann.
Chopin.
Brahms.
4. a. Prélude en la bémol majeur
b. Prélude en ut mineur.
c. Etude en la bémol majeur
d. Etude en ut mineur .
e. Scherzo en si mineur .
> Chopin.
1. Sonate en ré majeur (op. 28)
Allegro, — Andante. — Scherzo.
Rondo .
TROISIEME RECITAL
PROGRAMME
Beethoven
2. Fantaisie en ut majeur (op. 17).
Très fantasque et passionné.
Légende, — Moderato. — Lentement .
Toujours avec douceur.
Schumann.
3. a. Impromptu en ut mineur . )
b. Impromptu en fa mineur . ^
4. Variations, interlude et finale
sur un thème de Rameau .
5. a. Barcarolle en fa dièze maj.
b. Nocturne en sol majeur .
c . Impromptu en sol bém. maj .
d. Polonaise en fa dièze min.
l^mi^O GAYEAU
Schubert.
Paul Duras,
Chopin.
On trouve des billets à la Salle des Concerts, 8, rue d'Athènes, chez MM. DURAND et fils,
éditeurs, 4, Place de la Madeleine et à l'Agence LESCÈNE, Théâtres-Office,
9, Boulevard des Italiens, 6, Place de V Opéra et 7 1, Avenue des Champs-Elysées.
5iïàe ANNEE.
N
umero r.
iet Janvier igo5
a
LE VAISSEAU FANTOME
DE RICHARD WAGNER
Reprise à l'Opéra-Comique, le 28 décembre 1904
yy
LE Vaisseau fantôme (1), la quatrième
œuvre scénique de Richard Wa-
gner (2), exécuté à Dresde, le 2 juin
1843, a vu successivement le feu de
la rampe, à Bruxelles, le 6 avril 1872 au
théâtre royal de la Monnaie, direction Vachot
(première exécution en langue française), et,
en France, le samedi 28 janvier 1893 à Lille,
le jeudi 8 février 1894 à Toulouse, le mer-
credi 12 février 1896 à Rouen et le lundi
17 mai 1897 à Paris, sur la scène de l'Opéra-
Coiri^ue(3).
Le Vaisseau fantôme, malgré son ouverture
fulgurante, remplie des souvenirs de Weber,
malgré le chant des matelots, malgré le gra-
cieux chœur des fileuses, malgré la ballade de
Senta et d'autres pages de valeur, est un
(1) Partition piano et chant, Paris, maison Durand.
(2) 1. Les Fées — 2. Défense d'aimer — 3. Rienzi —
4. Le Vaisseau fantôme.
(3) Lors de cette dernière représentation au théâtre
de la place du Châtelet, sous la direction Carvalho,
nous avons raconté la genèse de la partition et en avons
fait la critique. Nous prions nos lecteurs de vouloir
bien se reporter à l'article paru dans le numéro du
Guide musical en date du 23-3o mai 1897.
ouvrage qui ne laisse entrevoir que très impar-
faitement le grand génie de R. Wagner.
L'œuvrier à la main déjà habile s'y révèle,
mais beaucoup trop influencé par le style
d'Auber, de Meyerbeer, de Donizetti, de Verdi.
Ce n'est point encore Wagner.
L'ouverture domine l'œuvre : elle est si
magistrale en ses harmonies puissantes, en ses
thèmes caractéristiques, en sa peinture des-
criptive, qu'elle semble avoir été écrite quinze
ou vingt ans après le drame lui-même et qu'elle
lui survivra. Elle sera exécutée encore un long
temps dans les grands concerts, alors que la
partition, dont les motifs les plus en relief sont
précisément ceux que l'on retrouve par antici-
pation dans cette préface grandiose, ne sera
plus consultée qu'à titre de document dans les
bibliothèques.
Tout s'efface devant ce tableau colossal de la
tempête sur la mer du Nord, qui remet en
mémoire les lignes que Wagner, racontant le
voyage mouvementé qu'il fit sur un voilier de
Pillau à Londres, en i83g, traçait dans ses
Souvenirs :
« Le passage à travers les brisants des côtes
norvégiennes produisit sur mon imagination une
Le guide musical
impression merveilleuse. La légende du Hollandais
errant, telle que j'en reçus confirmation par la
bouche des matelots, revêtit en moi une couleur
tranchée, spéciale, que purent seules lui prêter
les aventures par moi courues Le Hollandais
errant, dont j'avais fait sur mer la connaissance
intime, avait persisté à captiver mon imagination ;
déplus, j'eus connaissance de l'emploi caractéris-
tique fait par Henri Heine de cette légende dans
une partie de son Salon. En particulier, le mode
de rédemption de cet Ahasvérus de l'Océan, em-
prunté par Heine à une pièce hollandaise du
même titre, acheva de me mettre en main tous
les moyens propres à faire de cette légende un
sujet d'opéra (i). »
Telle est la genèse du Vaisseau fantôme. Ce fut
le premier sujet légendaire qui s'imposa à
Wagner. De l'époque de la création du Vaisseau
fantôme, date sa carrière de poète ; dès lors, il
cessera de composer des « textes » d'opéra.
Mais, si la voie poétique est déjà fortement
tracée et fixée, la forme musicale définitive
n'est point encore trouvée : le musicien n'a
pas pris son essor. Bien que Wagner soit ar-
rivé à donner à l'œuvre une impression d'ho-
mogénéité, il n'a pas su se dégager complète-
ment de certaines conventions. On y rencontre
trop de vestiges des tristes cavatines italiennes,
des vocalises, des points d'orgue... Ces pages
détonnent dans l'ensemble. Puis les lon-
gueurs y sont fort sensibles. Quelle distance
sépare le Vaisseau fantôme des Nibelungen !
Sans nul doute, l'étude rétrospective de
l'œuvre d'un maître tel que l'auteur de Parsifal
est curieuse au même titre que celle des pre-
miers essais, des esquisses des grands peintres
ou sculpteurs. M. Carvalho avait pensé, avec
juste raison, que le public parisien ne devait
pas ignorer cette partition de jeunesse. L'essai
avait été tenté en l'année 1897 et n'avait pas eu
d'heureux résultats. L'exécution, d'ailleurs, fut
plutôt médiocre. M. Albert Carré, dont l'intelli-
gence est si éveillée, aura sans doi.te songé à
la reprise du Vaisseau fantôme après avoir vu
l'ouvrage, il y a trois ans, à Bayreuth, où il se
joua en un acte et trois tableaux, comme le
(1) Richard Wagner, Musiciens, Poètes et Philosophes.
Traduction de C. Benoit.
voulait d'ailleurs Wagner. Peut être aussi l'ap-
parition de Tristan et Iseult à l'Opéra l'a-t-elle
incité à mettre le nom de Wagner à son
affiche. Puis il fallait utiliser le talent de M.
Renaud, dont la seule présence sur la scène
de l' Opéra-Comique attire le public. Enfin,
M. Albert Carré a pu se dire qu'en plaçant
le Vaisseau fantôme dans un beau cadre, en l'en-
tourant de superbes décors et d'une figuration
parfaite, en confiant les principaux rôles à
d'excellents artistes, il pourrait lui redonner
la vie.
Il faut le dire, le directeur de l'Opéra-Comi-
que a bien fait les choses.
Les décors sont brossés de main de maître.
Celui du premier acte, laissant apparaître la
vague silhouette du Vaisseau fantôme au
milieu d'un paysage de neige, entouré de
rochers abrupts, en un ciel brumeux que sil-
lonnent les éclairs, est saisissant. Très fidèle
à la vérité semble être l'intérieur de l'habitation
norvégienne de Daland, éclairée par cette
lumière douce et doiée que l'on rencontre dans
les intérieurs de Pierre de Hooghe, comme
très pittoresques sont les costumes des jeunes
filles filant assises près du poêle monumental.
Le dernier décor, ayant beaucoup d'analo-
gie avec le premier, donne l'aspect sinistre du
vaisseau hollandais, sur lequel règne un silence
de mort, alors qu'au premier plan, devant la
maison de Daland, illuminée, les matelots
norvégiens font entendre de bruyants éclats de
joie.
A l'orchestre, qu'il faudrait toujours citer en
première ligne lorsqu'il s'agit d'un drame de
R. Wagner, revient en grande partie le succès
de la soirée. M. Luigini a dirigé l'ouverture
avec une telle maestria, qu'une ovation bien
méritée lui a été faite. C'était superbe de puis-
sance et de couleur. Et, au cours de la parti-
tion, tous les effets de contraste ont été admi-
rablement rendus.
Certes, M. Renaud a fait, au point de vue
plastique, une fort belle création du Hollan-
dais. Avec un artiste aussi consciencieux, aussi
intelligent, aussi bien doué, on est toujours
certain qu'il donnera à son personnage de
l'accent et du caractère. Tout, chez lui, est
étudié et réfléchi. Mais, au point de vue vocal,
LE GUIDE MUSICAL
le rôle semble écrit trop bas pour lui. Puis
M. Renaud secoute un peu trop chanter, intro-
duisant des ritardendo fréquents, appuyant
plus que de raison sur certaines notes, visant à
l'effet, ce qu'il avait su éviter sagement jusqu'à
ce jour. Cela est vraiment dommage, car on
sait quel timbre admirable possède sa voix.
M,le Claire Friche vient d'être fort souf-
frante; l'indulgence à son égard s'impose. Il
a paru que sa voix avait perdu de son charme
habitue] ; les notes élevées sont stridentes et
la justesse a quelquefois fait défaut. En un
mot, l'intéressante artiste, qui s'était si bien
distinguée dans la Tosca, ne paraissait pas
avoir la plénitude de ses moyens dans le rôle
de Senta. H. Imbert.
LA MILLIÈME DE « CARMEN »
Rares, très rares, on s'en doute bien, sont
les œuvres lyriques qui ont atteint leur
millième représentation sur la même
scène.' Sauf erreur, et si je ne me suis pas em-
brouillé dans mes calculs d'après les éloquents et
précieux tableaux d'Albert Soubies, j'en compte
7 pour la scène de l'Opéra-Comique, j'en
compte i, mettons 2, pour celle de l'Opéra,
et c'est tout. Si l'on additionnait les totaux de
plusieurs scènes, surtout ceux du Théâtre-Italien,
dont notre érudit confrère prépare, je crois, l'his-
toire, sur le même plan que les précédents, on
arriverait probablement à ajouter quelques noms,
mais pas beaucoup. C'est ce qu'on a fait, on s'en
souvient, le jour où l'on a voulu, à l'occasion d'un
monument à inaugurer pour fêter la mémoire de
Gounod, célébrer à l'Opéra la millième de Faust :
on a commencé par compter les 3o6 représenta-
tions du Théâtre-Lyrique. En réalité, Faust n'a
pas atteint sa millième à l'Opéra : il comptait
96g représentations au 3i décembre igo3; mais du
train dont il marche, on peut être assuré que
l'échéance tombera l'année prochaine.
Voici les œuvres, toutes françaises, qui ont
dépassé le chiffre fatidique.
A L OPÉRA-COMIQUE :
La Dame blanche (i825) a atteint sa millième en 1862
Le Pré-aux-Clercs (i832) » » en 1871
Le Chalet (1834) » » en 1873
Le Domino noir [i83y) » » en 1881
Les Noces de Jeannette (i853) » » en i8g5
Mignon (1866) » » en i8g3
Carmen (187 5) » » en 1904
a l'opéra :
Les Huguenots (x836) a atteint sa millième en 1903
Faust (i85g, Théâtre-Lyrique) » en 1894
» (1869, Opéra) » en 1905
A qui le tour? Il est assez difficile de le prévoir,
sauf pour une œuvre de Donizetti, qu'on
pourra célébrer sans beaucoup attendre. La Fille
du Régiment (1840) en était à 977 au 3i dé-
cembre igo3. A FOpéra, c'est Guillaume Tell qui a
le plus gros total de représentations 83g : à la fin
de igo3; mais il semble douteux qu'il atteigne la
millième.
Il résulte encore de ce petit tableau des gloires
du répertoire que c'est Mignon, de beaucoup, qui
a marché le plus vite : en 27 ans, le chiffre était
atteint. Mais si Carmen était partie tout d'abord
comme à sa reprise, nul doute qu'elle n'eût très
sensiblement dépassé Mignon en rapidité : elle
aurait probablement mis 22 ans ! ! Faust vient
immédiatement après, de toutes façons, que l'on
compte les représentations du Théâtre-Lyrique ou
non, en 35 ans. Puis c'est la Dame blanche : 3y ans ;
puis le Pré-aux-Clercs et le Chalet : 3g ans; les Noces
de Jeannette : 42 ans ; le Domino noir : 44 ans ; enfin
Les Huguenots : 67 ans.
Seul entre tous, et plus heureux que Boïeldieu,
Hérold, Adam, Meyerbeer, Auber, Massé, Gou-
nod et Bizet, Ambroise Thomas a pu voir fêter
la millième de son œuvre. C'est même le seul gala
proprement dit qu'aient provoqué ces diverses
échéances, et l'on n'a pas oublié que ce gala
n'était pas la millième réelle de Mignon, la-
quelle avait été donnée la veille, tout bonne-
ment en matinée, mais une sélection d'actes,
de scènes et d'airs divers du vieux maître. Na-
turellement, je ne parle que des musiciens, car
Auguste Barbier a été plus heureux encore; il
a vu trois de ces millièmes lui appartenant : celles
de Mignon, des Noces de Jeannette et de Faust. Trois
sur neuf (avec son collaborateur Michel Carré) ! et
sur les six autres, quatre reviennent à Scribe!...
Niez donc l'importance d'un bon livret !
Celui de Carmen, si excellemment tiré de la
nouvelle de Mérimée par Meilhac et Ludovic
Halévy, vaut à ce dernier aussi le privilège raris-
sime d'assister à une millième. Pour en rester
LE GUIDE MUSICAL
maintenant au chef-d'œuvre de Bizet, qui, sans
aucun doute, détiendrait le « record » de la rapi-
dité dans le succès, si le public ne s'y était pris à
deux fois, je me bornerai à rappeler quelques
dates, quelques souvenirs, et à parler de quelques
interprètes.
***
La première de Carmen date du 3 mars 1875. On
sait assez que ce ne fut pas un succès. Un insuccès,
ce serait trop dire aussi. L'œuvre fut très discu-
tée, avec une acrimonie et une inintelligence
dont quelques critiques ont dû se repentir
depuis, et qui ne reste pas à leur avoir comme
une preuve de goût ; — elle fut surtout
dédaignée et méconnue. Avec une reprise au
mois de novembre de la même année, qui
dura jusqu'au début de 1876, Carmen compta ses
5o représentations, chiffre honnête, quoique mo-
deste, et que bien des œuvres seraient heureuses
d'atteindre. Entre temps, Bizet était mort, par un
de ces coups les plus déplorables que compte
l'histoire de notre école française de musique.
Et l'on n'a sans doute pas perdu le souvenir
de l'anecdote étrange qui relie cette mort aux
représentations de Carmen. M. E. Reyer la raconta
dans son feuilleton des Débats, à l'occasion de la
reprise du mois de novembre, et on a plus d'une
fois reproduit le passage. Le voici encore :
« Un soir, pendant le trio des cartes, Mme Galli-
Marié ressentit une impression inaccoutumée en
lisant dans son jeu des présages de mort. Son
cœur battait à se rompre ; il lui semblait qu'un
grand malheur était dans l'air. Rentrée dans la
coulisse, après des efforts violents pour aller
jusqu'à la fin du morceau, elle s'évanouit. Quand
elle revint à elle, on essaya en vain de la calmer,
de la rassurer, la même pensée l'obsédait toujours,
le même pressentiment la troublait. Mais ce
n'était pas pour elle qu'elle avait peur ; elle chanta
donc, puisqu'il fallait chanter.... Le lendemain,
Mme Galli-Marié apprenait que, dans la nuit, Bizet
était mort! Je sais bien que les esprits forts haus-
seront les épaules, mais nous n'en étions pas
moins fort ému en écoutant, l'autre soir, le trio
des cartes au troisième acte de Carmen. »
C'était le mercredi 2 juin 1875. Il est certain que
les spectateurs fortuits de ce soir-là durent en
garder une impression inoubliable, car Mme Galli-
Marié, si vibrante, si expressive dans cette admi-
rable création, et qui donnait tant de relief aux
moindres nuances de ce complexe personnage de
Carmen, atteignit sans doute, en cette scène, les
limites extrêmes de l'émotion communicative. Je
ne puis m'attarder.à analyser ici le jeu puissant et
souple à la fois, la voix mordante, la physionomie
spirituelle de cette artiste essentiellement origi-
nale. J'en ai d'ailleurs parlé plus longuement,
ici même (voici quelque huit ans), comme de la
plupart des interprètes vraiment intéressants et
personnels, dont je vais redire les noms. Quand la
collection du Guide sera dotée d'une table géné-
rale (et je crois que celle-ci n'est pas loin d'être
achevée), on se rendra mieux compte, dans le
public, de la valeur documentaire qu'il a souvent.
Mme Galli-Marié était fort bien entourée en
1875 ; Lhérie et Bouhy ont laissé des souvenirs
encore inoubliables dans Don José et Escamillo ;
Mlle Chapuy chantait Micaëla, et nous pouvons
noter encore, pour la curiosité du fait, le nom de
l'excellent Barnolt, à qui la mort seule fit aban-
donner le petit rôle du Remendado et qui y parut
donc sept à huit cents fois ! Cependant, la reprise
de i883 eut tout de suite pour effet naturel de
tourner vers ces rôles si intéressants l'effort de
tous les artistes studieux, et c'est à partir de
cette date que se formèrent quelques-uns des
meilleurs interprètes de la partition.
Au moment de cette reprise décisive, Mme Galli-
Marié était déjà tout à fait retirée de la scène. Ce
n'est donc pas à elle, mais à Mme Isaac, dans tout
l'éclat de son beau talent, que le rôle de Carmen
fut confié. C'était le donner à une Falcon, comme
d'ailleurs il est arrivé souvent depuis, mais surtout
c'était faire trop bon marché du caractère phy-
sique indispensable au personnage. Du moins
jamais le rôle ne fut mieux chanté, ce qui a tout de
même son prix, et le succès fut tout de suite consi-
dérable. Il s'affermit encore, il devint triomphal,
quand on eut l'heureuse idée de vaincre les répu-
gnances de Mme Galli-Marié et de la faire repa-
raître. Nous l'avons vue ainsi cette même
année i883, et jusqu'en i835, par intervalles, et ce
souvenir est de ceux qui ne meurent pas. On sait
qu'elle reparut encore une fois, en 1890, mais dans
des circonstances qui ne pouvaient avoir de len-
demain, à l'occasion du monument à élever à
Bizet. Cette distribution unique réunissait autour
de la créatrice du rôle : Mme Melba, avec Jean de
Reszké et Lassalle; mais nous n'avons pas à la
faire entrer en ligne de compte.
De nombreuses Carmen se sont succédé de-
puis, de trop nombreuses même, car le rôle est
classé comme îôle de début, et Dieu sait qu'il faut
une artiste d'expérience et d'autorité déjà pour lui
donner son vrai caractère ! Vaille que vaille, il y
en a eu de fort bonnes, il y en a même eu d'excel-
lentes ; mais trois ou quatre, pas plus, passionnées
pour leur rôle, éprises de sa poésie originale et
LE GUIDE MUSICAL
7
nerveuse, en ont fait valoir avec une vie véritable,
une éloquence vibrante, les moindres nuances,
sans s'arrêter à la simple tradition correcte.
D'une façon générale, les millièmes n'ont jamais
été l'objet de représentations extraordinaires.
Celle de Carmen n'a pas fait exception à la règle,
puisque la distribution était la mme que celle
des représentations du mois de juin dernier avec
Mme Emma Calvé, pour le rôle principal.
H. de Curzon.
LA SEMAINE
PARIS
LAMOUREUX. — Le programme de M. Che-
villard ne comportait que du Mozart, et l'on nous
permettra sans doute de passer rapidement sur
la symphonie en sol mineur, et sur les ouvertures
de Don Juan, des Noces et de la Flûte enchantée.
Tout cela fut bien joué, mais l'aurait été mieux
encore, à mon sens, si le nombre des cordes avait
été réduit de moitié. Il ne semble pas, en effet,
que Mozart, presque toujours musicien du charme
et de la grâce et du moins toujours le plus pon-
déré des musiciens, ait écrit pour de pareilles mas-
ses orchestrales qui, si habiles qu'elles soient, ne
peuvent que l'alourdir un peu.
Mme Raunay se tira à son honneur, mais non
sans quelque peine, du récitatif et de l'air terribles
de Dona Anna. Elle fut plus appréciée dans l'air
de la Comtesse, des Noces. Le concerto en mi
bémol pour deux pianos fut joué avec une virtuo-
sité aussi implacable qu'impeccable par M. Dié-
mer, que secondait, non sans autorité, M. Lazare
Lévy. Le morceau en lui-même est d'ailleurs
honorable, sans plus. L'interprétation du vingt-
septième quatuor (adagio et fugue) par le quatuor
à cordes, excellente dans l'adagio, n'alla pas sans
un peu d'empâtement dans la fugue, sans doute
encore par suite du trop grand nombre d'instru-
ments.
Mais le triomphe absolu et incontesté fut pour
le larghetto du quintette pour clarinette et instru-
ments à cordes. La moitié du quatuor se taisait
ci, et l'autre moitié accompagna, avec une dou-
ceur, un moelleux et une précision que l'on ne
saurait trop louer, la phrase divine, aérienne et
toute blanche que M. Lefebvre dit en grand
artiste sur sa clarinette. Les bis éclatèrent, mais
M. Chevillard ne voulut rien entendre, et peut-
être eut-il raison, car qui sait si la seconde exécu-
tion aurait valu la première, tant celle-ci fut
adorable et de tous points parfaite?
J. d'Ofkoël.
CONCERT CORTOT. — D'avoir fait exécuter
la Messe solennelle de Beethoven, on doit féliciter
M. Alfred Cortot. Elle est une des œuvres les plus
grandioses du maitre et appartient à sa dernière
période de production. En raison même des diffi-
cultés qu'elle présente, elle est rarement jouée. 11
n'y a que les abonnés de la Société des Concerts
du Conservatoire qui aient pu la juger et l'admirer.
La Messe solennelle rentre bien dans la catégorie
des œuvres peu connues que l'Association des
Concerts Cortot doit mettre en lumière. Sa tenta-
tive est digne de louanges. Si la réalisation n'a
pas été à la hauteur de l'effort, si l'orchestre et
les chœurs ont manqué quelquefois de précision
dans les attaques, si surtout les solistes n'étaient
pas tous à la hauteur de leur tâche, il faut mon-
trer beaucoup d'indulgence, lorsqu'on songe aux
obstacles nombreux qui se présentent pour disci-
pliner les masses chorales et orchestrales, et cela
malgré les nombreuses répétitions qu'a nécessitées
la mise au point de cette œuvre, dans laquelle
Beethoven, semblant devancer l'avenir, s'est
éloigné des formes conventionnelles.
La Messe solennelle a donc fait une fort belle
impression au Nouveau-Théâtre. Nous ne pouvons
pas ici développer toutes les richesses d'inspira-
tion et de science contenues dans le Kyrie, le
Gloria, le Credo, le Sanctus et YAgnus Dei de cette
immense composition lyrique, de cette fresque
gigantesque, qui ne peut être comparée qu'au
Jugement dernier de Michel- Ange.
Rappelons seulement que, portant le nos 123,
elle fut composée de 1819 à 1823, et, date mémo-
rable dans l'histoire de la musique, fut exécutée
au théâtre de la Porte de Carinthie, à Vienne, le
7 mai 1824, sous le titre de : Trois grandes
hymnes avec soli et chœurs. Il paraît que la censure
avait jugé bon de supprimer le titre de Messe
solennelle sur l'affiche, en raison du caractère pro-
fane de la solennité !
La Messe solennelle a été écrite définitivement en
vue du concert. On trouve trace des intentions de
LE GUIDE MUSICAL
Beethoven dans la longue lettre qu'il adressait le
8 février i823 à Gœthe, dans le but d'obtenir son
appui pour les souscriptions à son ouvrage. En
voici un passage : « La Messe solennelle peut égale-
ment être exécutée en oratorio ; et qui ne sait que
les sociétés musicales se plaignent aujourd'hui de
manquer de ce genre de composition ! »
Gœthe ne répondit rien à la lettre de Beethoven.
Il ne l'avait même pas remercié de l'envoi que le
maître lui avait fait de la musique écrite par lui
sur le Calme de la mer, œuvre de Gœthe !
Nous avons distingué, parmi les solistes qui
prêtèrent leur concours à l'exécution de la Messe
solennelle au Nouveau -Théâtre, M. Plamondon,
ténor à la voix très pure, et surtout M. Forest, qui
a exécuté avec beaucoup de charme le solo de
violon qui plane pendant toute la durée du Bene-
dictus. H. I.
AUDITION DES ENVOIS DE ROME. -
Le jeudi 22 décembre a été donnée au Conser-
vatoire une audition d'envois de Rome. Le
programme, entièrement composé d'oeuvres de
M. Max d'Ollone, grand prix de 1897, compre-
nait Quatre poèmes pour chant et des fragments de
la Terre promise, drame lyrique. Malgré l'impor-
tance de ce programme, il reste assez difficile
de se rendre compte de l'évolution artistique de
M. Max d'Ollone. A vrai dire, la personnalité de
celui-ci s'est mal dégagée, et l'on ne voit pas
bien encore où veut en venir le jeune musicien.
De ses quatre poèmes, un a été assez goûté : le
Chant d'amour, d'après Lamartine. Est-ce pour son
joli accompagnement, sa couleur charmante, son
apparente simplicité? Mais tout cela n'est, en
réalité, que du bon travail d'élève, sans aucun
indice qui vienne révéler un tempérament tout à
fait en dehors. Il est bon d'ajouter que ce poème a
été chanté avec trop de froideur par la sculpturale
Mlle Demougeot, dont le manque d'émotion a,
d'autre part, accentué la longueur démesurée d'un
autre poème, la Voix des lombes, d'une idée mélo-
dique un peu confuse, aux développements vagues
et sans grande clarté. M. Engel a dit avec beau-
coup d'expression Mon rêve familier, poème de
Verlaine, dans lequel d'agréables détails d'or-
chestre n'ont pas suffisamment masqué le manque
de justesse du sentiment musical. La Nuit d'été est
sans doute le meilleur des quatre poèmes : la
forme en est curieuse, mais quel abus des chœurs
à bouche close !
Ce procédé semble cher à M. Max d'Ollone : on
le retrouve à chaque instant dans la Terre promise,
drame lyrique dont le sujet fait penser à la Favo-
rite... sans femme. Quelques beaux élans s'y
noient dans beaucoup d'imprécision. Il est d'ail-
leurs fort malaisé d'avoir une impression exacte
de cette œuvre, dont le deuxième acte était
entendu après des fragments du quatrième, arri-
vant, lui aussi, après un prologne en deux parties
dont on n'aperçoit guère le lien.
En résumé, une certaine abondance d'idées pas
toujours très franches ni très neuves, puis des
répétitions systématiques de leitmotive qui ne
donnent, à aucun moment, l'idée d'un développe-
ment. Quant à la facture, elle est bonne. M. Max
d'Ollone sait évidemment son métier ; son or-
chestre est sonore, quelquefois bruyant, souvent
touffu, rarement clair, ,et presque toujours sans
coloris bien défini. F. de Ménil.
— Le concert de dimanche, chez Le Rey, nous
a révélé un excellent virtuose, M. Georges Sadler,
du Conservatoire de Bruxelles; ce jeune artiste a
fait valoir dans l'exécution difficile de la Chaconne
de Bach, pour violon seul, de belles qualités de
style et de clarté; il a su tracer nettement l'écha-
faudage et les grandes lignes de cette œuvre, en
dégager la pensée et ne pas la confondre avec
une étude de virtuosité pure. A la même séance,
M. Breitner a exécuté avec son brio habituel la
fantaisie de Schubert-Liszt, et l'orchestre, d'un
bon mouvement, la symphonie en ré mineur de
Schumann. Ch. C.
— Le Quatuor Soudant, de Bruyne, Migard,
Beclutti devient un des groupes les plus intéres-
sants de Paris. A la deuxième matinée Danbé,
donnée le 21 décembre au théâtre de l'Ambigu, il a
exécuté avec un grand charme un andante d'une
rare élégance de Luigini, la sérénade de Namouna
de Lalo, la Sieste d'Edmond Laurens, une sorte de
rêverie confiée à l'altiste Migard, très applaudi et
bissé, le presto du quatuor en ré mineur de
Schubert et la délicieuse fantaisie que M. Théodore
Dubois avait composée pour harpe et orchestre et
qu'il a réduite pour les instruments à cordes,
harpe, flûte et piano. Du même maître, nous avons
eu la première audition d'un Terzetiino pour flûte,
alto et harpe, œuvre délicate et fine, à la manière
de Mendelssohn, qu'ont interprétée en toute per-
fection Mlle H. Renié, MM. Ph. Gaubert et
Migard. Mme Raunay, que nous n'avons pas assez
le plaisir d'entendre, a bien voulu chanter Y Absence
de Berlioz, les Adieux d'Achille de Gluck et deux
mélodies expressives et tout à fait jolies de
Théodore Dubois, Dormir et rêver, Ce qui dure,
le guide MUSICAL
accompagnées par le maître et bissées d'acclama-
tions. Julien Torchet.
— La Société de musique nouvelle a repris, le
i5 décembre, ses séances à la salle Erard. Très
grand succès pour MIIe Eléonore Blanc, qui a
donné la première audition du Noël du vieux chan-
teur, poésie de M. J. Roullet, musique de M. Henry
Eymieu, et fait bisser, du même compositeur, la
prière du Dieu vert; pour Mme Rambel, applaudie
dans Désir d'avril, En effeuillant des marguerites,
Vision, de Théodore Dubois, et les mélodies de
M. Bourgault-Ducoudray, accompagnées par l'au-
teur; pour M VI. Willaume, Feuillard, La Gleu-
rance, Jemain (excellent interprète des Pièces
brèves de Gabriel Fauré), Mme Feuillard, MM.
Blunbe, Colin, les compositeurs Mouquet et
Mme de Grandval, qui ont fait jouer, l'un, une très
intéressante sonate de flûte et l'autre, des pièces
en trio charmantes.
— Mlle Gabrielle Steiger a donné, chez Pleyel,
sa première séance de musique de chambre avec le
septuor de Saint-Saëns, la sonate de Franck pour
violon et la sonate de Saint-Saëns pour violoncelle.
MM. Nadaud et Baretti prêtaient le concours de
leur talent. La technique sûre et le goût élevé de
Mlle Steiger font de cette pianiste une artiste clas-
sique de premier ordre.
Du rapport de M. Henry Maret sur le budget
des beaux-arts, il peut être intéressant de donner
les extraits qui suivent sur nos deux théâtres
lyriques subventionnés :
OPÉRA
Le bilan au 3i décembre igo3 accuse un béné-
fice de 66,763 francs pour les trois premières
années du privilège actuel : l'année 190 1 s'était
soldée par 148,150 francs de pertes; les deux
années suivantes par des bénéfices de 151,477 et
de 63,436 francs.
Les recettes, pendant ces trois années, attei-
gnirent respectivement les chiffres de 3,739,649
francs, 3, 988, i5g francs et 3,918,112 francs.
Les abonnements en 1903 figurent dans les
recettes pour fr. 1,485,152.75.
Dans les dépenses de l'année dernière, relevons
les chiffres suivants : Pour les artistes du chant,
fr. 883,85o.6o; pour ceux de la danse, fr. 246,142.10;
pour les chœurs, fr. 212,620.90; pour le corps de
ballet, fr. 119,625.30; pour l'orchestie, fr. 327,533.
L'ouvrage joué le plus souvent en 1903 a été
Samson et Dalïla (3o représentations). Viennent
ensuite Paillasse (27 représentations), Faust (25),
Lohengrin (20), Roméo et Juliette (18). Les deux
ouvrages qui ont fait la plus grosse recette
moyenne sont Faust, 446,243 francs pour 25 repré-
sentations, ce qui donne une moyenne de 17,489
francs, et le Prophète, 104,936 francs pour 6 repré-
sentations, ce qui donne une moyenne de 17,489
francs.
OPÉRA-COMIQUE
M. Henry Maret met en évidence l'activité
déployée par M. Albert Carré depuis qu'il dirige
l'Opéra-Comique.
En six ans et demi, la direction de l'Opéra-
Comique a donné plus de trente pièces nouvelles.
La saison dernière, close le 3o juin, a été
particulièrement laborieuse, et l'on peut dire heu-
reuse; six œuvres nouvelles : la Tosca, de Puccini;
la Reine Fiammette, de Xavier Leroux ; la Fille de
Roland, de Rabaud; le Jongleur de Notre-Dame, de
Massenet; le Cor fleuri, de Halphen ; la Cigale, de
Massenet; une œuvre classique : Alcesk, de Gluck.
Pour la saison qui a commencé le i5 septembre
dernier, l'Opéra-Comique se propose de monter,
comme œuvres nouvelles : les Armaillés, 2 actes,
de M. Doret ; la Coupe enchantée, 2 actes, de.
M. Pierné; l'Enfant-Roi. 5 actes, de M. Bruneau;
la Cabrera, 1 acte, de M. Dupont; enfin, si une de
ces deux œuvres peut trouver place : soit les
Chansons de Miarka, de M. Alexandre Georges,
soit les Pêcheurs de Saint -Jean, de M. Widor.
En outre, M. Carré a annoncé comme reprises :
Xavière, de M. Théodore Dubois; le Vaisseau fan-
tôme, de Wagner; Madame ..Chrysanthème, de-Messa-
ger; le Pré-aux-Clercs, d'Hérold.
Pendant la saison théâtrale du Ier septembre
1903 au 3o juin 1904, les appointements des
artistes se sont élevés à 6g3,6o5 francs; les chœurs
ont coûté 154,393 francs; l'orchestre, 229,420
francs.
— Voici les nouvelles conditions du prix
Cressent pour l'année 1905 :
Le prix sera consacré aux œuvres symphoniques.
L'auteur de la partition couronnée recevra une
somme de 20,000 francs, plus i,5oo francs pour
frais de copie. En oulre, une somme de 4,000 ou
de 10,000 francs sera mise à la disposition du
chef d'orchestre qui exécutera l'œuvre, suivant
que celle-ci sera une symphonie proprement dite
ou une suite d'orchestre, ou un poème sympho-
nique avec soli et chœurs.
Le concours, ouvert le ier janvier 1905, sera clos
le 3i mars 1906.
LE GUIDE MUSICAL
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Les représentations de la Wàlhyrie, mercredi et
samedi, ont été une inoubliable impression d'art.
Pour la première fois à Bruxelles, Mme Félia
Litvinne et M. Ernest Van Dyck se trouvaient
réunis dans cette œuvre gigantesque dont ils ont
donné une admirable interprétation. Mme Litvinne
est une Brunnhilde à la voix merveilleusement
pure, à l'allure pleine de noblesse, de passion, de
grandeur et de beauté; M. Van Dyck apporte
dans le personnage de Siegmund tout ce qu'il
faut d'ardeur farouche et d'émouvante tendresse.
Jamais, scéniquement ni musicalement, l'œuvre ne
fut mieux rendue. Mme Paquot-D'Assy, toujours
belle dans ce rôle de Sieglinde qui convient si bien
à sa voix et à son tempérament, M. Albers, un
Wotan d'une noblesse admirable, M. Vallier, un
farouche Hounding, et les huit Walkyries com-
plétaient ce remarquable ensemble que M.Sylvain
Dupuis a dirigé avec une grande sûreté et une par-
faite maîtrise.
Jeudi, la quatrième représentation à'AIceste a été
l'occasion de longues ovations enthousiastes pour
Mme Félia Litvinne, aussi merveilleuse interprète
de Gluck que de Wagner, et pour M. Ch. Dalmo-
rès.
Le programme de la semaine comportait en
outre le Jongleur de Notre-Dame, Mignon, Faust et
Manon.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, Faust, et le
soir, Carmen; lundi, pour les représentations de
Mme Litvinne, Alceste; mardi, première représen-
tation de Pépita Jimenez, comédie lyrique en deux-
actes, et de Y Ermitage fleuri, zarzuela espagnole en
deux tableaux de M. Isaac Albéniz; mercredi,
pour les représentations de M. Ernest Van Dyck,
Lohongrin, avec M»e Laffitte (Eisa et M. Albers
(Frédéric de Telramund). R. S.
— Miss Maud Gwendolen Allan a donné au
Cercle artistique, une série d'impressions plastiques
d'après des œuvres musicales de Beethoven (CIc.ir
de lime), de Mendelssohn (Le Printemps), de J.-S.
Bach, de Schumann, de Chopin (Marche funèbre,
valse et mazurkas), de Schubert (Ave Maria), et
de Rubinstein (Valse-Caprice]. Il serait injuste de ne
pas reconnaître la grâce et le charme des interpré-
tations de miss Allan; c'est d'une fantaisie aimable,
qui ne restitue pas la danse grecque d'ailleurs,
celle ci se faisant sur des rythmes précis et régu-
liers comme toutes les véritables danses. Les mou-
vements possibles du corps étant forcément limités
et presque invariables à travers les siècles, miss
Allan en a emprunté quelques-uns aux figures des
vases antiques ; il lui eût été bien difficile de faire
autrement et, dans son ouvrage aujourd'hui clas-
sique, M. Maurice Emmanuel n'a pas eu grande
peine à démontrer l'analogie des mouvements de
la danse grecque et du ballet moderne. Ce qui est
moins heureux, peut-être, au point de vue pure-
ment artistique et musical, c'est Je choix des
oeuvres interprétées, car elles semblent complètes
en soi et n'appellent pas un commentaire mimé;
celui-ci pourrait varier à l'infini et il paraîtra sou-
vent un peu fantaisiste; j'ajoute qu'il sera toujours
gracieux lorsqu'il sera interprété par miss Allan,
à laquelle on a fait un grand succès.
Le piano était tenu avec beaucoup de tact par
M. Georges Lauweryns. S.
— Le récital donné à la Grande Harmonie par
Mme Jane Arctowska a eu lieu jeudi devant un
public nombreux qui n'a pas ménagé ses applau-
dissements à la charmante artiste.
Mme Jane Arctowska avait composé un pro-
gramme intéressant, où figuraient Beethoven,
Schubert, Brahms, Liszt, Grieg, Saint-Saëns et
d'autres encore. Elle a interprété toutes ces
œuvres, pourtant si différentes, avec un art
parfait, un sentiment délicat et sincère, une
émotion qui s'est vite communiquée à la salle
et Une voix chaude, bien timbrée, que n'a malheu-
reusement pas mise en valeur l'acoustique déplo-
rable de la salle de la Grande Harmonie.
J.T.
— M. Fritz Kreisler a retrouvé vendredi, devant
une salle bondée et vibrante à souhait, le succès
enthousiaste qu'il avait obtenu lors de son pre-
mier récital. C'est décidément un merveilleux
violoniste, digne de prendre rang aux côtés des
plus grands maîtres de l'archet.
Au point de vue musical, son programme était
malheureusement déparé par un des plus mauvais
concertos de Vieuxtemps, le n° 2, en fa dièse,
œuvre exclusivement violonistique, mais qu'on
n'en a pas moins applaudie aussi chaleureusement
que la Chacon:ie et le concerto en mi de J.-S. Bach,
celui-ci admirablement interprété. Toutefois,
comme à la première de Kreisler, ce sont surtout
les petites pièces de Pugnani, Tartini, Dvorak,
LE GUIDE MUSICAL
Tschaïkowski, etc., qui ont emballé le public et
que, il faut en convenir, le violoniste viennois joue
comme personne. F.
— Les salons de l'hôtel Mengelle étaient trans-
formés samedi en salle de concert, pour la pre-
mière fête donnée par l'Union dos commerçants de
la rue Royale. Au programme : Le Quatuor vocal
bruxellois, qui a chanté avec ses habituelles qua-
lités de justesse, de rythme et de parfaite homo-
généité vocale, outre des madrigaux a capella du
xvie siècle et une série de ravissants Noëls
anciens, harmonisés par la main experte de
M. Gevaert, quelques œuvres modernes, notam-
ment une suite de Massenet, les Chansons des bois
d'amarante, une des plus jolies choses qu'ait signées
l'auteur de Manon.
— Comme les années précédentes, le Quatuor
Zimmer donnera ses trois séances à la Salle Alle-
mande, 2i, rue des Minimes, les mercredis 25 jan-
vier, 22 février et 29 mars.
Au programme les quatuors en ré majeur, op. 18
et en fa majeur, op. i35, deBeethoven; sol majeur,
de Mozart; fa majeur, op. 41, de Schumann;
la mineur, op. 29, de Schubert; z^ mineur, op. 5i,
de Brahms; la majeur, op. i3, de Taniew (nou-
veauté), et en mi majeur, de G. -M. Witkowsky.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le prestigieux virtuose du
violon, M. Fritz Kreisler est venu donner
lundi, un récital à la société royale d'harmonie.
Son succès a été étourdissant. M. Kreisler a joué
du Tartini, du Vieuxtemps, du Bach, du Corelli,
du Schubert, du Dvorak et du Couperin. Le piano
était tenu d'excellente façon par M. Lauweryns,
de Bruxelles.
Mercredi soir a eu lieu, dans la petite salle de
l'Harmonie, un piano-récital, donné par M. Jean
Janssens. M. Janssens est un virtuose émérite,
dont la technique sûre et le mécanisme développé
ont fait une excellente impression.
Après une très brillante exécution de la Sonate
appasionata de Beethoven, on a vivement applaudi
le jeune virtuose, qui a joué encore du Bach, du
Schumann, du Chopin, du Wagner (Brassin) et du
Moszkowski.
Au Théâtre lyrique flamand, on a repris la Flûte
enchantée et Hanse! et Gretel. Vif succès pour toute
la troupe de MM. Judels et Tokkie. G. P.
BERLIN. — Le cinquième concert de la
Chapelle royale, dirigée par M. Félix Wein-
gartner, comportait la nouvelle ouverture du com-
positeur anglais M. Edward Elgar, Dans le Midi,
dont on ne connaissait jusqu'à présent ici que les
variations pour orchestre et une autre ouverture,
Cockaigne. Cette œuvre, extrêmement longue et
d'ailleurs fort intéressante, a plutôt le caractère
d'une grande fantaisie pour orchestre que d'une
ouverture; le motif central est d'une merveilleuse
richesse de développements; on sent dans tout
l'ouvrage une fantaisie brillante, une sensibilité
délicate, une joie vibrante, une vie intense. Ce
poème, sans autre programme que son titre,
laisse le champ libre à l'imagination des auditeurs;
mais, s'il y a souvent quelque inconvénient à
laisser ainsi la pensée du public s'éparpiller, cette
fois le charme est si puissant que la sympathie
étroite qui doit exister entre l'orchestre et les
auditeurs n'est pas un instant rompue. Dans le Midi
a obtenu un très vif succès, et cet ouvrage a été
l'occasion de nombreuses ovations à M. Félix
Weingartner et à son excellent orchestre. Le pro-
gramme comportait en outre l'ouverture de Manfred
de Schumann, la symphonie en ré majeur de
Brahms et la symphonie en ut majeur de Bee-
thoven.
Au piano-récital de M. Maurice Rosenthal, le
public a été un peu étonné des modifications de
rythme et de mesure dans l'interprétation d'une
série d'œuvres de Couperin ; le reste du programme
(Bach, Scarlatti) a été merveilleusement interprété
et l'on a particulièrement applaudi la série des
variations de Brahms sur des thèmes de Paganini.
M. Ferruccio Busoni a dirigé à son deuxième
concert une petite symphonie d'Ottokar Novacek
pour instruments à vent qui, si elle n'est guère
intéressante, a du moins le mérite d'être tout à fait
sans prétention, le Chasseur maudit de César
Franck, deux nocturnes de Claude Debussy et
une Suite qui, par sa concision et sa construc-
tion thématique, nous réconcilie avec les compo-
sitions de M. Busoni.
M. Richard Strauss avait été invité par M. Ar-
thur Nikisch à diriger lui-même, au cinquième
Concert Philharmonique, la Sinfonia domestica, dont
le succès a été considérable. Mme Strauss de Ahna a
chanté quaire Lieder de son mari, avec orchestre, et
le concert avait débuté par la symphonie en la
majeur de Beethoven, excellemment dirigée par
M. Arthur Nikisch.
12
LE GUIDE MUSICAL
Nous ne pouvons passer sous silence le concert
Beethoven donné avec orchestre par M. Eugène
d'Albert, qui a magistralement interprété les con-
certos en sol et en mi et la Sonate appassionnata.
Grand succès aussi pour la séance donnée par
M. Eugène d'Albert avec le Quatuor tchèque;
■jamais le quatuor en si mineur de Brahms n'a été
plus profondément senti, plus parfaitement rendu.
Le programme comportait en outre le quatuor,
op. 34, n° 3, en fa majeur, de Weingartner, et
op. 59, n° 1, en fa majeur, de Beethoven.
Le deuxième concert de la Chapelle royale,
dirigé par M. Félix Weingartner, était entièrement
consacré à Beethoven : la symphonie en si majeur,
l'ouverture de Léonore n° 3 et la grande fugue en
si majeur, qui servit d'abord de finale au quatuor
n° i3o et fut jouée à Vienne pour la première fois
le 21 mars 1826, et que Beethoven remplaça au
mois de novembre de la même année par un autre
finale. Après la mort du maître, cette fugue fut
publiée séparément; il y a une vingtaine d'années
que Hans de Bùlow la dirigea pour la première
fois à Berlin, où elle n'avait plus été exécutée de-
puis. L'interprétation qu'en a conduite M. Félix
Weingartner a été admirable de perfection et
d'enthousiasme. Au même concert, M. Frédéric
Lamond a joué le concerto en mi, mais sans rien
de vraiment remarquable dans l'interprétation.
Cantel.
BORDEAUX. — Dès que sont annoncés
les récitals de piano que Mme Kleeberg-
Samuel semble avoir pris l'heureuse habitude de
donner chaque année' dans notre ville, on s'attend
toujours à ce qu'à la perfection de l'exécution
s'ajoute l'attrait d'un programme véritablement
artistique. Le récital du 14 décembre nous réser-
vait une succession d'œuvres toutes remarquables
par leur haute valeur musicale et dont le caractère
différent était fait pour mettre en lumière les dons
naturels si variés de l'émmente pianiste, dons
que le travail, la réflexion constante, l'étude
approfondie des moindres intentions du compo-
siteur, ont singulièrement développés.
La cinquième suite française de Bach, la sonate
(op. 27) en mi bémol majeur de Beethoven, la
sonate en si mineur de Chopin, Waldscenen de
Schumann, figuraient au programme. Certaines
de ces scènes ont été de véritables poèmes d'un
charme exquis, d'une tendresse infinie. L'interpré-
tation de Prélude, Choral et Fugue de César Franck
a fait passer devant l'auditoire émerveillé ces
visions célestes qui hantaient l'âme fervente de
l'auteur. Mme Kleeberg est très aimée, et à juste
titre, à Bordeaux. Ses admirateurs le lui ont bien
montré par leurs applaudissements répétés, aux-
quels l'artiste a du répondre par l'exécution, en
dehors du programme, de la valse en ut dièse
mineur de Chopin.
Les trois virtuoses traditionnels qui sont l'orne-
ment des concerts organisés par le Cercle philhar-
monique étaient, le 17 décembre, Mme Mary
Garden, dont la voix si fraîche et si légère et le
1 aient si poétique ont, dès les premières notes,
conquis le public; M. Gérardy, qui a, tour à tour,
fait preuve d'une technique étourdissante et d'une
ampleur d'archet peu commune; enfin, M. Léon
Moreau, que les Bordelais sont toujours prêts à
bien accueillir comme compositeur et comme
exécutant. Empressons-nous de signaler que
l'orchestre, sous la direction de M. Montagne, a
su s'imposer à l'attention d'un auditoire pour
lequel le solo est le dernier mot de l'art. H. D.
BRUGES. — Le premier concert du Conser-
vatoire a eu lieu le i5 décembre, avec le
concours de notre réputé compatriote M. Arthur
De Greef. Le directeur du Conservatoire, M.Karel
Mestdagh, avait tenu à placer le concert de début
de cette année jubilaire — car la Société des Con-
certs fêtera prochainement le dixième anniversaire
de sa fondation — sous l'auguste patronage de
Beethoven, dans l'œuvre de qui tout le programme
était choisi.
D'abord, la grande ouverture de Léonore, admi-
rable synthèse orchestrale du drame auquel elle
sert de préface, puis le cinquième concerto de
piano, dit Concerto-Empereur, à cause de la grande
beauté et de l'extrême noblesse des thèmes; ensuite,
la symphonie en ré majeur, dont le larghetto reste
une chose inspirée, sereinement belle entre toutes,
enfin, la fantaisie avec piano et chœurs. Celle-ci,
moins connue que les autres œuvres du maître de
Bonn, est en réalité d'une singulière construction :
cela débute par un adagio de grande allure pour
piono seul, où le soliste — à la première exécu-
tion, en 1808, cette partie n'était pas écrite et
Beethoven lui-même tenait le piano — semble
laisser libre essor à sa fantaisie, comme s'il cher-
chait dans son imagination un thème à développe-
ments. Puis, ce thème trouvé, c'est une suite de
variations très amusantes pour les bois d'abord,
puis pour les archets, jusqu'à l'entrée du chœur
Dans toute cette fin, dont le caractère de naïve
jubilation contraste avec l'ampleur de Y adagio
initial, le piano joue presque constamment un rôle
secondaire.
LE GUIDE MUSICAL
i3
Il est vrai qu'avec un pianiste de la valeur de
M. De Greef, cette partie prend un relief étonnant,
sans rompre toutefois l'équilibre de l'ensemble. Le
maître virtuose a été non moins remarquable dans
l'exécution du concerto en mi bémol, unissant la
noble simplicité du style et l'art de faire chanter
son Pleyel à un mécanisme impeccable; en un
mot, il a donné ce qu'on appelerait volontiers une
interprétation modèle de Beethoven.
Le deuxième concert d'abonnement aura lieu le
26 janvier. Soliste : M. C. Thomson, violoniste.
Lundi dernier, le Quintette brugeois a donné sa
première séance de musique de chambre. Au pro-
gramme, d'abord, le quatuor Aus meinem Leben, de
Smetana, déjà exécuté antérieurement à Bruges
et que les archets du Quintette ont bien fait de
reprendre, car il contient de fort belles choses,
notamment le deuxième mouvement, d'une verve
joyeuse, avec un délicieux trio, puis le largo, plein
d'expression. Si difficile qu'elle soit, l'œuvre du
compositeur tchèque a reçu une bonne exécution.
L'autre grande œuvre du programme était le
quintette avec piano du maître norvégien Christian
Sinding. IJ est intéressant à tous les égards ; le
premier allegro, d'un caractère sévère et d'un beau
travail; l'intermezzo, d'une fantaisie ailée; le final
où il y a, exposé par le piano à découvert, une
sorte de choral qui mène à une reprise du premier
thème de l'œuvre, tout cela tient l'intérêt en éveil;
et l'habileté des combinaisons de motifs ainsi que
la belle structure témoignent d'un solide métier.
Mais la meilleure partie est Validante, plein de
poésie : il débute par les archets seuls, contient de
belles inspirations et monte graduellement jus-
qu'au dramatique intense, pour revenir à son point
de départ, de façon à former une sorte de cres-
sendo suivi d'un decressendo.
Nous savons gré à MM. Van Dyck, Vander-
looven, De Busschere, De la Rivière et De Vlae-
mynck de nous avoir fait connaître cette œuvre
intéressante, au prix d'un travail ardu, mais cou-
ronné de succès.
Mlle Elisa Levering a fourni l'intermède vocal
de la séance : air à'Iphigénie en Aulide, berceuse de
Grieg, l'Absence, de Berlioz, enfin un Lied de
M. K. Mestdagh, tout cela chanté d'une voix
chaude et bien étoffée. La jeune cantatrice a été
fort applaudie. L. L.
C^ RENOBLE. — La petite société de mu-
~~\ sique de chambre dont MM. Ed. Arnaud et
Em. Nicolet sont l'âme, qui lutte vaillamment
depuis quatre ans contre l'apathie du public, a
donné son premier concert de la saison. Au pro-
gramme, les sonates de Bach en la majeur et de
Schumann en ré mineur, pour piano et violon,
exécutées par M. Nicolet dans un style parfait,
et le trio à l'archiduc Rodolphe. Il n'y a plus rien
à dire de ces chefs-d'œuvre.
Mais le clou de la séance était la première exécu-
tion à Grenoble des Estampes de M. Claude Debussy.
M. Ed. x\rnaud a interprété ces trois délicieuses
pièces — ■ Pagodes, la Soirée dans Grenade, Jardins sous
la pluie — non seulement en brillant virtuose, mais,
ce qui est mieux encore, en excellent musicien,
avec toute la finesse que requiert cette musique
diaphane, si subtilement évocatrice.
Quelques amateurs ont réussi à faire recom-
mencer l'exquise Soirée dans Grenade. Je dois pour-
tant à la vérité de déclarer que l'impression
dominante du public grenoblois a paru être celle
d'un complet ahurissement. Quelques jours plus
tôt, un célèbre violoniste de passage avait été,
certes, beaucoup plus chaleureusement applaudi
après avoir joué... du Vieuxtemps ! Seulement, il
est permis de se demander si les artistes illustres
sont faits pour cela. Et l'on saura gré à nos musi-
ciens locaux de nous donner... de la musique. A.
&
LIEGE. — A la reprise d'Hérodiade, à suc-
cédé celle de Werther. Mlle J. Lagard, s'est
affirmée, dans le rôle émouvant de Charlotte,
personnelle eneore, passionnée, dramatique sur-
tout; Werther nous semble la meilleure incarna-
tion du ténor Geyre, un chanteur qui ignore la
fatigue.
En reprenant Louise, la direction du Théâtre
royal comptait sur la vivante distribution que lui
assuraient d'excellents artistes tels que Mmes Dan-
gerville (Louise), Lagard (la Mère), le ténor
Geyre (Julien), auxquels s'associait, en représen-
tation, dans le rôle du Père, M. Artus.
Les autres nombreux personnages, de Louise,
les chœurs et spécialement l'orchestre, sous l'im-
pulsion de M. M. Lejeune, contribuent à assurer
une belle série de représentations de l'œuvre. Très
prochainement la Fiancée de la mer de Jan Blockx.
En présence de l'excellente gestion fournie par
M. G. Dechesne, et des efforts réels faits par
notre directeur pour maintenir le Théâtre royal
au niveau artistique auquel il a droit, la commis-
sion des beaux-arts, a fait savoir, qu'elle a décidé
de proposer au conseil communal la réélection de
M. Dechesne, pour les deux saisons prochaines.
Il ne sera donc pas fait appel à des candidats
nouveaux. A. B. O.
14
LE GUIDE MUSICAL
LILLE — La Société de musique de Lille,
dirigée par M. Maurice Maquet, a donné,
le iS décembre, la première exécution intégrale,
depuis 1854, de la Vestale de Spontini. On sait que
cette œuvre, trop oubliée aujourd'hui, était parti-
culièrement admirée de Richard Wagner, qui la
monta en 1844, à Dresde, avec Mœe Wilhelmine
Schroeder-Devrient (Julia). On raconte que, vou-
lant donner à cette reprise le caractère d'une
solennité musicale, il avait eu l'imprudence
d'écrire à Spontini pour lui demander de diriger
l'orchestre pendant la première soirée. Quand il fit
part de cette démarche à Mme Schrœder-Devrient,
celle-ci se mit à rire et lui dit : « Vous ne con-
naissez pas l'homme ; vous allez voir ce qu'il ad-
viendra ». Elle convainquit si bien Wagner des
embarras inextricables dans lesquels on allait se
trouver, qu'il usa de subterfuges et crut avoir déter-
miné Spontini à ne pas venir. On arriva ainsi
jusqu'à la veille du jour fixé pour la répétition
générale. Wagner, très rassuré sur les résultats de
son imprudence, était sans appréhensions et
comptait sur un beau succès pour le surlendemain,
lorsqu'il vit entrer tout à coup dans sa chambre
Spontini lui-même, venu de Berlin et s'avançant
d'un air surexcité. Pour toute explication, il mit
sous le nez de Wagner les propres lettres de
celui-ci, lui prouva sans peine que l'invitation
subsistait et indiqua ses exigences. Wagner se mit
en quatre pour le satisfaire, lui fit construire un
énorme bâton de mesure en bois noir avec
une grosse boule blanche à chaque bout et, le joui-
suivant, le maître, possédant l'engin de comman-
dement qu'il avait désiré, dirigea la répétition. Dès
l'abord, il parut évident que toutes les études
seraient à reprendre. Le personnel du théâtre, déjà
mal disposé, fut bientôt outré, exaspéré, affolé par
les prétentions minutieuses du compositeur.
Fischer, régisseur et chef des chœurs, était telle-
ment aveuglé par la rage que Spontini ne pouvait
plus ouvrir la bouche sans qu'il en conclût que
c'était pour se plaindre de lui. A la fin d'un
morceau, Spontini ayant fait signe à Wagner de
s'approcher, lui dit à l'oreille : « Mais il chantent
fort bien, vos chœurs. » Fischer, transporté de fu-
reur mais n'ayant rien entendu, s'écria : « Qu'est-ce
qu'il lui faut encore, à ce vieux ? » Wagner parvint
à calmer tout le monde et se mit dans les bonnes
grâces de Spontini en écrivant, sur sa demande
expresse, des parties de trombones pour la
marche triomphale du premier acte de la Vestale et
une partie de basse-tuba pour toute la partition.
Spontini apprécia si fort cette collaboration qu'il
lança un regard affectueux à Wagner pendant
l'exécution et se fit envoyer à Paris la Dotation de
ce supplément instrumental.
L'œuvre n'eut pas tout le succès que Wagner
en attendait, un peu à cause de Mme Schroeder-
Devrient, qui, de l'aveu du maître, manqua
complètement l'effet du grand air, II est sauve.
Mlle Johanna Wagner remplissait le rôle de la
Grande Vestale.
La Vestale semble enfin reprendre la place qui
lui est due dans le répertoire des grands concerts.
L'année dernière, M. Gevaert l'a montée au
Conservatoire de Bruxelles, et à Lille, l'exécu-
tion qu'en a donnée l'orchestre de la Société de
musique a obtenu un magnifique succès.
L'œuvre de Spontini est admirable, très sincère
et d'une grande vaillance d'inspiration. Elle a
produit une impression inoubliable, grâce à une
interprétation de tout premier ordre, à un orches-
tre excellent, à des chœurs magnifiques, à un
quatuor de chanteurs que l'on rencontre rarement
ensemble, grâce enfin à la direction artistique de
M. Maurice Maquet.
L'œuvre est d'une superbe tenue, hautement
et noblement expressive; elle semble tenir de
Gluck et de Mozart, peut-être avec plus de
vérité d'expression, d'intensité de passion. On y
trouve du cœur, de la chaleur, de la tendresse,
toutes ces qualités qui en font un de ces puissants
monuments qui resteront à travers les siècles, ni
le temps, ni les préjugés, ni la mode ne pouvant
atteindre cet ouvrage solide et d'une belle compo-
sition, qui fait songer aux chefs-d'œuvre de
Sophocle ou d'Eschyle.
La Vestale£ut, pour tous les auditeurs, une véri-
table révélation, tant elle émeut encore, tant est
forte sa puissance expressive. « Son exécution, dit
Berlioz, exige impérieusement de grandes voix
exercées dans le grand style, des chanteurs et
surtout des cantatrices douées de quelque chose
de plus que le talent ; il faut, pour bien rendre des
œuvres de cette envergure, des chœurs qui sachent
chanter; il faut un puissant orchestre, un chef
d'une grande habileté pour le conduire et l'animer,
et, pai-dessus tout, il faut que l'ensemble des
exécutants soit pénétré du sentiment de l'expres-
sion. » Mme Félia Litvinne (Julia), la grande tragé-
dienne lyrique, en a fait une création inoubliable
et a remporté un énorme succès personnel.
Mme Auguez de Montalant (la Grande Vestale) fut
très simple et très belle ; M. Cazeneuve (Lucinius)
chanta avec une éloquence chaude et pénétrante,
et M. Fernand Baer, basse de l'Opéra, déclama
avec beaucoup de grandeur et de majesté le rôle
du Grand Pontife.
LE GUIDE MUSICAL
i5
L'orchestre fat excellent, comme toujours; les
deux cents choristes firent merveille, et M. Maquet,
chef d'orchestre et organisateur de la solennité,
fut acclamé et rappelé d'enthousiasme pour sa
vivante interprétation. P. C.
— Le dernier concert populaire, dirigé par
M. Ratez, comprenait des œuvres de M. Hille-
macher qui y ont obtenu un légitime succès.
Nous y avons entendu Mme Georges Coûteaux-
Hasselmans, dont la voix chaude, le sentiment
exquis et la diction d'une pureté rare de nos
jours nous ont laissé sous le charme. On aura
sans doute l'occasion d'applaudir à Bruxelles et à
Paris l'excellente cantatrice.
LONDRES. — Depuis le départ de la troupe
italienne de San Carlo, la vie musicale
se trouve concentrée au concert. Parmi les
nombreuses auditions, il faut citer en toute
première ligne les deux concerts symphoniques
de M. Henry J. Wood au Queen's Hall. Au pre-
mier, on a exécuté un poème pour orchestre
du jeune compositeur anglais M. J. Holbrooke,
Ullalume, d'après le poème d'Edgar Poë; c'est une
œuvre curieuse, intéressante, pleine d'imagination ;
mais les thèmes ne sont pas toujours heureux, mu-
sicalement du moins, et il ne semble pas que
l'œuvre littéraire soit complètement rendue. Le
Prélude à l'après-midi d'un faune de Cl. Debussy,
déjà exécuté cet été aux Concerts-promenades, a
retrouvé son grand succès. M. Ferrucio Busoni a
été vivement applaudi dans le concerto en mi
bémol de Beethoven. Enfin, au second concert, la
symphonie en si mineur de Schubert, Till Eulen-
spiegel de Richard Strauss, le concerto de violon
de Beethoven (soliste, miss Maud Mac Carthy),
ont été très favorablement accueillis.
M. Steinbach, directeur du Conservatoire de
Cologne, a conduit le concert de l'Orchestre
sym phonique, et il avait inscrit au programme la
symphonie en mi mineur de Brahms, qu'il a excel-
lemment dirigée.
La Société chorale royale et la Société chorale
de Londres ont donné plusieurs nouveautés très
intéressantes, parmi lesquelles Hiaivatha de Co-
leridge Taylor, Everyman de Walford Davies, déjà
exécutée, et même beaucoup mieux qu'à Londres.
La classe d'opéra du Collège royal de musique
donne chaque année une audition publique. Cette
lois, c'était VA Iceste de Gluck, que jamais on n'avait
montée à Londres ; l'interprétation était conscien-
cieuse et soignée.
Des concerts d'œuvres nouvelles de jeunes
compositeurs anglais ont lieu en ce moment, grâce
à une fondation de M. Ernest Palmer ; nous avons
entendu surtout des compositions pour musique
de chambre, parmi lesquelles il faut retenir un
quatuor pour piano de M. W. H. Hurlstone et
une étude pour piano et violon de M. Trevor Bax.
Les récitals sont trop nombreux pour pouvoir
être tous cités; les artistes les plus applaudis ont
été M. Sarasate, miss Muriel Foster, Mme Marie
Bréma, Mme Albani, miss Adda Verne (une pia-
niste de réel talent), M. Léonard Borwick
et le jeune violoniste M. Georges Enesco. Enfin,
un concert des œuvres de M. R. Vaughan Wil-
liams a révélé des chants d'une grande et puissante
originalité. N. Gatty.
LYON — La Schola Cantorum lyonnaise,
fondée il y a deux ans, vient de remporter, le
7 décembre, un magnifique succès qui la consacre
définitivement. Son quatrième concert était dirigé
par M. Vincent d'Indy et comprenait le premier
acte d'Alceste et trois tableaux du Chant de la Cloche :
le Baptême, l'Amour, l'Incendie. L'exécution de ces
œuvres par un orchestre de quatre-vingt-dix musi-
ciens et cent cinquante amateurs fut irréprochable,
pleine de couleur et de mouvement. M. Vincent
d'Indy, dont le Chant de la Cloche séduisit vivement
le public lyonnais, fut également très applaudi
comme chef d'orchestre. Le succès de cette soirée,
commenté avec enthousiasme par toute la presse
lyonnaise, est dû en grande partie à notre éminent
compatriote M. G. Witkowski, fondateur et direc-
teur de la Schola, qui prend pour lui tout le travail
matériel et artistique de préparation des concerts
et laisse toujours à d'autres l'honneur du triomphe.
Trois jours auparavant, la Schola offrait à ses
membres honoraires et effectifs un concert intime
dans lequel M. d'Indy se fit entendre comme
conférencier (Trois périodes de la musique dramatique :
Monteverde, Rameau et Gluck) et comme compositeur
et pianiste (trio pour clarinette, violoncelle et
piano, Lied pour violoncelle et piano, fantaisie
pour hauthois, Lied maritime et Madrigal, chansons
populaires du Vivarais. L. V.
Le pianiste Arthur De Greef nous est revenu,
avec le violoniste Lucien Capet, pour là première
séance de la Société des Concerts de musique
i6
LE GUIDE MUSICAL
classique, qui fêtera cette année son vingt-cin-
quième anniversaire.
On ne se lasse pas d'entendre le célèbre pianiste
belge, dont la virtuosité et la maîtrise extraor-
dinaires ont pu être admirées surtout dans les
poétiques Arabesques de Schumann et dans le
prestigieux Caprice de Saint-Saëns sur les airs
de ballet d'Alceste. Mais De Greef est aussi un
penseur profond, et il l'a montré en interprétant
en grand artiste la sonate en ut mineur de Beetho-
ven, où M. Capet lui a brillamment donné la
réplique. Ce dernier s'est fait applaudir en soliste
dans des pièces de Sinding et de Schumann et
surtout dans l'Aria de Bach, qui a permis d'appré-
cier son style de bon aloi et sa belle pureté
de son.
MUNICH. — Le grand événement de la
vie musicale en 1904 a été la nominatk n
comme directeur général de la musique du capell-
meister génial M. Félix Mottl, qui se trouve ainsi
à la tête de l'orchestre de la Cour et du Théâtre
royal; d'un- seul coup, Munich est redevenue la
première ville musicale de l'Allemagne. Déjà,
comme résidence des meilleurs compositeurs de la
génération précédente, Max Schillings, Ludwig
Thuille, Max Reger, de virtuoses et de chefs d'or-
chestre comme Stavenhagen et Félix Weingartner,
Munich avait, au point de vue musical, une situa-
tion de premier ordre ; mais, seule, la direction
d'un artiste du talent, de l'initiative et de l'énergie
de Félix Mottl pouvait lui donner toute sa gloire.
Déjà la courte activité du nouveau directeur
général de la musique a laissé entrevoir tout ce
qu'il pourrait réaliser, et ce n'est pas exagérer que
de prédire à l'Opéra royal, ainsi rajeuni, une
période de splendeur qu'il n'a plus connue depuis
le départ de Hans de Bulow.
La plus grande qualité de M. Félix Mottl, c'est
l'initiative énergique avec laquelle il entreprend
tout. Aucune considération ne l'arrête lorsqu'il
s'agit de rénover; aussi, en peu de temps, on a vu
le magnifique orchestre de la cour, qui avait pris
les plus confortables habitudes d'indolence, rede-
venir, sous sa baguette, une corporation de pre-
mier ordre. On n'imagine pas la précision des plus
iaibles nuances, l'enthousiasme qui a remplacé la
léthargie d'autrefois. M. Félix Mottl sait bien s'y
prendre avec ses musiciens : ce n'est pas un
maître d'école pédant, comme son prédécesseur
Zumpe, qui éreintait son orchestre en répétitions
fastidieuses; avec lui, tous les musiciens ont la
sensation de n'être retenus que juste ce qu'il faut
et cela parce que le chef d'orchestre sait exacte-
ment ce qu'il veut. Il a gagné ainsi toutes les
sympathies de l'orchestre, devenu, grâce à lui, le
plus merveilleux instrument d'expression musicale.
Ensuite, M. Félix Mottl n'est pas un de ces chefs
d'orchestre élégants qui ont étudié leurs moindres
gestes pour émerveiller le public ; pour lui, l'art
est la chose la plus grave et il cherche toujours à
s'effacer; son seul but est de servir l'œuvre.
Tout l'Opéra n'a pu être réformé aussi rapide-
ment que l'orchestre; Schiller disait que les dieux
eux-mêmes se trouvaient parfois impuissants à
lutter contre certaines tendances des hommes ; il
en va ainsi des ténors, qui n'aiment guère les obser-
vations, même lorsqu'elles viennent d'un Mottl, et
prétendent toujours tout savoir !
La réforme du répertoire a été particulièrement
heureuse ; une série d'anciens opéras, qu'on
n'avait plus jamais donnés, ont revu le jour : Hans
Heiling (Marschner), Iphigénie en Auïide (Gluck), La
Part du diable (Auber), La Dame blanche (Bo'ieldieu).
On sait que M. Félix Mottl a une préférence mar-
quée pour la grâce de l'opéra-comique français et
qu'il apporte infiniment de goût dans la direction
orchestrale de ces œuvres. Faut-il parler de l'art
avec lequel il conduit les œuvres de Wagner? Cet
été, il nous avait donné Y Anneau du Nïbelung et le
Vaisseau fantôme; depuis, nous avons eu Tristan et
Tannliàuscr, entièrement renouvelés. Mais son
admiration pour Wagner ne l'éloigné pas des
autres maîtres, de Mozart notamment, dont il a
publiquement parlé à Salzbourg il y a quelques
mois. Les exécutions des Noces de Figaro sous la
direction de M. Félix Mottl, au Théâtre de la
Résidence, où Mozart lui-même dirigea et qui a
gardé toute son ancienne décoration rococo, sont
inoubliables.
Au concert, les réformes se sont poursuivies
comme à l'Opéra; une série d'œuvres de J. -S. Bach,
depuis longtemps oubliées, ont été exécutées avec
un soin minutieux ; les grands classiques et les
romantiques ont eu leur part de gloire et, parmi les
modernes, M. Félix Mottl a donné quelque préfé-
rence à Liszt et à Bruckner, son maître.
On peut tout attendre du talent de M. Félix
Mottl, et nous espérons qu'il pourra atteindre son
but pour la gloire de l'art mu? ical.
Edgar Istel.
LE GUIDE MUSICAL
V
ROME. — Le réveil de notre vie musicale
a été marqué par une saison d'opéras qui
a eu lieu au théâtre Adriano. On a commencé par
Iris, de Mascagni, sous la direction de l'auteur.
Le succès fut assez remarquable et a duré pen-
dant une douzaine de représentations qui se sont
uivies sans interruption. L'exécution a été excel-
lente, spécialement en ce qui concerne Mme CorelliT
rotagoniste, une des meilleures cantatrices que
Paris jugera dans la saison italienne annoncée
pour le mois de mai prochain.
Ensuite, nous avons entendu le célèbre ténor
Bonci dans YElixir d'amour de Donizetti et les
Puritains de Bellini. A son tour, M. Battistini,
Le baryton bien connu, s'est produit dans Marie
le Rohan de Donizetti, Zampa, Werther.
On sait que M. Massenet a voulu rendre un
précieux témoignage d'admiration à M. Battistini
n transformant pour baryton le rôle du ténor de
a délicate partition. L'intérêt de la compa-
raison avait attiré tout le monde, comme on peut
Dien l'imaginer. Il faut dire que M. Battistini a
emporté une éclatante victoire, puisque son art
nagistral a su vaincre la prévention existante
n faveur du ténor. Sa voix pénétrante, le charme
le son chant, son jeu dramatique, l'ont rendu irré-
sistible. L'émotion de l'assistance a été profonde, le
succès de l'artiste, éclatant. Pour sa représenta-
ion d'honneur, le public est accouru en foule que
'immense salle ne suffisait pas à contenir. Les
aravos, les rappels furent très nombreux.
L'exécution de Zampa, au contraire, a été pitoya-
ole. Tous les artistes étaient au dessous du
nédiocre. On a dû faire des coupures insensées.
\ussi, malgré l'attraction de Battistini, qui tenait
e rôle principal, l'opéra n'a pu se maintenir à
l'affiche.
Mais n'insistons pas là-dessus puisqu'il s'agit
l'un orage passager.
Sous peu, le théâtre Costanzi va commencer
a série de ses représentations. L'ouverture aura
ieu dans la soirée traditionelle de Saint-Etienne
le 26 décembre) avec Aïda. Tout de suite après,
La Walkyrie. T. Montefiore.
STRASBOURG. — Hugo Wolf (mort le 22
février 1903), dont les Lieder sont et resteront
en vogue au concert, est l'auteur d'un quatuor pour
deux violons, alto et violoncelle, en ré mineur, que
les quartettistes de Dresde, MM. Henri Pétri,
Erdmann Warwas, Alfred Spitzner et Georges
Wille, appelés à Strasbourg par le Tonkunstler-
verein, qui marque des préférences toutes particu-
lières pour le quatuor à cordes, ont fait connaître
ici samedi dernier.
Dans ce genre de composition, que Saint-Saëns,
si nous avons bonne mémoire, a appelé un jour le
travail de composition le plus difficile qui existe,
Hugo Wolf a fourni, par son quatuor en ré mineur,
une œuvre tourmentée, pleine de phrases rayon-
nantes, mais accusant, dans son ensemble, une
note de désespérance qui s'explique par le carac-
tère maladif de cet esprit novateur que fut le
malheureureux musicien de l'école autrichienne,
mort à peine âgé de quarante-deux ans. Il y a dans
le premier mouvement de son quatuor comme un
sentiment d'angoisse qui domine, avec des élans
passionnés alternant avec des phrases d'une
expression calme et impressionante. Dans Validante
qui fait suite et qui, à part ses longueurs, constitue
la partie la plus saillante de l'œuvre, tout est
charme et séduction par les effets de voix célestes
dont l'accent est, pour ainsi dire, entrecoupé
par un glas funèbre dont le violoncelle marque le
motif. Hugo Wolf semble, en cet andante, si
caractéristique dans sa forme de lamento, n'avoir
point possédé le juste sentiment des proportions, et
la portée générale de cette superbe page s'en
ressent excessivement. Le tempo resoïuto et
V allegro très animé qui complètent ce long quatuor
n'offrent, ni l'un ni l'autre, un intérêt spécial.
Traduite avec un élan des plus chaleureux par le
quatuor de Dresde, cette composition pour
musique de chambre de Hugo Wolf a. été suivie
par l'auditoire avec toute l'attention qu'impose une
œuvre savamment traitée, quelque peu inégale, sur
le compte de laquelle, en tant que conception
musicale capable de durer au répertoire, il y aurait
quelque présomption à porter, après une unique
excéution, un jugement motivé et définitif.
A. O.
VERVIERS. - Mercredi 21 courant se
donnait au théâtre, sous la direction de
M. Louis Kefer, le concert annuel à l'occasion de
la distribution des prix aux lauréats de notre
Ecole de musique. L'orchestre a exécuté avec une
grande finesse et une spirituelle légèreté de touche
la symphonie en sol majeur de Haydn; le filiale
notamment fut enlevé avec une réelle virtuosité.
Le concerto pour trois violons, trois altos et trois
violoncelles de J.-S. Bach a été rendu à la perfec-
tion : exécution remarquable d'ensemble et de
cohésion. Mlles A. Housman et A. Blutz, lauréates
de l'Ecole, ont chanté dans un beau style deux
i8
LE GUIDE MUSICAL
duos de Hsendel. La pièce de résistance du con-
cert était la cantate La Réformation de J.-S. Bach,
pour orgue, orchestre, chœuis mixtes et soli. Les
solistes étaient MIles J. Delfortrie, A. Blutz et MM.
J. Charpentier et H. Wéerts, tous lauréats de
l'Ecole.
A noter spécialement l'exécution du deuxième
chœur et le solo pour soprano exécuté par Mlle
Jeanne Delfortrie avec une grande intensité d'ex-
pression, le solo de violon par M. Alph. Voncken.
L'orgue était fort bien tenu par M. Waitz, lauréat
de l'Ecole.
M. Jean Sauvage, pianiste, professeur à l'Ecole
de musique, donnait vendredi 23 décembre son réci-
tal annuel dans la salle de l'Ecole. Le programme
composé avec un heureux éclectisme, nous offrait
des oeuvres de Beethoven, Chopin, Liszt, Mosz-
kowski, Schubert, Weber et Balakirew dont
l'exécution a montré les brillantes qualités de
M. Sauvage.
Il a joué avec une émotion communicative et une
grande intensité d'expression le superbe allegro
de la Sonate appassionata de Beethoven, et fourni
une exécution colorée et vivante, bien qu'un peu
enfiévrée peut-être, de la barcarolle de Chopin.
Les Murmures de la forêt de Liszt, la Fantaisie
orientale de Balakirew, clôturaient ce beau pro-
gramme. E. H.
NOUVELLES
— La situation des théâtres ne paraît pas brillante
pour le moment en Italie. L'automne est mainte-
nant terminé et il a été peu propice aux théâtres
lyriques, qui presque tous ont terminé la saison
avec un passif plus ou moins considérable. Dans
plusieurs villes, les artistes ont dû même subir des
diminutions sur leurs maigres appointements, et
cela non seulement de la part des impresarii,
qui presque toujours sont à plaindre autant qu'eux-
mêmes, mais de la part des entreprises municipales.
— Comme Milan, Rome va avoir, dit-on, sa
salle Perosi. Le pape Pie X aurait l'intention de
faire construire une salle destinée aux grandes exé-
cutions de musique sacrée, oratorios, cantates, etc.,
qu'il ne veut voir interpréter ni dans les églises
ni dans les théâtres. Cette salle s'élèverait prochai-
nement dans un endroit central, et le maestro
Perosi en aurait la concession pour des concerts
de musique religieuse et pour l'exécution de ses
œuvres.
— A Mannheim, le Jongleur de Notre-Dame vient
de remporter un vif succès sous la direction du
capellmeister M. Langer. D'autre part, l'Académie
musicale a donné un brillant concert en l'honneur
de deux compositeurs, l'un allemand, l'autre fran-
çais, MM. Max Schillings et Ch.-M. Widor. Au
programme figuraient la Fête d'Eleusis et le Hexenlied
de Schillings (avec texte déclamé par le chevalier
de Possart, surintendant des théâtres royaux de
Munich), puis la troisième symphonie pour or-
chestre et orgue de Widor, et plusieurs pièces
pour orgue seul exécutées par le maître français.
— M. Félix Weingartner dirigera à New- York
deux concerts philharmoniques (10 et n février)
et deux concerts extraordinaires (14 et i5 iévrier).
Au programme, la symphonie avec chœurs de
Beethoven et la Harold-Symphonie de Berlioz.
— On annonce de Berlin que le maestro Leon-
cavallo travaille d'arrache-pied à un nouvel opéra,
Les Roses de Noël, sur un livret de M. Mitchell.
Serait-ce pour remplacer bientôt le Roland de
Berlin à l'affiche?
— Le dernier concert de l'Académie musicale
de Munich, sous la direction de M. Félix Mottl,
comprenait la Sinfonia doineslica de Richard Srauss,
la symphonie en ré majeur de Mozart et le Concerto
grosso, en si mineur, de Haendel.
— On nous écrit de Naples que le concert
dirigé par M. Martucci, dans lequel il conduisait
la première exécution de sa deuxième sympho-
nie, a obtenu le plus grand succès. Dans cette
œuvre, M. Martucci se montre particulièrement
classique, et l'inspiration, toute beethovénienne,est
d'une belle et grande allure. L'ouvrage et l'auteur
ont été vivement acclamés.
— De Besançon : « L'inauguration solennelle de
l'orgue de l'église de Saint- Pierre a amené derniè-
rement dans nos murs le maître organiste Eugène
Gigout. Il a rarement fait plus vive impression. La
séance a été un régal pour les dilettantes.
— Nous avons annoncé le nouveau concours
ouvert par M. Edouard Sonzogno pour deux
livrets d'opéras. On donne déjà les noms des
membres du jury. Ce sont MM. Arrigo Boito,
LE GUIDE MUSICAL
19
Gabriele d'Annunzio, Giuseppe Giacosa, Stechetti
et Amintore Galli, soit trois écrivains drama-
tiques et deux compositeurs.
— Le théâtre Sannazaro, de Naples, a donné
dernièrement la première représentation d'un
opéra en trois actes, Manuel Garcia, de M. Leo-
poldo Tarantini, qui parait avoir été favorablement
accueilli.
■ — Sir Edward Elgar ayant accepté de donner
le cours d'histoire de la musique, l'Université
de Birmingham a pu accepter officiellement la
donation de M. Richard Peyton dont nous avons
parlé précédemment.
— Le ministre de l'intérieur de l'empire
d'Autriche vient de décider la conslruction à
Vienne, sur les bords du Danube, d'un théâtre
modèle, présentant toutes les garanties possibles
contre le danger d'incendie. D'autre part, on
rapporte que, dans la même ville, l'imprésario
M. Maximilien Burg étudie la création d'un théâtre
wagnérien que l'on construirait sur le modèle du
Théâtre du Prince-Régent de Munich.
— M. Martin Lunssens, prix de Rome, ancien
chargé de cours au Conservatoire de Bruxelles,
vient d'être nommé directeur de l'Ecole de musi-
que de Courtrai.
— A Roubaix : Le premier concert de l'Asso-
ciation symphonique. directeur M. J. Koszul, a
été un vrai succès. Le programme, brillamment
exécuté par l'orchestre, Mlle Paternoster, soprano,
et M. Jules Bacquart, violoncelliste, professeur au
Conservatoire, comprenait la symphonie n° 4 de
Mendelssohn, l'ouverture de Clément Broutin, la
valse de Mireille, Souhaits de J. Koszul, variations
de Proch,les Variations symphoniques de Boëllmann,
Kol Nidrei de Max Bruch.
Le second concert est fixé au 22 janvier igo5,
avec le concours du pianiste Ricardo Vinès.
M.J.
— A Tourcoing : La séance de musique de
chambre organisée par M. Ch. Wattinne a été très
appréciée du nombreux public, qui composait
l'auditoire.
M. Wattinne s'était assuré le concours du Qua-
tuor tournaisien (MM. Lilien, Landas, Lampers
et Paternoster) et aussi de MM. Julien Koszul et
G. Meyer, pianiste.
Au programme : Pour le Quatuor, romance de
Grieg, septième quatuor de Schumann, quintette de
C. Franck (avec M. Meyer au piano); Caprice en
forme de valse (Saint-Saëns-Ysaye) MM. Lilien et
Meyer; enfin, deux pièces pour deux pianos : ballet
de Henri VIII (Saint-Saëns) et Polonaise héroïque
(Ritter). M. J.
#>
BIBLIOGRAPHIE
Le Théâtre de l'âme (3e série) — Léonard de Vinci,
par Edouard Schuré — Librairie académique,
Perrin et Cle.
Continuant ses beaux travaux du « Théâtre de
l'âme », notre éminent collaborateur M. Ed.
Schuré vient de faire revivre avec la magie de sa
plume deux grandes figures de la Renaissance
italienne, le divin Léonard de Vinci et cette
Monna Lisa del Giocondo, dont le portrait trou-
blant constitue une des plus belles gloires du
Louvre. C'est un drame palpitant, dans lequel
l'idée de l'amour initiateur et créateur trouve
sa synthèse en Léonard de Vinci et en Monna
Lisa. Quelle émotion de voir apparaître pleins
de vie, secoués par la violence de la passion,
ces deux êtres qui ont vivement occupé l'attention
des générations qui les ont suivis ! Sœur de Gala-
thée, l'œuvre de Pygmalion, Monna Lisa est
descendue, animée, du beau cadre de Léonard :
sphinx de beauté, elle vient à nous en toute la
magie de ses formes séduisantes.
Terminé en mars 1904 à Taormina, le drame
palpitant de M. Ed. Schuré est précédé de
quelques pages retraçant le panorama enchanteur
de cette cité, a véritable nid d'aigle suspendu
sur la mer Ionienne », le Taiaromenium des Grecs
et des Romains. Elle est l'élégant portique du
monument nouveau que l'auteur du « Théâtre de
l'âme » offre à notre admiration. H. I.
— M. Henry Expert vient de publier chez l'édi-
teur Leduc le dix-huitième volume des Maîtres
musiciens de la Renaissance française, consacré à
Guillaume Costeley. Nous rappelons tout l'in-
térêt de cette artistique publication.
— M. Albert Soubies publie, chez Flammarion,
une nouvelle édition de sa Villa Médicis où l'on
trouvera, notamment, un chapitre inédit consacré
au nouveau directeur, M. Carolus Duran.
LE GUIDE MUSICAL
NÉCROLOGIE
Cette semaine est mort â Colombes, à l'âge de
cinquante-deux ans, un artiste fort estimable,
M. Victor Dolmetsch, pianiste et compositeur,
qui s'était fait une situation comme professeur
et â qui l'on doit un certain nombre de productions
aimables.
— Le 16 octobre dernier, dans la cathédrale
de Saint-François-Majeur, à Pavie, est mort subi-
tement, en accompagnant à l'orgue la messe
solennelle, le maestro Carlo Sali, organiste de
cette église, frappé de paralysie cardiaque. Il
était âgé de cinquante-sept ans.
pianos et Ibarpes
Bruxelles : 6, rue Xatérale
Iparis : me ou flfcail, 13
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 1er janvier 1905. — Concerts Lamoureux :
Audition d'oeuvres de Beethoven avec le concours de
MM. L. Frolich et P. Sechiari. Ouverture en ut ma-
jeur, op. 124; Symphonie héroïque ; Romance en sol ma-
jeur (M. Sechiari); Six mélodies religieuses, cp. 48
(M. L. Frolich); Sérénade, trio à cordes, op. 8; Ouver-
lure de Léonore, n° 3. Sous la direction de M. Camille
Chevillard.
Jeudi 5 Janvier. — Salle Ple}rel : Premier récital
Ed. Risler.
Vendredi 6 janvier. — Salle d'Horticulture : Première
séance de la Trompette, 84, rue de Grenelle, avec le
concours du Quatuor Hayot, de Mme Jeanne Raunay
et de M. Harold Bauer. Onzième quatuor, Beethoven;
Quintette pour piano et cordes, J. Brahms.
Mercredi 11 janvier. — Salle Plej-el : Concert Henri
Stenger, avec le concouis de Mlle Duranton et de
M. Oberdcerffer.
Jeudi 12 janvier. — Salle. Pleyel : Deuxième récital
Edouard Risler.
— Ecole des Hautes Etudes sociales : Les musiciens
français de la fin du xvie siècle, par M. H. Expert.
Conférence et audition.
Vendredi 13 janvier. — Salle .ZEolian : Première séance
du Quatuor Parent.
Jeudi 19 janvier. — Nouveau-Théâtre : Troisième
concert de 1 Association des Concerts Cortot. Prologue
du Crépuscule des Dieux; Festklànge, F. Liszt; Rapsodie
moderne, Victor Vreuls; Concerto pour violon, Beet-
hoven (M. A. Forest); Les Béatitudes, n° 4, C. Franck.
Mardi 24 janvier — Salle des Concerts, rue d'Athènes :
Société philharmonique de Paris : Mme Jeanne Raunay,
MM. Sappelnikoff et Henri Marteau.
BRUXELLES
Dimanche 8 janvier. — Théâtre de l'Alhambra : Se-
cond concert Ysaye, sous la direction de M. Edouard
Brahy, chef d'orchestre des Concerts populaires d'An-
gers et des Concerts d'hiver de Gand, avec le concours
de M. Jacques Thibaud, violoniste. Programme : Ou-
verture d'Egmont, Beethoven ; Concerto en fa mineur,
E. Lalo (M. Jacques Thibaud); Symphonie fantastique,
H. Berlioz; Caprice, E. Guiraud (M. Jacques Thibaud);
Ouverture d'Obéron, C.-M. von Weber.
Mercredi 11 janvier. — Salle Erard : Lieder-Abend
donné par M^e Suzanne Denekamp. Au programme :
Brahms, Tschaïkowsky, Grieg, Wolff, Schumann,
Schubert, Franck, Debussy, etc.
Jeudi 12 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert par M. Henri Merck, violoncelliste, avec or-
chestre sous la direction de M. I. Albéniz. Au pro-
gramme : Prélude de Merlin, I. Albéniz; Concerto en
mi mineur, pour violoncelle et orchestre, V. Herbert
(M. Henri Merck); Aria, Bach, Tre Giorni son che nina,
Pergolèse; Menuet, Becker (M. Henri Merck) ; Varia-
tions symphoniques, pour violoncelle et orchestre, Boëll-
mann (M. Henri Merck); Catalonia, I. Albéniz.
Lundi 16 janvier. — Salle des fêtes de l'Ecole commu-
nale : Concert à l'occasion de la distribution des prix
de l'Ecole de musique de Saint-Josse-ten-Noode. Au
programme : Bach, Mozart, G. Huberti, Jaques-Dal-
croze, Wagner, Th. Ysaye-Mess, A. Dupuis, C. Saint-
Saëns, Gluck.
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21
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6. Lever- de soleil. n. Le premier baiser.
7. Roses funèbres. 12. L'avril s'envole.
8. Mon oiseau ne revient pas. i3. Rêve.
9. Bal à Trianon. 14. A Frigga.
10. Gretchen vient du rendez- vous. i5. Le jeune chasseur.
1. Hymne athénien.
-2. Berceuse.
3. Ai-je rêvé?
4. Perdus.
5. Parle, ô vague.
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CHANT ET PIANO
Net
Net
AIR D'OSMAN « Ah ! que me faites-
vous entendre » 1 35
AIR d'HUASCAR « Hymne au soleil ». 1 jf>
DUO DES SAUVAGES (S. -T.) . . 2 -^
ORCHESTRE
AIRS DE BALLET
PREMIERE SUITE
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Partition 4 —
Parties d'orchestre 6 —
Chaque partie supplémentaire ... o 75
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que l'on désire
5iiae ANNEE.
N
umero 2.
8 janvier igoS.
NOTES SUR " FAUST
yy
Après les interprètes de Gœthe,
les interprètes de Gounod. Pour
ceux-ci comme pour ceux-là, il
est bien entendu que je me tiens
à ceux que je connais, puisqu'il s'agit ici
de souvenirs personnels, et non de recher-
ches documentaires.
Et tout d'abord, parlons de Marguerite.
Si l'Allemagne, empressée à faire sien le
Faust de Gounod, enleva au héros, pour les
repasser à l'héroïne, les honneurs de la
vedette, ce ne fut pas seulement — comme
on l'insinua — pour protester contre les
libertés grandes que les librettistes, Jules
Barbier et Michel Carré, avaient prises à
l'égard du drame de Gœthe, mais encore et
surtout pour assurer à la cantatrice la
prééminence que lui assignait le composi-
teur, et peut-être aussi, sous l'influence des
directeurs de théâtre, pour mettre dans
leur jeu l'émulation et jusqu'aux rivalités
des innombrables aspirantes à l'interpréta-
tion d'un rôle à peu près unique, par cela
même qu'il en vaut deux.
Le fait est, la remarque est classique,
que, au point de vue « emploi », il y a,
sinon deux Gretchen, du moins deux can-
tatrices dans la Marguerite de Gounod,
(i) Voir le Guide musical du u décembre 1904.
une « légère » et une « dramatique », ou,
si vous voulez, une Dorus-Gras et une
Falcon, comme on disait au temps où les
attributions — qui se spécialisent de moins
en moins depuis quelques années — s'éti-
quetaient, se signaient en quelque sorte,
du nom des artistes qui avaient eu la
chance de les étrenner. Cela ne va pas sans
inconvénient pour le rôle. Comment trou-
ver une femme qui soit également la Mar-
guerite de l'air des bijoux et la Marguerite
de la scène de l'église et du trio de la pri-
son? Et cet inconvénient se marquait sur-
tout à l'époque où Faust se donnait en
opéra-comique, avant l'insertion des récits,
que Gonuod d'ailleurs avait écrits dès
l'origine. D'autre part, comme le fait ma-
licieusement remarquer un de mes con-
frères du Guide, cela ne va pas sans avan-
tages, car on est à peu près sûr que Mar-
guerite sera excellente, au moins dans une
moitié de son rôle.
La première fois que Faust fut repré-
senté à la Monnaie — 25 février 1861 (1), —
ce fut sous la forme opéra-comique, avec
M,ne Meyer-Boulard dans le rôle de Mar-
guerite. Cette cantatrice, qui n'avait qu'à
(1) La date que je donnais dernièrement, saison
théâtrale 1862-1863, est celle de la première en grand
opéra.
2+
LE GUIDE MUSICAL
demi-réussi à l'Opéra-Comique de Paris (i)
était alors l'idole du public bruxellois. On
pense bien que les afires et les invocations
de l'église, la folie et les élans tragiques de
la prison n'étaient pas tout à fait dans ses
moyens; mais son air des bijoux ravit la
salle entière, jusque-là hésitante, et sa po-
pularité contribua certainement à lancer
l'ouvrage, bien que, même dans l'acte du
jardin, sa compréhension, du personnage
fût singulièrement altérée par son contact
habituel avec les héroïnes de Scribe et
d'Auber. Certes elle disait fort agréablement
l'élégie sur la mort de la petite sœur. Elle
était sincère dans le duo: « Je t'appartiens,
je t'adore. » Mais quand Faust devient
pressant, le texte la déroutait. « Partez
vite, je tremble, j'ai peur » lui fait dire le
livret. Elle n'avait vraiment pas assez
peur. Pour un peu, elle se fût écriée :
« Entrez donc! », sans attendre les brûlants
appels de la fenêtre, où elle prenait sa re-
vanche. On n'excelle pas impunément dans
le Domino noir et les Diamants de la cou-
ronne.
Tel était l'ascendant de la Boulard sur
un public d'autant plus confiant qu'il était
plus épris, et si vif avait été son succès,
qu'il ne fléchit pas après que Mme Miolan-
Carvalho, en cette année même, fut venue
donner quelques représentations à Bru-
xelles. Elle était pourtant la créatrice, la
(i) Encore qu'elle y fût charmante, au moins dans
certains rôles. Il nous souvient de l'avoir entendue, en
même temps que Stockhausen, dans Jean de Paris, de
Boieldieu, jouant et chantant le plus gracieusement du
monde le rôle de la princesse de Navarre; et, en vérité,
il eût fallu beaucoup de mauvaise volonté pour ne pas
ratifier ce distique du Sénéchal :
C'est la merveille la plus rare
Qu'ait pu former la main des dieux !
Mais il y a loin de Jean de Paris à Faust et de la prin-
cesse de Navarre à Gretchen.
Profitons de cette note pour constater ici que, dans
Faust, la scène du rouet fut momentanément rétablie à
l'Opéra de Paris pour Gabrielle Krauss, lorsque, vers
1882, paraît-il, cette éminente artiste y aborda le rôle
de Marguerite. Mais je ne l'y ai pas vue. Et je ne sau-
rais l'y deviner sur ses belles créations de Polyeucte et
du Tribut de Zamora.
Miolan; mais la Boulard gardait l'avan-
tage de la première impression, force im-
mense, prestige incomparable auquel le
jugement le plus sûr ne parvient pas tou-
jours à se soustraire. Du moins n'alla-t-on
pas jusqu'à sacrifier la Miolan. On lui
rendit justice, on lui rendit hommage.
Mais on aimait mieux l'autre.
La Miolan, du reste, si elle n'était, pas
plus que la Boulard, à la hauteur des
efforts que les grandes scènes de l'église
et de la prison imposent à une cantatrice
de demi-caractère, était incomparable
dans l'acte du jardin, et si, dans les
moments de passion, elle mettait plus de
tendresse que de tempérament, elle les
rehaussait de ces grâces caractéristiques
de la vraie Marguerite, la pudeur jusque
dans l'abandon, l'ingénuité partout.
A Bruxelles même, l'antithèse de cette
double interprétation des premiers jours
fut magistralement réalisée plus tard par
la Marguerite de Rose Caron. Pour n'avoir
abordé Brunehild que dans Sigurd, la
Caron n'en est pas moins essentielle-
ment walkyrique. Elle semble créée tout
exprès pour les rôles équestres. Qu'elle
personnifie Eisa, on s'inquiète du sort de
Lohengrin; qu'elle aborde Eva, l'on
s'étonne qu'enfourchant Grane, noble
destrier, elle n'enlève pas Walther von
Stolzing par-dessus les toits de Nurem-
berg. La Norma, prêtresse druidique, ma-
gicienne tragique et vengeresse, voilà vrai-
ment un rôle à la taille de Rose Caron et non
pas Agathe du Freyschiïtz. Va pour Mar-
guerite, mais à l'église dont sa grande
voix fait trembler les voûtes, dont sa
haute stature menace la coupole, dont ses
grands bras sont prêts à secouer les piliers;
ou bien dans la prison, où les désespoirs
et les menaces de sa folie font trembler
le public, pour elle, sans doute, mais bien
davantage pour ce pauvre Méphisto, qu'elle
est de taille à mettre dans sa poche. Mais
quand elle se glissait dans le jardin de
Marguerite, on eût dit qu'Armide y venait
ensorceler Faust, à défaut de Rinaldo.
Qui encore? Jeanne Devriès, plus tard
LE GUIDE MUSICAL
25
Mme Dereims, cantatrice avant tout, stylée
par Gounod quand elle reprit le rôle à la
Monnaie, il y a tout juste trente ans. Oh!
le joli mot de Joseph Dupont : « Il a de la
chance que je fusse là. Car, pour ce qu'il
lui a appris!... »
Qui encore? Mme Albani. .. Voyez ce que
valent les souvenirs, alors même qu'on se
pique de mémoire. Elle a joué Faust à la
Monnaie en 1884. Isnardon l'affirme en son
Répertoire qui fait foi. Je dois l'y avoir
vue; je crois l'y avoir vue. Et, tout bien
pesé, je n'en suis pas sur. C'est que, de
cette cantatrice admirable qui avait
des moments de grande actrice, je ne
me rappelle avec précision que son
Eisa et sa Traviata. Dans l'opéra de Verdi,
s'inspirant de laTessaro, une « Dame aux
Camélias » d'Italie, qui faisait florès il y
a quelque vingt ans, elle mimait l'agonie
et la mort à faire frissonner toute la salle.
Est-ce que je confondrais la' Marguerite
de Faust avec Marguerite Gautier? Dans
Lohengrin, elle jouait la scène de la chambre
à coucher avec une câlinerie si prenante,
que le silence hermétique du fils de Par-
sifal en devenait presque invraisemblable.
Serait-ce qu'une telle Eisa présageât une
Marguerite hors ligne? Hélas! Marguerite
ne fut pas favorable à M11" Annah Sternberg,
la première Eisa et l'une des plus déli-
cieuses dont il nous souvienne.
Enfin, que voulez- vous? Biffons 1A1-
bani. Il en reste beaucoup d'autres. Mais,
sans en épuiser la liste, il est temps de se
demander quelle fut, parmi tant d'inter-
prètes, et des plus distinguées à divers
titres, celle qui obtint le suffrage intégral
de Charles Gounod. On en peut citer deux,
et toutes deux ont paru sur la scène de la
Monnaie : la Nilsson et la Lucca.
Il est notoire qu'à Paris, bien qu'il
n'eût jamais cessé de rendre hommage à
Mme Miolan Carvalho, sa Marguerite prin-
ceps, Gounod salua pour la première fois
sa Marguerite totale en la personne de la
Nilsson, la seule qui jusque-là, sur une
scène française, eût mis en pleine lumière
tous les aspects du personnage : premier
éveil de l'amour, charme, tendresse et pas-
sion, angoisses et remords, effondrement
tragique dans la folie et dans la mort.
Mais plus tard, après qu'il eut entendu
Pauline Lucca en Allemagne, il la plaça
dans ses éloges au même rang que la Nils-
son, et, mieux encore, pour peu qu'on
serrât de près le parallèle, il avouait que,
de toutes ses Marguerite, la cantatrice
allemande était peut-être celle qui l'avait
le plus complètement satisfait.
Si présomptueux qu'il soit de contrôler,
sur des impressions personnelles, un juge-
ment aussi autorisé, on peut en chercher
la raison dans certaines nuances, de tem-
pérament plutôt que de talent, qui se
résument ainsi : Mieux que personne peut-
être, la Nilsson jouait et chantait son rôle ;
comme personne la Lucca vivait sa Mar-
guerite.
L'impeccable vocaliste qui, dans la
Flûte enchantée, avait triomphalement flûte
les notes piquées de la Reine de la nuit,
n'était pas pour se laisser intimider par
l'air des bijoux, et, quand on a poétique-
ment réalisé la mort d'Ophélie, on n'est
pas embarrassée de renaître dans le jardin
pour remourir, deux fois folle, dans la
prison de Marguerite. La fenêtre de la
Nilsson est inoubliable. Ce fut une trou-
vaille que son premier éveil de la folie sur
le cadavre de Valentin, et elle a fait tradi-
tion. Mais la Nilsson était toujours en
scène, et, douée du pouvoir de communi-
quer les émotions les plus douces comme
les plus fortes, on se demandait toujours si
elle les éprouvait.
Avec Pauline Lucca, on oubliait les
planches, la virtuosité et la volupté sonore
pour se donner tout entier au drame, dont
le revêtement musical ne semblait plus
destiné qu'à colorer les situations et à pré-
ciser les accents; et l'on était pris jus-
qu'aux moelles par la fatalité qui condamne
une pauvre fille, abandonnée après l'amour
et la séduction, aux pires angoisses, aux
remords, à l'affolement, au. crime et au
martyre. Quand elle passait au milieu des
groupes dansants de la kermesse, arborant
26
LE GUIDE MUSICAL
sa tresse brune plutôt que de s'affubler
d'une perruque blonde et, fillette charmée
déjà mais toujours gamine, rabrouant les-
tement la galanterie du beau monsieur qui
l'accoste, on se rappelait le Faust de
Gœthe amusé de l'espièglerie de ce pre-
mier accueil. Mais quand l'amour naissait,
pas de doute, c'était pour tout de bon. Et,
si désordonnée qu'elle parût à quelques-
uns, la frénésie gesticulante de Gretchen,
jetée hors des gonds par la voix sinistre de
l'Esprit du mal, inoculait sa souffrance
aux sensibilités les plus résistantes.
N'est-il pas curieux et intéressant que,
parmi tant de Marguerite, le musicien
Charles Gounod ait choisi la plus proche
de Gœthe pour lui décerner les honneurs
du laurier ?
Maintenant, messieurs, à votre tour.
Et pardonnez-nous si l'on ne vous fait pas
la place belle, d'autant qu'il ne nous en
reste pas beaucoup.
L'androgyne Siebel, homme par le per-
sonnage, mais si peu, femme par l'inter-
prétation, facilitera la transition sexuelle.
Le premier Siebel de la Monnaie fut
Mlle Dupuis, de jolie voix, détaille presque
virile, mais agrémentée de reliefs d'une
féminité irrécusable. Elle aussi eut le béné-
fice de la première initiation. A notre con-
naissance elle n'a été dépassée, au moins
chez nous, que par Mlle Maubourg, aussi
grande, plus svelte, supérieure par la
diction, le geste, l'attitude et l'action.
Les Faust di primo cartello sont plutôt
rares. On se souvient de Jourdan parce
qu'il créa le rôle à la Monnaie, où il était
le complice de tous les succès de la
Boulard, mais on ne s'inquiète pas outre
mesure de ses successeurs, Faust n'étant
guère qu'un second ténor qui se hisse aux
premiers.
Il n'en est pas ainsi de Méphisto, qui eut
à la Monnaie plusieurs interprètes de
talent, dont deux hors ligne, Faure, en
représentations, et Gresse, parce qu'il eut
l'esprit de ne point pasticher cet inimitable
artiste et parce que sa sérénade était une
véritable création d'ironie chantée.
Devoyod aussi voulut s'y essayer. Il y
échoua lamentablement. Mais avec quelle
conviction il se consola de son échec : « Que
voulez vous? disait-il à un de mes amis.
Ces bonnes gens attendaient le Méphisto-
phélès de Mossieu Gounode. Je leur ai seryi
le Méphistophélès de Gœthe. Ils n'y étaient
plus du tout! » Du moins prit-il sa revan-
che dans le rôle de Valentin, qu'il avait
créé à l'Académie impériale de musique
et où il resta sans rival, à Bruxelles comme
à Paris. On se rappelle l'émotion du pu-
blic quand son corps sec faisait trembler
le plancher de la scène en s'y effondrant,
au risque de s'y briser. « Un succès de
chute, » insinuait un plaisant. Mais De-
voyod disait magistralement la malédic-
tion. Il avait du reste une haute opinion
de sa création. Un jour que je l'en félici-
tais : « Oui, me répondit-il avec condes-
cendance. Je vois que vous avez compris.
J'ai voulu faire de ce Valentin un soldat
de Marathon. »
Ne terminons pas ces notes et souvenirs
sans féliciter l'orchestre de la Monnaie
d'avoir rétabli la péroraison instrumentale
de l'acte du jardin. On sait qu'après la
scène du balcon, le rideau tombe lentement
sur un decrescendo soupirant et langou-
reux qui achève de préciser la situation
et dont l'effet est des plus poétiques.
Joseph Dupont en coupait la moitié, sous
prétexte que les applaudissements et les
rappels empêchaient de l'entendre. Main-
tenant, pour applaudir, on attend que tout
soit dit, à l'orchestre comme sur la scène.
C'est un progrès.
Charles Tardieu.
LE GUIDE MUSICAL
27
PEPITA JIMENEZ
Comédie lyrique en deux actes et trois tableaux
Musique de I. Albéniz
ET
L'ERMITAGE FLEURI
Zarzuela espagnole en deux actes, du même auteur
Première représentation au théâtre royal
de la Monnaie, le 3 janvier igo5
ans les notes, rapides mais substan-
tielles, qu'il publiait récemment
sur l'évolution de la musique
moderne en Espagne (1), M. Ro-
bert Sand constatait que le mouvement musi-
cal qui se dessine dans la péninsule témoigne
d'une renaissance analogue à cellequi se pro-
duit actuellement dans la peinture et la sculp-
ture et qui s'est affirmée avec tant d'éclat lors
de récentes expositions. L'échantillon de la
production musicale- espagnole que vient de
nous montrer le théâtre royal de la Monnaie
suffirait à prouver combien étaient justifiées
les appréciations de notre confrère.
Elle peut prendre place, en effet, parmi les
œuvres les plus remarquables exécutées en
ces vingt-cinq années, cette partition de Pépita
Jiménez (2) qui, après avoir été acclamée dans
son pays d'origine et aussi en Allemagne, vient
de voir le jour sur la scène française, au théâtre
royal de la Monnaie. Elle se distingue avant
tout par une logique dans la tenue dont on
trouve peu d'exemples aussi caractéristiques
dans la production lyrique moderne et qui en
fait, d'un bout à l'autre, une comédie musicale
au sens strict du mot.
La musique suit l'action pas à pas, — une
action fort simple dont tout l'intérêt réside
dans la lutte de sentiments que provoquent
d'une part l'amour que se sont inspiré mutuel-
lement Pépita et Don Louis, de l'autre les
instincts pieux qui ont dirigé celui-ci vers
l'état ecclésiastique. C'est l'amour qui est vain-
queur, mais s'il l'emporte, c'est quelque peu
grâce aux subterfuges d'Antonona, l'ancienne
nourrice de Pépita, qui a conservé sur sa jeune
(1) Voir les numéros du Guide musical des 27 novembre
et 4 décembre 1904,
(2) Piano et chant, Breitkopf et Hârtel.
maîtresse une influence dont elle use avec
autant d'art que de familiarité.
Le premier acte, presque tout d'exposition,
nous montre, par une série de scènes habile-
ment conduites où rien ne fait longueur, l'état
d'âme des deux principaux personnages, mis à
jour par des dialogues qui s'enchaînent logi-
quement et où interviennent, à côté de la
nourrice qui se réserve de tout embrouiller
pour rapprocher deux cœurs qui s'aiment sans
trop oser se l'avouer réciproquement, d'autres
personnages d'un caractère purement épiso-
dique. Ni ouverture, ni prélude : cinq mesures
seulement précèdent les premières paroles
échangées au lever du rideau, et l'orchestre
part dans un allegretto en 3/8 qui sera le mou-
vement dominant de la partition entière. Il
n'est pas poussif, l'orchestre de M. Albéniz,
et la vie déborde en lui avec une exubé-
rance telle que parfois l'on serait tenté de
l'arrêter. Le compositeur lui fait d'ailleurs,
presque constamment, une existence propre,
indépendante du chant, — du moins dans le
premier acte, qui par les scènes qui le com-
posent, réclame généralement une déclamation
simple, qui s'accommoderait mal d'un chant
trop en dehors. A noter spécialement la jolie
scène des aveux, dans laquelle Pépita confie
au vicaire du village son amour pour Don
Louis. Puis la rencontre des deux amoureux,
faisant taire leurs sentiments, tandis que l'or-
chestre, dans lequel dominent les sons les plus
stridents des cordes, souligne combien leurs
paroles répondent peu aux élans de leur
cœur. Enfin, toutes les pages auxquelles est
mêlée Antonona, dont la physionomie très
caractéristique est dessinée musicalement avec
un relief qui en fait une figure pleine de vie et
d'humour méridional.
Avec le second acte, l'œuvre prend d'autres
aspects, tout en conservant sa logique initiale.
Dans le premier tableau de cet acte dominent
les scènes épisodiques. Tandis qu'Antonona
s'occupe des derniers préparatifs pour une fête
locale qui va se célébrer dans un instant,
Pépita murmure une romance d'une char-
mante mélancolie, enchâssée d'une main habile
qui sait éviter le « morceau ». Puis défilent les
invités, les paysans, les enfants, dont les voix
s'entremêlent dans un chœur savamment con-
2S
LE GUIDE MUSICAL
struit, auquel succède un noël, que les
enfants accompagnent bocca chiusa et qui,
harmonisé avec une saveur toute particulière,
constitue une chose absolument délicieuse.
Non moins réussies, en leur couleur très méri-
dionale, sont les danses qui suivent, mises en
scène avec un réalisme qui conserve à l'œuvre
ce caractère de vérité artistique qui en est l'un
des principaux attraits. La scène de l'évanouis-
sement est liée aux danses avec une habileté
consommée, et toutes les pages de ce tableau,
d'une grande variété d'allure, s'enchaînent sans
choc et sans heurt, ne laissant aucune impres-
sion de vide, ne trahissant jamais chez le com-
positeur ni fatigue ni impuissance. De combien
d'œuvres modernes peut-on en dire autant?
Les deux tabl aux de l'acte sont reliés par
un interlude symphonique qui, dans sa pre-
mière partie, exprime éloquemment, avec une
belle puissance sonore, la douleur amoureuse
de Pépita ; un decrescendo savamment gradué
amène le motif mélodique qui servira, peut-on
dire, d'atmosphère musicale au second tableau
— l'appartement de Pépita — , où une nouvelle
rencontre des deux amoureux, ménagée par la
rusée nourrice, amènera ceux-ci à s'avouer
mutuellement leur amour. Ici la musique prend
un caractère passionné qui se transporte de
l'orchestre dans le chant, et il s'établit entre
c^ux-ci une fusion plus étroite qu'au premier
acte. C'est ce que justifie la nature des senti-
ments expiimés : le lyiisme très en dehors
qu'ils comportent ne pourrait rester confiné
dans l'accompagnement, et les voix suivent
souvent le contour mélodique de celui-ci. Ces
scènes, où le pathétique atteint les plus hauts
sommets, se succèdent en une gradation
d'effets ménagés sans que le « procédé » appa-
raisse, et elles tiennent véritablement le spec-
tateur haletant jusqu'au moment où, Pépita
ayant vaincu les scrupules de Don Louis, le
thème d'amour éclate victorieusement dans
l'orchestre.
Malgré sa forme savante et très moderniste,
malgré sa logique constante, la partition de
Pépita Jimèncz est d'une abondance mélodique
rare. Comme nous l'avons dit, le rythme U r-
naire, particulièrement propre aux mélodies
espagnoles, y domine en maître presque
absolu, et sa constance pourrait êtie la cause
de quelque monotonie si sous ce trois-temps, ne
se dissimulaient des rythmes assez change ants,
auxquels des temps forts habilements ménagés
et féconds en surprises, viennent donner les
aspects les plus variés. La ligne mélodique est
d'ailleurs généralement d'une souplesse rebon-
dissante très entraînante, que souligne une
orchestration extraordinairement fluide en ses
complications d'un raffinement extrême. Cette
orchestration repose principalement sur le
quatuor, dont M. Albeniz tire des effets très
pittoresques et qu'il manie avec une légèreté
qui souvent laisse, des contours assez tour-
mentés de la mélodie, une impression vague
dont l'imprécision même fait le charme.
Les motifs essentiels de la partition portent
la trace d'une influence ethnique très appa-
rente. Et si la lecture au piano peut laisser des
doutes sur le caractère scénique et dramatique
de cette musique si rythmée, le plaisir est
d'autant plus grand de constater au théâtre
combien, au contraire, elle souligne constam-
ment l'action, combien elle l'entraîne en quel-
que sorte, ne lui laissant pas le temps de
languir, l'obligeant à suivre l'inspiration tou-
jours en haleine du compositeur.
Le public, quelque peu surpris au début,
a été, lui aussi, bientôt entraîné : api es avoir
apprécié pour sa haute valeur musicale, mais
sans grande émotion peut-être, le premier acte,
il a été charmé et ravi par les scènes épiso-
diques du deuxième tableau, puis touché parle
dramatique intense des scènes finales. Peu à peu
il a acquis l'impression d'une œuvre puissante
et forte, fruit d'un talent original s'appuyant
sur une science étendue alliée à une nature
artistique probe et sincère au plus haut point.
Et c'est dans un bel élan d'enthousiasme que
la salle entière a acclamé par trois fois
M. Albéniz après le baisser du rideau.
Constatons que quelques jours auparavant,
lors de la répétition générale, à laquelle il
avait tenu à assister, M. Gevaert avait adressé
à l'auteur les félicitations les plus chaleureuses.
Pepiti Jimêiiez a été montée avec soin au
théâtre de la Monnaie. La lâche des inter-
prètes était, musicalement surtout, fort déli-
cate, et ils ont eu grand mérite à s'en acquitter
lj: GUIDE MUSICAL
29
comme ils l'ont fait. Une mention spéciale
revient à M. David (Don Louis), M11" Baux
(Pépita) et Maubourg; cette dernière a com-
posé le personnage d'Antonona avec une vérité
vraiment saisissante. A citer également MM.
D'Assy (Don Pedro), Belhomme (le Vicaire) et
Boyer (le comte Genazahar). La mise en scène,
bien au point, est relevée par le pittoresque des
costumes, lesquels ont été établis d'après des
dessins et croquis des peintres et dessinateurs
espagnols bien connus, I. Zuloaga et Gosé.
Pépita Jimènez va, sans doute faire son tour
de France. Elle a des chances sérieuses d'être
accompagnée, dans ses pérégrinations, de
Y Ermitage fleuri, une autre œuvre de M. Albé-
niz qui la suivait sur l'affiche le soir de la
première à la Monnaie, et qui a reçu égale-
ment l'accueil le plus flatteur. Le compositeur
avait eu quelque peine à laisser exécuter, en
même temps que Pépita, cette zarzuela qu'il
considère un peu aujourd'hui comme un
péché de jeunesse. L'expérience a prouvé
qu'il avait tort et bien des musiciens sans
doute seraient heureux d'avoir de pareils
péchés sur la conscience.
Elle est charmante, en effet, cette partition-
nette, écrite avec aisance, mais d'une inspira-
tion qui n'est jamais banale et que relève une
forme très soignée; c'tst plein d'esprit, — un
esprit qui s'affirme dans le chant comme dans
l'orchestre et qui se traduit par des rythmes
piquants, par des sonorités inattendues du plus
amusant effet. Ici encore, les thèmes d'un
caractère espagnol abondent, donnant à l'œu-
vre une saveur toute spéciale ; ici également,
le compositeur montre un sentiment très juste
des proportions, une notion profonde de l'effet
scénique.
Ces deux petits actes, bien enlevés par
Mmcs Eyreams, Paulin et Tourjane, MM. For-
geur et Caisso — ce dernier d'une drôlerie très
divertissante —, ont fait un plaisir extrême, et
ont terminé sur une note spirituellement
joyeuse une soirée qui fut pour beaucoup un
véritable régal. J. Br.
dp
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS LAMOUREUX. - M. C. Che-
villard a consacré le concert du ier janvier à l'au-
dition d'oeuvres de Beethoven.
De la Symphonie héroïque, de l'ouverture de
Fidelio (n° 3), il n'y a plus rien à dire : l'exécution
en fut parfaite.
Une seule œuvre de Beethoven, inscrite au
programme, a été exécutée fort rarement : c'est
l'ouverture en ut majeur (op. 124Ï, que le maître
écrivit pour l'inauguration du théâtre Josephstadt,
à Vienne. En écoutant cette page ultra-classique
de Beethoven, notre impression a été que le style
de Haendel n'était pas étranger à sa composition.
Le début même, en forme de marche, l'épisode
des trompettes, la double fugue, indiquent très
clairement cette influence. Beethoven avait-il
donc songé au maître de l'oratorio en écrivant
l'ouverture en ut majeur, et avait-il voulu ainsi
montrer l'admiration qu'il avait pour lui ? Les
Mémoires de Schindler sont très affirmatifs à ce
sujet. Un jour que Beethoven se promenait avec
Schindler et son neveu dans la jolie vallée
d'Hélène, près de Bude (Autriche), il traça l'es-
quisse de deux thèmes pour la composition de
cette ouverture. Puis il demanda à ses compa-
gnons de route de lui indiquer leurs préférences.
Schindler choisit le motif fugué, d'un style sévère,
dans le genre de Haendel. Si Beethoven l'adopta,
ce fut surtout parce que ce choix s'accordait avec
le projet, qu'il avait caressé depuis un longtemps,
d'écrire une ouverture dans le style de Haendel.
C'était ainsi l'occasion pour lui de rendre hommage
au génie de ce grand compositeur. L'œuvre n'est
certes pas une des plus significatives de Beethoven;
on y reconnaît sa griffe dans plusieurs passages.
Mais on dirait, en raison même de sa simplicité,
qu'elle fut écrite dans sa première période de
production.
M. Pierre Sechiari, violon solo des Concerts
Lamoureux, a exécuté très correctement la
romance en sol majeur (op. 40), qui est sans nul
doute inférieure à la romance en fa. Le thème
à découvert, en doubles cordes, a été rendu avec
beaucoup de justesse.
Des six Mélodies religieuses (op. 48) que M. Louis
Frôlich chanta avec sa belle voix de basse
profonde et en un beau style, les deux plus
remarquables sont La Mort et Louange A Dieu par
la nature. Dans la première mélodie, le passage
LE GUIDE MUSICAL
« Homme, pense à ion trépas » est d'un effet lugubre
et grandiose. La seconde est une hymne triom-
phale, d'un éclat superbe. En ces deux pages,
l'inspiration de Beethoven atteint sa plus grande
hauteur.
En faisant interpréter par les cordes de son
orchestre le trio pour violon, alto et violoncelle
si connu, la Sirenade (op. 8j, M. Chevillard a renou-
velé les exploits d'antan de J. Pasdeloup, qui, à
ses concerts populaires, aimait donner à son
public ce genre de distractions. L'effet en est
toujours irrésistible. Et, cependant, doit-on
approuver un procédé qui consiste à changer
de cadre et à modifier une œuvre écrite par Bee-
thoven pour trois instruments seulement et en
vue de l'intimité? H. Imbert.
— Aux Concerts Le-Rey, M. Paul Viardot a
mobilisé dimanche d'excellents musiciens pour
nous exhiber quelques fragments d'une tragédie
lyrique de Mme Pauline Thys, intitulée Judith.
Voilà, bien que nouvelle pour les oreilles pari-
siennes, une remarquable antiquité où s'accu-
mulent les réminiscences italiennes et les vieilles
formules démodées : lamentos déchirants, banalités
vieillottes, orchestration bruyante; il ne manque
que la ritournelle. Mme Eléonore Blanc, MM. Cos-
sira et Douailler, de l'Opéra, ont mis un talent
énorme au service d'une œuvre inutile.
Et les jeunes? ceux qui ont du talent?
Combien parut jeune, elle, la symphonie de
Mozart en ut majeur (Jupiter), fort bien mise au
point par Viardot. Combien fut délicate la déli-
cieuse sérénade de Glazounow ! Et quelle cou-
leur, quelle intensité de vie dans Peer Gijnt, cet
exquis tableau symphonique de Grieg! Ch. C.
— Parmi les musiciens décorés le ier janvier,
nous relevons les noms suivants :
Officiers de l'Instruction publique. — Mmes Ar-
chaimbaud, Bex, Chrétien, Delage-Prat, Fannière,
Fillau, Gedalge, Hédoux, Joubert, Le Brun,
Perman, Pierron, Remâche, Rennesson, Roussel,
Théodore, Vidal, Provinciali-Celmer, Sirbain ;
MM. Caffarel, Puget, Chouc, Fabre, Fournier,
Gentil, Gibert, Hervio, Landry, Lachman, Leto-
çardi, Levadé, Marié, Picheron, Pierné, Saillaud,
Schoenaers, Speck, Valette, Vieillot, Villaret,
Cros-Saint Ange, Petitjean, G. Possien, Pothier.
Officiers d'académie. — Mmes Mary Garden,
Hirsch, Marthold; M VI. Baër, Bourbon, Mathieu,
Mesmaecker, Rilcou, Vizentini.
— La tournée que vient de faire M. Edouard
Colonne en Amérique n'a été qu'une suite de
triomphes.
D'une lettre qui nous est adressée de New- York
le 20 décembre, il résulte que le grand succès a
été pour la quatrième symphonie de Johannès
Brahms. Un intime du maître disait qu'il n'a
jamais assisté à une interprétation aussi com-
préhensive, aussi belle.
— M. Camille Chevillard ira, vers la fin du
mois de janvier, diriger deux concerts en Russie,
à la Société impériale, l'un à Moscou, l'autre à
Saint-Pétersbourg. C'est à cette époque que
M.Pietro Mascagni viendra diriger l'orchestre de
l'Association des Concerts Lamoureux.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
M. Ernest Van Dyck a remporté un magnifique
succès, mercredi dernier, dans Lohengrin. Il y avait
longtemps qu'on ne l'avait plus entendu dans ce
rôle, le premier de ceux qu'il aborda au théâtre et
pour lequel il éprouve une prédilection particu-
lière. On sait avec quel soin minutieux M. Ernest
Van Dyck a composé le personnage de Lohengrin,
avec quelle admirable noblesse, avec quelle éléva-
tion, avec quelle passion merveilleusement pure,
avec quelle tendresse il exprime toute la poésie de
cette œuvre, qui reste la conception la plus poétique
de tout le théâtre de Wagner. M. Albers avait, pour
la circonstance, repris le rôle de Frédéric de Tel-
ramund, auquel il prête des accents d'une énergie
farouche et magnifique ; Mme Laffitte réalise
avec élégance le personnage poétique d'Eisa et
Mme Bastien a interprété avec passion le rôle tra-
gique d'Ortrude. On a justement applaudi M, Val-
lier (le Roi) et M. François le Héraut) pour leur
LE GUIDE MUSICAL
3i
sens musical très sûr et le relief qu'ils ont su
donner à leurs personnages.
Lundi et jeudi, les deux dernières représenta-
tions d'Alceste ont été pour Mme Félia Litvinne
l'occasion d'ovations enthousiastes; jamais son
art ne fut plus haut, la passion plus merveilleuse-
ment exprimée, le rôle plus admirablement
compris et rendu au point de vue dramatique
comme au point de vue musical. Nous sommes
heureux d'apprendre que la direction de la Mon-
naie a traité avec Mme Litvinne pour une nouvelle
série de représentations qu'elle viendra donner
à la fin de la saison, entre ses engagements à
l'étranger, et qui permettront au public de l'ap-
plaudir à nouveau dans Alceste, et dans quelques
autres de ses plus belles créations. Mme Félia
Litvinne donnera incessamment à Monte-Carlo
quatre représentations de Y Africaine et à' Hélène de
Saint-Saëns.
Le répertoire de la semaine comprenait en
outre Faust, Carmen, Le Jongleur de Notre-Dame,
Pépita Jiménez et YErmitage fleuri de M. I. Albeniz
dont le succès musical s'est puissamment affirmé
à la deuxième représentation.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, Manon, et le
soir Louise; demain lundi, Faust; mardi, Pépita Ji-
ménez et YErmitage Jleuri. Incessamment, pour les
représentations de M. Ernest Van Dyck, reprise
de Tristan et Isolde avec la distribution suivante :
M. Van Dyck (Tristan), M. Albers (Kurvenal),
M. Vallier (le Roi Marke), Mme Paquot-D'Assy
(Isolde), Mme Bastien (Brangaene), M. Forgeur (un
matelot, un berger), M.François (Mélot). R. S.
— A l'occasion de la première exécution en
français de Pépita Jiménez et de Y Ermitage Jleuri,
son Excellence M. Perez Caballero, ministre
d'Espagne à Bruxelles, a remis à MM. Kufferath
et Guidé la cravate de commandeur et à M. Syl-
vain Dupuis la croix de chevalier de l'Ordre
d'Alphonse XII, créé par S. M. le roi Alphonse XIII
pour récompenser particulièrement les arts, les
lettres et les sciences. C'est l'une des premières
fois, croyons-nous, que cet ordre est conféré à des
Belges.
— Notre excellent collaborateur M. J. Brunet
vient d'être nommé officier de l'Ordre de Léopold.
— Une audition d'oeuvres inédites du compositeur
Paul Dupin organisée par M. Charles Strony,
pianiste, a eu lieu à la Grande Harmonie.
Les œuvres de Paul Dupin possèdent toutes un
thème fondamental, parfois original et de belle
inspiration, mais qui, malheureusement, n'est pas
soutenu par d'autres phrases mélodiques, ce qui
rend l'ensemble un peu monotone et rarement
vivant.
M. Strony, pour exécuter ces œuvres, s'était
assuré le concours de Mlle Alice Dupouy, canta-
trice; MM. Armand Morin, baryton; Emile Dony,
ténor; Edouard Lambert et Alphonse Welvis,
violonistes ; Léon Ecrepont, altiste ; Jacques
Kùhner, violoncelliste et Eugène Rogiers, pia-
niste. •
Malgré tous leurs efforts, l'auditoire n'a pas
semblé garder de ce concert une impression d'en-
tière satisfaction. J. T.
— MM. Gaston Waucampt, pianiste, et Lucius
Cole, violoniste, ont donné, mardi dernier, un
concert très intéressant. Ils avaient composé un
programme des plus fournis, où figuraient Bach,
Vieuxtemps, Weber, Chopin et d'autres encore.
Ils ont exécuté toutes ces œuvres si différentes
avec beaucoup de talent et un sentiment délicat,
toujours juste. Le public les a applaudis; c'était
justice.
— M. Henii Merck, le violoniste dont on n'a
pas oublié les brillants succès en Amérique avec
l'orchestre de Carnegie Hall, donnera le jeudi
12 janvier un concert à la Grande Harmonie.
L'orchestre sera dirigé par M. I. Albéniz, l'auteur
de Pépita Jiménez et de YErmitage Jleuri que le théâ-
tre de la Monnaie vient de monter.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Un concert extraordinaire a
été donné la semaine dernière dans la salle
du Jardin zoologique, par le pianiste-composi-
teur, M. Ricardo Castro, de Mexico. Son concerto
pour orchestre et piano est d'une belle venue,
émaillé de difficultés mais d'une inspiration géné-
reuse. M. Castro l'a enlevé avec maîtrise et la
salle l'a longuement acclamé. Nous avons en-
tendu encore de lui : une jolie romance pour
violon et piano, exécutée avec grâce par M. Mora;
un concerto, un peu monotone, pour violoncelle
el orchestre, bien interprété par M. Loevensohn;
enfin, des fragments du drame lyrique Atzimba. Le
33
LE GUIDE MUSICAL
même concert comprenait une ouverture pov-r
orchestre, Oreus, de Mlle Marguerite Laenen, œuvre
très agréable et adioitement orchestrée, ainsi que
les Scènes rustiques de M. Durant, qui dénotent un
talent d'amateur cultivé.
Au Théâtre royal on a repris Sapho de Massenet;
Mme Daffetye y manque un peu de naturel et d'ai-
sance; M. Broca y fait de son mieux pour tirer le
meilleur parti possible d'une voix assez ingrate;
enfin, Mme Dhumon n'a rien gâté.
Le ii janvier aura lieu la représentation de gala
austro-hongroise. On donnera Aida.
Au Théâtre lyrique nous devons signaler une
bonne reprise de Czar et Charpentier de Lortzing.
G. Peellaert.
BALK. — Le S décembre a été donné à la
cathédrale le magnifique it^çwm de Brahms.
Sous la direction de M. Sutter, l'œuvre a été
superbement interprétée. Les chœurs furent mer-
veilleux d'ensemble et de justesse, peut-être
supérieurs à ceux de Meiningen en 1899. L'or-
chestre fut également bon, s'évertuant à des
effets de contraste excellents. Il faut non seule-
ment féliciter M. Sutter de sa direction parfaite
de la Chor-Musik, mais encore de s'être adjoint
des solistes de la valeur de Mme Huber, soprano,
et de M. Messchaert, l'admirable baryton
d'Amsterdam. Je ne crois pas qu'il soit possible
d'éprouver une émotion plus grande, plus durable
que celle ressentie après l'audition des nos 1 et 2
de cette œuvre divine.
La cathédrale de Bâle était pleine : le Requiem
allemand de Brahms alla une fois de plus aux nues.
O. B. Z.
BORDEAUX. - La présence de M.Jacques
Thibaud constituait un des attraits du troi-
sième concert Sainte-Cécile. Tout le monde con-
naît les qualités de charme exquis, de suave
sonorité, d'élégance raffinée qui caractérisent son
jeu. Dans le concerto en si mineur de Saint-Saëns,
dans le prélude de la première sonate et la
gavotte de la sixième de Bach, M. Thibaud a
déployé les ressources de ce noble talent dont la
ville de Bordeaux, qui fut son berceau, a suivi avec
tant d'intérêt la belle évolution. L' 'Aria de Bach a
du être bissé.
Une heureuse innovation, qui a remporté un vif
succès, a marqué ce troisième concert. La section
chorale de Sainte-Cécile, réorganisée par M. Pen-
nequin, s'est fait entendre dans une Pavane
ancienne et dans les chœurs a capella d'Orlando de
Lassus : « Je l'ayme bien » et « Fuyons tous
d'amour le jeu ». Ces chœurs ont été exécutés
d'une façon toute saint-gervaise. Leur tournure
archaïque a été très goûtée du public. L'ancien
paraît toujours nouveau. La section chorale avait
au préalable interprété, avec l'orchestre et le con-
cours de notre robuste baryton M. Claverie, Implo-
ration de M. G. de Saint-Quentin.
On nous avait annoncé la symphonie en ut ma-
jeur [Jupiter) de Mozart. M. Pennequin a-t-il craint
que l'orchestre des cordes n'écrasât l'œuvré dâ
Mozart?... A-t-il craint que la symphonie ne fût
pas suffisamment mise au point?... Toujours est-il
que cette œuvre a été remplacée, sans une prépa-
ration suffisante, par la deuxième symphonie de
Beethoven, qui a été traduite d'une manière assez
terne. M. Pennequin a pris une éclatante revanche
dans l'ouverture de Tannhàuser, d'ailleurs très habi-
lement placée entre les chœurs a capella et les
sonates pour violon seul, ainsi que dans cette
exposition universelle d'instruments de musique
qui a nom Espana, de Chabrier. H. D.
&
BUCAREST. — M-e Siegried Arnoldson a
obtenu un grand succès à l'Opéra italien,
dans la Traviaia, Faust, Carmen et Mignon. Cette
belle et remarquable artiste, qui paraissait pour la
première fois devant notre public, n'a point
démenti sa grande réputation.
Le violoniste Bronislaw Hubermann, que nous
avons applaudi enfant, il y a une dizaine d'années,
adolescent, en 1901, n'a pas trahi, dans les deux
concerts qu'il vient de donner, les belles espé-
rances que son enfance prodige faisait concevoir :
d'une virtuosité sans reproche, le jeune et brillant
artiste excelle dans la cantilène; à un sentiment
profond, il joint une justesse de son incomparable.
Aussi a-t-il été tout autant applaudi dans le concerto
en si mineur de Saint-Saëns, dans Y adagio et la fugue
de la première sonate de Bach, que dans Zigeuner-
weisen de Sarasate et le nocturne en mi bémol de
Chopin.
Mme Lula Mysz-Gmeiner nous a procuré, dans
deux récitals donnés à l'Athénée, les plus belles
sensations d'art auxquelles on puisse aspirer;
d'une voix chaleureuse, homogène, souple et
vibrante, elle nous a littéralement remué dans les
Liedcr de Schumann, de Schubert et de Brahms,
dans des airs des vieux Italiens Marcello, Bunon-
cini, Pergolèse et Durante et dans des pages de
Lulli, Hugo Wolf, R. Strauss, Tschaïkowsky,
Wekerlin, Bruneau et R. Lassel. Mme Gmeiner est
l'une des plus admirables Liedersàngerinnen, car à
LE GUIDE MUSICAL
33
la perfection d'un organe généreux de mezzo-
soprano, elle joint des qualilés de style et de senti-
ment d'une incomparable perfection.
La jeune Société philharmonique roumaine, si
vaillamment dirigée par son très talentueux chef
M. D. Dinico, vient de donner ses trois premiers
concerts. A la tête d'une cinquantaine d'instrumen-
tistes, M. Dinico nous a donné l'ouverture d'Egmont
et la symphonie en ut majeur de Beethoven, celle
en «^majeur de Mozart, l'ouverture de La Grotte de
Fittgal de Mendelssohn, le poème symphonique
Rédemption de César Franck, le prélude de Tristan,
une suite de ballets tirée par M. Mottl des princi-
paux opéras de Gluck, des danses de Rameau et
de Grétry, du Grieg, du Hugo Wolf, autant de
pages rendues avec une chaleur, une jeunesse, une
verve inaccoutumées ici et qui assurent le plus
grand avenir à cette belle tentative.
M. Cari Prill, professeur au Conservatoire de
Vienne, a joué avec une réelle maîtrise et un clas-
sicisme parfait le concerto en ré majeur de
Beethoven. Michel Margaritesco.
DRESDE. — La mort du roi Georges, deuil
national, n'a pas trop attristé la saison mu-
sicale. Si l'Opéra monte peu de nouveautés,
le nombre des concerts est exceptionnel. Il serait
excessif de soutenir que le public s'y précipite.
Toutefois, les artistes ne se découragent pas, et un
violoniste de douze ans, Mischa Elman, ne craint
pas d'annoncer une troisième séance. Malgré le
sérieux talent de ce jeune prodige, son entourage
pourrait lui conseiller d'ajourner l'interprétation
publique d'œuvres de Bach. Il y a péril à trans-
poser, dans le domaine artistique le combat de
David contre Goliath.
Dans cette année à phénomènes, il convient de
mentionner un autre adolescent du violon, Fran-
çois de Vecsey, dont les douze ans charmèrent les
habitués des auditions de l'Opéra par l'interpré-
tation très personnelle de différentes pièces de
Mendelssohn et Schumann. La direction, enthou-
siasmée, nous a fait entendre cet artiste deux fois,
à peu de jours d'intervalle. D'autre part, elle enga-
geait Mischa Elman comme soliste pour le deu-
xième concert symphonique, où les dilettanti l'ont
beaucoup fêté.
Les représentations trimestrielles de V Anneau du
Nïbelung ont, malgré la proximité de Noël, attiré
de nombreux amateurs. Mme Wittich, MM. von
Bary, Burrian, Scheidemantel, Perron, comptent
toujours parmi les meilleurs interprètes de
Wagner.
Dans le but de remédier au déficit annuel de
l'Opéra, la deuxième chambre des députés a pro-
posé à la direction d'organiser des séances popu-
laires à prix réduits, où seraient jouées les pièces
qui ne font plus qu'un quart de salle : Freyschûtz,
Martha, Le Trompette de Sâkkingsn et d'autres. Non
moins judicieux, ce conseil à l'administration des
théâtres royaux : Restreindre la quantité des enga-
gements au bénéfice de la qualité. On ne saurait
mieux dire.
Les reprises de Joseph et de la Muette de Portici
sont très suivies. Ces dernières semaines tous les
théâtres : Opéra royal, Residenz-Theater, Central-
Theater, organisent des représentations de cir-
constance : Hanse! et Gretel, Puppenfee, L'Ile de Noël,
Le Voile de Noël, etc.
Comme concertistes de marque, nous avons eu
Frédéric Lamond. qui a donné un magnifique
récital Chopin-Liszt, d'Albert, Ysaye, Willy Bur-
mester, Lilli Lehmann, puis les orchestres La-
moureux, Weingartner, les Kammermusik-Ahende-
d'usage, finalement une multitude de pianistes,
violonistes, chanteurs, cantatrices dont l'effet sur
les salles a moitié vides du Vereinshaus et du Mu-
senhaus paraît être surtout pneumatique.
Alton.
DIJON. — Nombreuse et brillante assemblée
au premier concert du comité Rameau, où
s'est fait entendre M. Philippe Gaubert, à la grande
satisfaction du public. Ce jeune flûtiste a exécuté
avec un sentiment exquis une sonate de Bach et
une sonate de Reinecke.
Nous n'avons plus à faire l'éloge de M. Grovlez,
pianiste émérite, déjà connu à Dijon, qui s'est dis-
tingué dans les sonates ci-dessus désignées, avec
M. Gaubert, ainsi que dans celles de Beethoven
et de Saint-Saëns avec M. Dressen, violoncelliste
correct, mais au jeu froid et partant un peu mono-
tone. Quant à M1,e Pironnet, elle a chanté en un
très bon style un air de Rameau et détaillé avec
intelligence diverses mélodies de nos maîtres mo-
dernes.
Le second concert a été donné avec le concours
de Mme Marie Panthès et du violoniste Henri Mar-
teau. Ces deux virtuoses nous ont présenté une
excellente analyse de la sonate en fa de Mozart
(on aurait pu en choisir une plus importante) et de
la sonate de Lekeu, qui, si nous ne nous trompons,
34
LE GUIDE MUSICAL
n'a pas été généralement bien comprise. Mme Pan-
thés s'est fait applaudir seule dans le long Carnaval
de Schumann et dans différentes pièces de Chopin
qu'elle a rendues avec infiniment de délicatesse et
de goût. Quant à M. Marteau, il a parfaitement
interprété l'adagio du concerto en sol de Mozart et
le Concertstiick, un peu démodé, de Schubert.
Mais c'est surtout dans V Adagio pathétique de
Godard qu'il s'est affirmé violoniste de haute
valeur. Après l'exécution de ce dernier morceau,
les auditeurs lui firent, à juste titre, une ovation
enthousiaste.
Rien d'intéressant jusqu'ici au théâtre, en dehors
de la reprise de la Vie de Bohème. On prépare acti-
vement la prochaine représentation de la Reine
Fiammeite. Nous devons malheureusement consta-
ter l'insuffisance de quelques artistes, et notamment
du premier chef d'orchestre.
LA HAYE. — Le troisième concert de la
société Diligentia nous a fait entendre pour
la première fois, comme soliste, le violoniste autri-
chien M. Fritz Kreisler. Il a joué le concerto de
Tschaïkowsky et le Trille du diable de Tartini avec
orchestre et harmonium. Le programme orchestral
se composait de la quatrième symphonie de Gla-
zounow, déjà exécutée par l'Orchestre philharmo-
nique de Berlin au Kursaal de Scheveningue,
ouvrage d'une grande valeur, mais d'une contex-
ture inégale; des ouvertures d'Obéron de Weber
et du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, et,
comme nouveauté, d'un ouvrage, fort intéressant,
Waldivanderung Stimtmmgsbild, de Léo Blech, élève
de Max Bruch, actuellement capellmeister à
l'Opéra communal de Prague, après avoir été
pendant plusieurs années chef d'orchestre au théâ-
tre d'Aix-la-Chapelle. M. Léo Blech est un jeune
musicien d'une incontestable valeur et de grand
avenir, et son poème méditatif est d'une orchestra-
tion moderne intéressante et d'une grande origina-
lité de forme et d'idée; admirablement exécuté, il
a produit une grande impression.
La quatrième matinée symphonique donnée par
M. Henri Viotta avec le Residentie-orkest a eu, elle
aussi, sa grande part d'intérêt et nous a donné la
bonne fortune de réentendre et d'applaudir le pro-
fesseur Hugo Heermann, un des derniers violo-
nistes contemporains de l'école classique, un des
rares survivants, avec Joachim et Auer, de cette
école immortelle. Il a joué le concerto de Beetho-
ven et un prélude pour violon seul de J.-S. Bach
avec une rare perfection. M. Viotta nous a fait
entendre la quatrième symphonie de Niels Gade,
l'adorable ouverture d' Anacréon de Cherubini et
l'ouverture de Parsifal de Wagner.
Notre nouveau Théâtre italien a donné une pre-
mière exécution en Hollande de la Tosca de Puc-
cini. L'interprétation mérite de sincères éloges,
notamment pour Mme Annita Occhiolini (la Tosca),
le baryton Silvestri (Scarpia), le ténor Gregorio
(Cavaradossi) et le jeune chef d'orchestre Abbate,
qui est un capellmeister de premier ordre.
L'Opéra royal français nous a donné, sous la
direction de M. Jules Lecocq,une excellente reprise
de Louise de Charpentier et a mis à l'étude Le Jon-
gleur de Notre-Dame, de Massenet, qui doit passer
vers la fin de ce mois.
A Haarlem, fin janvier, première exécution de
l'oratorio Le Rêve de Gérontius, d'Elgar, par la So-
ciété pour l'Encouragement de l'art musical.
Le choral mixte Palestrina-Koor, chœur a capella
d'Utrecht, a donné, sous la direction de M. Vranc-
ken, une audition de musique religieuse protes-
tante. Le programme comportait : Canite, tuba, in
Sion, Hodie beata Virgo Maria et O magnum myste-
rium de Palestrina, deux chants de Vittoria et un
de Lassus et de vieux Noëls harmonisés par
Jos. Vrancken. Ed. de H.
LEIPZIG. — Deux grands concerts sont à
signaler pendant le mois de décembre : le
Bach-Verein a fait exécuter l'Oratorio de Noël de
Jean-Sébastien Bach, sous la direction de M. Karl
Straube, et, au Gewandhaus, la Création de Haydn
a été magistralement interprétée. La présence à
Leipzig de M. Straube semble donner un nouvel
éclat au culte que notre ville n'a cessé de vouer
aux œuvres de Bach ; il est à espérer que, grâce à
cet artiste aussi consciencieux qu'admirablement
doué, nous aurons toute une série d'exécutions
dignes du festival dont le Guide a parlé il y a
quelques mois et de l'Oratorio de Noël.
Le troisième concert de musique de chambre
était entièrement consacré à Beethoven : les qua-
tuors en ut mineur, op. 18, en ut dièse mineur,
op. i3i, et le trio en si, op. 97. L'exécution des
quatuors, surtout du deuxième, qui est l'une des
œuvres les plus difficiles au point de vue technique,
a été vraiment remarquable ; on pourrait demander
LE GUIDE MUSICAL
35
un peu plus d'énergie à M. Heyde (second violon),
mais en somme, c'était très bien. Par contre, le
trio a été moins heureusement rendu. Le piano
était tenu par M. Eugène d'Albert; il fallait que
cet artiste, d'ordinaire admirable, fût ou bien
malade, ou très insuffisamment préparé; il a eu de
l'incertitude dans les mouvements, une sorte d'in-
quiétude dans son jeu, peu de finesse et souvent
une violence telle qu'il couvrait les autres instru-
ments.
Le concert du Gewandhaus, le 22 décembre,
comprenait le Chant des Bergers du Christus de
Liszt, merveilleusement exécuté (on a beaucoup
remarqué le tact et la perfection rare des instru-
ments à vent qui soutiennent le chant), le concerto
pour violoncelle de Robert Schumann, interprété
excellemment par M. Julien Klengel, la brillante
symphonie en ut majeur de Schubert et cinq
Lieder, dont trois du xvne siècle et deux de Schu-
mann, chantés à ravir par les « Thomaner ».
J. S. B.
\o
NANCY. — Notre Conservatoire a digne-
ment fêté la mémoire de César Franck en
donnant, pour son quatrième concert d'abonne-
ment, une fort belle audition des Béatitudes. L'exé-
cution a été, cette année, notablement supérieure
à ce qu'elle avait été l'an dernier. Plus familia-
risés maintenant avec l'œuvre, plus complète-
ment maîtres des difficultés qu'elle présente, l'or-
chestre et les choeurs ont déployé plus d'aisance
et de souplesse, plus de spontanéité et de chaleur
communicative. Les chœurs terrestres notamment,
et en particulier ceux de la cinquième et de
la septième Béatitudes, ont pris une vigueur, une
assurance, un éclat qui les ont mieux mis en
valeur qu'aux auditions précédentes. D'un bout à
l'autre de l'œuvre on a, cette fois, senti circuler
comme un souffle d'enthousiasme. Le magnifique
oratorio de César Franck est définitivement «passé
dans le sang » de nos exécutants et aussi de notre
public : ils se le sont assimilé, ils en sentent plei-
nement le lyrisme vivant et vibrant.
Les solistes ont également été fort bons. Nous
les avions presque tous entendus déjà lors de la
précédente audition. Sur Mlles Eléonore Blanc,
Alice Senière et Jeanne Gustin, sur MM. Warm-
brodt et Pieltain, je n'ai qu'à reprendre les éloges
que je leur donnais précédemment. Pour chanter
le rôle du Christ, nous avons eu, en revanche,
cette année, M. Daraux, qui avait été souffrant la
dernière fois et avait dû se faire remplacer au der-
nier moment. Il a été merveilleux de simplicité et
de grandeur. Ce rôle est à coup sûr un de ceux où
il se montre tout à fait supérieur : impossible de
dire avec plus de gravité sereine, d'émotion reli-
gieuse ou de mystique ferveur les phrases sublimes
que César Franck met dans la bouche du Sauveur ;
et dans les soli de la septième et de la huitième
Béatitudes notamment, il nous a donné des sensa-
tions d'art tout à fait rares. Je n'en dirai pas
autant, par contre, de M. Breton-Caubet, qui fai-
sait la partie de deuxième ténor : doué d'une voix
fort agréablement timbrée, il n'a malheureusement
ni style ni mesure et a transporté au concert de
mauvaises habitudes de chanteur de théâtre; le
résultat n'a pas été heureux, et c'est tout juste s'il
n'a pas déraillé au beau milieu de son solo.
Souhaitons que cette aventure instruise un artiste
qui, avec les moyens naturels dont il dispose, pour-
rait être excellent au concert également, et con-
statons que cet accroc — passé à peu près inaperçu
d'ailleurs — n'a fait tort en rien à une audition qui,
prise dans son ensemble, a été, tant du côté de
l'orchestre et des chœurs que du côté des solistes,
un des plus beaux succès de nos concerts.
H. L.
OSTENDE. — Deux artistes des plus favo-
rablement connus dans le monde musical
belge, MM. Théo Ysaye et Edouard Deru, orga-
nisent, à Ostende, trois séances de sonates pour
piano et violon, sous les auspices de l'Académie
de musique. Ces auditions sont pour notre ville
chose tout à fait nouvelle; hâtons-nous d'ajouter
que notre public, si peu initié à ce genre de mu-
sique, tout d'intimité, semble y prendre goût, grâce
au choix des œuvres et au remarquable talent des
deux exécutants.
A la première séance, nous avons entendu la
sonate en ré majeur de Mozart, la sonate en fa
majeur de Beethoven et la sonate de César
Franck. Le programme de la deuxième soirée
comprenait la sonate en ré mineur de Schumann,
celle en «^mineur de Grieg et, celle en ?y mineur
de Saint-Saëns. L'on a été surtout fortement
impressionné, au premier concert, par les empor-
tements de passion, la véhémence d'expression de
la sonate de Franck, dont nul ne peut, en dehors
d'Eugène Ysaye, à qui elle est dédiée, posséder
l'esprit mieux que son frère et M. Deru, l'un de ses
disciples favoris. De même, la sonate en ré mineur -
du maître de Zwickau, toute frémissante d'émotion
intérieure, dominait le programme de la deuxième
LE GUIDE MUSICAL
séance. Toutes les sonates, d'ailleurs, ont été
admirablement rendues. L'on admire toujours le
phrasé caressant, souvent pathétique, du violon de
M. Deru; avec un partenaire de la valeur de
M. Théo Ysaye, pianiste au style pur, au méca-
nisme probe autant que musicien soucieux du sens
intime des œuvres exécutées, l'interprétation prend
un caractère d'autorité qui inspire confiance à
l'auditeur.
La piochaine et, hélas! dernière séance aura lieu
le 12 janvier et comprendra une sonate (en mi) de
J.-S. Bach, une autre de Fauré et la fameuse
Kreutzer-Sonate de Beethoven. Ce sera donc encore
un vrai régal. L. L.
ROME. — Le 26 décembre, pour l'ouverture
de la saison de carnaval, on a eu au théâtre
Costanzi Aida, avec un succès très retentissant
pour les deux principaux interprètes, Mm" Krus-
ceniski et le ténor Zenatello. Deux voix splendides,
deux artistes superbes, qui, au commencement de
leur carrière, l'un et l'autre, ont rempli notre
public de stupéfaction et l'ont entraîné à l'enthou-
siasme.
Sous peu de jours, au même théâtre, Mefistofele et
la Walkyrie.
Au théâtre Quirino, spectacle musical très mé-
diocre, dont il faut s'abstenir de parler. T. M.
ROUEN. — La première de la Reine Fiaminette
de M. Xavier Leroux a eu lieu mercredi
devant une salle absolument comble. L'auteur
avait pris place au pupitre du chef d'orchestre, et
la maîtrise de sa direction n'a certes pas été étran-
gère à l'excellence de l'interprétation de la parti-
tion.
Mlle Marthe Chassang interprétait le rôle si
délicat d'Orlanda ; elle l'a joué avec une grande
finesse et chanté avec une parfaite justesse d'ex-
pression. Dans les rôles plus secondaires, Mlles
Frédax, Roger et Dornay ont su faire apprécier
une voix agréable.
MM. Cormetty iDaniekv, Grimaud (Giorgio
d'Art), Dons (César Sforza) ont été souvent
applaudis ; ils se sont montrés les excellents chan-
teurs que nous connaissons et parfaits comédiens.
Le directeur, M. Que val, a monté la Reine
Fiaminette avec le plus grand soin. Grand luxe de
costumes et de décors. Dans 1 ensemble, un grand
succès, et il n'est pas douteux que les représenta-
tions ne se poursuivent jusqu'à un nombre assez
élevé.
Les séances de musique de chambre sont trop
rares à Rouen; aussi devons-nous être recon-
naissants à M. Lucien Bordes-Pène, le violoncel-
liste si apprécié de notre ville, d'avoir groupé
autour de lui d'excellents artistes et de nous avoir
fait entendre de bonne musique.
Le beau quatuor en ut mineur de G. Fauré
ouvrait le programme et permettait d'apprécier
les belles qualités de style et de son des instru-
mentistes, Mlle H.Vedrenne (violon', M. Rousseau
(alto), M L. Bordes-Pène (violoncelle) et Mlle
Marthe Dron (piano).
Le trio en sol majeur de Beethoven pour violon,
alto et violoncelle fut pour eux l'occasion d'un nou-
veau succès.
Mlle Henriette Vedrenne a fait apprécier son
talent dans l'introduction et l'allégro du premier con-
certo d'Ed. Lalo.
MIle Marthe Dron a magistralement interprété
Prélude, Choral et Fugue de César Franck ; elle a fait
preuve d'un superbe mécanisme au service d'un
tempérament de musicienne consommée.
M. L. Bordes-Pène a remporté le succès auquel
il doit être maintenant bien habitué avec le largo de
la cinquième sonale de Boccherini, une partie de
la première sonate de Bach et Y Introduction et Gavotte
de Corelli. Beau son, ampleur de style, grande
souplesse de jeu lui ont conquis les applaudisse-
ments répétés du nombreux public.
Paul Petit.
NOUVELLES
A propos de Parsifal à Amsterdam, voici encore
quelques détails, puisés à bonne source. Abstrac-
tion faite de la position exceptionnelle de la
Hollande, qui n'a pas adhéré à la convention de
Berne, le Wagner- Verein néerlandais conteste
absolument aux héritiers de Wagner à Bayreuth
le droit de s'opposer à la représentation de Par-
sifal à Amsterdam. Le Wagner- Verein néerlan-
dais est une société privée, et les représentations
qu'elle donne quatre fois par an au Théâtre com-
munal d'Amsterdam, ne sont ouvertes qu'aux seuls
membres de la Société. Le Wagner- Verein est uni-
quement fondé dans un but artistique sans préoccu-
pation de bénéfices financiers, bien au contraire,
car cette société s'impose tous les sacrifices
nécessaires, et ses membres comblent souvent des
LÉ GUIDE MUSICAL
37
déficits assez considérables. Il n'y aura donc à
Amsterdam, au mois de juin prochain, que deux
représentations de Parsifal, entièrement réservées
aux membres de la Société. M. Viotta, le directeur
du Wagner-Verein, en faisant représenter le
Parsifal à Amsterdam, ne croit pas agir contre les
dernières volontés de Wagner, et s'il s'est décidé
à monter ce chef-d'œuvre, c'est parce qu'il a appris
que M. Conried, directeur de l'Opéra de New-
York, avait l'intention de faire représenter prochai-
nement Parsifal en Europe, dans tous les pays qui
n'ont pas adhéré à la convention de Berne.
— M. Belaïeff, l'éditeur de musique de St-Péters-
bourg dont nous avons annoncé la mort il y a
quelques mois, a créé par testament une Fondation
Glinka, à laquelle il a laissé un capital de soixante-
quinze mille roubles, dont les intérêts doivent
servir à distribuer des prix Glinka aux meilleures
œuvres musicales publiées. Ces prix seront remis
tous les ans, le 27 novembre (style russe), jour
anniversaire des premières représentations de la
Vie pour le Tsar et de Russlan et Ludmilla. Le comité
se compose de MM. Rimsky-Korsakow, Liadow
et Glazounow. Cette année, des prix ont été
attribués aux compositeurs Arensky, Liapunow,
Rachmaninow, Skriabine et Tanejew.
— La Sinfonia domestica de M. Richard Strauss
lut le grand événement de l'année musicale qui
vient de finir. Il est assez curieux de constater que
le programme de cette œuvre a déjà inspiré d'au-
tres compositeurs, comme le prouve une affiche
que possède M. Nicolas Manskopf, à Francfort.
Le 9 mars 1845, au septième concert académique
d'Iéna, on a exécuté, sous la direction de l'auteur,
les Premiers sons de la vie, fantaisie joyeuse pour
orchestre, composée par le capellmeister Chelard,
de Weimar. Programme : La Naissance, le Bap-
tême, Berceuse ; Lieder de l'ancêtre, de la mère, de
l'enfant, ses jeux, ses premières heures d'étude, la
jeunesse, choral.
Chose curieuse, il n'est pas question du père
dans cette œuvre, tandis que Richard Strauss lui
a donné une place importante. 11 semble d'ailleurs,
autant que le programme permette d'en juger, que
Chelard s'est inspiré surtout de la vie de l'enfant,
tandis que M. Strauss a voulu rendre plutôt l'inti-
mité de la vie familiale tout entière.
Hippolyte- André-Jean- Baptiste Chelard était né
à Paris en 178g ; en 1828, son opéra Macbeth eut
un grand succès à Munich; ruiné à Paris par la
révolution de i83o, il revint à Munich, puis alla à
Londres (i833) et en i835 donna encore à Munich
un opéra, la Bataille d' H ermann. L'année d'après, il
fut nommé chef d'orchestre à Weimar et y resta
en même temps que Liszt jusqu'en i85o.
— On nous écrit de Prague que le Quatuor
Schôrg vient de remporter dans cette ville un très
grand succès avac le quatuor op. 27 (manuscrit)
de Leone Sinigaglia.
— De Saint-Pétersbourg, on nous mande que
les deux séances de sonates données les 27 et
29 décembre par M VI. L. Auer et R. Pugno, dans
la salle Tenischeff, avait attiré un public considé-
rable.
La belle interprétation des sonates de Franck
(en la), de Brahms (en ré mineur), de Grieg (en fa
majeur), puis de Beethoven (op. 96 et 3o) ont
soulevé de grandes ovations.
— L'empereur d'Allemagne vient de faire don
de 1,00 o marks (i,25o francs) à la Liedertafel de
Mayence, qui a créé la « Fondation de l'impéra-
trice Augusta ».
— Le collège des bourgmestre et échevins de
la ville de Gand recevra jusqu'au 20 janvier igo5
des propositions pour l'exploitation du Grand-
Théâtre pendant la saison 1905-1906 et éventuel-
lement pendant les suivantes. Le cahier des
charges sera envoyé aux intéressés qui en feront
la demande.
— Le beau drame lyrique de M. Vincent d'Indy
l'Etranger vient" de triompher au grand théâtre de
Lyon.
— On se souvient des incidents héroï-comiques
qui marquèrent le départ de l'illustrissime Mas--
cagni de la direction du Lycée Rossini, à Pesaro.
Après un interrègne de deux ans, la commission
administrative de cet institut musical a nommé
directeur le jeune maître Amilcare Zanella. Le
choix ne pouvait être plus heureux.
Le maestro Zanella est né le 26 septembre 1873,
à Monticelli d'Ongine, dans la province de Plai-
sance. Dès l'âge de quatorze ans, il dirigeait la
Société de musique de son pays et écrivait pour
elle des compositions qui dénotaient une rare
précocité artistique. A dix-sept ans, il fut mis à la
tête de l'orchestre du théâtre royal de Parme. Après
avoir suivi Mancinelli à Rio-de-Janeiro en 1894,
comme second chef d'orchestre, il se fixa dans la
République-Argentine, où il devint membre de la
commission des b^aux-arts.
Revenu en Italie en 1900, Zanella fut, par décret
en date du 26 mars 1903, appelé à diriger le
Conservatoire de Parme. Ce jeune maître possède
déjà un gros bagage d'œuvres diverses, y compris
deux ouvrages de théâtre.
38
LE GUIDE MUSICAL
A l'occasion du troisième centenaire de Claudio
Merulo da Correzzio, compositeur et organiste,
mort à Parme en 1604, il dirigea.une messe à huit
voix, de, Merulo, transcrite de la notation antique
par le bibliothécaire Gasparini et exécutée dans
l'église de la Steccata; il organisa deux concerts
d'orgue : un donné par les élèves du Conservatoire,
l'autre par le maestro Ramella, de Milan; il dirigea
aussi un concert d'orchestre et de chant, avec un
programme historique allant de Merulo à Rossini,
auquel tout Parme assista. Le succès fut triomphal.
CORRESPONDANCE
Monsieur le rédacteur en chef,
On l'a dit souvent : Le mieux est l'ennemi du
bien. Quand le directeur actuel des beaux-arts,
qui porte, et nous l'en félicitons, tant d'intérêt aux
choses de la musique, imposa aux Concerts Co-
lonne et à Chevillard, en retour de la subvention
de l'Etat, trois heures par saison de premières
auditions d'œuvres françaises modernes, nos com-
positeures furent unanimes à le bénir. Aujourd'hui,
dans les meilleurs intentions du monde, M. Henry-
Marcel croit devoir regarder comme en dehors de
la condition exigée toute œuvre exécutée antérieu-
rement, n'importe où et n'importe comment.
Cette étroite interprétation des mots « première
audition », si avantageuse en apparence pour les
jeunes, leur est en réalité des plus nuisible. Rien
de plus naturel qu'elle s'applique à des ouvrages
déjà joués dans d'autres concerts de premier ordre.
Dans cette catégorie, nous rangerions par exemple,
en France, outre la Société des concerts du Con-
servatoire, les deux associations dont il est ques-
tion ici, en Allemagne, les orchestres Nikisch et
Weingartner, et divers autres encore à l'étranger.
Mais, il faut bien le dire, sans vouloir blesser
personne, l'interprétation par des orchestres moins
réputés, moins classés, quoique parfois très méri-
tants, était jusqu'ici considérée par les musiciens un
peu comme des exécutions d'essai, pouvant précisé-
ment, en cas de succès, leur faire ouvrir des portes
plus difficiles à forcer. Les fautes de copie déjà
corrigées, l'expérience acquise par l'auteur de ses
sonorités rectifiées au besoin, autant de motifs
encore pour nos éminents capellmeister de faire
taire leurs défiances et d'accorder enfin la lecture
attendue. Aujourd'hui, c'est tout le contraire, et
leur regard n'aura pas assez de feux pour fou-
droyer le malheureux compositeur obligé d'avouer
que la société philharmonique de sa sous-préfec-
ture natale a bien voulu faire accueil à son
œuvre ! Et il en résultera parfois la sortie des
cartons d'une œuvre inférieure, tant au point de
vue public qu'au point de vue artiste. Qu'on ne dise
pas non ! Le cas s'est présenté. Mais nous serons
discret!
Puissent ces quelques lignes tomber sous les
yeux de M. le directeur des beaux-arts ! Peut-
être contribueront-elles à faire passer dans son
esprit si ouvert et si libéral la conviction avec
laquelle nous exposons ici une opinion, qui est
celle de tous les artistes ; nous ne pensons pas
du moins nous tromper en l'affirmant.
Un compositeur.
BIBLIOGRAPHIE
Der Straszburger Chronist Kônigshofen als
Choralist, sein Tonarius, wiedergefunden von
Martin Vogeleis, herausgegeben von Dr F. X.
Mathias. — Graz, « Styria », igo3, in-8°, xn-
191p., 3 pi.
La bibliothèque de l'Université de Prague
possède, sous la cote XI. E. 9., un recueil ma-
nuscrit de traités divers, en copies de la fin du
xive et du commencement du xve siècle, qui a été
mentionné pour la première fois au point de vue
musical par Ambros, au tome III de son Histoire
de la musique, puis décrit par M. Johannès Wolf,
dans le volume de 1899 du Kirchenmusikalisches
Jahrbuch.
Le quinzième écrit contenu dans ce manuscrit
est un traité intitulé Tonarius, seu libellus de octo tonis
Jacobi Troingeri Canonici ecclesics Sancti Thomœ Argen-
tini, dont M. Martin Vogeleis — un érudit alsacien
connu par de très intéressants travaux sur les
musiciens de son pays — a découvert le véritable
auteur : Jacques Twinger dé Kônigshofen, cha-
noine de l'église Saint-Thomas à Strasbourg,
auteur d'une chronique et d'un glossaire latin-
allemand.
M. Vogeleis a laissé à son élève, M. le Dr F. X.
Mathias, organiste de la cathédrale de Strasbourg,
le soin de publier l'ouvrage musical de Kônigs-
hofen, et de rédiger l'introduction historique et
critique qui l'accompagne.
Jacques Twinger, appelé Kônigshofen d'après
son lieu de naissance, apparaît depuis 1377 dans
l'histoire ecclésiastique de Strasbourg; devenu
en i3g5 membre du chapitre de l'église Saint-
Thomas, on le voit déployer dans les années
suivantes une grande activité, et s'occuper à la
LE GUIDE MUSICAL
39
fois d'administration ecclésiastique et de travaux
liturgiques et littéraires, dont M. Mathias a fort
habilement reconstitué la succession et la variété.
La partie de son livre relative à la bibliographie, à
la description et au classement des Tonaîres du
moyen âge jusqu'à présent connus, et auxquels
s'ajoute désormais en bon rang, parmi les derniers
en date, celui de Konigshofen, mérite les plus
grands éloges. Ainsi que M. Mathias a su le faire
ressortir, les Ternaires avaient moins pour but d'ex-
pliquer théoriquement les tons auxquels apparte-
naient les mélodies liturgiques que de grouper et
de caractériser pratiquement ces mélodies elles-
mêmes. Malgré la diversité de leur plan ou de
leur forme, on peut les ramener presque tous à
cette destination. En entreprenant à son tour de
rédiger un semblable traité pour le chœur de
l'église à laquelle il appartenait, le chanoine stras-
bourgeois Konigshofen ne se proposa évidemment
non plus pas autre chose que d'écrire une sorte de
manuel pratique, un petit livre d'enseignement ou
de renseignement, susceptible d'appuyer les leçons
du maître de chœur ou d'être consulté par les
chantres dans l'exercice de leurs fondions. Et
c'est par là précisément que son ouvrage et la
plupart des ouvrages similaires sont aujourd'hui
précieux, car en nous éclairant sur l'un des aspects
de l'exécution du chant grégorien dans l'une des
principales églises de l'Alsace, vers l'année 1400,
Konigshofen contribue à nous faire connaître l'état
de ce chant à cette époque, et quels étaient alors en
cette matière les principes et les usages considérés
comme les meilleurs.
Au texte latin original du Tonarins de Konigsho-
fen (accompagné de la notation en lettres des frag-
ments mélodiques nécessaires), M. Mathias a joint
une traduction allemande, imprimée en regard, et
quelques annotations que complète en forme de
postface un commentaire analytique. La valeur
propre du petit traité de Konigshofen y est souli-
gnée, en même temps que sont indiqués les em-
prunts faits aux ouvrages antérieurs de Jean
Cotton et de Hugo de Reutlingen.
Dans un chapitre spécial, M. Mathias a donné
le relevé des passages qui concernent la musique
dans les autres écrits de Konigshofen : une chro-
nique et un glossaire latin-allemand, tous deux
rédigés avant le Tonaire, Ces passages sont de peu
d'importance. Konigshofen n'était pas un « musi-
cien », mais un « plain-chantiste ». C'est à ce
point de vue, et au point de vue de l'histoire litté-
raire et liturgique de l'Alsace, que la publication
très méritoire de M. Mathias est appelée à rendre
aux érudits d'excellents services.
Michel Brenet.
— En même temps que le Caprice andalous pour
violon et orchestre, où la dextérité technique et
Famour de la virtuosité de M. Saint-Saëns se
donnent libre carrière, MM. A. Durand et fils
viennent de publier les réductions pour piano à
quatre mains des Danses de M. Debussy, récemment
applaudies au Châtelet, et du libre et original qua-
tuor à cordes qui, par son charme souverain et la
_ fantaisie de ses rythmes, avait suffi, voici déjà plu-
sieurs années, à désigner l'auteur futur de Pelléas
aux yeux des gens de goût avertis comme un des
artistes les plus richement doués de cette époque.
Chez les mêmes actifs éditeurs, j'ai austi grand
plaisir à vous signaler l'apparition d'une sonate
pour violoncelle et piano de M. Guy-Ropartz, qui
compte certainement parmi les meilleurs ouvrages
que la musique moderne ait produits dans ce genre
difficile et souvent ingrat. L'allure chaleureuse et
passionnée du premier morceau, sûrement et large-
ment construit, l'éloquence intime, l'accent pénétré
de la phrase de Yandanle, avec laquelle contraste
heureusement l'épisode du milieu, la verve ryth-
mique àujinale, dont le développement ramène fort
ingénieusement les thèmes antérieurs, l'expansion
généreuse et la joie rayonnante de la conclusion,
sans parler de l'heureuse sonorité et de la simpli-
cité d'écriture de l'ensemble, voilà, ce me semble,
plus de qualités qu'il n'en faut pour assurer à la
nouvelle sonate.de M. Ropartz la faveur de tous
les instrumentistes musiciens, et pour me permet-
tre, sans me montrer grand prophète, de ne pas
être inquiet du juste avenir qui lui est réservé.
G. S.
#>
NÉCROLOGIE
De Plaisance, on annonce la mort d'une can-
tatrice, Mme Giuditta Ronzi-Checchi, qui était née
à Florence et qui obtint naguère de grands succès
non seulement en Italie, mais sur les scènes les
plus importantes d'Europe et jusqu'en Amérique.
— Le compositeur Bartholdy est mort récem-
ment à Copenhague à l'âge, de cinquante et un
ans.
— John Glen, éditeur de musique et célèbre
constructeur de cornemuses (bag-pipe), vient de
mourir à Edimbourg.
40
LE GUIDE MUSICAL
pianos et harpes
Bruxelles : 6, vue Xatérale
paris : rue bu /iDail, 13
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 3 janvier. — Concerts Colonne : Sous la
direction de M. Arthur Nikisch : Ouverture d'Egmont
Beethoven; Deuxième symphonie en ré mineur J.
Brahms; Don Juan, poème symphonique de R. Strauss;
Tristan et Yseult, (Prélude et Mort d'Yseult), R.Wagner;
ouverture des Maîtres Chanteurs, R. Wagner.
— Société des Concerts (Conservatoire) : Symphonie
en mi bémol, n" 3, Schumann; La mort de Jeanne d'Arc,
fragments, M. Ch. Lenepveu ; Concerto pour piano
M. Rimsky-Korsakovv (M. Ricardo Vinès); Le rouet
d'Omphale, M. C. Saint-Saëns Gloria patri, Pakstrina et
Ave Verunt, Mozart (chœurs); ouvertures d'Egmont,
Beethoven.
— Concerts Lamoureux :
Mercredi 11 janvier. — Salle Pleyel : Concert Henri
Stenger, avec le concours de MKe Duranton et de
M. Oberdcerffer.
Mardi 10 janvier. — Salle Erard : Musique de chambre
MM. Ferté et Chailley.
Jeudi 12 janvier. — Salle Erard : Concert de M. Huber-
mann, violoniste,
Jeudi 12 janvier.
Edouard Risler.
Salle. Pleyel : Deuxième récital
— Ecole des Hautes Etudes sociales : Les musiciens
français de la fin du xvie siècle, par M. H. Expert.
Conférence et audition.
Vendredi 13 janvier. — Salle iEolian : Première séance
du Quatuor Parent.
Dimanche 15 janvier. — Salle Erard : Union des
artistes russes, Concert de bienfaisance.
Jeudi 19 janvier. — Nouveau-Théâtre : Troisième
concert de r Association des Concerts Cortot. Prologue
du Crépuscule des Dieux; Festklânge, F. Liszt; Rapsodie
moderne, Victor Vreuls; Concerto pour violon, Beet-
hoven (M. A. Forest); Les Béatitudes, n° 4, C. Franck.
Mardi 24 janvier. — Salle des Concerts, rue d'Athènes :
Société philharmonique de Paris : Mme Jeanne Raunay,
MM. Sappelnikoff et Henri Marteau.
BRUXELLES
Dimanche 8 janvier. — Théâtre de l'Alhambra : Se-
cond concert Ysaye, sous la direction de M. Edouard
Brahy, chef d'orchestre des Concerts populaires d'An-
gers et des Concerts dhiver de Gand, avec le concours
de M. Jacques Thibaud, violoniste. Programme : Ou-
verture d'Egmont, Beethoven; Concerto en fa mineur,
E. Lalo (M. Jacques Thibaud); Symphonie fantastique,
H. Berlioz; Caprice, E. Guiraud (M. Jacques Thibaud);
Ouverture d'Obéron, C.-M. von Weber.
Mercredi 11 janvier. — Salle Erard : Lieder-Abend
donné par Mlle Suzanne Denekamp. Au programme :
Brahms, Tschaïkowsky, Grieg, Wolff, Schumann,
Schubert, Franck, Debussy, etc.
Jeudi 12 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert par M. Henri Merck, violoncelliste, avec or-
chestre tous la direction de M. I. Albéniz. Au pro-
gramme : Prélude de Merlin, I. Albéniz; Concerto en
mi mineur, pour violoncelle et orchestre, V. Herbert
(M. Henri Merck); Aria, Bach, Tre Giorni son che nina,
Pergoîèse; Menuet, Becker (M. Henri Merck) ; Varia-
tions symphoniques, pour violoncelle et orchestre, Boëll-
mann (M. Henri Merck); Catalonia, I. Albéniz.
Vendredi 13 janvier. — Au Cercle artistique et littéraire,
conceit par MM. Harold Bauer, pianiste et Pablo
Casais, violoncelliste
Samedi 14 janvier. — Salle Erard : Séance de musique
de chambre donnée par le Trio Schultze (Mlle Betsy
Schultze, violoncelliste; MM. Henri Schultze, pianiste,
Tony Schultze, violoniste). Au programme : Beethoven,
Boccherini, Chopin, Moszkowski, J.-S. Bach, Mendels-
sohn.
— Salle Le Roy (rue du Grand-Cerf) : Concert donné
par M. Alex Disraeli, baryton, avec le concours de
M. Emile Agniez. Au programme : Bach, Corelli. Lotti,
Giordani, Schubeit. Schumann, Brahms, Richard
Strauss, Rachmaninoff, Emile Agniez, Isidore De Lara.
Lundi 16 janvier. — Salle des fêtes de l'Ecole commu-
nale : Concert à l'occasion de la distribution des prix
de l'Ecole de musique de Saint-Josse-ten-Noode. Au
programme : Bach, Mozart, G. Huberti, Jaques-Dal-
croze, Wagner, Th. Ysaye- Mess, A. Dupuis, C. Saint-
Saëns, Gluck.
Mardi 17 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
deuxième concert de la Société symphonique des
Nouveaux Concerts, sous la direction de M. Delune,
avec le concours de M. P. Marsick, violoniste. Au
programme : ouverture des Noces de Figaro, Mozart;
concerto en ré pour violon avec accompagnement d'or-
cheslre, Beethoven; première symphonie en si bémol,
Schumann; Le Trille du Diable, Tartini; Marche Hon-
groise de la Damnation de Faust, Berlioz.
Vendredi 20 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert artistique, au profit de l'Œuvre des petits lits,
sous la présidence d'honneur de Mme la princesse Clé-
mentine, avec le concours gracieux de Mme Félia Lit-
vinne, soliste de S. M. l'empereur de Russie, MM.
Jacobs, violoncelliste et Pros de Wit, monologuiste.
Intermède d'escrime par les élèves de M. Fernand
De Smedt, maître d'armes de S. A. R. le prince Albert
et par Mlle Virginia De Smedt.
Vendredi 20 janvier. — Au Cercle artistique et litté-
raire, le Théâtre de Verdure au XV II le siècle, sous la direc-
tion de M. Charles Bordes. La Guirlande, pastorale-
ballet de Rameau; ballet du cinquième acte d'Armide
de Gluck.
Mercredi 25 janvier. — Salle Allemande (rue des Mi-
nimes) : Première séance du Quatuor Zimmer. Au
programme : Quatuor en rè majeur, op. 76, Haydn;
Quatuor en fa majeur, op. i35, Beethoven; Quatuor en
ut mineur, op. 5i, Brahms.
LOUVAIN
Mardi 10 janvier. — Troisième séance Bracké. Trio,
op. 40, Brahms; rêverie pour cor, Glazounow; Kreutzer-
Sonate Beethoven; duos vocaux de Schumann et de
Mathieu.
NANCY
Dimanche 8 janvier. — Concerts du Conservatoire sous
la direction de M. J. Guy Ropartz, concert donné par
Mme Roger-Mielos, avec le concours de M. L. Ch.
Bataille. ,1
Dimanche 15 janvier. — Ouverture d'Egmont, Beethoven;
deuxième symphonie en si bémol, V. d'Indy; concerto
en mi pour violon et orchestre, J.-S. Bach (M. Jean ten.
Hâve); ouverture d'Iphigénie en Aulide, Gluck.
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Danses pour piano ou harpe chromatique avec
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Les Cloches, poésie de Bourget ..... 1 »
Mandoline, poésie de Verlaine 1 35
Romance, poésie de Bourget 1 »
Cinq Poèmes de Baudelaire :
Le Balcon 2 »
Harmonie du Soir 1 75
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La Mort des Amants 1 35
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III. Colloque sentimental 1 75
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femmes, soli, choeur et orchestre :
Partition d'orchestre i5 »
Parties d'orchestre 25 »
Chaque partie supplémentaire .... 1 5o>
Chant et piano 4 »
L'Enfant Prodigue, cantate, chant et piano . . 5 •>
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parties séparées 8 »
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LES CHANTS DE L'ABANDONNÉ
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
Dédié en toute affection à Mme Henriette Mottl.
UNE triste et bien vieille histoire,
un petit drame d'amour émou-
vant de simplicité et de vérité,
tel est le thème de ces chants
de 1' « Abandonné », qui tour à tour
ont inspiré les deux plus grands maîtres
du Lied : Schubert dans La Belle Meu-
nière et Le Voyage d'hiver', Schumann dans
Y Amour du Poêle. Elle est bien connue,cette
petite histoire, banale presque tant elle est
fréquente, de cet adolescent en qui s'éveille
l'amour; débordant de vie, plein d'illusions
et de soleil, il donne son cœur tout entier
à quelque belle fille rencontrée sur son
chemin ; il ne sait plus qu'aimer ! La belle
lui sourit, lui donne quelque espoir, et
puis, adieu! Un galant plus riche vient
s'offrir; c'est lui qu'elle préférera; cruelle
et coquette, elle abandonne sans regret le
naïf et tendre amoureux de la première
heure, le laissant seul avec ses larmes et
son mal amer! C'est là tout le drame, il est
de tous les pays, de tous les temps; l'aban-
donné, l'indifférente amie et l'heureux rival
en sont les éternels et seuls personnages,
et l'amour avec tous ses élans, toutes ses
joies et toutes ses extases, mais aussi, avec
ses cris de douleur, ses profonds abatte-
ments, sa brûlante et jalouse fièvre, en
constitue le seul ressort comme le seul
objet. Mais pour nous émouvoir profondé-
ment, pour nous donner toute la mesure de
l'intensité dramatique contenue dans cette
simple et si fréquente histoire, il faut
qu'elle ait passé par l'âme ardente d'un
Wilhelm Mùller ou d'un Henri Heine et
que nous l'écoutions encore au travers des
chants merveilleux de la Belle Meunière et
du Voyage d'hiver de Schubert, ou de
Y Amour du Poète de Schumann.
C'est donc sur la même donnée que se
développent les trois cycles de Lieder ;
c'est aussi le même souffle romantique qui
les inspire, la même passion qui s'en
dégage, avec une sorte de gradation pour-
tant dans l'intensité du sentiment successi-
vement exprimé dans la Belle Meunière et le
Voyage d'hiver pour trouver dans Y Amour
du Poète son expression la plus forte et la
plus complète. Les différences sont d'ail-
leurs très marquées entre les deux premiers
cycles d'une part et le dernier d'autre part;
elles sont aussi nombreuses que les carac-
téristiques particulières aux génies poé-
tiques et lyriques qui les ont inspirés.
Mais nous trouverons dans ces trois suites
toujours marqués d'une profonde empreinte
personnelle, les mêmes traits généraux
qui sont la base du génie de tous les
grands hommes : Yinspiration et la sincé-
44
LE GUIDE MUSICAL
rite. En présence de chaque cycle, nous
pourrions même distinguer un génie dou-
ble, celui du poète et celui du musicien;
mais ils se sont si bien fusionnés, qu'il n'y a
plus qu'une âme. La muse poétique et la
muse lyrique, sœurs immortelles, s'enlacent
étroitement et marchent côte à côte sur le
même chemin vers un même but idéal.
Jamais peut-être alliance ne fut plus com-
plète entre le poète et le musicien.
Chez Miïlïer et chez Schubert, c'est la
même inspiration facile et débordante,
l'inépuisable fantaisie, la même sensibilité
toujours en éveil, la même nature prime-
sautière, un amour profond de la nature,
un génie original et essentiellement popu-
laire. Tous les deux sont de véritables
« enfants de la nature », excellant à célébrer
le monde naïf et simple de la campagne :
le meunier voyageur et la belle meunière,
le hardi chasseur de la forêt, le gai et vif
postillon claironnant au tournant du che-
min, la séduisante fille de l'aubergiste, le
vieux mendiant qui tourne sur sa vielle une
monotone et triste chanson : tous ces
simples sont leurs frères. Poète et musi-
cien ont aussi la même puissance dans
l'expression des tableaux et de la musique
de la nature, l'un par la parole, l'autre par
le chant, et le cadre pittoresque qui
entoure chaque épisode des adorables
poèmes lyriques est d'un charme intense
et d'un merveilleux pouvoir évocateur.
Cette même « fraternité » de génie existe
pour la Dichterliebe de Schumann-Heine.
Dans les poèmes d'une sensibilité exquise
qui forment V Intermezzo, et dont Y Amour
du Poète ne constitue qu'une partie, Heine
ne nous révèle qu'une face de son génie
complexe et souverain ; il n'apparaît ici
qu'avec son âme ardente, délicate, sen-
sible et subtile ; c'est le rêveur mélanco-
lique, passionné, le poète blessé, mais
dont la douleur n'éclate pas cette fois en
cruelle ironie, ni en blasphèmes de colère,
mais bien en un dédain superbe où il n'y a
de place ni pour les larmes, ni pour le rire.
Mais ce dédain cède bientôt à une pro-
fonde tristesse qui elle-même se subor-
donne à un sentiment plus noble, dominant
la douleur et même l'amour; le poète s'élève
au-dessus des passions de la terre; il plane
dans une région éthérée où sa pensée et
son âme ne vivent que de souvenirs et de
rêves. C'est toute cette âme passionnée et
sensible, ardente et douloureuse qui vit
dans l'extase et la souffrance de l'amour,
éprouvant cette « volupté de la tristesse »
dont parle Gœthe et planant enfin apaisée
dans des régions mystiques, c'est bien toute
cette âme-là qui se retrouve en Schumann.
A l'opposé de Mùller, Heine n'a point cher-
ché à chanter les choses qui l'entouraient;
son cœur à lui, avait trop à dire ! Peu lui
importent ceux qui l'environnent; il n'a de
sympathie que pour la nature qui s'épa-
nouissait avec son amour au soleil radieux
du printemps, et qui pleura avec lui sa
solitude et sa douleur.
En Schumann, il trouve l'écho vibrant et
fidèle de son verbe passionné; le musicien
a senti combien le drame était au fond du
cœur du poète ; il a compris que le chant
de l'âme seule vibrait au-dessus de tous les
autres; aussi, dans les Lieder qui s'y rap-
portent, l'évocation de la vie extérieure ou
des tableaux de la nature est plutôt rare;
le sentiment intérieur a, dans la Dichterliebe,
toute la prépondérance, et c'est pourquoi
il y chante avec une telle intensité et une
telle pénétration. C'est d'ailleurs cette
grande profondeur du sentiment qui fait la
force émouvante du cycle Schumann-
Heine; l'amour triomphant d'abord, et
puis brisé, chante seul presque cons-
tamment; la voix du dehors et celle de la
nature s'y font à peine entendre. On pour-
rait dire de la musique de la Dichterliebe
qu'elle est essentiellement psychologique ;
elle est la passion même, avec quelle force,
quelle intensité!
Celle de Schubert chante aussi les sen-
timents avec infiniment de nuances, un élan
superbe, souvent avec puissance aussi,
mais jamais elle n'est «concentrée » comme
dans Schumann. Interprète du sentiment,
elle l'est souvent aussi du paysage; volon-
tiers, elle se fait pittoresque et la passion
LÉ GÙID2 MUSICAL
4$
qu'elle souligne ne domine pas avec cette
absolue souveraineté que l'on remarque
dans l'Amour du Poète.
Mais chez les deux maîtres du Lied,
dans ces trois cycles, c'est la même entente
du texte; Schubert et Schumann ont senti
avetc la même intensité et ont rendu avec
la même justesse d'expression le poème
qu'ils voulaient chanter. En eux, « la parole
» élastique se dilate sous la force du senti -
» ment, se met à chanter d'elle-même et
» devient mélodie, tandis que les harmo-
» nies variées du rythme et de la rime
» invitent les accords et les appellent pour
» ainsi dire, afin de les soutenir et de les
» prolonger » (i). Du reste, chaque vrai
poème porte sa mélodie en soi, mais il
n'appartient pas à tout le monde d'en briser
le sceau. Il faut une belle sympathie et une
grande compréhension pour y parvenir ;
l'âme émue seule en est capable. Vibrantes
comme une lyre, celles de Schubert et de
Schumann avaient au plus haut degré ce
pouvoir de sentir et de révéler le sens
caché des paroles. Leur musique donnera
tout ce que le poème tait encore ; elle en
fera jaillir l'àme même, enlaçant le mot de
sa pénétrante mélodie et donnant ainsi au
sentiment, à la passion, sa complète expres-
sion. Parfois même, paraissant encore
avoir trop de précision pour les subtiles
nuances du sentiment, la parole s'efface et
laisse à son immatérielle compagne le soin
de cette révélation intime. De là, dans
Schubert et dans Schumann, ces accom-
pagnements si suggestifs, si séduisants,
particulièrement admirables dans les trois
cycles de Lieder qui nous occupent.
Dans Schubert, ils évoquent tantôt tout
un paysage : la vallée au frais ruisseau où
(i) Edouard Schuré : Histoire du Lied. (Librairie
Perrin et Cie ) Ce livre attachant, admirable de sympa-
thie et de poésie, est, en même temps que l'historique de
la chanson populaire en Allemagne, un appel ardent à
la nation française pour la réhabilitation et la résurrec-
tion de la vieille chanson nationale. On peut se réjouir
en constatant que ce vœu, exprimé à la première appa-
rition du livre en 1868, est actuellement en bonne voie
de réalisation.
tourne le moulin, la campagne déserte
dormant sous la neige blanche, la nuit fan-
tastique avec ses lueurs troublantes de
feux follets; tantôt les mille bruits de la
nature et la captivante musique pastorale
de la campagne : les murmures de l'eau
que le moulin frappe de ses aubes, la
retentissante fanfare du chasseur, le joyeux
clairon du postillon, le grincement mo-
queur de la girouette ; l'aboiement des
chiens secouant leur lourde chaîne, le vent
qui siffle dans les branches et fait tomber
les dernières feuilles, la triste mélopée d'un
joueur de vielle. Mais parfois, l'accompa-
gnement sert aussi de commentaire psy-
chologique; alors, il souligne la mélodie,
l'accentue et la suit comme pour la rendre
plus pénétrante; ou bien il la prolonge
comme le dernier écho d'un Lied vibrant et
passionné; d'autres fois encore, le chant
passe et repasse de la voix au piano, du
piano à la voix, l'un complétant et ache-
vant l'autre, se suivant et se superposant
sans cesse en un tissu merveilleux d'une
riche et séduisante harmonie.
[A suivre.) May de Rudder.
CROQUIS D'ARTISTES
F
Mme MARIE THIÉRY
igurez-vous la plus jolie petite
mignonne, douce, tendre, accorte
et fraîche, pied furtif, taille droite,
élancée, bras dodus, bouche ro-
sée... » — ces mots, que Figaro lui adresse
quand elle est Rosine, surgissent tout de
suite dans ma mémoire au moment de
prendre la plume pour « croquer » en quel-
ques traits Mme Marie Thiéry. Et vraiment, je
ne vois pas qu'on en puisse trouver qui soient
plus de mise et fassent mieux image... A condi-
tion toutefois de les compléter un peu. Rosine
est une gentille et piquante poupée, Mais
46
LE GUIDE MUSICAL
Muguette ou la Flamenca, Mignon ou Manon,
Mimi ou Xavière, sont des âmes qui vibrent et
qui souffrent, dont la grâce charmante est
enfiévrée de passion, dont la délicatesse cache
une émouvante énergie.
Et c'est bien ainsi, dans ces contrastes de
sérénité et d'émotion, de fragilité et de volonté,
que se détache à nos yeux la physionomie de
cette aimable artiste, après ses dix ans de car-
rière lyrique et ses 2.5 rôles divers. Fixons-la
un peu mieux, documents en main.
Madame Marie Thiéry est née à Chalon-sur-
Saône, le g mai 1870 (elle n'a jamais cherché à
cacher son âge). Une éducation très développée,
couronnée de brevets, fut la base de sa voca-
tion artistique, et elle possédait déjà un talent
remarquable sur le piano, et d'ailleurs une cul-
ture musicale approfondie, quand elle se pré-
senta aux classes lyriques du Conservatoire de
Lyon. Elle en sortait au bout de l'année avec
les deux premiers prix, de chant et d'opéra,
l'un dans la classe de Mme Mauvernay, l'autre
dans celle de M. Alexandre Luigini, ce maître
excellent, ce chef d'orchestre éminent (aujour-
d'hui directeur de la musique à l'Opéra-
Comique), dont elle devait plus tard devenir la
femme.
C'est tout naturellement au Grand-Théâtre
de Lyon que s'ouvrit devant elle son heureuse
et féconde carrière. Son ardeur au travail,
guidée par un goût inné, s'assimila rapide-
ment les principaux rôles du répertoire d'opéra
et d'opéra-comique. Et ici, remarquons une
fois de plus combien ces scènes mixtes, de
règle partout ailleurs qu'à Paris, sont mieux
faites pour développer et mûrir les jeunes
talents lyriques. Mme Marie Thiéry a tout un
répertoire que Paris ignore, -où la chanteuse
légère se double d'un premier soprano. Du
moins est -il assez facile de se rendre compte
de l'effet qu'elle y doit produire. La netteté de
l'émission, la pureté de la tenue, la sonorité de
l'articulation dans l'agilité, telles sont les qua-
lités de sa voix très souple, vibrante à l'occa-
sion, et qui porte. La simplicité et la vérité, telles
sont celles de son jeu, qui sait rendre avec un
égal naturel la plus spirituelle scène de comédie
et le drame intime le plus meurtri, mais dont
il semble que l'expression spéciale soit la grâce
tendre, le rire à travers les larmes. Ce charmant
visage de brune, illuminé de si expressifs yeux;
noirs, est-il fait pour une souffrance sans1
espoir?
Mme Marie Thiéry parut d'abord dans Romèd
et Juliette (le 8 novembre 1893), et si gracieuse
de lignes, avec un talent déjà si achevé, que
quinze représentations à la file n'épuisèrent pas
le premier élan de chaude sympathie qui
entraîna le public vers la jeune artiste. Dans
un succès grandissant, Rigoletto, Hamlct, Faust,
d'une part (c'est-à-dire Gilda, Ophélie et Mar-
guerite), et de l'autre, Mireille, Carmen (Mica.ë\a),
La Fille du Régiment (Marie), en deux saisons
lyriques, affirmèrent la souplesse de la débutante
et constituèrent la base de son répertoire ordi-
naire. Il faut y joindre L'Attaque du Moulin
(Françoise) et Le Portrait de Manon (Aurore),
qu'on ne connaissait pas encore à Lyon.
L'année suivante, elle fut consacrée à Genève
et mit en lumière quelques rôles nouveaux, pré-
cieuses acquisitions dans le domaine de l'opéra-
comique : Manon surtout, et la Sophie de
Werther, une création, sans oublier Les Noces de
Jeannette. Puis la gentille voyageuse s'envola
jusqu'au Caire (quand on trouve une bonne
occasion de voir du pays...) et ajouta cinq
figures à sa galerie lyrique : Galathée, Lakmé,
Phryné, l'Eurydice d'Orphée et, singulier con-
traste, la vibrante Catherine de L'Étoile du Nord.
Le printemps de 1897 la ramena en France.
On la vit un instant à Bordeaux, à Aix-les-
Bains, à Nice enfin, où elle se fixa et où elle
donna à Juliette, Gilda ou Marguerite une
sœur nouvelle, mignonne et exquise au possible,
la petite Martine de Martin et Martine. Qui ne
se souvient de l'effet charmant que produisit à
Paris, au Théâtre-Lyrique de 1900, la légende
flamande mise en musique par M. Emile
Trépard, et la douce fille de l'ogre, avec ses
chansons : « Le temps a repris son manteau »,
ou ce petit duo de la pluie, qu'on trissait tou-
jours? Mais, à cette époque, nous connaissions
bien Mme Marie Thiéry. M. Albert Carré avait
su la découvrir à Nice et la retenir pour sa
nouvelle campagne à l'Opéra-Comique recon-
struit.
C'était en 1898. En attendant ses débuts,
l'artiste, toujours ardente au travail, avait
LE GUIDE MUSICAL
47
I consacré son été à Royan, où elle joignit à huit
rôles de son répertoire habituel, celui de Lucie
de Lammermoor, si désigné pour sa délicate
virtuosité. Puis, après le stage de quelques
| semaines qu'il fallut faire dans la salle provi-
: soire du Château-d'Eau, où elle parut déjà dans
Mireille et Lahnê, c'est dans un acte de la pre-
mière de ces œuvres que nous l'applaudi mes
le soir de l'ouverture, le 7 décembre. On n'a
pas oublié les ovations qui l'accueillirent; on se
souvient également, après Lahnê, de son appa-
rition dans Mignon, réalisation d'un rêve inspiré
par Ambroise Thomas lui-même, quelques
années auparavant. A Aix-lesBains, en 1894,
Mm" Marie Thiéry avait chanté Ophélie avec
tant de goût et dame, que le vieux maître
l'avait engagée à étudier le rôle de Mignon tel
qu'il l'avait jadis adapté à la voix de Christine
Nilsson. Nous l'avons entendue plus d'une
fois, depuis, dans ce gracieux personnage fait
de contrastes et qui convient si bien à son ca-
ractère. Le rôle de Micaëla termina cette pre-
mière saison à notre Opéra-C<. mique.
Elle fut suivie, entre 1900 et 1902, de
diverses fugues à Marseille ou à Biarritz, mais
surtout d'une saison importante 2 Bruxelles, au
théâtre de la Monnaie. Le succès fut très bril-
lant, toute une partie de nos lecteurs s'en sou-
viennent comme d'hier, avec Lahmè et Mireille,
Faust et Roméo, Mignon et La Fille du Régiment ;
avec de nouvelles figures aussi : Mimi, de
La Vie de Bohême, une création que plus de
quarante soirées consacrèrent, puis Le Barbier
de Sévilie, qui servit aussi de rentrée à Rosine
sur sa scène parisienne, au mois de mai 1902.
A eux seuls, ces deux rôles si différents, ne
résument-ils pas l'élégance de jeu de Mine Marie
Thiéry et la vérité de son expression, comme
le brio de sa voix si pure?
Cette seconde période à l'Opéra-Comique
nous l'a montrée encore dans Manon, dans
La Fille du Régiment, dans Le Roi d'Y s (la tendre
Rozenn), avant sa création de Muguette, où elle
fut à elle seule tout le charme de la pièce et
l'expression même de l'œuvre de M. Missa.
Avec quel art des nuances elle sut graduer ce
caractère si franc, dont la naïveté s'éveille à
l'amour et se mûrit par la souffrance avant de
s'ouvrir enfin au bonheur!... Mais l'art des
nuances n'est-il pas l'une des caractéristiques
essentielles de son talent si sûr ?
Où en trouver un meilleur exemple que dans
cette autre personnification, plus récente, de
La Flamenca P Avec une voix délicieuse, une
émotion aussi poignante que simple et vraie,
elle a su faire une vivante évocation des phases
successives de ce caractère complexe. Une fois
de plus, elle a été à elle seule l'œuvre même.
C'était, on s'en souvient, au début de la saison
lyrique entreprise à la Gaîté par les Frères
Isola. M'"e Marie Thiéry porta ensuite l'œuvre
pittoresque de M. Lucien Lambert à Nice, où
elle reprit aussi quelques-uns de ses rôles
d'opéra. Mais l'année ne se terminait pas sans
nous la ramener à l'Opéra-Comique, comme
prélude et assurance d'un plus durable et
fécond engagement. Carmen, La Bohème, Le
Roid'Ys, Mignon... ont servi de prélude à cette
charmante Xavier e qu'elle va nous rendre et
recréer véritablement, pour le plus grand profit
de l'œuvre remaniée de M. Th. Dubois.
Dans une carrière aussi semée de traquenards
et prodigue en déboires qu'est la carrière
lyrique, Mme Marie Thiéry peut bien se dire
heureuse entre toutes. Le travail, le talent, le
goût, ne sont pas toujours aussi compris et
encouragés, tant s'en faut. Mais elle parut, et
toutes les sympathies s'éveillèrent autour d'elle.
Si elle trouva des obstacles sur sa route, ils
s'écartèrent, ils s'effacèrent bien vite : « sa
grâce fut la plus forte » . Et comment une si
charmante nature pourrait-elle connaître autre
chose que le bonheur, aussi bien en public
que dans son intérieur? En vérité, on ne songe
même pas à s'étonner...
Je finis, comme d'habitude, avec la liste com-
plète des rôles où elle a paru et dont pas un
seul n'est indifférent ni secondaire :
Lyon
1893-94.. — Roméo et Juliette : Juliette; Rigoktto :
Gilda ; Hamlet : Ophélie ; Faust : Marguerite.
1S94-95. — Mireille : Mireille; Carmen : Micaëla;
La Fille du régiment : Marie; L'Attaque du moulin;
Françoise ; Le Portrait de Manon : Aurore (création),
Genève;
1895-96. — Manon : Manon; Werther : Sophie
(création) ; Les ATuces de Jeannette : Jeannette (et le
répertoire précédent),
4§
LE GUIDE MUSIGAL
Le Caire
1896-97. — Galatée : Galatée; Lakmé : Lakmé ;
Phryné : Phryné; L'Étoile du Nord : Catherine
(création); Orphée : Eurydice (et le répertoire
précédent.
Nice
1897-98. — Martin et Martine : Martine (création).
ROYAN
1898.' — Lucie de Lammermoor : Lucie.
Aix-les-Bains, Bordeaux, Nice, Royan,
Marseille, Biarritz.
1894-1897-1904. — Roméo, Faust, Hamlet, Rigo-
letto, Mireille, Lakmé, Mignon, le Roi d1 Ys, le Barbier
de Séville, Carmen, etc.
Paris
1898-9 (Opéra-Comique). — Mireille, Lakmé, Car-
men.
1899. — Mignon : Mignon.
1900 (Théâtre Lyrique). — Martin et Martine :
Martine (création).
Bruxelles
1900-1. — Lakmé, Mireille, Faust, Roméo, Mignm,
la Filh du Régiment; La Bohème (de Puccini) :
Mimi (création).
1901-2. — Le Barbier de Séville : Rosine.
Paris
1901-2 (Opéra-ComiqueJ. — Lakmé, Mireille, Le
Barbier de Séville.
1092-3. — Carmen, Manon, La Bohème, La Fille du
Régiment.
Le Roi d' Y s : Rozenn ; Muguette : Muguette (créât.).
1903-4 (Gaîté). — La Flamenca : Flamenca(créat.).
1904-5 (Opéra-Comique). — Carmen, La Bohème,
Le R>i d'Ys, Mignon, Xaviève : Xavière (reprise et
création). Henri de Curzon.
LA SEMAINE
PARIS
Notre rédacteur en chef, M. Hugues Imbert,
vient de subir une opération d'une extrême
gravité, qui ne laisse pas d'inspirer de vives inquié-
tudes à sa famille et à ses amis.
Le Guide musical lui présente les vœux les plus
affectueux qu'il forme pour sa guévison.
OPERA. — Cette semaine, reprise de Sigurd
d'Ernest Reyer, avec la distribution suivante :
Miles Bréval (Brunehildel, Demougeot (Hilda),
Berthe Soyer (Uta); MM. Affre (Sigurd, Noté
(Gunther), Gresse (le Prêtre d'Odin), Chambon
(Hagen).
On a commencé les répétitions en scène de
Daria, l'ouvrage nouveau, en deux actes, du com-
positeur M. Georges Marty, sur un livret de
MM. Adolphe Aderer et Armand Ephraïm, dont
la première représentation aura lieu vers le
20 janvier.
Daria sera accompagné sur l'affiche d'un ballet
du répertoire, soit la Korrigane, soit la Maladetia,
soit Coppclia.
L'Opéra a joué 17 fois, dans le courant de
décembre 1904, et encaissé la somme de
267,488 francs, ce qui donne une moyenne de
15,734 francs par représentation.
Les plus fortes recettes, variant de 20,000 à
22,000 francs, ont été produites par Tristan et I solde.
Pendant le mois correspondant de l'année igo3,
l'Opéra avait joué 17 fois et encaissé la somme de
237,463 francs, ce qui donnait une moyenne de
14,968 francs par représentation.
1
OPÉRA-COMIQUE. — On a fêté vendredi
dernier la 5oome représentation de Manon. Après
Hélène et Xavière, M. Albert Carré commencera
immédiatement les répétitions de Miarka, le
drame lyrique de M. Alexandre Georges, sur
le poème de M. Jean Richepin, dont la prin-
cipale interprète sera Mme Marie Garden. Il
est question, pour le second rôle féminin, de
Mme Héglon, que M. Gailhard céderait à l'Opéra-
Comique pour cette création.
On va également s'occuper des études de la
M aric-M agdeleine de M. Massenet, qui doit être
représentée en avril, avec Mlle Emma Calvé.
En outre, M. Albert Carré vient de recevoir,
après audition, Ib and Utile Christina, une œuvre
lyrique en trois actes, dont le poème anglais est de
M. Basil Hood et la musique de M. Franco Leoni.
La direction de l'Opéra-Comique en a confié la
traduction française à M. Jean Richepin.
VARIETES. — Il y a quelque temps déjà que
nous n'avons parlé des Variétés. Nous sommes en
retard, car on ne chôme pas cette année sur cette
scène, où le travail de la journée est fébrile et celui
du soir constamment divers. Une cinquième et une
sixième opérette ont pris leur tour; mais ce sont
L2 GUIDj; MUSICAL
49
deux reprises, en attendant la nouveauté de
M. Hirchmann, dont on dit le plus grand bien :
c'est la Vie parisienne d'Offenbach, et VŒU crevé
d'Hervé. Ces deux pièces abracadabrantes sont
du plus pur répertoire des Variétés, mais il y
avait pas mal de temps déjà (en 1896, l'une et
l'autre) qu'on ne les avait remises à la scène, et
les traditions scéniques, comme la distribution, en
sont si presque entièrement renouvelées, qu'elles
offrent un peu le piquant de l'imprévu. Si l'on
sentait moins l'effort et si la folie — qui doit y
régner — était plus spontanée, plus réelle, ce
serait tout à fait bien ; mais à ce compte, il n'y
aurait pas que l'état d'esprit des interprètes à
remettre au point, il y auraitcelui des spectateurs,
ce qui est autrement impossible. La Vie parisienne
n'a plus José Dupuis, ni Cooper, mais elle a gardé
Baron et Brasseur, et Mme Tariol-Baugé, l'infati-
gable, vaut Mme Méaly ; malheureusement, c'est la
seule qui chante réellement, ce qui n'est pas sans
nuire à la partition d'Offenbach. YJŒil crevé,
à ce point de vue, est mieux défendu; il a
même gagné sur certains points. C'est encore
Mme Tariol-Baugé qui chante Dindonette, jadis
interprétée par Mme Méaly; c'est Mlle Pernyn
qui a remplacé Mme Gallois dans Fleur-de-
Noblesse, et avec beaucoup d'esprit ; c'est
M. Claudius qui succède à Milher dans le
gendarme Géromé; c'est M. Girod et surtout
M. Dambrine qui chantent Alexandrivore, un rôle
de ténor qui avait été, la dernière fois, dévolu à
tort à M1Ie Pernyn, en travesti; enfin, c'est MM.
Petit et Prince qui ont remplacé Baron et Guy
(très différemment, mais avec verve). Seul M.
Brasseur est fidèle à son incroyable Duc d'Kn-
Face... H. de C.
GAITÉ. — M. Coquelin aîné vient de faire au
théâtre de la Gaîté une reprise du Bourgeois gen-
tilhomme de Molière, avec la musique de Lulli. On
sait que cette comédie-ballet fut représentée pour
la première fois à Chambord, pour le divertisse-
ment du Roi, le 14 octobre 1670; les frais s'élevè-
rent à la somme considérable de 49,404 livres,
18 sols. Dans la Cérémonie, Lulli interpréta en
personne le rôle du Mufti ; une estampe le repré-
sente dans le costume qu'il portait, et le livre du
ballet le désigne sous le nom du seigneur Chiache-
ron. « Personne, peut-on lire dans la Vie de Mo-
lière de 1725, n'a été capable de l'égaler, car il
était aussi excellent grimacier qu'excellent musi-
cien. »
Le Bourgeois gentilhomme avec la musique de Lulli
fut représenté le 9 janvier i852, à l'Opéra; en 1876
au théâtre de la Gaîté — l'orchestration avait été,
pour cette circonstance, retouchée avec beaucoup
de tact par Weckerlin — et le 28 octobre 1880,- à
la Comédie-Française, pour le deuxième cente-
naire du Théâtre-Français.
La partition de Lulli nous est parvenue par une
copie de Philidor que possède le Conservatoire
national de musique.
CONCERTS DU CONSERVATOIRE. —
La symphonie en mi bémol de Schumann est une
œuvre où le métier n'est pas toujours à la hauteur
de l'inspiration. L'écriture en est parfois un peu
pâteuse, et il appartient à l'exécution d'atténuer,
sinon de faire disparaître ce défaut. Celle du Con-
servatoire, avouons-le, n'alla pas sans quelque
lourdeur, surtout dans le second mouvement, dont
le thème populaire est cependant si gracieux et si
léger.
La Mort de Jeanne d'A rc de M. Lenepveu remonte
à 1886. La formule du compositeur ne devait pas
déjà être très jeune à cette époque : elle n'a pas
paru avoir rajeuni depuis. Le succès personnel de
Mme Auguez de Montalant fut d'ailleurs considé-'
rable.
Le concerto en ut dièse mineur de M. Rimsky-
Korsakow, joué par M. Ricardo Vin es avec un
brio et un charme incomparables, fut accueilli'
par d'unanimes applaudissements. C'est un Con-
certstuck plutôt qu'un concerto, car il ne comporte
pas d'arrêt. Construit sur un seul thème, d'allure
populaire et de modalité antique, dont les trans-
formations rythmiques courent à travers tout le
morceau, il dénote chez son auteur une franchise
d'accent et une habileté technique que l'on ne
saurait trop louer. Plus séduisant que profond, il
captive l'auditeur par l'imprévu de ses combinai-
sons autant que par sa verve et sa bonne humeur,
M. Ricardo Vinès en est d'ailleurs l'interprète
rêvé, et de nombreux rappels le lui prouvèrent.
Le Rouet d'Omphale de Saiut-Saëns et l'ouverture
d'Egmont de Beethoven, fort bien joués par l'or- ■
chestre, avec le Gloria Patri de Palestrina et VAve
verum de Mozart, où les chœurs furent parfaits,-
complétaient le programme de la séance.
J. d'Offoël._
5o
LE GUIDE MUSICAL
CONCERTS COLONNE. — Le concert du
Châtelet était, ce dimanche S janvier, dirigé par
M. Arthur Nikisch. Applaudi déjà maintes fois à
Paris, le chef d'orchestre du Gewandhaus de
Leipzig y est connu et apprécié comme un des
plus remarquables capëllmeister du temps présent.
La qualité dominante de M. Nikisch semble une
puissance d'expansion rythmique exceptionnelle ;
elle émane de tout lui-même : de son geste précis
et net, de ses mouvements rapides et justes avec
de brusques détentes qui font comme jaillir la
force nerveuse contenue et maîtrisée jusque-là par
une volonté souveraine M. Nikisch ne semble
pas, comme M. Weingartner, la proie d'une divi-
nité qui l'exalte et le transfigure ; il porte le dieu
en lui-même, c'est à un foyer intérieur qu'il puise
la vie qu'il communique à tout l'orchestre et qui
circule, joyeuse, tendre ou passionnée dans les
mille voix de tous ses instruments.
Ainsi conduite, l'ouverture à'Egmout se colora
des teintes les plus chaudes, semblable à un vitrail
où les rouges graves et les violets splendides ruis-
sellent soudain en éblouissements sous la brusque
coulée d'un jet de soleil.
La deuxième symphonie de Brahms fut un peu
plus inégale. Si le premier allegro connut le plus
bel équilibre, la vertu émotionnelle de Y adagio ne
paraît pas s'être dégagée entièrement. Quant au
délicieux allegretto, sa grâce, solennisée, perdit un
peu de son charme. Par contre, Y allegro final fut
d'exécution merveilleuse : tout rythme, toute
allégresse, d'une sonorité crépitante et flambante
comme un immense feu de joie.
Le Don Juan de Richard Strauss est un poème
symphonique en deux parties. Dans la première —
nous dit l'auteur lui-même, — « Don Juan plaide
en faveur de sa frivolité, se justifie et. en termes
brûlants, expose la nature de la passion qui le
dévore. » Dans la seconde, « assagi, apaisé, mé-
lancolique, ironique, il n'accuse plus le destin et
ne songe qu'à revivre, par la pensée, la belle
ardeur de jadis ».
Cette musique est tumultueuse. Elle s'agite et
se dépense à nous peindre le héros — autant que
la musique peut s'essayer à de telles peintures.
Si on osait modifier le vers du poète, on dirait :
C'est Eros tout entier à sa proie attaché.
L'orchestre crie et clame la « grande passion ».
Une passion prolixe, un peu théâtrale, qui s'enfle
et s'essouffle sans oublier le soin de s'embellir et
d'ajouter mille ornements à toutes ses grâces.
Après cette musique, d'éclairage un peu cru, les
divines harmonies du prélude de Tristan et de la
Mort d'Lolde épandirent la beauté infinie de leurs
extatiques clartés. Ce fut un enchantement. .
Tout autre, mais aussi belle en sa force joyeuse,
triomphante de jeunesse, chaude, colorée, bril-
lante, l'ouverture des Maîtres Chanteurs connut une
inoubliable exécution.
Dirai-je, tout au long de ce concert, les applau-
dissements, les ovations même, prodigués à M.
Nikisch?... Un public enthousiaste lui manifesta,
à maintes reprises, son entière satisfaction.
M. Daubresse.
CONCERTS LAMOUREUX. - Pour la cen-
tième fois, et toujours avec la même joie, nous
avons entendu cette Pastorale, qui est bien" le plus
admirable poème qu'aient jamais inspiré l'amour de
la nature et la volonté de faire, en une œuvre, la
synthèse des impressions qu'elle donne et des
idées qu'elle peut suggérer dans la grâce et la
majesté de son ensemble.
On dit que Beethoven était un adversaire déter-
miné de la musique imitative. Son œuvre n'est
point en désaccord avec cette opinion, car ce
serait singulièrement ravaler la Pastorale que de la
descendre à cet art secondaire. Ce n'est point là
de la musique imitative, mais bien l'évocation
sublime de la nature.
M. Schmitt a tenté de traduire en musique
l'impression qui se dégage du Palais hanté d'Edgar
Poë à travers la traduction de Stéphane Mal-
larmé. Il y a complètement échoué.
Son Etude symphonique, qui est un envoi de Rome,
se distingue par une désastreuse incohérence. On
y cherche vainement une idée musicale, ou seule-
ment une apparence de conviction, une erreur
sincère. Tout est de chic dans ces cadences volon-
tairement heurtées, ces accumulations de sono-
rités bizarres, sans tenue ni liaison. En vain de
jeunes amis et de bons camarades ont-ils essayé
de provoquer quelques applaudissements; ils n'y
ont point réussi, et les sifflets ont eu peine à se
contenir.
Il ne fallait pas moins que le délicieux concerto
en la mineur de Schumann pour chasser de nos
oreilles l'impression de cette œuvre nulle, préten-
tieuse et cacophonique. Le talent de M. Harold
Bauer y a pleinement réussi, et nous a remis bien
au point pour entendre et apprécier Mort et Trans-
figuration de Richard Strauss, qui figurait pour la
première fois sur le programme des Concerts
Lamoureux. C'est un poème symphonique des
LE GUIDE MUSICAL
Si
plus intéressants, qui prend pour thème l'idéale
chevauchée à travers la vie pour aboutir à la mort
et, par elle, à la transfiguration à travers les joies
et les douleurs, les obstacles et les triomphes
accumulés sur la route. L'auteur s'est remarqua-
blement pénétré de son sujet. On sent, dans son
œuvre, les linéaments solides qui révèlent la con-
ception préalable d'un scénario bien arrêté. C'est
ainsi que procédait Beethoven. Grâce à cette ma-
nière de faire, qui n'exclut en rien la fantaisie et
les élans spontanés, on ne risque point de se
perdre en des divagations stériles. M. Strauss l'a
compris ; nous lui en faisons notre compliment.
d'E.
SOCIETE NATIONALE DE MUSIQUE. —
La Société nationale de musique a inauguré le
samedi 7 janvier dernier, à la salle Erard, la série
de ses concerts annuels.
■ Le programme, un peu touffu, comportait un
certain nombre de premières auditions; tout
d'abord une sonate pour alto et piano de M. Marcel
Labey. M. Englebert et Mlle Selva surent rendre
le sentiment tendre, délicat, un peu mièvre peut-
être de cette œuvre intéressante. Une valse triste
de M. Paul Ladmirault, jouée sur deux pianos par
MM. Motte- Lacroix et Morpain. et trois mélodies
de M. Guy Ropartz, chantées par Mme Pierre
Kunc, furent applaudies. Mlle Marguerite Long
remporta un très vif et très légitime succès dans
son artistique interprétation au piano de trois
pièces capricieuses de Gabriel Fauré. Un im-
promptu pour harpe, œuvre nouvelle du même
maître, fournit à Mlle Micheline Kahn l'occasion
de mettre en lumière ses réelles qualités d'instru-
mentiste.
Enfin, l'admirable quintette de Franck vint
ajouter une émotion grave, profonde et puissante
aux mélancoliques et sentimentales impressions du
début de la soirée. L'interprétation, confiée à
Mlle Boutet de Monvel et au Quatuor Parent, fut à
la hauteur de l'œuvre. G. R.
— A la troisième matinée Danbé, c'est le pro-
gramme instrumental qui a obtenu le plus de
succès, malgré M. Soulacroix, malgré même
Mme Charlotte Lormont, qui a fort convenable-
ment chanté trois mélodies de Grieg, Massenet
et Dalcroze. A côté de l'excellent quatuor Sou-
dant, deux jeunes virtuoses, MM. Jean Bedetti
et Louis Letellier, égaux en talent, ont eu les
honneurs du concert en jouant avec une maîtrise
surprenante, le premier, des fragments du concerto
en si mineur, pour violoncelle, de Lalo, le second,
V Adagio de Weber, le menuet et le finale du
concerto pour basson de Mozart.
La quatrième ,matinée a été une suite de triom-
phes pour M. Raoul Pugno. Au dernier concours
de trompette du Conservatoire, ma voisine,
enthousiaste de cet instrument, s'écriait : « Comme
il fait des caresses ! » Quelle exclamation eût-elle
poussée, si elle avait pu entendre Pugno interpré-
ter une dizaine de morceaux de toutes les écoles
et de tous les styles? Auprès d'un tel artiste, il a
fallu bien du talent à M1,e Demougeot pour se
faire applaudir. Elle y est parvenue, parce qu'elle
chante avec simplicité et qu'elle ne cherche jamais
des effets, suprême habileté pour en produire sur
les délicats. Julien Torchet.
— Nous recevons communication de la note
suivante :
Le ministre des beaux-arts, qui avait déjà
imposé aux Concerts Colonne et Chevillard l'obli-
gation, en échange de la subvention qu'ils reçoi-
vent, d'exécuter chaque année trois heures de
musique française inédite, poursuit la tâche qu'il
s'est proposée de favoriser par tous les moyens
possibles l'essor de la musique française. Il vient,
dans ce but, de décider que le concours Crescent,
consacré jusqu'ici aux œuvres lyriques, serait
réservé, cette année, aux œuvres symphoniques.
Les termes du testament et de l'acte de délivrance
du legs ont rendu possible cette modification, qui
a, d'ailleurs, obtenu l'assentiment des représen-
tants actuels des héritiers Crescent. D'autre part,
une somme fort importante restant disponible,
par suite de l'insuccès de concours antérieurs, le
ministre a décidé d'employer cet excédent de
ressources en instituant pour le nouveau concours
un prix et des avantages pécuniaires exception-
nels.
L'auteur de la partition couronnée recevra une
somme de 20,000 francs, plus i,5oo francs pour
frais de copie. En outre, une somme de 4,000 ou
de 10,000 francs sera mise à la disposition du
chef d'orchestre qui exécutera l'œuvre, suivant
que celle-ci sera soit une symphonie proprement
dite ou une suite d'orchestre, soit un poème
symphonique avec soli et chœurs. OD'autres com-
binaisons de prix ou de mentions pourront éga-
lement être adoptés par le jury : les concurrents
en trouveront l'énumération, ainsi que les autres
52.
LE GUIDE MUSICAL
détails du concours, dans le règlement qui paraî-
tra ces jours-ci à l'Officiel et dont un exemplaire
sera envoyé à tous ceux qui en feront la demande
à la direction des beaux arts, bureau des théâ-
tres, 3, rue de Valois. Le concours, ouvert le
Ier janvier 1905, sera clos le 3i mars 1906.
— Sur la proposition de M. Paul Escudier et
par décision du conseil municipal, le square
Vintimille, où se trouve la statue de l'auteur de
la Damnation de Faust, se nommera désormais
square Berlioz. C'est le square seul qui change
de nom, la place continuant à s'appeler comme
par le passé.
— Institut catholique. — Au cours pratique
de chant grégorien, dirigé par M. Amédée Gastone
et qui obtient tant de succès, vient de s'adjoindre
un nouvel attrait.
A partir du 10 janvier, un ensemble de confé-
rences sera donné par M. P. Aubry, archiviste-
paléographe, sur « Les à-côté du chant grégorien ».
Sous ce titre, l'érudit musicologue traitera de
l'origine des proses, des séquences, des tropes,
des chants des mystères, de la paléographie
grégorienne.
Sauf modifications ultérieures, ces conférences
auront lieu : les mardis 10 janvier, 7 février,
4 avril, 9 mai et 6 juin.
— Le conseil municipal vient de ratifier l'em-
ploi définitif du subside de six mille francs accordé
l'année dernière à l'Union des Sociétés musicales
de Paris.
— Le gouvernement français vient de nommer
chevalier de la Légion d'honneur MM. Coquard,
compositeur de musique, auteur de la Jacquerie et
de la Troupe Jolicœur ; Nadaud, professeur au
Conservatoire de Paris, et Jusseaume, peintre de
décors.
— Mlle Blanche Selva donnera à la Schola Can-
tarum à partir du 17 janvier, six séances consacrées
aux œuvres de piano de Johann Ruhnau (suites
et sonates sur la Biblej F. Coupeiin, Rameau,
J.-S. Bach et D. Scarlatti.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
M. Ernest Van Dyck a obtenu jeudi dernier, dans
Lohengrin, un magnifique succès, auquel il con-
vient d'associer Mmes Laffitte et Bastien, MM. Al-
bers et Vallier. Louise, avec Mme Dratz-Barat,
MM. Ch. Dalmorès et Albers, a été très chaleureu-
sement accueilli ; Pépita Jiménez, l'oeuvre si per-
sonnelle, si originale, si vibrante de M. Albéniz,
s'affirme comme l'un des succès musicaux les plus
remarqués. Faust et le Jongl.ur de Notre-Dame, la
Fille du Régiment et Coppélia ont complété le pro-
gramme de la semaine.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, Faust; le
sùir, la Dame blanche; demain lundi, le Jongleur de
Notre-Dame et Y Ermitage fleuri-; mercredi, Alceste,
avec Mme Litvinne. Vendredi, pour les représen-
tations de M. Ernest Van Dyck, reprise de Tristan
etlsolde. R, S.
CONCERTS YSAYE. — On attendait avec
curiosité les débuts à Bruxelles du jeune chef
d'orchestre des Concerts d'Angers, M. E. Brahy,
dont la renommée aux cents bouches avait dit
monts et merveilles. C'est un compatriote, et nous
applaudissons à ses succès. Mais il ne faudrait pas
pourtant pousser les choses trop loin. M. Brahy
est très sévère pour les autres. Cela autoriserait à
l'être pour lui. Il vaut mieux être indulgent et
constater l'accueil aimable et encourageant qu'il a
reçu. Il a dirigé de mémoire les ouvertures
d'Egmont, d'Obéron et la Symphonie fantastique, de
manière à attester qu'il connait à fond toutes les
notes qui sont dans ces partitions. C'est évidem-
ment quelque chose. M. Brahy est un travailleur
et un volontaire. Il est très instruit, il a observé
consciencieusement, ses facultés mnémoniques
sortent de l'ordinaire. Mais on aimerait autre chose
encore que de la mémoire; un sentiment juste, la
faculté de l'expression. Malheureusement M. Brahy
n'est pas sensible. Et puis il a une façon bien
fâcheuse d'agiter son bras droit tout entier, comme
un bras d'appareil avertisseur. Ce bras monte et
descend tout d'une pièce, sans joie et sans dou-
leur, mécaniquement. Et avec quelle ostentation !
M. Brahy a obtenu de beaux crescendos dans
la première partie et dans le finale de la Fantastique.
Mais le pittoresque tourbillonnant de la Scène du
b>l n'a pu se manifester sous l'autorité de ce bras
inflexible, hostile à toute souplesse. On l'a vu
scander les silences de la Scène aux champs, mesu-
rer l'infini, l'inentendu, l'inaudible ! L'exécution
de l'ouverture d'Egmont, ce drame de violence et
de tendresse, où des rumeurs d'émeute alternent
avec des langeurs amoureuses, semblait une ana-
LE GUIDE MUSICAL
53
Btomie thématiqne, tranchante, nette, lugubrement
: morne et sans couleur. Ne parlons pas d'Obéron!
Elfes et fées avaient déserté la forêt enchantée
fcj dont parle la musique de Weber.
Tout cela, d'ailleurs travaillé et soigné dans le dé-
tail, minutieusement ciselé, intelligemment analysé
au point de vue de la structure. Mais qu'un peu
de flamme eut fait de bien dans cet océan de
glaces, qu'un peu de cœur eût donné d'expression et
de vie à ces interprétations trop voulues !
Le cœur, la flamme, le charme, voilà ce qui ne
manque heureusement pas à M. Jacques Thibaud,
l'exquis violoniste qui fit, voilà cinq ans, ses
débuts dans la carrière aux Concerts Ysaye et qui,
depuis, n'a cessé de croître dans la faveur du
public. Il a joué le premier concerto de Max Bruch
— le « concerto à Sarasate », — et le pimpant
concerto de Lalo, avec son art si délicat, si souple
et si enveloppant. On l'a acclamé. Il a été le délice
de cette matinée.
\0
— Le Roi a visité lundi le Conservatoire royal.
A cette occasion, M. Gevaerl avait organisé une
audition du chant national Vers l'Avenir, qu'il
a écrit à la demande de sa Majesté. Le souverain
était le seul auditeur, et il a écouté avec une visible
satisfaction cette ample mélodie chantée par tous
les chœurs du Conservatoire avec accompagne-
ment d'orchestre. La Brabançonne et le chant
triomphal de Judas Maccabée ont complété cette
audition royale.
Le Roi, conduit par M. Gevaert, a ensuite visité
toutes les classes, où se trouvaient réunis les
élèves auprès de leurs professeurs.
Le souverain a eu un mot aimable pour chacun
de ceux-ci et il a manifesté à plusieurs reprises la
satisfaction que lui faisait éprouver cette inspec-
tion de notre grande école musicale.
— Mlle Suzanne Denekamp a donné un Lieder-
Abend à la salle Erard; elle a dit avec intelligence
et en bonne musicienne, des Lieâers de Schumann
et de. Schubert, ainsi que plusieurs mélodies de
Grieg, Tschaïkosky, Wolff, C. Franck etc.
Certes, Mlle Denekamp ne possède pas une
voix très ample mais elle rachète ce manque de
force dans le timbre par beaucoup de charme, et
de distinction dans l'interprétation.
Il convient d'encourager cette jeune artiste, qui,
si elle veut s'y appliquer sérieusement, pourra
devenir une excellente interprète de Lieder.
M. Gabriel Minet tenait le piano d'accompa-
gnement avec tact et talent, L. D.
— Après quinze jours d'interruption, Mme Ba-
thori et M. Engel ont repris leurs séances, « Une
heure de musique », avec un très vif succès.
L'audition de mercredi dernier était consacrée
aux œuvres de Reynaldo Hahn. Les poèmes de
Sully-Prudhomme, de Théodore de Banville, de
Mendès, les Etudes latines de Leconte de Lisle, les
Chansons grises de Paul Verlaine, parmi lesquelles
ce petit chef-d'œuvre En prison, dont M. Reynaldo
Hahn a rendu avec une rare force d'expression la
prenante désolation, ont obtenu de vifs applaudis-
sements que mérite autant l'art de diction que
l'art du chant des deux remarquables interprètes.
Le concert se terminait par un fragment de la
Carmélite qui nous a paru beaucoup moins intéres-
sant que les Lieder de M. Reynaldo Hahn. S.
— Le troisième Concert Populaire est fixé au
11-12 février, sous la direction de M. Sylvain
Dupuis et avec le concours de Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel, pianiste : Au programme, le
Prélude symphonique, op. 8, n° 2, de R. Gaetani
(première audition); deuxième symphonie de
Borodine ; troisième concerto, en ut mineur,
de Beethoven (Mme Kleeberg-Samuel); les Mur-
mures de la forêt de Siegfried, de R. Wagner;
Variations symphoniques pour piano avec accom-
pagnement d'orchestre, C. Franck (Mme Kleeberg-
Samuel) ; et l'ouverture du Vaisseau fantôme, de
R. Wagner.
— A l'occasion du septante-quinzième anniver-
saire de l'indépendance nationale, la ville de Spa
ouvre un concours national pour la composition
d'une œuvre lyrique inédite à exécuter en plein
air. Le livret de langue française (original ou tra-
duit) devra traiter d'un sujet patriotique de l'épo-
que de la Gaule (Ambiorix, Boduognat, etc.) ou
de quelque autre épisode glorieux de l'histoire
nationale (les 600 Franchimontois, etc ). Le con-
cours est accessible à tous les compositeurs belges,
sans limite d'âge.
Les partitions devront parvenir au secrétaire
communal de la ville de Spa au plus tard le 3 1
mai 1905.
Premier prix, 2,000 fr. ; deuxième prix, 1,000
francs ; troisième prix, 5oo fr. L'œuvre remportant
le premier prix sera seule représentée à Spa en
août 1905 avec le concours d'artistes de premier ;
ordre .
Les résultats du concours seront proclamés au
plus tard le 25 juin igo5. S'adresser au secrétaire
communal de la ville de Spa avant le 3i janvier
pour recevoir le règlement relatif à ce concours,
54
LE GUIDE MUSICAL
— Le maître Jan Blockx vient de terminer la
cantate destinée à être exécutée devant le Palais de
Justice au cours de la manifestation patriotique
inscrite au programme des fêtes du soixante-quin-
zième anniversaire de l'indépendance belge. Cette
cantate, dont Nestor de Tière a écrit les paroles,
sera interprétée par 2,000 exécutants. Le titre en
est : Jubelgalm.
— MM. Gevaert, Jan Blockx, Emile Mathieu et
Emile Wambach, inspecteur des écoles de musique
du royaume, viennent d'adresser une requête aux
bourgmestre, échevins et conseillers communaux
d'Ixelles, leur demandant de ne pas donner suite
an projet de réduction du subside alloué annuelle-
ment à l'Ecole de musique de cette commune.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le Théâtre .lyrique flamand
a donné la première en Belgique du Baiser
de Smetana. Déjà nous avions eu la Fiancée vendue
et Dalibor, du célèbre compositeur tchèque. Sans
avoir autant de valeur que le premier de ces
opéras, le Baiser est de beaucoup supérieur au
second. Le sujet en est assez étrange, mais la
musique est pimpante, colorée, expressive, tour à
tour tragique, spirituelle ou émue.
A noter, au premier acte, outre l'ouverture, où
deux thèmes principaux — un joli motif à trois
temps pour les violons et un motif rapide et léger
à deux temps — s'enlacent, s'enchevêtrent avec
un art extrême et une grande habileté orchestrale,
un joli duo d'amour, un chœur entraînant et une
berceuse admirable, fort bien chantée d'ailleurs
par Mme Judels-Kamphuyzen. Au second acte, j'ai
remarqué un lever de soleil d'une intense évoca-
tion symphonique et le finale, d'un beau brio.
L'interprétation a été assez bonne. Mettons hors
pair Mmes Judels, Arens et M. De Backer.
La Société des Nouveaux Concerts a donné
lundi sa seconde séance, dirigée par M. L. Mor-
telmans, avec le précieux concours du fameux
virtuose du clavier Edouard Risler. Comme d'or-
dinaire, le succès a été des plus. vif et des plus
mérité. M. Risler a joué le concerto en sol de
Beethoven, du Chopin, du Schumann et du Liszt.
Son talent, d'un si pur classicisme, a soulevé l'en-
thousiasme de l'auditoire.
Signalons parmi les œuvres exécutées par l'or-
chestre, excellemment stylé : Prélude et marche
finale du troisième acte de YApollonide de Franz
Servais, prélude de Parsifal et la symphonie n° 3
de Brahms. G. Peellaert.
BORDEAUX. — La symphonie en ré mi-
neur de César Franck ouvrait le programme
du quatrième concert donné par la Société Sainte-
Cécile; M. Pennequin en a su, comme les autres
années, traduire la splendeur, bien qu'à notre
sens, l'interprétation de Y allegretto ait quelque peu
traîné. Le voisinage de cette œuvre, qui exprime
si éloquemment les divers sentiments de l'âme
humaine et se termine en une sorte d'apothéose,
est bien redoutable, et, si un auteur ne peut être
qu'honoré d'avoir, pour compagnon de programme
César Franck, il risque de paraître terne après
lui. C'est ce qui est arrivé à M. Georges Hue, dont
YEdith au col de cygne nous a semblé manquer de
caractère. La légende anglo-saxonne comporte
une note intime dont M. Hue a plutôt entrevu
que réalisé complètement le charme profond. Les
dissonances de la dernière partie viennent à point
pour secouer l'auditeur; mais elles ont quelque
chose d'artificiellement brutal qui change sa
somnolence en cauchemar. Nous sera-t-il permis de
dire que nous avons goûté Edith au col de cygne beau-
coup moins que mainte autre œuvre de M. Hue?
Peut-être aussi Mme Chassang, dont nous appré-
cions fort le talent de chanteuse légère, n'a-t-elle
pas les moyens nécessaires pour défendre l'œuvre.
Mme Chassang a dû également forcer sa voix
fraîche et son talent de diction dans les Chansons
de Miarka, d'Alexandre Georges, qui réclament
un organe plus ample et plus dramatique.
M. Enesco, qui prêtait son concours au qua-
trième concert, a été acclamé comme exécutant et
applaudi comme compositeur. Les violonistes ne
nous ont pas fait défaut, cette année, à Bordeaux,
et -nous avons pu voir M. Enesco succéder à
M. Jacques Thibaud sans que celui-ci ait fait tort
à celui-là. Dans le concerlo de Beethoven, dans
les cadences de Joachim, M. Enesco a fait montre
d'un talent d'une infinie distinction, ainsi que d'une
exquise pureté de style. Ses pianissimi ont ceci de
particulier qu'ils donnent l'impression du recul
plutôt que d'un affaiblissement du son. Rappelé à
plusieurs reprises, M. Enesco a ajouté au pro-
gramme le prélude de la sixième sonate de Bach
pour violon seul, qu'il a interprété avec une
royale ampleur de style.
LE GUIDE MUSICAL
55
Le concert a été clôturé par la suite d'orchestre
du même Enesco, œuvre quelque peu diffuse et
d'une orchestration un peu opaque, mais très
séduisante cependant par son caractère de lan-
gueur et d'une sonorité très personnelle. Le
menuet lent, et surtout le trio du menuet, est une
page pleine de promesses, si toutefois ces pro-
messes ne sont pas déjà réalisées. H. D.
FRANCFORT-SUR-MEIN. — La vie
musicale semble très en progrés. Depuis
le mois d'octobre, il y a eu plus de cinquante
grands concerts, sans compter ni les séances de
musique de chambre, ni les concerts symphoniques
du Palmengarten et du Jardin zoologique. Parmi
les auditions les plus intéressantes, il faut signaler
le premier concert de l'orchestre de l'Opéra, dirigé
par M. Rottenberg, qui comprenait une nouveauté
de Goldmark, l'ouverture En Italie, jouée égale-
ment à Berlin, la deuxième symphonie de Beet-
hoven et l'ouverture d'Euryanthe. A cette même
séance, peu de temps avant son départ pour
l'Amérique, M. Eugène Ysaye a remporté un
succès triomphal dans le concerto en mi de Mo-
zart et le concerto en ré mineur de Max Bruch.
Le second concert, dirigé par M. Kunwald, n'était
pas moins intéressant avec le Concerto grosso n° 7
'de Haendel, Combat et Victoire, cantate pour
chœurs, soli et orchestre, de Weber, la Marche
impériale de Richard Wagner; la soliste, Mlle Edyth
Walker, s'est fait applaudir dans l'Océan de Weber
et la berceuse de Hugo Wolf.
Les concerts de la Société du Muséum ont donné
deux magnifiques séances sous la direction de
M. Siegmund von Hausegger, la première con-
sacrée à Schubert (avec la merveilleuse symphonie
en ut majeur), la seconde avec le concours de
Mme Maria Gay, très applaudie. Les soirées du
quatuor de la même société (MM. Heermann,
Rebner, Bassermann et Becker) se suivent avec
grand succès.
Signalons encore la grande impression produite
par l'audition de l'orchestre Lamoureux, dirigé
par M. Camille Chevillard, et les piano-récitals de
Mme Kwast-Hodaph, MM. Frédéric Lamond et
Max Pauer. G. T.
GENEVE. — Nous avons reçu la visite de
M. Sarasate, l'impeccable violoniste, puis
celle de la prestigieuse pianiste Mme Teresa Car-
reno.
Au troisième concert d'abonnement, on a
applaudi le violoniste M. C. Flesch, dans le con-
certo en mi majeur de j.-S. Bach, dans celui en ré
majeur de Paganini, dont la musique semble rede-
venir à la mode pour les virtuoses. Deux premières
auditions à signaler : Rapsodie pour grand orchestre
de M. J. Lauber et Cockaigne tla vie de Londres),
ouverture d'E. Elgar.
Le quatrième concert a été aussi très bien, avec
un remarquable programme d'orchestre et de bons
solistes. Comme premières auditions, on a entendu
La Plainte de Nausicaa, poème symphonique de
Ernst Boehe, puis le concerto en ré mineur pour
piano et orchestre de M. A. Meyer, chef d'orches-
tre des concerts d'abonnement de Saint-Gall.
M. Willy Rehberg, un brillant pianiste, a fait
valoir l'œuvre de M. Meyer, qui dirigeait lui-
même.
Les concerts populaires de M. Marteau pour-
suivent paisiblement leur cours. En fait de pre-
mières auditions, nous eûmes cinq Lieder de la com-
position de Paderewsky, que Mlle Holmstrand a
chantés. Ces pièces de M. Paderewsky sont plutôt
de petits concertinos pour piano avec accompa-
gnement d'une voix, très intéressamment travaillés
et d'un agréable sentiment.
Le concert donné par le chœur mixte de Saint-
Antoine, sous la direction de M. Th. Jauch, a
donné de bonnes interprétations d'œuvres de Pa-
lestrina, Bach, Brahms, Draesecke. Le pro-
gramme était complété par des soli de M. Eugène
Reymond, le violoniste bien connu, en pleine
possession de son beau talent. M1Ie Poowdy s'est
montrée accompagnatrice distinguée.
M. Jaques-Dalcroze a donné deux auditions
populaires des ses nouvelles Chansons de route, très
applaudies.
Au théâtre, on a donné successivement deux
opéras de Massenet : Le Jongleur de Notre-Dame et
Grisélidis. "
Pour finir, mentionnons le grand concert de
Noël donné par M. O. Barblan, organiste de la
cathédrale de Saint-Pierre, avec le concours de
Mme Marie Mayrand et de M. A. Rehfons, violo-
niste. Au programme, des œuvres de Piutti, Haen-
del, Schùtz, Bach, Franck, Nardini, Locatelli,
A. Guilmant, J. Tiersot et Liszt. H. Kling.
XIEGE. — La représentation au profit de
_J l'Association française de bienfaisance est
depuis nombre d'années une des plus brillantes
de la saison théâtrale. L'affiche portait : Reprise
de la Dame blanche, avec le concours de M. Clé-
ment. » On sait avec quelle perfection vocale et
scénique le séduisant ténor a ressuscité le rôle
de Georges Brown. Aaussi, toute la soirée n'a
56
LE GUIDE MUSICAL
été qu'un enchantement. A ses côtes, Mme Dan-
gerville (Anna) s'est montrée excellente chanteuse
et comédienne. Mlle Courbière est une gentille
fermière; M. Boussa, un Gaveston suffisamment
ténébreux. L'orchestre et les chœurs ont fait
preuve de délicatesse.
M. Jan Blockx a conduit, mercredi dernier,
matin et soir, deux répétitions de la Fiancée de la
mer; il s'est déclaré fort satisfait de la distribution
des rôles et des soins apportés par le chef d'or-
chestre. M. Mathieu Lejeune, dans l'étude de sa
partition. Il a promis de prendre la direction de la
première, dont la date est prochaine. A. B. O.
r A HAYE. — Le quatrième et dernier con-
I j cert de la société Diligentia a été un des plus
intéressants de la saison. Deux solistes de premier
ordre, Mmes Kleeberg-Samuel et Adrienne -von
Kraus-Osborne, et un programme orchestral intel-
ligemment composé. Mme von Kraus-Osborne, qui
s'est imposée en Hollande dès sa première appa-
rition l'an dernier, y a de nouveau reçu l'accueil
le plus enthousiaste. Sa belle voix de contralto, sa
superbe diction, son expression saisissante, ont fait
grande impression. Elle a chanté deux airs de
Haendel, quatre Lieder de Weber, de Brahms et de
Hugo Wolff. Mme Kleeberg-Samuel a joué avec
une perfection incomparable le second concerto
de Chopin, après lequel la grande artiste a été
longuement ovationnée et, dans la seconde partie,
elle a joué Y Impromptu de Schubert, le Presto de
Mendelssohn et les Abeilles de Dubois, et en bis,
une romance sans paroles de Mendelssohn.
Comme programme orchestral, l'ouverture en ré
majeur de Haendel, réorchestrée par Wùllner, la
première symphonie de Beethoven, la Marche impé-
riale de Wagner, et comme nouveauté, Ein Màrchen,
pour instruments à cordes, deux hautbois et deux
cors, de Nicodé, une œuvrette charmante d'une
grande simplicité, orchestrée de main de maître.
Grand succès d'exécution pour l'orchestre et ova-
tions bien méritées pour M. Mengelberg à la fin
du concert.
A la cinquième matinée symphonique donnée
avec le Residentieorkest, M. Viotta nous a fait
entendre la quatrième symphonie de Beethoven,
l'ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner, deux
morceaux de la suite de Peer Gynt de Grieg et
l'ouverture d 'Iphigénie en Aulide de Gluck. L'exécu-
tion de la symphonie a été surtout chaleureuse-
ment accueillie. Comme soliste, nous y avons
entendu Mme Viotta- Wilson, qui, avec sa belle voix
de mezzo-soprano, a chanté une scène dramatique, .
Iphigénie, de Coster, compositeur néerlandais, mort
récemment à Arnhem, les Rêves de Wagner et un
Lied bien tourmenté, bien touffu, Befreit, de
Richard Strauss.
Nous avons eu en Hollande déjà l'incomparable
Quatuor tchèque, le Quatuor parisien, le Quatuor
Becker-Heermann, le Quatuor Schôrg, et voilà
maintenant le Quatuor Rosé de Vienne, MM. Rosé,
Bachrich, Ruzitska et Buxbaum, qui a exécuté trois
quatuors de Beethoven : le quatuor en sol majeur,
op. 18, le quatuor en mi bémol, op. 14, et le qua-
tuor op. i3i. L'exécution des deux premiers qua-
tuors a été supérieure, tandis que dans le quatuor
op. i3i, nous préférons les Tchèques.
Il me reste encore à vous signaler le succès
triomphal obtenu par l'éminent violoniste Hugo
Heermann à Arnhem, dans un nouveau concerto
du jeune compositeur Frédéric d'Erlanger, un
ouvrage d'un beau coloris et à grand effet, qui
accuse un compositeur de grand talent.
Ed. de H.
STRASBOURG — Elle reste captivante
au possible, la cinquième symphonie, en mi
mineur, de P. Tschaïkowsky interprétée aussi
chaleureusement qu'elle l'a été mercredi dernier
par notre orchestre municipal, sous la conduite
de M. F. Stockhausen.
Tout, en effet, y est intéressant, malgré certaines
longueurs du mouvement final, que le maître
russe a trop développé. Elle impressionne par son
expression mélancolique, par son caractère rêveur
et tout élégiaque, qui frappe surtout dans son
andante cantabile, dont le thème n'est bâti que sur
quatre notes, avec intervalles de sixte mineure
de la première à la seconde, de quarte juste de
la deuxième à la troisième, et de seconde majeure
de la troisième à la dernière note.
Le cor, fort bien joué mercredi par M. Jules
Henry, en dessine le motif, qui se répète souvent,
partagé entre les différents instruments, sans que
l'oreille en soit fatiguée. L'exécution du concerto
en sol mineur de Haendel a été moins heureuse ;
c'est un des sept concerii grossi pour orchestre à
cordes que le maître de Halle avait écrits en
1739. Des œuvres de cette nature, pour l'expres-
sion juste de leur style simple, réclament avant
tout une exécution d'un fini absolu, permettant
de mettre pleinement en relief les détails, parfois
LÉ GUIDE MUSICAL
57
inattendus, qui sont dévolus tant à la partie
1 accompagnante qu'à celle des deux violons et du
violoncelle soli. Ce fini a malheureusement fait
défaut dans l'ensemble de l'interprétation, dont
la partie solo proprement dite a été rendue par
MM. Schuster, Nast et Mawet.
L'ouverture du Carnaval d'Antoine Dvorak,
plus familière à notre orchestre municipal, et dans
laquelle le maître tchèque développe d'une ma-
nière si ingénieuse tous ses procédés harmoniques,
a, par contre, brillamment clôturé ce concert, qui
avait débuté si mollement.
Mme Maria Gay, qu'on a entendue pour la pre-
mière fois à Strasbourg mercredi dernier, a obtenu
un grand succès.
D'une grande portée d'effet dans les passages à
caractère dramatique, tels que ceux de la superbe
invocation « Divinités du Styx », d'Alceste, de Gluck,
par laquelle la cantatrice a remplacé l'air, annoncé,
de Paride ed Elena, la voix de Mme Maria Gay a des
inflexions caressantes dans « Nasce al bosco »
d'Ezio, de Haendel, un des plus beaux airs qui
soient au répertoire de contralto. On ne l'avait
jamais entendu ici, au concert, cet air que J. F.
Haendel avait écrit en 1733 pour son « opéra séria »
Ezio (sEtius), représenté à Londres. Mme Maria
Gay, qui l'a chanté avec un bon style et un phrasé
sobre et large à la fois, s'est produite ensuite dans
une série de mélodies avec piano : Per la Gloria, de
Buononcini (né à Modane en 1660, mort en 1750),
Caro mio ben, de Giordani, compositeur napolitain
(7 1794); Les Berceaux de Gabriel Fauré, et Mélodie
catalane, de M. Gay. Ce choix de compositions mu-
sicales, en dépit de sa variété, n'a pas, — il faut,
en toute franchise, en faire la remarque — été
entièrement favorable à la soliste.
Non point que M'"e Maria Gay n'y ait fait preuve
d'un parfait esprit musical, mais certaines particu-
larités d'articulation et de diction ont quelque peu
atténué le charme de cette riche voix d'alto, à
laquelle, toutefois, l'étude n'a peut-être pas fourni
encore tout le complément de l'égalité absolue,
lui permettant de briller au même degré dans les
morceaux les plus opposés du genre. A. O.
NOUVELLES
Le théâtre San Carlo, de Lisbonne, annonce
pour cette saison : Grisélidis, Thaïs, La Cabrera,
Manuel Menendez, Tannhàuser, Lohengrin, Le Roi de
Lahore, Werther, Manon, Les Huguenots, Guillaume
Tell, Aida, Don Carlos, Mefistofele, Macbeth, Othello,
Marie de Rohan, Il Giuramento (Mercadante), Les
Vêpres siciliennes, Faust, La Gioconda, La Tosca.
— Le deuxième concert Weingartner, à Munich,
était exclusivement consacré à Shakespeare. Le
programme comportait Hamlet de Li?zt, l'ouvertuf è
de Béatrice et ' Bénédict de Berlioz, Le Roi Lear de
Weingartner, deux fragments de Roméo et Juliette de
Berlioz et Macbeth de Strauss.
— La nouvelle Société Bach a acquis à Eise-
nach, pour la somme de 26,000 marks (32, 5co fr.),
la maison natale de Jean-Sébastien Bach; elle
compte y ouvrir un musée consacré aux souvenirs
du maître.
— L'Opéra royal de Berlin, malgré deux mois
d'interruption, a monté 49 ouvrages en 1904, dont 6
en un acte : Le Départ d'Eugène d'Albert, Cavalle-
ria rusiicana de Mascagni, La Navarraise de Masse-
net, Monsieur le Directeur de Mozart, Le Mariage
aux Lanternes d'Offenbach et Feuersnoi de Richard
Strauss. Les 25o représentations se décomposent
en i35 d'œuvres allemandes (y compris Mozart et
Gluck), 72 d'œuvres françaises (y compris Meyér-
beer et Offenbach) et 49 d'œuvres italiennes.
Wagner vient en tête avec ro œuvres et 65 soirées;
Mozart, 4 œuvres et 18 soirées; Leoncavallo,
2 œuvres et i5 soirées; Lortzing, 4 œuvres et
n soirées; Gounod, 2 œuvres et 9 soirées; Verdi,
2 œuvres et 6 soirées. On a monté en outre une
œuvre, de chacun des compositeurs suivants :
d'Albert [Le Départ), Beethoven (Fidelio), Bizet
[Carmen), Boïeldieu (La Dame blanche), Brùll [La
Croix d'or), Gluck (Armide), Humperdinck (Hànsel
et detel), Kienzl (Evangelimann), Mascagni (Cavalle-
ria rusticana), Offenbach (Le Mariage aux Lanternes),
Nicolaï [Les Joyeuses Commères de Windsor), Rossini
(Le Barbier de Séville), Saint-Saëns (Samson et Dalila),
Richard Strauss (Feuersnot) Ambroise Thomas
(Mignon) et Weber (Freischùtz).
Lohengrin, le Barbier et Mignon ont eu 14 repré-
sentations; Manon, i3; Cavalleria, 12; les Maîtres
Chanteurs 10; la Dame blanche, Paillasse et les
Joyeuses Commères, 9 ; Hànsel et Gretel et le Vaisseau
fantôme, 8 ; Carmen et Freischùtz, 7 ; Fidelio, les Noces
de Figaro, Tannhàuser, Samson et Dalila et Roland de
Berlin, 6; la Flûte enchantée, Tristan, la Walkyrie,
Siegfried et Faust, 5.
Parmi les cinq ballets montés, Coppélia de De-
libes, a été joué 19 fois, et Javotte, de Saint-Saëns,
5 fois.
— Le théâtre de Ratisbonne vient de monter
avec un très grand succès la première partie des
Troyens de Berlioz.
58
LE GUIDE MUSICAL
— La Bibliothèque royale et nationale de Munich
vient d'acheter à la vente des collections du châ-
teau de Miltenberg. pour la somme de 3,4o5 marks
(4,256 francs), le manuscrit des Chants de maître
de Hans Folz, le célèbre précurseur de Hans
Sachs.
— La Société des Amis de la Musique, de
Vienne, vient d'ouvrir, parmi les élèves qui ont
fréquenté son conservatoire pendant les dix der-
nières années, un concours de composition ; toutes
les œuvres : opéra, oratorio, cantate, symphonie,
sonate et concerto, seront admises. Un prix de
2,000 couronnes est réservé à celle qui sera jugée
la meilleure.
— Le Faust de Gœthe a inspiré jusqu'à présent
treize versions dramatiques : en 18 14, en Hongrie,
par Strauss; en 1818, à Francfort, par Spohr;
en 1820, à Vienne, par Seyiried; en i825, à Paris,
par Béancourt (livret de Theolon et Gondelier), et
en i83i, par Lindpaintner ; en 1834, à Bruxelles,
par Pellaerts; en i835, à Liège, par Hennebert;
en i826, à Dusseldorf, par Julius Kietz; en i85o,
à Londres, par J.-L. Hatt; en i85o, à Paris, par
Gounod; en 1872, à Schwerin, par F. von Roda;
en 1874, à Weimar, par Ed. Lassen; en 1887, à
Munich, par H. Zollner.
Et nous ne comptons ni la Damnation de Faust
de Berlioz, ni le Mefistofele de Bo'ito, etc.
•'- — Nous apprenons de bonne source que l'on
songe à construire à Ostende un théâtre sur le mo-
dèle du Prinz Régent Theater de Munich; une
société anonyme est en voie de formation. Une
partie des capitaux est déjà réunie, il y a option
pour le terrain et l 'avant-projet des plans est
terminé.
Le théâtre serait prêt pour la saisoa d'été 1906.
On y jouerait le répertoire wagnérien, et les
fondateurs se sont assuré, pour la direction artis-
tique, le concours de M. E. Van Dyck.
Le lendemain des drames lyriques, le théâtre
sera occupé par une troupe chorégraphique ita-
lienne, qui exécutera de grands ballets.
— D'après le Trovatore, Mme la générale Par-
mentier, née Teresa Milanollo, dont nous avons
récemment annoncé la mort, laisse sa fortune
personnelle, en parts égales, aux Conservatoires
de Paris et de Milan, pour constituer des bourses
en faveur des élèves- des classes d'instruments à
cordes.
— On nous écrit de Londres que sir Edward
Elgar fera entendre cette année trois œuvres nou-
velles : une symphonie qui sera exécutée aux Con-
certs Halle, à Manchester, sous la direction de
M. Hans Richter; la troisième partie de l'oratorio
Les Apôtres, probablement au festival de Sheffield,
et enfin un grand ballet-pantomime : Gargantua et
Pantagruel.
%
— Le sâr Mérodack Joséphin Péladan qui,
depuis qu'il s'est fait couper les cheveux, signe
Péladan tout court, publie, dans le dernier
numéro de Y Europe artiste, un article sur César
Franck dans lequel il est surtout question d'autre
chose.
Il commence par reprocher violemment au
monde entier de l'avoir laissé pendant des années
dans l'ignorance des œuvres de ce grand maître ;
ensuite, il vitupère contre toutes les « pécores
du piano, élèves du père Franck, qui se félici-
tent et se féliciteront longtemps de cette cir-
constance qui leur donne une sorte de prestige
et qui démontre une fois de plus combien la
femme est aveugle et sourde à toute supériorité non
patentée » ; plus loin, il accuse le curé de Sainte-
Clotilde d'avoir, lors de la récente inauguration
du monument, « parlé si négligemment que nul
n'a entendu un mot de son vague discours, qui
aurait dû être un grand mea culpa » ; il s'attaque
ensuite au comité de musiciens qui accepta un
monument tel « qu'il faudrait tout ignorer ou
tout oublier pour l'apprécier » ; il rappelle en outre,
non sans complaisance, que Franck a été vengé
par lui de tous les oublis, le jour où il lui dédia en
termes amphigouriques son roman L'Andrpgyne, et,
enfin, tout à la fin même, il consent à parler de
César Franck. Mais cela dure peu, car, à peine
l'a-t-il comparé à Wolfram d'Eschenbach qu'il
s'attaque, cette fois, aux admirateurs du maître,
leur reprochant presque leur enthousiasme ou,
du moins, déclarant qu'il n'y comprend rien. Le
morceau, cependant, vaut la peine d'être cité :
« Franck est un Wolfram d'Eschenbach et son
art ressemble à celui du Minnesinger de la Wart-
burg ; même beauté d'âme sans violence, même
sagesse, même essor.
» On se demande pourquoi Elisabeth ne donne
pas son cœur à ce chevalier-poète si semblable
à elle-même et préfère l'ardent Tannhâuser, si
fougueux dans le péché, si héroïque dans le
repentir. La réponse se trouve dans l'analogie
des contraires, et le succès tardif de Franck dans
le monde esthétique provient précisément de la
paix qu'il dégage, qui rafraîchit et détend la sensi-
bilité exacerbée....
LE GUIDE MUSICAL
59
n ...Une œuvre, musicale surtout, est une confes-
sion lyrique ou plutôt une confidence ! Franck
ne nous avoue que de nobles états d'âme, de
calmes pensées, des sentiments généreux et un
mélange d'enthousiasme et de renoncement tout
à fait étrange. Je m'étonne que le public se plaise
aux accents candides et frais d'un tel cœur, qui a
subi l'injustice sans révolte et donné, avec des
chefs-d'œuvre, un magnifique exemple. »
— Plusieurs journaux anglais annoncent que
MM. Ricordi et Cie, les grands éditeurs de Milan,
auraient l'intention de créer un prix de 5oo livres
sterling (i2,5oo francs) en faveur du meilleur opéra
anglais. L'œuvre serait en outre représentée à
Covent-Garden.
— On nous écrit de Montreux pour nous signaler
le grand succès obtenu par M. Oscar Juttner et
son excellent orchestre dans l'exécution de la Sym-
phonie funèbre de Gustave Huberti, en trois parties :
La Mort, Scène fantastique au cimetière et Con-
solation. L'œuvre a fait grande impression. Un
journal musical suisse trouve que la première
partie de cette œuvre semble quelque peu inspirée
du poème symphonique de Richard Strauss Mort
et Transfiguration; rappelons à ce propos que
M. Huberti a composé sa symphonie en 1882, bien
avant le poème de Strauss.
— Au concert de Noël donné dans la cathédrale
de Berne, on a particulièrement apprécié les dons,
le talent et l'excellente méthode de Mlle Eisa Ham-
burger, dont la voix de soprano a des sonorités
d'une pureté et d'une facilité charmantes dans les
registres élevés. Elle a interprété le Psaume VIIIme
de Mercello et deux œuvres avec orgue et chœurs
des xive et xvne siècles.
— De Varsovie : « Le prix Valodkovicz, de
5,ooo roubles, institué pour récompenser, à la
suite d'un concours, le meilleur opéra, a été
attribué à l'œuvre intitulée Maria, poème d'après
Malczevski, musique de Romain Statkovski. »
BIBLIOGRAPHIE
Vient de paraître chez C.-F. Kahnt, à Leipzig,
le Psaume nj, double chœur a capelïa, et chez
Sandoz-Jobin et Cie, à Neuchâtel, Deux chœurs pour
voix d'hommes, composés par M. Otto Barblan,
l'éminent organiste de Genève. En ces œuvres
nouvelles, le compositeur a montré plus que jamais
sa science de contrapuntiste jointe à la plus heu-
reuse inspiration.
— La revue d'art Durendal vient de publier en tiré
à-part l'intéressante étude de son collaborateur
M. Joseph Ryelandt : Les dernières sonates pour
piano de Beethoven, avec citations musicales. Prix,
fr. i.5o. En vente chez les éditeurs de musique
ou au bureau de la revue Durendal, 22, rue du
. Grand- Cerf, Bruxelles.
NECROLOGIE
Le baryton Frank Celli, qui avait obtenu de
très grands succès en Angleterre, est mort subite-
ment à l'hôpital de Charing Cross, à Londres. Il fit
partie de la célèbre troupe d'opéra fondée par
Cari Rosa en 1875; le rôle du Toréador, dans
Carmen, était l'un de ses triomphes. Il était le frère
de l'acteur Hubert Standing, mort il y a quelques
années, et de Mme Hélène Standish, un contralto
célèbre, morte en 1891.
flManos et ffoarpes
Bruxelles : 6, rue ^Latérale
Iparis : rue ou flfcail, 13
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 15 janvier. — Concerts Colonne : Symphonie
fantastique de Berlioz ; Manfred de Schumann .
— Concerts Lamoureux, sous la direction de M. Ca-
mille Chevillard. Programme : Symphonie en ut mineur
(Beethoven) ; V Amour sacré et l'Amour profane (E.
Malherbe); Concerto pour violoncelle (Schumann) :
M. Pablo Cazals; Schéhérazade (Rimsky-Korsakow) ;
Indroduction du troisième acte de Lohengrin (Wagner) .
— Conservatoire : Sixième concert de la Société des
Concerts, sous la direction de M. Georges Marty. Pro-
o-ramme : i. Symphonie en mi bémol, n° 3 (Schumann);
2. La Mort de Jeanne d'Arc (M. Ch. Lenepveu), fragment
du drame lyrique de M. Paul Allard; 3. Concerto pour
piano (M. Rimsky-Karsakow), première audition :
M. Ricardo Vinès ; 4. Le Rouet d'Omphale, poème sym-
6o
LE GUIDE MUSICAL
phonique (M. C. Saint-Saënsl; 5. Gloria Patri, double
chœur sans accompagnement (Palestrina) ; Ave Verum
(Mozart); 6. Ouverture d'Egmont (Beethoven).
— Théâtre Marigny : Dixième concert de l'Associa-
tion artistique des Concerts Le Rey, sous la direction de
M. Paul Viardot. Programme : Dans la Forêt, sympho-
nie descriptive (Joachim Raff); Fragments de la mu-
sique de scène pour Ramsês, drame en un acte, en vers,
de M. J. de Pesquidoux (Paul Vidal), sous la direction
de l'auteur : Mlle Lucy Arbell, M. Grass; Concerto pour
violoncelle (Edouard Lalo) : M. Henri Richet; Deux
mélodies pour chant (Paul Vidal) : Mlle Arbell, accom-
pagnée par l'auteur; Peer Gynt, suite d'orchestre (Ed.
Grieg).
Dimanche 15 janvier. — Salle Erard : Union des
artistes russes, Concert de bienfaisance.
Jeudi 19 janvier. — Nouveau-Théâtre : Troisième
concert de l'Association des Concerts Cortot. Prologue
du Crépuscule des Dieux; Festklànge, F. Liszt; Rapsodie
moderne, Victor Vreuls; Concerto pour violon, Beet-
hoven (M. A. Forest); Les Béatitudes, n° 4, C. Franck.
Mardi 24 janvier. — Salle des Concerts, rue d'Athènes :
Société philharmonique de Paris : Mme Jeanne Raunay,
MM. Sappelnikoff et Henri Marteau.
BRUXELLES
Lundi 16 janvier. — Salle des fêtes de l'Ecole commu-
nale : Concert à l'occasion de la distribution des prix
de l'Ecole de musique de Saint-Josse-ten-Noode. Au
programme : Cantate (Psaume i3o), J.-S. Bach, Air de
Cosifan tutte, Mozart; Rondes enfantines, Jaques-Dalcroze
et G. Huberti; Hélas! pourquoi? chœur, Th. Ysaye-
Mess; Printemps, A. Dupuis; L'Enlèvement, Saint-Saëns;
Armidi (troisième acte), Gluck.
Mardi 17 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
deuxième concert de la Société symphonique des
Nouveaux Concerts, sous la direction de M. Delune,
avec le concours de M." P. Marsick, violoniste. Au
programme : ouverture des Noces de Figaro, Mozart;
concerto en ré pour violon avec accompagnement d'or-
chestre, Beethoven; première symphonie en si bémol,
Schumann ; Le Trille du Diable, Tartini ; Marche Hon-
groise de la. Damnation de Faust. Berlioz.
Mercredi 18 janvier (à 4 1/2 heures). — Salle Gaveau :
Une heure de musique, par Mme Bathori et M. Engel. Ré-
cital Bourganlt-Ducoudray, avec le concours de l'auteur
et de M. Georges Pitsch, violoncelliste.
Jeudi 19 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Premier concert de la Caméra (directeurs : MM. Charles
Bordes et Victor Vreuls), avee le concours de Mlles Ma-
rie de la Rouvière, Marie Pironnet; MM. Louis Bour-
geois, Jean David, Albert Zimmer, violoniste, et les
Chanteurs de Saint-Gervais de Paris. Au programme :
Concerto en la mineur pour violon et orchestre, J.-Séb.
Bach (M. Albert Zimmer); Trois chansons françaises
du xvie siècle, Guillaume Costeley, Roland de Lassus,
Clément Jannequin (les Chanteurs de Saint-Gervais);
Orphée, cantate de cbambre aveG symphonie (1710),
Nicolas Clérambault, (Mlle Marie de la Rouvière);
Trois chansons à boire, dédiées à la duchesse de Bour-
gogne (1710), M. de Bousset (les Chanteurs de Saint-
Gervais et l'orchestre); Cantate sur l'abus du café, J.-Séb.
Bach (Mlle Marie Pironnet, MM. Louis Bourgeois et
Jean David). Le continuo réalisé par Alex. Guilmant
sera tenu par M. Philip.
Vendredi 20 janvier. - Salle de la Grande Harmonie :
Concert artistique, au profit de l'Œuvre des petits lits,
sous la présidence d'honneur de Mme la princesse Clé-
mentine, avec le concours gracieux de Mme Félia Lit-
vinne, soliste de S. M. l'empereur de Russie, MM.
Jacobs, violoncelliste et Prosper de Wit, monologuiste.
Intermède d'escrime par les élèves de M. Fernand
De Smedt, maître d'armes de S. A. R. le prince Albert
et par Mlle Virginia De Smedt.
Vendredi 20 janvier. — Au Cercle artistique et litté-
raire, le Théâtre de Verdure au XV II le siècle, sous la direc-
tion de M. Charles Bordes. La Guirlande, pastorale-
ballet de Rameau; ballet du cinquième acte à'Armide
de Gluck.
Mardi 24 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Récital de piano donné par M. Edouard Barat. Au pro-
gramme : Bach, Beethoven, Mendelssohn, Schumann,
Schubert, Chopin.
Mercredi 25 janvier. — Salle Allemande (rue des Mi-
nimes) : Première séance du Quatuor Zimmer Au
programme : Quatuor en rè majeur, op. 76, Haydn;
Quatuor en fa majeur, op. i35, Beethoven; Quatuor en
ut mineur, op. 5i, Brahms.
Jeudi 26 janvier. — Salle de l'Hôtel Scheers : Séance
de musique de chambre donnée par MM. Marcel Jorez,
violoniste, Maurice Du Jardin, pianiste, Albert Jans-
sens, violoncelliste, avec le concours de M. Georges
Surlemont, baryton. Au programme : A. Arensky,
Hasndel, E. Grieg, Beethoven, Schumann, N. Gade.
Samedi 28 janvier. — Salle Erard ; Piano-récital donné
par Mlle Jeanne Maison. Au programme : Beethoven,
Mozart, Rameau, Scarlatti, Chopin, Liszt, Radoux et
Saint-Saëns.
— Salle de la Grande Harmonie : A 2 1/2 heures
précises de l'après-midi, concert par M. Henri Merck,
violoncelliste, avec orchestre sous la direction de M. I.
Albéniz. Au programme : Prélude de Merlin, drame
lyrique, première journée de la Trilogie du Roi Arthur,
I. Albéniz; Concerto en mi mineur, pour violoncelle et
orchestre, V. Herbert (M. Henri Merck); Aria, Bach,
Elégie, G. Fauré; (M. Henri Merck); Variations sym-
phoniques, pour violoncelle et orchestre, Boëllmann
(M. Henri Merck); Catalonia, I. Albéniz.
ANVERS
Lundi 16 janvier. — Société royale d'Harmonie : Con-
cert d'orchestre avec le concours de M. Raoul Pugno,
pianiste, et de Mme Vierne-Taskin, cantatiice.
Mercredi 18 janvier. — Société royale de Zoologie, à
8 1/2 heures du soir, concert sous la direction de
M. Edw. Keurvels. Programme : 1. Polyeucte (La Fête
dans le temple de Jupiter), Ed. Tinel; 2. Stella (intro-
duction et rêve, du drame lyrique), H.Waelput; 3. Char-
lotte Corday (fragments du drame lyrique), Peter Benoit;
4. La Mer (poème symphonique), Paul Gilson.
Mercredi 25 janvier. — Société royale de Zoologie :
Festival Waelput (soli, chœur mixte et orchestre).
LIEGE
Mardi 24 janvier. — Salle Renson : Première séance
du Quatuor Zimmer avec le concours de M. Jaspar,
pianiste. Programme : Quatuor en ut majeur, Mozart;
Quatuor en ré mineur, Schubert; Quatuor en ut mineur,
Gabriel Fauré.
NANCY
Dimanche 15 janvier. — Ouverture à'Egmont, Beethoven;
deuxième symphonie en si bémol, V. d'Indy; concerto
en mi pour violon et orchestre, J.-S. Bach (M. Jean ten
Hâve); ouverture à'Iphigénie en Aulide, Gluck.
TOURNAI
Dimanche 22 janvier. — Société de musique (Halle-aux-
Drapsj, à 4 heures, concerts de musique belge ; Rubens.
Cantate de Peter Benoit et Patria de Radoux.
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Prière d'indiquer lisiblement l'adresse de destination et de bien spécifier la gravure
que l'on désire
I.
II.
III-
Si^e année. — Numéro 4.
Notre rédacteur en chef parisien,
M. Hugues 1MBERT, a succombé di-
manche à Paris, aux suites de l'opéra-
tion qu'il avait eu à subir.
Nos regrets sont profonds. Le Guide
Musical perd en lui le plus précieux des
amis, le plus dévoué des collaborateurs.
M. Henri de Curzon, qui lui succède
à la tête des services parisiens, rappelle
plus loin les mérites et les travaux de
Hugues Imbert.
Ici, nous ne voulons qu'exprimer l'af-
fliction où nous plonge la disparition de
l'homme exquis, de l'ar-
tiste sincère, de l'écri-
vain plein de tact que
fut celui que nous pleu-
rons. Ce n'est pas à nos
lecteurs, qui ont suivi
avec intérêt ses travaux,
qu'il faut dire la justesse
de jugement, le goût
épuré, la délicatesse de
sentiments, l'urbanité
constante, la courtoisie
bienveillante qu'il appor-
tait dans son œuvre de
critique.
Lettré très averti, ama-
teur passionné de peinture, il aimait par-
dessus tout la musique. Au courant de
toutes les questions esthétiques qui
préoccupent les présentes générations
artistiques, il fut toujours du bon com-
bat contre les routines et les résistances
de l'art conventionnel.
C'était un craintif courageux; mais,
s'il hésitait, c'est qu'il craignait de frois-
ser le sentiment d'autrui qu'il jugeait
aussi respectable que le sien; une fois la
situation prise et la position affirmée, il
défendait avec fermeté et douceur les
convictions qui formaient sa foi artis-
tique. Et celle-ci fut toujours de l'ordre
le plus élevé.
Instruit dans les plus pures traditions
classiques, il fut le premier en France à
se dévouer aux jeunes artistes qui, sacrés
maîtres aujourd'hui, luttaient naguère
contre l'aveuglement de la critique rétive
et les engouements les plus fâcheux du
public.
A l'heure où la majorité leur était
hostile, il était aux côtés de Georges
Bizet, d'Em. Chabrier, de Camille Saint-
Saëns, de Lalo, de Vincent d'Indy, de
César Franck, de Delibes, de Castillon,
de Fauré et de combien d'autres! Plus
tard, il fut avec la même
clairvoyance l'initiateur
et le propagateur des
maîtres étrangers dont
l'art correspondait à son
idéal élevé : R. Schu-
mannj. Brahms, Tschaï-
kowsky, Ed. Grieg, etc.
C'est un mérite rare qui
ne peut lui être disputé,
et nous considérons
comme un grand hon-
neur pour cette revue de
l'avoir eu depuis une
quinzaine d'années com-
me collaborateur assidu,
puis comme directeur et rédacteur en
chef pour la France.
Avec lui disparaît une des personna-
lités les plus attachantes de la critique
musicale en France. Entouré de la sym-
pathie et du respect de tous, aucune
rancune ne ternira sa mémoire et c'est
le plus bel éloge qu'on puisse faire de
son caractère. Intelligence d'élite, cœur
plein de mansuétude et de bonté, nous
ne pouvons assez dire combien est pro-
fonde la douleur que nous cause sa perte
si brusque.
Le Guide Musical.
BBI
64
LE GUIDE MUSICAL
IUGUES IMBERT
ugues Imbert n'est plus ! et la
plume me tombe des mains à
devoir, à cette même place où
son nom, voici quinze jours à
peine, signait un dernier article, tout vibrant
de cette passion de l'art qui résume sa vie,
annoncer sa mort et dire quelle perte nous
avons faite. Voici quinze jours à peine, nous
entendions sa voix cordiale évoquer les impres-
sions profondes et souveraines que donne la
musique à qui sait l'entendre, que ménage la
nature à qui sait la voir. Nous le rencontrions,
plein d'ardeur, sinon de forces, tout à la joie
de quelque travail à la gloire de l'art, ou, dans
un but moins spéculatif, tout empressé à faci-
liter la voie à quelque artiste, à soulager
quelque infortune... La mort est venue bien
brusque à qui savait goûter de la vie ce qu'elle
offre de plus noble et de plus élevé; elle a été
dure à qui n'épargnait aucun effort, aucune
démarche pour rendre service et pour obliger !
Hugues Imbert est né à Moulins-Engilbert
(Nièvre), le n janvier 1842 : il venait donc
d'achever sa soixante-troisième année. Petit-
fils d'un officier supérieur, c'est entre les mains
de son père qu'il commença une solide éduca-
tion, terminée au Collège Sainte-Barbe, à Paris.
Sa carrière proprement dite, qui commença de
très bonne heure, s'est entièrement accomplie
à l'Hospice national des Quinze- Vingts, autre-
ment dit des Aveugles, dont il était le sous-
directeur quand il prit sa retraite, il y a quatre
ans. Mais ces occupations, auxquelles il s'était
toujours attaché avec une entière sollicitude, ne
l'avaient pas empêché de vouer, dès son plus
jeune âge, un véritable culte à tout ce qui est
beau. Il avait voyagé un peu partout, enivrant
ses regards, meublant sa mémoire, notant ses
impressions et se formant pour plus tard un
style d'écrivain. En même temps, il collection-
nait, il consacrait ses moindres économies à
acquérir des œuvres d'art, peintures ou bibelots,
faïences ou ivoires, dessins ou gravures rares;
il avait créé peu à peu autour de lui, dans son
sancluaiie de célibataire dilettante, un petit
musée exquis, marqué d'un goût sûr et diffi-
cile.
Mais ce goût, qu'il avait affiné au contact
d'artistes tels que Fantin-Latour, il l'avait
surtout développé et formé de bonne heure en
musique ; car c'est à son père, très musicien,
qu'il dut les premières leçons générales de cet
art, et aussi l'étude du violon, qu'il poussa
ensuite fort loin, avec Faucheux, puis Richard
Hammer. Des études personnelles, ou en com-
pagnie d'artistes et d'amis de valeur (il aimait à
citer Chabrier et Léonce Mesnard, entre
autres), le familiarisèrent avec tout le domaine
de la musique de chambre, qui resta pour lui,
ainsi que la musique symphonique, l'idéal
même de l'art des sons, la musique pure.
Quel que fût d'ailleurs l'enthousiasme dont
son âme était remplie par cet art, il n'oubliait
jamais les autres, il tenait à les rapprocher à
l'occasion, à les éclairer l'un par l'autre, et il y
joignait volontiers la poésie. Aussi, quand il se
résolut à écrire, assez tard et longuement pré-
paré, son style d'écrivain et de critique porta
naturellement le reflet de cette vision complexe
et brillante d'art et de poésie qui donnait une
valeur plus générale à ses façons de voir et à
ses appréciations.
Cette critique, très droite, très entière, ex-
pression de convictions sincères et sans sous-
entendus, comme le caractère de l'homme, je
n'ai pas à l'analyser devant nos lecteurs : ils la
connaissent de longue date. Depuis plus de
quinze ans, Imbert a pris à la rédaction du
Guide musical une part capitale, et beaucoup
de ses écrits ont paru tout d'abord dans nos
colonnes. Il suffira de rappeler des titres, de
noter des dates, et puisque son goût l'a sur-
tout porté à a peindre » des portraits, è « des-
siner » des profils d'artistes, à redire où cou-
rurent et s'affirmèrent ses préférences.
Quatre mois au Sahcl ; lettres et notes algériennes,
tel est le titre de son premier livre, qui fut
publié en 1888 et où il consigna quelques-unes
de ses impressions de voyageur artiste. Mais
déjà avaient paru, dans Y Indépendance musicale
de 1886, ses premiers Profils de musiciens, qui
furent réunis en volume en cette même
année 1888. Ces études d'inégale importance,
mais d'un tour très personnel, sont consacrées
LE GUID2 MUSICAL
65
à Tschaïkowsky, Brahms, Chabrier, d'Indy,
Fauré et Saint-Saëns, celle-ci particulièrement
développée.
Quelques années après, ce fut le tour d'un
volume au titre heureux : Symphonie (i8gi), où
la critique littéraire se mêlait à la critique
d'art : Rameau et Voltaire, Schumann, un
portrait de Rameau, Stendhal, Béatrice et Bèné-
dict de Berlioz, enfin Manfred de Schumann,
tels en sont les éléments. Une seconde série de
Nouveaux Profils de musiciens vit le jour l'an-
née suivante, avec Boisdeffre, Th. Dubois,
Gounod, Holmes, Lalo et Reyer. Puis,
en 1894, voici les Portraits et Etudes, un de ses
volumes les plus intéressants, sous ces titres :
César Franck, Widor, Ed. Colonne, Garcin,
Lamoureux, le Faust de Schumann, le Requiem
de Brahms, enfin un paquet de lettres inédites
de Bizet.
On sait que, de tous les maîtres de la mu-
sique, Schumann et Brahms ont surtout em-
porté les plus vives sympathies de Hugues
Imbert. Chaque fois qu'il en trouvait l'occa-
sion, il revenait sur l'un ou sur l'autre, ou sur
tous les deux; et il sera parti, hélas! sans
achever les nouvelles et plus complètes études
qu'il préparait avec tant de soin, l'une sur
Brahms, plus générale, l'autre sur les Lieder
de Schumann.
Déjà un travail spécial sur Brahms était
venu se joindre aux autres en 1894. En 1897,
trois nouveaux volumes prennent place dans
la collection : des Profils d'artistes contemporains,
unissant les noms de Castillon, Lacombe,
Lefebvre, Massenet (une étude particulière-
ment étendue), Rubinstein, enfin Edouard
Schuré, l'ami de la première heure, l'historien
du Lied et du folklore légendaire, le poète et
le dramaturge; une étude sur le clair-obscur
dans l'art, à propos de Rembrandt et Richard
Wagner et une autre sur Gounod : les Mémoires
d'un artiste et l'autobiographie.
Les années suivantes furent consacrées au
recueillement et à la préparation de plus
grandes œuvres; aux voyages aussi. Imbert ne
reparut en librairie que pour répondre à voix
haute au jugement téméraire d'un critique
étranger : c'est l'étude d'ensemble qui a nom :
La Symphonie après Beethoven (1900). C'est encore
en igo3, le joli volume, si plein de choses,
Médaillons contemporains, où se retrouvèrent
nombre de pages éparses, notes d'art, notes de
musique, notes littéraires : Bizet et Jélyotte,
Amiel et Fantin-Latour, Bruneau et Carré,
Charpentier et Léonard...
D'autres revues que le Guide avaient inséré
quelques-uns de ces travaux. Sans parler de
La Musique populaire ou de la Revue d'art drama-
tique, c'était, plus récemment, la Revue d'art
ancien et moderne, le Musician, de Londres, V Art
du Théâtre, la Revue bleue...
J'ai dit que, chez Imbert, le style était
l'homme même. Quiconque l'a approché a pu
vérifier combien le fait était vrai. Quelle droi-
ture de caractère, quelle probité de pensée,
quelle horreur instinctive, et parfois vertement
exprimée, des mesquineries, des petitesses, du
laid ! Toute vraie critique est à ce prix. Et quels
amis il sut attirer de la sorte, que de sympathies
spontanées! Mais d'abord, pour tous, n'était-il
pas le plus accueillant des hôtes et l'ami le
plus entier et le plus fidèle?
Le Guide musical, qui a déjà eu plus d'une
mort à déplorer depuis cinquante ans qu'il
existe, a fait ici une perte aussi sensible qu'inat-
tendue. En saluant aujourd'hui d'un doulou-
reux hommage son collaborateur si apprécié, il
sait trouver un écho chez tous ses lecteurs,
certain que le souvenir de Hugues Imbert est
de ceux qui ne périront point parmi eux.
Henri de Curzon.
LES CHANTS DE L'ABANDONNE
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
(Suite. — Voir le dernier numéro)
ANS Schumann, le rôle de l'ac-
compagnement n'est pas moins
intéressant, et au point de vue
de la psychologie du « drame »,
il est peut-être encore plus important
que dans Schubert. Il est au Lied ce que
l'orchestre de Wagner est au drame, c'est-
à-dire qu'il est à la fois toute l'atmosphère
morale, tout le frémissement intérieur, le
frisson de l'âme même vibrant sous la-
66
LE GUIDE MUSICAL
poussée de la passion. Ici, la voix ne peut
plus rien sans l'accompagnement, ni celui-
ci sans la voix; l'une ne se conçoit plus
sans l'autre; l'union est complète, et le
sublime Dichtêrliebe apparaît sur un mer-
veilleux fond d'harmonies intenses qui sont
comme la charpente de tout le cycle et lui
donnent sa noble et splendide unité. Com-
bien clairement sont établies les transitions
au moyen de ces petits interludes qui re-
lient les diverses phases du drame, et
quelle conclusion dans le postlude du
dernier chant, véritable et émouvante
synthèse de tout le cycle ! Dans son admi-
rable perfection, Y Amour du Poète marque
l'aboutissement d'une lente évolution du
Lied dans cette forme si expressive, si
souple et si variée du « cycle lyrique »
inaugurée par Beethoven dans ses déli-
cieuses variations A la bien-aimée absente
(An die fente Geliebte), et à laquelle Schu-
bert donna un si bel essor dans sa Belle
Meunière et dans son Voyage d'hiver,
annonçant déjà cette voie nouvelle et défi-
nitive que Schumann parcourut si glorieu-
sement. De là, il ne faudrait toutefois pas
conclure à l'infériorité de Schubert vis-à-
vis de Schumann. Les deux maîtres, consi-
dérés en eux-mêmes, sont également grands,
et nulle part peut-être l'égale beauté de
leur génie si différent n'éclate plus claire-
ment que dans ces cycles de Lieder où un
même thème avait à inspirer les deux. com-
positeurs. Mais quelle différence dans la
conception musicale! Il faut d'ailleurs bien
dire que le thème lui-même offrait déjà
dans les poèmes trois variantes, deux de
Mùller, une de Heine ; Ces poèmes indi-
quaient d'avance les divergences beaucoup
plus grandes qui allaient exister plus tard
entre eux, lorsque tout leur mystère allait
se découvrir dans la divine musique des
deux maîtres du Lied; du reste, nous
avons vu à quel point le musicien avait
compris et pénétré le poète et comment
ainsi il n'y avait plus, en réalité, qu'une
âme qui avait parlé et chanté. L'idée
fondamentale du sujet restait pourtant
identique ; les chants devaient exprimer un
même sentiment général dont les nuances
seules pouvaient varier avec l'intensité de
la passion et la personnalité même du
« héros h principal, l'Abandonné. Mais au
fond des trois cycles, c'était, en somme,
toujours une seule voix exprimant l'ardent
amour, l'espoir trahi et le cruel abandon
qui avait à se manifester.
Le premier en date de ces Chants dé
l' Abandonné est le cycle de la Belle Meu-
nière (die Schône Mùllerin) de Schubert. Il
fut composé en 1824. Le sentiment triste
n'est pas encore ici la note unique et domi-
nante de ce poème lyrique. Il commence,
au contraire, comme une rayonnante et
gracieuse idylle champêtre, où s'exprime
toute la joie de vivre, libre sous le ciel
serein, exalté par le printemps qui a
tout reverdi et refleuri! Dans le jeune
meunier pris de ce besoin de voyager, de
cet irrésistible Wanderlust, ne croirait-on
pas reconnaître le poète et le musicien
mêmes, ces deux excellents amis que furent
Mùller et Schubert, ces deux mêmes
cœurs simples, enthousiastes et fougueux,
chantant, gais et insouciants, comme des
merles dans la forêt verte, dès que la
nature était à eux? Cette bonne et franche
joie était ordinaire aux deux camarades;
toutefois, elle n'est pas aussi exubérante
que dans le début de la Meunière; elle
se teinte souvent de cette charmante sensi-
bilité, de l'exquise et parfois naïve Ge-
mùthlickkeit qui distingue le Germain du
Sud, et aussi, surtout chez Schubert,
d'une certaine mélancolie et de quelque
romantisme qui était bien de l'époque.
Tout n'est d'ailleurs pas insouciante chan-
son dans la vie; si Mùller et Schubert
ne souffrirent jamais de grandes peines
d'amour, ils avaient pourtant l'àme assez
sympathique et assez réceptive pour les
comprendre; il se sont tous deux émus
à la triste plainte de ceux qui aimèrent
et furent abandonnés; leur gai meunier
qui chantait la vibrante mélodie de la jeu-
nesse folâtre et de l'amour écouté, ils le
virent sans doute un jour inquiet, sans
repos, car il aimait jalousement; aux
grandes ivresses succédaient les tourments
anxieux de l'amour jaloux. Ils lui virent
LE GUIDE MUSICAL
67
•i des pleurs amers et, au bord d'un ruisseau,
. l'aperçurent enfin, seul et songeur, sem-
I blant écouter une fascinante chanson de
J l'onde qui le troublait à présent comme
1 autrefois son amour.
Poète et musicien surent bien vite toute
l'histoire; ils l'exprimèrent tour à tour,
Mùller dans une suite de vingt-huit petits
poèmes exquis de sentiment dont Schu-
bert choisit les vingt principaux pour son
premier cycle de Liedcr. La Belle Meunière
pourrait se diviser en deux parties : la pre-
mière, pleine de soleil, de joie, d'espoir,
toute d'illusions radieuses et palpitante
d'amoureuse passion, comprend les treize
premiers numéros; la seconde en est
presque l'antithèse, elle exprime les âpres
sensations de l'amour inquiet, de l'amour
jaloux, puis de l'amour repoussé. Sa
couleur est de plus en plus sombre, et
pourtant il lui restera toujours comme une
lueur consolante dans cette inlassable
chanson de l'eau à l'accompagnement. Il y
a dans ces chants une admirable gradation
allant de l'espérance infinie, de l'amour
éperdu au désespoir intense et à l'abandon
cruel ; c'est toute la chanson de l'amour
vainqueur et puis brisé, se rythmant sur
le bercement perpétuel de l'eau du ruis-
seau qui sans cesse murmure comme une
voix amie, conseillère toujours discrète
et fidèle.
Dès le début du cycle, Schubert nous
fait entendre cette chanson alerte et claire
qui déjà évoque tout le frais paysage où
« chuchote » le flot rapide. Et aussitôt, à
la mélodie du ruisseau se superpose un
chant joyeux : c'est celui d'un meunier que
le printemps a mis en humeur vagabonde;
il ne peut résister au mystérieux désir qui
l'attire loin de son moulin vers la campagne
ensoleillée. Et d'ailleurs, tout bon meunier
doit aimer la course libre au grand air; la
roue du moulin tournant sans trêve, les
pierres même qui dansent gaiment avec le
courant et surtout l'eau qui va au loin, qui
va toujours, ne lui ont rien appris d'autre.
[Das Wandern,-.L.e Voyage, n° i.)Ce ruisseau
qui s'anime de plus en plus l'attire singu-
lièrement avec sa troublante chanson. Le
meunier l'écoute de plus près ; sans doute,
cette voix lui parle et voudra bien le con-
duire; il ne sait au juste qui lui répond,
l'onde ou les nixes, esprits subtils habi-
tant le fond des eaux et dont on lui parlait
autrefois, lorsqu'il était tout enfant ! Mais
qu'importe! Douce est la chanson qui l'in-
vite à suivre le courant. (Wohin? Où? n° 2.)
Interrompant d'un rythme nouveau le mou-
vement obstiné qui évoque le cours d'eau,
l'accompagnement nous fait deviner le
bruit sourd de la roue d'un moulin; nou-
velle chanson pour le meunier; ce qu'il
perçoit, c'est un chant de bienvenue, un
amical salut. [Hait, Halte, n° 3.) Elle est
rayonnante de bonheur cette mélodie
exquise où toutes les joies semblent éclater
en même temps dans les chansons ininter-
rompues de l'eau, du moulin, du meunier,
vibrant toutes à la fois dans l'air, au soleil
du printemps. C'est le même débordement,
la même expression intense de joie dans le
Lied suivant [Danksagung an den Bach,
Merci au ruisseau, n° 4), ou les chansons de
l'onde et du meunier résonnent en même
temps, de plus en plus alertes et gaies, car
voici que le charmant ruisseau a conduit
son a compagnon » à l'adorable maison de
la plus belle meunière. Tourne la roue ! et
passe le flot joyeux! Plus vite, plus vite!
L'ardeur impatiente du meunier se traduit
en un chant rapide, lancé à pleine voix,
mélodie passionnée dont le courant lui-
même semble suivre l'élan. [A m Feierabend,
Soir de fête, n° 5.) Un instant, pourtant, elle
s'interrompt et nous laisse entrevoir un
charmant tableau d'intérieur : le vieux père
meunier et sa fille, à tous accueillante;
autour d'eux, les travailleurs du moulin;
vraie réunion patriarcale, jouissant du re-
pos d'un soir de fête ; le chant ralenti n'est
plus soutenu que par des accords larges et
tranquilles donnant une impression indéfi-
nissable de calme et de bien-être. Mais le
ruisseau obstiné se remet à chanter, l'amou-
reux meunier l'imite aussitôt et, à tout ce
qu'il fait, apporte tant d'ardeur que la belle
meunière finit par le remarquer. Que dit ce
6S
LE GUIDE MUSICAL
regard déjeune fille? Vers l'onde amie, s'en
va notre meunier surpris et troublé ; il
interroge son délicieux compagnon qui l'a
déjà conduit à tant de merveilles et semble
connaître tant de choses. Lente et douce
s'élève alors la mélodie qui demande, et le
bruit de l'eau, semblant écouter, comme
suspendue à la troublante question, mur-
mure pianissimo à l'accompagnement.
Aime-t-elle? interroge le curieux .. Et si
doucement, au piano, s'achève la mélodie,
que nous devinons en ces quelques mesures
la plénitude de bonheur d'un amour en-
tendu. [Der Neugierige, Le Curieux, n° 6.)
Sur un rythme haletant et précipité de
triolets en 3/4 à l'accompagnement, s'élance
alors un chant court et passionné, presque
« jeté » comme un cri d'ivresse. A tout
l'univers, le meunier voudrait faire en-
tendre son amour, car il lui semble encore
que la belle n'en connaît point l'ardeur.
Mais il le chantera haut et clair! Que ne
peut-il le faire redire par les vents, par les
bois, par les flots, par les oiseaux ! Que ne
luit-il dans les étoiles? (Ungeditld, Impa-
patience, n° 7.) Sans doute, la charmeuse
veut plus encore de lui ; à son chant, espère-
t il, elle voudra bien se plaire; et sous la
fenêtre amie retentit aussitôt une aubade
infiniment douce, tant l'amour qui l'inspire
se fait persuasif et tendre. (Morgengruss,
Salut matinal, n° 8.) Mais la voix du
ruisseau appelle de nouveau ; il veut
encore aider l'ami. A son bord fleurissent
maintes fleurs, bleues comme les yeux de
l'aimée; ces mêmes fleurs, le meunier les
plantera sous la douce fenêtre, afin que,
soir et matin, dans leur tendre langage,
elles murmurent tout bas son rêve et son
désir. (Des Milliers Blumen, Les Fleurs du
meunier, n° 9.) Chants et fleurs d'amour ont
enfin charmé la belle meunière ; côte à
côte, assis au bord de l'onde, ils semblent
tout entiers l'un à l'autre, suivant immo-
biles et silencieux un long et divin rêve !
Doucement, à leurs pieds, murmure le
ruisseau, reflétant dans son clair miroir
la lune argentée et tout le ciel semé
d'étoiles ! (Thrdnenregen, Pluie de larmes,
n° 10.) De quel charme Schubert a marqué
cette page exquise, de quelle émotion la
mélodie est pénétrée, avec quelle intensité
chante à l'accompagnement la berceuse
du flot, c'est ce qu'aucune parole ne pour-
rait exprimer. Dans ce mouvement ralenti,
la chanson semble un rêve, une extase qui
ne voudrait jamais finir! Et pourtant, elle
cesse; l'émotion même, trop forte, la brise
et la termine par une « pluie de larmes ».
Mais bien vite revient la grande joie triom-
phante : elle éclate de nouveau dans un de
ces merveilleux chants de joie, véritable
hymne où la nature et l'amour sont sans
cesse invoqués dans le même cri passionné.
(Mein, A moi, n° 11.) De plus en plus ardent
est l'amour du meunier. Son cœur trop
plein ne trouve plus de chants ni de paroles
pour exprimer ce qu'il sent; le luth inutile
au beau ruban vert, il le suspend au mur ;
et si pourtant, à la caresse du vent, ou au
passage d'une abeille qui le frôle de son
aile, il se remet à vibrer, alors aussi le
meunier s'émeut et frémit au son de ce
luth fidèle : est-ce l'écho d'autrefois ou un
prélude à d'autres chants qui s'envolent
doucement de ces cordes ébranlées? (Pause,
n° 12.) Tout charme dans ce beau luth,
jusqu'à ce ruban vert qui s'y trouve
suspendu. « Vert » ! couleur magique du
printemps renaissant, de l'amour plein
d'espoir ! d'autant plus qu'elle est chère
à la meunière! Du luth donc, il détache le
ruban; dans les boucles de sa mie, il veut
l'attacher avec son espérance et son
amour. (Mit dem grùnen Laùtenbande, Le
Ruban vert du luth, n° i3.)
(A suivre.
May de Rudder.
L3 GUIDE MUSICAL
69
LA SEMAINE
PARIS
M. Henri de Curzon prenant, à dater de ce jour, la rédac-
tion en chef du GUIDE MUSICAL à Paris, toutes les cor-
respondances relatives à la Chronique parisienne devront
lui être adressées personnellement, 7, rue Saint-Dominique.
ÉÈ^
OPÉRA. — La semaine dernière, petite
reprise de Sigurd, avec M. Affre, pour la pre-
mière fois, dans le rôle principal, et Mlle Lucienne
Bréval. Il est assez étrange que M. Affre n'ait pas
pris plus tôt possession du rôle de Sigurd ; non
qu'il soit aucunement l'homme du rôle (la
plupart des Sigurd que nous avons entendus à
l'Opéra sont dans le même cas), mais sa voix a
de l'éclat, à défaut d'ampleur, et elle monte avec
une facilité qui lui rend singulièrement aisé le
casse-cou de l'entrée du premier acte, ou du réveil
du second, pierre d'achoppement de tant de ténors.
Mlle Bréval, au contraire, a tout à fait le physique,
si elle n'a plus autant qu'autrefois la voix, du rôle
de Brunehild, et c'est toujours la meilleure qui
ait succédé à l'inoubliable créatrice. M. Gresse
est aussi l'un des plus remarquables prêtres d'Odin
que nous ayons eus ici, et cette considération
empêche de trop regretter qu'il n'ose pas encore
aborder le rôle de Hagen, où son père a laissé de si
bons souvenirs (à Bruxelles et à Paris). Cependant,
nous avons de si mauvais Hagen depuis lui!...
Il est vrai que les autres rôles, s'ils sont mieux
tenus, ne le sont guère; j'aime autant ne pas
insister. H. de C.
OPERA-COMIQUE. — Notre seconde scène
lyrique a monté la dernière œuvre théâtrale de
M. Camille Saint-Saëijs, cette Hélène dont le poème
est de lui, comme la musique, et qui fut repré-
sentée à Monte-Carlo au mois de février de l'année
dernière. C'est un hommage rendu au maître, et
avec tout le soin que M. Albert Carré sait apporter
à ses mises en scène ; mais il n'est pas plus prouvé
aujourd'hui qu'hier que cette œuvre doive prendre
une place d'honneur parmi ses compositions même
dramatiques. Son principal défaut, c'est d'être inu-
tile à la gloire du musicien; et un grand artiste ne
doit rien faire d'inutile et d'indifférent. Il avait
donné une note â part, et nouvelle, et bien à lui
quand il avait écrit Phryné; il ne l'a pas donnée
avec Hélène, pas plus qu'avec les autres composi-
tions trop brèves qui l'ont précédée. Ce qui n'ôte
rien à la valeur extrêmement séduisante de l'or-
chestration et à la beauté de plus d'une idée fran-
chement lyrique, soit dans le long monologue
d'Hélène au début, soit au moment de l'apparition
de Pallas et des répliques enfiévrées de Paris, soit
dans le dernier motif d'amour repris en duo. Au
surplus, j'ai assez longuement parlé de cette parti-
tion l'an passé (au n° 8 de 1904) pour me dispenser
de l'analyser davantage. L'interpétation a été fort
aimable avec MKe Garden et M. Clément, l'une
pleine de grâce alanguie, l'autre d'ardeur; inté-
ressante encore avec Mlle Rival, un beau mezzo,
dans Pallas; faible avec Mlle Sauvaget, Vénus
d'ailleurs superbe ; pleine de finesse et d'éclat enfin
avec l'orchestre, sous la main éloquente et sûre de
M. Luigini.
Le même soir, on a repris la Xavière de
M. Th. Dubois, mais assez sensiblement modifiée.
Nous reviendrons la semaine prochaine sur cette
œuvre aimable.
Après la millième de Carmen, voici la cinq-
centième de Manon, le vendredi i3 janvier. Elle a
mis sensiblement plus de temps à venir, et de fait,
l'œuvre maîtresse de M. Massenet n'a jamais eu la
popularité absolue de celle de Bizet. Elle est
cependant partie bien plus triomphalement : quatre-
vingt-huit représentations d'une traite ! Mais, outre
qu'elle est peut-être, par certains côtés, plus diffi-
cile à interpréter convenablement, elle s'adresse à
un public plus instruit, en somme, et plaît par des
qualités d'élégance et de finesse plutôt que par
l'intensité de la couleur et de la passion, comme
Carmen.
Manon a été donnée pour la première fois à
l'Opéra-Comique le 19 janvier 1884, avec
Mme Heilbron, Talazac et Taskin dans les trois
rôles principaux. Tous trois ont laissé des souve-
nirs inoubliables : la première, fort touchante et
d'une virtuosité pleine d'éclat, dans Manon ; le
second, dans toute l'ampleur de sa voix si souple
et d'un si beau timbre, avec Des Grieux ; le troi-
sième, Taskin, plein d'une verve mordante, qui a
fait de ce rôle de Lescaut l'un des meilleurs de
sa belle carrière.
Après son premier élan de 1884-85, l'œuvre
dormit un peu, faute des deux interprètes essen-
tiels. C'est le moment où elle affirma à l'étranger
son succès indiscuté. On sait que le créateur de
Des Grieux, pour ce nouveau cercle d'auditeurs,
fut Ernest Van Dyck, à Vienne. A Paris, ce n'est
7°
LE GUIDE MUSICAL
qu'à partir de la reprise de 1891 que l'œuvre
prit sa place définitive au répertoire et ne l'a plus
quitté. Cette reprise, fort belle encore, mit en
lumière Sibyl Sanderson, étincelante de beauté
et ravissante de voix, auprès de Delmas, débutant
élégant, dans Des Grieux, de Taskin, bien entendu,
et de Fugère, dans le rôle, court mais plein de
tact, du comte Des Grieux, qu'il avait déjà hérité
de Cobalet en i885 et qu'il a gardé jusqu'à pré-
sent, toujours en chef d'emploi.
Sans chercher à reconstituer le tableau des
interprètes des trois rôles essentiels de Manon à
l'Opéra-Comique, je rappellerai ceux qui y ont
paru le plus souvent et avec le plus de mérite.
C'est, pour le rôle complexe et difficile de Manon :
Mme Bréjean-Gravière, Mlle Garden et enfin
Mme Marguerite Carré, dont j'ai signalé ici, il y a
quelques mois, la très belle, très artistique et très
sûre composition du personnage. On sait que
Sibyl Sanderson y reparut en 1902, peu de temps
avant sa mort. On y a vu encore, en passant,
Mme Landouzy, M1,es Simonnet, Torrès, Lejeune,
etc. Dans Des Grieux, Lubert, Leprestre, se sont
succédé, puis Maréchal, Beyle, Clément, ont
alterné, avec des qualités diverses; sans compter
les quelques représentations d'Alvarez, qui parut
un peu tonitruant dans ce milieu. Taskin, dans
Lescaut, fut remplacé très heureusement par
M. Soulacroix, alternant parfois avec Isnardon.
Aujourd'hui, c'est Delvoye qui tient le rôle.
Les interprètes, fort applaudis, de la cinq-cen-
tième ont été, autour de Mme Marguerite Carré,
Edmond Clément, Lucien Fugère et Delvoye.
H. de C.
CONCERTS CORTOT. — La seconde lecture
publique à l'orchestre d'oeuvres nouvelles, donnée
par M. Cortot le 12 janvier, avait réuni une qua-
rantaine d'auditeurs. Si, malgré la modicité du
prix d'entrée (2 francs), l'abstention du public se
comprend jusqu'à un certain point, celle de la cri-
tique s'explique moins, ou plutôt ne s'explique pas,
et nous savons maintenant ce que vaut le souci des
«jeunes » tant affiché par plusieurs de nos con-
frères.
Rien de plus intéressant cependant que cette
heure de musique, d'autant plus que, sous l'habile
direction de M. Cortot, l'orchestre donne, des
œuvres qu'il interprète, une idée sinon parfaite,
du moins très suffisante. La meilleure pièce m'a
paru être le Nocturne de M. Jean Huré. d'une ligne
mélodique claire et d'une écriture savante sans
complications inutiles. Le Prélude et double Fugue de
M. Oskar Fried, uniquement confié au quatuor,
présente une aridité un peu scolastique et doit
encore se ranger dans la catégorie des bons
devoirs. La Sirène de M. de Queylar, avec une
franchise de rythme bien rare à l'heure actuelle,
ne va pas sans quelque vulgarité. La Danse chez
Bacchis de M. Rhéné Bâton est élégante et langou-
reuse tour à tour, mais ne se différencie pas sensi-
blement des danses analogues déjà connues.
L'Espoir, du même auteur, chanté par Mlle Melno,
sans grande originalité, n'en est pas moins capa-
ble, à mon avis, de donner un grand effet.
J. d'Offoël.
— Au concert Le Rey, dimanche dernier, l'Asso-
ciation artistique a exécuté la suite symphonique
de Raff, intitulée Dans la forêt, œuvre purement
descriptive et qu'on n'entend plus souvent, dont
les dessins mélodiques sont bien usés et dont les
longueurs fatiguent.
Mlle Lucy Arbell, de l'Opéra, bien que possédant
peu tous ses moyens vocaux, a chanté avec style
deux mélodies charmantes de Paul Vidal et une
chanson égyptienne tirée d'une musique de scène
composée pour Ramsès, drame en un acte.
Le gros succès de la séance a été pour M.
Henri Richet, un jeune violoncelliste de beaucoup
d'avenir, qui a joué avec une autorité et une sono-
rité parfaites le concerto de Lalo, un des mieux
écrits pour L'instrument avec celui de Saint-Saëns.
M. Viardot conduisait l'orchestre. Ch. C.
— Mardi prochain, à l'Opéra, répétition générale
de Daria, dont la première est fixée au vendredi 27.
On a commencé les études du Cid, dont M.Gailhard
veut faire, au mois d'avril, une superbe reprise,
avec M. Alvarez dans Rodrigue, Mlle Alice Verlet
dans l'Infante, et Mlle Mérentié, ier prix du Con-
servatoire, qui débutera dans le rôle de Chimène.
— Le concours à l'Opéra ouvert pour une pièce
symphonique à grand orchestre est clos. Soixante-
quinze manuscrits ont été déposés. Les suffrages
des concurrents, qui avaient eux-mêmes à désigner
leur jury, se sont portés sur MM. Massenet,
Saint-Saëns, Bruneau, Th. Dubois, V. d'Indy,
E. Rej^er, Erlanger, Lenepveu, G. Fauré, X. Le-
roux, Widor.
— Nous avons dit qu'on avait commencé, à,
LE GUIDE MUSICAL
7i
l'Opéra-Comique, les premières études de VEnfant I
roi, la comédie lyrique en cinq actes de M. Alfred
Bruneau, sur un livret d'Emile Zola.
Voici la distribution des rôles principaux de cet
ouvrage :
François, M VT. Dufrane; Toussaint, Vieuille ;
Auguste, Jean Périer; Madeleine, Mmes Claire
Friche; Georget, Marie Thiéry; Pauline, Ti-
phaine ; la Grand'Mère, Cocyte ; une Marchande
de fleurs, Duménil; une Mère, Vauthrin; une
Dame, Henriquez; une Mendiante, de Marsan.
— A la suite des examens semestriels, le jury,
composé de M VI. Théodore Dubois, directeur;
Marcel, directeur des beaux-arts; d'Estournelles de
Constant, Victorien Sardou, Jules Claretie, Paul
Hervieu, Brieux, et Fernand Bourgeat, secrétaire,
a décidé de décerner le prix Ponsin à Mlle Ludger.
Des pensions et des encouragements ont été
alloués à Mlles Berge, Barjac, Corlys, M. Grétillat,
Mlle Bogros, MM. Hervé, Lluis, Mlle Bing, M.
Brou, Mlles Darcelle, Denyse-VIussay, Falberg,
M. Flateau, Mlle Flor, M. Denis, Mlles Gueneau,
Lécuyer, Myriel, Montavon, Prévost, Widdy et
M. Vincent.
Le jury pour le concours d'opéra-comique
n'était composé hier que de MM. Théodore
Dubois, Marcel, d'Estournelles, Maréchal, Lhérie
et Fernand Bourgeat.
— L'un des derniers programmes de la Société
des Concerts du Conservatoire contenait, encarté,
le tableau de tous les artistes titulaires de
l'orchestre et du chant. Sans en donner ici la
liste, il peut être curieux de connaître la com-
position actuelle de cette célèbre société, au
début de sa soixante-dix-huitième session. L'oi-
chestre comprend 86 musiciens ainsi répartis :
Violons, premier groupe : 14 (Brun et Th. Hey-
mann, premiers); deuxième groupe : 14. (Tracol,
premier); altos : 9 (Giannini, premier); violon-
celles : 10 (Cros-Saint-Ange et Papin, premiers);
contrebasses : 8 (Charpentier, premier.; flûtes : 3;
hautbois : 2; clarinettes : 2; bassons : 4; cors : 4;
trompettes : 2; trombones : 3; timbale : 1; pis-
tons : 2 ; clarinette basse : 1 ; harpes : 2 ; tuba : 1 ;
batterie : 3; orgue : 1 (Guilmant). Les chœurs
comprennent 73 musiciens : g premiers dessus,
10 deuxièmes dessus, 8 premiers altos, 10 deu-
xièmes altos; 9 premiers ténors, 9 deuxièmes
ténors, 9 premières basses, 9 deuxièmes basses. En
tout i5g artistes, dont le chef est M. Georges
Marty, le second chef, M. Philippe Gaubert et le
répétiteur du chant, M. E. Schwarts.
— Un -comité vient de se fonder pour permettre
aux artistes musiciens non professionnels d'exé-
cuter en public, à grand orchestre, les œuvres des
maîtres interprétées jusqu'ici par les seuls mem-
bres des concerts dominicaux. Les exécutants,
réunis au nombre d'au moins cent, seront placés
sous la direction de M. Victor Charpentier, le
fondateur de l'Association des Grands Concerts,
Cette phalange indépendante portera le titre de
1' « Orchestre ». Le comité fait appel à tous les
artistes amateurs. Pour les renseignements et
inscriptions, écrire au secrétariat, igbis, rue Fon-
taine. Le premier concert aura lieu en mars pro-
chain.
— L'Odéon fêtera bientôt la cinq centième
représentation de Y Artésienne de Georges Bizet.
(5)
— Un des derniers numéros de Musica. contient
une petite causerie sur Gounod. Elle ne manque
pas d'intérêt, ni d'erreurs non plus. M. Ch. Joly,
confrère aimable, optimiste de nature, raconte, au
sujet de Faust, des choses qui ne sont jamais arri-
vées, celles-ci, entre autres : « La foi persistante de
Càrvalho, qui venait de fonder le Théâtre-Lyrique
dans le bâtiment où Mme Sarah Bernhardt donne
aujourd'hui ses représentations, l'excellence de
Mme Miolan-Carvalho, imposèrent quand même
l'œuvre au public. Ce ne fut pas pour de longs
soirs. Aux trois premières représentations, des
incidents scandaleux se produisèrent : sifflets,
envoi de pommes cuites, etc. Malgré la sincérité
énergique (?) de Càrvalho, Faust ne dépassa pas
la sixième représentation. Plus sensés, les Alle-
mands prisèrent tout de suite cette œuvre. Elle
nous revint de chez eux pour entrer, en 1872, au
répertoire de notre Académie nationale de mu-
sique. »
M. Charles Joly a bien mal pris ses renseigne-
ments.
i° Faust fut représenté le 19 mars i85g au
Théâtre-Lyrique, sis au boulevard du Temple, et
non à la place du Châtelet, la salle qu'occupe
Mme Sarah Bernhardt ayant été inaugurée le 3o oc-
tobre 1862 ;
2° Il n'est mentionné aux représentations de
Faust aucun incident scandaleux. Elles ont été
toutes accueillies avec une extrême faveur;
3° Faust a obtenu cinquante-sept représentations
la première année (voir V Histoire du Théâtre-Lyrique
par Albert Soubies) et deux cent quarante-neuf
dans les suivantes, en tout, au Théâtre-Lyrique,
trois cent six représentations ;
40 Faust ne nous revint pas de chez les Aile-
72
LE GUIDE MUSICAL
mands; l'ouvrage resta chez nous, et émigra à
l'Opéra non en 1S72, mais le 3 mars 1869.
J. Torchet.
^
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
On a fait, mercredi dernier, une superbe ova-
tion à Mme Félia Litvinne, qui faisait sa rentrée
dans A keste après une courte absence de Bruxelles.
On admire toujours la perfection avec laquelle elle
aborde tous ses rôles, et plus on l'entend, plus
l'impression d'art devient forte et magnifique.
M. Dalmorès mérite les plus sincères éloges pour
sa création d'Admète.
Jeudi, après le premier acte du Jongleur de Notre-
Dame, on a entendu, pour la première fois en pu-
blic, le nouveau chant national composé par
M. Gevaert à la demande du Roi, sur des paroles
de M. G. Th. Antheunis. Ce chant qui porte le
titre de Vers l'Avenir, est un air d'une franche
allure mélodique, très simple, très chantant et
d'un caractère très heureusement populaire. Exé-
cuté sous la direction de M. Dupuis par les solistes
du Conservatoire et les chœurs du théâtre, avec
l'accompagnement d'une fanfare sonore, ce chant
a fait une très grande impression et il n'est pas
douteux qu'il sera bientôt dans toutes les bouches.
Le succès a été tel, que la Monnaie en donnera
prochainement une seconde audition à l'une des
matinées du dimanche.
La première de Tristan, avec M. Van Dyck, est
fixée à lundi.
Les études à'Hérodiade, qui n'a plus été donné à
Bruxelles depuis plus de huit ans, sont poussées
très activement et la reprise de la belle œuvre de
Massenet se fera certainement avant la fin du mois.
Sont prêts également à passer : la Basoche d'An-
dré Messager et son joli ballet, Une Aventure de la
Guimard.
Quant à Martille, les deux actes nouveaux de
MM. Edm. Cattier et Albert Dupuis, les études
musicales sont terminées et l'on ne tardera pas à
descendre en scène.
Le répertoire de la semaine comprenait en
outre Faust, la Dame blanche, Y Ermitage fleuri et
Manon .
Aujourd'hui dimanche, en matinée, pour les
représentations de Mme Litvinne, Alceste; le soir,
Faust; demain lundi, première de Tristan etlsolde;
mardi, Alceste. R. S.
— Après Diémer, le prestigieux pianiste et cla-
veciniste, les Nouveaux Concerts nous ont fait
entendre une autre illustration, presque oubliée à
Bruxelles, le violoniste Marsick, qui fit fureur ici
il y a quelque vingt ans et dont la réapparition n'a
pas été sans causer quelque surprise.
Marsick est resté le virtuose élégant et charmeur
qui triompha naguère aux Concerts populaires.
Son interprétation du concerto de Beethoven s'éloi-
gne sans doute de celles auxquelles nous ont
accoutumés Thomson, Kreisler et Ysaye, mais elle
n'en est pas moins intéressante dans sa caracté-
ristique essentiellement française et elle a valu au
célèbre violoniste liégeois un brillant succès. Les
cadences surtout, curieusement travaillées et d'une
extrême difficulté, ont emballé le public, qui a
bissé d'enthousiasme le Trille du diable de Tartini,
exécuté par M. Marsick dans la seconde partie du
programme.
Sous la direction nerveuse de son jeune chef,
M. Louis-Fl. Delune, l'orchestre des Nouveaux
Concerts a donné une exécution à peu de chose
près parfaite de la première symphonie de Schu-
mann, œuvre trop rarement entendue, car elle
renferme des beautés de tout premier ordre, le
scherzo notamment, qui a été détaillé avec un
ensemble, une netteté et un brio remarquables.
— Pablo Casais, qui a d'emblée conquis droit
de cité à Bruxelles, a retrouvé vendredi, au Cercle
artistique, son succès du dernier concert populaire.
La façon dont le violoncelliste catalan a exécuté la
suite en ré de Bach suffirait à justifier l'accueil
enthousiaste qui lui a été fait. Comme noblesse de
ligne et pureté de style autant que comme perfec-
tion de technique, Casais s'est montré absolument
remarquable.
Son compagnon habituel de tournées artistiques,
le pianiste Harold Bauer, a été moins applaudi,
encore qu'il ait tenu d'une manière satisfaisante sa
partie dans les sonates de Brahms et de Beethoven
qu'il a jouées avec Casais ; mais son interprétation
de la grande fantaisie de Schumann .a plus ou
LE GUIDE MUSICAL
73
moins dérouté, et cette œuvre difficile n*a pas pro-
duit tout l'effet qu'on pouvait en attendre.
M. Bauer, artiste probe autant que virtuose impec-
cable, avait été plus heureux dans ses précédentes
auditions à Bruxelles.
Le septième récital Engel-Bathori. consacré aux
œuvres de M. Bourgault-Dueoudray, malgré l'exé-
cution savante et artistique de l'auteur et de
M. Engel et Mme Bathori, a été d'un intérêt peu
soutenu.
La musique de M. Bourgault-Dueoudray est
parfois assez terne, avec, par-ci, par-]à, un pâle
rayon de soleil, agréable, mais de courte durée.
Le Grillon (fable de Florian) et la Chanson de la
Bretagne, composée de sept petits poèmes, sont
parmi les œuvres les mieux venues.
Comme toujours, M. Engel et Mme Bathori ont
été parfaits. M. Georges Pitsch, un jeune violon-
celliste, a fait preuve de grandes qualités dans
trois petites pièces assez intéressantes. ] T.
— M. Alex Disraeli (baryton) a donné samedi
dernier, avec le concours de M. Emile A.gniez, un
concert qui ne manquait pas d'intérêt.
M. Disraeli a une jolie voix, un timbre agréable
il a dit avec émotion et un sentiment très juste
les différentes mélodies dont était composé son
programme.
Schubert, Schumann, Bach, Brahms, ont été
successivement interprétés par l'aimable chanteur,
qui, à notre avis, aurait dû laisser M. Henusse
l'accompagner jusqu'à la fin, sans vouloir nous
faire apprécier son talent de pianiste.
M. Emile Agniez a joué avec beaucoup de
charme trois petites pièces de Corelli, Lotti et
Milandri pour viole d'amour. J. T.
— A l'occasion de la distribution des prix de
l'Ecole de musique de Saint-Josse-feen-Noode,
M. Gustave Huberti, qui dirige cet établissement
avec autant d'autorité que de dévouement, a con-
duit un grand concert dans la salle des fêtes de
l'école communale.
Les œuvres entendues et leur exécution témoi-
gnent de l'enseignement remarquable et des préoc-
cupations artistiques de l'Ecole.
Signalons particulièrement la cantate de Bach
(Psaume i3o); les Rondes enfantines de Jaques-
Dalcroze et G. Huberti, tout à fait délicieuses, un
chœur très intéressant de M. Théo Ysaye-Mess,
Hélas ! pourquoi? et le troisième acte d'Ârmide de
Gluck, interprété avec une belle conscience artis-
tique .
— Nous avons annoncé, la semaine dernière,
que le conseil communal d'Ixelles avait été saisi
d'une proposition tendant à diminuer le subside
accordé à l'Ecole de musique et de déclamation
fondée et dirigée par M. Henri Thiébaut, et nous
avons fait connaître la protestation que MM. Ge-
vaert,. Mathieu, Jan Blockx et Wambach ont
adressée à ce sujet aux conseillers. Leur lettre
fait ressortir les mérites de l'Ecole de musique
d'Ixelles et rappelle les brillants résultats déjà
obtenus.
Les signataires ajoutent : « Les considérations
ci-dessus, le grand nombre d'élèves, l'extension
donnée au programme d'études, le succès des
concours publics, tout concourt à justifier non
seulement le maintien, mais la majoration du
subside alloué actuellement à l'Ecole. Il serait,
en effet, vraiment regrettable pour la commune
d'Ixelles, si remarquablement organisée au point
de vue des autres branches de l'enseignement,
qu'une somme relativement très faible, propor-
tionnellement aux sacrifices qu'elle s'impose pour
l'instruction publique, la fasse reculer pour empê-
cher la perte d'un établissement dont, nous le
répétons, la valeur et l'utilité sont incontestables. »
De son côté, M. Bourgault-Dueoudray, l'émi-
nent professeur d'histoire de la musique au Conser-
vatoire national de Paris, qui, au cours d'un des
nombreux voyages qu'il fit à Bruxelles, eut l'occa-
sion de se rendre compte des mérites de l'instruc-
tion ixelloise, appuie également dans une lettre
éloquente les légitimes revendications de l'établis-
sement menacé par la proposition dont le conseil
communal a été saisi.
Faut-il ajouter que ces considérations d'un
ordre essentiellement artistique et intellectuel ont
été sans aucun effet sur les membres du Collège
échevinal; par 16 voix contre i3, le Conseil com-
munal a adopté leur proposition de réduire de
2,000 francs le subside de l'Ecole de musique.
Détail aggravant : le Collège a bien voulu an-
noncer que cette économie ne serait que provi-
soire !
— Concerts Ysaye : Le troisième concert d'abon-
nement aura lieu le dimanche 5 février, sous la
direction de M. W. Mengelberg, chef d'orchestre
74
LE GUIDE MUSICAL
du Concertgebouw, à Amsterdam, et avec le con-
cours du pianiste Mark Hambourg.
Répétition générale le samedi 4 février.
Pour cartes et abonnements, s'adresser chez
MM. Breitkopf et Hsertel.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Pour le gala austro-hongrois,
nous avons eu, au Théâtre royal, la reprise
à' Aida. Mme Fierens (Aida) a obtenu un succès
superbe, avec M. de Lerick, Mme Dhumon, MM.
Boulogne, Grommen, Lataste et M1,e César.
Lundi, nous avons eu le bonheur d'applaudir, à
l'Harmonie, le célèbre pianiste Pugno et Mme
Vierne-Taskin, cantatrice. Le premier a joué le
concerto en ut mineur de Beethoven et les Varia-
tions symphoniqucs de Franck. La seconde, accom-
pagnée par M. Pugno, a chanté des Lieder de
Hsendel, Fauré, Franck, Lalo, Vierne et Pugno.
Faut-il dire que le succès fut étourdissant ? Le
3o, nous entendrons à l'Harmonie le violoniste
Carlo Matton. G. P.
ARLON. — Ecole de musique. — Le con-
cert annuel suivi de la distribution des prix
a attiré énormément de monde à la salle du théâtre
le dimanche 8 janvier. Comme solistes, on a en-
tendu Mlle Louise Ysaye, nièce de M. Eugène
Ysaye et fille du distingué directeur de l'Ecole,
M. Joseph Ysaye ; elle a exécuté une sonate de
Beethoven avec une assurance, une précision qui
dénotent un rare tempérament; une toute jeune
élève, Mlle Breulet, possédant déjà de sérieuses
qualités de pianiste; MM. Gerlache, Deresdau et
Zoully, très en progrès, qui se sont fait applaudir
dans des solos de clarinette, trombone et violon-
celle, ainsi que l'élève Romedenne, violoniste,
qui a très bien rendu Validante du quatrième con-
certo de Vieuxtemps. A mentionner quatre jolies
rondes de Jaques-Dalcroze, chantées avec entrain
par les élèves du cours d'ensemble, et un hymne
patriotique de M. Ménard, orchestré d'une façon
tout à fait remarquable par M. Ysaye.
Au programme du concert de la Philharmo-
nique, à côté des noms de Wieniawski, Gounod,
Ysaye, ceux des grands classiques Saint-Saëns,
Mendelssohn et Bach. A noter de ce dernier
l'admirable concerto pour deux, violons, qui, mal-
gré une répétition très sommaire, a été fort bien
rendu; les deux solistes, Marcel Ysaye et Géza
De Kesz, bien pénétrés du caractère noble de cette
œuvre superbe, en ont donné une interprétation
remarquable, fort bien secondés d'ailleurs par le
quatuor, dont la tâche a été des plus ingrate.
L'orchestre, sous la direction de M. Ysaye,
a brillamment enlevé une marche de sa compo-
sition, Arlonauiii, et, aussi la belle Schiller Marsch
de Meyerbeer. E. S.
BORDEAUX. — La Walkyrie a vu pour la
première fois à Bordeaux, le feu de la rampe
— et de Logue — le mardi 10 janvier. L'affiche
portait en sous-titre « et la célèbre chevauchée »,
addition jugée indispensable par la direction du
Grand-Théâtre pour le succès de l'œuvre. Le
public bordelais avait été préparé à l'audition de
la Walkyrie par tous les moyens possibles, arti-
cles de journaux, conférences, etc. Mais, comme
la direction avait oublié de dresser une liste com-
plète des sous-titres, c'est au milieu des allées et
venues que le prélude a été exécuté. Toutes les
fins d'acte, où l'orchestre achève son admirable
commentaire de l'œuvre, ont été couvertes par le
bruit des applaudissements, pendant que Hunding
et Wotan revenaient sur la scène et poussaient
leur déférence reconnaissante à l'égard du public
jusqu'à enlever leur casque. La pièce, en effet, ne
commence et ne finit que lorsque le rideau se
lève et tombe. — Les interprètes ont été de
valeur inégale. Mme Baron traduit le rôle de
Sieglinde avec intelligence et talent. Sa voix est
belle. Mme Jane Marcy (Brunnhilde) montre de
précieuses qualités de chanteuse, mais un peu
trop de discrétion dans l'expression de ses
sentiments. M. Cornubert (Siegmundj a moins
de vigueur que de goût. M. Sylvain donne à "Hun-
ding le caractère farouche qui lui convient.
Mrae Nady-Blancard a beaucoup de noblesse et
est servie par un riche organe dans le rôle de
Frika. Enfin, les huit Walkyries, parmi lesquelles
nous nous plaisons à citer Mmes Magne et Mari-
gnan, comprennent bien l'intérêt musical et drama-
tique de leur intervention. Quant à M. Brancard
(Wotan), il personnifie tout à fait bien le renonce-
ment... au succès. Il est totalement dépourvu de
cette majesté unie à la plus tendre pitié qui fait
du rôle de Wotan un des plus admirables que l'on
connaisse. Un reproche doit, à notre grand regret,
être adressé aux principaux interprètes de la
Walkyrie : ils n'articulent pas nettement. L'orches-
le;guide musical
73
tre est conduit avec énergie par M. Montagne;
toutefois la sonorité des cuivres manque de fondu,
et l'insuffisance des cordes est plus manifeste dans
la Walkyiie que dans mainte autre œuvre. La déco-
ration, la mise en scène sont soignées. En somme,
l'effort de la direction est consciencieux et, bien
que la physionomie de l'œuvre soit incomplètement
rendue, il y a progrès sur les Maîtres. Çhanteuvs
représentés l'an dernier.
La trinité artistique des Concerts philharmo-
niques se composait le 14 janvier de Mlle Pornot
de l'Opéra-Comique, de MM. Paul Daraux et
Maurice Hayot. Mlle Pornot a beaucoup de grâce
et de charme; elle vocalise avec une rare aisance.
Nous aurions été heureux de l'entendre dans des
fragments plus inédits que ceux qui constituaient
son programme. M. Daraux, voix ample et chaude,
sens musical profond, magnifique diction dans des
pages d'un haut intérêt artistique de Hagndel, de
Franck et de Saint-Saëns. M. Hayot, talent ner-
veux, coloré, brillant, tendre aussi, ainsi qu'il a
paru dans le concerto en sol mineur de Max Bruch.
M. Montagne conduisait l'orchestre. Qu'il nous
suffise de dire qu'il l'a ressuscité. Le public des
concerts du Cercle philharmonique commence à
s'habituer à l'écouter en silence. Seul le morceau
final, dit morceau « des banquettes » est encore
sacrifié. C'est dans la tradition. H D.
CONSTANTINOPLE. — Mois musical
maigre, mais, en revanche, un concert de la
Société musicale à l'actif des promoteurs de cette
société et de leur chef d'orchestre : M. Nava. Une
belle ovation lui a été faite pour la magistrale
interprétation du prélude de Tristan et de la Mort
d'Iseult, cette dernière exprimée dans toute sa
puissance lyrique, et pour la claire, expressive et
sûre exécution de la symphonie en ré majeur de
Beethoven. Les plus difficiles même étaient satis-
faits. Le programme comprenait en outre la
gavotte de Martini et le rigaudon de Rameau,
deux jolies piécettes qui, avec la fulgurante exé-
cution de l'ouverture de la Fiancée vendue de Sme-
tana, ont enthousiasmé le public et les deux der-
niers mouvements du délicieux concerto en mi
mineur, pour piano, de Chopin, interprété, sur un
bon Pleyel récemment arrivé, par M. Furlani, au
jeu sobre, rythmé et brillant. Il est à regretter
seulement qu'on ait supprimé le premier mouve-
ment de ce concerto, où le pianiste aurait pu
prouver ses qualités d'émotion et de sentiment.
A titre d'encouragement, nous devons citer aussi
le concert du jeune violoniste arménien, M. Gude-
nian, qui, après avoir travaillé près d'un an avec
MM. Thomson et Crickboom, se trouve mainte-
nant en notre ville. Déjà son interprétation de
Beethoven et de Hsendel dénote une intelligence
très louable; Varia du concerto de Goldmark, le
Zigeunenveisen de Sarasate et la tarentelle de Wie-
niawski ont été assez bien exécutés par lui.
Harentz.
LA HAYE. — Le premier concert populaire,
dirigé par le baron van Zuylen van Nyevelt,
dans la grande salle du Conservatoire des Arts
et Sciences, avait au programme la première
symphonie de Niels Gade, un fragment du Songe
d'une nuit d'été de Mendelssohn et l'ouverture de
Guillaume Tell de Rossini ; comme soliste, nous y
avons entendu un tout jeune violoniste de dix-
sept ans, Karel Snoek, d'Amsterdam, élève du pro-
fesseur Seveck, de Prague, un jeune artiste de
beaucoup de talent et de grand avenir. Il a joué le
sixième concerto de Mozart, puis une mazurka de
Zarzycki, une tarentelle de Wieniawsky et, après
de nombreux rappels, V Aria de J.-S. Bach.
Dans la seconde séance donnée par le Quatuor
Rosé, le programme se composait du quatuor de
Haydn op. 33, en ut majeur, du quatuor de
Brahms op. 5i, en la mineur, et du quatuor en ré
mineur, œuvre posthume de Schubert. Le Quatuor
viennois a obtenu de nouveau un très grand succès
comme style, comme homogénéité et comme
ensemble, il est de tout premier ordre. Comme
tempérament, comme passion suggestive, le Qua-
tuor tchèque lui est de beaucoup supérieur, et
comme charme, comme expression, comme senti-
ment, nous préférons le Quatuor parisien.
La direction de notre Opéra italien déploie une
grande activité dans le répertoire. Déjà on nous a
donné la première de la Tosca de Puccini, de la
Gioconda de Ponchielli, puis Rigoletto, le Trouvère,
Ernani de Verdi, Lucie de Lammermoor de Doni-
zetti, et on a mis à l'étude André Chénier de Giorda-
no et Mejîstofele, de Boïto. Comme ensemble la plu-
part des artistes qu'on nous a fait entendre
jusqu'ici sont de second ordre. J'en excepte la
chanteuse à vocalises Mlle Allen, les barytons Sil-
vestri et Benedetti et les ténors Aristi et Gregorio.
Il est décidé heureusement que nous aurons ici,
au mois de juin, un festival de deux jours, dirigé
par M. Félix Weingartner, avec l'orchestre commu-
nal d'Utrecht et le chœur de la Société pour
l'encouragement de l'art musical à La Haye. Au
76
LE GUIDE MUSICAL
premier concert, le n juin, on exécutera la pre-
mière et la neuvième symphonie de Beethoven,
avec chœurs, et l'ouverture Léonore n° 3, de Beetho-
ven. Au second concert, le i3 juin, on exécutera
la Damnation de Faust de Berlioz.
Le chœur A capella, dirigé par M. Arnold Spoel,
et déjà si favorablement connu en Belgique, va se
rendre prochainement à Berlin pour y donner trois
ou quatre séances à la salle Bechstein.
Ed. de H.
IIÉGE. — Deuxième concert du Conserva-
_J toire. La symphonie en fa mineur a dérouté
les admirateurs de R. Strauss, qui n'y ont pas
reconnu, sauf à de rares moments, l'ingénieux et
puissant auteur d'Uilenspiegel. Une date, omise au
programme, les eût avertis de ne pas chercher
dans une œuvre de jeunesse les audaces et les
raffinements d'un art consommé, mais plutôt les
promesses d'un talent singulièrement précoce. En
dépit des longueurs et des redites, cette sym-
phonie, de structure bien classique, plaît par sa
fougue, sa sincérité d'inspiration et son abondante
couleur orchestrale ; le scherzo est traité de main
de maître et le finale renferme des passages de bel
enthousiasme. Chose curieuse, rien n'y décèle
cette recherche d'originalité suraiguë qui carac-
térise les autres ouvrages symphoniques de
Strauss.
Outre cette symphonie, M. Radoux a dirigé
Y Orphée de Liszt et l'ouverture du Prince Igor, de
Borodine, deux pages de saine musique. Cela
faisait un programme de haut goût, intéressant et
varié. Malheureusement, il faut, au Conservatoire,
renoncer aux exécutions parfaites ; l'orchestre,
composé de musiciens vieillis, se complaît dans
une nonchalance apathique qu'entretient une
direction trop paternelle; même chez les chefs de
pupitre, l'on surprend des défaillances cho-
quantes : rentrées manquées, soli malhabiles. Il
n'est pas jusqu'aux accompagnements de con-
certos cent fois joués qui ne pèchent par quelque
côté. Thibaud, dans le sol mineur de Bruch, s'est
taillé un gros succès, renouvelé avec la Navarraise
de Saint-Saëns et deux pièces de Bach, interpré-
tées par lui avec une suprême élégance.
A la Salle académique, M. Delsemme a dirigé un
excellent concert de la société Liège choral, avec
le concours de M. Louis Delune, qui a interprété
du Scarlatti, du Schubert, du Chopin, et de
M. César Thomson, qui a obtenu un très grand
succès.
Avant-hier a eu lieu la première de la Fiancée de
la mer de Jan Blockx. Nous reparlerons de ce
grand succès. P. D.
T OUVAIN.— La Table ronde multiplie
i_j ses séances sensationnelles. Après le violo-
niste Fritz Kreisler, dont le récital fut un triomphe
de virtuosité, voici qu'elle nous a procuré la
bonne fortune d'applaudir le maître pianiste Raoul
Pugno.
Tout a été dit sur ce merveilleux artiste, dont le
style autant que la technique forcent l'admiration
et qui interprète aussi magistralement Bach et
Beethoven que Schumann, Chopin et Liszt. La
pièce de résistance de son très intéressant pro-
gramme était le Carnaval de Vienne, qu'il ne nous
souvient pas d'avoir entendu exécuter avec une
telle maîtrise, l'intermezzo surtout, d'un sentiment
absolument poignant.
Le public, très nombreux, a fait à M. Pugno le
succès qu'il méritait et l'a acclamé avec enthou-
siasme.
Succès également pour une charmante canta-
trice parisienne, Mme Ariette Vierne-Taskin, qui,
accompagnée par M. Pugno — et ce fut un régal —
a dit avec goût et intelligence, sinon avec un grand
sentiment, quelques Lieder français de Lalo,
Fauré, Vierne et Pugno, plus un air de Hsendel,
bien choisi pour mettre en valeur la jolie voix de
mezzo de la gracieuse artiste.
NANCY. — L'orchestre du Conservatoire
nous a donné, â son dernier concert, la
première audition à Nancy de la symphonie en
si bémol de M. Vincent d'Indy. L'impression qui
domine lorsqu'on se trouve, sans préparation spé-
ciale, pour la première fois en présence d'une
œuvre de cette envergure et de cette importance,
me paraît être celle d'un respect hautement admi-
ratif.On est saisi d'abord par l'étonnante perfection
technique que révèle cette symphonie, par la mer-
veilleuse complexité et l'extraordinaire hardiesse
des harmonies, par la souplesse et la variété
du rythme, par la richesse et l'imprévu du
coloris instrumental, par l'originalité saisissante
des thèmes. Et l'on rend hommage à la fois à la
maîtrise du musicien et à la hauteur d'inspiration
de l'artiste qui a produit cette œuvre noble et
sévère, illuminée, surtout vers la fin, par le rayon-
nement d'un enthousiasme grave et d'allure en
quelque sorte religieuse. Il m'a semblé, du reste,
que, si la première partie est restée peut-être
LE GUIDE MUSICAL
//
lassez obscure pour une notable fraction de notre
public, les deux dernières, en revanche, et spécia-
lement la dernière, avec sa fugue splendide. avec
ïla prodigieuse souplesse de son rythme à cinq
temps, avec les fulgurances de sa magnifique
péroraison, n'ont pas seulement forcé l'admiration,
mais aussi excité une sincère et vivante émotion.
Le succès a été très net et les applaudissements
unanimes du public sonl allés à la fois à l'auteur de
cette grande œuvre et aussi aux interprètes, tout
particulièrement à M. Ropartz, qui a dirigé cette
symphonie si difficile de rythme avec une sûreté
et une maîtrise incomparables. Nous ne doutons
pas qu'il ne nous offre à bref délai le plaisir de
réentendre une œuvre dont la haute valeur appa-
raîtra certainement mieux encore à une seconde
audition.
Nous avons eu, en outre, le plaisir d'entendre
à ce concert l'admirable concerto en «m majeur,
pour violon, de J.-S. Bach, où Ysaye a laissé parmi
nous des souvenirs inoubliables. Son élève M. Jean
ten Hâve n'en a eu que plus de mérite à se faire
applaudir chaleureusement, en dépit des compa-
raisons redoutables qui se présentaient naturelle-
ment à l'esprit de tous. Il lui manque évidemment
encore l'ampleur de son et l'autorité de son maître,
et dans Y adagio, où Ysaye faisait passer un frisson
d'enthousiasme sur tout l'auditoire, il n'a pas, à
beaucoup près, atteint l'intensité d'émotion que
le grand artiste avait su mettre dans cette page
sublime du vieux cantor de Saint-Thomas. Mais
dans Y allegro et dans \e finale, il a déployé de belles
qualités de virtuosité et de style et obtenu un
succès très vif et de très bon aloi, dont nous le
félicitons de tout cœur. H. L.
"TTTIESBADEN. — Deux grandes exécu-
y y tions d'oratorios ont marqué le commen-
cement de la saison : la Sainte Elisabeth de Liszt et
la Création de Haydn, ce dernier conduit par
M. Fritz Volbach, dont on a admiré la direction
énergique, claire, fouillée, précise, en même temps
que la compréhension vivante et passionnée.
Le concert dirigé par M. Richard Strauss a été
un magnifique succès. Le programme, en dehors
de la symphonie Jupiter de Mozart, comprenait la
scène d'amour de Feuersnot et la Sinfonia domeslica,
puis une série de Lieder qu'a chantés Mme Strauss-
de Ahna. Deux autres concerts, l'un avec Mme
Erika Wedekind, l'autre avec M. Willy Bur-
mester, ont été conduits par M. Lùstner, qui a
fait entendre notamment les Variations et Double
Fugue de Schumann et la suite de ballet [Tambourin,
Menuet et Gigue) tirée par M. Félix Mottl de Céphale
et Procris de Grétry. Signalons encore deux con-
certs symphoniques, l'un dirigé par M. Irmer et
l'autre par M. Mannstaedt.
Le Cercle artistique a invité la Société de con-
cert des Instruments anciens, de Paris, à donner
une séance des maîtres des xvne et xvnip siècles,
qui a obtenu le plus vif succès. On a été réelle-
ment chai'mé par le tact parfait et la juste com-
préhension de l'interprétation. D'autres séances
ont été données par le Quatuor de Francfort
(MM. Heermann, Rebner, Basserman et Hugo
Becker), qui a exécuté les quatuors en ut majeur
de Mozart, en ut mineur de Brahms, en la majeur
de Schumann, en ré majeur de Haydn, en si de
Beethoven et en mi majeur de B. Scheinpflug
(avec piano : M. Edouard Reuss). J. P.
NOUVELLES
— On sait que M. Maurice Maeterlinck a écrit
deux drames spécialement destinés à servir de
texte à des partitions musicales. L'un, Ariane et
Barbe-Bleue, a été confié par lui à M. Paul Dukas,
qui a presque achevé de le mettre en musique.
La partition de l'autre drame. Sœur Béatrice,
devait être écrite par M. Gabriel Fauré. Surchargé
de travail, absorbé par la maîtrise de la Madeleine
et par sa classe de composition au Conservatoire,
M. Fauré a été obligé d'abandonner sa. collabora-
tion avec M. Maeterlinck, qui vient d'autoriser
un jeune compositeur, M. Moret, à écrire la
musique de son œuvre. Rappelons qu'une partition
de Sœur Béatrice, de Max Marschalk, a été exécu-
tée à Berlin au mois de février 1904.
Annonçons aussi, à propos de M. Maeterlinck,
qu'un autre musicien, M. Henry Février, travaille
à une partition (ouverture, entr'actes et musique
de scène) destinée à accompagner les représenta-
tions de Monna Vanna.
— Les deux mois de la saison lyrique de Monte-
Carlo promettent d'être activement occupés. Il va
sans dire que le « clou » de cette saison sera le
78
LE GUIDE MUSICAL
Chérubin de MM. Massenet, F. de Croisset et
Henri Cain, dont Monte-Carlo aura la primeur
Les autres ouvrages français seront Faust, Hamlet,
Hélène (Saint-Saëns), la Damnation de Faust et
l'Africaine, tous dirigés par M. Léon Jehin.
M. Vigna dirigera les opéras italiens : / Puritani,
Il Barbiere di Siviglia et La Sonnambula, à l'exception
de Mefistofele, qui sera « concerté » par le chef
d'orchestre Toscanini, et du nouvel opéra de
M. Mascagni, V Arnica, dont l'auteur dirigera en
personne l'exécution. Chérubin aura pour interprè-
tes Mmes Mary Garden, Marguerite Carré, Lina
Cavalieri et M. Renaud.
— On annonce plusieurs premières représenta-
tions très prochaines sur diverses scènes italiennes :
au théâtre Dal Verne, de Milan, Lo Schiavo di Cleopa-
ira, drame lyrique en un acte, paroles de MM. P.
de Luca et A. Graziani, musique de M. Edoardo
Bellini; au théâtre Coccia, de Novare, Madré,
drame lyrique en trois actes, livret tiré par
M. Ettore Fabietti d'un roman populaire de M. G.
Sabbatini intitulé Gli Spaszacamini délia Valle d'Aosta
(les Ramoneurs de la vallée d'Aoste), musique de
M. Ubaldo Zanetti, et à Cosenza, deux ouvrages
d'un seul coup : Nel canliere, en deux actes, paroles
de M. x\chille Cavallo, et Leonil.ta, en un acte,
paroles de M. Francesco-Saveiïo Padovani, tous
deux avec musique de M. Giovanni Vavalli. Le
même compositeur donnera au printemps, sur le
théâtre Adriano, de Rome, un troisième ouvrage,
Tisbe, opéra en quatre actes.
— Le Théâtre de la cour de Munich annonce
comme nouveautés Béatrice et Bénédict de Berlioz,
Ilsebill de Klose, Till Eulenspiegel de Reznicek et
FenersnotàQ Richard Strauss.
— Iphigénie en Tauride de Gluck vient d'être
monté au Théâtre de la cour à Weimar, avec
Mlle vom Scheidt, dans la nouvelle adaptation
allemande qu'en a donnée M. Richard Strauss. Le
succès a été très grand.
— Un comité vient de se fonder à Berlin pour
créer, dans un but charitable, une fondation Henri
de Ahna, à la mémoire du grand violoniste ; il se
compose notamment de MM. Joachim, Barth,
Hollànder, Scharwenka, Nikisch, etc.
— Le gouvernement français vient d'envoyer à
M. Félix Weingartner la croix de chevalier de la
Légion d'honneur.
— Le dernier concert symphonique dirigé au
Queen's Hall par M. Henry Wood avait au pro-
gramme trois ouvertures de Richard Wagner bien
rarement exécutées : Rtde Britannia, écrite en i836
et dont nous avons parlé il y a quelques mois, après
la récente découverte d'une copie que l'on croyait
perdue; Polonia, écrite en i832, la même année
que la symphonie en ut, et Christophe Colomb, écrite
en i835 et exécutée pour la dernière fois, si nous
ne nous trompons, à Paris en 1841.
— L'année 1905 est séculaire pour cinq grandes
œuvres de Beethooven : la Symphonie héroïque, qui
fut exécutée à Vienne pour la première fois le
7 mars i8o5 ; Fidelio, dont la première représenta-
tion eut lieu à Vienne le 20 novembre i8o5 ; la
grande ouverture de Léonore, la Sonate à Kreutzer,
et le triple concert op. 56, qui fut exécuté à Vienne
en i8o5.
NECROLOGIE
Mme veuve Ferdinand Kufferath, née Christine
Dumont, mère de notre collaborateur M. Mau- 1
rice Kufferath, directeur du théâtre royal de la
Monnaie, s'est éteinte hier le 21 janvier, entourée
de la tendresse désolée de tous les siens.
Née à Cologne, en 1819. dans cette vieille
maison de la place du Dôme où deux têtes de che-
vaux se montrent aux fenêtres du grenier,
rappelant une des légendes populaires de la
ville, elle épousa Hubert Ferdinand Kufferath,
pianiste du roi Léopold Ier, que M. F. -A. Gevaert
appela en 1872 au Conservatoire ro3*al de Bru-
xelles, où il resta professeur de fugue et de contre-
point jusqu'à sa mort, en 1896. Nous ne rappelle-
rons ni les solides études que fit ce maître toujours
regretté sous la direction de Maurice Hauptmann
et de Félix Mendelssohn, ni les brillants élèves
qu'il forma : Edouard Lassen, Monasterio, Wael-
put, Peter Benoit, Edgar Tinel (son successeur au
Conservatoire depuis la mort de Joseph Dupont),
Léon Jehin, Joseph et Franz Servais, Léon Soubre,
Danneels, Arthur De Greef, Léon Dubois, Isaac
Albéniz, Camille Gurickx, Emile Agniez, Van
Dam, Reins, Dabsalmont, Lunssens, ni l'influence
profonde et décisive qu'il exerça sur le mouvement
musical belge en révélant les œuvres alors ignorées
ou presque inconnues de Bach, de Beethoven, de
Mozart, de Haydn, de Mendelssohn, de Schumann.
Qu'il nous suffise de dire qu'en Christine
Dumont, le grand musicien qu'était Ferdinand
Kufferath avait trouvé la digne compagne de sa
vie. Chez elle défilèrent les gloires de la musique :
Liszt, Rubinstein, Mme Clara Schumann, la Viardot,
LE GUIDE MUSICAL
79
la Sontag, les sœurs Milanollo, Joachim, Stock -
hausen, Lipinski, Henri Wieniawski, François et
Joseph Servais, Lauterbach, Louis Strauss,
Mme Norman-Neruda, Rappoldi, Brassin, Léo-
nard, Camille Saint-Saëns, Max Bruch, etc.,
qui tous gardèrent ou gardent encore le souvenir
de sa bienveillance, de son humour, de sa bonté
et de sa profonde compréhension artistique. Ces
séances intimes, où les œuvres les plus hautes
furent interprétées par les plus grands maîtres, elle
les présidait avec un tact et un charme qui ajou-
taient à la splendeur musicale tout ce qu'il faut
aussi d'intimité et de sympathie entre les auditeurs
pour que l'émotion artistique soit profonde et
complète.
Mme Ferdinand Kufferath, jusque dans ses der-
niers jours, n'avait d'autre bonheur que de réunir
tous ses enfants ; alors reprenaient ces séances de
musique de chambre que son mari avait si long-
temps présidées et que, peu de jours avant sa
mort, il priait les siens de ne jamais abandonner,
car il voyait en elles une garantie de leur parfaite
union, l'expression vivante de l'affection filiale et.
fraternelle.
Mnie Ferdinand Kufferath laisse deux filles,
M™ Antonia Speyer, qui eut de grands succès
de cantatrice dans les concerts à Bruxelles,
à Paris (chez LamoureuxJ, en Allemagne et en
Angleterre; Mme Sophie Margreitter, qui dirigea
l'instruction de LL. AA. RR. les princesses Louise
et Stéphanie de Belgique, et trois fils, MM. Mau-
rice Kufferath, directeur du théâtre royal de la
Monnaie, qui fut pendant trente années l'âme du
Guide musical; Edouard Kufferath, membre de
l'Académie de médecine, professeur à l'Université
de Bruxelles, médecin en chef de la Maternité, et
Ferdinand Kufferath, ingénieur.
La rédaction du Guide musical s'associe à la
douleur de son ancien directeur et de toute sa
famille, et leur présente l'expression émue de ses
condoléances et de sa profonde sympathie.
R. S.
— On annonce de Gênes la mort d'un artiste
distingué, Giovanni Firpo, maître de chapelle de
l'église Saint-Ambroise. Il s'est fait connaître par
de nombreuses et importantes compositions,
entre autres une messe solennelle à grand or-
chestre, une cantate à quatre voix : La Découverte
de T Amérique, exécutée à l'Exposition Colom-
bienne de Gênes en 1892, l'hymne de noces Savoia-
Petrovich, etc. Il avait orchestré la messe pour
orgue de Liszt.
— A Salzbourg, vient de mourir Joséphine von
Berchtold-Stonnenburg, la dernière descendante
de Mozart; elle était l'arrière-petite-fille de la
sœur du maître, Marie-Anna.
— On nous annonce de Berlin la mort, à l'âge
de soixante-dix ans, d'une cantatrice d'opéra autre-
fois célèbre, Louise Kôhler.
pianos et 1b ar pes
Bruxelles : 6, tue Xatérale
paris : rue ou flOafl, 13
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 22 janvier. — Concert Colonne : la Croisade
des enfants, légende musicale de Marcel Schwob et
Gabriel Pierné, œuvre couronnée pai la ville de Paris.
— A 2 h., au Conservatoire : Septième concert de la
Société des Concerts, sous la direction de M. Georges
Marty. Programme : Première audition publique, à
Paris, de Saûl, oratorio en trois parties, de Hasndel.
traduction française de M. Maurice Bouchor. Solistes :
MM. Emile Cazeneuve, -Louis Frolich; M mes Auguez
de Montalant, Mary Garnier, Georges Marty, Marg.
Revel; orgue : M. Alex. Guilmant.
— A 3 h , au théâtre Marigny : Association artis-
tique des Concerts Le Rey. Programme : Ouverture de
Freyschûtz, Weber; Symphonie, Tournemire (sous la
direction de l'auteur); Chanson triste, Duparc. Margue-
rite, Schubert; Chanson ancienne, Sauzay (violon solo,
M. 'Bastide; violoncelle solo, M. Ronchini ; Mlle Juliette
Lancezac); Jeux d'enfants, suite d'orchestre, Bizet; Va-
riations symphoniques, Franck; Au Soir, Schumann;
Première Ballade, Chopin (M»e Céliny Riohez); Marche
héroïque (à la mémoire d'Henri Regnault), Saint-Saëns.
Mardi 24 janvier — Salle des Concerts, rue d'Athènes:
Société philharmonique de Paris : Mme Jeanne Raunay,
MM. Sappelnikoff et Henri Marteau.
BRUXELLES
Mardi 24 janvier. — Salle de la Grande Harmonie :
Récital de piano donné par M. Edouard Barat. Au pro-
gramme : Fantaisie chromatique, Bach; Sonate en ri
mineur op. 3i, n° 2, Beethoven; Variations sérieuses,
Mendelssohn; Papillons, Schumann; Impromptu et
Moment musical, Schubert; Polonaise op. 53, Chopin.
Mercredi 25 janvier. — Salle Allemande (rue des Mi-
nimes) : Première séance du Quatuor Zimmer Au
programme : Quatuor en ré majeur, op. 76, Haydn;
Quatuor en fa majeur, op. i35, Beethoven; Quatuor en
ut mineur, op. 5i, Brahms.
— A4 1/2 h., Salle Gaveau : Une. heure de musique par
Mme Bathori et M. Engel. Récital Max d'Ollone-Gabriel
Fabre, avec le concours des auteurs et de MM. Marcel
Ysaye, violoniste, Pitsch, violoncelliste.
Jeudi 26 janvier. — Salle de l'Hôtel Scheers : Séance
So
LE GUIDE MUSICAL
de musique de chambre donnée par MM. Marcel Jorez,
violoniste, Maurice Du Jardin, pianiste, Albert Jans-
sens, violoncelliste, avec le concours de M. Georges
Surlemont, baryton. An programme : A. Arensky,
Hasndel, E. Grieg, Beethoven, Schumann, N. Gade.
Samedi 28 janvier. — Salle Erard : Piano-récital donné
par iYllle Jeanne Maison. Au programme : Beethoven,
Mozart, Rameau, Scarlatti, Chopin, Liszt, Radoux et
SaintSaëns.
— Salle de la Grande Harmonie : A 2 1/2 heures
précises de l'après-midi, concert par M. Henri Merck,
violoncelliste, avec orchestre sous la direction de M. I.
Albéniz. Au programme : Prélude de Merlin, drame
lyrique, première journée de la Trilogie du Roi Arthur,
I. Albéniz; Concerto en mi mineur, pour violoncelle et
orchestre, V. Herbert (M. Henri Merck); Aria, Bach,
Elégie, G. Fauré; (M. Henri Merck); Variations sym-
phoniques, pour violoncelle et orchestre, Boëllmann
(M. Henri Merck); Catalonia, I. Albéniz.
Mercredi 1er février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert donné par Mme Lula Mysz-Gmeiner, canta-
trice, avec le concours de M. Jean du Chastain, pia-
niste. Programme : Concerto italien, Bach (M. du
Chastain); i.Junge Nonne, Auf dem Wasser zu singen, Das
Lied im Griinen, Liebhaber in allen Gestalten, Schubert
lMme Mysz-Gmeiner); 3. Sonate op. 53, ut majeur,
Beethoven (M. du Chastain); 4. Traume, R. Wagner,
Ueber allen Gipfeln ist Ruh, Loreley, Liszt (Mme Mysz-
Gmeiner); 5. Etude op. 25, n° 11, la mineur, Nocturne
op. 27, n° 2, ré bémol majeur, Polonaise op. 53, la bé-
mol majeur, Chopin (M. du Chastain); 6. Immer leiser
wird mein Schlummer, Vergebliches Stândchen, Brahms;
Auftràge, Friihlingsnacht, Schumann (Mme Mysz-Gmei-
ner.
Jeudi 2 février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert par M. Max Donner, violoniste; orchestre di-
rigé par M. Crickboom. Programme : Ouverture de
, Goriolan, L. van Beethoven ; Concerto de violon op. 64,
Mendelssohn (M. Max Donneri; Morceau caractéris-
tique pour orchestre op. 32, Max Donner; Concerto
op. 20, Saint-Saëns (M. Max Donner); Sizgfried-Idyll,
R. Wagner; Romance op. 42, Max Bruch ; Dance of tke
Guats op. 20 (Miickentanz), Max Donner (M. Max Don-
ner).
Vendredi 3 février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concerts Crjckboom, deuxième concert d'abonnement
avec le concours de Mlle Eisa Rùegger, violoncelliste.
Programme.: Ouverture du Roi Lear pour orchestre,
première audition, Schilling; Concerto pour violoncelle
solo et orchestre, V. Herbert (Mlle Eisa Riiegger);
Concerto pour deux violons, violoncelle solo et orchestre
à cordes, première audition, Hsendel ; Sonate pour
violoncelle, Locatelli (MUe Eisa Rùegger); Ouverture
à'Obèron pour orchestre, C. Weber. Orchestre sous la
direction de M. Mathieu Crickboom.
Dimanche 5 février. — Théâtre de l'Alhambra : Con-
certs Ysaye, troisième concert d'abonnement sous la
direction de M. W. Mengelberg, chef d'orchestre du
Concertgebouw à Amsterdam, avec le concours de
M. Mark Hambourg, pianiste. Programme : Ouverture
de Léonore n° 3, L. Van Beethoven; Concerto en ré mi-
neur, J. Brahms (M. Mark Hambourg); Symphonie
pathéthique, J. Tschaïkowsky ; Pièces pour" piano seul
(M. Mark Hambourg); Don Juan, poème symphonique,
R. Strauss.
Jeudi 9 février. — Salle Le Roy : Concert donné par
MHe Irma Hustin, pianiste, avec le concours de Mlle
Gaëtane Britt, harpiste. MM. Henri Merck, violoncel-
liste et Dethier, violoniste. Au programme : Saint-
Saëns, Beethoven, Daquin, Rameau, Chopin, Schu-
mann, Zabel, Trnececk.
Vendredi 10 février. — Salle Erard : Première séance
de sonates pour piano et violon, donnée par Mlle Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. Programme : Sonate
en si mineur, J.-S. Bach; Sonate en fa majeur, op. 24,
L. van Beethoven ; Sonate en ré mineur, op. 108,
J. Brahms.
Dimanche 12 février. — Théâtre royal de la Monnaie :
Troisième Concert Populaire sous la direction de
M. Sylvain Dupuis et avec le concours de Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel, pianiste. Programme : Prélude sym-
phonique op. 8, n" 2, R. Gaetani (première audition);
deuxième symphonie, Borodine; troisième concer'o, ut
mineur, Beethoven (M™e Kleeberg-Samuel); Murmures
de la forêt de Siegfried, Wagner; Variations sympho-
niques pour piano avec accompagnement d'orchestre,
C. Franck (Mme Kleeberg-Samuel); Ouverture du Vais-
seau fantôme, R. Wagner.
Mardi 14 février. — Salle Le Roy : Séance de chant
donnée par Mme Miry-Merck. cantatrice, avec le con-
cours de M. Emile Bosquet, pianiste. Au programme :
Hasndel, Galuppi. Monsigny, Lotti, J.-S. Bach, Albéniz,
A. Bruneau, L. Wallner, J. Jongen, C. Debussy, J. Si-
bélius, Schubert, Schumann.
— Salle Ravenstein : Récital de piano par MHe
Marthe Devos.
ANVERS
Mercredi 25 janvier. — ■ Société royale de Zoologie :
Festival Waelput sous la direction de M. Edw. Keur-
vels et avec le concours de Mlle Elly Vliex, cantatrice,
•M. Hipp. Vinck, flûtiste et le Choral mixte de la So-
ciété. Programme: Ouverture de concert; troisième
symphonie en mi bémol ; trois Lieder avec accompagne-
ment d'orchestre ; Concerto pour flûte et orchestre ;
trois Lieder avec accompagnement d'orchestre ; La Béné-r
diction des armes, cantate pour chœur et orchestre.
Mercredi 1er février. — Société royale de Zoologie :
Concert avec le concours de M. Marix Loevensohn,
violoncelliste.
BRUGES
Jeudi 26 janvier. — Au Théâtre : Second concert du
Conservatoire, sous la direction de M. Karel Mestdagh,
directeur du Conservatoire, avec le concours de M. Cé-
sar Thomson, violoniste, professeur au Conservatoire
royal de Bruxelles. Programme : Symphonie en sol mi-
neur, Mozart; Concerto en «' mineur, pour violon. J.-S.
Bach; Air de ballet de Rosamonde, Schubert; La Follia,
sonate pour violon et piano, Corelli; Poème d'amour,
valses chantées, avec accompagnement de piano à
quatre mains, J. Brahms; Chacone pour violon, E.
Vitali ; Marche des Nobles de Tannhàuser, R. Wagner.
LIÈGE
Mardi 24 janvier. — Salle Renson : Première séance
du Quatuor Zimmer avec le concours de M. Jaspar,.
pianiste. Programme : Quatuor en ut majeur, Mozart:
Quatuor en ré mineur, Schubert; Quatuor en ut mineur,
Gabriel Fauré.
Samedi 28 janvier. — Deuxième Concert populaire
dirigé par M. Delsemme, avec le concours de Mme Fé-
lia Litvmne. Programme : Concerto en si mineur (pre-
mière exécution), Haendel ; Air d'Alceste, Gluck; Scherzo-
Caprice (première exécution), Raway; Ouverture du
drame lyrique Sainte-Cécile (première exécution), Rye-
landt; Air de La Vestale, Spontini; Ouverture de Given-
doline, Chabrier.
TOURNAI
Dimanche 22 janvier. — Société de musique (Halle-aux-
Drapsj, à 4 heures, concerts de musique belge : Rubens
Cantate de Peter Benoit et Patria de Radoux.
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29 Janvier 1905.
LES CHANTS DE L'ABANDONNÉ
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
(Suite. — Voir le dernier numéro)
Aïs soudain, à l'accompagne-
ment, retentit une fanfare har-
die et joyeuse. Elle annonce
pour le pauvre meunier un
rival redoutable. De son bonheur intense,
il tombe aussitôt dans la plus troublante
inquiétude, car il connaît la voix enchan-
teresse et séductrice qui vient de la forêt;
il redoute cet appel mystérieux du son du
cor, sachant bien le pouvoir qu'il aura sur
sa meunière. Elle est finie, la grande joie
de l'amour! Sur le « thème » précipité et
sauvage de la fanfare même, retentit
maintenant cette inquiète supplication
qui voudrait éloigner le mystérieux rival,
et constamment, à l'accompagnement,
résonne, obstinée et menaçante, la sonnerie
effrayante qui, en dépit de tout, s'approche.
(Der Jdger,Le Chasseur, n° 14.) Le ruisseau
lui-même semble partager le tourment de
cette âme anxieuse; l'onde agitée descend
en grondant du moulin vers la. forêt! Ah!
plutôt, qu'elle remonte son cours vers cette
frivole enfant que le son magique du cor
a déjà charmée et distraite de son premier
amour ! Pleine d'émoi et curieuse, n'a-t-elle
pas attendu la venue de ce chasseur dans
la lumière diffuse du crépuscule, à sa
porte même, tendant le cou pour le voir
venir de plus loin? Le tableau est admira-
ble de couleur, d'intensité et de réalisme;
poète et musicien témoignent en ces pages
d'un extraordinaire pouvoir d'expression
de tous ces sentiments si différents, des
multiples attitudes de leurs personnages,
du paysage et de la musique qui les enve-
loppent. L'évocation est complète et se
continue dans le même Lied par un con-
traste puissant pour nous ramener aux
délicieux tableaux des idylles ensoleillées
du début du cycle : la fierté, une dernière
fois, chasse l'âpre jalousie; que le ruisseau
ne dise rien à la belle de ce premier ressen-
timent, mais qu'il parle au contraire d'un
gai compagnon, de son ami le meunier,
coupant sur ses bords fleuris un roseau et
le taillant tout en chantant pour en faire le
gai pipeau au son duquel dansent et rient
les enfants du village. Quelle adorable
pastorale s'anime ici par la parole du poète
et le chant du musicien. (Eifersucht und
Stolz, Jalousie et Fierté, n° i5.) Mais c'est
s4
LE GUIDE MUSICAL
le dernier et fugitif tableau de l'idyllique
chanson d'amour déjà sombre d'inquié-
tude.
La meunière est au chasseur des bois ;
et la mélodie qui tantôt chantait, dans le
mode majeur, la belle couleur verte de
l'espérance, a fait place à présent, rappe-
lant encore la couleur chérie, à une triste
plainte dans le mode mineur. Le vert,
c'est aussi la couleur du perfide chasseur !
Pour essayer encore de plaire à sa belle,
le pauvre abandonné recherchera la
nuance aimée dans les bois de cyprès
sombres; il veut chasser aussi, mais ce
sera un farouche gibier : la mort dans
l'immense détresse de l'amour; jusqu'à sa
tombe où, seule, l'herbe verte viendra
croître, il restera fidèle à la couleur aimée.
{Die liebe Farbe, La Couleur aimée, n° 16.)
Pourtant, cruelle comme sa maîtresse,
elle lui rappelle partout son malheur; il
veut la fuir, mais en tous lieux, ironique
et blessante, elle se montre au malheureux
homme « pâle et blanc » ; c'est elle qu'il
voit dans lés champs, dans les forêts, dans
la prairie! Un accompagnement serré de
doubles croches en 2/4 accentue ce chant
de fiévreuse angoisse ; l'horrible fanfare de
la chasse s'y mêle soudain; au meunier
délaissé, qui pour un dernier adieu s'est
glissé jusqu'à la porte de la maison autre-
fois bénie, la belle meunière apparaît à
nouveau, cruelle et rieuse, épiant dans
la forêt le chasseur qui s'annonce. Pour
lui seul, pauvre meunier, elle n'a point
de regard! (Die bôse Farbe, La méchante
Couleur, n° 17 ) D'un si dur mépris, elle
a tué l'amour ; triste et délaissé, le meunier
a quitté la place maudite où son cœur s'est
brisé ; lentement, comme sur un rythme de
marche funèbre/ il chante sa plainte rési-
gnée aux petites fleurs fanées que lui
donna autrefois la fille au cœur volage;
il les veut avec lui dans sa tombe pro-
chaine. {Troctfne Bliimcn, Fleurs fanées,
iï° 18.) Une dernière fois encore, il s'en
vient demander conseil au ruisseau qui,
fidèlement, murmure auprès de lui; à son
bord, il s'arrête et l'écoute. Consolante
est la voix de l'eau ; elle appelle, elle attire,
elle parle d'un doux repos, de l'oubli dans \
la mort (Der Millier und der Bach, Le Meu-
nier et le Ruisseau, n° 19.) De plus en plus
doux à l'accompagnement est le chant du
ruisseau ; un rythme berceur, infiniment
tranquille et calme/semble endormir tous
les tourments d'autrefois. Dans la claire
demeure « cristalline et bleue » , sur un lit
de mousse verte et tendre, bercé à la chan-
son divine et infinie de l'onde, dort à pré-
sent « le voyageur fatigué », le passionné
et tendre enfant qui mourut de son premier
amour, 1' « Abandonné » si doux et si rési-
gné! Sa voix s'est éteinte avec sa. passion
et sa tristesse ; seul, le courant murmure
encore l'apaisante berceuse de l'oubli. (Des
Bâches Wicgenlied, La Berceuse du Ruis-
seau, n° 20.) C'est dans cette note infini-
ment tranquille, mélancolique et pourtant
si sereine, que se termine le cycle des
chants de 1' « Abandonné » de la Belle
Meunière. Ni le poème, ni la musique ne
nous ont encore offert des accents tragi-
ques et déchirants. Nous avons eu les plus
riants tableaux, de longs et vibrants cris
de joie et les plus mystérieuses et tendres
émotions de l'amour partagé. Les chants
tristes qui suivent, si pénétrants qu'ils
soient, portent tous en eux cette teinte
infiniment douce d'une résignation com-
plète qui atténue si bien les plus grandes
douleurs et les force à s'endormir. L'at-
mosphère poétique et lyrique de la Mùl-
lerin reste celle d'un beau jour d'été, où
tout s'annonce dès l'aurore soleil et joie ;
où, vers la fin du jour seulement, de lourds
et noirs nuages, amoncelés peu à peu, se
sont assemblés; l'orage alors a grondé,
frappant une plante délicate qui s'épa-
nouissait au bord d'un ruisseau; fauchée
dans sa resplendissante jeunesse, elle aban-
donne au courant ses pauvres tiges flétries
et brisées et, lentement, sous le ciel humide
et doux qui succède aux orages passagers
de l'été, elle passe et disparaît au murmure
Ondoyant du flot qui l'emporte. La Belle
Meunière a toute cette lumière resplen-
dissante de la chaude journée estivale;
LE GUIDE MUSICAL
85
les nuées orageuses ne l'ont obscurcie
qu'un moment, et c'est dans le calme
d'une atmosphère rafraîchie et des longs
et enveloppants crépuscules de l'été,
comme portée sur les légères buées violet-
tes qui planent sur les prés humides, que
s'élève, apaisant et doux comme la nuit,
le dernier Lied, la Berceuse du Ruisseau.
Bien autrement sombre et tragique est
l'impression qui se dégage du Voyage d'hi-
ver {Win ter reise), de Schubert-Muller aussi,
second cycle des chants de l'« Abandonné »
qui nous occupent. Trois ans seulement en
séparent la composition musicale de celle
de la Belle Meunière. Le Winterreise date
de 1827 et comprend vingt-quatre numé-
ros. Nous ne retrouverons plus rien ici de
l'humeur généralement souriante de Mùller,
ni de l'inspiration si volontiers enjouée de
Schubert. La muse qui a inspiré le poète
et le musicien est grave, et même profondé-
ment triste ; un souffle plus romantique,
plus passionné a passé dans cette suite de
Lieder d'une intense poésie ; le paysage
évoqué par la parole, et surtout par la mu-
sique, est lui-même (le titre du cycle l'in-
dique) désolé comme la nature en hiver.
Si de temps en temps nous apercevons
une lueur d'espoir, ce ne sera jamais
qu'une illusion furtive, pareille au feu follet,
et c'est dans une perpétuelle tempête que
va se dérouler le long et douloureux
voyage. Combien partout la passion est
plus profonde, l'accompagnement plus
dramatique que dans la Meunière, et l'im-
pression d'abandon et de solitude plus
saisissante! Dès le début, cette sensation
nous surprend et nous est révélée par les
premières paroles : « Etranger je suis
entré, étranger je m'éloigne » . La personna-
lité de Y « Abandonné » reste elle même
vague ; aussi indécise est celle de l'infidèle
amie ; leurs caractères seuls apparaissent
nettement déterminés ; ce sont des types
généraux prenant rang parmi les figures
symboliques et universelles, et d'autant
plus émouvantes par cela même.
Le premier Lied commence par nous
rappeler le vague souvenir d'un temps
heureux où le printemps, comme dans la
Belle Meunière, avait mis dans le cœur d'un
joyeux compagnon le désir du voyage. Un
jour délicieux — c'était en mai, où toutes
fleurs sont écloses, — il s'arrête et demande
l'hospitalité dans une avenante maison
située sur son chemin. Avenante aussi est la
fille de l'hôtesse; tout parle bientôt d'amour
sous le toit hospitalier, jusqu'à ce qu'un
jour, le premier « élu » se voit abandonné
pour un galant plus riche. Dès lors, il n'a
plus qu'à quitter cette maison où il n'est
plus rien : une nuit d'hiver, sous une lune
glacée, sans dire un mot d'adieu à la
cruelle, il disparaît pour toujours. (Gute
Nacht, Bonne nuit, n° 1.) Dans l'âpre bise
froide, une voix semble retentir, insis-
tante et ironique, persistant à l'accompa-
gnement en un sifflement lugubre pendant
tout le Lied; c'est le chant moqueur de la
girouette, vraie enseigne de la maison où la
fantaisie se joue du cœur {Die Wetterfahne,
La Girouette, n° 2.) Des larmes silencieuses
coulent lentement sur les joues brûlantes de
l'abandonné, qui n'a pas même, dans le feu
dévorant de sa douleur intérieure, la sen-
sation du froid du dehors. {Gefror'ne Thrâ-
nen, Larmes glacées, n° 3.) Un mouvement
rapide, évoquant une marche précipitée,
souligne un chant aussi emporté que dou-
loureux. Si son amour a péri, n'en trou-
vera-t-il plus au moins une trace, un sou-
venir? Mais ni l'empreinte des pas de la
belle amie, ni les prés fleuris du printemps
passé n'apparaissent plus sous le manteau
de neige qui couvre la terre. Oh! que
l'image de l'aimée d'autrefois ne s'éva-
nouisse pas ainsi dans son cœur! [Erstar-
rung, Engourdissement, n° 4.) Interrom-
pant un instant l'accent dramatique de ces
chants désespérés, voici qu'un léger bruisse-
ment se fait entendre : c'est une source qui
jaillit auprès d'un tilleul frissonnant au vent
d'hiver; au frémissement si doux qui
surprend le voyageur errant dans la nuit
profonde, des souvenirs attendris d'autre-
fois lui reviennent à l'esprit; la mélodie
aussitôt s'éclaire d'une lueur d'apaisement :
dans un mouvement modéré, elle semble
86
LÉ GUIDE MUSICAL
vouloir s'attarder un peu aux souvenirs
heureux du passé ; la voix de l'arbre mur-
mure, berceuse et tranquille, et invite au
repos. Mais la bise du nord, fouettant
soudain le visage du malheureux, lui rap-
pelle sa douleur et l'entraîne loin de l'illu-
sion joyeuse qui, par la voix fascinante du
tilleul, le suit pourtant encore sur son
chemin {Der Lindenbaum, Le Tilleul, n° 5.)
La tristesse lui arrache de nouveaux cris :
c'est la douloureuse mélodie à la neige, où
ses larmes brûlantes tombent à flots et se
glacent, pour redevenir de feu quand cette
neige, fondant aux vents tièdes, passera en
torrent tumultueux devant la maison de
l'infidèle amie {Wasserfluth, Torrent, n° 6);
c'est aussi la plainte émouvante au ruis-
seau emprisonné dans la glace, étendu
immobile sur son lit de sable, symbole de
son cœur torturé et glacé par le souffle
d'un âpre et froid mépris. (Aufdem Fiasse,
Au ruisseau, n° 7.) Il marche, la lièvre le
dévore, son âme sans cesse se sent animée
de désirs contraires ; il veut fuir la « ville
de l'inconstance », et pourtant il ne peut
s'empêcher de regarder en arrière. A ces
deux sentiments opposés correspondent,
dans le Lied, des périodes distinctes : l'une
ardente comme la douleur qu'elle chante,
l'autre plus calme, traversée comme du
souffle printanier qu'elle évoque aux chers
souvenirs d'autrefois. (Rûckblick, Réminis-
cence, n° 8.) Soulignant une douleur presque
délirante qui égare le voyageur dans sa
route comme dans sa pensée, vient alors
une mélodie étrange, d'un caractère fatal,
aux intonations changeantes, aux rythmes
bizarres, sur un accompagnement mysté-
rieux et essentiellement pittoresque; c'est
le Lied de l'hallucinante nuit aux feux
follets, symboles effrayants de cette fragile
destinée qui nous conduit à l'éternelle nuit.
(IrriicM, Feu follet, n° 9.) Mais la mélodie
suivante revient au caractère général du
cycle : c'est la fatigue du voyageur qu'elle
chante dans ses phrases tout en contrastes,
alternativement puissantes et douces, car
nous voici en présence de deux situations
opposées :1e repos trouvé dans une auberge
du chemin et la fièvre intérieure de l'âme
que ne combat même plus à présent le
souffle de la tempête extérieure. (Rast,
Repos, n° 10.) Des rêves apaisants viennent
enfin bercer le voyageur lassé : c'est une
joyeuse chanson de mai qui résonne aussi-
tôt, mettant un petit coin de ciel bleu dans
ce morne paysage ; des songes heureux lui
font revoir un instant le printemps tout en
fleurs et plein d'amour, et aussi cette belle
jeune fille qu'il aime, dont il est aimé! Elle
est infiniment berceuse et riante cette mé-
lodie du rêve heureux; mais combien dure-
ment l'arrêtent et la brisent les phrases
courtes, rapides et angoissées du réveil :
chant du coq et cris des corbeaux n'ont
rien de plus perçant ni de plus sombre,
Combien poignant, après la mélodie joyeuse
du rêve et le cri subit du réveil, est le triste
chant de désillusion de ce rêveur qui voit,
en hiver, des branches vertes et fleuries et
qui, dans son cœur, vit sourire l'amour !
{Frûhlingstraum, Rêve de printemps, n° 11.)
Le jour venu, la route fatale revoit le voya-
geur, et la chanson désespérée devient de
plus en plus sauvage à mesure que l'isole-
ment se fait plus grand. Pourtant le ciel est
clair à présent, mais il ne peut plaire à
cette âme tourmentée qui ne désire autour
de lui que la tempête grondant aussi au
fond de son cœur. (Einsamkeit, Solitude,
n° 12 )
(A suivre.) May de Rudder.
LA CROISADE DES ENFANTS (I)
Légende musicale de M. Gabriel Pierné, adaptée du
poème de M. Marcel Schwob (œuvre primée au con-
cours musical de la ville de Paris 1900-1903). Première
audition au théâtre du Châtelet le 18 janvier 1905.
otre très regretté et très aimé ré-
dacteur en chef, Hugues Imbert,
rendait compte ici même, le 27 no-
vembre, du Sang de la Sirène, œuvre
qui avait valu à M. Tournemire la suprême
(1) Partition piano et chant chez Joanin et Cie'
Paris, 24, rue de Condé.
LE GUIDE MUSICAL
37
récompense du concours musical de la ville de
Paris. Il le faisait avec cette mesure, ce goût et
cet art des nuances qui doivent guider le critique
soucieux de juger sainement et sans passion. Tout
ne lui avait pas plu dans cette composition, mais
comme il avait su en voiler les défauts et découvrir
le mérite! Pour excuser la teinte monotone de
l'ouvrage, il rappelait la funèbre légende dont le
musicien s'était inspiré et nous peignait en un
mélancolique tableau la lande bretonne, où tout
pleure, où tout gémit. M. Tournemire est lui-
même un triste, disait-il, ressemblant en cela à la
majorité des jeunes hommes nés en cette période
des années cruelles 1S70-1871. Donc, il avait bien
la nature qu'il fallait pour traduire musicalement
un poème et un horizon désolés.
Si notre cher disparu eût entendu la Croisade des
Enfants et, à cette occasion, synthétisé en quelque
sorte le talent de M. Gabriel Pierné, il eût rappelé
la naissance de l'auteur en iS63, à l'époque la
plus brillante du second Empire, son enfance
heureuse, ses succès rapides, et conclu peut-être
que .ses œuvres devaient, pour ces causes, être
souriantes, lendres et sereines. Elles sont telles,
en effet, le plus souvent; toutefois, quand le sujet
traité le comporte, M. Pierné sait trouver l'émotion
dramatique et la communiquer promptement à
l'auditeur. Cette impression presque immédiate est
due à la clarté, à la belle franchise des idées et des
rythmes, à la sobriété des développements. Cha-
cune de ses œuvres se tient dans un équilibre
parfait, solide d'architecture, juste de tons,
élégante de forme .
Ces qualités toutes françaises ne semblent pas
avoir été suffisamment appréciées par le jury
chargé de classer les ouvrages soumis au concours
de la ville de Paris. La commission, formée de
cinq conseillers municipaux, de deux inspecteurs
des beaux-arts de la ville, d'un administrateur
d'un théâtre subventionné et de cinq musiciens
seulement, a placé en première ligne la partition
de M. Tournemire. Sans doute, elle a eu ses raisons
pour en décider ainsi; mais le souverain juge, le
public, a eu aussi les siennes pour casser la sen-
tence prononcée par la majorité des votants : à
l'audition officielle de la Croisade des Enfants, il a,
d'un mouvement spontané, accordé le premier
prix à M. Pierné et, quatre jours après, confirmé
son jugement en acclamant, à la seconde audition
donnée aux abonnés du Châtelet, le compositeur,
M. Colonne et les interprètes.
Les raisons, les voici : Le poème, avec sa prose
jolie, est d'une originalité et d'une grâce char-
mantes ; la musique, écrite d'une main ferme, sans
tâtonnements, sans mièvrerie, a singulièrement plu
par l'abondance des mélodies, leur naïveté voulue,
je dirais leur candeur si M. Pierné, sachant son
métier comme personne, pouvait jamais passer
pour un inspiré inconscient; enfin, la puissance des
masses vocales et instrumentales, le plaisir de voir
et d'entendre deux cents enfants, le talent des
solistes, la direction large et grandiose de M. Co-
lonne, le chef de Paris le plus c ipable de conduire
une œuvre de pareille envergure, tout a contribué
à séduire le public, tout a plaidé en faveur de
M. Pierné et a consacré son triomphe.
Le sujet de la Croisade des Enfants est tiré de
diverses chroniques du xme siècle. « Vers ce
temps-là, beaucoup d'enfants, sans chef et sans
guide, s'enfuirent ardemment de nos villes et cités
vers les pays d'outre-mer. Et quand on leur de-
mandait où ils allaient, ils répondaient : « A Jéru-
salem, pour quérir la Terre-Sainte! » Ils portaient
escarcelles, bourdons, et la croix sur l'esclavine.
Et certains venaient depuis Cologne. Ils arrivèrent
jusqu'à Gênes et montèrent dans sept grandes
nefs pour traverser la mer. Et une tempête s'éleva,
et deux nefs périrent ; et tous les enfants d'icelles
deux nefs furent engloutis. Et lorsqu'on interrogea
ceux qui revinrent pour connaître la cause de leur
départ, ils répondirent : « Nous ne savons
point... »
M. Marcel Schwob s'est inspiré de cette légende,
qu'il a fait raconter par huit personnages différents,
pour montrer comment un même événement peut
varier d'aspect suivant l'imagination de ceux qui
en furent témoins ; puis M. Pierné, s'étant épris
du poème, a demandé à l'auteur de le transformer
en une succession de scènes lyriques, sans action
dramatique, avec un récitant pour expliquer la
marche des faits. Le subtil écrivain a divisé, pour
l'usage du compositeur, la légende en quatre par-
ties. On peut la résumer en quelques lignes. Des
voix mystérieuses ordonnent aux enfants de l'Alle-
magne et des Flandres de partir pour la Terre-
Sainte; ils s'enfuient malgré leurs parents, arri-
vent à Gênes, sont émerveillés de ramasser des
étoiles de mer, qu'ils prennent pour des étoiles
qui se sont noyées en tombant du ciel, s'embar-
quent sur des nefs préparées par les échevins de
la cité et voguent vers Jérusalem. Pendant la
nuit, une tempête s'élève et engloutit les nefs dans
l'abime. Mais le Sauveur s'avance et cueille une à
une les âmes des innocents, pour les conduire en
paradis.
S'il était possible d'analyser une œuvre musicale
comme on le fait pour un ouvrage littéraire, on
aurait grand plaisir à choisir les thèmes principaux
ss
LE GUIDE MUSICAL
et à en montrer, par des exemples « notés », le
caractère et l'expression. Mais, usât-on encore
de ce moyen, la plume ne saurait, par la plus
savante transposition d'art, donner l'idée des har-
monies qui les ornent et les soutiennent, et de
l'instrumentation qui les colore. Il arrive que
quelques habiles jettent négligemment, comme
sans le faire exprès, des mots techniques pour
éblouir le lecteur. Cette fausse science ne trompant
plus personne, je crois devoir me borner à signaler
les passages de la Croisades des Enfants qui ont le
plus charmé les auditeurs, en conseillant de se
reporter à la partition.
Dans la première partie (Le Départ), je citerai :
l'introduction instrumentale pour le quatuor, d'une
délicieuse teinte mystique; l'appel des voix loin-
taines éveillant les enfants ; le dialogue entre
Alain, le pauvre petit aveugle qui voit déjà Jéru-
salem avec les yeux de l'âme, et la petite Allys,
qui s'offre tendrement à le conduire vers la cité
sainte ; leur chant à l'unisson, repris ensuite par
les chœurs d'enfants, pieusement enthousiaste,
d'une carrure libre et tout à fait originale ; un se-
cond air d'Alain, auquel j'aurais désiré plus de
simplicité dans les harmonies ; le chœur des pères
et des mères alternant avec le cantique des enfants
et s'unissant, à la fin, avec eux dans un ensemble
d'un puissant effet.
La seconde partie (En route) est toute de fraî-
cheur et de grâce. Pour tromper les fatigues de la
marche, les petits pèlerins se mettent à chanter la
chanson dite du Mont Olivet. Cette mélodie, trans-
mise oralement, se trouve consignée dans un ma-
nuscrit portant la date de 1460. Les enfants la
commencent dans la coulisse, des groupes placés
sur les divers cotés de la scène la continuent, ils
se la repassent de couplet en couplet jusqu'à ce
qu'ils l'achèvent à pleines voix, tous groupes réunis.
Cette chanson, interprétée avec une justesse im-
peccable, a ravi tout le monde, non seulement
pour l'ingénieux parti qu'en a tiré M. Pierné, mais
aussi — il faut le reconnaître — pour la bonne
et saine odeur qu'elle répand, si je puis dire, et
pour son curieux rythme à deux et trois temps.
La troisième partie (La Mer), mal comprise au
concert officiel, a été infiniment goûtée par le
public du dimanche. C'est l'allégresse des enfants
en face de la mer bleue, « de la mer jolie » ; c'est
l'exquise légende de l'étoile bleue qui devint rouge,
pleura du sang quand des méchants frappèrent
Jésus, mourut en même temps que le Sauveur,
tomba dans la mer et se noya. Il faut entendre
cette musique, vaporeuse et légère dans le coloris
qui forme le fond du tableau, pure de lignes dans
le dessin mélodique et d'une forme harmonieuse.
Enfin, je citerai dans la dernière partie (Le
Sauveur) : la description symphonique de la tem-
pête, bien qu'elle ne m'ait plu qu'à moitié ; l'appel
désespéré des enfants, la vision d'Alain admis à
contempler la lumière céleste, le chœur des anges
et le finale plein d'éclat et de magnificence.
L'interprétation, j'aime à le répéter, a été excel-
lente et de tout premier ordre. Orchestre, chœurs,
voix enfantines des écoles communales (un délice
à peine connu en France), au total cinq cents
exécutants, ont montré un tel ensemble, qu'il ne
s'est produit aucune défaillance, aucune hésita-
tion dans le cours de ce difficultueux ouvrage.
MM. Daraux et David-Devriès, Mlle Mathieu
d'Ancy, ont chanté avec un grand sentiment, et
Mlle Lucy Vauthrin a obtenu tous les suffrages
pour la netteté de sa diction et la jeunesse si
expressive et si attirante de sa voix.
Julien Torchet.
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA-COMIQUE. — Nous avons annoncé
déjà la reprise de Xavier e, qui a eu lieu le mercredi
18 de ce mois, et dit que M. Théodore Dubois lui
avait fait subir d'assez notables modifications.
Elles sont en effet assez sensibles pour qu'une
partition nouvelle ait été éditée par M. Heugel,
et la comparaison avec l'ancienne ne manque pas
d'intérêt. Il y a bien à dire, en effet, sur les rema-
niements de ce genre en général, et sur celui-ci
en particulier. Est-il avantageux à l'œuvre pre-
mière, celle d'il y a dix ans (26 novembre 1S95)?
On l'a cru, puisqu'on l'a fait; mais j'avoue que ce
n'est pas mon impression, et que même je ne
comprends pas bien qu'en en ait eu l'idée. Je me
place ici autant au point de vue du livret que de
la musique, plus peut-être. Certaines parties de
l'œuvre ont incontestablement gagné, mais d'au-
tres ont perdu. Les deux premiers actes, et le
second surtout, sont nettement supérieurs à ce
qu'ils étaient, leur intérêt est plus soutenu, leur
grâce et leur pittoresque sont achevés. Mais le
troisième, dont on s'est défié, dans la première
LJi GUIDJ; MUSICAL
89
version, au point de le refaire entièrement, est
d'un effet bien plus fâcheux dans la seconde; et
quand je consulte mes ' anciennes notes, où je
trouve que c'est le troisième acte qui m'avait paru
avoir le plus d'intérêt, dans ses contrastes mêmes,
; je comprends encore moins ce changement.
On se rappelle le sujet : Xavière est une petite
orpheline, dont le modeste avoir est convoité par
sa marâtre qui voudrait bien épouser le maître
d'école, lequel met à la chose la condition formelle
qu'on se débarrassera de l'enfant. Il y aurait
le couvent, mais Xavière aime Landry, le fils
du maître, et le curé refuse de la contraindre.
Reste l'accident possible. Profitant d'un orage,
qui surprend Xavière loin de tous, sur un châtai-
gnier, pendant la cueillette, le maître d'école
casse la branche et l'enfant tombe. Dans la
version originale (je parle toujours de la partition
et non du roman de Ferdinand Fabre, où Xavière
meurt), il n'en est que cela : Xavière n'a aucun
mal; seulement, le curé se décide à sévir, recueille
l'orpheline au presbytère, et quand les deux
associés viennent la réclamer à grand fracas, le
meurtrier, dénoncé, mis à pied de son école, n'a
plus qu'à quitter le pays, s'il ne veut pas avoir
affaire aux gendarmes. Ce dernier acte comportait
non seulement la scène violente de la réclamation,
mais le gracieux babil du petit couple de Galibert
et Mélie, leurs chansons, leur belle bumeur. Dans
la nouvelle version, Xavière a fait une chute
presque mortelle ; nous la trouvons dans son lit,
avec la fièvre, le délire, entourée de tous, et il faut
un miracle pour qu'enfin elle renaisse à la vie. Le
meurtrier fait encore une apparition, mais sour-
noise et sans bruit, et il se garde de réclamer
quand le curé le chasse.
Entre les deux versions, laquelle est la plus
lugubre? Il me semble qu'il n'y a pas de doute. Je
sais bien qu'en plus, le personnage du maître
d'école a été atténué, et que surtout la mère n'est
plus une marâtre, ni même une mauvaise mère, elle
n'est plus qu'intéressée et d'ailleurs ridicule dans
son amour pour le père de Landry. Cette impression
d'horreur qu'offrait constamment leur présence à
travers l'idylle disparait donc à peu près, et les
deux premiers actes y ont gagné. D'autant que le
premier se termine par une charmante ronde de
Xavière et des enfants de l'école autour d'elle, qui
est nouvelle; et que le second, sous les châtaigniers,
débute par les jolis motifs du couple Galibert-
Mélie de l'ancien troisième acte.
Or, c'est bien cette idylle même, celle des deux
premiers actes, spécialement dans ses motifs
cévenols, qui reste le meilleur de la partition. La
légende de saint François et des oiseaux, si bien
contée aux enfants par le bon curé, les scènes
discrètes entre Landry et Xavière, la cueillette et
les danses dans la châtaigneraie, dont l'ensemble
pittoresque a parfois de la puissance, enfin les
chansons de terroir de Galibert et Mélie (Grive,
grivette...), toutes ces pages ont gardé, et même
mieux mis en valeur, leur effet, leur charme discret
et gracieux, leur parfum agreste et naturel.
M. Th Dubois a été tout à fait bien inspiré ici.
De l'ancienne distribution, M. Lucien Fugère
est seul resté ; mais le rôle du bon et paternel curé
ne pourrait se concevoir sans lui. Si l'on n'hésitait
pas à dire d'un artiste comme lui qu'il progresse
encore, je l'en louerais, au point de vue de la
sobriété du style et de la discrétion des effets : ces
qualités semblent depuis quelque temps la marque
de tous ses rôles, et elles lui font le plus grand
honneur. Mme Marie Thiéry, de son côté, comme
je le faisais prévoir dernièrement, est une Xavière
tellement vraie, d'une grâce si naturelle, d'une
candeur si jeune, qu'on n'imagine plus le rôle
autrement. Elle a, notamment dans son lit, au
fâcheux troisième acte, des expressions de visage
d'une pureté exquise. Le rôle de la mère, avec ses
modifications essentielles, avait besoin d'une inter-
prète de choix pour s'imposer : Mlle Marié de l'Isle,
en consentant à le chanter, avec sa sûreté habi-
tuelle, a droit aux vifs remerciements de l'auteur.
C'est M. David -Devriès, lauréat récent du Conser-
vatoire, qui a débuté dans Landry (rôle créé par
M. Clément) : on voudrait qu'il nuançât un peu
plus l'éclat métallique de sa voix, mais il y a de
l'étoffe. M. Périer et M,le Tiphaine sont fort amu-
sants, sonores et bien disants, dans le couple des
amoureux qui s'embrassent dans tous les coins.
Enfin, M. Huberdeau donne au personnage repous-
sant de Landrinier (créé jadis par M. Isnardon)
un relief vigoureux des plus méritoires.
Henri de Curzon.
VARIÉTÉS. — Encore une nouveauté sur
l'affiche de l'infatigable théâtre des Variétés, mais
une vraie, cette fois, une opérette inédite : La
Petite Bohème, paroles de M. Paul Ferrier, musique
de M. Henri Hircbmann. Dans la liste des œuvres
montées par la direction depuis la rentrée, elle
porte le n° 7, et nous ne sommes qu'en janvier!
C'est admirable. Reste à savoir si elle soutiendra
vaillamment la lutte avec les précédentes; j'ai un
peu peur que non, et ce sera surtout la faute du
9o
LE GUIDE MUSICAL
livret. Avec la meilleure volonté du monde, on ne
s'explique pas la raison d'être de ce livret. On en
accepte la verve, en certains endroits, l'irrésistible
drôlerie même, à l'occasion, ou la grâce émue;
mais on voudrait voir ces qualités et ces idées
transposées en quelque sorte dans un autre sujet.
Celui-ci ne serait remarquable que s'il n'y avait
pas déjà une Bohème de Murger, puis de Puccini et
de Leoncavallo. En choisissant ce titre de Petite
Bohème, on a voulu indiquer que c'était traiter le
sujet de la Bohème en gaîté, en « blague >•>. Mais
voilà, quand on écrit les Petites Danaïdes ou les
Petites Vestales, ce sont de noires tragédies lyriques
qu'on transforme en folies burlesques. Tandis que
la Petite Bohème ne tourne au rose que le touchant
personnage de Mimi, dont il n'est plus question
que pour rire, et l'insouciante gaité des autres
personnages est fort loin de celle de l'original.
Alors, à quoi bon?
Donc, Mimi ne meurt pas; elle se contente de
faire des traits à Rodolphe avant de lui revenir.
Musette, d'autre part, est sur le point d'épouser un
jeune imbécile de vicomte, mais revient aussi à
Marcel en larmes. Ajoutez le personnage du pré-
cepteur du jeune vicomte, le nommé Barbemuche,
que la bohème enthousiasme et qui lui ménage,
en l'absence de sa noble maîtresse, une mascarade
et un bal abracadabrants dans les salons du grave
hôtel, vous aurez toutes les modifications à la
donnée primitive.
M. Hirchmann ne pouvait s'en tirer qu'à force
de couleur et de vie musicales. C'est ce qu'il a fait,
et réussi plus d'une fois, surtout dans les en-
sembles. Il a vraiment le sens du rythme qui
amuse et relève l'attention, qui souffle la folie dans
les faits et gestes des personnages. Seulement, le
sujet ne lui permet pas de rester tout le temps
dans ce ton, et d'autre part, ses goûts le portent
sans doute vers l'opéra-comique véritable. (N'est-il
pas l'auteur de Y Amour à la Bastille, et ne prépare-
t-il pas pour Nice une œuvre que doit créer
Mlle Cesbron?) Il en résulte une certaine incerti-
tude : de la timidité dans les morceaux de pure
parodie, et de la banalité dans ceux de grâce et de
sentiment. Je me bornerai à citer, comme pages
particulièrement réussies : au premier acte, le
duetto délicat de Marcel et Musette, puis le choeur
fugué : Dignus est intrare et le chœur qui le suit,
d'une verve rapide, et que termine une marche
assez drôle...; au second acte, les couplets du
vicomte, d'un rythme amusant, repris par les
autres personnages, la grande mascarade, avec
l'apparition de Barbemuche en Catherine de
Médicis, aux accents du grand opéra, enfin le
duetto à mi-voix de Musette et du vicomte; au
troisième acte, les couplets de Marcel, un
peu manières au début, plus élégants et plus
vrais à la fin, le cortège de noce de Musette, drô-
lement traité en marche funèbre, enfin le chœur de
la Bohème attablée.
L'interprétation est soignée, mais sans éclat : il
est vrai que les rôles n'y prêtent guère. Mlles La-
vallière et Saulier, MM. Alberthal, Prince, Ca-
sella, Carpentier, Claudius..., même M. Paul
Fugère (Barbemuche parfait), y paraissent tous un
peu comparses, comme M. Vauthier, qui fait rire
plus qu'aucun dans une simple apparition de
vieux domestique. Il est vrai aussi qu'il faut une
assez bonne dose d'indulgence pour les voix!...
H. te Curzon.
AU CONSERVATOIRE. — La Société des
Concerts du Conservatoire vient de donner une
première audition intégrale du Saùl de Hasndel
(1738), audition d'ordre tout archaïque, dans la-
quelle rien ne s'affirme que nous ne connaissions
déjà : de larges et belles phrases bien équarries,
des fugues colosses — comme celle qui termine
la première partie, — une orchestration creuse qui
resplendit dès que l'orgue intervient — comme à la
fin de l'ouverture, dont la conclusion est superbe,
— un Alléluia qui fait un beau pendant à celui du
Messie et des airs, des airs, des airs en quantité,
tous reliés par des récits plus ou moins poncifs....
La plus belle part du succès revient à Mme de
Montalant, à qui sont échus les plus gracieux
motifs, les airs les plus expressifs, qu'elle détaille
avec un art infini. La voix de Mlle Revel, un
tantinet trop haute — surtout à son début, —
est d'une pureté tout angélique et plane avec
sérénité. Mme G. Marty, chargée du rôle de David
(le vainqueur de Goliath en contralto!), prête une
incontestable autorité aux majestueuses déclama-
tions de son héros. M. Frolich a chanté Saiïl de
sa voix de tonnerre., mais plus en baryton qu'en
basse, et M. Cazeneuve sait donner du relief aux
moindres choses.
N'oublions pas le solo de harpe de David, fort
bien détaillé par M. Robert, et toute une scène
LE GUIDE MUSICAL
91
qu'égaie un joyeux Glockenspiel. Un peu de variété
fait grand bien.
Audition un peu longue, vaillamment soutenue
par les chœurs et l'orchestre, sous la conduite
toujours ferme de M. Marty. A. G.
CONCERTS LAMOUREUX. — Le principal
intérêt de la séance du 22 janvier résidait dans
la présence de M. Pietro Mascagni au pupitre.
M. Mascagni, qui d'ailleurs a dirigé par cœur un
programme des plus variés, paraît considérer la
fougue comme la principale qualité d'un chef
d'orchestre. Il conduit avec le bras droit, avec le
bras gauche, avec la tête, avec le corps tout entier,
et le bâton, dans ses mains, tantôt siffle comme
une cravache, tantôt s'abat comme un sabre et
tantôt pointe comme une lance. Il aime les effets
faciles, alanguissements de cadences ou violentes
oppositions, mais en somme, on ne peut nier qu'il
ait de la vie et que, pour certaines œuvres, cette
furia italienne donne de bons résultats. Si l'ouver-
ture de Coriolan et le Rouet d'Omphale y perdirent
leur précision et leur élégance, si, dans l'ouver-
ture des Maîtres Chanteurs, le souci de mettre en
dehors le thème principal annihila toute la mer-
veilleuse polyphonie et détruisit l'équilibre admi-
rable des parties, la Symphonie pathétique de
Tscha'ikowsky, par contre, reçut de M. Mascagni
une flamme et un éclat qu'on ne lui soupçonnait
guère. Sans doute, cette méthode outrancière
développa jusqu'à l'hypertrophie l'excessive
vulgarité de Yallegro molto vivace, mais les trois
autres morceaux y puisèrent, selon l'occurrence,
une morbidezza lunaire ou une vigueur ensoleillée
qui ne leur allaient point mal. De même en fut-il
pour l'ouverture de la Fiancée vendue de Smetana,
dont le charme un peu mièvre fut bien rendu.
Le concert comprenait encore un nocturne de
Catalini. 12,8 à l'étouffée, comme il convient à un
nocturne, et le scherzo du quatuor en mi bémol de
Cherubini, dont le second mouvement a fait plai-
sir. J. d'Offoël.
CONCERTS CORTOT. — Le concert du 19
janvier débutait par la Toccata et la Sinfonia de
YOrfeo de Monteverde 1607). La Toccata, qui sert
d'ouverture à l'ouvrage, se compose d'une belle et
large phrase mineure qui fait pressentir Gluck,
précédée et suivie d'un épisode d'un caractère
joyeux. La Sinfonia s'ouvre par le prélude des
Enfers, confié à six trombones, un peu criard
peut-être dans la première partie, mais dont la
fin, dans le grave, est de toute beauté. Après
l'Entrée d'Orphée (hafpe et luth), d'une séduction
prenante, le thème des Enfers revient aux cordes,
pour indiquer que le cœur des dieux infernaux
s'est amolli. Le public applaudit chaudement cette
résurrection, à laquelle on ne peut que féliciter
M. Cortot d'avoir contribué.
Après une bonne exécution du concerto de
Beethoven pour violon, par M. Armand Forest,
nous entendîmes la Rapsodie moderne de M. Victor
Vreuls. Cette œuvre, où se succèdent des rondes
et chansons populaires interrompues par un épi-
sode amoureux et passionné, est, comme la plu-
part des productions nouvelles, difficile à apprécier
après une seule audition. Elle dénote cependant
chez son auteur un véritable tempérament musi-
cal uni à une science profonde Peut-être gagne-
rait-elle à être un peu moins longue, bien que,
admirablement présentée par M. Cortot, elle ait
reçu du public l'accueil le plus favorable.
Fest-Klànge (Bruits de fête) est une des meil-
leures pages de Liszt. La beauté et le pittoresque
des thèmes, la joie et la santé qui s'en dégagent
sans jamais tomber dans la banalité, l'heureux
équilibre des parties, font de ce poème sympho-
nique un morceau de concert pour ainsi dire parfait
et qu'il est étonnant que personne n'ait, avant
M. Cortot, songé à nous faire entendre.
Entre temps, Mme Marie Olénine, accompagnée
par l'orchestre ou par M. Cortot, était venue, avec
son très fin talent, nous dire autant que nous
chanter le Chant hébraïque, Après la bataille, et sur-
tout la Chambre d'enfant de Moussorgski. Le succès
fut complet et des plus mérité. Mais — notam-
ment dans la Chambre d'enfant — l'absorption de
la musique par les paroles est telle que l'on finit
par ne plus écouter que les paroles, sans presque
se douter que la musique existe. Est-ce un éloge
ou une critique? J'en suis encore à me le deman-
der. T- d'Offoël.
t
— Deuxième séance du? Quatuor Parent (salle
yEolian). M. Armand Parent est un des artistes qui
se sont le plus constamment dévoués à répandre
en France le goût de la vraie musique. Tous les
compositeurs de musique de chambre, les clas-
siques et les meilleurs d'entre les modernes ont
trouvé en lui un interprète intelligent, conscien-
cieux et toujours prêt à servir l'art. Tantôt ce fut à
la Société nationale, tantôt à la Société Mozart ou
à la Schola. Cet hiver, ce sera dans la salle -Eolian,
dans la salle toute blanche, très sonore et d'un
92
LE GUIDE MUSICAL
style si curieusement moderne, de l'avenue de
l'Opéra.
Vendredi dernier, la séance du Quatuor Parent
était consacrée à César Franck. Avec MM. Loiseau,
Vieux et Fournier comme collaborateurs, M. Pa-
rent assuma la lourde charge déjouer le quatuor à
cordes de Franck : l'exécution fut digne de
l'œuvre. Puis, pour la sonate de piano et violon
et pour le quintette, on entendit au piano Mlle C.
Boutet de Monvel ; c'est dire qu'on entendit la
musique de César Franck telle qu'il la rêva lui-
même. Le jeu de Mlle Boutet de Monvel a tant de
grâce, même dans la force, il a tant de douceur
mystérieuse, il est si musical, que pour parler de
lui, ce ne sont pas des mots qu'il faudrait, mais
bien de la musique même. Nous avons entendu
déjà c^tte grande artiste jouer du Franck et du
Mozart. Combien nous aimerions l'entendre jouer
du Schumann ! Que ce désir soit un nouvel éloge.
Aux prochaines séances de la salle ./Eolian, le
Quatuor Parent, outre les classiques, fera entendre
des œuvres de Vincent d'Indy, Chausson, De-
bussy, Wailly, Vreuls, Ravel, Samazeuilh, Huré,
Svendsen, Duparc.
Le programme oublie Gabriel Fauré; mais ce
ne peut être qu'un oubli du typographe.
Adolphe Boschot.
— Le jeudi 19 janvier, M. Bronislaw Huber-
man a donné, avec sa virtuosité un peu acroba-
tique, un premier concert à la salle Erard, tou-
jours avec M. Richard Singer, pianiste et compo-
siteur plus lourd. Le premier a exécuté le concerto
en si mineur de Saint-Saëns, un Prélude et Aria de
Raff et, comme bouquet, une feuille d'album de
Wagner, arrangée par Wilhelmy, et la Danse des
Sorcières de Paganini. M. R. Singer a joué un
Thème, Variations et Marche de lui-même, et la Ra£-
sodie espagnole de Liszt.
— Lundi 23, mardi 24 et jeudi 26, intéressantes
auditions d'élèves : l'une, salle Pleyel, par la
classe de M. Cros-Saint-Ange ; l'autre, salle Erard,
par celle de M. L. Diémer (morceaux de concours,
études de Liszt, etc.) ; la troisième, par les élèves
de Mrae Marie Mockel (œuvres de MM. Gabriel
Fauré, Sylvio Lazzari et Léon Moreau, sous la
direction des auteurs).
— Mme Marie Mockel elle-même s'est fait en-
tendre le samedi précédent, au concert de la
Société nationale de musique, salle Pleyel, dans
trois poèmes pour chant de Joseph Carrel, dont
c'était la première audition. Le programme com-
portait encore une autre nouveauté, une sonate
pour violon et piano signée H. Munktell et exé-
cutée par MM. Enesco et Pierret; puis un trio de
Henry Février, déjà donné en 1901, dont la par-
tie de piano était tenue par Mme Juliette Toutain-
Grùn, et celles de violon et violoncelle par MM.
Enesco et Fournier. M. Pierret a encore joué des
variations de Gabriel Fauré, et M. Tournemire un
Prélude, Fugue, Variations pour orgue de César
Franck.
— Les événements qni ont bouleversé notre
pauvre Guide ont égaré certaines invitations, et
nous sommes forcés de demander l'indulgence des
artistes que nous aurions pu oublier. C'est ainsi
que nous nous apercevons n'avoir rien dit encore
du concert, pourtant si remarquable, qu'a donné
à la salle Erard, le 14 janvier, Vllle Minnie Tracey,
dont plus d'une fois nous avons eu le plaisir de
louer le grand style et l'art exquis. L'orchestre de
M. Alfred Cortot donnait encore un relief excep-
tionnel à cette séance, dont le programme portait
les plus grands noms de la musique : Gluck et Mo-
zart, Bach et Scarlatti, Wagner et Brahms... En
fait d'œuvres modernes, le Clair de lune de G. Fauré
et YHerbstabend de Sibelens, un jeune et original
compositeur finlandais, ont été particulièrement
goûtés.
— Aux quatrième et cinquième matinées Danbé,
toujours très suivies, à cause de l'intérêt des pro-
grammes et du bon marché des places, les audi-
teurs de l'Ambigu ont vivement applaudi un petit
quatuor inédit de Gounod, œuvrette sans impor-
tance, deux mélodies expressives de Boëllmann
mises en valeur par Mme Auguez de Montalant, un
Noël de Mme de Grandval, avec solo de hautbois
exécuté en perfection par M. Bleuzet, et surtout
nne élégie de Vieuxtemps que le maitre altiste
Migard a jouée d'exquise façon.
— Le programme du dernier « five o' clock » de
Mme Colonne comportait des œuvres de M. Paul
Puget et de Benjamin Godard. Du premier, on a
fort goûté Au bord de la mer, dont les voix de
Miles Richebourg et de Montigny ont fait ressortir
les délicates harmonies, les Litanies de la Beauté,
chantées avec beaucoup d'art par Mlle Demellier,
et la joyeuse fantaisie de Guignol, écrite pour qua-
tuor à cordes et spirituellement interprétée par
l'élément féminin de l'orchestre du Châtelet. Les
compositions de Godard n'ont pas eu moins de
succès. Il faut remercier Mme Colonne de ne pas
laisser tomber dans l'oubli le nom d'un maître
français qu'on affecte trop de méconnaître aujour-
d'hui. Mmes Frolich et Miray, MUes Broquin
LE GUIDE MUSICAL
93
d'Orange, Fay Cord, Millenet et d'Espinoy ont
dit des fragments de ses œuvres de manière à le
faire encore plus regretter. T.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Reprise de Tristan et I solde. Après s'être montré
successivement sous les traits de Tannhàuser,
Siegmund et Lohengrin, M. Van Dyck, poursui-
vant ses triomphales représentations, vient de se
produire dans le rôle de Tristan, qu'il avait déjà
interprété à la Monnaie lors des soirées modèles
qui marquèrent la fin de la saison 1900- 1901.
On sait combien son merveilleux talent de com-
position trouve l'occasion de s'affirmer dans cette
tâche redoutable. Dans la scène du philtre au pre-
mier acte, comme dans celle de l'agonie au troi-
sième, il a eu des attitudes de la plus impression-
nante vérité, — d'une vérité admirablement adaptée
à l'optique de la scène et que fait ressortir particu-
lièrement cette diction impeccable appuyée sur une
prononciation qui ne laisse échapper à l'auditeur
aucune syllabe du poème.
Ah ! si Mme Pacquot pouvait, sous ce rapport,
prendre exemple sur un pareil modèle, combien
son interprétation gagnerait en autorité, combien
elle acquerrait de relief! Cette réserve faite,
constatons que sa réalisation du rôle d'Isolde lui
fait le plus grand honneur. Si son exécution nous
a paru parfois trop en dehors, si elle a souligné à
l'excès certaines intentions qui demanderaient à
n'être qu'esquissées, elle a composé toutes les
scènes du rôle avec beaucoup d'intelligence, avec
un talent très sûr, donnant à la physionomie de
l'héroïne une allure plus «terrestre» que d'autres, si
l'on peut dire, — ce qui n'aura d'ailleurs pas été
sans plaire à beaucoup de spectateurs. C'est à juste
titre qu'on l'a associée au succès très chaleureux
fait à M. Van Dyck.
Mme Bastien (Brangaene\ MM. Albers (Kour-
wenal) et Vallier (Marke) ont fait au grand artiste
et à son excellente partenaire un cadre digne d'eux.
Et l'orchestre, sous la direction de M. Dupuis, a
montré une souplesse rythmique, une délicatesse
de nuances propres à mettre en valeur la merveil-
leuse partition.
Au lendemain de la publication de la correspon-
dance de Richard Wagner avec Mme Mathilde
Wesendonck, une reprise de Tristan et Isolde
devait offrir un attrait spécial. Les lettres échan-
gées par le maître avec celle qui lui inspira un
amour si ardent étaient de nature à projeter sur
l'œuvre de nouvelles clartés, à rendre plus poi-
gnantes, parce que l'on sait à quel point elles
furent vécues, les désespérances, les aspirations
vers l'au delà dont beaucoup d'esprits étaient
tentés de railler l'amère philosophie, mais qui,
aujourd'hui, nous apparaissent comme traduisant
des impressions réellement ressenties, comme
reflétant l'état d'âme par lequel passa l'auteur de
cette œuvre géniale, enfantée par la passion même.
Les souvenirs récemment révélés sur les moments
de sa vie qui lui inspirèrent cette sublime création
étaient certes faits pour renforcer encore l'émotion
intense qu'elle procure à l'auditeur. Pour notre
part, jamais les personnages de Tristan et d'Isolde
ne nous étaient apparus d'une si vibrante huma-
nité. J- Br.
— Les deux dernières représentations d'Alcesie
avec Mme Félia Litvinne ont été un succès triom-
phal. Dimanche, en matinée, la salle était archi-
comble et de longues ovations ont été faites à
l'admirable artiste, qui nous reviendra au cours de
cette saison, entre les représentations pour les-
quelles elle est engagée à Monte-Carlo, à Paris et
à Saint-Pétersbourg.
Les deux représentations de gala — mercredi
pour le IVe salon de l'automobile, troisième acte
à'Aïda, troisième et cinquième actes de Faust, et
jeudi la Dame blanche, — ont été particulièrement
brillantes.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, le Jongleur
de Notre-Dame, Y Ermitage fleuri et la seconde exé-
cution publique de Vers l'Avenir, chant national de
MM. Gevaert et Antheunis. A la demande de
M. Gevaert, M. Henri Albers chantera les trois
couplets de cet hymne dans les deux langues.
Demain lundi, au bénéfice de la caisse de
retraite de la société mutualiste du Personnel du
théâtre de la Monnaie, reprise à'Hérodiade.
Rappelons qu'Hérodiade a été créé à Bruxelles,
le 19 décembre 1881, sous la direction Stoumon et
Calabresi; Joseph Dupont conduisait l'orchestre.
La distribution était remarquable : MM. Vergnet
(Jean), Manoury (Hérode), Gresse (Phanuel), Fon-
taine (Vitellius), Mmes Duvivier (Salomé), Blanche
Deschamps (Hérodiade), Lonati (la Sulamite).
L'ouvrage eut cinquante-cinq représentations con-
sécutives, produisant une moyenne de recettes qui
94
LE GUIDE MUSICAL
dépassa 4,000 francs, abonnement non compris.
Ce fut d'ailleurs la seule création de la saison.
M. Jules Massenet, invité à dînsr à la cour, fut
nommé chevalier de l'Ordre de Léopold; après la
première, il dut paraître en scène pour répondre
aux acclamations du public et le soir de la der-
nière, il monta au pupitre pour diriger lui-même
son œuvre.
Hérodiade fut repris pendant les saisons 1S82-
i883 et 1883-1884, Puis en 18S6-1887, première
année de la direction Dupont et Lapissida, et
enfin sous la dernière direction Stoumon et Cala-
bresi, en 1897. R. S.
— Le Théâtre de Verdure a donné au Cercle
artistique et littéraire, sous la direction de
M. Ch. Bordes, la Guirlande, pastorale-ballet en
un acte de J.-Ph. Rameau, et le cinquième acte
d' Armide de Gluck.
L'exécution n'a malheureusement pas donné
tout ce qu'on croyait pouvoir en attendre. Les
merveilleuses qualités de grâce, de charme, de
sentimentalité sincère malgré les recherches
apparentes, la musicalité si fine, si rare de
l'œuvre de Rameau, ont été, sinon noyées, du moins
étouffées dans l'orchestre, qui était cependant
formé d'excellents éléments, mais qui n'avait pas
répété et travaillé cette œuvre comme elle aurait
dû l'être.
Mlle Mary Pironet a chanté d'une voix assez
heureuse et souvent jolie le rôle de Zélide, mais
avec une certaine froideur; il est vrai qu'on préfé-
rait encore cette indifférence au jeu affecté de
M. Jean David, qui regardait obstinément les frises
du théâtre et que l'infiuenza condamnait à ne pas
faire applaudir sa voix, généralement beaucoup
mieux conduite. Ce qu'il faut louer surtout ce
sont des chœurs excellents, des décors et une mise
en scène d'un tact et d'un goût charmants, des
costumes heureusement choisis et, par-dessus
tout, la grâce poétique, le talent parfait de
Mlles Louise et Blanche Mante, de l'Opéra, qui
ont fait du ballet la plus belle évocation artistique
de la soirée.
Faut-il parler du cinquième acte d'Armide, donné
dans le même décor, mais en concert : à gauche
les dames en toilette de soirée, à droite les mes-
sieurs en habit noir, entre lesquels Mlles Mante,
toujours en costume Louis XVI, sont revenues
danser le ballet? Nous étions loin, hélas ! malgré
tout le talent de Mlle Marie de la Rouvière
(Armide), de V Armide dirigé au Conservatoire, il y
a deux ans, par M. Gevaert.
Dans Armide, le ballet, malgré le cadre fâcheux
que lui formaient les chanteurs, a été, comme dans
la Guirlande, le vrai succès artistique, et grâce à
Mlles Mante, il a été très grand. R. S.
— Dans le premier concert donné par La
Caméra, M. Bordes nous a fait entendre la
Cantate sur l'abus du café de J.-S. Bach; Mlle M. Pi-
ronnet, MM. L. Bourgeois et Jean David ont fait
de leur mieux pour rendre cette œuvre curieuse
et qui mérite d'être mise au programme des con-
certs classiques. Les Chanteurs de Saint-Gervais
ont chanté avec un ensemble parfait quelques
chansons des xvie et xvine siècles.
Enfin, Mlle Marie de la Rouvière a bien chanté
Orphée, une cantate de chambre avec symphonie
de Nicolas Clérambault et M. Zimmer a interprété
consciencieusement le concerto en la de Bach.
L'ensemble du concert, quoique artistiquement
conduit, a paru un peu monotone et manquait de
relief. J. T.
— Plusieurs assauts d'escrime, des monologues
spirituellement dits par M. P. De Wit et enfin
un concert portant le nom de Litvinne, voilà qui
était amplement suffisant pour assurer un succès
à la fête donnée à la Grande Harmonie au profit
de l'Œuvre des « Petits Lits ».
Mme Félia Litvinne a admirablement chanté
Les Berceaux de Fauré, J'ai pardonné de Schumann
et le sublime finale de Tristan et I solde, qui lui ont
valu de chaleureuses ovations.
M. Jacobs a interprété une sonate de Bocche-
rini; il était accompagné par M1,e Hoeberechts,
qui a apporté à sa tâche un peu ingrate toute la
conscience et le tact d'une artiste. J. T.
— Le huitième récital donné par Engel-Bathori
était consacré à Max d'Ollone et à Gabriel Fabre.
Les mélodies de Max d'Ollone sont des pages
délicates, dont les accompagnements sont d'une
sonorité agréable et souvent originale ; Les Com-
muniantes avec son joyeux carillon, Novembre et
Chant d'amour sont d'un réel intérêt.
Gabriel Fabre est un véritable peintre musical,
et les coins de paysage qu'il nous a fait entrevoir
sont d'un réalisme troublant et charmant à la fois.
Ses chants de Bretagne {La Corde, La Croix de bois,
Blanc linge) donnent l'impression exacte de ce pays
LE GUIDE MUSICAL
95
aride, sauvage et imposant. Quant à ses trois
poèmes traduits du chinois, ce sont de petits chefs-
d'œuvre de simplicité et de naïveté. Avec Mae-
terlinck, Gabriel Fabre nous fait pénétrer dans le
mystère et l'inconnu.
Gabriel Fabre accompagnait lui-même M. Engel
et Mme Bathori, qui ont chanté toutes ces œuvres
avec le beau talent qu'on leur connait, et ce récital
fut un grand succès pour l'auteur et ses inter-
prètes. J. T.
— Le Quatuor Zimmer a exécuté mercredi le
quatuor en ré majeur de J. Haydn, celui en fa ma-
jeur de L. Van Beethoven et celui en ut mineur de
J. Brahms.
Ces trois grandes œuvres ont été interprétés avec
un ensemble parfait, une haute compréhension
musicale et beaucoup de brio.
Pourtant, le menaetto du quatuor de Haydn aurait
gagné à être joué plus légèrement.
On a rappelé plusieurs fois les quatre excellents
artistes, et ces applaudissements étaient justement
mérités. J. T.
— Le piano-récital donné mardi par M. Edouard
Barat n'avait guère réuni qu'une demi-salle, et
les défauts d'acoustique de la Grande Harmonie,
beaucoup trop vaste pour ce genre d'auditions,
s'en trouvaient aggravés dans une sensible mesure.
Le jeu de l'artiste en a paru manquer de netteté,
les détails d'exécution étant le plus souvent noyés
dans les résonances des accords à la main
gauche. Il n'en a pas moins fait apprécier une
fois de plus ses qualités de mécanisme et de
compréhension musicale, et obtenu un très grand
succès, notamment dans les Variations sérieuses
de Mendelssohn, les Papillons de Schumann,
VImpromtU de Schubert et la Polonaise de Chopin.
— Les compositeurs de musique désireux de
participer au concours ouvert par la ville de Spa,
à l'occasion du soixante-quinzième anniversaire
de l'indépendance de la Belgique, peuvent obte-
nir des renseignementa complets en s'adressant au
secrétaire communal de la ville de Spa. Les
demandes de renseignements et les inscriptions
devront parvenir avant le 3i janvier. Rappelons
que ce concours est ouvert à tous les musiciens
belges et a pour but la composition d'une œuvre
lyrique mettant en scène un fait de notre histoire
nationale. Des prix importants, 2,000, 1,000 et 5oo
francs, seront alloués aux œuvres les plus méri-
toires. Celle qui remportera la première distinction
sera exécutée dans le courant de l'été aux frais
de la ville de Spa, avec des artistes de tout pre-
mier ordre.
La décision du jury sera proclamée au plus
tard le 25 juin 1905.
CORRESPONDANCES
ANVKRS. — Le cent-quatrième concert de
l'Orkestvereeniging comprenait, à côté de
Y Oxford Symphonie de Haydn, Y Apprenti sorcier de
Paul Dukas. L'exécution n'en a pas été bien remar-
quable, malgré les efforts très réels et très méri-
toires de M. Lenaerts et de l'orchestre. Sakuntala, de
Goldmark complétait ce concert, auquel le pianiste
M. Wurmser prêtait son concours. Dans le con-
certo en la mineur de Grieg, dans du Chopin, du
Liszt et du Mendelssohn, M. Wurmser a montré
une fois de plus ses qualités de technique et d'in-
terprétation, qui lui ont valu de vifs applaudisse-
ments.
Le Quatuor Rosé s'est fait entendre cette
semaine au Cercle artistique et il a remporté un
grand succès.
Aux Nouveaux Concerts nous entendrons sous
peu le célèbre Quatuor tchèque. G. P.
JIÉGE. — La Fiancée de la Mer, le drame
J émouvant de MM. Nestor de Tière et Jan
Blockx, a obtenu, vendredi dernier, un accueil
enthousiaste, qui continue les triomphes obtenus
par le grand musicien flamand.
Infatigable, l'auteur avait apporté aux dernières
répétitions un élan irrésistible; aussi l'orchestre
fut nuancé, parfait, les interprètes passionnés, les
chœurs tantôt vifs, tantôt recueillis. De plus, lés
trois actes se déroulent dans un cadre de décors
neufs d'un réalisme impressionnant.
On a religieusement écouté et applaudi le
prélude, une belle page colorée, puis l'entrée
du second acte, où se concentrent musicalement
les sentiments complexes qui grondent dans
l'âme des personnages, enfin le prélude du troi-
sième, d'une grandeur farouche et désolée.
Vocalement et dramatiquement, les personnages
du drame, Kerline et Djovita, Môrik et Free
Kerder, ont fait grande impression.
Dirigées avec fougue par M. Jan Blockx, les
95
LE GUIDE MUSICAL
deux premières ont obtenu le plus magnifique
succès
La place nous manque pour dire à quel point
Mmes Catalan (Kerline-, Lagard (Djovita), furent
pénétrées de leurs rôles dramatiques et combien
ces artistes furent excellemment secondées par
MM Grillières, Lestelfy, Viguié et Karloni.
M. Deschesne s'est assuré, en montant cette
belle œuvre une fin brillante et fructueuse.
A. B. O.
LISBONNE. — Précédé d'une immense ré-
clame, M. Kubelik a été le premier des
artistes étrangers à se présenter au public de
Lisbonne cette année. Une foule immense l'a
écouté et applaudi jusqu'au délire. M. Kubelik est
certes un violoniste extraordinaire au point de vue
technique. Qu'il soit aussi extraordinaire comme
artiste, nous n'oserions le dire. S'il nous a étonné,
il ne nous a presque jamais ému et son style a paru
assez inégal. Tout au contraire, c'est par son jeu
noble et large que M. Crickboom a conquis le
public, plus choisi, mais beaucoup plus restreint,
que son nom et ceux de M. De Greef et de
Mlle Eisa Ruegger avaient attiré au théâtre
D. Amelia. Nous avons entendu ces excellents
artistes dans un trio de Beethoven et un autre de
Mendelssohn qui furent un régal, et en solistes
dans différentes œuvres, parmi lesquelles le con-
certo en sol* mineur de Max Bruch, admirablement
joué par M. Crickboom. M. De Greef a joué bril-
lamment des pièces de Schumann, Chopin et
Saint-Saëns. Mlle Ruegger a laissé l'impression
d'une artiste charmante et de belle valeur. Son jeu
très simple et gracieux, son admirable technique
ne recherchent jamais l'effet.
Au théâtre San Carlo, on a déjà joué YOtello de
Verdi, les Vêpres siciliennes, Aïda, Lohengrin, où
l'on a applaudi un chanteur de valeur, M. Vinas,
le Roi de Lahore et Thaïs de Massenet (nouveauté).
Nous ne saurions trop souhaiter, et la critique por-
tugaise est unanime sur ce point, voir laisser un
peu dans l'ombre le vieux répertoire italien. Le
public, qui connaît les principales compositions de
M. Massenet, a trouvé parfois dans Thaïs un style
sévère auquel il préfère de beaucoup le charme
poétique et le côté brillant d'autres compositions
du maître, et ce sont les morceaux de ce genre
qui ont été le mieux reçus. Le rôle d'Athanaël a
été bien interprété par M. Bouvet.
Le professeur Sarti vient de fonder à Lisbonne
une Schola Cantorum. Pour les concerts, on parle
d'œuvres de Palestrina, de Mozait, de Cherubini
et de Perosi. T. de S.
ri^OURNAI. — -La Société de musique de
notre ville avait eu l'heureuse idée de con-
sacrer son concert de dimanche dernier à deux
œuvres de l'école belge, caractérisant à mer-
veille les tendances artistiques de la musique
flamande et de la musique wallonne : la Rubens-
Cantate de Peter Benoit et Patria de Th. Radoux.
Ces œuvres, exécutées avec fougue et chaleur
sous la direction de M. Henri De Loose, ont
obtenu un grand succès.
Le distingué directeur du Conservatoire de
Liège n'a pas tari d'éloges au sujet de la brillante
exécution qu'a reçue sa.' Patria. Il a félicité tout
spécialement les solistes de son œuvre, Mlle Da-
nielle Paternoster, une jeune soprano et l'excel-
lent ténor gantois M. Vander Haeghen, dont le
public n'a pu que regretter la trop courte appari-
tion dans la première partie de l'œuvre de M. Th.
Radoux.
Dès le lendemain, M. Stiénon du Pré, l'infati-
gable président de la Société de musique de notre
ville, faisait convoquer les chœurs mixtes pour
commencer les études de l'œuvre dont l'exécution
doit couronner la dix-septième année d'existence
de la société : le Faust de Schumann. qu'on inter-
prétera intégralement le 26 mars prochain.
J. DUPRÉ DE COURTRAY.
VER VIE RS. — Mercredi 11 courant, très
intéressant concert organisé par la Société
d'harmonie, sous la direction de M. Louis Kefer,
avec le concours de Mme A. Vierne-Taskin, de
Paris, de M. Raoul Pugno et de Forchestre de la
Société.
Au programme, la symphonie en sol majeur de
Haydn, Siegfried- Idyll de Wagner, deux pièces en
forme de canon de Schumann, orchestrées par
Th. Dubois, et « Au bal » de la Symphonie fantas-
tique de Berlioz. De toutes ces œuvres, parfaite-
ment mises au point, l'orchestre a fourni une exé-
cution brillante qui fait honneur à son vaillant chef
M. L. Kefer. Nous avons admiré surtout l'interpré-
tation bien nuancée de la Siegfried-Idyll, la belle
qualité de son et la finesse des détails dans la sym-
phonie de Haydn. ,
M. Raoul Pugno a exécuté le concerto en ut mi-
neur de Beethoven et Africa de Saint-Saëns. On a
tout dit de ce grand artiste : sa maîtrise, son senti-
ment profond, sa virtuosité, son mécanisme prodi-
gieux ; toutes ces qualités, il les met au service de
LÉ GUIDE MUSICAL
97
son génie d'artiste probe pour donner à son inter-
prétation une superbe intensité de vie et de
couleur. Le public lui a fait une triomphale ova-
tion.
Mme Vierne-Taskin, que M. Pugno accompa-
gnait au piano, nous a chanté des œuvres de
Hsendel, Widor, Fauré, Franck, Lalo. Vierne et
Pugno. Elle possède une voix riche dans le médium
et le grave. Ce programme, dont le choix dénote
un profond souci d'art, a été exécuté de façon très
personnelle. E. H.
NOUVELLES
La reine Marguerite d'Italie a fait don à
l'Académie de Sainte-Cécile de Rome d'un superbe
buste en bronze de Verdi, œuvre du sculpteur
Gemiro.
— Le concours ouvert pour le monument à
élever à Verdi sur une des places publiques de
Milan a été clos la semaine dernière. Quatre-vingt-
dix projets ont été envoyés. On cite, parmi les
artistes qui ont pris part au concours, les noms
des sculpteurs Ripamonti, Cassi, Alberti, Astori,
Del Bô, Bialetti, Grossoni, Giudici, Quadrelli,
Boninsegna, Mazzucchelli, Pollini, etc.
— On dit que l'entreprise d'opéra-comique au
Thalia-Theater de Berlin, dont M. E. de Wolzo-
gen a pris la direction, commencera ses représen-
tations le Ier mai, avec une œuvre nouvelle de
M. Hans Hermann, Le Roi Midas. Le chef d'or-
chestre du théâtre serait M. Léo F ail.
— Voici le programme des représentations
qui doivent avoir lieu cette année au théâtre
du Prince-Régent à Munich :
Les Maîtres Chanteurs : 7, 18 et 3 1 août.
L'Anneau du Nibelung : ire série, les 9, 10, 12 et
i3 août. — 2e série, les 21, 22, 24 et 25 août. —
3e série, les 5, 6, 8 et 9 septembre.
Le Vaisseau fantôme : les i5 et 3o août.
Tristan et I solde : les 16 et 28 août et le 2 septem-
bre.
— Le Cheval de bronze, d'Auber, qui depuis long-
temps n'avait pas tenu l'affiche, a été repris à
l'Opéra royal de Berlin.
— Samson et Dalila, de Saint-Saëns, a été repré-
senté comme nouveauté au théâtre de la cour de
Dessau et Le Timbre d'argent, a été joué pour la
première fois au théâtre municipal de Cologne et
à l'Opéra de Berlin.
— Une lettre de M. Gustave Bret (retrouvée un
peu tard dans la correspondance de notre ami
regretté Hugues Imbert) nous prie d'insérer une
rectification à un article paru ici, dans le numéro
du 25 décembre, au sujet de l'exécution de ses
Pèlerins d'Emmaus à Amsterdam. Cette réclama-
tion est trop juste pour que nous ne l'accueillions
pas aussitôt. Notre collaborateur s'était étonné que
M. Bret eût tenu à diriger lui-même son œuvre au
lieu du chef ordinaire. M. Mengelberg. Voici la
réponse du distingué musicien :
« Quand un compositeur a la bonne fortune
d'avoir pour interprète un artiste tel que M. Men-
gelberg, il serait très mal avisé de le laisser
échapper. Si j'ai dirigé mon œuvre, c'est sur les
instances de M. Dudow van Heel, secrétaire de la
Toonkunst, et sur la prière de M. Mengelberg lui-
même, qui, très souffrant depuis plusieurs jours,
m'a demandé comme un service de lui éviter, en
prenant sa place une partie du concert, un
surcroit de fatigue. Je suis donc monté au
pupitre, mais contraint et forcé et, de plus, tout à
fait à l' improviste. Si votre correspondant avait
connu ce détail, comme le connaissait, sans aucun
doute, le public qui assistait au concert, il ne m'en
eût pas tenu rigueur. »
LES OBSÈQUES
HUGUES IMBERT
es obsèques de notre pauvre et excel-
lent ami Hugues Imbert ont été célé-
brées le vendredi 20 de ce mois, en
l'église Saint -Jacques du Haut-Pas.
Avec une spontanéité chaude et cordiale, plusieurs
musiciens s'étaient empressés d'unir leurs talents
pour rehausser cette cérémonie. M. Armand Parent
a exécuté avec une émotion pénétrante, avec son
âme, Validante d'une sonate de violon de Hsendel
et celui d'une sonate de Corelli; M. Daraux a
chanté avec onction un Misère et un fragment
du Requiem de Brahms, qu'Imbert appréciait tant;
M. Widor, enfin, a exécuté une sortie sur l'orgue.
L'assistance était nombreuse autour des deux
frères et de la famille du défunt. Que de chauds
amis étaient accourus rendre un dernier hommage
à ce noble cœur, si ouvert à tous! Les uns, après
l'avoir assisté avec une sollicitude infatigable dans
les jours si cruels de son agonie; les autres, venus
9S
LE GUIDE MUSICAL
exprès de loin, même de Lille ! Au cimetière de
Neuilly, deux discours ont été prononcés. Le
premier, au nom du directeur et de la rédaction
du Guide musical, par Henri de Curzon, qui a
ajouté aussi quelques mots au nom de l'Association
de la Critiqne dramatique et musicale, dont Imbert
était membre, et même le premier des membres
donateurs. Le second, au nom des amis, avait été
écrit par Edouard Schuré, retenu à la chambre :
c'est M. Paul Fiat, de la Revue bleue, qui en a lu les
pages si délicates et si éloquentes.
Discours de M. Henri de CURZON
Messieurs,
C'est au nom du directeur et de la rédaction du
Guide musical que je prends la parole pour rendre
un public hommage à son rédacteur en chef, si
brusquement ravi à notre affection, et dire en peu
de mots quelle perte nous avons faite. Une parole
plus autorisée que la mienne vous rappellera quel
homme était Hugues Imbert, quel cœur chaud et
ouvert à toute sympathie, quel conseiller précieux,
quel ami entier et fidèle; je ne puis m' empêcher de
de le dire aussi... Peut-être n'est-il pas un seul
d'entre nous qu'il n'ait obligé, à qui il n'ait cherché
l'occasion de rendre service !
Je ne veux retenir que l'écrivain, l'artiste qu'il
était vraiment. Mais chez lui, le style n'était-il pas
l'homme même? Que nous montrent ses nombreux
écrits, ses livres, ses articles critiques ? Une droi-
ture de caractère, une probité de pensée, une
horreur instinctive des mesquineries, des peti-
tesses, du laid, que l'on rencontre rarement au
même degré, et qui étaient l'expression très entière,
et sans faux-fuyants, de sincères convictions. Toute
vraie critique est à ce prix.
La sienne portait une autre marque encore : elle
était basée sur une instruction générale très
étendue. De très bonne heure, Hugues Imbert
avait voué à toutes les manifestations du beau,
dans la nature et dans l'art, l'enthousiasme de son
âme si impressionnable. L'éducation paternelle
lui avait ouvert le domaine de la musique, qu'il
parcourut ensuite en étudiant, puis en artiste. Les
voyages qu'il fit un peut partout, enivrèrent ses
regards et meublèrent sa mémoire ; ils formèrent
en même temps son goût très sûr et développèrent
chez lui cette conviction que la nature, la poésie
et tous les arts doivent être rapprochés et éclairés
l'un par l'autre.
Aussi, quand il se résolut à écrire, un peu sur le
tard, son style d'écrivain et de critique a toujours
porté le reflet de cette vision complexe et brillante
d'art et de poésie, qui donnait une valeur plus
générale à ses façons de voir et à ses appréciations.
Qui de nous n'a entendu sa voix cordiale évoquer
les impressions profondes et souveraines que
donne la musique à qui sait l'écouter, que ménage
la nature à qui sait la voir? Hugues Imbert est un
homme qui a passé sa vie dans l'émotion vibrante
du beau : son corps avait pu vieillir, mais son
esprit, mais son cœur, étaient restés jeunes comme
au premier jour!
Le Guide musical fait une perte aussi sensible
qu'inattendue. En saluant ici d'un douloureux
hommage son si précieux collaborateur, il sait
trouver un écho chez tous ceux qui m'écoutent, il
sait, Messieurs, que le souvenir de Hugues Imbert
n'est pas près de périr parmi vous !
J'ai encore quelques mots à ajouter, mais cette
fois au nom de l'Association professionnelle de la
Critique dramatique et musicale, et comme l'un de
ses anciens vice-présidents.
J'ai dit la valeur de Hugues Imbert comme cri-
tique; je pourrais insister encore sur la place qu'il
occupait non seulement dans la sympathie, mais
dans la considération de ses confrères. Je ne veux
rappeler que ceci : Il est venu à nous le jour où il
a vu qu'il pouvait y avoir du bien à faire, et sponta-
nément, le premier, à l'idée d'une caisse de secours
à fonder, il a répondu par le don d'une somme
importante. Son nom figure donc dans tous les
annuaires de notre Association, en tête de ceux de
ses membres donateurs. Que nos remerciements
se joignent sur cette tombe à son souvenir qui
durera toujours!
Discours de M. Edouard SCHURÉ
Les nombreux amis de Hugues Imbert m'ont
chargé de prononcer quelques paroles sur sa
tombe, pour exprimer la douleur profonde que
leur cause cette perte imprévue. J'ai accepté d'au-
tant plus volontiers cette mission douloureuse,
que j'ai pu apprécier depuis longtemps tous les
mérites de cet homme de bien, qui fut un esprit
distingué et un cœur d'or.
Je le rencontrai pour la première fois au ban-
quet que nous donnâmes, en l'année 1886, à Charles
Lamoureux, après les premières représentations
de Lohengrin à l'Eden. Il vint à moi avec cette
franchise charmante, avec cette grâce alerte qui
était chez lui un don de nature. Tout de suite, je
fus frappé de deux qualités qui me séduisent tou-
jours et qui deviennent de plus en plus rares, je
veux dire la parfaite spontanéité des sentiments et
l'ardent enthousiasme de l'art, libre de toute pen-
sée égoïste. Lorsqu'on touchait cette âme ingénue,
LE GUIDE MUSICAL
99
elle rendait un son argentin, et seule l'indignation
contre la méchanceté ou la bassesse humaine pou-
vait lui arracher une dissonance. A partir de ce mo-
ment, nous restâmes amis, et rien n'a jamais troublé
cette intimité, sur laquelle la mort vient de jeter
son silence sans pouvoir détruire en moi le senti-
ment de sa continuité.
Pour m'acquitter de la tâche qui m'a été confiée,
je voudrais caractériser en deux mots la figure de
l'écrivain et de l'homme, qui, chez lui, sont insépa-
rables.
Son distingué collaborateur, M. de Curzon, vient
d'évoquer les grands mérites de l'écrivain qui fut,
avec Maurice Kufferath, l'organisateur et le
directeur du Guide musical. Rappelons encore ses
meilleurs titres à notre reconnaissance. Hugues
Imbert a été un biographe des mieux informés et
un pastelliste ingénieux des musiciens français du
xixe siècle. Ses Profils de musiciens et ses Médaillons
contemporains, ses vivants portraits de Bizet, de
Reyer, de Massenet, de Vincent d'Indy, de Lalo,
de César Franck et de tant d'autres sont là pour
l'attester. Mais sa part la plus importante dans le
mouvement musical est d'avoir préparé, par sa
plume comme par sa parole éloquente et par son
infatigable activité, la compréhension de Schu-
mann et de Brahms en France, et d'avoir reven-
diqué pour eux le titre de musiciens de premier
ordre, alors qu'ils étaient encore inconnus du
public et méconnus de nombre de nos composi-
teurs. Son culte pour Schumann, qu'il appelait
« le grand consolateur des inconsolés », avait
quelque chose de particulièrement touchant.
C'était une sorte de religion. Initié dès sa jeunesse
aux secrets du quatuor à cordes et aux nuances
subtiles de la musique, il était vraiment fait pour
comprendre le plus intime et le plus délicatement
tendre des musiciens. Il n'a pu réaliser, malheu-
reusement, son grand désir d'écrire un livre sur son
maître favori. Mais il laisse un ouvrage très re-
marquable et très complet sur Brahms, qui sera
publié prochainement.
Que dirai-je maintenant des qualités exquises de
l'homme? Elles expliquent, elles accentuent celles
de l'écrivain. Son caractère nous apparaît dans
toute sa vie avec une armature solide de volonté
et un ressort moral toujours prêt à rebondir.
Bonté, patience, vigueur, esprit d'initiative, avec
une inlassable générosité, que ne décourageaient
ni la froideur, ni l'ingratitude, telles furent ses
vertus dominantes. Il eut l'occasion de les mettre
en œuvre comme sous-directeur des Quinze-
Vingts. Que de malheureux il a secourus dans
l'ombre, que d'aveugles lui ont dû leur refuge !
Avec quelle sollicitude il développait en eux le
goût musical et organisait leurs concerts ! Cette
bonté et cette ardeur, il les transportait dans sa
vie mondaine et artistique. Il fut le défenseur tou-
jours sur la brèche des virtuoses débutants, le vail-
lant chevalier des talents inconnus. Il a découvert
plus d'une voix, lancé plus d'une renommée. A la
bonté, au désintéressement, il joignait au besoin
l'énergie. Dans sa dernière maladie, où d'ailleurs
une affection dévouée l'entoura de soins minutieux,
il fit preuve d'une douceur, d'une force et d'une
sérénité héroïques.
Oui, Hugues Imbert fut, dans toute la force du
terme, un écrivain probe, sincère et consciencieux.
Ce fut de plus, dans la vie, un compagnon char-
mant et gai, un ami incomparable, un homme
plein de générosité et toujours prêt à l'abnégation.
C'est d'un cœur triste et affligé que je lui dis l'adieu
suprême, mais j'ose affirmer qu'à nous tous, qui
l'avons connu de près, il laisse un bel exemple et
un souvenir ineffaçable. Ce souvenir restera, pour
tous ceux qui purent l'apprécier, un cordial dans
les tristesees et les laideurs de la vie. Car notre
ami possédait la force qui sait les écarter et les
vaincre, je veux dire la candeur et le courage de
l'enthousiasme vrai. Edouard Schuré.
flManos et ibarpes
Srarfc
tëruseUes : 6, rue latérale
IParis : rue Cm flDail, 13
NECROLOGIE
Le 5 janvier dernier est morte à Londres
Mme Bella Cole, une cantatrice américaine renom-
mée. Elle avait commencé sa carrière en se pro-
duisant comme soliste dans une église de New-
York. Elle était venue à Londres pour la première
fois en 1888 et y avait chanté notamment dans
Elie, de Mendelssohn, et: dans La Légende d'or,
d'Arthur Sullivan. Elle avait fait des tournées en
Australie, dans la Nouvelle-Zélande et dans le sud
de l'Afrique.
— A Rome est mort, à l'âge de quatre-vingts
ans, Paolo Guerra, professeur à l'école de l'Aca-
démie royale de Sainte-Cécile.
LE GUIDE MUSICAL
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Tristan et Isolde; Sigurd; Tannhâuser;
Tristan et Isolde; Daria (première représentation) et
Coppélia.
OPÉRA-COMIQUE.— Le Vaisseau fantôme ; Hé-
lène, Xavière ; Le Vaisseau fantôme ; La Vie de Bohème,
Cavalleria rusticana; Mireille; Carmen; Hélène, Xa-
vière ; Le Vaisseau fantôme ; Manon ; Le Vaisseau fan-
tôme.
VARIÉTÉS. — La Petite Bohème (première repré-
sentation), et toute la semaine suivante.
ODÉON. — L'Arlésienne (5ooe).
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — Al-
ceste; Faust; Tristan et Isolde; Alceste; 3e acte d'Aïda,
3e et 5e actes de Faust (gala); La Dame blanche, Cop-
pélia.
Première annoncée ; Hérodiade.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 29 janvier. — Conservatoire : Saiil de Hasn-
del (deuxième audition).
— Concerts Colonne : La Croisade des Enfants de Ga-
briel Pierné (deuxième audition).
— Concerts Lamoureux : Ouverture du Carnaval ro-
main, Berlioz; Deuxième symphonie en ri, Brahms;
Adagio et scherzo de la suite en si mineur, Caetani; Ou-
verture du Tannhâuser, Wagner; Prélude du Déluge,
Saint-Saëns (violon solo : M. Séchi2ri); Ouverture de
Léonore, n° 3, Beethoven; Deux danses hongroises,
Brahms.
BRUXELLES
Mercredi 1er février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert donné par Mme Lula Mysz-Gmeiner, canta-
trice, avec le concours de M. Jean du Chastain, pia-
niste. Programme : Concerto italien, Bach (M. du
Chastain); i.Junge Nonne, Auf dem Wasser zu singen, Das
Lied im Grilnen, Liebhaber in allen Gestalten, Schubert
(Mme Mysz-Gmeiner); 3. Sonate op. 53, ut majeur,
Beethoven (M. du Chastain); 4. Trâume, R. Wagner,
Ueber allen Gipfeln ist Ruh, Loreley, Liszt (Mme Mysz-
Gmeiner); 5. Etude op. 25, n° 11, la mineur, Nocturne
op. 27, n° 2, ri bémol majeur, Polonaise op. 53, la bé-
mol majeur, Chopin (M. du Chastain); 6. Immer leizer
wird mein Schlummer, Vergebliches Stàndchen, Brahms;
Auftràge, Friihlingsnacht, Schumann (Mme Mysz-Gmei-
ner.
— A4 1/2 h.' Salle Gaveau : Une heure de musique par
Mme Bathori et M. Engel. Neuvième récital, consacré
aux œuvres de Claude Debussy.
Jeudi 2 février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concert par M. Max Donner, violoniste; orchestre di-
rigé par M. Crickboom. Programme : Ouverture de
Coriolan, L. van Beethoven ; Concerto de violon op. 64,
Mendelssohn (M. Max Donner); Morceau caractéris-
tique pour orchestre op. 32, Max Donner; Concerto
op. 20, Saint-Saëns (M. Max Donner); Siegfried-Idyll,
R. Wagner; Romance op. 42, Max Bruch ; Dance of tke
Guats op. 20 (Miickentanz), Max Donner (M. Max Don-
ner).
Vendredi 3 février. — Salle de la Grande Harmonie :
Concerts Crickboom, deuxième concert d'abonnement
avec le concours de Mlle Eisa Rûegger, violoncelliste.
Programme : Ouverture du Roi Lear pour orchestre,
première audition, Schilling; Concerto pour violoncelle
solo et orchestre, V. Herbert (Mlle Eisa Riïegger);
Concerto pour deux violons, violoncelle solo et orchestre
à cordes, première audition, Haendel; Sonate pour
violoncelle, Locatelli (Ml'e Eisa Rûegger); Ouverture
à'Obéron pour orchestre, C. Weber. Orchestre sous la
direction de M. Mathieu Crickboom.
Dimanche 5 février. — Théâtre de l'Alhambra : Con-
certs Ysaye, troisième concert d'abonnement sous la
direction de M. W. Mengelberg, chef d'orchestre du
Concertgebouw à Amsterdam, avec le concours de
M. Mark Hambourg, pianiste. Programme : Ouverture
de Léonore n° 3, L. Van Beethoven; Concerto en ré mi-
neur, J. Brahms (M. Mark Hambourg); Symphonie
pathéthique, J. Tschaïkowsky; Pièces pour piano seul
(M. Mark Hambourg); Don Juan, poème symphonique,
R. Strauss.
Vendredi 10 février. — Salle Erard : Première séance
de sonates pour piano et violon, donnée par Mlle Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. Programme : Sonate
en si mineur, J.-S. Bach; Sonate en fa majeur, op. 24,
L. van Beethoven ; Sonate en ri mineur, op. 108,
J. Brahms.
Dimanche 12 février. — Théâtre royal de la Monnaie :
Troisième Concert Populaire sous la direction de
M. Sylvain Dupuis et avec le concours de Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel, pianiste. Programme : Prélude sym-
phonique op. 8, n° 2, R. Caetani (première audition);
deuxième symphonie, Borodine; troisième concer'o, ut
mineur, Beethoven (Mme Kleeberg-Samuel); Murmures
de la forêt de Siegfried, Wagner; Variations sympho-
niques pour piano avec accompagnement d'orchestre,
C. Franck (Mme Kleeberg-Samuel); Ouverture du Vais-
seau fantôme, R. Wagner.
ANVERS
Mercredi 1er février. — Société royale de Zoologie :
Concert avec le concours de M. Marix Loevensohn,
violoncelliste.
Mercradi 8 février. — A la Société royale de Zoologie :
Concert avec le concours de M. Jos. Watelet, pianiste,
et consacré aux œuvres de P. Tschaïkowsky.
GAND
Samedi 4 février. — A 8 h., Salle du Grand Théâtre :
Deuxième concert d'hiver sous la direction de M. Ed.
Brahy, avec le concours de Mlle Eisa Rûegger, violon-
celliste. Programme ; Songe d'une nuit d'été, Mendels-
sohn ; Concerto, Haydn (Mlle Rûegger); Mort d'Œdipe
(fragment symphonique), L. Moeremans; Les préludes
de l'Ouragan, Bruneau ; Pièces pour violoncelle (M^e
Rûegger); Ouverture de Rienzi, Wagner.
LIÈGE
Dimanche 29 janvier. — A 3 1/2 h., Conservatoire
royal de musique : Ouverture de l'Ode à sainte Cécile,
Haendel; 2. Ouverture â'Iphigénie en Aulide, Gluck;
3 Ouverture de Don Juan, Mozart; 4. a) Air de Thésée :
Revenez, Amours, Lully; b) Psaume, Marcello; c) Histoire
de tous les temps, Haydn (Mlle Anna Vercauteren) ;
5. Ouverture d'Egmont, Beethoven; 6. Ouverture à'Obé-
ron, Weber; 7. Mélodies, Schubert (M. Jules Herman) ;
8. Ouverture du Vaisseau fantôme, R. Wagner. L'audi-
tion sera dirigée par Mi'e Juliettte Fol ville.
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Numéro 6.
5 Février i-go5.
LES CHANTS DE L'ABANDONNÉ
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
(Suite. — Voir le dernier numéro)
Soudain pourtant resonne un joyeux
clairon, et quelle détente apporte
ici la claire et vibrante sonnerie !
Sans cesse, à l'accompagnement,
elle alterne avec le bruit régulier du galop
des chevaux. Elle vient distraire le triste
abandonné lui-même, dont le cœur déjà se
remplit d'espoir : ce postillon qui, au dé-
tour du chemin, claironne si gaiment
n'apporterait-il point quelque nouvelle con-
solante de la ville?... Mais rien encore,
rien pour lui; la poste passe et, peu à peu,
au loin s'éteint la chanson joyeuse du cor.
(Die Post, n° i3.) Tout bonheur avec elle
semble avoir pour jamais disparu. Con-
stamment à présent, plus tragiques et plus
sombres, vont résonner des appels vers la
mort; la vieillesse en est heureusement
bien proche, et l'abandonné n'est-il déjà
pas, sous ses cheveux blancs, un vieillard
que l'on couchera bientôt dans la tombe?
Une phrase douloureuse passant sans
cesse de l'accompagnement dans la voix
nous chante une nouvelle désillusion : ces
cheveux, hélas! ne sont blanchis que de
givre; il n'est point vieillard encore celui
qui tant la désirait, et long encore, est le
dur chemin de sa vie. (Der greise Kopf, La
Tète blanche, n° 14.) De funèbres oiseaux le
poursuivent dans l'espace morne; le lourd
battement de leurs ailes rythme le chant
du voyageur : les corneilles effrontées,
s'apprêtent-elles déjà à se jeter sur son
pauvre corps lassé, et seules, dans leur
poursuite acharnée, témoignent-elles de la
fidélité jusqu'à la tombe? (Die Krdhe, Les
Corneilles, n° i5.) Des notes brèves, déta-
chées et tout en pianissimo, marquent la
chute silencieuse des dernières feuilles.
Une à une, la froide bise les détache de la
branche ; une seule encore semble déses-
pérément tenir à sa tige. Feuille du dernier
espoir, persistera t-elle? Plus fort souffle le
vent ; plus angoissant est le tourment, car
bientôt tombent en même temps la der-
nière feuille et la dernière espérance.
(Letzte Hoffnung, Dernier espoir, n° 16.) A
ce Lied si triste succède alors la jolie
chanson si évocatrice du village endormi,
enveloppé dans la nuit tranquille, dont les
chiens seuls troublent le silence par leurs
aboiements et le bruit de leurs chaînes. (Im
Dorfe, Au village, n° 17.) Au matin suivant,
l'ouragan s'est de nouveau levé ; comme
en un tourbillon, l'accompagnement en
notes précipitées évoque à présent la tem-
pête; sauvage et farouche aussi, de l'âme du
voyageur s'échappe un chant impétueux et
104
LE GUIDE MUSICAL
tourmenté. (Der Stùrmische Morgen, Matin
de tempête, n° 18.) Mais voici qu'une suite
de notes claires, persistant à l'accompa-
gnement pendant tout le Lied et donnant
une impression calme et heureuse, sem-
blent trouer de petites lueurs vacillantes
une sombre nuit d'orage. Ce sont les lu-
mières aimables de gîtes hospitaliers; mais
pour le pauvre désillusionné, leur charme
souvent trompeur est sans pouvoir. (Tdu-
schung, Illusion, n° 19.) L'idée de la soli-
tude est devenue obsédante; uniforme
comme sa pensée est devenue la chanson
de son obstination qui l'éloigné des routes
et des grands chemins et l'attire dans les
espaces déserts; un seul indicateur lui
montre un chemin sûr et bon : c'est celui
qu'il suit d'ailleurs et qui mène à la mort.
Quel caractère fatal à la fin de ce Lied où,
pendant cinq mesures (huit à l'accompa-
gnement), le chant, immobile comme le
regard, comme la pensée, se maintient
obstinément sur une seule note répétée et
chaque fois doublée à la main gauche par
la même note fatale, tandis qu'à la main
droite descend, en longues notes tenues,
une sombre et douloureuse phrase chroma-
tique. (Der Wegweiser, L'Indicateur, n° 20)
Le chemin solitaire a conduit le voyageur
au champ silencieux des morts; une sorte
de marche funèbre semble l'amener dans
cette demeure où il croit trouver enfin le
repos; mais, impitoyable aussi, elle n'offre
point encore de place à l'abandonné. Qu'il
aille donc son chemin! et le même motif
funèbre qui l'avait conduit l'emmène à pré-
sent de l'inhospitalier cimetière sur l'inter-
minable route où souffle l'âpre bise d'hiver.
(Das Wirthshaus, L'Auberge, n° 21.) Eloi-
gné de tout abri, forcé d'errer toujours
sans trêve ni repos, son cœur, un instant
révolté, s'est résolu à tout accepter : un
Lied d'un caractère énergique, décidé, d'un
rythme et d'une allure presque héroïques,
nous montre cette fois un infatigable lut-
teur sourd et insensible aux rafales de la
tempête de neige comme à l'inutile plainte
de son cœur; Dieu même, d'ailleurs, semble
indifférent à sa douleur! Sera-t -il alors, à
lui-même, son Dieu et sa Providence?
(M uth, Courage, n° 22.) Essayant d'échap-
per à son tourment, il est pourtant sans
cesse obligé d'y revenir. Meure alors tout
ce qui l'entoure ! s'exclame le triste chant.
Meure le soleil même et ses parhélies,
astres pâles de l'illusion, qui du ciel clair,
mais froid, semblent le narguer ! Veulent-ils
lui rappeler qu'autrefois aussi, pour lui,
éternel abandonné, brillaient dans les yeux
de sa maîtresse, aussi éclatants que le
soleil de mai, deux autres soleils radieux
que jamais plus il ne doit revoir? Comme la
douleur renaît à ce souvenir, et combien
suppliante alors est la mélodie qui souhaite
la mort de cet astre rayonnant, dernière
lumière qui luit encore avant l'heureuse et
longue nuit de l'oubli ! (Die Nebensonnen,
Les Parhélies, n° 23.) La tristesse, qu'en
un jour de révolte le malheureux avait cru
terrasser, s'est donc de nouveau emparée
de son âme; une sorte de mélancolique
résignation, qui plane aussi à présent dans
l'atmosphère hivernale d'un ciel gris et bas,
l'enveloppe et le pénètre; de loin, il per-
çoit une musique monotone et sombre ;
elle s'approche : c'est le refrain triste et
brisé d'une vielle plaintive qui lui parvient;
et bientôt voici qu'il aperçoit un mendiant
qui machinalement la fait chanter sur son
pauvre instrument. En ce malheureux que
nul ne regarde, que nul n'écoute, qui paraît
insensible à l'indifférence qui l'entoure, il
semble que l'abandonné se retrouve tout
entier. Et cette mélopée monotone et mé-
lancolique qu'il tourne sur sa vielle ne
chante-t-elle pas une destinée triste et
grave pareille à la sienne? Oh! l'air étrange
qui sans cesse se répète dans son indicible
tristesse; oh! l'instrument plaintif à la voix
brisée! et l'énigmatique vieillard qui va
son chemin! A lui, désormais, il confiera
sa « chanson dernière », l'immuable chan-
son de l'amour repoussé, souffrant et ré-
signé qui s'élève et meurt avec la plainte
du vent d'hiver ! (Der Leiermann, Le
Joueur de vielle, n° 24.)
Ici se termine la longue, mais si drama-
tique plainte qui traverse d'un bout à
LE GUIDE MUSICAL
io5
l'autre ce Liederkreis d'une poésie intense,
où la musique atteint souvent à une puis-
sance et à une élévation superbes, où partout
elle témoigne du merveilleux pouvoir évo-
cateur, du sens essentiellement pittoresque
de Schubert dans ses accompagnements,
et de Mùller dans ses vers d'une harmonie
si pénétrante et d'un rythme si caractéris-
tique. A travers tout le cycle des chants du
Voyage d'hiver passe une sombre, mais belle
inspiration romantique, où une profonde
émotion remplace cette fois la sensibilité
plus superficielle, mais si exquise, des Lie-
der de la Belle Meunière Comme de lumineux
éclairs déchirant la nuit obscure ou comme
de grandes trouées de ciel bleu laissant
apercevoir un moment le soleil éblouissant
parmi les sombres nuages d'orage et de
tempête, apparaissent en rayonnants et
tranquilles tableaux, des Lieder d'une
calme et bienfaisante douceur. Parmi les
chants dramatiques de sa Winterreise,
Schubert les a disposés toujours à propos
pour nous reposer un moment de la saisis-
sante et tragique atmosphère qui enveloppe
ce cycle. Ces contrastes habilement ména-
gés évitent ainsi l'impression de monotonie
qui pourrait, sans cela, se produire et
viennent au contraire doubler l'émotion
de ces vingt-quatre chants. Plus que
partout ailleurs, on pourrait caractériser
le génie de Schubert dans la Winterreise
par cette suggestive et vivante compa-
raison d'Edouard Schuré, qui recon-
naît dans son inspiration comme un
« torrent des Alpes ». « Son flot rejaillit en
» écume contre les rochers à pic et son
» désir inassouvi bouillonne jusqu'au fond
» des abîmes en harmonies mélancoliques
» et sauvages (i). » N'est-ce pas toute
l'atmosphère, tout le cadre, toute la couleur
du Voyage d'hiver, et ce désir inassouvi qui
s'exalte dans cette longue et douloureuse
plainte ne bouillonne-t-il pas au fond de
(i) Voir dans le Guide musical (1902), n°s 1 et 2, une pé-
nétrante étude d'Ei. Schuré à pnpos de l'intéressa nte
traduction de Y Amour du Poète avec essai critique et
commentaire psychologique par Raymond Duval (Pa-
ris, Quinzard et Fischbacher.)
chaque Lied de ce cycle qui nous pré-
pare déjà au Dichterliebe de Schumann?
L'opposant à Schubert, avec une égale
admiration pour tous les deux, Ed. Schuré
a de même admirablement caractérisé le
génie si différent du maître de Zwickau.
Au lieu de ce torrent impétueux, il voit
couler devant lui « une rivière paisible
» qui serpente amoureusement à travers
» des bouquets d'aulnes ombreux et des
» prés ensoleillés où foisonnent les plus
» odorantes fleurs ». Il voit la rivière
grandir, elle sera « fleuve et lac un jour,
» portant comme des navires ses chœurs
» de voix humaines et réfléchissant dans
» son vaste miroir la splendeur chatoyante
» des jours et la beauté sereine des nuits ».
On pourrait ajouter que cette nappe liquide
devient, sous le souffle de la tempête et
sous les coups redoublés de l'orage, hou-
leuse et sombre à son tour; le paysage de
rêve ensoleillé que reflétait le clair miroir
de l'onde s'est changé alors en un tableau
sinistre auquel répondra la voix orageuse
de l'eau mugissante. C'est sous ces deux
aspects que nous apparaîtra, dans l'Amour
du Poète,\e génie inspirateur de Schumann.
{A suivre.) May de Rudder.
DARIA
Drame lyrique en deux actes, poème de MM. Ad. Aderer
et Armand Ephraïm, musique de M. Georges Marty.
Première représentation à l'Opéra de Paris, le 28 jan-
vier igo5.
Prix de Rome de 1882, puis chef de
chant à l'Opéra, chef d'orchestre -à
FOpéra-Comique, -.. actuellement pre-
mier chef à la Société des Concerts du
Conservatoire, après un opéra, le.DiiC
de Ferrare, représenté au théâtre de la Renais-
sance, M. Marty voit enfin l'Opéra lui ouvrir ses
portes. « Ouvrir » est beaucoup dire, et « entre-
bâiller » me semblerait plus juste, car il ne s'agit
io6
LE GUIDE MUSICAL
ici que d'une simple formalité par laquelle l'Opéra
est tenu, tous les deux ans, d'accueillir deux actes
d'un prix de Rome. Et c'était hier le tour de
M. Marty. Je m'empresse d'ajouter que le compo-
siteur est sorti de l'épreuve avec tous les honneurs
dus à son savoir et à son mérite, très bien secondé
t»ar un poème fait de jolis vers et d'une action
rapide et dramatique. Trois personnages seule-
ment : Daria, jeune servante éprise de Boris,
seigneur russe dont elle fut la maîtresse, et Yvan,
intendant de Boris, amoureux de Daria.
On attend le maître et Yvan insinue à Daria
que c'est en vain qu'elle espère le revoir, car
Boris s'est fiancé à une riche héritière digne
de son rang et de sa fortune. Mais Daria ne le
croit pas. Arrive Boris, dont on fête le retour par
des chants et des danses, ce qui nous vaut un
petit ballet sur des motifs populaires russes d'une
saveur exquise, coupés de chants dont nos oreilles,
jadis bercées à des manifestations russophiles
et à de multiples exhibitions, ont gardé les timbres
et les rythmes heurtés.
Daria, toute à son amour, rappelle à Boris les
tendres souvenirs d'autrefois et lui dit son impa-
tience de les faire revivre, en des élans qui ne
manquent pas de tendresse, mais que j'eusse
rêvés plus expressifs et plus expansifs. Cependant
Boris a dit ses projets de mariage et subitement le
tableau change : Daria se révolte à la pensée d'être
abandonnée; elle repousse les cadeaux et bijoux
que lui offre Boris, et l'amante outragée passe à
la menace... Boris aussitôt rétablit les distances
et, tel un seigneur en face d'une esclave, ordonne
contre Daria le supplice du knout. Yvan proteste,
demande grâce pour la pauvre fille et trahit son
amour. Sur quoi Boris, toujours grand seigneur :
« Tu l'aimes, je le vois! Eh bien, je te la
donne, » Et, sur une vague réminiscence des
Danicheff, l'acte se termine en présence du pope qui
bénit les époux avec accompagnement de chœurs
a capella d'un très bel effet.
Un prélude symphonique d'une grande mélan-
colie et d'une polyphonie très fouillée, avec ses
trois notes qui passent aux instruments sous forme
de canon, ouvre le second acte, dans la cabane
d'Yvan. A noter une berceuse de Daria à son
' enfant, discrète et gracieuse, soutenue de jolies
sonorités d'orchestre. Les deux époux, perdus au
sein de l'immense forêt, coulent des jours de paix
et de bonheur. Ils s'aiment. Tout à coup, on entend
le son du cor et un piqueur vient annoncer que le
seigneur Boris, égaré dans la forêt, demande à
passer la nuit dans la cabane du bûcheron.
Encore une nouvelle menace, ou quelque retour
de l'amant qu'on croyait oublié. Mais Daria ne
craint rien. Boris peut venir.
La scène d'arrivée de Boris, son accueil par
Yvan, sont musicalement traités avec grâce et élé-
gance et d'une plume alerte. On boit, et le serf,
qui simule l'ivresse, chante une chanson cosaque
pleine d'allure et d'entrain, avec refrain dansé
d'un effet pittoresque, où M. Delmas se taille le
plus beau succès de la soirée. Puis il tombe comme
une masse. Boris alors veux prendre Daria à pleins
bras et évoque leurs amours passées; la résis-
tance de celle-ci le rend plus pressant; il va triom-
pher, quand tout à coup Yvan se dresse, terrible
et vengeur, étrangle son maître et met le feu à sa
cabane. Puis, entraînant Daria qui tient son enfant
dans les bras, il referme doucement la porte et
fuit"dans la nuit, en chantant son hymne à la libre
vie des forêts.
Cet acte, de beaucoup plus dramatique que le
précédent, a permis au compositeur une variété
d'expressions et d'accent qui a relevé l'intérêt
du spectacle un instant compromis. A noter une
gradation de sentiments dont l'orchestre s'est fait
l'heureux interprète en des éclats superbes, pour
aboutir à une scène pathétique, d'une réelle
puissance. On peut dire de la musique de
M. Marty qu'elle accompagne servilement le texte
et qu'elle abonde en détails charmants qu'on
regrette de voir trop souvent enfouis dans les
sonorités d'une orchestration touffue. Car, étant
donné que le chant, dans son œuvre, n'assume au-
cune responsabilité, il était loisible à la symphonie
de s'affirmer maîtresse absolue, d'absorber les
situations et d'agir en pleine lumière, loin de cette
grisaille qui trahit un trop grand souci de couleur
locale. Toutefois, l'on ne saurait nier la distinction
de la facture et la belle tenue d'une partition qui
révèle un parfait musicien, rompu à toutes les
ressources de son art et disposant d'une technique
incomparable. Aussi l'accueil a-t-il été des plus
sympathiques.
Mlle Vix est tout à fait charmante dans le rôle
de Daria, où elle débutait sur notre première
scène. M. Rousselière ténorise agréablement dans
le rôle de Boris, et M. Delmas prête au vigoureux
personnage d'Yvan l'autorité d'un incontestable
talent. A. Goullet.
LE GUIDE MUSICAL
107
LA SEMAINE
PARIS
ODEON. — Voici encore une 5ooe : celle
de VArlésienne, mais du drame d'Alphonse
Daudet, bien entendu, car s'il fallait nombrer
les exécutions de la partition de Bizet, plus ou
moins intégrales, au concert, le chiffre serait sans
doute fort dépassé. Cette petite solennité (qui a
été l'occasion de la réapparition de Mme Favart
dans la fameuse scène de la Renaude et de Bal-
thazar, ou M. de Max lui a donné la réplique, et
aussi d'une poésie de M. Rivoire, dite par M1Ie
Sergine) ne nous appartient donc que relative-
ment. Mais puisque la circonstance s'y prête, par-
lons donc un peu de la musique, et rappelons,
d'après un témoin oculaire et véridique, Adolphe
Jullien, les péripéties de cette exquise partition.
La première représentation de VArlésienne date
du mois d'octobre 1872. Elle fut donnée au Vau-
deville, devant un public qui ne s'attendait à rien
moins qu'à une vraie musique, et originale, et
valant la peine d'être écoutée, qui trouvait même
assez agaçante et insupportable cette façon d'occu-
per les entr'actes ou même certains jeux de scène
du drame de Daudet. Au point de vue de Bizet,
ces représentations ne comptent donc pas. Seules,
les exécutions en suite d'orchestre, par les soins
obstinés de Pasdeloup d'abord, plus tard de M.
Edouard Colonne, établirent la réputation de
l'œuvre musicale. Il est juste d'ajouter que Bizet,
qui l'avait d'abord composée en vue d'un orchestre
restreint, tel qu'on peut l'avoir dans un théâtre de
genre, l'arrangea dès lors pour grand orchestre,
sans du reste ajouter aucun morceau nouveau.
C'est naturellement cette version définitive,
dûment établie à cette époque dans l'admiration
générale, qui fit sa rentrée au théâtre, à l'Odéon,
le 5 mai i885, exécutée par l'orchestre de M. Co-
lonne. Ce jour -là, dont on vient de célébrer le
cinq-centième retour, la réparation fut complète
et l'œuvre de Bizet appréciée telle qu'il l'avait
conçue, dans son harmonie intime avec le drame
et l'œuvre littéraire, dans sa pénétration parfaite
et discrète des péripéties de l'action, dans la
saveur de ses mélodrames, une simple phrase par-
fois, mais si éloquente, si vraie d'accent! Les
grandes pages, on les connaît : c'est l'ouverture,
c'est la pastorale de l'étang de Vaccarès, suivie
d'un chœur à bouches fermées, c'est l'entr'acte,
puis l'intermezzo du second acte, c'est le carillon
qui ouvre le troisième, et la farandole, et
l'entr'acte de la magnanerie, et le chœur des Trois
Rois. Mais que de petits mélodrames exquis et qui
les valent bien !
Comme d'habitude, l'orchestre s'est admirable-
ment comporté sous la main délicate de M. Ed.
Colonne, et le succès (c'est chaque année la recette
maxima que fait VArlésienne) a été enthousiaste.
H. DE C.
CONCERTS LAMOUREUX. — Avant l'ap-
parition de Paillasse à l'Opéra, nous pensions
presque tous que M. Pietro Mascagni était le
dernier venu des compositeurs italiens. Le pire
rend souvent indulgent pour le mauvais : on a fini
par s'habituer à Cavalleria ruslicana, sinon à l'auteur
de la chose. Sa venue au pupitre de M. Chevillard
n'a pas soulevé la tempête ni, d'ailleurs, le moindre
enthousiasme, mais elle nous a valu de curieux
parallèles à la Plutarque, où l'on a comparé, ici,
M. Leoncavallo à M. Mascagni, là, notre hôte de
passage à nos chefs d'orchestre français et aux
capellmeisters allemands. S'il a eu une mauvaise
presse, il a eu un assez bon public. On n'est pas
indifférent au spectacle d'un chef qui s'agite beau-
coup ; on s'imagine qu'une mimique et de grands
gestes importent à une bonne exécution, et l'on
sait gré à qui se donne tant de mal pour essayer
de bien faire.
Au concert du 29 janvier, M. Mascagni n'a pas
manqué de monter la couleur de l'ouverture du
Carnaval romain et d'appuyer sur la corde roman-
tique; en quoi il n'a pas eu tort. Il a eu raison
aussi d'exercer sa fantaisie sur deux danses hon-
groises de Brahms, parce que ce genre de musique
permet quelque licence. Moins à l'aise avec la
symphonie en ré majeur du même maître et avec
l'ouverture n° 3 de Léonore, il n'a pas du moins
commis la faute d'en altérer le style et les mouve-
ments; je lui reprocherais plutôt d'avoir, par
timidité peut-être, mis un peu de lourdeur dans le
premier mouvement de la symphonie alors qu'il y
fallait de la légèreté et de l'enjouement, et une
sorte de coquetterie surannée dans l'ouverture au
lieu de sentiment et d'expression. L'ouverture de
Tannhœuser a été mieux dirigée, surtout dans la
seconde partie, très brillamment enlevée. Pour le
io8
LE GUIDE MUSICAL
prélude du Déluge, exécuté avec une admirable
froideur par M. Sechiari, je n'ai rien remarqué
d'inusité, si ce n'est un excès de pianissimo dans
l'accompagnement de l'orchestre.
M. Mascagni a cru nous intéresser en offrant la
première audition d'un adagio et d'un scherzo d'une
suite en 5/ mineur de Caetani. Ces deux morceaux,
fort courts, doivent être placés dans la catégorie
des musiques inutiles ; habilement écrits, instru-
mentés avec grâce, mais sans aucun coloris, ils
n'accusent aucune personnalité.
Comme chef d'orchestre, M. Mascagni ne nous
semble pas sans mérite. S'il n'était pas l'auteur de
Cavalleria rusticana, de Y Ami Fritz, des Rantzau, il
aurait été jugé, je crois, avec moins de sévérité. Le
chef a payé pour le compositeur; c'est d'autant
moins juste qu'il avait eu le bon goût de ne mettre
sur les deux programmes aucune de ses œuvres.
Cette attention délicate valait au moins un peu de
reconnaissance. L'abbé Perosi, qui lui ressemblera
physiquement dans une dizaine d'années, n'a pas
montré la même réserve, et pourtant que d'encens
Paris lui a offert ! Est-on bien sûr que la musique
sacrée de celui-ci soit de beaucoup supérieure à la
musique profane de celui-là ? Julien Torchet.
Après les deux superbes séances Franck, avec
le magis'ral concours de Mlle Boutet de Monvel,
la troisième séance du Quatuor Parent a fait
applaudir l'art, hélas! posthume, d'Ernest Chaus-
son et ses très vivants interprètes.
Entre le quatuor pour piano et cordes et le con-
certo en y/ majeur (un sextuor pour piano, violon
principal et quatuor), où Mlle Marthe Dron, pia-
niste brune, vive, au profil décidé comme son jeu,
s'est brillamment distinguée à côté d'Armand
Parent, très en verve, Mme Georges Couteaux a
dit, avec une fort belle voix et le sentiment le plus
pénétrant, trois mélodies du regretté maître : Le
Temps des lilas, la.difficile Chanson d'Ariel, sans autre
accompagnement qu'un accord final, et cette admi-
rable Chanson perpétuelle, sûr les tercets d'Henri
Cros, où survit l'âme d'un poète de la musique
mineure, intime, automnale, chez qui le printemps
même était triste, mais dont les mélancolies,
enveloppées dans l'atmosphère franckiste, avaient
d'originaux et mâles accents.
Au prochain concert, programme Vincent
d'Iridy. Raymond Bouyer.
— Le Quatuor Willaume, Dorson, Bailly,
Feuillard a donné, le 28 janvier, à la salle Pleyel,
sa première séance de musique de chambre. Il a
ouvert le concert par l'exécution du septième
quatuor de Beethoven, œuvre toute de délicatesse,
comme chacun sait, et, par cela même, d'une inter-
prétation difficile; les jeunes artistes l'ont jouée
avec une aisance et une grâce infinies. Le délicieux
quintette avec hautbois, de Théodore Dubois, a
valu au maître, présent dans la salle, des ovations
sans fin. MM. Bleuzet et Lausnay, joints au trio à
cordes, l'ont exécuté d'ailleurs avec tant de
charme, qu'on leur a redemandé la délicieuse
canzonetta. Dans la deuxième sonate en mi bémol,
pour piano et violon, de Saint-Saëns. MM. de
Lausnay et Willaume ont obtenu un vif succès,
et Mme Georges Marty, qui prêtait son concours à
ces virtuoses, a été rappelée plusieurs fois après
avoir chanté avec l'art et l'autorité qu'on lui
connaît des mélodies de Schubert et de M. Lenep-
veu. T.
— M. Engel et Mme Bathori ont repris au théâ-
tre Trianon leurs séances de musique, dont la
réouverture a eu lieu samedi dernier devant un
nombreux public.
Le programme comportait une quinzaine de
mélodies et duos de César Franck, dont l'audition
n'est pas ce qu'on peut recueillir de meilleur dans
l'œuvre du maître regretté. J'en demande bien
pardon à M. Coquard et à sa docte causerie, pleine
d'excellents aperçus, mais C. Franck ne fut rien
moins qu'un mélodiste, et les Lieder ne sont pas son
fait. Il brille surtout par la symphonie ou la poly-
phonie, et les voix n'intéressent que par l'habileté
des groupements ou accompagnées par l'orchestre,
toujours chargé du rôle principal.
Aussi, en dehors de la Procession, si connue et
supérieurement chantée par M. Engel, les deux
protagonistes ne nous ont-ils présenté que des
œuvres de deuxième et de troisième plan. Cela
n'enlève rien au talent des interprètes, mais il est
évident que Mme Bathori, qui se double d'une
excellente pianiste, a relevé de cent coudées le
niveau du programme avec la sonate de piano
et violon, objet d'une ovation enthousiaste en
dépit de l'insuffisance de M. Alberto Bachmann
dans la partie de violon. A. G.
— La troisième séance de musique donnée par
M. Henri Richet, avec le concours de M. Louis
Diémer, Mlle Graziella Ferrari et M. Firmin
L2 GUIDE MUSICAL
109
Touche, a eu lieu le lundi 23 janvier, 43, rue de
la Tour d'Auvergne, avec le même succès que les
précédentes. Au programme, des œuvres de Louis
Diémer, le deuxième trio, deux romances, le
Caprice-Seherzando YImpromtu- Valse et la troisième
Orientale, accompagnée par l'auteur, ainsi que deux
mélodies, Chanson du soir et Menuet, délicieusement
interprétées par MUe G. Ferrari. M. L. Diémer
s'est fait applaudit en outre dans le Coucou de
Daquin, qu'il nuance avec un art infini. M. Richet
a retrouvé son succès accoutumé avec le bel Aria
de Bacli et la Danse des Elfes de Popper, si remar-
quablement écrite pour le violoncelle.
— Mardi 24 janvier, salle Erard, première
séance de sonates piano et violon donnée par
Mlle Germaine Chéné et M. Marcel Bâillon. La
sonate en ré, mineur (op. 121) de Schumann. la
sonate (op. 3o) en ut mineur de Beethoven, l'admi-
rable sonate en la majeur de C. Franck, ont fait
valoir les brillantes qualités de ces deux excellents
virtuoses.
La seconde séance a eu lieu le vendredi 3 février.
Au programme, la Sonate à Kreutzer, la sonate en
ut mineur de J.-S. Bach et celle en ré mineur de
Saint-Saëns. F. de M.
— Le 28 janvier dernier, intéressante séance, à
l'Institut Rudy, de la Société de musique d'en-
semble dirigée par M. René Lenormand (i25e au-
dition!]. On pourrait mettre en tête du programme :
« Ici, l'on travaille. » Ces artistes, ces sociétaires,
hommes et femmes, à leur pupitre ou aux deux
pianos qui suppléent à l'orchestre insuffisant, ont
tous l'air de mettre tout leur cœur et tout leur
enthousiasme dans la musique qu'ils exécutent.
Cela a de la jeunesse et de la vie. Des morceaux
symphoniques de Mozart, Beethoven, Saint-Saëns,
Rimsky-Korsakoff et René Lenormand compo-
saient surtout ce programme, relevé encore par le
jeu brillant du pianiste Maurice Dumesnil et par
la voix exquise de Mlle Suzanne Cesbron, qui a
dit en perfection des mélodies de R. Lenormand
et deux airs de style des Noces de Figaro et de la
Flûte enchantée. H. de C.
— M. Pirro, l'érudit professeur à la Schola Can-
torum, vient de commencer à l'Ecole des Hautes
Etudes sociales une série de conférences sur les
œuvres de clavecin de J.-S. Bach.
Il a très justement montré quelle erreur on com-
met en ne voyant dans l'œuvre instrumentale du
maître de Leipzig qu'une imposante « architecture
sonore». La prodigieuse technique ne doit pas
nous en cacher les constantes intentions expressi-
ves, le côté vraiment humain.
Dans ses cantates, dans ses Passions, Bach est
sans cesse occupé d'agir sur l'âme de ses auditeurs,
en mettant d'accord les motifs mélodiques et la
contexture harmonique avec le texte sacré. En les
étudiant de près, on arrive à connaître son voca-
bulaire musical et ses moyens d'expression comme
on le ferait pour tel musicien dramatique moderne.
Ses œuvres instrumentales obéissent à la même
pensée. Lorsqu'il choisit un sujet de fugue, lors-
qu'il le développe, il ne cesse d'avoir une intention
expressive. C'est comprendre l'œuve à demi que
de n'y trouver qu'habileté technique et plaisir de
l'oreille. Il faut donc porter une lumière nouvelle
dans l'étude des œuvres instrumentales de Bach et
les rapprocher de ses œuvres vocales, en compa-
rant et en opposant leurs motifs mélodiques. C'est
ce qu'a fait avec ingéniosité M. Pirro pour quel-
ques inventions à deux et à trois voix, que Mme
Wanda Landowska a jouées au clavecin de façon
parfaite. F. G.
— Jeudi dernier, à la salle Pleyel, concert de
la Société des Compositeurs. A noter une fugue
solide de M. Achille Philip, un Paysage landais de
M. Ermand Bounal, deux excellentes pièces pour
grand orgue, fort bien jouées par M. J. Bonnet.
Un bon point à la Fantaisie- Ballade, pour harpe
chromatique, de M. Pfeiffer, que Mme Wurmser-
Delcourt a interprétée avec son charme habituel.
Passons sous silence trois pièces pour piano et
violon, d'un médiocre intérêt, pour applaudir au
talent si élégant, si achevé de Mlle Marguerite
Long qui a remporté un vif et très légitime succès
dans trois charmantes pièces de M.Gabriel Fauré,
Sixième Barcarolle, Fileuse de Pelléas, Première Valse-
Caprice. Constatons enfin, que le grand succès de la
soirée a été pour Mme Mellot qui a chanté de
façon merveilleuse les Joies et Douleurs de M.Arthur
Coquard, poème musical en sept Lieder, œuvre de
passion intense et d'expression profonde. Il n'a
pas fallu moins de quatre rappels pour calmer
l'enthousiasme du public. L. J.
— Avec le quatuor à cordes n° 9 et le quatuor
en la majeur de Brahms, M. Victor Balbreck a
superbement rempli, vendredi dernier, le pro-
gramme de sa deuxième soirée musicale. Son
talent s'y est montré, comme d'habitude, plein
de fougue et d'entrain communicatif. Mmes Oberlé
et Blanchard, ainsi que MVT. Borgna, Wolf, Du-
mas et notre collaborateur M. Cornet ont mer-
IIO
LE GUIDE MUSICAL
veilleusement secondé le maître. Une sonate de
Saint-Saëns pour piano et violoncelle et deux
morceaux de chant interprétés par Mme Bordas
ont accentué le charme de cette réunion. d'E.
— La première des six séances que Mlle Blanche
Selva doit consacrer à J.-S. Bach, Rameau,
D. Scarlatti et leurs devanciers, vient d'avoir lieu
à la Schola Cantorum. Nous ne faisons aujourd'hui
que constater le brillant succès remporté par cette
grande artiste, nous réservant d'indiquer ultérieure-
ment le rare intérêt historique et artistique que
présente une aussi intelligente sélection d'œuvres
anciennes. R. de C.
— Il y a trop de faits et d'idées dans les confé-
rences de M. Expert à l'Ecole des Hautes Etudes
sociales, sur la musique française des x\e et xvie
siècles, pour qu'on puisse les résumer en quelques
lignes. Dans sa dernière, il a dit de fort intéres-
santes choses sur l'usage de la langue vulgaire
dans la liturgie catholique, sur les tentatives faites
au xvie siècle pour rétablir dans la musique et la
poésie françaises les rythmes et la métrique des
anciens, sur l'application fréquente alors, dans des
anthologies publiées surtout par les Jésuites, de
paroles pieuses à des chansons profanes et môme à
des airs de danse connus.
Parmi tout ce qu'il a fait entendre par son excel-
lent quatuor vocal, nous avons goûté tout particu-
lièrement les chansons mesurées à l'antique de
Du Caurroy et de Le Jeune, d'une préciosité très
curieuse, d'un sentiment presque décadent. Par
sa recherche, cette musique est déjà de la musique
moderne.
Dans sa prochaine conférence-audition, M. Ex-
pert traitera de la musique calviniste française.
' F. G.
— L'année est bonne pour les théâtres lyri-
ques. Aux derniers relevés mensuels de recettes,
ceux du mois de décembre, l'Opéra-Comique
accuse une moyenne de 7,237 fr. par représenta-
tion au lieu de 5,655 le même mois de l'année pré-
cédente. L'Opéra n'accuse que 15,734 fr. en
moyenne, ce qui est faible, mais tout de même en
progrès sur igo3, où le même mois de décembre
n'avait donné que 14,968 fr.
— M. Gabriel Astruc, directeur de la Société
musicale, organise pour le mois de mai prochain
un festival Beethoven, en quatre journées, avec
Je concours du célèbre chef d'orchestre Félix
Weingartner et de l'Association des Concerts
Colonne. Le programme comprendra l'audition
intégrale des neuf symphonies de Beethoven, le
concerto de violon et le concerto de piano en sol
majeur. Mme la comtesse Greffulhe honorera de
son patronage cette belle manifestation d'art mu-
sical.
— On annonce pour le 8 février, à la salle des
Sociétés savantes (rue Danton), le premier concert
de l'Union des Femmes professeurs et compositeurs
de musique, dont la présidente est notre distinguée
collaboratrice Mlle Marie Daubresse. Le but de ce
syndicat d'artistes (le premier qui se soit constitué
pour les femmes) est de permettre aux musiciennes
de s'entr'aider, de se soutenir, d'associer leurs
bonnes volontés contre les difficultés sans cesse
accrues qu'imposent les conditions économiques
de la société moderne à l'effort féminin. On ne
saurait assurément trop encourager de si louables
initiatives, et le concert organisé par leurs soins
mérite d'attirer l'attention de tous les amateurs de
musique. L'U. F. P. C. comprend des professeurs,
des compositeurs, des accompagnatrices et des
concertistes. Toutes, plus ou moins, contribuent à
ces séances, dont la première comprend l'exécution
de Gallia (Gounod) et des fragments de la Rebecca
de Mlle Carissan. L'orchestre et les chœurs sont
dirigés par M. Henri Bressel.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Vendredi dernier a eu lieu la première du ballet
de M. André Messager, Une aventure de la Guimard,
qui fut créé à Paris, à l'Opéra-Comique, le 6 no-
vembre 1900.
L'aventure est simple : un jeune homme a besoin
d'argent pour satisfaire les caprices de celle qu'il
aime ; il signe un engagement à l'armée et touche
la prime ; mais son amie se désole et veut arracher
l'engagement au sergent instructeur ; celui-ci se
dérobe, mais il se laisse séduire par les charmes
de la Guimard qui intervient et l'engagement est
déchiré, La Guimard, reconnue, est enlevée par
le peuple et tout se termine par le triomphe de la
danseuse.
M. André Messager a écrit sur ce sujet une par-
LE GUIDE MUSICAL
tition charmante qui suit l'action dans ses moindres
détails ; c'est vif, spirituel, alerte, léger, plein de
nuances, de demi-teintes et, si ce n'est pas tou-
jours très original comme moyens, c'est délicieux
comme exécution.
Mlle Aida Boni a été vraiment exquise dans le
rôle de la Guimard et on ne peut imaginer inter-
prétation plus subtile, plus fine et plus gracieuse;
Mlle Dupré (l'Amoureux) et Mlle Crosti (l'Amou-
reuse) ont été charmants et M. Ambrosiny a
donné un tour piquant au personnage du Sergent
enrôleur. 11 mérite d'ailleurs de doubles éloges,
car la mise en scène du ballet est réglée avec infi-
niment d'art et de goût.
La quatrième représentation de Pépita Jimenes
a été donnée mercredi avec un très grand succès
pour Mmes Baux et Maubourg, MM. David,
Belhomme, Boyer et Danlée. Faust, le Jongleur de
Notre-Dame, Mignon, l'Ermitage fleuri, la Bohème et
Tristan complétaient le programme de- la semaine.
La première (reprise) d'Hérodiade qui avait du
être remise par suite d'une indisposition de M. Ch
Dalmorès est fixée à lundi.
Incessamment, reprise de la Basoche, d'André
Messager.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, La Fille du
Régiment et les Noces de Jeannette ; le soir, le Jongleur
de Notre-Dame et Une aventure de la Guimard;
demain lundi, Hérodiade.
R. S.
— M. Henri Merck, violoncelliste, appartient à
une famille d'artistes bien connue et estimée chez
nous. De tempérament plutôt nomade, depuis
longtemps il ne s'était plus produit en soliste à
Bruxelles. Aussi est-ce avec empressement qu'on
est allé le réentendre samedi dernier, à la Grande
Harmonie, en une séance favorisée de la précieuse
collaboration de M. Isaac Albéniz comme compo-
siteur, pianiste et chef d'orchestre.
M. Merck a interprété successivement un con-
certo du compositeur nord-américain V. Herbert,
(œuvre intéressante, un peu rapsodique et sans
grande originalité, mais écrite dans un style de
bon aloi et avec une connaissance parfaite des res-
sources de l'instrument, la pénétrante Elégie de
Fauré et Y Aria de Bach, ces deux derniers mor-
ceaux accompagnés avec une délicatesse et un tact
rares par M. Albéniz. On a retrouvé avec plaisir
le son chaleureux de M. Merck, son goût très sûr
et sa spontanéité d'interprétation, servie aujour-
d'hui par une technique irréprochable; son succès
a été très grand.
Succès non moindre pour les deux œuvres sym-
phoniques de M. Albéniz, bien que l'exécution
souffrit d'un certain manque de préparation. Le
prélude de Merlin et la rapsodie Catalonia (déjà
entendue aux Concerts Ysaye) offrent, dans leur
frappante antithèse, comme les manifestations
extrêmes du talent de M. Albéniz. Le prélude,
page d'une grandeur simple, d'un sentiment pres-
sant et grave, est du plus beau caractère; la rap-
sodie, enlevée avec une verve endiablée qui faisait
oublier les imperfections de détail, a produit, sous
la direction de l'auteur, un effet censidérable par
sa fougue impétueuse et sa truculente sonorité.
E. C.
— Mme Lula Mysz-Gmeiner est incontestable-
ment une des meilleures chanteuses de Lieder de
cette époque. Elle possède, pour briller dans ce
genre difficile, toutes les qualités qu'on peut avoir :
une ample et belle voix, une diction expressive
et, par dessus tout, un tempérament d'artiste
passionnée et chaleureuse. Peut-être pourrait-on
lui reprocher un certain abus du portamento et une
tendance à la recherche d'effets faciles, telles les
oppositions en jtianissimi sur les fins de phrase ;
mais l'ensemble de ses interprétations donne une
impression d'art que peu de cantatrices peuvent
réaliser, et ceci suffit à justifier le très gros succès
que lui a valu le concert qu'elle a donné mercredi,
avec la collaboration du pianiste M. Jean Du
Chastain. De son côté, ce jeune artiste, très en
progrès, n'a pas trop souffert du redoutable voisi-
nage de son illustre partenaire. Son mécanisme
s'est perfectionné et, de son jeu commence à se
dégager une intéressante personnalité. Il a été,
lui aussi, vigoureusement applaudi, non seulement
pour ses morceaux en soliste (les œuvres de Chopin
et la Campanella de Liszt l'on particulièrement
servi) , mais encore pour la façon délicate dont il
a accompagné les Lieder de Schubert, Schumann,
Liszt et Wagner.
— M. Max Donner, violoniste, a donné jeudi
dernier à la Grande Harmonie un concert avec
orchestre qui a obtenu un vif succès. Les concer-
tos, op. 64, de Mendelssohn et op. 20 de Saint-
Saëns, ont fait heureusement valoir la finesse de
son interprétation, un sens musical et poétique
qui se développera encore, mais s'annonce très
heureusement. M. Max Donner a remporté en
outre de nombreux applaudissements comme
oompositeur en interprétant la Danse of the Guats;
son Morceau caractéristique pour orchestre a été
112
LE GUIDE MUSICAL
fort bien dirigé par M. Mathieu Crickboom qui
s'est tiré avec adresse et a conduit avec beaucoup
d'autorité — mais avec tout le fini désirable —
Siegfried Idyll de Richard Wagner et la splendide
ouverture de Corioïan de Beethoven.
— Le récital Engel-Bathori était consacré cette
fois à Debussy. Des mélodies aux harmonies pre-
nantes et troublantes ; les trois adorables Chansons
de Bilitis, les délicates et originales Fêles galants et
les quatre Ariettes oubliées, d'un toucher si délicat,
composaient le programme. M. Engel et Mme Ba-
thori ont interprété ces œuvres d'une façon poéti-
que et charmante.
Pour finir, deux fragments de Pelléas et Mélisande,
le duo de la Fontaine et le duo d'amour du cin-
quième acte. Les deux artistes ont été admirables
et ont rendu toute la poésie et l'amour de ces pa-
ges vraiment belles. J. T.
— Grand succès pour le récital de Mlle Jeanne
Maison, la brillante lauréate des derniers concours
de piano au Conservatoire de Liège, classe de
Mme Gillart.
La jeune virtuose qui se faisait entendre pour la
première fois à Bruxelles, à la maison Erard, de-
vant un auditoire nombreux et choisi a fait preuve
de très sérieuses qualités de pianiste et de musi-
cienne.
Au programme la sonate, op. 3i. de Beethoven,
un rondo de YTozart, des œuvres de Chopin, Saint-
Saëns et Liszt.
Si son interprétation de la sonate de Beethoven
manque encore d'émotion et de profondeur elle est
intéressante par le mécanisme et son jeu est em-
preint d'élégance, de clarté et de netteté.
Le public très enthousiaste l'a particulièrement
applaudie dans la polonaise en mi bémol de Cho-
pin, enlevée avec brio et dans de petites pièces de
Rameau et de Scarlatii, dont elle a fait valoir tout
le charme et toute la finesse.
— Charmante audition donnée à la Grande
Harmonie par le cercle symphonique Crescendo,
sous la direction de Léon Poliet. L'orchestre a été
à la hauteur de sa tâche dans l'exécution d'œuvres
de Massenet, Peter Benoit, Jehin, etc.
On a fort apprécié deux pièces symphoniques
d'un jeune compositeur belge, M. Paul Lagye : Elé-
gie et le prélude du drame lyrique Carel en Elegasl.
Ces œuvres dénotent de sérieuses qualités chez
l'auteur, et sont pleines de promesses pour
l'avenir.
M. Cholet, violoncelliste, a fort bien exécuté les
Variations symphoniques de Boëllmann, et Mlle M. de!
Linter qui possède une voix agréable a bien
mise en valeur quelques pages de Massenet, De-
libes et Holmes.
L'auditoire a témoigné maintes fois sa satisfac-
tion aux jeunes artistes et à l'excellent chef.
L. D.
— Miss Gwendolen Allan, récemment applaudie
au Cercle artistique, a donné samedi dernier, au
théâtre. Molière, une nouvelle séance d' « interpré-
tations » plastiques de musique instrumentale : ma-
zurkas et valses, Marche funèbre de Chopin, Adagio
de Beethoven, Rêverie de Schumann, etc. Le succès
a été assez vif, bien que les opinions fussent très
partagées.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — La première du Jongleur de
Notre-Dame a obtenu, au Théâtre royal, un
succès caractéristique. Certes, la partition con-
tient des pages d'un charme intense, d'un mysti-
cisme émouvant et d'une habileté consommée. Si-
gnalons : l' Alléluia du vin, l'air « Liberté, ma mie »,
du Jongleur, la leçon de plain-chant, la romance de
la Sauge, la Pastourelle et tout le finale. Après avoir
triomphé à Monte-Carlo, Paris, Bruxelles, Nancy,
Genève, Bordeaux, Reims, Rennes, Alger, Lille,
Grenoble, Marseille, Lyon, Nantes, et même en
Allemagne, à Hambourg, Cologne, Munich, etc..
le Jongleur de Notre Dame a remporté aussi un
grand succès chez nous, grâce à une interprétation
très homogène et aux merveilleux décors de
M. Dubosq. Nous ne sommes pas gâtés en fait de
décors à Anvers ; aussi ceux-ci ont-ils fait sensa-
tion.
M. Broca s'est révélé parfait artiste dans le rôle
du Jongleur. Il l'a interprété avec tact et com-
préhension. La voix nous parut moins étranglée
qu'à l'ordinaire. MM. Bédué, Viroux, Lataste,
Maréchal, Radouxet Lary ont complété un très
bon ensemble. Les chœurs et l'orchestre ont été
à la hauteur de leur tâche.
Nous avons eu, à l'occasion de la manifestation
organisée en l'honneur de M Jacques Mossly, la
première de Jean-Marie, drame en un acte d'André
Theuriet, mis en musique par notre concitoyen
M. Guillaume Verbeek. La partition est de cise-
LE GUIDE MUSICAL
n3
lure fraîche et très expressive. Nous avons noté,
entre autres, la ballade de Thérèse, le duo entre
Jean-Marie et Thérèse, traité avec émotion; enfin,
le finale, d'une très poignante poésie. L'œuvre de
M. Verbeeck, très mélodique et sincère, a d'in-
contestables qualités.
Le concert de la Société royale d'Harmonie,
auquel devait se faire entendre M. Carlo Matton-
Painparé, violoniste, est remis au début d'avril.
G. PEELLAEuT.
BORDEAUX. — Si, indifférent (oh! com-
bien!) à toute espèce de considérations per-
sonnelles et plus que jamais décidé à ne pas nous
écarter de notre ligne de conduite, nous avons, au
nom de ce que nous croyons être la vérité, formulé
quelques réserves aussi rares que courtoises sur
certaines exécutions dirigées par M. Pennequin,
en revanche, nous sommes heureux de déclarer
qu'il a interprété la Symphonie héroïque, au cinquième
concert de Sainte-Cécile, avec un sentiment pro-
fond des merveilles de l'œuvre. Il a su traduire ce
qu'elle renferme de passionné, de noble, de haute-
ment intellectuel avec une remarquable intelli-
gence du texte. Rien ne nous étonne de M. Penne-
quin. L'impression produite par la symphonie et
principalement par la marche funèbre, dont la
fugue a été magistralement rendue, est de nature à
augmenter les exigences du public à l'avenir. Ne
nous appesantissons pas sur une défaillance des
cors dans le scherzo. Il y a eu un léger accident qui
ne modifie en rien notre jugement d'ensemble.
M. Pennequin qui, nous a-t-on dit, a été sur le
point de quitter Bordeaux, pour des raisons qui
n'intéresseraient nullement les lecteurs du Guide
musical, a été doublement fêté par le public et la
section chorale, qui lui a offert une palme à la fin
de la symphonie. Nous remercions qui de droit
d'avoir inscrit au programme la Symphonie héroïque,
qui n'avait pas été jouée à Bordeaux depuis long-
temps.
Au programme encore, V Apprenti sorcier de Du-
kas, page d'une très amusante virtuosité orches-
trale, et la Fantaisie symphonique de M. A. Duvernoy,
œuvre d'un érudit professeur qui a beaucoup lu et
beaucoup retenu, pour piano et orchestre. M. Du-
vernoy dirigeait lui-même, et M. T. Philipp tenait
le piano. M. Philipp a également exécuté le char-
mant concerto en la majeur de Mozart, avec une
élégance un peu sèche. Pour clore le concert,
l'ouverture du Roi d'Ys, où le violoncelle d'Hek-
king a soupiré la phrase de Rosen avec ce charme
intense qui est une des caractéristiques de son
talent. L'interprétation en a été brillante et colo-
rée. H. D.
BUCAREST. — Le quatrième concert de
la Société philharmonique roumaine nous
a réservé la surprise d'une très vibrante œu-
vre de M. A. Castaldi, un musicien italien établi
à Bucarest. Ce poème symphonique intitulé : Le
Jour ou le Poème des Heures, est composé de
trois parties :
i. Les Heures roses ou Le Matin : Les instruments
à cordes annoncent, en une suite d'accords par-
faits pianissimo, le lever du soleil. Petit à petit, ces
accords font place à une sonorité sans cesse gran-
dissante des cuivres, qui chantent le thème mélo-
dique avec une richesse polyphonique de plus en
plus éclatante : ce thème exprime l'admiration de
l'homme, de l'artiste, devant la splendeur du
soleil. Le calme initial reprend ensuite pour clore
cette première partie en une sérénité parfaite.
2. Les Heures d'or ou Midi : Emue devant le
mystère de la fertilité de la nature, l'humanité
adresse au Créateur ses ardentes prières. La trame
orchestrale de cette partie est basée sur un double
quatuor. Très hardi, l'effet de doubles quintes
chantantes entre les violons divisés; ces quintes
sont doublées d'un autre quatuor de cors anglais
célébrant la gloire de l'heure dorée, de l'heure du
triomphe.
3. Les Heures violettes ou Le Soir : La fantaisie de
l'artiste le transporte en Grèce : il y voit passer,
aux heures calmes du crépuscule, où le zéphir
caresse les corps de marbre des déesses, de nom-
breux couples d'amoureux, voluptueusement enla-
cés. Au loin, on entend le son idyllique du double
chalumeau. Une harmonie suave, mystérieuse,
flotte dans les brumes violacées de cette heure
chère aux poètes.
Mais la nuit survient; la mélancolie s'efface...
Place à la Danse sacrée de Vénus. Nymphes, syl-
phides, dryades et satyres tournent en une ronde
effrénée ; la danse dégénère en orgie ; excités, les
satyres pourchassent les nymphes haletantes ; trois
arrêts brusques expriment la chute des nymphes,
enlacées par les satyres.
Mais voici de nouveau le calme : une voix
plaintive s'élève au milieu de la nuit, voix triste,
résignée, qui pleure la fin d'un amour à jamais
enterré, chant de douleur exhalé par le violon
solo. Puis, soudain, cette plainte est couverte par
la reprise de la luxurieuse Danse sacrée, qui termine
l'ouvrage. Cette œuvre est très passionnée, extrê-
ii4
LE GUIDE MUSICAL
mement vibrante, le tour mélodique en est émi-
nemment italien, d'une écriture distinguée, d'une
orchestration raffinée, quoique claire. Elle a été
accueillie avec le plus vif enthousiasme. L'auteur,
qui dirigeait sa partition, a été rappelé à plusieurs
reprises.
A côté de cette attrayante audition, il ne me
reste plus qu'à mentionner les deux représentations,
dans Faust et Lokengrin, à l'Opéra italien, de
Mlle Yvonne Dubel, une très belle cantatrice, qui
débuta il y a quelques mois à l'Opéra de Paris.
Michel Margaritesco.
G AND. — M. Raoul Pugno, l'incomparable
pianiste, nous est revenu, grâce au Cercle
des Concerts d'hiver. Sa séance, un récital qu'il
donnait avec le concours de Mme Vierne-Taskin,
n'a été qu'une suite de rappels et d'ovations. Il a
joué avec la même perfection successivement des
œuvres de Bach, Beethoven, Chopin. Liszt, Schu-
mann, mettant un talent exquis à les interpréter.
Pugno s'est en outre fait connaître au public gan-
tois comme compositeur dans Amours brèves et Séré-
nade à la lune.
L'A Capella gantois, poursuivant son œuvre
de vulgarisation, a consacré une nouvelle audition
à l'étude des origines de l'opéra français. M. Paul
Bergmans, en une aimable conférence, a continué
le sujet de sa précédente causerie pour arriver à
l'époque de Lulli, auquel il consacrera sa troi-
sième séance. M. Hullebroeck, avec un orchestre
de treize musiciens, composé comme celui de
l'opéra de Louis XIV, a fait entendre, avec le con-
cours de ses chanteurs, d'importants fragments
d'œuvres qui contribuèrent à donner à l'opéra
français sa forme et sa conception.
Dimanche dernier a eu lieu, dans les salons de
la maison Beyer, une audition de Lieder donnée
par Mme Paul Miry- Merck.
Mme Miry a chanté de sa voix au timbre clair et
sympathique des œuvres diverses de Bach, Fauré,
Bruneau, Brahms; mais où elle a le plus charmé
son auditoire, c'est dans l'interprétation des œuvres
de son mari : Berceau, Douleur et Gondolier e.
Accompagnée de son élève, Mlle Dam, elle nous
a fait entendre le duo de Demetrio de Torchi, une
Tarentelle de Fauré et du même auteur une déli-
cieuse page écrite sur les paroles de V. Hugo :
Puisqu'ici toute âme...
Mlle Dam a une voix très étendue, qu'elle con-
duit avec aisance jusqu'aux registres les plus éle-
vés, et il y a en elle les dons d'une artiste sérieuse.
La nomination du directeur du Grand-Théâtre
n'a pu être faite encore, par suite du désarroi qui
règne au conseil communal. Les deux candida-
tures les plus sérieuses sont celles de M. Martiny,
qui a déjà exploité notre scène, et celle de M.
Marquet, le directeur des fêtes à Ostende.
Une décision interviendra d'ici à quinzaine seu-
lement. Marcus.
LA HAYE, — Le cinquième concert de la
société Diligentia nous a fait entendre pour
la première fois une jeune et charmante violon-
celliste portugaise, Guilhermina Suggia, d'Oporto,
âgée de dix-huit ans, artiste de grand talent, possé-
dant de sérieuses qualités, mais qui a eu le tort de
choisir comme morceau principal le superbe con-
certo op. 104. de Dvorak, ouvrage hérissé de diffi-
cultés, qui dépasse les limites de ses moyens. C'est
dans la seconde partie du programme que
Mlle Suggia a remporté un grand succès en exé-
cutant avec un charme extrême la romance de
Svendsen et une tarentelle de Piatti, où elle a
triomphé vaillamment de toutes les difficultés.
M. Mengelberg nous a fait entendre dans ce con-
cert la quatrième symphonie de Brahms, Espana
de Chabrier et, comme nouveauté, un poème
symphonique Es waren zwei Kônigskinder, un ouvrage
à grand effet, brillamment orchestré, de Fritz
Volbach.
A la sixième matinée symphonique donnée par
M. Henri Viotta avec le Residentieorkest, c'est
M. Laurent Angenot, professeur au Conservatoire,
qui a été le héros de la fête. Il a joué dans un beau
style le concerto en la majeur de Saint-Saëns et
l'Adagio appassionato de Max Bruch. Le programme
orchestral de cette matinée comprenait l'admi-
rable Jupiter Symphonie de Mozart, supérieure-
ment exécutée, l'adorable suite du ballet Casse-
Noisette de Tschaïkowsky et l'ouverture à'Euryanthe
de Weber.
Notre Toonkunst Kwartet (MM. Hack, Voer-
mans, Verhallen et Van Isterdael) vient de donner
son second concert annuel, le cinquantième
depuis la fondation. Le programme comportait un
quatuor po\ir piano, violon, alto et violoncelle de
Kersbergen, compositeur d'Amsterdam, le quatuor
op. 11 de Tschaïkowsky et un Andante de M. Ver-
hallen. Le quatuor de Kersbergen est un ouvrage
long, difficile, touffu et monotone, ce qui n'a pas
empêché le compositeur qui tenait le piano, d'être
vivement applaudi. U Andante de Verhallen, très mé-
LE GUIDE MUSICAL
115
lodieux et supérieurement joué, a obtenu un succès
enthousiaste. Le quatuor de Tschaïkowsky, malgré
ses côtés intéressants, nous a paru une œuvre de
jeunesse. L'interprétation, excellente dans V adagio,
a été moins heureuse dans le finale.
Une audition fort intéressante a été donnée au
Cercle artistique par le pianiste L. Cluytens, pro-
fesseur au Conservatoire de Mons, avec le concours
de Mme Cluytens, cantatrice, élève du professeur
Demest, et de M. Ch. Van Isterdael, violoncelliste.
M. Cluytens est un pianiste de talent, qui possède
une belle technique et joue avec charme et expres-
sion. Il a interprété avec M. Van Isterdael une
sonate de Marcello et la sonate op. 32 de Saint-
Saëns, puis des œuvres de Scarlatti, de Chopin et
VEtude en forme de valse de Saint-Saëns, après
laquelle il a été acclamé par l'auditoire. Mme Cluy-
tens a révélé une voix de soprano fort sympa-
thique. Elle nous a surtout fait plaisir dans le
Panis angelicus de César Franck, délicieusement
accompagné par M. Van Isterdael.
Le Théâtre royal français vient de donner enfin
le Jongleur de Notre-Dame de Massenet. L'exécution
mérite les plus vifs éloges l'orchestre et les
chœurs, sous la direction de M. Lecocq, se sont
vaillamment comportés et les trois rôles principaux
du Jongleur, du père Boniface et du Prieur, ont été
fort bien tenus par MM. Gautier, Edwy et
Azéma. L'œuvre a été montée avec un soin extrême.
La direction de l'Opéra italien annonce la pro-
chaine arrivée de l'abbé Perosi, qui viendra diri-
ger quelques-unes de ses œuvres religieuses dans
les principales villes de la Hollande.
Le second Lieder-Abend donné par M. Mes-
schaert a été, comme toujours, un petit événement
musical, et le grand chanteur a dit avec cette per-
fection de diction qui le caractérise des ÏJeder de
Schubert, Brahms et Lowe. Sa voix m'a paru un
peu fatiguée, et la respiration trahit parfois un cer-
tain effort.
Deux jeunes artistes belges, le pianiste Emile
Bosquet, élève d'Arthur De Greef, et le violoniste
Chaumont, tous deux de très grand mérite,
viennent de donner une séance de musique de
chambre. Dans la sonate en la majeur de César
Franck ils ont provoqué un magnifique enthou-
siasme. M. Bosquet a prouvé dans un impromptu
de Fauré et dans la Ballade de Chopin qu'il est un
pianiste de tout premier ordre. Ed. de H.
IIÉGE. — Les troisième et quatrième repré-
_J sentations de la Fiancée de la Mer ont con-
tinué à attirer des salles combles et faisant grand
succès au drame émouvant de M. Jan Blockx,
dont M. Lejeune, notre chef d'orchestre, a repris
la direction.
A citer une belle et fructueuse représentation
de la Bohème de Puccini, organisée au profit de
l'Œuvre des convalescents, avec le concours de
M. L. David, tin chanteur excellent et un comé-
dien accompli. Le ténor de la Monnaie fut
secondé parfaitement par Mmes Dangerville et
Courbières, MM. Brialmont et Viguié. A. B. O.
LILLE — Un nouveau quatuor s'est fondé
qui, dès la première audition, a produit une
grande impression artistique. Il est composé de
MM. Albert Rieu, premier violon, professeur au
Conservatoire ; Désiré Monsuez, violoncelle, tous
deux solistes de la Société de musique ; Paul Ro-
ger, second violon, et Adrien Chabot, alto.
Le Quatuor Albert Rieu s'est immédiatement
imposé au public par une interprétation sincère,
pleine de jeunesse et d'enthousiasme, des belles
œuvres inscrites au programme : deuxième qua-
tuor de Borodine, quintette avec piano de Brahms,
sonate de Grieg avec M1Ie Marthe Chrétien, une
pianiste d'un tempérament remarquable, des Lieder
de Liszt et Hillemacher et deux délicieuses
bluettes de Haydn par Mme Marie Morel, de
l'Opéra.
Un beau succès a accueilli ce grand effort d'art,
qui aura d'ailleurs de nombreux lendemains (pro-
chaine séance le 23 février), et ce fut un grand
bonheur pour nous de constater qu'à Lille, on
réapprend à aimer la musique sous la vigoureuse
impulsion donnée à l'art par la Société de musique
et M. Maurice Maquet.
Au Grand-Théâtre, le Jongleur de Noire-Dame,
exquisement interprété par le ténor Mikaelly, les
basses Béguin et Chancel, en est à sa dixième
représentation, et la reprise de Louise est un grand
succès. A l'étude : la Reine Fiammette de Xavier
Leroux, et Serments d'amour, opéra inédit de
M. Rey. D^ P. C.
LONDRES. — A l'un de ses derniers con-
J certs symphoniques du Queen's Hall, M.
Henry J. Wood a conduit avec passion et beaucoup
de finesse la quatrième symphonie de Tschaï-
kowsky, l'ouverture de Roméo et Juliette, le Don
Juan de Richard Strauss, et Mme H. J. Wood a
chanté avec infiniment d'art un fragment d'Eugène
n6
LE GUIDE MUSICAL
Onéguine. L'Orchestre Sym phonique de Londres
a donné, sous la direction de l'auteur, un grand
concert, qui comprenait d'abord sa symphonie
II Pensieroso, les Cinq Chants de la mer (soliste M.
Plunket Green) et les variations symphoniques
de sir Hubert Parry, le concerto pour piano en
si de Brahms (piano, M. Léonard Borwick). Le
prochain concert sera conduit par M. Edouard
Colonne.
La Société royale chorale a exécuté remar-
quablement, à l'Albert Hall, YEnfance du Christ de
Berlioz, qu'on n'avait plus entendu à Londres
depuis des "années. Une cantate de sir Alexandre
Mackenzie, The Witches Daughter, complétait le
programme; cette œuvre, jusqu'à présent, n'avait
été chantée qu'au festival de Leeds.
Parmi les récitals, tous les jours plus nombreux,
citons d'abord celui de M. Harold Bauer, qui a
obtenu un très grand succès ; celui du violoncel-
liste Boris Hambourg, très remarquable; celui de
Mle Suggia, d'Oporto, des plus intéressant, donné
avec le concours de M. Howard-Jones, l'un des
meilleurs pianistes de la jeune école anglaise.
A l'iEolian Hall, la première séance de
musique de chambre des Concerts par souscrip-
tion du Lundi nous a donné l'occasion d'applau-
dir vivement Mme Roger-Miclos et M. Johannès
Wolff, qui ont exécuté dans la perfection la Sonate
à Kreutzer de Beethoven. Mlle Grâce Sunderland
et M. Franck Thisleton continuent leurs concerts
de musique de chambre ancienne par des œuvres
de E. F. dall'Abaco, J. F. Fasch, Henry Pur-
cell, etc. N. Gatty.
NANCY. — La seconde audition de la sym-
phonie en si bémol de M. Vincent d'Indy,
que l'orchestre du Conservatoire a donnée à son
dernier concert, a dépassé encore notre attente. La
première partie, qui nous était demeurée quelque
peu obscure lors de la première audition, est admi-
rablement sortie cette fois, avec l'heureuse opposi-
tion de ses deux thèmes essentiels si ingénieuse-
ment contrastés. Et la dernière partie, enlevée par
l'orchestre avec un élan et une ferveur admirables,
a fait une vive impression. Dans son ensemble,
cette symphonie s'affirme évidemment comme une
des œuvres les plus profondes de ces dernières
armées, dans la sévère noblesse de son inspiration
et dans la ferveur d'enthousiasme qui s'en dégage.
Elle ne révèle pas au premier coup d'œil toute sa
beauté, et pour la comprendre entièrement, un cer-
tain apprentissage est nécessaire. Mais à mesure
qu'elle s'éclaire mieux, elle s'impose aussi plus
irrésistiblement à l'admiration. Le succès a été très
vif. Une timide tentative d'opposition n'a fait que
l'accentuer. Et le public a associé dans une cha-
leureuse ovation M. Ropartz, qui a préparé et
dirigé cette grande œuvre avec une étonnante
maestria, et notre orchestre, qui a su venir à bout
des difficultés extraordinaires de cette symphonie
et a secondé son chef avec un zèle et une ferveur
artistique dont cette belle audition a été le témoi-
gnage éclatant.
Rédemption de César Franck, qui constituait la
seconde partie du programme, est une des œuvres
les plus chères à notre public. Elle a obtenu son
succès habituel, notamment la symphonie mer-
veilleuse qui ouvre la seconde partie et qui compte
certainement parmi les inspirations les plus hautes
et les plus émouvantes du maitre. L'exécution a
été bonne et les chœurs d'hommes, notamment,
nous ont parti en progrès. Nos compliments tout
particuliers à une jeune artiste sortie de notre
Conservatoire, Mlle Serrière, qui, en raison d'une
subite indisposition de la cantatrice engagée pour
chenter les soli de l'Archange, s'est chargée à la
dernière minute, et sans répétition, de tenir ce
rôle et s'est tirée tout à son honneur de cette redou-
table épreuve. H. L.
NOUVELLES
Le Guide musical a reçu de toutes parts, â l'occa-
sion de la mort de notre ami et collaborateur
Hugues Imbert, les plus touchants témoignages de
sympathie. Nous remercions tous ceux qui ont bien
voulu honorer ainsi la mémoire de notre rédacteur
en chef.
Parmi les articles nécrologiques que nous avons
reçus et qu'on publiés le Figaro, la Gazette de
France, VEclair, la Liberté, le Journal des Débats,
la République française, le Rappel, la Vérité, le
XIXe Siècle, la Presse, la France artistique, la Chro-
nique des Arts, Y Univers et le monde, le Courrier musi-
cal, le Monde artiste, Y Art moderne, Y Indépendance
belge, la Chronique, Y Eventail, citons celui que vien-
nent de publier les Signale de Leipzig :
«... En la personne de Hugues Imbert, la presse
musicale perd un écrivain très intéressant, d'une
culture élevée, d'un sens très fin, et le Guide musical
un directeur réfléchi, aux vues larges. Dire qu'Im-
LE GUIDE MUSICAL
117
bert a toujours été, à une époque où presque tout
le monde leur était hostile, aux côtés de Bizet,
Chabrier, C. Franck, d'Indy, Fauré, c'ebt le plus
bel éloge qu'on puisse faire du défunt. Nous autres
Allemands, nous devons rappeler les grands ser-
vices qu'Imbert rendit en contribuant à faire con-
naître en France Schumann et Brahms... »
Le dernier feuilleton musical du Journal des
Débats, en date du 29 janvier, contient aussi un
article trop juste et trop intéressant pour que nous
ne nous fassions un plaisir de le reproduire ici.
Peu de confrères, peu d'amis, appréciaient Hu-
gues Imbert avec autant de sympathie et de fidé-
lité que M. Adolphe Jullien, dont l'hommage et
le souvenir doivent être particulièrement précieux
à sa mémoire :
« Je ne voudrais pas laisser partir sans un mot
d'adieu un très bon confrère, mieux encore, un
ami, qui défendit toujours vaillamment les
meilleures causes. Hugues Imbert, qui avait
fourni une longue carrière dans l'administra
tion, jouissait délicieusement, depuis peu, des
loisirs de la retraite en voyageant beaucoup, en
poursuivant ses visites aux principaux musées
d'Europe, en continuant de réunir force bibe-
lots, faïences, ivoires ou dessins rares qui fai-
saient de son modeste entresol de garçon
comme un musée de Cluny en miniature, en
donnant la majeure partie de son ten ps au
Guide musical, cette excellente revue fondée à
Bruxelles, il y a cinquante ans, par Félix
Delhasse et dont Hugues Imbert était de-
venu le rédacteur en chef pour la par-
tie française en même temps que M. Maurice
Kufferath se réservait tout ce qui touchait à
la Belgique. Imbert, très porté vers les beaux-
arts, avait de tout temps aimé passionnément
la musique, et c'est surtout en faisant de la
musique de chambre (il jouait du violon) qu'il
s'était initié aux créations les plus élevées
de l'art musical; mais c'est seulement il y a vingt
ans qu'il prit la plume et commença de donner à
Y Indépendance musicale, à la Revue d'art dramatique,
au Guide musical, etc., ces études d'art, ces portraits
de maîtres classiques et de compositeurs contem-
porains où brillent un jugement très sûr, un grand
souci de l'exactitude, un espril très libre, et qu'il
réunit plus tard en volumes chez l'éditeur Fisch-
bacher : Symphonie, Profils de musiciens (trois séries),
Portraits et Etudes, Médaillons contemporains, etc., tous
sont très intéressants à lire et, en raison même de
leur précision, très utiles à consulter.
» Hugues Imbert était un camarade excellent,
très amène et fort civil, un critique extrêmement
courtois et sans aigreur, mais dont les opinions ne
fléchissaient jamais quand il s'agissait des maîtres
pour lesquels il avait rompu le plus de lances et
qui s'appelaient Berlioz, Schumann et Brahms,.
Pour les deux premiers, il y a maintenant partie
gagnée, et Imbert pouvait se vanter à bon droit
d'avoir contribué à cette victoire; pour le dernier,
la lutte est encore pendante, du moins en France,
et quoiqu'il soit de mode à présent de rabaisser ce
maître symphoniste, bien qu'on le traite aujourd'hui
exactement comme j'ai entendu traiter Schumann,
il est de toute évidence âmes yeux que Ces attaques
passionnées contre Brahms sont aussi vaines que
celles qu'on dirigeait contre Schumann. Si l'un de
ses partisans français les plus convaincus disparait
il en reste d'autres qui l'ont défendu depuis aussi
ongtemps pour le moins, qui le défendront encore
et vivront peut-être assez pour voir ici le succès
difmitif de Brahms, que Hugues Imbert n'a fait,
qu'entrevoir. Adolphe Jullien. »
— On annonce la prochaine publication, par
Heugel et Cie, à Paris, de douze menuets inédits de
Beethoven, datant de 1799, que M. Chantavoine
aurait découverts l'année dernière à la bibliothèque
de la cour de Vienne.
— Un comité comprenant notamment le comte
Hochberg, MM. Joseph Joachim, Siegfried Ochs
et Georges Schumann vient de se former à Berlin
pour organiser en avril 1906 un grand Festival
Haendel.
— La reine de Roumanie vient de terminer, sous
le titre de Mariadra, un nouveau livret d'opéra en
trois actes. Ce livret sera mis en musique par
M. Cosmorié.
— Le Grand-Théâtre de Lyon donnera, à la fin
de février, la première représentation d'un drame
lyrique en quatre actes de M. Fernand Leborne,
Les Girondins.
— L'Opéra de Monte-Carlo donnera dans le
courant de ce mois la.première représentation de
Chérubin, opéra en trois actes de M. Jules Massenet,
poème de MM. Francis de Croisset et Henri Cain.
L'ouvrage est déjà entré en répétitions.
— Le théâtre de Covent Garden, de Londres,
donnera cette année deux exécutions de Y Anneau
du Nibelung, sous la direction de M. Hans Richter;
le Ier cycle aura lieu les Ier, 2, 4 et 6 mai ; le 2me,
les 10, 12, i3 et i5 mai, avec le concours de Mmes
Moreno, Wittich, Reinl, Knùpfer-Egli, Kirkby-
Lunn, de MM. Burrian, Ernst Kraus, Van Rooy,
nS
LE GUIDE MUSICAL
Reiss et Whitehill. L'Or du Rhin commencera à
8 h. 3o ; la Walkyrie et Sigfried à 5 heures, et le
Crépuscule des Dieux à 4 h. 3o.
— M. Henri J. Wood conduira le 25 février, au
Queen's Hall, à Londres, la première exécution en
Angleterre de la Sinfonia Domestica de Richard
Strauss.
— Le Quatuor Joachim donnera six concerts de
musique de chambre à Londres, dans la salle
Bechstein, les S, 10, 12, i5, 17 et 19 mai.
■ — Le festival Beethoven de Bonn vient de
s'assurer le- concours pour cette année de MM.
Joseph Joachim et Eugène d'Albert ainsi que de la
Société des Instruments anciens de Paris.
— Mme Maria Gay vient de terminer une grande
tournée en Europe avec le violoncelliste Pablo
Casais. Après avoir été applaudis en Espagne, en
Angleterre, en Ecosse, en Allemagne, en Au-
triche, en Hongrie, les deux artistes se sont fait
acclamer à Saint-Pétersbourg, où M. Rimsky-Kor-
sakow. émerveillé par la voix et le tempérament
de Mme Maria Gay, a promis d'écrire pour elle un
poème dont la première exécution sera donnée à
Bruxelles, l'hiver prochain.
— Les Femmes curieuses de Wolf-Ferrari viennent
d'être données comme nouveauté au Théâtre de
l'Ouest, à Berlin, et au Théâtre municipal de Dus-
seldorf.
— Le Kohold de M. Siegfried Wagner a reçu un
accueil assez froid au Théâtre du Jubilé, à Vienne.
— M. Eugène d'Albert vient de terminer un nou-
vel opéra, Flauto Solo, dont la première aura lieu à
Prague cette année, sous la direction de l'auteur.
— F est au f Sohlaug, le drame d'Ibsen avec musi-
que de Hugo Wolf, a été représenté pour la
première fois au Théâtre grand- ducal de Carlsruhe.
— Le théâtre municipal de Leipzig vient d'ex-
humer Lucrèce Borgia, de Donizetti.
— L'opéra de Naprawnik, Francesca da Rimini,
et Raymonde, le ballet de Glazounow, ont été
récemment donnés à Saint-Pétersbourg.
— Le doyen des compositeurs russes, M. César
Cui, qui, en dépit de ses soixante-dix ans, a con-
servé toute sa vigueur d'esprit et d'imagination,
vient de composer un opéra nouveau dont le
livret a été écrit d'après Mademoiselle Fifi, l'émou-
• vante nouvelle de Guy de Maupassant.
— Les exécuteurs testamentaires de Richard
Wagner et les principaux organes wagnériens
" d'Allemagne ne cessent de protester avec véhé-
mence contre les représentations éventuelles de
Parsifal à Amsterdam, allant jusqu'à menacer
M. Henri Viotta de l'excommunier, s'il met son
projet à exécution. Dans une lettre ouverte, MM.
Glasenapp, Klindworth, von Wolzogen, Humper-
dinck et Breithaupt s'élèvent dans les termes les
plus violents contre ce « projet monstrueux », en
ajoutant qu'ils croient M. Viotta incapable d'une
hérésie pareille et trop dévoué au culte wagné-
rien pour ne pas respecter les dispositions testa-
mentaires du plus grand des maîtres. Néanmoins
et en dépit de ces protestations réitérées, il paraît
décidé que les deux représentations projetées de
Parsifal auront lieu au Théâtre communal d'Am-
sterdam le 20 et le 22 juin prochain.
— On nous écrit d'Athènes que le dernier con-
cert organisé par le secrétaire du Conservatoire
de cette ville a été très brillant.
Le triomphateur de la soirée, notre compatriote
le violoncelliste bien connu M. Pierre Destombes
a obtenu un très grand succès. Mmes Feraldi,
Francopoulos, Zarifopoulou, Joanidès, ont eu I
aussi tous les suffrages d'un public qui comptait
toute la haute société athénienne.
Parmi les morceaux les plus applaudis, citons :
la sonate pour violoncelle et piano de. Haendel,
concerto de C.-M. Widor, Suite algérienne de
Saint-Saëns et différentes oeuvres de Massenet,
Popper, Bemberg, etc., etc.
— Le dernier bulletin (Mitteilungen) de la maison
Breitkopf et Hagrtel contient un catalogue assez
curieux et inattendu, celui des œuvres musicales
éditées des souverains et princes allemands. On y
rencontre les noms de : Alexandre-Georges, prince
de Hesse (morceaux pour piano) ; Auguste- Wil-
helm, prince de Prusse (musique militaire, mar-
ches) ; Ernest, grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha
(Lieder); Ferdinand III, empereur d'Autriche
(psaume); Frédéric le Grand, roi de Prusse (so-
nates et concertos pour flûte, marches militaires' ;
Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse (marches) ;
Georges, prince de Hanovre (Lieder et morceaux
pour piano) ; Henri, prince de Prusse (marches) ;
Hortense, reine de Hollande (romances); Joseph Ier,
empereur d'Autriche (cantates, musique d'or-
chestre); Léopold Ier, empereur d'Autriche (messe,
motets); Louis-Ferdinand, prince de Prusse (mu-
sique de chambre, quintette, quatuors, trios,
pièces de piano, etc."); Marie-Antoinette Walpur-
gis, princessse de Saxe (Il trionfo délia fedeltà et
Taléstri, deux drames pastoraux, 1756 et 1765). —
C'est sans doute à l'occasion du succès de ce
Roland de Berlin, de Leoncavallo, dont le livret est
dû à l'empereur Guillaume et qui fait tant de bruit
LE GUIDE MUSICAL
119
à Berlin, que ce tableau a été dressé; mais tous
ces morceaux sont édités et à vendre aux prix
marqués. Avis aux amateurs.
t
BIBLIOGRAPHIE
— La maison Schott frères, à Bruxelles, répon-
dant au désir exprimé par un grand nombre de
ses abonnés et dans le but de favoriser l'étude
de l'orchestration et de la composition musi-
cale, vient d'annexer à sa bibliothèque d'abonne-
ments un nombre considérable de partitions
d'orchestre.
Son choix se compose principalement d'oeuvres
classiques de grands maîtres : concertos, sympho-
nies, ouvertures, oratorios, opéras.
Cet abonnement, qui n'a pas encore été mis en
pratique en Belgique, sera hautement apprécié et
considéré comme indispensable par toutes les per-
sonnes qui se destinent spécialement à la compo-
sition musicale.
Le catalogue est déjà très complet; nous y
relevons en effet : de Bach, l'Oratorio de Noël,
le Magnificat, Je Sanctus, quatre petites messes,
la messe en si, deux concertos, la symphonie en
ré, la chaconne; de Beethoven, Egmont, Ruines
d'Athènes, trois concertos, toutes les ouvertures, la
sérénade et les neuf symphonies; de Gluck, Orphée;
de Hsendel, Israël en Egypte, le Messie, trois con-
certos; de Mendelssohn, Loreley, Nuits de Sabbat,
Songe d'une nuit d'été, Symphonie-Cantate, un concerto,
quatre ouvertures, deux symphonies; de Schu-
mann, Faust, Geneviève, Manfred, deux concertos,
trois ouvertures, quatre symphonies; de Mozart,
la Flûte enchantée, le concerto pour flûte et harpe,
l'ouverture de Don Juan; de Wagner, Lohengrin,
les Maîtres Chanteurs, Parsifal et le Ring, les ouver-
tures de Tristan et du Vaisseau fantôme, la marche
de Tannhàuser, Siegfried- Idy II, la Marche impé-
riale, etc.: sans compter des œuvres d'Adam,
Auber, Chérubini, Halévy, Rossini, Spohr, Spon-
tini, Weber, Bruckner, Grieg, Rubinstein, Schu-
bert, Chopin, Svendsen, Tschaïkowsky, d'Indy,
Meyerbeer, Brahms, Dvorak, Saint-Saëns, Rich.
Strauss, Wolf, Glazounow, Glinka, Humperdinck,
Verdi, etc., etc.
— Notre excellent collaborateur M. Edgar
Istel vient de terminer le livret et la musique d'un
opéra romantique en un acte, Y Elève voyageur, qui
paraîtra incessamment chez Max Brockhaus, à
-Leipzig.
pianos et ibarpes
trarù
Bruxelles : 6, rue ^Latérale
paris: rue ou /iDail, 13
iiiiiiniiiiiiiBiiimiiiiiii iiniiaii'Mwiii iiiiiywpaiHWHii
NECROLOGIE
A Riga, est mort récemment le compositeur
Kahrlis Baumann, dont on connaît surtout des
chansons populaires lithuaniennes parmi les-
quelles Deeios swithi, Lahvija et Trimpuls.
— A soixante-dix-huit ans est morte, ces jours
derniers, à Hanovre, Marie Gey, qui, de 184.7 à
1875, a été attachée à l'Opéra royal de Berlin, où
elle a rempli les rôles de soubrette dans les opéras
d' Auber et de Lortzing. On l'a comparée, pour la
verve humoristique, à Mme Schumann-Heink, et
depuis sa mise à la retraite, on a pu dire qu'elle
n'avait pas été remplacée dans son emploi au théâ-
tre qu'elle n'a guère quitté pendant toute sa car-
rière artistique.
— A Marseille est mort le chanteur Boudoures-
que. Auguste-Acanthe Boudouresque était né à la
Bastide-sur-L'Hers, dans FAriège, en i835. Après
avoir paru sur plusieurs scènes importantes des
départements, il fut engagé en 1876 à l'Opéra de
Paris, pour y tenir l'emploi de basse profonde. En
i885, il quitta ce théâtre et, abandonnant le chant
français pour le chant italien, accepta un engage-
ment pour la Scala de Milan. Dans ces dernières
années, il s'était consacré au professorat.
— On nous annonce de St-Pétersbourg la mort
de Léo Silvo,qui s'était fait une spécialité de la cri-
tique des ballets. Les Signale rappellent à cette oc-
casion que depuis la mort de F. W. Tietz, Silvo
était le seul critique vraiment compétent en ma-
tière de chorégraphie.
— Nous apprenons la mort de Max Staegemann,
fermier et directeur des théâtres réunis de Leipzig.
Né en 1843 à Freienwalde, il suivit les cours du
Conservatoire de Dresde et termina ses études de
chant avec Delsarte à Paiis; de là, en i863, il
partit pour Hanovre où il chanta longtemps au
théâtre. De 1876 à 1880, il dirigea le théâtre de
Konigsberg avec tant de succès, que la ville de
Leipzig fit appel à lui et lui renouvela plusieurs
fois sa concession. Staegemann était un excellent
chanteur et un parfait musicien.
LE GUIDE MUSICAL
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
■- _
PARIS
OPÉRA. — Le Fils de l'Etoile; Daria' Rigoletto;
Tristan et Isolde; Tannhàuser.
OPÉRA-COMIQUE. — Louise; Lakmé; Cavalleria
rusticana; Mignon; Manon; Carmen; La Vie de
Bohème ; Le Jongleur de Notre-Dame, Cavalleria rusti-
cana; Werther.
VARIÉTÉS. — La Vie parisienne; l'Œil crevé;
La Petite Bohème; M. de la Palisse.
ODÉON. — L'Arlésienne
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — Le
Jongleur de Notre-Dame et l'Ermitage fleuri; Mignon;
Faust; Pépita Jimenez et l'Ermitage fleuri; Faust; La
Bohème et Une Aventure de la Guimard; Tristan et
Isolde.
Premières annoncées : Hérodiade, La Basoche.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 5 février. — Concert Colonne, avec le con-
cours de M. Louis Arens, qui interprétera la Scène de
la Folie des Fées de Richard Wagner. Au programme :.
le prélude de Fervaal, V. d'Indy; la Symphonie héroïque,
Beethoven; Introduction et Rondo capriccioso, C. Saint-
Saëns (M. Firmin Touche) ; fragments de Roméo et Ju-
liette, H. Berlioz; puis une première audition, la Mer,
poésie symphonique d'Eugène Soudry.
Mercredi 8 février. — A 8 3/4 h.; à la Schola Canto-
rum : Concert donné par Mme Camille Fourrier avec
le concours du Quatuor de Paris. Au programme :
Vincent d'Indy, Claude Debussy, Moussorgski et J.-S.
Bach.
Vendredi 10 février. — Au théâtre des Capucines, à
4 h., première matinée Georgette Leblanc. Œuvres
de M. Gabriel Fabre.
BRUXELLES
Dimanche 5 février. — Théâtre de l'Alhambra : Con-
certs Ysaye, troisième concert d'abonnement sous la
direction de M. W. Mengelberg, chef d'orchestre du
Concertgebouw à Amsterdam, avec le concours de
M. Mark Hambourg, pianiste. Programme : Symphonie
pathéthique, J. Tschaïkowsky; Concerto en ré mineur,
J. Brahms (M. Mark Hambourg); Ballade, Berceuse
et Polonaise, Chopin (M. Mark Hambourg); Ouverture
de Léonore n° 3, L. Van Beethoven.
— Au Conservatoire, à 2 heures : Sélection de pièces
instrumentales, Rameau ; Concerto Symphonie pour
violons, altos et basses, J.-S. Bach; Sixième symphonie
(Pastorale), Beethoven.
Mardi 7 février. — A 8 1/2 h., à l'Ecole centrale tech-
nique (rue Berckendael) : Troisième séance de musique
de chambre par MM. Liégeois, Henusse, Frémolle et
Queekers, avec le concours de Mlle Das et de M. Collet.
Jeudi 9 février. — A 8 1/2 h., à la Salle Erard : Réci-
tal de chant par M. Léopold Bracony, baryton, avec
le concours de M. Raymond Moulaert, pianiste. Au
programme : Hasndel, Schumann, Mendelssohn, Schu-
bert, Brahms, R. Wagner.
Vendredi 10 février. — Salle Erard : Première séance
de sonates pour piano et violon, donnée par Mlle Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. Programme : Sonate
en si mineur, J.-S. Bach; Sonate en fa majeur, op. 24,
L. van Beethoven ; Sonate en ré mineur, op. 108,
J. Brahms.
Dimanche 12 février. — Théâtre royal de la Monnaie :
Troisième Concert Populaire sous la direction de
M. Sylvain Dnpuis et avec le concours de Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel, pianiste. Programme : Prélude sym-
phonique op. 8, n° 2, R. Caetani (première audition);
deuxième symphonie, Borodine; troisième concerfo, ut
mineur, Beethoven (Mrce Kleeberg-Samuel); Murmures
de la forêt de Siegfried, Wagner; Variations symphc-
niques pour piano avec accompagnement d'orchestre,
C. Franck (M™ Kleeberg-Samuel); Ouverture du Vais-
seau fantôme, R. Wagner.
Mardi 14 février. — Salle Le Roy • Séance de chant
donnée par Mme Miry-Merck. cantatrice, avec le con-
cours de M. Emile Bosquet, pianiste. Au programme :
Hasndel, Galuppi.Monsigny, Lotti, J.-S. Bach, Albéniz,
A. Bruneau, L. Wallner, J. Jongen, C. Debussy, J. Si-
bélius, Schubert, Schumann.
— Salle Ravenstein : Récital de piano par Ml'e
Marthe Devos.
— Salle de la Grande Harmonie : Concert par M.
Arthur Hartmann, violoniste, et Mlle Klyn, pianiste.
Vendredi 17 février. — à 8 1/2 h., Salle Erard : Con-
cert de la Fondation Bach par M. Charles Bouvet, vio-
loniste, avec le concours de Mil*5 Marie Lasne, MM.
Joseph Jemain et Gaston Blanquart.
ANVERS
Mercredi 8 février. — A la Société royale de Zoologie :
Concert avec le concours de M. Jos. Watelet, pianiste,
et consacré aux œuvres de P. Tschaïkowsky.
Au programme : Symphonie pathétique, n° 6; Concerto
pour piano et orchestre; Andante cantabile du quatuor
op. 11 ; Trois pièces pour le piano : En troïka. Chant
sans paroles et L'Angoisse, valse-caprice; Marche du
Couronnement.
LILLE
Dimanche 5 février. — Troisième concert de la So-
ciété de musique de M. Maurice Maquet, avec le con-
cours de M. Jean Gérardy, violoncolliste. Au pro-
gramme ; Symphonie en si mineur, n° 2, Borodine;
Concerto n° 1, Saint-Saëns (M. Gérardy); Siegfried-
Idyll, Richard Wagner; Le Cygne, Saint-Saëns; Abend-
lied, Schumann, Berceuse, Schubert (M. Gérardy);
Caprice espagnol, Rimsky-Korsakow.
Dimanche 12 mars. — Quatrième concert avec le con-
cours de Mme Marie Bréma.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlle Marcella Pregi, MM. Mauguière, Daraux et L.
Nivette, Mmes Paternoster-Legrand, Soetens-Flament,
et M. Vander Haeghen.
VERVIERS
Vendredi 17 février. — Salle Erard : Audition de so-
nates de Haendel, Niels Gade et G. Leksu, par Mlle
Marie Joliet, professeur de chant et de piano à Liège, et
M. Alph. Voncken, élève de Vieuxtemps, professeur à
lEcole de musique de Verviers.
LE GUIDE MUSICAL 121
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5ime année. — Numéro 7.
ï2 Février 190S.
LES CHANTS DE L'ABANDONNÉ
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
(Suite. — Voir le dernier numéro)
ous voici donc arrivé au troi-
sième cycle des chants de
P « Abandonné », qui font l'ob-
jet de cette étude.
Treize années séparent cette suite du
Voyage d'hiver de Schubert, le DïcJiterliebe
datant de 1840; mais la profonde différence
qui distingue le génie des deux maîtres et
aussi le progrès immense de l'évolution du
Lied en ces quelques années semblent met-
tre entre les deux cycles une distance
beaucoup plus considérable. Sous quelle
forme amplifiée, dans quel langage diffé-
rent, dans quelle compréhension et quelle
expression nouvelles va paraître dans Schu-
mann-Heine le petit drame si émouvant de
1' « Abandonné » ! Poète et musicien en ont
singulièrement élevé la portée ; l'amour,
dans son exaltation de joie ou de douleur,
s'y retrouve avec une sensibilité beaucoup
plus affinée; il est vrai qu'au lieu d'anéantir
le cœur plus simple, plus naïf d'un enfant
de la campagne, meunier ou « voyageur »
quelconque, l'amour consume cette fois
une âme de poète, beaucoup plus sensible,
beaucoup plus vibrante, beaucoup plus
élevée, et c'est encore par deux des voix
les plus pénétrantes de la poésie et delà
musique du xixe siècle que l'amoureuse
aventure nous est chantée. En elle seule
aussi, réside tout l'intérêt du drame ; nous
n'en sommes plus distraits comme dans les
deux cycles de Schubert, pour nous arrêter
à quelque riant tableau de la campagne ou
aux sombres paysages de l'hiver. Quand la
nature est évoquée dans Schumann, ce
n'est qu'en regard de la passion, comme
son expression nouvelle et extérieure,
presque comme une « efflorescence » du
sentiment : printemps et amour, une seule
et même chose ; la rose, le lis, la colombe
et le soleil même se confondent et se retrou-
vent en la bien-aimée seule ; étoiles, fleurs
et rossignols, s'ils pouvaient, chanteraient
la douleur de l'abandonné ! et cette voix si
persuasive des fleurs qui intercèdent pour
l'amie volage, n'est elle pas la voix du par-
don qui s'exhale du cœur apaisé du poète ?
Tout le drame est dans l'âme, en elle seule ;
à travers tout le cycle, nous suivons l'évo-
lution dé la passion d'abord trionphante et
divinement heureuse, puis dédaignée, tour
à tour méprisante et douloureuse, et enfin,
surmontant la souffrance par la puissance
du pardon, s'élevant à une hauteur que
nous n'avons pas encore rencontrée chez
Mùller-Schubert. Le sentiment se double
ici d'une noble et sublime conception que
I24
LE GUIDE MUSICAL
la musique de Schumann nous révèle dans
toute sa sublime grandeur. La concentra-
tion de la passion et de la pensée a pour
conséquence une concision extrême du
poème et du Lied, tant la force de l'inspira-
tion et la profondeur du sentiment évoquent
d'images et d'idées. L'Amour du Poète est
déjà la « quintessence d'un chef-d'œuvre »
(Schuré), puisque des soixante-cinq poèmes
de YIntermezzo de Heine, il ne comprend
que les seize Lieder essentiels, admirable-
ment choisis par Schumann. Mais la
musique du maître est là pour tout nous
révéler, pour nous ouvrir des espaces
immenses, tout un monde de pensées et
de sentiments auxquels nous conduisent
les merveilleux interludes et les accompa-
gnements si suggestifs du compositeur.
C'est la voix expressive de cet accom-
pagnement qui la première se fait entendre ;
s'élevant lente et douce sur les plus déli-
cates harmonies, elle semble venir de
ce monde lointain et idéal d'où nous vient
le printemps lui-même. Avec la mélodie
chantée qui bientôt s'y joint, elle fait de
tout le Lied la plus exquise et la plus enve-
loppante caresse, la plus pénétrante et
tendre chanson qui ait jamais exprimé
l'éveil de l'amour dans l'éveil de la nature.
{Im wunderschônen Monat Mai, Au resplen-
dissant mois de mai, n° 1.) Et l'âme du
poète, extraordinairement sensible et vi-
brante, épanche dans des larmes divines,
larmes de bonheur et d'amour, toute son
exaltation. Murmurée à mi-voix, suspendue
à tout instant sur un long point d'orgue,
comme pour indiquer chaque fois une nou-
velle extase, la mélodie nous chante le
délicieux miracle de ces larmes chan-
gées en roses, de ces soupirs résonnant
comme la voix du rossignol et qui, ainsi
transformés, sont la première et délicate
offrande à la bien-aimée. (Aus meine
Thrànen spriessen, De mes larmes s'épa-
nouirent, n° 2.) Après la plus douce extase,
voici la plus joyeuse ivresse, l'hymne
à l'amie souriante en qui se retrouve
ce que la nature a de plus merveilleux et
tout ce que lui, poète, adorait d'un culte
ardent : roses et lis, colombes et soleil
y apparaissent dans la plus rayonnante
splendeur, et le Lied qui les chante ex-
prime de la joie la plus intense, la plus
lumineuse et suit dans son mouvement
rapide et exalté, l'élan passionné qui l'ins-
pire. (Die Rose, die Lilie, die Taube, die
Sonne, La rose, le lis, la colombe, le soleil,
n° 3.) L'intensité de l'émotion ramène un
chant plus lent, d'une enveloppante lan-
gueur, traduisant les longues extases où,
seules, ces divines et voluptueuses larmes
peuvent répondre aux doux mots d'amour
que tout bas lui murmure la bien-aimée.
(Wenn ich in deine Augen seh', Quand
je regarde tes yeux, n° 4.) Que ne peut-il
confondre son âme avec la corolle d'un
lis parfumé! Du bord de ses blancs pé-
tales, frémissante comme leurs lèvres à
leur premier baiser, s'envolerait, plus
embaumée et plus belle, la chanson de
son cœur enivré; doucement l'accompa-
gnement et la voix frissonnent et vibrent
sous le souffle d'une émotion intense,
toujours contenue pourtant et s'envelop-
pant par là même d'un charme d'autant
plus pénétrant et mystérieux. (Ich will
meine Seele tauchen, Je veux plonger mon
âme, n° 5.) L'extase et la passion, de plus
en plus grandes, finissent par confondre en
une seule adoration le « culte passionnel »
et le « culte religieux ». Aux accents solen-
nels et graves de l'accompagnement tout
en forte, comme aux sons puissants de
l'orgue enveloppant de sa musique majes-
tueuse les piliers imposants du dôme, nous
pénétrons dans la cathédrale de la « grande
et sainte Cologne ». Mais le divin que le
poète y trouve n'est point d'un monde
surnaturel : il lui apparaît sous les traits de
cette adorable vierge sur fond d'or qui n'est
autre à ses yeux que l'image merveilleuse
de sa bien-aimée. Aussi, au lieu d'une
prière, c'est un long chant d'amour qui
s'élève dans son âme. (Im Rhein, im heili-
gen Strome, Dans le Rhin, fleuve sacré, n° 6.^
Avec cette vision resplendissante et sur le
même thème solennel du début, se termine le
dernier Lied, qui chante le bonheur de l'a-
LE GXJ1D2 MUSICAL
125
mour partagé. Alors commencent seulement,
à vrai dire, les chants de 1' « Abandonné »
et le premier de ceux-ci retentit soudain en
un cri de douleur intense, mêlé d'une sourde
colère. Cet amour immense n'a pu percer
de ses rayons splendides l'obscure nuit
d'un cœur cruel.Toutes les infinies nuances
du sentiment de ce Lied si dramatique sont
contenues dans ces quelques mots : Ich
grolle nicht (i), qui sans cesse reviennent
dans le chant avec des inflexions diverses
suivant le sentiment dominant : douleur
immense pour l'amour perdu; menaçante
colère pour l'amour outragé; puis le mé-
pris pour l'âme indifférente, et tout à la fin,
la douleur encore et comme un cri de
pardon et, de pitié pour cette âme fermée,
mais plus à plaindre encore qu'un noble
cœur souffrant {Ich grolle nicht, Je ne mur-
mure pas, n° 7.) Ed. Schuré voit, dans ce
dernier Lied, le plus beau peut-être du
cycle, et pourtant, l'on ne saurait mettre
en dessous la série de ceux qui suivent,
surtout le dernier, d'une puissance si sai-
sissante.
{A suivre.) May de Rudder.
LA SEMAINE
PARIS
CONSERVATOIRE. — Après la Symphonie
pastorale, dont l'Orage, mais l'Orage seul, fut joué
en toute perfection, M. J. Hollmann se fit entendre
dans le second concerto pour violoncelle de
M, Saint-Saëns. Ce concerto, écrit en 1902, s'ap-
parente à la plupart des œuvres que l'illustre
maître nous a données dans ces derniers temps, et
où une écriture impeccable et une forme presque
classique revêtent du plus chatoyant des manteaux
des idées parfois moins recherchées. A noter cepen-
(1) Voir, à propos des traductions de ce Lied « intra-
duisible », les intéressantes et profondes remarques
d'E. Schuré au Guide musical, 1902, nos 1 et 2.
dant le thème de Yandante, souple et large, qui fut
dit par M. Hollmann avec une magnifique sono-
rité. Le succès personnel de l'excellent artiste fut
d'ailleurs très grand.
La fantaisie en ré majeur de M. Guy Ropartz
date de 1897, et c'est à coup sûr une des œuvres
les meilleures de son auteur. Je n'en louerai pas
les subtilités harmoniques et rythmiques ni les
combinaisons polyphoniques auxquelles s'est com-
plu M. Guy Ropartz, car on sait depuis long-
temps qu'il est passé maître dans ce genre; mais
je dirai, et je ne crois pas pouvoir en faire un plus
grand éloge, que certaines parties de l'œuvre
dégagent une émotion vivante et paraissent écrites
avec le cœur autant qu'avec l'intelligence et la
volonté. Ajoutons enfin que, contrairement à ce
qui lui arrive quelquefois, M. Ropartz, non con-
tent de savoir écrire, a su se borner, et nous ne
serons pas loin de conclure que sa fantaisie est
une production vraiment remarquable.
Le Chant funèbre d'Ernest Chausson, transcrit
pour l'orchestre par M. Vincent d'Indy, est tout
mouillé de cette tristesse qui semble faire corps
avec la musique de Chausson, Bien exécuté par
les chœurs de femmes, il obtint un excellent ac-
cueil. •
Trois pièces vocales « a capella » de Schumann,
et l'ouverture du Carnaval romain, avec sa divine
phrase de cor anglais, complétaient le programme.
J. d'Offoël.
CONCERTS LAMOUREUX. — M. Chevil-
lard a repris, le 5 février, possession de son
pupitre, qu'il avait confié, on s'en souvient, à
M. Mascagni deux dimanches de suite. Pour hono-
rer le maestro et montrer au public qu'un chef
étranger ne saurait être contemplé à des prix
modestes, l'administration avait majoré les places.
A la rentré 3 de M. Chevillard, on a rétabli le
tarif ordinaire. C'est un peu humiliant pour lui et
complètement injuste. Pour lui faire réparation,
on l'a acclamé comme aux plus beaux jours, et des
applaudissements prolongés ont souligné l'exécu-
tion de toutes les œuvres, même celles qui avaient
semblé plaire le moins.
Le programme n'étafl pas nouveau. A part la
troisième symphonie de M. Albéric Magnard, dont
on donnait la deuxième audition, les autres œuvres
étaient connues depuis longtemps. « A la Société
des Concerts, a écrit Saint-Saëas, on songe avant
tout à faire la meilleure musique possible, on tend
sans cesse vers la perfection idéale et absolue. »
L'Association des Concerts Lamoureux vise le
même but : en devenant de plus eh plus exclusive,
I2Ô
LE GUIDE MUSICAL
elle est devenue aussi de plus en plus parfaite,
et, les programmes ne se modifiant guère, l'exécu-
tion est, forcément, de tout premier ordre. Le
surprenant, c'est qu'au Conservatoire on marche
de l'avant depuis la direction de M. Georges
Marty, tandis que M. Chevillard demeure super-
bement enfermé dans sa tour d'ivoire. Il ne faut
se plaindre ni de l'une ni de l'autre société : le
mouvement et le repos conviennent à chacune
d'elles. Elles ont échangé leur rôle, voilà tout,
et nous n'y perdons rien.
L'ouverture de Benvenato Cellini commençait la
séance, « une des productions, a dit Ehlert, les
plus belles tombées de la plume de Berlioz ». Il
ajoute : « Bien que légèrement défectueuse dans
sa conception, elle est néanmoins transparente,
pleine de charmants motifs, traités d'un bout à
l'autre avec esprit, et contient une véritable vie
orchestrale. On ne saurait y voir l'instrumentation
posthume de pensées abstraites. Nous sentons
involontairement que l'orchestre sans paroles est
incontestablement le domaine de Berlioz. » Cette
dernière remarque paraîtra, je crois, juste à qui
comparera le duo symphonique de Roméo et de
Juliette avec le duo chanté de Faust et de Margue-
rite. Le programme des Concerts Lamoureux
nous informe que Benventito Cellini fut donné pour
la première fois à l'Opéra le 3 septembre i838.
•Le commentateur avance la représentation de sept
jours : l'ouvrage ne vit « les feux de la rampe»
que le 10 septembre, d'après YHistoire de l'Opéra en
une page, d'Albert Soubies, et le fac-similé de
l'affiche reproduit dans l'ouvrage d'Adolphe
Jullien sur Berlioz.
Après la remarquable analyse qu'a écrite, ici
même, M. de Ménil sur la nouvelle symphonie de
M. Magnard, il ne reste plus rien à dire. Je me
permettrai d'ajouter qu'elle a une admirable tenue
en chacune des parties qui la composent, mais
manque de liens entre elles. Pour être exact, l'au-
teur aurait dû l'intituler « suite d'orchestre ». A
écouter les quatre morceaux, V Ouverture, les Danses,
la Pastorale et le Finale, on ne suppose pas qu'ils
forment une seule et même œuvre : c'est comme
quatre nouvelles différentes contenues dans un
volume qui porterait le titre du premier récit pour
la commodité des catalogues.
Le poème symphonique Thamar, de Balakirew,
d'un si éblouissant coloris, la verveuse Espana de
Chabrier et la symphonie en ré mineur de Schu-
mann complétaient ce beau programme romanti-
que. Cette dernière œuvre appartient, dit encore
le commentateur anonyme, à la dernière manière
du maître. Croyez-vous que les auteurs font tant
de manières et qu'ils en changent périodiquement ?
Un encyclopédiste, peut-être facétieux, a prétendu
que Beethoven avait trois manières, et les a défi-
nies ainsi : Dans la première, il se cherche ; dans
la deuxième, il se trouve, et dans la dernière, il se
surpasse. Cet art de ne rien dire a fait école.
Julien Tokchet.
CONCERTS COLONNE. - Le prélude du
premier acte de Fervaal est une page absolument
délicieuse dans sa tenue héroïque et sévère. C'est
bien le décor musical d'une après-midi lumineuse
et chaude, au pays des orangers, des citronniers et
des oliviers, où passe l'exquise évocation de
Guilhen, gracieuse et troublante figure, dont la
profane sensualité contraste avec l'austérité du
héros. Et le chaste sommeil de Fervaal, bercé
parmi les rayons et les parfums, au murmure har-
monieux d'une mélodie dont l'émotion est pro-
fonde et sincère, reste une des plus suaves inspi-
rations de cette belle partition que l'on regrette
de ne pas entendre dans son véritable cadre.
Succès très grand pour le prélude, d'ailleurs par-
faitement exécuté, ainsi que la Symphonie héroïque,
dont les admirables beautés, supérieurement mises
en lumière par un interprétation très fouillée et
très nuancée sous le rapport des mouvements,
valurent à l'orchestre un véritable triomphe.
Après la grande Scène d'amour de Roméo et
Juliette, où Berlioz a mis une telle intensité de ten-
dresse, et la Fête chez Capulet, d'une étince-
lante variété, on a fait une nouvelle ovation à
l'orchestre et à son chef. C'est qu'en effet, M. Co-
lonne conduit avec une réelle passion ces pages
splendides, que le premier il a fait connaître après
avoir été peut-être le premier aies comprendre.
C'était d'ailleurs le jour de l'enthousiasme.
M. Firmin Touche, violon solo des Concerts
Colonne, l'a connu à son tour après Y Introduction et
Rondo capricioso de Saint-Saëns, parmi les difficultés
duquel son archet s'est joué avec une virtuosité
très remarquable.
Le succès a été beaucoup moins évident après le
poème symphonique de M. Georges Sondry : La
Mer. L'écriture orchestrale est très sonore; on voit
que le compositeur sait les ressources de l'instru-
mentation moderne clans ses complications les plus
raffinées. Mais au point de vue de la conception,
c'est différent. La mer, ce n'est point uniquement
les contrastes de bruits violents et de silences ; ce
n'est point le déchaînement des cuivres officiels et
LE GUIDE MUSICAL
127
auxiliaires opposé au diminuendo des flûtes; ce n'est
point le vacarme précipité de tout un orchestre
auquel succède un ralenti exécuté par un instru-
ment solo jusqu'à la somnolence d'un long point
d'orgue. Il y avait, sur l'argument que présente
M. G. Sondry, de fortes impressions à rendre.
D'abord, le chant profond et troublant de la mer,
qui s'exprime ici par une formule quelconque.
Ensuite, la magie du soleil couchani, dont les reflets,
après que l'astre a disparu dans les flots, colorent les
nuages lointains de teintes pâlissantes. Quels jolis
développements d'un même leit-motif il y avait à
trouver dans cet ordre d'idées, en l'exposant
d'abord dans sa majesté calme, puis l'éteignant
doucement dans ses réminiscences rythmiques !
Enfin, le lever delà lune, d'une sérénité plus douce,
d'une lumière plus intime, plus blanche, d'un colo-
ris instrumental différant tout à fait des pourpres
mélancoliques du couchant, tandis que la mer con-
tinue son chant profond, troublant, éternel... Tout
cela entrait peut- être dans les intentions du com-
positeur. Mais, hélas! il n'en est résulté que du
tumulte et du néant ! Ce n'est guère suffisant pour
un poème symphonique.
Par contre, la « Scène de la Folie » des Fées, le
premier opéra de Richard Wagner, a généralement
paru fort intéressante. Les manifestations initiales
d'un génie aussi puissant, surtout lorsqu'elles se
produisent dans la vingtième année, l'âge de toutes
les illusions et de tous les enthousiasmes, ne sau-
raient être banales. Ce n'est point encore Siegfried
ou le Gôttevdàmmerung ; c'est bien loin de Tristan ou
de Parsifal, et pourtant on sent que cela le devien-
dra, lorsque l'expérience aura assagi les turbu-
lences de la jeunesse. Il y a dans cette scène une
fougu?. étonnante et l'affirmation d'une formule
d'art tout à fait nouvelle, entrevue, pressentie,
encore confuse, mais qui ne saurait tarder à se pré-
ciser. Il y a surtout une sincérité d'expression en
dehors des conventions scéniques admises à l'épo-
que, et dont l'émotion juste surprend. Un modèle
de l'art wagnérien ? Non, mais quelque chose de
plus curieux encore, une première manifestation,
étrangement vague, d'un procédé qui devait révo-
tionner le drame musical.
Uu ténor de Covent Garden, de Londres,
M. Louis Arens. a interprété cette scène avec d'au-
tant plus de passion qu'il l'a disait dans le texte. Et
c'est peut-être l'occasion de faire remarquer, en
passant, qu'il est préférable de chanter les œuvres
wagnériennes telles qu'elles ont été écrites ; le
public, qui entend rarement les paroles, éprouve
une satisfaction aussi complète en les suivant sur
une traduction. Car, dans cette musique, les
accentuations des syllabes sont si particulièrement
notées que les mots étrangers s'adaptent mal à la
musique, ou que, le chanteur, ne les comprenant pas
bien, ne sait y mettre tout l'accent souhaitable. Il
semble que ces invonvénients disparaissent lorsque
le texte poétique est absolument respecté.
F. de Ménil.
&
— Il est une justice indéniable à rendre à la
Société nationale : c'est de constater l'incessant
effort qu'elle produit depuis plus de trente années
dans la recherche des formules nouvelles; c'est
aussi la sincérité qu'elle y met. Toutefois, un
aveu s'impose : c'est que la jeune école n'a
point réalisé l'idéal d'art qu'elle a rêvé; elle
reste l'école de transition d'où sortira quelque
chose, mais qui se débat encore dans l'inquiétude
et la complication. Il lui manque l'alliage du
charme, de la simplicicité, de la spontanéité ; trop
souvent lourde et triste, elle ne prend pas toujours
assez pitié des oreilles et de l'attention des audi-
teurs.
Cinq auditions nouvelles ont marqué le pro-
gramme de cette séance chez Pleyel.
Quatre mélodies, où M. Dulaurens a trouvé le
moyen de mettre en musique des monotonies char-
mantes et navrées de Verlaine. Que cela est triste
et nébuleux ! M. Engel a fait de son mieux et versé
dans les cœurs de douloureuses et vagues lan-
gueurs.
Un peu dans le même genre, le Chant élégiaque
pour violoncelle de M. Florent Schmitt traduit
une idée morne, d'une bonne écriture, mais amè-
rement imprécise. Cette œuvre, couronnée en
quelque concours, a été bien mise en valeur par
M. Feuillard, qui fort habilement en a souligné les
délicatesses et bien attaqué certain sol dièse, tout
en haut et très juste.
Mme Blanche Selva a remporté un gros et légi-
time succès dans Ouverture, Variations et Finale
de M. Guy Ropartz, œuvre très vibrante et très
pianistique, qui a le mérite de la couleur et de la
tenue ; cela est, au surplus, bien vivant, rythmé et
d'allure franche.
Il vaut mieux passer sous silence une prétendue
sonate pour violon et piano de Mme Germaine
Corbin, suite sans développements et dont le finale
a surpris en son rythme heurté de pigeon-voie à
trois temps. M. Parent lui a donné l'hospitalité de
son talent. J'ai réservé pour la fin, bien qu'il figurât
au début, le beau trio pour piano, violon et violon-
celle de M. Albert Roussel. Cette œuvre parfaite-
128
LE GUIDE MUSICAL
ment complète et d'un développement savant,
excelle par l'intensité de la volonté et la maîtrise
du sentiment. Ecrit en ut mineur, le thème du pre-
mier morceau évolue logiquement en mi mineur, à
travers de jolies sonorités et d'exquis dessins au
piano. Uandante est particulièrement réussi; l'idée
qu'expose le violoncelle se dégage nettement avec
une combinaison très prenante des timbres ; cela
est d'une belle conception et l'effet a été considé-
rable. J'aurais désiré autant de franchise, avec un
peu de gaieté plus communicative, dans le finale,
dont le couronnement avec ses triolets au piano et
les tenues en ut mineur aux cordes, donne au
rappel du motif lent une saveur très frappante et
très mélancolique. Mlle Drou, MM. Parent et
Fournier ont parfaitement interprété toutes les
beautés de cette composition, dont l'unité et la
musicalité font grand honneur à l'auteur.
Ch. C.
— La veille du jour où il se présentait devant le
grand public des Concerts Colonne, M. Arens, de
Covent-Garden, a donné une séance spéciale à la
salle Erard, avec l'aide du jeune pianiste Lazare
Lévy (le 4 février). Il a chanté cinq Lieder de Schu-
bert, deux morceaux de Wagner (le Chant du
Printemps de la Walkyrie et celui de la Forge de
Siegfried) et quelques mélodies de R. Strauss, le
tout en allemand, ainsi que d'autres mélodies de
Tsehaïkowsky, Moussorgsky et Rimsky-Korsakoff,
en russe. Ce ténor a une façon de dire ses mor-
ceaux, comme on débite des monologues, avec
force indications à l'adresse du public, qui est d'un
art incontestable, d'une souplesse d'intonations
extrême, avec des effets de délicatesse qui ont
beaucoup de grâce et d'autres, de force, qui ne
manquent pas d'éclat. Cependant, deux défauts
gâtent un peu le plaisir : c'est que la voix n'est pas
belle, ni très unie, et qu'il n'articule pas assez.
Je comprends, ou plutôt je me réjouis qu'on
chante en allemand les Lieder de Schubert ou les
airs de Wagner, qu'on est sûr ainsi de ne pas
trahir, mais c'est à condition de leur donner toute
la valeur de leur rythme par l'articulation. Si vous
avez encore dans l'oreille la façon dont Mme Krauss
chante YErlkônig ou M. Van Dyck le Chant du
Printemps, vous serez un peu déçu avec M. Arens.
Où il est mieux, c'est dans la grâce en demi-teinte,
comme la Truite, ou la Berceuse de Tsehaïkowsky,
ou celle, exquise, de Moussorgsky et le Chant indien
de Rimsky-Korsakoff. M. Lazare Lévy accompa-
gnait tous ces morceaux; il a exécuté aussi, à tour
de bras, comme d'habitude, et avec une force
entièrement dénuée de charme, les Etudes sympho-
niques de Schumann, un scherzo et une valse de
Chopin, et deux pages de virtuosité de Liszt.
H.deC.
— Nous avons attendu, pour y jeter un coup
d'œil d'ensemble, la fin des trois récitals donnés
par le jeune pianiste Arthur Rubinstein dans la
salle des Agriculteurs de France, rue d'Athènes.
Ils ont été extrêmement intéressants, aussi bien
par le choix des morceaux — Dieu sait que tel
n'est pas toujours le cas ! — que par le talent très
personnel et délicat de l'artiste. Du Beethoven
(sonates en ut et en ré), un peu de Bach (fantaisie
et fugue en sol mineur), un peu de Brahms (rap-
sodie en sol mineur et variations), beaucoup de
Schumann [Carnaval, études symphoniques, fan-
taisie en ut majeur) et surtout du Chopin (fantaisie
en fa mineur, impromptus, préludes, études, valse
en la bémol majeur, mazurka en la mineur, scherzo
en si mineur, barcarolle en fa dièse ) majeur, noc-
turne en sol majeur, polonaises), tels furent les
auteurs choisis, avec, en plus, un morceau de
M. Paul Dukas, seule concession française : des
variations sur un thème de Rameau (variations
très, très modernes, en dépit de leur point de
départ). On a un peu regretté deux impromptus
de Schubert, annoncés d'abord.
Le talent de M. Arthur Rubinstein (un nom bien
lourd à porter) est très classique, très pur, et
dépourvu de tout virtuosisme agaçant. Il a de la
puissance et de la finesse et ne cherche pas l'acro-
batie ; il a peut-être surtout de la délicatesse et
réussit particulièrement, à mon goût, les mouve-
ments lents, de rêverie poétique (tel le lento de la
fantaisie de Schumann, ou le nocturne de Chopin).
Je voudrais cependant qu'il renonçât à ces petits
accords de prélude qu'il touche, légèrement, il est
vrai, en s'asseyant au piano, car il les fait suivre,
sans intervalle appréciable, du vrai début de son
morceau, et l'effet n'est pas heureux. Qu'il com-
mence donc franchement par la première note,
sans plus... Son succès a été très vif et très mé-
rité. H. de C.
— La Société philharmonique, dont les concerts
sont toujours d'une haute valeur artistique, a
encore offert à ses habitués une fort belle séance,
le 3 1 janvier.
Le célèbre violoncelliste Pablo Casais et la
talentueuse pianiste Mme Wanda Landowska
étaient chargés de la partie instrumentale du pro-
gramme. Après une parfaite exécution de la sonate
en sol de Beethoven, ils se sont fait entendre,
chacun séparément, dans une suite de Bach.
L3 GUIDE MUSICAL
129
Mme Landowska a fait ressortir, avec une netteté
et une pureté absolument remarquables, jusqu'aux
moindres détails de l'intéressante polyphonie de
la Suite anglaise en sol mineur. M. Casais, de son
côté, a fait admirer les qualités de style et de vir-
tuosité qui sont la caractéristique de son beau
talent, dans une suite en mi bémol pour violon-
celle seul. Malheureusement, la succession sur le
programme de ces deux suites, composées chacune
de cinq ou six morceaux dans le même ton, n'a
pas été sans engendrer quelque monotonie ; l'ab-
sence d'accompagnement dans la suite pour vio-
loncelle a, pour une part, contribué aussi à cet
effet. Néanmoins, le public a fait aux deux excel-
lents virtuoses de véritables ovations, très méri-
tées d'ailleurs.
Entre ces divers morceaux, M. Louis Frolich a,
de la belle voix qu'on lui connaît, chanté plusieurs
mélodies de Beethoven, Schubert, Brahms, Wolf,
Schumann, qu'accompagnait de façon parfaite
M. Eugène Wagner.
Pour terminer cette belle séance, Mme Lan-
dowska a joué, sur le clavecin, l'Harmonieux For-
geron de Hsendel et deux charmantes pièces du
grand Couperin. J. A. W.
— Au programme de la deuxième séance de
M. Charles Bouvet figurait Y Offrande musicale de
J.-S. Bach. C'est la première fois qu'on entendait
en entier, à Paris, cette pièce musicale que com-
posa le grand Bach à la cour de Potsdam, en 1747,
sur un thème proposé par le roi de Prusse Frédé-
ric le Grand. Sur ce thème, Bach improvisa
d'abord une fugue à trois parties, puis une à six
parties, puis plusieurs canons perpétuels.
Ayant retenu ces diverses improvisations, il
leur donna par la suite une forme définitive, plus
travaillée, plus recherchée, et les dédia au roi
Frédéric, d'où leur nom : Offrande musicale.
L'ensemble de ces fugues est intéressant ; il ne
conviendrait cependant pas de les mettre au
même rang que le Clavecin bien tempéré.
L'Offrande musicale fut présentée dans d'excel-
lentes conditions d'exécution. Il est impossible
d'apporter plus de précision, d'unité, de compré-
hension musicale que n'en mirent MM. Bouvet,
Loëb, Blanquart, Jemain et Leininger en inter-
prétant ces diverses pièces.
Une autre partie, également fort attrayante, du
concert de M. Bouvet était l'audition des Chants
de la vieille France. Ces chants, qui datent des xme,
xive, xve, xvie et xvne siècles, écrits seulement
pour la voix, ont été fort habilement harmonisés
par M . Tiersot, le savant bibliothécaire du Conser-
vatoire, qui a déjà donné tant de preuves de son
goût délicat et de son talent d'harmonisateur. Il
a su ajouter d'heureux accompagnements à ses
chants du terroir, tout en gardant à chacun d'eux
son caractère de fraîcheur et de simplicité. Mme Cl.
Leininger prêtait à leur interprétation l'appoint
d'une voix jeune et charmante et d'une diction
parfaite.
Auparavant, MM. Bouvet et Jemain avaient fait
entendre la délicieuse sonate en sol majeur (violon
et piano) de Haydn, qu'ils jouèrent d'une manière
remarquable.
Hors de pair également fut l'exécution de la
sonate en sol majeur (violoncelle et piano) de
J.-S. Bach par MM. Loëb et Jemain. Ils mirent
tant d'exquise sentimentalité dans Yandante, que
d'unanimes rappels les forcèrent à redire ce mou-
vement. M. D.
— Les matinées Danbé doivent leur succès au
choix judicieux des programmes et au talent
éprouvé des interprètes. En une heure et demie de
musique, on entend des œuvres variées, générale-
ment courtes et qu'on n'a guère l'occasion
d'applaudir ailleurs. Ajoutez à ces avantages le
plaisir, unique à Paris, de goûter de l'exquis pour
un prix invraisemblable de bon marché, et imaginez
un théâtre lyrique dans ces conditions.
Aux septième et huitième concerts, les œuvres
les plus appréciées ont été : le rondo du quatuor en
sol mineur de Brahms ; Yandante du troisième qua-
tuor de Tschaïkowsky, qui a été bissé ; un frag-
ment d'un quatuor de Borodine, où l'on a
remarqué l'altiste Migard, dont les sons ont l'am-
pleur d'un violoncelle; Yadagietio de Y Artésienne y
toujours redemandé; deux mélodies dé Pfeiffer,
Pâle Etoile surtout, chantées avec beaucoup d'art et
de simplicité par Mlle Brohli ; YExtase d'Albert
Cahen, que s'est efforcée de faire valoir M1Ie Bré-
val; "la Clochette de Paganini-Liszt, exécutée avec
une extrême virtuosité par Mme Panthès; trois
pièces pour violoncelle de Widor, écoutées sans
déplaisir, grâce au talent de M. Bedetti; la belle
Marine de Lalo, bien dite par M. Mauguière; enfin,
deux mélodies de Cuvillier, qui, à défaut de per-
sonnalité, ont une certaine envolée et que Mlle Le-
clerc a chantées d'une voix pure et avec une
chaleur inusitée. T.
— Mr-e Emma Grégoire n'est pas de ces canta-
trices auxquelles on adresse un éloge de complai-
sance et qu'on oublie le lendemain. Sa voix de
i3o
LE GUIDE MUSICAL
mezzo n'a pas grande étendue, mais elle est d'une
égalité parfaite, qualité qui ne s'acquiert que par
le travail. A la pose des notes et à la conduite du
son, on reconnaît tout de suite que l'artiste
n'ignore rien de son métier ; et, comme son style
est expressif et juste, on l'écoute avec un vif inté-
rêt. Au concert qu'elle .a donné le 3i janvier, à la
salle Pleyel, elle a été très applaudie après avoir
dit : deux airs classiques de Gluck et Hsendel, un
Poème d'amour d'Auguste Dupont, gentiment mé-
lodique et un peu « vieux jeu » à cause de la répé-
tition des paroles, et différentes compositions vo-
cales : Cœur solitaire, de Léon Moreau ; VA ttente, de
Chevillard ; le Noyer, de Schumann, et les Ber-
ceaux, de Fauré, qu'on ne se lasse pas d'entendre.
A M1Ie Grégoire prêtaient leur concours MM. Bar-
raine, violoncelliste au jeu simple et assuré, Paul
Braud, Garés et Cellier, trois virtuoses du piano
qu'il est superflu de louer. T.
\0
— La Société des Instruments à vent a retrouvé
à sa première séance, qui eut lieu le Ier février, le
même succès qui depuis dix ans l'accompagne et
qui lui a valu une si juste renommée.
Grâce aux efforts de M. Barrère, l'excellent flû-
tiste, secrétaire de la Société, les programmes, en
dépit d'un répertoire restreint, sont suffisamment
variés pour soutenir l'intérêt. En général, les effets
de ce groupement instrumental reposent essentiel-
lement sur la combinaison des timbres et l'heu-
reux mouvement des parties, dont les évolutions
ne sauraient échapper (à une oreille exercée. En
effet, dans le quatuor à cordes, on peut perdre le
fil du discours d'un alto ou d'un second violon,
mais dès qu'il s'agit d'un hautbois, d'une clari-
nette ou d'un cor, le dessin de l'instrument devient
comme une traînée lumineuse dont on suit toutes
les arabesques, telle une rosace flamboyante de
cathédrale.
Aussi, rien de plus curieux à suivre que ce chant
de hautbois, tracé d'une main experte par M. F.
Thomé dans son Thème et Variations. D'aucuns
verront là un peu trop de fantaisie ou de virtuo-
sité, mais cela ne manque pas d'originalité.
Le programme comprenait en outre un quin-
tette de V. Dyck, dont j'ai surtout goûté Y allegro
vivace (finale), la sonate en mi mineur de Bach,
divinement interprétée par M. Barrère, et un sex-
tuor de Reinecke, œuvre essentiellement aimable
et gracieuse, mais sans grande portée.
Ce qu'il faut louer par-dessus tout, c'est la jus-
tesse, la précision des exécutants : MM. Barrère
et Fleury (flûtes), Gaudard et Leclercq (hautbois),
Guyot et Cahuzac (clarinettes), Pénable et Capde-
vielle (cors), Flament et Hermans (bassons).
M. Ph. Gaubert, à défaut de sa collaboration de
flûtiste, prêtait à cette séance son concours de .
compositeur, sous forme de quatre mélodies que
Mlle Laute, de l'Opéra, a chantées avec beaucoup
de courage et d'une fort jolie voix.
A. Goullet.
— La Schola Cantorum a donné lundi dernier,
6 février, une nouvelle audition de YOrfeo de Mon-
teverde, mais cette fois à la salle Pleyel. Nous en
avons parlé trop en détail ici-même, l'an dernier,
pour qu'il soit utile de revenir sur cette œuvre si
curieuse et sur la très artistique exécution qu'en
ont faite les artistes de la Schola (Mmes Pironnet,
Legrand, Fié; MM. Bourgeois, David, etc., avec
les chœurs et l'orchestre sous la direction de
M. F. de Lacerda). On sait que la reconstitution
de la vieille partition et de son orchestre aux
instruments tombés en désuétude, est l'œuvre de
M. Vincent d'Indy. Notre collaborateur M. René
de Castera a longuement insisté sur tout ceci
dans l'article, du 27 mars 1904, auquel nous faisons
allusion. Le succès a été, cette fois encore, très
vif et très mérité.
— La première séance donnée, le 2 février, à la
salle Pleyel par M. Joseph Debroux était consa-
crée aux maîtres français du violon au xvnie siècle.
Ce fut une véritable révélation, car les œuvres
entendues ont été retrouvées par M. Debroux lui-
même et, pour la plupart, ne sont pas gravées.
Sans doute, il existe une sensible parenté entre ces
sonates de J.-M. Leclair, J.-B. Sénallié, F. Fran-
cœur, L'Abbé le fils, Louis Aubert, mais il est
impossible de nier l'impression de fraîcheur un peu
maniérée qui s'en dégage, non plus que la séduc-
tion qu'elles exercent par leurs qualités de
rythme et de mélodie. Cette musique poudrée,
à paniers, pourrait-on dire, si elle n'atteint pas
dans les mouvements lents, à l'ampleur et à la pro-
fondeur de l'inspiration allemande, est tout à fait
exquise dans les mouvements vifs, où elle se mani-
feste avec une élégance difficile à surpasser.
M. Debroux, secondé à merveille par M. A. Ca-
therine, en fut l'excellent interprète, et son suc-
cès fut aussi complet que mérité.
J. d'Offoël.
LE GUIDE MUSICAL
i3i
— La Sonate à Kreutzer, la sonate piano et vio-
lon en ^'mineur de Saint-Saëns et une sonate pour
violon seul de Bach, tel était le programme de la
deuxième séance donnée, salle Erard, par Mlle
Chéné et M. Bâillon. Ces deux jeunes artistes ont
\\n style classique qui fait souvent défaut à des
exécutants « arrivés ». La sonate de Beethoven, en
particulier, ne peut être jouée dans un sentiment
plus sobre et plus juste. F. G.
— Le pianiste russe Sappellnikoff a donné, le
samedi 4 février, à la salle Erard, un récital dont
le programme, très varié, offrait surtout la curio-
sité de diverses pages russes peu connues. A côté
de Beethoven, Schumann, Schubert, Mendels-
sohn, Chopin, Liszt enfin, on a entendu ainsi un
prélude de Rachmanikoff, une humoresque et une
mélodie sans paroles de Tschaïkowsky, une boîte
à musique de Liadoff, enfin une Pensée à Schubert
et une Danse des Elfes de Sappellnikoff lui-même.
Cette diversité des morceaux exécutés a servi
l'artiste, car son jeu est plutôt sec et décousu dans
certaines pages tandis que le brio de certaines
autres ont été par lui fort bien rendus.
— La Société des Amateurs a donné la semaine
dernière une représentation de la Rencontre impré-
vue de Gluck, et il paraît que c'a été un régal
exquis. Musique d'une grâce charmante, légère,
d'un style fort inconnu chez l'auteur à'AIceste, et
exécution suffisante. On sait que cette comédie
en trois actes, mêlée d'ariettes, avait été tirée d'une
pièce de la Foire, de Lesage, Les Pèlerins de la
Mecque, par le comédien Dancourt, alors à Vienne,
par ordre de la Cour. La première représentation
eut lieu à Vienne en janvier 1764, et la première
reprise à Bruxelles en 1766. A Paris, la Comédie
italienne ne monta l'œuvre qu'en 1790. C'est une
partition relativement importante, car elle ne
compte pas moins de trente-cinq morceaux : airs,
ariettes, duos, trios, etc. Voilà une restitution
qui fait honneur à la société de chanteurs mon-
dains qui l'a entreprise.
— Nous avons parlé du succès remporté à la
Société philharmonique par Mme Wanda Lan-
dowska, succédant aux triomphes que lui a valus
sa récente tournée en Belgique, en Allemagne, en
Autriche et en Italie. La Société musicale a orga-
nisé pour elle deux récitals chez Pleyel, aux dates
des 10 et 20 février; le premier, consacré à J.-S.
Bach et ses contemporains; le second, sous le
titre de « Voltes et Valses », formera un très capti-
vant historique de la valse.
— Une autre pianiste en voyage, mais anglaise,
Mlle Gertrude Peppercorn, après une tournée à
travers l'Amérique, l'Angleterre et l'Allemagne,
s'est fait entendre à la salle ^Eolian, dans du Bach
et du Liszt, du Chopin et du Beethoven, du
Brahms et du Saint-Saëns. C'était son premier
concert à Paris ; il a été chaudement accueilli.
— M. Arthur Coquard a repris ses conférences
musicales au cours Sauvrezis (44, rue de la Pompe,
à Passy). On sait que c'est la deuxième année de
ces séances si intéressantes, où l'histoire de la mu-
sique est passée en revue avec tant de compétence
et d'érudition par le distingué compositeur.
Quinze conférences se succéderont, chaque samedi
régulièrement, à partir du 4 février, et traiteront,
sous le titre général : « De Gluck à nos jours >v,
de l'école allemande, après Bach, au temps de
Mozart et Beethoven et jusqu'à Brahms; du Lied
avec Schubert et Schumann ; de la musique dra-
matique en France depuis Gluck, française ou
italienne; de la naissance de la symphonie en
France et de Berlioz ; de Richard Wagner ; de
Verdi et de l'école italienne moderne ; de l'école
française nouvelle; des maîtres du piano; de la
musique de chambre et des innovations actuelles.
— A l'Opéra, Mme Caro-Lucas, pour son début,
a remplacé MUe Féart, grippée, dans le rôle de
Brangsene de Tristan et Isolde, et a fait apprécier
une voix de mezzo bien timbrée, dont on peut
attendre de bons services.
— A l'Opéra-Comique, Mlle Claire Friche vient
de renouveler son engagement. On sait que c'est
elle qui va créer prochainement le principal rôle
de Y Enfant-Roi de M. Alfred Bruneau; le premier
rôle féminin, car c'est un travesti, c'est l'enfant
lui-même; que figurera Mme Marie Thiéry, l'ex-
quise Xavière d'aujourd'hui. Les représentations
du Vaisseau fantôme ne sont pas interrompues par le
départ de M. Renaud pour la Côte d'Azur (et la
création du Chérubin de M. Massenet) : c'est
M. Dufranne qui a repris ces jours-ci le rôle du
Hollandais, où sa voix puissante et son jeu vigou-
reux étaient tout indiqués. Nous en reparlerons la
semaine prochaine, ainsi que de la reprise sensa-
tionnelle d'Orphée avec Mme Rose Caron.
l32
LE GUIDE MUSICAL
Werther, d'autre part, a reparu sur l'affiche,
toujours avec Mlle Marié de l'Isle, bien entendu,
qui fait du rôle et du personnage même de Char-
lotte une de ses incarnations les plus personnelles
et les plus vraies, — et avec M. Ghasne dans le
rôle d'Albert, pour son début à l'Opéra-Comique.
On sait que cet excellent artiste a créé le rôle à
Bruxelles, en janvier 1893, quelques jours après
la première représentation de Paris. Sa voix un
peu ténorisante, au joli timbre, pourra pourtant
être mieux appréciée dans des rôles moins graves
que celui-ci, où il a paru manquer un peu de
l'autorité qui convient au personnage. L'orchestre
a été superbe de souplesse et de passion sous la
main de M. Luigini.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Voici Hérodiade (1) rentré avec éclat au répertoire
et il est probable que l'œuvre s'y maintiendra un
temps assez long. Aussi bien le public de Bru-
xelles a-t-il toujours eu un faible pour cet ouvrage,
créé ici dans des conditions particulièrement bril-
lantes, qui en assurèrent le magnifique succès :
cinquante-cinq représentations en moins de cinq
mois.
On sait que M. Jules Massenet composa Héro-
diade en vue du théâtre de la Scala de Milan et
qu'il travailla d'abord sur une version italienne du
livret actuel. L'Opéra de Paris était à cette épo-
que encombré d'oeuvres nouvelles : la direction
Haianzier avait laissé à Vaucorbeil le Tribut de
Zamora de Gounod et Aida de Verdi; la nouvelle
direction avait demandé un ballet à M. Widor, la
Korrigane; elle s'était engagée vis-à-vis d'Ambroise
Thomas pour Françoise de Rimini et elle attendait
avec impatience le moment de monter Henri VIII
de M. Camille Saint-Saëns. Malgré tout le regret
qu'en manifesta Vaucorbeil, il lui fut impossible
de réserver une date relativement rapprochée à
M. Massenet, dont l'œuvre était presque achevée,
et c'est dans ces conditions que, devançant même
la première à Milan, le théâtre de la Monnaie put
(1) Heugel et C'e, éditeurs à Paris
créer Hérodiadele 19 décembre 1881 Ajoutons que,
tenant à offrir une compensation à M. Massenet, j
Vaucorbeil fit exécuter, cette même année, la
Vierge aux Concerts de l'Opéra.
Nous ne rappellerons ici ni le triomphe de la
première à' Hérodiade, ni les brillantes reprises qui
en furent faites pendant les deux saisons suivantes,
puis, deux ans après, sous la- direction Dupont-
Lapissida, et enfin, sans grand succès d'ailleurs, il ;
y a sept ans, pour la dernière fois.
A examiner de près les différentes interprétations,
on trouverait peut-être la raison de cette baisse de
la faveur du public ; mais, en dehors de cette con-
sidération importante, la fluctuation de l'opinion
s'explique par la transformation brusque du réper-
toire qui s'opéra vers les années i885 à 1890. En
dehors de Lohengrin, monté en 1870, du Vaisseau
fantôme, donné en 1872, et de Tannhàuser, créé
en 1873, le public ne connaissait les grandes œu-
vres wagnériennes que par les exécutions par-
tielles qu'en dirigea Joseph Dupont pendant
l'admirable campagne qu'il mena aux Concerts
populaires. Hérodiade arrivait peu de temps, en
somme, après Aida (1877); il y aurait peut-être
même un parallèle intéressant à établir entre
ces deux ouvrages de tendances assez sem-
blables. Mais quelques années après, tout change :
c'est d'abord la création des Maîtres Chanteurs de
Nuremberg (i885), de la Walkyrie (1-887), puis, dans
les années qui suivirent, de Siegfried, de Tristan,
de Y Or du Rhin et, plus près de nous, du Crépuscule
des Dieux avec de fréquentes reprises de Lohengrin,
de Tannhàuser et des Maîtres.
Le magnifique enthousiasme des grandes soirées
wagnériennes ne fut pas sans entraîner le public à
quelque injustice vis à-vis du répertoire français et
italien. Aujourd'hui, si l'on écoute Hérodiade avec
le souci de se reporter, à l'époque où l'œuvre fut
écrite, on ne peut qu'admirer la franchise de
l'inspiration mélodique, la richesse de l'orchestra-
tion et des qualités de charme qui étaient vraiment
exceptionnelles et neuves il y a vingt-cinq ans.
L'interprétation que vient d'en donner le théâtre
de la Monnaie a puissamment contribué au succès
de la reprise de lundi dernier. Mme Francès Aida
a chanté avec infiniment d'art et de souplesse,
d'une voix veloutée, au charme très prenant et
d'une rare qualité, le rôle de Salomé, autrefois créé
par Mme Duvivier et repris en 1897 par Mlle Bossy,
qui n'y fut point parfaite. Mme Paquot-D'Assy a
réalisé une Hérodiade passionnée, jalouse et drar
matique; elle fut superbe d'allure dans ce person-
nage que composa d'une manière si saisissante
Mme Blanche Deschamps et dont Mlle Domenech
LE GUIDE MUSICAL
i33
n'avait su ressusciter qu'une pâle figure. Succédant
à MM. Manoury, Seguin et Decléry, M. Albers
/Hérode) a obtenu un succès magnifique que mérite
pleinement et l'art avec lequel il a su chanter ce
rôle on a bissé le grand air du temple , et la gran-
deur majestueuse avec laquelle il l'a personnifié.
M. Charles Dalmorès abordait le rôle de Jean,
créé autrefois par Vergnet; on se rappelle le
succès avec lequel il l'a chanté à Londres l'année
dernière ; il l'a pleinement retrouvé ici, et. au
dernier acte surtout, il a eu des accents d'une
belle passion. Gresse avait été, lors de la créa-
tion, un Phanuel admirable, auquel avait suc-
cédé M. Journet, dont la voix était belle, mais
l'interprétation toujours sans couleur et sans
relief; M. Vallier, au contraire, y a été majes-
tueux comme il convient et il a chanté ce rôle qui,
dramatiquement, est l'un des mieux conçus de
l'ouvrage, avec beaucoup de grandeur et de no-
blesse. Enfin, M. François a été un Vitellius hono-
rable après M. Fontaine, qui le créa, et MM. Re-
naud et Dufranne qui le reprirent plus tard avec
succès. M1Ie Carlhant, MM. Crabbé et Lubet com-
plétaient cette interprétation excellente.
Lakmé a servi de rentrée à M. Edmond Clément,
qui nous revenait accompagné de Mlle Pornot, de
l'Opéra-Comique, premier prix du Conservatoire
de Paris. On sait combien Vf. Clément est parfait
dans le rôle de Gérald ; il le chante avec un art
admirable, qu'ont égalé bien rarement les plus
célèbres ténors. Sa voix, merveilleusement souple
dans les vocalises, a toute la chaleur passionnée,
toute la fraîcheur, tout le charme pénétrant qui
convient dans ce rôle presque toujours d'une jolie
poésie. M. Clément a été accueilli avec l'enthou-
siasme qui le suit partout et les rappels, ne lui ont
pas été épargnés.
Mlle Pornot est douée d'une voix au timbre
sympathique, très homogène et conduite avec une
excellente méthode ; elle joue avec beaucoup
d'intelligence et a pleinement mérité le succès qui
a salué ses débuts à Bruxelles.
Mmes Eyreams, Maubourg, Tourjane et Paulin,
MM. Boyer, Forgeur et Cotreuil avaient repris
les rôles qu'ils tenaient les années précédentes
et qui ont assuré à Lakmé une excellente distribu-
tion.
La Basoche (i) de M. André Messager a été, l'on
s'en souvient, l'un des plus charmants succès d'il
y a quelque quatorze ans. Créé à l'Opéra-Co-
mique, le 29 mars 1890, sous la direction
Paravay, avec une interprétation remarquable
(1) Choudens, éditeur à Paris.
qui comprenait Mmes Landouzy et Molé-Truffiér,
MM. Bernaërt, Maris, Soulacroix, Fugère, Car-
bonne et Barnolt, cet ouvrage fut monté la même
année à Bruxelles (4 décembre) : Mlle Nardi y
fut exquise dans le rôle de Colette et M me Carrer e
séduisante tout à fait dans celui de Marie d'Angle^-
terre ; celui de Clément Marot comptait parmi les
meilleurs de M. Badiali ; M. Chappuis fut un excel-
lent Longueville et M. Isouard sut donner, grâce
au charme de sa voix, un relief tout particulier au
personnage de Léveiilé. La Basoche fut reprise
en 1898, avec Mme3 Landouzy et Gianoli, MM.
Soulacroix, Gilibert, Isouard et Ferrand de Saint-
Pol.
Le succès mérite de s'arrêter sur cette œuvre
dont on ne saurait assez goûter la fraîcheur,
l'esprit, la sentimentalité charmante unie à la
gaîté la plus alerte, à une originalité discrète, du
meilleur goût. Le public a vivement applaudi
cette reprise, qui a été servie par une bonne
interprétation d'ensemble. Mme Baux a été vive-
ment appréciée dans le rôle de Marie d'Angleterre,
et il est difficile d'apporter plus de grâce, de charme
et d'esprit que n'en mit Mme Cécile Eyreams dans
le personnage de Colette. M. Boyer a fait de Clé-
ment Marot une création que ne désavouerait
aucun de ses prédécesseurs et qui mérite tous les
éloges; M. Forgeur a dit avec tout le charme de
sa voix juvénile les couplets de Léveiilé. M.
Belhomme a fait un duc de Longueville de très
belle allure et de beau chant; enfin M.Caissô a été
irrésistible en Guillot; Mlles Colbrant, Tourjane
MM. Cotreuil, Danîée, François, Crabbé ont lar-
gement contribué pour leur part au succès artis-
tique de la soirée.
Aujourd'hui dimanche, le soir, Faust; demain
lundi, la Basoche; mardi, Hérodiade. Prochaine-
ment, débuts de Mme Maria Gay dans Carmen,
avec M. Edmond Clément.
Les études de Martille, le drame lyrique inédit
de MM. A. Dupuis et Cattier, sont poussées acti-
vement et l'on compte passer avec cet intéressant
ouvrage du 20 au 25 février. R. S.
AU CONSERVATOIRE. — Programme pu-
rement symphonique pour le deuxième concert
de la saison. La séance fut néanmoins fort inté-
ressante. Elle débutait par une série de- pièces de
Rameau, tirées surtout de son opéra Castor etPollux
i34
LE GUIDE MUSICAL
et dont on goûta fort la variété rythmique et la
tournure souvent très spirituelle.
Le concerto-symphonie pour -violons, altos et
basses de J.-S. Bach, qui suivait, procura des
impressions plus profondes. M. Gevaert y avait
introduit YAndante affettuoso du concerto pour deux
violons, qui figure aussi, transposé un ton plus bas,
dans le troisième concerto en ut mineur pour deux
clavecins. Ce morceau peut prendre place à côté
du célèbre Aria comme une des pages les plus
pures, les plus hautement inspirées de la musique
instrumentale ; l'accompagnement discret de l'or-
gue l'entoure d'une sorte d'atmosphère séraphique
qui en augmente encore la puissance émotive.
MM. Thomson et Van Hout en ont donné une
interprétation remarquable de tout point. Ualïegro
final, avec son allure tourbillonnante, présente
maints détails de facture fort piquants, et il est
également d'une construction admirable.
La séance se terminait par la Symphonie pastorale
de Beethoven, qui a produi: tout l'effet habituel.
Presque centenaire, elle ne porte pas une ride,
et l'on chercherait en vain dans les productions
plus modernes des impressions de nature d'un
plus saisissant réalisme . allié à une aussi capti-
vante poésie, à un charme aussi pénétrant.
Le public a exprimé à M. Gevaert, par de
chaleureux applaudissements, toute sa reconnais-
sance pour les grandes jouissances d'art que cette
séance, très heureusement conçue, lui avait
procurées. J. Br.
CONCERTS YSAYE. — Le troisième con-
cert Ysaye était dirigé par M. Mengelberg. Le
réputé chef d'orchestre du Concertgebomv d'Am-
sterdam avait laissé les meilleurs souvenirs à
Bruxelles, où il était venu en avril 1900 faire
entendre aux habitués des Concerts populaires
la célèbre phalange instrumentale qui, depuis
des années, charme dominicalement les dilettantes
des bords de l'Amstel. M. Mengelberg s'était
produit aussi à ce concert comme virtuose du
clavier, et on aimait à se rappeler son exécution
raffinée et délicate du concerto en mi bémol de
Beethoven, exceptionnelle par le fait de l'absence
de chef d'orchestre au pupitre.
Cette fois encore, le plus chaleureux accueil a
été fait à ce maître de l'orchestre. Dans la Sym-
phonie pathétique de Tschaïkowsky, dont les beautés
nous furent révélées naguère par Richter, qui
tient l'œuvre du compositeur russe en particulière
estime, on a pu admirer la justesse rythmique de
sa direction, son souci très poétique des nuances
et sa compréhension musicale élevée. Certes, la
symphonie de Tschaïkowsky a des motifs d'une
inspiration parfois facile, des reprises qui auraient
pu être évitées; elle n'a pas la haute couleur de
certaines pages orchestrales de l'école russe d'hier,
mais elle est sincère, d'une écriture probe et le
bâton de M. Mengelberg en a fait ressortir les
nombreuses beautés.
Interprétation tout aussi vivante, tout aussi
précise et tout aussi captivante du Don Juan de
R. Strauss. La savante autoriré du chef d'orchestre
n'a pas peu contribué à illuminer d'un vif éclat les
soi-disant obscurités polyphoniques de ce beau
poème sonore. L'orchestre, mis en verve par la
mimique expressive de M. Mengelberg, a rendu
avec correction les dramatiques équipées et les
amoureuses aventures du diabolique héros de
Lenau, traduites musicalement avec tant de
lyrisme par l'auteur de la Synfonia domestica.
Le jeune pianiste Mark Hambourg prêtait son
concours à la séance. La virtuosité précoce, la
sûreté étonnante et la fougue extraordinaire de
cet artiste ont généralement séduit, et avec raison,
le public dans les circonstances déjà nombreuses
où il a réclamé ses suffrages. Le concerto en mi
bémol de Liszt, lui a valu un succès bruyant, ainsi
que la Berceuse et la Grande polonaise de Chopin,
enlevée avec une puissance de sonorité et un élan
rythmique vraiment admirables.
L'ouverture n° III de Léonore a mis fin à ce beau
concert, le meilleur que la Société Ysaye nous
ait donné depuis le début de la saison. Une chaude
et longue ovation a été faite à M. Mengelberg, qui
après chacune de ses belles et savantes exécutions,
a été longuement applaudi et rappelé. N. L.
»
— La deuxième séance d'abonnement des con-
certs Crickboom nous a ramené Mlle Eisa Rùegger,
la jeune violoncelliste, aujourd'hui célèbres dont
les succès au Conservatoire firent sensation et
qui, depuis, ne s'était plus produite à Bruxelles.
La pièce de résistance de son programme était
ce concerto de Herbert joué quelques jours aupa-
ravant par M. Henri Merck, mais dont elle a donné
une interprétation toute différente. C'est qu'un
contraste complet existe entre ces deux virtuoses
issus pourtant de la même école ; M. Merck seul
semble devoir être l'héritier des traditions de
celle-ci; il a de son professeur la sonorité un peu
brutale, le coup d'archet impérieux, le style en
dehors. Mlle Rùegger sacrifie la puissance sonore
à l'élégance du phrasé, à la justesse et au fini
LE GUIDE MUSICAL
i35
< des traits; son. jeu est réservé, le sentiment est
' contenu et l'ensemble de son talent, très person-
; nel, dégage un charme indéfinissable et singuliè-
' rement prenant. Beaucoup mieux que dans l'œuvre
» d'Herbert, ses qualités ont pu se manifester dans
I la sonate de Locatelli (excellemment accompa-
I gnée au piano par M.Georges Lauweryns), qu'elle
a jouée avec une véritable maîtrise et qui lui a
valu un succès aussi enthousiaste que mérité.
M. Crickboom a obtenu un grand succès per-
sonnel pour l'intelligence, l'habileté et la fougue
avec laquelle il a conduit l'orchestre. En dehors
du concerto d'Herbert dont l'interprétation est
assez compliquée, son programme comportait la
deuxième symphonie en ré de Beethoven, le beau
Poème lyrique de Glazounow et l'ouverture d'Obé-
ron, trois œuvres difficiles dont le jeune capellmeis-
ter s'est tiré en artiste.
— Le récital de chant donné jeudi à la salle
Erard, par M. Bracony (baryton), avait attiré
beaucoup de monde et a été un succès pour
l'artiste.
M. Bracony possède une voix forte, bien tim-
brée et chante avec un sentiment personnel très
juste et très artistique.
Dans le Roi des Aulnes de Schubert, les cinq
poèmes de Wagner, la Ballade du Harpiste de
Mendelsshon et Le Messie de Haendel, M. Bra-
cony a vraiment été très intéressant; par contre
les mélodies de Brahms ne semblent pas tout à
fait dans sa voix.
11 était fort bien accompagné par M. Raymond
Moulaert, surtout dans le Roi des Aulnes. J. T.
— Le lundi 20 février, la Société royale de la
Grande Harmonie, donnera la première exécution
d'une pantomime-ballet en un acte, de notre colla-
borateur, M. Jacques Tourrette, musique de
M. Guillaume Frémolle.
m
CORRESPONDANCES
LA HAYE. — Le Théâtre royal français
vient de donner une reprise de la Fiancée de
la mer de Jan Blockx ; l'exécution a été fort
bonne, meilleure même que l'année dernière.
Seul l'orchestre, dirigé par Barwolf, a laissé à
désirer, et souvent les cuivres ont joué avec tant
de rudesse, que les chanteurs avaient de la peine
à se faire entendre.
Au Théâtre italien, on annonce la première
représentation d'André Chénier, drame lyrique en
quatre actes de Luigi Illica, musique d'Umberto
Giordano. Au mois de mars, M. Mascagni doit
venir diriger la première de son opéra Arnica.
Au sixième concert de la société Diligentia,
M. Raoul Pugno a joué dans la perfection le qua-
trième concerto, op. 44, de Saint-Saèns, un des
meilleurs du maître, et, dans un mouvement verti-
gineux, la pièce en la de ScarlattL le rondo de
Weber, la polonaise en mi bémol de Chopin et la
Sérénade à la lune de sa composition. La vitesse du
tempo de tout ce qu'il a interprété a ébloui notre
public, mais a peut-être aussi un peu dénaturé
les œuvres exécutées. Le programme orchestral
était presque entièrement consacré aux composi-
teurs français. A part l'ouverture à'Alceste de
Gluck, M. Mengelberg a fait exécuter le poème
symphonique Psyché de César Franck, l'ouverture
du Roi d'Y s de Lalo et, comme nouveauté, des
fragments de Pelléas et Mélisande de Fauré. Et avec
quel admirable rendu, quelle perfection de détails !
Mme Tilly Koenen a donné son récital annuel
dans la grande salle du Conservatoire des Arts et
Sciences. Interprétation remarquable; il faut
signaler avant tout l'air Furibonde spira il vento de
Haendel et, parmi les Lieder, Die Alhnacht de Schu-
bert, Der Arme Peter de Schumann et le Lied Der
Walkiire de Van Eyken. La jeune artiste a été
acclamée, ovationnée avec enthousiasme et ce
même enthousiasme, s'est renouvelé à la dernière
matinée de M. Viotta avec le Residentie Orkest.
M. Viotta nous a donné une exécution vraiment
superbe de la symphonie en ut mineur de Beetho-
ven.
A la prochaine audition du Wagner- Verein de
La Haye, qui sera donnée sous la direction de
M. Viotta avec le Residentie Orkest, on doit exécu-
ter la neuvième symphonie de Beethoven et le
Te Deum d'Alphonse Diepenbrock.
En fait de concerts importants annoncés, il y a
tout d'abord les séances du célèbre Quatuor
tchèque, qui viendra fêter le dixième anniversaire
de ses exécutions en Hollande, et les séances de
sonates données par le jeune violoniste Bronislaw
Huberman. Ed. de H.
IIÉGE. — La semaine dernière est à mar-
^J quer d'un caillou blanc ; on y a vécu large-
ment de la vie musicale et, des séances de haut
goût qui se sont succédées presque chaque soir,
chacun a pu prendre sa part.
Le Quatuor Zimmer a fait une rentrée magis-
trale. La vaillance de son chef, l'entrain et la
ï36
LE GUIDE MUSICAL
discipline parfaite Je ses acolytes, l'intelligence
artistique qu'on sent présider à ses exécutions, le
rendent vraiment sympathique. Composé comme
il l'est, "résolument pénétré des grandes traditions
du quatuor, il s'avance à grands pas vers la célé-
brité. Les connaisseurs ont ovationné le y« mineur
de Schubert, animé d'une vie superbe, et le qua-
tuor avec piano (M. Jaspar) de Fauré a été fort
chaleureusement accueilli.
Le surlendemain, une autre compagnie d'archets,
le Quatuor Rosé, faisait bénéficier l'immense
public — si admirablement attentif — des Con-
certs Dumont-Lamarche de la plus ravissante
soirée d'art qu'il soit possible d'imaginer. Il suffira
d'en dire le programme : le la mineur de Schubert,
le la majeur de Borodine et le mi bémol de Beetho-
ven (op. 74), pour comprendre l'attrait qu'elle
offrait et deviner le triomphe qu'y remportèrent
M. Rosé et ses dignes partenaires. Comme tou-
jours, c'est le Schubert qu'ils traduisent le mieux,
avec des élans d'une telle spontanéité, des expres-
sions si noblement belles et un sentiment d'une
grâce si charmante, qu'ils semblent inspirés par le
génie même du maître viennois.
Le concert populaire de samedi empruntait
la plue grande part de son intérêt à Mme Félia
"Litvinne. L'air d'Alceste, la scène finale du Crépus-
cule, ont permis d'admirer l'art si puissamment
dramatique de la grande cantatrice, tandis que
Traiime de R. Wagner et des Lieder de Schumann
lui ménagaient dans un autre domaine un succès
d'émotion intime.
Le programme comportait une œuvre d'Erasme
Raway, attendue avec une certaine curiosité. Ce
Scherzo-Caprice a paru médiocrement original et
trop long d'un bon tiers; établi sur un rhytme de
valse impitoyablement scandé par les contre-
basses, il laisse une impression de monotonie,
malgré la science dépensée et maints détails qui
révèlent le symphoniste expérimenté. Plus sympa-
thique s'affirme l'ouverture Sainte-Cécile de Rye-
landt, page animée d'un souffle large et généreux
et d'une belle couleur orchestrale. Un Concerto
grosso de Haendel, pour cordes, violons et violon-
celle solo, ouvrait agréablement ce concert, qui
fait honneur à l'initiative de M. Joseph Delsemme.
P. D.
LILLE — Le troisième concert de la Société
de Musique a été l'occasion d'un grand
succès pour le violoniste Jean Gérardy dont, on a
pu admirer la puissance et la belle sûreté d'archet
dans, le concerto _n° 1 de Saint-Saëns, le Cygne de
Saint-Saëns, VAlendlied de- Schumann, la Berceuse,
de Schubert, le Papillon de Popper, une pastorale
d'Herbert et l'Aria de Bach.
L'orchestre, sous la direction fortement expres-
sive de M. Maurice Maquet, a délicieusement
accompagnée M. Gérardy et s'est fait longuement
applaudir dans la deuxième symphonie de Boro-
dine, Siegfried-Idyll de Wagner, et le Capricflo
espagnol de Rimsky-Korsakow, brillamment inter-
prété. P. C.
LOUVAIN. — Cette correspondance tardive
dépasserait sans doute les bornés qui me sont
assignées, si je devais parler en détail des séances
musicales importantes qui eurent lieu depuis ma
dernière lettre. A la Table ronde, après les récitals
Kreisler et Pugno, nous avons eu Mme Mysz-Gmei-
ner, et ce fut une de ces profondes jouissances dont
le souvenir persiste longtemps... Ajoutons que
M. Léon Dubois a fort bien accompagné la chan-
teuse et que M. Frelinckx, le violoncelliste du
Quatuor Bracké, a joué diverses pièces d'inégal
intérêt, dont le Kol Nidrei de Max Bruch.
Les deux dernières séances du Quatuor Bracké
nous ont fait entendre : le gracieux trio pour deux
hautbois et cor anglais et l'admirable trio à cordes
en ut mineur (op. 9,n° 3) de Beethoven ;ce dernier
remarquablement exécuté); le quatuor avec haut-
bois de Mozart, des airs de Mozart, Grétry et
Lulli, dits par Mlle Das ; le beau Chant d'amour de
Dubois, une série de ravissants duos de Schumann
et de Mathieu, chantés par Mlle G. Rodhain et
M. Vanderheyden ; le trio avec cor de Brahms,
une intéressante page pour cor et piano (réduc-
tion) de G. Frémolle corniste : M. Delatte ; enfin?
la Kreutzer-Sonate, interprétée avec fougue par
M. Bracké et une pianiste allemande, MIle Johanna
Uhlmann. Dans cette' œuvre et dans le trio
de Brahms, Mlle Uhlmann a montré des qualités
techniques et un sens musical d'autant plus nota-
bles qu'il s'agit d'un amateur, non d'une profes-
sionnelle du clavier. Rares sont les amateurs qui
peuvent s'attaquer à des œuvres de cette enver-
gure.
Le premier concert de notre Ecole de musique
a remporté son succès habituel, grâce à la bonne
direction de M. Dubois. Le ban et l'arrière-ban des
petits chanteurs avaient été cette fois convoqué!
LE GUIDE MUSICAL
i37
pour l'exécution de deux charmantes œuvres à voix
d'enfants, la cantate De Wereld in! de Benoit et
les Saisons de Léon Du Bois. Cette composition
récente de l'auteur du Mort et à' Immortel Amour,
atteste la souplesse de son talent. Si les Saisons
n'ont pas la fraîcheur candide de l'œuvre de Benoit,
l'œuvre est, d'un bout à l'autre, texte et musique,
bien conçue pour l'interprétation enfantine. Nous
avons goûté particulièrement la page symphonique
et le premier chœur exprimant l'hiver, dont le
motif revient clôturer mélancoliquement ce déli-
cat poème cyclique. Le Boerenkermislied d'Huberti
nous a moins plu, malgré ses qualités ; ne fut-il pas
aussi chanté trop mollement? M. Seguin s'est fait
applaudir dans un air du Messie, la superbe Chevau-
chée duCid de d'Indy et les Adieux de Wotan. Et
l'orchestre a fort bien exécuté la septième sympho-
nie de Haydn et la fantaisie sur des airs canadiens
de Gilson.
L'événement théâtral de la saison sei a la triple
représentation d'Orphée organisée par la section
d'opéra-comique de Louvain, avec le concours de
Mlles Latinis, Seroen et Collini (i5, 16 et 17 fé-
vrier). Raro.
NOUVELLES
— La Société des Nouveaux Concerts d'Anvers
organise un concours annuel pour une symphonie,
morceau ou poème symphonique.
Conditions du coneours. — a) Pour prendre part au
concours il faudra être né Belge ou naturalisé et
avoir son domicile habituel en Belgique ; b) les conr
currents ne pourront pas avoir dépassé l'âge de
35 ans, car le but du concours est de donner aux
jeunes compositeurs l'occasion de se produire ;
c) La symphonie, morceau ou poème symphonique
écrit pour grand orchestre aura une durée mini-
mum de dix minutes et de quarante-cinq environ
au plus ; d) Les concurrents devront adresser leurs
manuscrits, avant le Ier mai de chaque année, à
, M. le secrétaire du concours des Nouveaux Con-
certs, Fernand Van Dyck, 5, Grande rue Pierre
Pot, Anvers. Les manuscrits porteront une devise
qui sera reproduite dans une enveloppe cachetée
et qui contiendra le nom et l'adresse du concur-
rent.
Jugement du concours. — a) Un jury international,
composé de cinq membres, présidé par le chef d'or-
chestre de la Société des Nouveaux Concerts et
institué pour juger des manuscrits, accorde le prix
au plus méritant à la majorité des voix; b) Si la
faiblesse des manuscrits était telle que le prix ne
pouvait pas être accordé, le montant du prix non
décerné resterait à la disposition du jury pour être
décerné à un des concours suivants,
Avantages du concours. — a) La symphonie, mor-
ceau ou poème symphonique primé, sera exécuté
pendant la saison d'hiver qui suivra le concours à
l'un des concerts de la Société des Nouveaux Con-
certs; b) L'auteur primé recevra une somme de
cinq cents francs pour prix de son manuscrit qui
restera la propriété de la Société des Nouveaux
Concerts et la Société prend à sa charge les frais
de copie ; ci Si la Société des Nouveaux Concerts
faisait éditer l'œuvre primée, des conditions spé-
ciales pourraient être consenties au compositeur,
de commun accord avec l'éditeur de l'œuvre.
Article additionnel. — Les manuscrits non pri-
més pourront être repris, chez M. le secrétaire du
concours, à partir du Ier janvier de chaque année.
Jury. — Le jury du premier concours sera com-
posé de MM. Jan Blockx, Paul Gilson, Engelbert
Humperdinck, Vincent d'Indy et Lodewijk Mor-
telmans. Il sera présidé par le président de la
Société des Nouveaux-Concerts qui n'aura qu'une
voix délibérative.
— Le théâtre de la Cour, de Berlin, va peut-être
reprendre l'opéra de E. T. A. Hoffmann, Ondine,
dont la Bibliothèque royale possède le manuscrit.
Karl Maria von Weber disait que cette œuvre est
une des plus spirituelles de son temps. L' On-
dine de Hoffman fut jouée vingt-trois fois sur
la scène de l'Opéra de Berlin. Peu de jours après
la dernière représentation, la salle de spectacle
fut la proie des flammes. Depuis des années, les
admirateurs du poète-compositeur attendent" la
reprise de cet opéra.
— Le succès d'Alceste donne de l'actualité à cette
anecdote, que rapporte l' Art moderne* C'était en
1776, à Paris, après la première représentation
de l'œuvre, qui laissait le public indifférent. Gluck
était au foyer, recevant les félicitations de quel-
ques connaisseurs et les compliments de condo-
léances des profanes. Un jeune homme, tout en
pleurs, entre et se précipite dans ses bras. Il ne
put que s'écrier : « Ah ! les barbares ! Ah ! les
cœurs de bronze ! Que faut-il donc pour les émou-
voir? — Console-toi, petit, répondit Gluck. Dans
trente ans, ils me rendront justice..» ..
i3S
LE GUIDE MUSICAL
Ce jeune homme était Mozart. Il a pu voir
s'accomplir la prédiction de l'auteur d'Alceste.
— M. Thomas-Salignac, dont on se rappelle le
brillant succès au théâtre royal de la Monnaie, à
Bruxelles dans Paillasse, dans Carmen et dans
Manon, vient de créer à Nice le Jongleur de Notre-
Dame, qui a été très favorablement accueilli. L'ex-
cellent artiste reviendra à Bruxelles en avril
prochain.
— Le comité communal de l'Ecole de la Croix, à
Oberammergau, envoie dès à présent le programme
des représentations religieuses qui auront lieu
dans ce village de la Haute-Bavière au cours de
l'été de igo5.Ces représentations de la Kreuzschde,
qui sont distinctes des jeux de la Passion, célébrés
tous les dix ans, remontent également au moyen-
âge, mais ont subi de longues interruptions. Les
dernières ont eu lieu en 1875, à l'occasion de
l'érection d'un monument par le roi Louis IL
Celles de cette année en doivent être la fête
commémorative. Elles mettront en scène, sous
forme dramatique, la vie du roi David, et sous
forme plastique, en tableaux vivants, la vie du
Christ. La musique a été composée par le profes-
seur Wilhelm Millier, de Munich, et sera exécutée
par quarante musiciens et trente-deux choristes.
Les dates annoncées sont les 4, 12, 18 et 24 juin;
2, 9, 16, 23 et 3o juillet; 6, i3, i5, 20 et 27 août;
3, 8, 10 et 17 septembre.
— On vient d'annoncer officiellement que
M. Tournié, directeur du théâtre du Capitole, de
Toulouse, a donné sa démission. Les candidats à
cette succession sont informés qu'ils ont jusqu'au
20 février pour fournir les pièces nécessaires à
justifier leur candidature et pour verser le caution-
nement. C'est à cette même date, le 20 février, que
la municipalité nommera le nouveau directeur
pour trois ans.
— L'Opéra royal de Dresde vient de donner la
loome d'Aïda.
— Au Théâtre municipal de Breslau, l'Anneau du
Nibelung a obtenu un très grand succès sous la
direction du capellmeister Prùwer.
— An mois de mars, on va monter la Chauve-
. Souris à New- York avec une distribution admirable :
. Mmes Marcella Sembrich (Rosalinde), Olive Frem-
stad (Adèle), MM. André. Dippel (Eisenstein) et
Aloys Burgstaller (Alfred).
— Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de
parler ici du remarquable talent de la jeune pia-
niste Mlle Adeline Bailet. Des échos nous arrivent
de Monte-Carlo, où elle a remporté un vrai
triomphe, au concert Jehin du 22 janvier, dans
le concerto en mi bémol de Liszt, une polonaise:
du même et un nocturne de Chopin.
— Un Concours international de musiques
d'harmonie, de fanfares, d'orphéons, de chorales
mixtes, etc., aura lieu à Amiens sous la présidence
d'honneur de MM. Tournier, préfet de la Somme,
et Fiquet, député-maire d'Amiens, les dimanche
et lundi de la Pentecôte ir et 12 juin igo5.
S'adresser pour tous renseignements au commis-
saire général : M. J. Tantôt, compositeur de mu-
sique, i3, rue Henri IV, à Amiens.
— Exposition de Liège. — Tandis que s'achève le
Palais de l'Art ancien, des adhésions des plus im-
portantes continuent à parvenir au comité.
C'est ainsi que les classes de peinture, du mobi-
lier, de l'orfèvrerie, de la verrerie, delà céramique
récoltent journellement des œuvres intéressantes
qui feront connaître avec éclat le développement
des arts dans l'ancienne principauté liégeoise.
Toutes les anciennes familles du pays et de
nombreux collectionneurs ont consenti à collabo-
rer à cette exposition et à en assurer le succès.
Une de ses attractions consistera dans la réunion
d'une galerie de tableaux historiques au nombre
desquels figurera en première ligne une série uni-
que de portraits des princes-évêques.
Au nombre des dernières adhésions parvenues
au comité, on peut mentionner celle de S. M.
l'empereur d'Allemagne. Grâce à sa haute bienveil-
lance, les visiteurs de l'Exposition pourront admi-
rer au Palais de l'Art ancien quatre magnifiques
portraits de princes-évêques de Liège et électeurs
de Cologne, toiles conservées dans leur ancienne
résidence, le château impérial actuel de Brùhl.
L'un de ces tableaux notamment représente
Joseph-Clément de Bavière en costume de chasse.
BIBLIOGRAPHIE
Chansons de route, par E. Jaques-Dalcroze.
Editeurs : Sandoz-Jobin et Cie, à Neuchâtel
(Suisse).
Si M. Jaques-Dalcroze s'est déjà fait connaître
par les travaux de composition les plus sérieux,
qui lui ont asssuré, non seulement en Suisse, mais
encore à l'étranger, une belle place dans le monde
LE GUIDE MUSICAL
i3g
de la musique, il s'est orienté, en ces dernières
années, vers la chanson populaire : elle convient
à son tempérament d'humoriste, de gai compa-
gnon. Nous nous souvenons encore de certain
toast désopilant porté par lui à l'issue d'un
banquet donné aux fêtes musicales de Genève, au
mois de juin 1901, dans lequel l'esprit vif, alerte et
de bon aloi mettait en évidence les dons naturels
du jeune compositeur genevois.
Nous avons déjà parlé de ses premiers travaux
dans le domaine de Ja chanson. Qui ne se souvient
des Chansons romandes, des Chansons d'enfants, du
Jeu de feuilles, des Propos du père La Jeunesse, des
Chansons de gestes, des Chansons du cœur qui vole, etc.
Le nouveau recueil Chansons de route, dans le
style populaire, n'aura pas moins de succès que les
derniers. Les Chansons de route comprennent trois
volumes. : 1. Chants patriotiques ; 2. Sur la route;
3. Lieds et Bengaines. Les premiers chants sont au
nombre de seize, les seconds au nombre de vingt,
les troisièmes au nombre de vingt-six; au total,
soixante-deux mélodies, courtes, vives, alertes,
qu'il est matériellement impossible d'analyser ici,
mais que l'on ne saurait trop recommander à tous
ceux (et le nombre en est grand) qui s'intéressent
à la chanson populaire.
Feuilletez les Chansons de route, vous y trouverez
une verve toujours éveillée, une simplicité natu-
relle, une jolie couleur ; vous n'y rencontrerez
aucune monotonie. Un souffle de vie, de poésie,
de grâce naïve les anime. M. Jaques-Dalcroze est
le Gustave Nadaud de l'Helvétie.
pianos et tbarpes
Bruxelles : 6, rue ^Latérale
paris : rue ou /©ail, 13
ECROLOGIE
Notre collaborateur M. Alfred Orban vient
d'avoir la douleur de perdre son grand-père, Eu-
gène Orban, décédé à Liège dans sa quatre-vingt-
douzième année. Le Guide musical lui présente ses
sympathiques condoléances.
— Alfred Dôrffel, connu surtout par sa traduc-
tion du Traité d'instrumentation de Berlioz et son
Histoire des concerts du Gewandhaus de Leipzig, vient
de mourir en cette ville, à l'âge de quatre-vingt-
quatre ans.
— De Vienne, on nous annonce la " mort de
Charles Schweighofer, le directeur de la grande
fabrique de pianos J.-M. Schweighofer fils.
— Le compositeur Alphonse Maurice est mort
récemment à Dresde.
REPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Daria; Rigoletto ; Le Prophète; Sigurd;
Tristan et Isolde.
OPÉRA-COMIQUE. — Xavière, La Fille du Régi-
ment; La Traviata, Les Rendez- vous bourgeois; Le
Domino noir; Le Jongleur de Notre-Dame, Cavalleria
rusticana; Le Vaisseau fantôme (M. Dufranne) ; Orphée
(Mme R. Çaron).
ODÉON. — L' Artésienne
VARIÉTÉS. — La Petite Bohème; M. de la Palisse.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Les
Noces de Jeannette et la Fille du Régiment; Le Jon-
gleur de Notre-Dame et Une Aventure de la Guimard;
Hérodiade ; Le Jongleur de Notre-Dame et Bonsoir,
Monsieur Pantalon!; Lakmé et Une Aventure de la
Guimard; Tannhâuser; La Basoche; Hérodiade.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 12 février. — Concerts Colonne : La Vie du
Poète de Gustave Charpentier ; première audition de
Circé, prologue symphonique, de Raoul Brunel, et le
concerto en ré mineur, de Brahms, interprété par le
pianiste Mark Hambourg.
— Conservatoire sous la direction de M. Georges Mar-
ty : Symphonie past or ait, Beethoven; Deuxième Concerto
pour violoncelle, Saint-Saëns (M. J. Hollmann) ; Fan-
taisie en ré majeur, Guy Ropartz ; Chant funèbre, chœur
pour voix de femmes, E. Chausson; Trois chœurs sans
accompagnement, Schumann ; Ouverture du Carnaval
romain, Berlioz.
— Concerts Lamoureux, sous la direction de M. Ca-
mille Chevillard : Ouverture de Manfred, Schumann;
Variations sur un thème original (première audition), Ed-
ward Elgar; Neuvième Symphonie, avec chœur, Beet-
hoven, paroles françaises de Victor Wilder (Solistes :
M™e Lormont, Mlle Melno. MM. Gibert, Fiôlich);
Chevauchée des Walkyries, Wagner.
Lundi 20 février. — Salle Pleyel : Récital Wanda Lan-
dowska, Voltes et Valses.
Jeudi 23 février. — Au Nouveau-Théâtre, Concerts
Cortot : La Légende de Sainte-Elisabeth de Liszt; exécu-
tion intégrale avec le concours de M mes Eléonore Blanc,
L. Hess, MM. Paul Daraux, Jan Reber.
140
LE GUIDE MUSICAL
BRUXELLES
Dimanche 12 février. — Théâtre royal de la Monnaie :
Troisième Concert Populaire sous la direction de
M. Sylvain Du puis et avec le concours de Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel, pianiste. Programme : Prélude sym-
phonique op. 8, nu 2, R. Caetani (première audition);
deuxième symphonie, Borodine; troisième concer'o, ut
mineur, Beethoven (Mme Kleeberg-Samuel) ; Murmures
delà forêt de Siegfried, Wagner; Variations sympho-
niques pour piano avec accompagnement d'orchestre,
C. Franck (Mme Kleeberg-Sainuel) ; Ouverture du Vais-
seau fantôme, R. Wagner.
Mardi 14 février. — Salle Le Roy : Séance de chant
donnée par Mme Miry-Merck, cantatrice, avec le con-
cours de M. Emile Bosquet, pianiste. Au programme :
Haendel, Galuppi, Monsigny, Lotti, J.-S. Bach, Albéniz,
A. Bruneau, L. Wallner, J. Jongen, Ç. Debussy, J. Si-
bélius, Schubert, Schumann.
— Salle de la Grande Harmonie : Concert par M.
Arthur Hartmann, violoniste, et Mlle M. Elvyn, pianiste.
Mercredi 15 février. — A 4 J<£ h., salle Gaveau : Une
heure de musique par M™ Bathori et M. Engel. Concert
consacré aux œuvres de MM. Léopold Wallner et
Gustave Huberti.
Jeudi 16 février. — Salle Ravenstein : Récital de piano
par Mlle Marthe Devos.
Vendredi 17 février. — AS^L, Salle Erard : Séance
donnée par M. Charles Bouvet, violoniste, avec le con-
cours de Mlle Marie Lasne, cantatrice, MM. Joseph Je-
main, pianiste, et Gaston Blanquart, flûtiste (Fondation
Jean-Sébastien Bach).
— A 8 3^2 h , Salle de la Grande Harmonie : Deu-
xième concert par M. Arthur Hartmann, violoniste, et
Mlle Myrtle Elvyn, pianiste.
— Pour rappel, l'audition Joliet-Voncken, aura lieu
à la Salle Gaveau, 27, rue Fossé-aux- Loups, et non à
la Salle Erard, primitivement désignée.
Lundi 20 février. — A 8 >£ h., Salle Le Roy, concert
par Mlle Irma Hustin, pianiste, avec le concours de
MUe Gaëtane Britt, harpiste, et de M. Henri Merck,
violoncelliste.
Mardi 21 février. — A 8 J^ h., Grande Harmonie :
Troisième concert de la Société symphonique des Nou-
veaux Concerts sous la direction de M. Louis FI. De-
lune; soliste : M. Arthur De Greef. Au programme :
Ouverture de Léonore n° 3; Concerto en ré mineur, J.-S.
Bach; Première symphonie, Schumann; Concerto en
ut mineur, Mozart; Marche hongroise, Berlioz.
Mercredi 22 février. — A 8 3^ h.; Salle Erard : Séance
de sonates par MM. Bosquet et Chaumont (Sonates de
Bach, de Brahms et de Vincent d'Indy).
— A 8 Y<i h., Salle de la Nouvelle Ecole Allemande ;
Deuxième séance du Quatuor Zimmer. (Quatuors en mi
majeur, Wittowsky; fa majeur, Schumann; mi bémol
majeur, Mozart).
Samedi 25 février. — Salle Erard : Audition d'œuvres
de M. A. Wilford, organisée par le Cercle du Quatuor
vocal et instrumental. Au programme : Trio pour piano,
violon et violoncelle, Deux airs polonais pour violon, un
Cycle à quatre voix et en deux parties ; Chansons de mai
et Bises d'automne, des Lieder et un quatuor vocal fla-
mand inédit, Droomerij op de Schelde.
Dimanche 12 mars. — A 2 yz h., Théâtre de l'Alham-
bra : Piano-récital par M. Mark Hambourg.
ANVERS
Mercredi 15 février. — A 8 ^ h., à la Société royale
de Zoologie : Concert sous la direction de M. Edw.
Keurvels et avec le concours de M. Georges Surlemont,
baryton. Programme : Patrie (ouverture), G. Bizet;
Hymne au Soleil (extrait des Indes Galantes), Rameau ;
Septième symphonie, L. van Beethoven ; Chant de con-
cours de Wolfram (du Tannhàuser), R. Wagner ; Le Roi
des Aulnes [Lied), F. Schubert; Marche troyenne, H. Ber-
lioz.
Lundi 20 février. — A 8 ^ h., Théâtre Royal : Nou-
veaux Concerts, sous la direction de M. Henri Viotta,
directeur du Conservatoire de La Haye, avec le con-
cours de Mme Hilka Plaichinger, de l'Opéra de Berlin.
Programme : Ouverture d' Anacréon, Cherubini; Sym-
phonie en ut mineur, Beethoven; Air de dona Anna
[Don J%ian), Mozart; Enchantement du Vendredi- Saint
(Parsifal), R. Wagner; Air de Fidelio, Beethoven; Ou-
verture du Vaisseau fantômt, Wagner.
Mercredi 22 février. — A la Société royale de Zoologie,
Concert avec le concours de M. A. Godenne, violon-
celliste.
LIÈGE
Samedi 18 février. — A 8 y2 h., Salle Renson : Seconde
séance de musique de chambre par le Quatuor Zimmer.
(Quatuors en n;' majeur, op. 76, Haydn; en ut mineur,
op. 5i, Brahms; en fa majeur, op. i35, Beethoven.)
LILLE
Dimanche 19 février. — Concert populaire, séance con-
sacrée aux œuvres de Théodore Dubois, directeur du
Conservatoire de Paris, et sous sa direction. Œuvres
principales exécutées à cette séance : Adonis, poème
symphonique; Quatre pièces pour chant et orchestre
(M™ Georges Couteaux); Concerto pour violon et
orchestre par M. Gabriel Wuillaume, de la Société
des Concerts du Conservatoire.
Dimanche 12 mars. - Quatrième concert de la Société
de musique avec le concours de Mme Marie Bréma.
NANCY
Dimanche 12 février. — Au Conservatoire : Festival
Richard Wagner, dirigé par M. J. Guy Ropartz : Ou-
verture du Vaisseau fantôme ; Prélude et Rêve d'Eisa de
Lohengrin ; Air d'Elisabeth (deuxième acte) de Tann-
hàuser; Fragments du troisième acte des Maîtres Chan-
teurs:, Les Rêves ; Prélude et Mort d'Isolde de Tristan;
Murmures de la Forêt de Siegfried; Prélude de Parsifal.
TOURNAI
Dimanche 12 février. — A4 heures, Concert de l'Aca-
démie de musique, avec le concours de MM. Van
Isterdael, violoncelliste et Cluytens, pianiste. Au pro-
gramme : Beethoven, Haydn, Brahms, Franck, Boro-
dine, Berlioz, Saint-Saëns et Rimsk3r-Korsakow.
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlle Marcella Pregi, MM. Mauguière, Daraux et L.
Nivette, M™es Buen, Artôt, et M. Vander Haeghen.
VERVIERS
Vendredi 17 février. — Salle Erard : Audition de so-
nates de Haendel, Niels Gade et G. Lekeu, par MUe
Marie Joliet, professeur de chant et de piano à Liège, et
M. Alph. Voncken, élève de Vieuxtemps, professeur à
l'Ecole de musique de Verviers.
LE GUIDE MUSICAL
141
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19 Février igo5.
LES CHANTS DE L'ABANDONNÉ
DANS SCHUBERT ET SCHUMANN
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
PRÈS la formidable tension de
l'àme sous le premier coup de
la cruelle déception, une dou-
leur moins violente peut être,
parce que seule à présent elle règne dans
ce cœur brisé, exhale aussi une plainte plus
douce : le poète cherche en vain dans tout
ce qu'il aime, dans les fleurs, dans la voix
du rossignol et dans les étoiles mêmes,
une consolation pour un mal qu'ils ne
« sauraient » connaître. Mais dans l'accom-
pagnement frissonne encore un reste de la
brûlante fièvre de l'amour trahi, et dans les
dernières paroles du Lied gronde encore
sourdement une sombre indignation.
(Und wùssten's die B lumen, Et si les
fleurs savaient, n° 8.) Un rythme de
danse folle, un tourbillon de sons où
dominent les notes perçantes des flûtes
et des violons, animent une fête joyeuse :
ce sont les noces de la cruelle ; l'aban-
donné l'entend, cette musique blessante
et mauvaise qui achève de le tuer; len-
tement il se retire et s'éloigne, et dans un
long decrescendo de l'accompagnement,
les bruits de la fête semblent se perdre
dans un mystérieux lointain.
(Das ist ein Flôten und Geigen, Ce sont
des flûtes et des violons, n° 9.) Toujours
pourtant retentit, blessant l'âme du poète
d'un âpre souvenir, la chanson que la belle
lui chantait autrefois. Mais là-bas, dans la
forêt solitaire, nulle chanson amère ne vien-
dra plus retentir; infiniment douce est la
solitude où des larmes apaisantes et cachées
pourront soulager la douleur. Et tout le
Lied, qui passe de l'accompagnement dans
la voix et de la voix dans l'accompagne-
ment, soupire mezzo-voce les douloureux
souvenirs lointains qui peu à peu s'apaisent
et s'effacent mourant dans une lente et
cruelle agonie.
(H or' ich das Liedchen klingen, Si j'en-
tends retentir la chanson, n° 10.) Sur un
rythme énergique, persistant dans tout
l'accompagnement, voici que s'élève un
H+
LE GUIDE MUSICAL
Lied d'un caractère essentiellement popu-
laire, presque indifférent et fruste, qui con-
traste singulièrement avec les chants dou-
loureux et élevés qui l'encadrent. Mais ce
n'est pas la voix du poète qui retentit;
c'est l'écho d'une bien vieille histoire que
tous connaissent et chantent en cheminant,
en travaillant, sans y penser. C'est la
banale petite aventure d'un jeune gars
aimant une jeune fille qui s'est bientôt
choisi un autre galant. Pourtant, cette
ancienne chanson d'une antique histoire
est, hélas! nouvelle encore : voici qu'elle a
retenti jusqu'au cœur souffrant du poète
qui vient d'en vivre tout le triste drame.
Combien alors, soudain, se change en un
dernier et poignant cri de détresse l'indif-
férente chanson du début, et comme le
rythme primitif, immuable, énergique, tout
à contretemps, semble alors marquer dans
l'accompagnement l'éternel choc des cœurs
qui se brisent et la chute fatale des plus
belles illusions.
{Ein Jûngling liebt ein Mâdchen, Un jeune
homme aime une jeune fille, n° II.) Alors
vient se placer la plus suave mélodie, peut-
être, de tout le cycle, tant par le sentiment
que par la musique : l'admirable mouvement
de pardon, né dans la douleur apaisée du
plus bel amour méconnu, emprunte pour
s'exprimer la délicate et exquise voix des
fleurs, sœurs innocentes d'une enfant cruelle.
Le murmure infiniment doux et caressant
d'une brise matinale d'été semble passer en
longs effluves dans les arpèges de l'accom-
pagnement, et donne au Lied toute l'atmos-
phère de sérénité et de calme qui pénètre
enfin dans l'âme blessée du poète et lui
montre le chemin paisible d'un monde de
rêves et d'heureux souvenirs, où son noble
et grand cœur va bientôt le conduire.
(A m leuchtenden Sommer morgen, Au res-
plendissant matin d'été, n° 12.) C'est le
délicat et si tendre épilogue au piano
qui nous ouvre ces sphères idéales par
sa musique de rêve où passe un chant
si doux, si éthéré, qu'il semble planer dans
une céleste région vers laquelle s'élèvera
par degrés le martyr de tout à l'heure. La
voix, à présent, retentit presque seule, sans
accompagnement, comme s'échappant d'un
cœur libéré que plus rien n'opprime ; les
mauvais rêves d'autrefois fuient un à un...
les doux songes d'amour renaissent avec
leurs larmes heureuses.
{Ich hab' im Traum geweinet, En rêve, j'ai
pleuré,n°i3.) C'est encore, à peine soulignée
de délicats accords qui créent autour du
Lied toute une atmosphère de rêve, la
tendre vision des longs regards d'amour
d'autrefois.
{Allnàchtlich, im Traume, seh' ich dich,
Toutes les nuits, en rêve, je te revois, n° 14.)
Voici, alors, la lumineuse apparition d'une
demeure splendide comme seuls en révè-
lent les vieux contes merveilleux ; l'accent
du Lied exprime la joie intense ressentie à
l'aspect des belles et grandes choses dont
la richesse et l'éclatante sonorité de l'ac-
compagnement semblent nous découvrir
les splendeurs. Mais un cri retentit sou-
dain et, vers ce monde idéal s'élève alors,
sur la même mélodie ralentie, une ardente
aspiration à la félicité sans fin qui est appa-
rue au visionnaire et disparaît, hélas !
comme fumée, à son réveil toujours encore
enveloppé de tristesse.
{A us a lien Màrchen winkt es hervor, Dans
les vieux contes, il apparaît,n° i5.) Douleurs
et rêves ont enfin emporté l'àme souffrante
et pleine d'aspirations et d'espoir au seuil
du monde idéal qui lui est réservé, monde
sublime des « héros » de l'amour qui ont
souffert et pardonné. A tout le passé, l'aban-
donné jette un dernier adieu. Il verrapasser
à ses pieds, au rythme héroïque d'une mar-
che imposante, le cortège formidable et fan-
tastique qui emporte dans la mort et l'oubli
le passé cruel : c'est une véritable épopée
que les paroles et la musique évoquent
dans le tableau saisissant de cette cérémo-
nie funèbre où douze géants portent l'im-
mense cercueil et de leurs bras puissants,
le précipitent dans l'insondable tombe
qu'est la mer. Un silence effrayant suspend
alors le récit; la couleur héroïque disparaît
soudain; de sombres accords soulignent
une sorte de courte phrase récitée aboutis-
LE GUIDE MUSICAL
14S
sant bientôt à la douloureuse et pénétrante
exclamation qui clôt le Liederkreis, éclatant
comme le dernier sanglot, comme le plus an-
goissé, d'un cœur brisé, mais désormais af-
franchi des terrestres douleurs : « Là, enfin,
j'ai enseveli mon amour et ma douleur! »
{Die a lien, bôsen Lieder, Les anciennes,
maudites chansons, n° 16.) Tout est fini!
Les chants de l'abandonné ont laissé
retentir leurs suprêmes adieux. Dans le su-
blime épilogue que le piano nous fait alors
seul entendre, nous découvrons, à travers
les mélodies suaves et les harmonies éthé-
rées qui nous parviennent, toute la sérénité
d'un monde surnaturel et paisible; sur le
chemin lumineux de cette magnifique ascen-
sion vers les régions supérieures, les der-
nières larmes se sont évanouies, les derniè-
res plaintes se sont éteintes. Comme
entouré d'une claire auréole, l'abandonné,
le poète, le voyant, s'élève sur la route
sacrée des grands sacrifiés de l'amour. Et
C'est dans cette superbe exaltation musi-
cale que se termine l'A niour du Poète.
Comme nous voilà loin de l'idyllique fin
de la « Belle Meunière » et du dernier
chant résigné et tragique du « Voyage
d'Hiver »! Avec Schubert- Mùller, nous res-
tons toujours sur la terre ; avec Schumann-
Heine, nous nous élevons vers des sphères
supérieures où ne visaient pas les deux
premiers, mais où les seconds planaient
d'habitude. A Schubert et Mùller, le monde
pastoral, plus simple, plus primitif; à
Schumann et Heine, le monde des poètes
et des penseurs, plus profond, plus réflé-
chi. Mais dans ces trois cycles, il faut
reconnaître la marque de génies également
beaux, également grands, parce qu'ils
furent toujours sincères et naturels. Cette
histoire banale et naïve de 1' « abandonné »,
élevée par l'art et la sympathie à la hauteur
d'un drame émouvant, il était particulière-
ment intéressant d'examiner de plus près ce
que, par trois fois, la poésie unie à la mu-
sique avait pu en tirer (1). L'étude et la
(1) On pourrait encore rapprocher des trois cycles,
l'émouvant petit poème musical Der arme Peter (Le
pauvre Pierre), de Schumann-Heine également; il est
comparaison des trois chefs-d'œuvre sont
d'autant plus attrayantes qu'elles font plus
vivement ressortir les qualités originales
qui distinguent chaque cycle; loin de dimi-
nuer l'un vis-à-vis de l'autre, la comparaison
les met au contraire en valeur en augmen-
tant en quelque sorte le relief, si bien qu'on
ne sait ce qu'il faut le plus admirer, du
charme heureux ou mélancolique de la
« Belle Meunière », de la tragique et sombre
tristesse du « Voyage d'Hiver », ou des
élans chaleureux, d'amour, de joie, d'in-
dignation et de pardon de 1' « Amour du
Poète ». Chaque cycle est en lui-même une
perfection où la poésie et la musique ont
chanté, d'une seule et même âme et de leur
voix la plus expressive un drame d'amour
éternel et émouvant, dont chaque épisode
retrouve dans chaque Lied un écho vibrant,
fidèle et passionné. C'est par de tels chants
seulement que Ton comprend « que la vraie
poésie ne se manifeste dans sa puissance
divine que par la vraie musique », et que
l'une et l'autre « sont des sœurs qui ne
développent toute leur beauté qu'en se don-
nant la main » (1). May de Rudder.
UNE NOUVELLE VERSION
D' « ORPHÉE »
l'Opéra-Comique, la semaine dernière,
on a repris Orphée pour les abonnés,
mais Orphée avec Mme Rose Caron ;
et Mme Rose Caron a été idéalement
belle, voilà surtout ce qu'il faut rete-
nir de cette reprise. On pourra discuter, bien
établi sur la même donnée et ne comprend que trois
Lieder d'un caractère mélancolique. Ne présentant pas
le développement et n'atteignant pas à l'élévation ni au
pathétique de 1' « Amour du Poète », il n'en est pas
moins tour à tour un petit chef-d'œuvre de délicate sen-
sibilité, de passion concentrée, d'intense émotion.
(i) Edouard Schuré, Histoire du Lied.
146
LE GUIDE MUSICAL
entendu, sur l'opportunité de l'arrangement nou-
veau qui a fait d'Orphée un rôle de soprano drama-
tique. Mais il n'est pas pour me déplaire, pour
deux raisons : d'abord parce qu'il a été bien et
dûment proclamé que la version-contralto est
aussi un arrangement, dont Gluck n'est aucune-
ment responsable ; ensuite parce que la version-
soprano nous rapproche tout de même un peu (à
une octave près) de la tonalité définitivement
arrêtée par Gluck, celle du ténor. Et puis Mme Rose
Caron est idéalement belle.
Mme Viardot aussi l'était, au temps où elle nous
a imposé cette version contralto, accueillie d'en-
thousiasme, tant la chanteuse était émouvante,
tant l'actrice était dramatique, tant l'artiste était
souverainement classique, harmonieuse et belle de
lignes, d'attitudes, de gestes. Cet ensemble de
qualités, si rarement réunies, est si indispen-
sable pourtant dans ce rôle admirable, qu'on
devrait y regarder un peu plus qu'à deux fois avant
d'y laisser paraître telle ou telle dont les qualités
réelles ne peuvent racheter les défauts trop évi-
dents. (Mettons à part Mme Bréma, entrevue un
instant et qui fut splendide.) C'est peut-être, c'est
sans doute une des raisons qui font qu'on a renoncé
depuis si longtemps à laisser un ténor le reprendre.
Cependant, on est plus indulgent pour les dons
physiques d'un homme, et qui doutera qu'un
artiste intelligent ne trouve plus aisément qu'une
femme les accents nécessaires pour rendre vrai et
émouvant ce personnage si passionné et si viril
d'Orphée ?
Dans un de ses contes les plus connus, Hoff-
mann, certain soir, devant le théâtre où l'on joue
l'une des Ifihigénie, rencontre certain mystérieux
personnage, qui se trouve être le chevalier Gluck,
errant parmi les hommes vingt ans après sa mort ;
et il nous le montre sortant tout indigné de la
salle où, comme préface à cette Ifihigénie, on vient
de jouer l'ouverture de Vautre, comme si le choix
était indifférent. Mais quelles invectives ne lui
aurait-il pas mises dans la bouche (on sait si le
chevalier était commode !) s'il avait vu sur la scène
son Orphée représenté par une femme!...
Mais encore une fois, et en attendant qu'on nous
découvre le ténor rêvé, — JeandeReszké a failli être
celui-là, mais il s'est retiré dans la crainte de se
voir reprocher encore les transpositions forcées du
rôle : la belle affaire! — , je ne suis pas fâché du
coup que cette version-soprano va porter à notre
version- contralto, aux allures faussement authentiques.
Prendre une esquisse originale, écrite pour castrat
(pour un contralto homme), puis rejetée par l'auteur
au profit d'une version définitive, revue et augmen-
tée, pour ténor, et la rétablir pour une femme, en
l'amalgamant avec la version-ténor retransposée,
on ne peut vraiment dire que ce fût là une opé-
ration recommandable. Mieux vaut encore prendre
tout net la partition authentique, la dernière, et
l'adapter à la voix de soprano, qui correspond le
mieux, pour les femmes, à celle du ténor.
C'est ce qu'on a fait à l'Opéra-Comique, où la
grande édition Pelletan-Saint-Saëns-Tiersot a servi
de base aux études. Et c'est ce qui nous rend les
airs d'Orphée plus voisins de leur tonalité vraie ;
le jour où un ténor possible se rencontrera, presque
tout le travail sera fait : on pourra répéter du'jour
au lendemain. Savez-vous que voilà un grand point
acquis? On a supprimé l'air brillant qui termine le
premier acte, et l'on n'a pas eu tort, car il est pos-
tiche, quoique bien de Gluck, qui, pour satisfaire son
interprète, l'avait tiré d'une de ses précédentes
partitions : Le F este d'Afiollo, 176g. On aurait pu
en faire autant de l'ouverture, qui fait triste figure
avant le sublime prélude du tombeau : Gluck était
loin encore, quand il l'a écrite (1762), de ces admi-
rables pages qui ouvrent Alceste ou les Ifihigénie et
sont si étroitement liées à l'action. Mise en scène
d'ailleurs toujours d'une poésie intense, d'une
poésie de bas-relief grec, et exécution générale
très délicate, sous la direction de M. Busser.
Et puis Mme Rose Caron est incomparablement
belle. Elle est sobre et harmonieuse, dans ses gestes
comme dans ses expressions, elle est émouvante à
force de vérité; et l'on peut dire que son silence
même est éloquent, car nulle part elle n'a saisi
plus fortement, et comme électrisé la salle tout
entière que dans la scène des Champs-Elysées,
où sa main cherche en vain, puis retrouve enfin,
cette Eurydice qu'il lui est interdit de regarder.
Ai-je besoin d'ajouter que le style de son phrasé
n'est pas moins pur, que sa diction n'a pas moins
d'autorité? On connaît d'ailleurs son horreur
instinctive de tout effet mélodramatique, et la
scène finale, avec elle, ne risque pas de rien per-
dre du souffle antique qui l'anime. Son ajustement,
d'autre part, est d'une simplicité pleine de goût et
dans la tradition de Mme Viardot, c'est-à-dire suffi-
samment court. Un peu plus encore n'eût pas nui :
il faut insister sur le contraste qu'Orphée doit pro-
duire à l'œil dans ces tableaux virgiliens peuplés
de femmes. Ce n'est pas la première fois que
Mme Caron porte avec une grâce exquise le cos-
tume masculin. Henri de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL
i47
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA-COMIQUE. — Comme je l'ai dit la
semaine dernière, le Vaisseau fantôme a continué,
malgré le départ de M. Renaud, le cours de ses
belles représentations. M. Dufranne, qui le rem-
place dans le rôle du Hollandais, a pleinement
réussi et mérite de vifs éloges. Physiquement, il
n'a pas l'aspect fatal et romantique de son devan-
cier, ni, vocalement, ses raffinements de diction,
ses trouvailles d'intonations. Mais il paraît plus à
l'aise dans le grave ; il est d'ailleurs vigoureux et
sonore à souhait, et donne beaucoup d'ampleur et
de vivacité robuste à son personnage.
Une jeune et belle artiste, Mme de Marsans, a
débuté ces jours-ci dans divers rôles de mezzo-
soprano où elle a fait la meilleure impression :
Santuzza de Cavalleria (où déjà Mlle Conrès avait
remplacé Mme Marié de l'Isle) et Benoîte de
Xavière.
La première de Y Enfant-Roi, qu'on répète en
scène depuis quelque temps déjà, est annoncée
pour la fin de ce mois. Les impressions des artistes
qui l'exécuteront permettent de présager un grand
succès, entre rire et larmes, de vigoureuse person-
nalité musicale. H. de C.
VARIÉTÉS. — Pour son huitième spectacle,
le théâtre des Variétés vient de mettre en scène
la plus musicale, la plus spirituelle et la plus
exquise en tous points de ses partitions nouvelles,
les Dragons de l'Impératrice de M. André Messager.
Il y avait longtemps déjà que ce fin et original
musicien gardait le silence, et l'on pouvait craindre
qu'il n'en prît l'habitude. Sa nouvelle oeuvre nous
prouve que ce recueillement pouvait être fécond :
elle est bien de la même famille que les Petites
Michu et Véronique, que La Basoche même, et si
elle a un défaut, c'est d'être peut-être trop délicate
et trop élégante pour le public habituel de cette
salle. Telle est du moins la crainte que certains
expriment; mais le public se ferait honneur de
leur donner tort. On sait qu'avec M. Messager,
même les rythmes faciles et les couplets de pure
opérette sont toujours relevés d'un tour ingénieux
et mis en valeur pour une instrumentation origi-
nale. C'est le cas ici, ou sans doute tout n'est pas
de la même valeur, mais reste du moins de bon
goût et d'une jolie couleur. Le sujet signé Vanloo
et Duval, est d'ailleurs ingénieux, et prétait à une
gracieuse broderie comme à des inspirations de
verve franchement comique.
Je ne puis m'attarder à en suivre ici les compli-
cations, où des rivalités de corps entre les Cent-
Gardes et les Dragons, mêlées à une histoire
d'éventail perdu et compromettant, à une intrigue
amoureuse dont l'incognito amène de plaisants
quiproquos, à un mariage blanc où c'est la petite
femme qui a le dernier mot et conquiert son trop
indifférent et volage époux, — nous promènent
du parc de Saint-Cloud au bal Mabille et à la cour
de Napoléon III. Mais il faut au moins signaler
les morceaux les plus caractéristiques. Au premier
acte, l'air de Lucrèce (la femme du colonel des
dragons) : « Amour, quel est donc ton pouvoir ? »
est d'un tour tout à fait opéra-comique. Le double
chœur syllabique des Dragons et des Cent-Gardes,
et celui, très coquet, des dames préparant le repas
champêtre, sont fort réussis également. Et quant
à l'air de la jeune épouse toute mélancolique :
« J'aimais mon cousin dès l'enfance », et au quin-
tette de l'éventail, on les dirait presque tirés de
La Basoche, C'est exactement le même style, traité
un peu plus simplement ; et cette impression se
retrouve dans le duetto scénique qui termine le
second acte, où la petite mariée intrigue sous le
masque le beau capitaine Saint-Gildas, son époux.
Mais ce même acte nous a valu une chanson
drôlement versifiée sur les Cent-Gardes, de char-
mants couplets des dames masquées, d'autres
entre Lucrèce (celle qui a perdu l'éventail) et sa
jeune amie Cyprienne (celle qui veut le recon-
quérir) et son mari en même temps, d'autres
encore de cette dernière... Enfin, le troisième
acte, après un entr'acte-valse, après des couplets
amusants de Lucrèce nous apporte encore un
air exquis de Cyprienne, toujours dans le goût
de La Basoche : « Si c'est moi qu'il aime, c'est une
autre qu'il croit aimer », un nouveau duo entre
les deux époux, sans se reconnaître, et une scène
très spirituelle (celle de l'éventail retrouvé en des
mains inattendues), où le même motif, débutant en
trio, se répète soudain en quatuor, puis en quin-
tette.
Dans une mise en scène somptueuse et artisti-
que, l'œuvre est délicatement chantée ou spiri-
tuellement jouée par Mmes Germaine Gallois et
Mariette Sully, entourées de MM. Alberthal,
Prince, Claudius et Simon. H. de Curzon.
\0
148
LE GUIDE MUSICAL
CONCERTS COLONNE. — On se souvient
que La Vie du Poète, envoi de Rome, fut exécutée
solennellement au Conservatoire, le 18 mai 1892,
en présence de l'Académie des Beaux-Arts, et
qu'elle remporta un succès éclatant. Gounod en
fut si ravi, qu'il adressa le jour même à Gustave
Charpentier la lettre suivante : « J'ai tenu à vous
donner tout de suite l'assurance du vif intérêt avec
lequel la section de composition musicale de l'In-
stitut a entendu et lu votre envoi intitulé : La Vie
du Poète... Il y a là des qualités si saillantes de
pensée et de sentiment, de conception et de
poésie, d'intelligence et de couleur, que c'est
pour moi une joie sincère et très vive de vous
dire combien nous en avons été heureux pour vous
et satisfaits pour l'Académie. »
L'audition donnée au Conservatoire avait pro-
duit une telle impression, que M. Bertrand, alors
directeur de l'Opéra, voulut faire connaître La Vie
du Poète à ses abonnés, et le mois suivant (17 juin
1892), l'œuvre triomphait de nouveau. Puis
M. Colonne l'inscrivait sur ses programmes du
Châtelet les 29 janvier, 5 et 19 février 1893, le '
29 mars 1896, et enfin le 26 novembre et le 3 dé-
cembre 1899. Paris n'a donc pu l'entendre que
sept fois, en comptant l'exécution officielle.
De tous les compositeurs issus de notre école
française depuis une quinzaine d'années, Gustave
Charpentier me semble le mieux doué, le plus
« génial », soit que, par le mot génie, on entende
le talent inné, soit qu'il désigne le talent dans
lequel il entre de l'invention. Ce qui le distingue
encore des autres, c'est le mouvement, la vie et
la « modernité », si l'on me permet, après Théo-
phile Gautier, l'emploi de ce néologisme. Il n'est
pas un réaliste au sens restreint, parce que, s'il a
pour objectif la vérité, il la voit à travers ce mo-
dèle intérieur de l'artiste qu'on appelle l'idéal,
sans lequel le beau « réel » n'existe pas. Je le
définirais plutôt un impressionniste, mais un im-
pressionniste tel que le définit Paul Mantz : un
artiste sincère et libre qui, rompant avec les pro-
cédés de l'école et les raffinements de la mode,
traduit, dans la sincérité de son cœur et à l'aide de
moyens acquis par le talent, simplement et le
plus franchement possible l'intensité de l'impres-
sion subie.
Impressionniste, oui, Gustave Charpentier l'est
profondément, et je ne crois pas qu'il s'en défen-
dra. Qu'est-ce que La Vie du Poète, sinon une suite
d'impressions que lui ont suggérées le désir de la
gloire, la joie de la conception immatérielle de
l'œuvre, le découragement que laisse l'impuissance
de créer une œuvre égale à la pensée, la persis-
tance du rêve, qui, au-dessus de la brutalité des
faits et de la trivialité des choses, émerge et s'élève
toujours grandissant dans l'âme du poète? Et c'est
par là qu'il se montre si personnel, si original,
presque isolé parmi ses confrères. Tandis que, par
leurs tendances exotiques (j'excepte Alfred Bru-
neau, Pierné, Leroux et quelques autres), ils sem-
blent des étrangers égarés parmi nous, lui reste
Français, bien plus, Parisien (quoique né à Dieuze,
en Alsace) et Parisien de Montmartre, c'est-à dire
spirituel, enthousiaste et passionné, jamais dupe,
bon compagnon qu'un mot vif émoustille, cœur
d'or compatissant aux maux d'autrui, le pied soli-
dement appuyé sur la terre et le front dans les
étoiles.
La Vie du Poète est trop connue pour qu'il soit
besoin de l'analyser de nouveau. Il suffit de dire
qu'elle a retrouvé, dimanche, son succès d'antan,
que l'exécution a été très bonne sous la direction
toujours ardente de M. Colonne, et que les so-
listes, MM. Cazeneuve, Reder, Mlle Richebourg
et Mme Boyer de Lafory, ont été souvent applau-
dis.
L'œuvre de Charpentier était précédée d'un
prologue symphonique de M. Raoul Brunel, com-
posé pour le drame de Circé, de M. Richet, repré-
senté l'an dernier à Monte-Carlo ; c'est un tableau
descriptif de la mer, avec un orage obligé, large-
ment brossé et d'un coloris assez intéressant. Peut-
être a-t-on eu tort d'allonger encore le programme
par le concerto en ré mineur de Brahms. Il valait
d'être mis en belle place dans un concert, et surtout
d'être exécuté par un virtuose au jeu moins gros et
aux mains mieux équilibrées. Julien Torchet.
%>
CONCERTS LAMOUREUX. — Sir Edward
Elgar est aujourd'hui l'un des compositeurs les
plus réputés ou, pour mieux dire, le seul réputé
de l'école anglaise. Ses grands oratorios, le Songe
de Gérontius et les Apôtres, ont été souvent exécutés
sous la direction de M. Hans Richter, non seulement
en Angleterre, mais encore en Allemagne, où ils
ont reçu l'accueil le plus favorable. On y trouve en
effet une inspiration très haute unie à une forme
très pure. On doit donc savoir gré à M. Chevil-
lard d'avoir voulu faire connaître Elgar au public
français et d'avoir inscrit à son programme les
Variations symphoniques sur un thème original de cet
auteur. A vrai dire, il eût peut-être été préférable,
pour l'entrée en matière, de choisir une autre page,
le prélude du Songe de Gérontius, par exemple, qui
LE GUIDE MUSICAL
*49
est d'une admirable beauté. Malgré une incontes-
table élégance d'écriture, les Variations sympho-
niqites ont paru un peu longues et un tantinet
dénuées d'intérêt. Le compositeur a voulu, dans
chacune de ces variations, peindre l'un de ses amis,
et cette conception, humoristique à coup sûr, mais
bien particulière, semble a priori de nature à
n'émouvoir que faiblement un auditoire qui ne
connaît ni l'auteur ni les amis dont il parle. Ce
n'est pas à dire que plusieurs de ces variations
n'aient en elles-mêmes une véritable" valeur musi-
cale, notamment la variation en forme de gigue et
celle intitulée Dorabella, sorte de danse langou-
reuse très délicatement orchestrée. Mais, en vérité,
tout cela ne peut donner une idée de ce qu'est
M. Elgar dans ses grandes œuvres, auxquelles nous
voulons espérer que M. Chevillard n'hésitera pas
à faire bientôt quelque emprunt qui transformera,
nous en sommes sûr, le public légèrement impa-
tient de dimanche dernier en un public attentif et
admirateur.
Je ne crois pas avoir jamais entendu V adagio de
la Symphonie avec chœurs mieux joué qu'il ne l'a
été par M. Chevillard. Justesse de mouvement, de
nuances et d'expression, c'était absolument parfait.
Après cet éloge sans réserve, M. Chevillard m'ex-
cusera sans doute si je ne puis admettre l'extraor-
dinaire rapidité de mouvement qu'il imprime aux
dernières parties du finale. Telles qu'il les joue,
elles seraient dignes d'accompagner la Kermesse de
Rubens, et j'ai peine à croire que ce soit pour
célébrer cette espèce de joie que Beethoven les
ait écrites.
Le concert se complétait par l'ouverture de
Manfred de Schumann et la Chevauchée des Walkyries,
jouée un peu vite, car le rythme du thème prin-
cipal s'est trouvé légèrement faussé.
J. d'Offoël.
— A la neuvième matinée Danbé, Mlle Marcella
Pregi a bien voulu prêter le concours de son admi-
rable talent. Applaudie partout, elle a consenti à
interrompre ses tournées à travers l'Europe pour
être utile à l'œuvre si intelligemment comprise par
M. Danbé et pour exprimer encore une fois sa re-
connaissance envers le public parisien, qui a su si
bien deviner et consacrer sa brillante carrière ar-
tistique. Accompagnée par M. Périlhou, elle a
chanté dans un simple et adorable style — marque
du grand art — une barcarolle de Fauré et une
mélodie de Brahms, Mon amour est fleuri, joliment
traduite par notre collaborateur J. d'Offoël ; puis
elle a dit encore, avec accompagnement de qua-
tuor, M'amye, chanson de Clément Marot, musique
de Périlhou, un compositeur grand dans les peti-
tes choses à la façon d'Henri Reber, et enfin Dans
le steppe de Charles Lefebvre, une mélodie d'un
rythme curieusement cadencé, que le public a
bissée d'acclamations. Si l'éminente cantatrice a
eu les honneurs de la séance, il serait injuste de
passer sous silence le succès très mérité qu'a ob- •
tenu M. Jan Reber dans deux airs classiques et
deux mélodies de Brisset et de Charles René, et la
très belle interprétation de l'adagio et du scherzo du
septuor de Beethoven par MM. Mimart, Vuiller-
moz, Letellier, Soudant, Migard, Bedetti et Dela-
hègue. T.
— Mme Wanda Landowska a donné à la salle
Pleyel, le 10 février, le premier des deux récitals de
piano et de clavecin dont l'intérêt doit être signalé
tout à fait à part. Consacré à Jean-Sébastien Bach
et à ses contemporains, le programme a mis particu-
lièrement en lumière quelques-unes des plus rares
qualités de l'artiste : un jeu très pur et très net,
plein de goût et de délicatesse tout en détachant
merveilleusement, sans dureté, sans sécheresse les
motifs et les contre-motifs aux croisements conti-
nuels desquels se plaît cette musique. Cette vélo-
cité toute légère et plutôt aisée qu'étincelante est
exactement ce qui convient à des pièces comme les
sonates de Scarlatti (la Pastorale et celle en fa mi-
neur), comme les tricotets de Rameau, les menuets
de Clérambault ou le Coucou de Claude Daquin,
sans compter les pages signées Zipoli, Durante,
Matheson ou Telemann. Bach ne figurait que par
la Suite anglaise en mi mineur (la sarabande et le
passe-pied de toute beauté). J'avoue que j'aurais
préféré davantage, et qu'en dépit de la curiosité du
Forgeron harmonieux de Haendel ou des Folies fran-
çaises du grand Couperiu, en dépit de l'art extraor-
dinaire avec lequel ces morceaux de clavecin ont
été rendus, j'aurais donné beaucoup de clavecin
pour un peu plus de Bach. H, de C.
— Le concert donné le 8 février, à la Schola
Cantorum, par Mme Camille Fourrier a fait valoir
le goût de l'artiste et le charme de la cantatrice
dans des pièces mélodiques, d'une saveur étrange
et séduisante, de Claude Debussy, d'après Verlaine,
et de Moussorgsky. — Le quatuor à cordes (op. 10)
de Cl. Debussy, qui est tout rêve, a valu des
i5o
LE GUIDE MUSICAL
bravos non moins chaleureux au Quatuor de Paris,
qui prêtait son concours à cette soirée, terminée
par une Suite originale dans ïe style ancien, septuor
de M. Vincent d'Indy. R. B.
— En dehors du mérite tout classique de l'exé-
cution, les vendredis soir du Quatuor Parent nous
proposent une véritable histoire de la musique
française contemporaine avec les noms de César
Franck, d'Ernest Chausson, de Vincent d'Indy,
de Claude Debussy, de son très intéressant et
curieux continuateur Maurice Ravel, en attendant
la révélation d'ouvrages tout nouveaux. La der-
nière séance était consacrée aux sévères ouvrages
de Vincent d'Indy, le IIe quatuor à cordes (op. 45),
plein de nostalgiques réminiscences du pays
cévenol, le Poème des Montagnes, de même inspi-
ration, pour piano, nerveusement enlevé par
Mlle Marthe Dron, enfin la Sonate inédite, pour piano
et violon, exécutée par le maître et dédiée à
Armand Parent. R. B.
— La séance d'ouverture des conférences de
M. Arthur Coquard, au cours Sauvrezis, a obtenu
un vif succès. Le conférencier a mis en relief le
rôle hardi de Paul-Emmanuel Bach qui, rompant
avec la manière de son illustre père, est revenu à
la simplicité, recherchant la ligne mélodique, pré-
parant ainsi les voies à Haydn et à Mozart. Y a-t-il
là progrès ou recul? Ni l'un, ni l'autre, l'art se
transformant sans cesse, pour se rajeunir et ne pas
tourner dans le même cercle. Mlle Boutet de
Monvel et Mme Mellot-Joubert ont été vivement
applaudies dans de belles pages d'Emm. Bach et
d'Haydn.
— Le concert Le Rey de dimanche offrait un pro-
gramme d'un éclectisme intéressant, qui débutait
parla jolie symphonie en la de Saint-Saëns, sym-
phonie bien moins que Suite en quatre parties, dont
Yadagio est aussi court qu'inspiré et le scherzo d'une
facture délicate et plaisante ; le motif en majeur du
milieu m'a paru un peu lourdement rendu. Un
agréable Concertstuch pour alto a réuni tous les
suffrages ; composé par Hans Sitt, il est d'une con-
ception très claire, d'une belle sonorité et d'une
bonne dimension ; il a été fort bien exécuté par
M. Roelens, dont le perpétuel dandinement est
fatigant à regarder.
Le concerto de Grieg,avec ses cadences apothéo-
tiques, a été enlevé avec ardeur et mécanisme par
M. G. de Lausnay, le bon élève de Diémer. Puis,
comme nouveauté, ce fut un fragment du Grand
Ferré (scène II), poème lyrique dont M. Planchet
a écrit la musique. Cette œuvre, bien écrite, quoi-
que en un style un peu terne, était interprétée par
Mlle Génicout et M. Riddez, de l'Opéra; un motif
de chasse dans le lointain pendant une impréca-
tion chantée, est d'une excellente couleur. Mal-
heureusement, si les détails de cette œuvre sont
parfois intéressants, l'intérêt dramatique est d'une
puissance relative, et la pensée un peu flottante.
Ce concert se terminait par les Esquises vénitien-
nes de M. Maréchal. M. Paul Viardot conduisait
l'orchestre. Ch. C.
— M. Daniel Herrmann a donné à la salle Pleyel,
le 9 février, un très artistique concert, qui avait
attiré beaucoup de monde. Le talent du violoniste
a contribué certainement au succès de la soirée,
mais un autre intérêt, celui d'entendre le nouvel
orgue installé par M. Gustave Lyon, et aussi la
curiosité de voir l'éclairage mystérieux de la salle,
n'y ont pas nui non plus ; écouter dans la pénom-
bre des mélodies de César Franck et de l'exquis
Gabriel Fauré, chantées par la voix charmante,
surtout dansles demi-teintes, de MmeDurand-Texte,
est un plaisir inusité et rare. Aussi, avec quel re-
cueillement on a prêté l'oreille au trio en ut mineur
de M. Henri Dallier, œuvre de style tout moderne
tempéré par le goût classique; à la sonate en la
majeur pour violon et orgue de Hasndel ; à Pré-
lude, Fugue et Variations de Franck ; enfin, à la suite
en sol pour violon, violoncelle, piano et orgue de
M. Christian de Bertier, composition estimable et
non dénuée de mérite, exécutée avec ensemble
par l'auteur et MM. Herrmann, Dallier et Tergis,
qui joue alternativement du piano et du violoncelle
et qui se nomme simplement Griset quand il dirige
l'exellente société Guillot de Saimbris! T.
— La dernière conférence de M. Expert à l'école
des Hautes Etudes sociales avait pour objet la
musique protestante au xvie siècle.
Absorbé par ses idées de moralisation sociale,
Calvin fut, quoi qu'en ait dit M. Expert, hostile
aux arts et n'admit guère en musique que les
chœurs chantés à l'unisson par le peuple à l'office
divin. C'est sans doute malgré lui que fut composée
et que se répandit la musique savante huguenote
de Goudimel, Roland de Lassus, Le Jeune, etc.,
musique semi-liturgique, sur des paroles bibliques
ou édifiantes, mais destinée à des réunions pro-
fanes.
Les psaumes de Goudimel et de Le Jeune en
LE GUIDE MUSICAL
i5i
sont les œuvres principales. En contrepoint tantôt
syllabique, tantôt fleuri, ils varient d'un simple
verset répété à un motet très développé. M. Ex-
pert en a fait entendre plusieurs par son quatuor
vocal.
Enfin, après ces œuvres un peu austères, il a
donné le délicieux Chant de Oiseaux de Clément
Janequin et une charmante Chanson gasconne de
Le Jeune, qui ont. été chantés, comme toujours,
avec beaucoup de goût. F. G.
— Dans la salle des Société savantes a eu lieu
mercredi la soirée donnée par l'Union des femmes
professeurs et compositeurs. Toute une jeunesse
avide de bien faire prêtait son concours à cette
solennité, et un nombreux public vint encourager
l'œuvre utilement fondée et dirigée par Mlle Dau-
bresse. A noter l'exécution avec chœurs et orches-
tre d'une idylle sacrée, Rebecca, de Mlle Carissan, de
fragments de Gàllia de Gounod et de quelques
compositions de Mmes Delâge-Prat, Filliaux-Tiger,
Amélie Pérémé en Marguerite Achard.
M. Auge de Lassus, dans une causerie convain-
cue, avait au préalable eepliqué le but, les res-
sources et l'idéal de l'U. F. P. C, à laquelle nous
souhaitons un heureux développement. Cn. C.
■ — Le jury nommé par les concurrents du con-
cours musical de l'Opéra, pour une pièce sympho-
nique, a tenu le i3 sa dernière séance.
Rappelons qu'il se composait de : MM. E.
Reyer, Saint-Saëns, Massenet, Théodore Dubois,
Ch. Lenepveu, de l'Institut; Bruneau, Vincent
d'Indy, Camille Erlanger, G. Fauré, Xavier
Leroux, Ch. Widor, Taffanel, Paul Vidal, Man-
gin et P. Gailhard.
Après une longue délibération, les récompenses
suivantes ont été décernées :
Premier prix (i,5oofr. et l'exécution à l'Opéra).
— M. Edmond Malherbe.
Première mention (5oo fr.). — M. Ch. Kœchlin.
Deuxième mention (25o fr.}. — M. Bachelet.
Les 72 autres concurrents sont invités à retirer
leurs manuscrits.
— Les concours ouverts par l'Association des
anciens élèves de l'Ecole de musique classique
(Niedermeyer) ont donné les résultats suivants :
Concours n° 1 (sonate pour piano et violon),
prix, 200 francs : M. A. Claussmann, organiste à
Clermont-Ferrand ; concours n° 4 (mélodie sur des
paroles françaises), prix, 5o francs : M. H. Leto-
çart, organiste à Paris ; ire mention : M. Palanque,
de Chartres; 2e mention : M. A. Dubois, directeur
des orchestres de Tourcoing et d'Arras.
Pour les concours nos 2, 3 et 5, pas de récom-
penses.
Le jury était composée de MM. Gigout,' Fauré,
Messager, A. Georges, Périlhou.
— A l'Olympia, ballet nouveau : Les Saisons de la
Parisienne, en quatre tableaux naturellement (Paris
sans la neige, le Bois au printemps, l'Été, les
Vendanges), thème facile sur lequel M. Varney a
laissé courir son inspiration en une gentille parti-
tion, fort bien rendue.
— Une indiscrétion... On vient d'envoyer à tous
les membres de la Société des Grandes Auditions
musicales de France (dont la présidente est Mme la
comtesse Greflulhe) le programme détaillé de la
saison italienne qui va être donnée au Théâtre
Sarah-Bernhardt, en mai-juin, sous ses auspices,
par M. Ed. Sonzogno, le grand éditeur de Milan.
Voici la liste des huit œuvres qui seront exécu-
tées au cours de ces deux mois, ainsi que le ta-
bleau des principaux interprètes réunis à cette
intention :
De F. Cilea : Adriana Lecouvreur ; de P. Masca-
gni : L'Amico Fritz ; de H. Giordano : Fedora, Sïbe-
ria et André Chénier ; de R. Leoncavallo : Zaza ; de
L. Filiasi : Manuel M enendez (c'est l'opéra-comique
en un acte qui a remporté le second prix du con-
cours international organisé par M. Sonzogno) ;
enfin, le Barbier de Séville de Rossini.
Toutes ces œuvres sont nouvelles pour nous,
sauf la dernière, bien entendu, qu'on s'étonne de
voir représenter seule l'ancien répertoire, si ap-
plaudi naguère au Théâtre-Italien. Pour faire reve-
nir la vogue à une saison italienne à Paris (et l'idée
a des chances de réussir, si on y met de la discré-
tion), ne faudrait-il pas encadrer les nouveautés de
quelques-unes des œuvres les plus connues et
encore les plus appréciées des anciennes écoles,
depuis Cimarosa jusqu'à Verdi ?
Voici les principaux interprètes annoncés. So-
prani et mezzo-soprani : Lidia Berlendi, Lina
Cavalieri, Rina Giachetti, Regina Pacini, Adèle
Stehle, Eva Tettrazini, etc. Ténors : A. Bassi,
E. Caruso, F. de Lucia, E. Garbin, A.Masini, etc.
Barytons : G. Kaschmann, T. Ruffo, M. Sam-
marco, A. Costa, etc. Basses : O. Lupi, P. Wull-
mann, etc. Chefs d'orchestre : Cl. Campanini,
R. Ferari, etc.
152
LE GUIDE MUSICAL
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Nous rendrons compte la semaine prochaine des
détmts de Mme Maria Gay dans Carmen, que l'on a
repris hier pour les représentations de M. Edmond
Clément. Le brillant ténor a remporté un nouveau
succès enthousiaste dans Lakmé, jeudi dernier, et
Mlle Angèle Pornot a eu sa part très méritée dans
les applaudissements. Faust, La Basoche, Hérodiade,
Le Jongleur de Notre-Dame complétaient le réper-
toire de la semaine.
Les études de Martille, le nouvel ouvrage de
MM. Albert Dupuis et Edmond Cattier, sont pous-
sées avec la plus grande activité et l'œuvre passera
très prochainement.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, représenta-
tion de gala du Jongleur de Notre-Dame; le soir, La
Basoche et Une aventure de la Guimard; demain, lundi,
Hérodiade; mardi, Carmen. S.
CONCERTS POPULAIRES. — Comme aux
plus beaux temps des luttes wagnériennes, M. Syl-
vain Dupuis avait inscrit au programme de son
dernier concert deux œuvres qui, pour avoir été
plus rarement exécutées depuis deux ou trois ans,
n'en remportent pas moins toujours le même suc-
cès enthousiaste : l'ouverture du Vaisseau fantôme
et les Murmures de la forêt de Siegfried. Sous la
direction minutieuse, énergique et savante de son
éminent chef, l'orchestre a brillamment exécuté
ces deux fragments que les Concerts populaires
furent des premiers autrefois à faire connaître hors
d'Allemagne.
Il en est de même de la symphonie n° 2 de
, Borodine, que Joseph Dupont dirigea pour la pre-
mière fois en t886 et dont les études avaient été
faites alors sous l'inspiration du compositeur lui-
même. Dans le rythme, dans les mouvements,
dans la compréhension, M. Sylvain Dupuis s'écarte
parfois de la tradition laissée par Joseph Dupont,
et si, au début, cela a quelque peu surpris le
public, il était particulièrement intéressant
de comparer les deux interprétations de cette
œuvre admirable, dualité qu'expliquent les diffé-
rences profondes de caractère de ces deux
remarquables chefs d'orchestre, alors qu'une tradi-
tion unique du respect des maîtres et d'audacieuse
innovation les unit, d'autre part, étroitement l'un
à l'autre.
Le prélude symphonique op. 8, n° 2, de R. Caë-
tani, a paru assez aride et n'a pas fait très ,
grande impression. Ne nous arrêtons pas longue-
ment à cette œuvre et disons tout de suite combien
Mme Clotilde Kleeberg-Samuel a obtenu de succès
et combien les ovations qu'on lui a faites étaient
largement méritées.
On ne saurait imaginer interprétation plus par-
faite, plus colorée, plus vivante, que celle qu'elle
nous a donnée des Variations symfthoniques de César
Franck ; on sentait la pensée du maître inspirer
profondément l'interprète.
Le troisième concerto, ut mineur, de Beethoven,
s'il ne dépasse pas les moyens remarquables de
Mme Clotilde Kleeberg-Samuel, semble peut-être
atteindre leur limite ; néanmoins, rien dans l'exécu-
tion, n'a trahi ni une faiblesse, ni une hésitation;
c'était parfait, et cependant il nous semble que le
talent de cette grande artiste trouve son expression
définitive et complète dans le Schumann ; son pro-
gramme n'en annonçait point, mais les applaudis-
sements ont été tels que Mme Kleeberg-Samuel a
dû revenir et interpréter les Arabesques, ce qu'elle
a fait avec une compréhension, une poésie, un
tact, un art admirables. R. S.
— Lundi dernier a eu lieu, chez M. et Mme Tas-
sel, une audition complète, à part les grands ensem-
bles choraux, d'une œuvre inédite du compositeur
Isaac Albéniz, Merlin, première journée de sa tri-
logie La Table ronde, poème de M. Francis Coutts,
version française de M. Maurice Kufferath. Mmes
Francès Aida et Maubourg, MM. Laffitte et Bour-
bon ont lu avec un art remarquable les principaux
rôles de la partition, que M. Albéniz exécutaitmer-
veilleusement au piano. L'ouvrage devant être
monté au théâtre royal de la Monnaie l'hiver pro-
chain, nous n'en analyserons ni le poème, très
saisissant, ni la partition, d'une noble et magnifique
allure, toujours originale et d'une rare musicalité.
Qu'il nous suffise de constater que devant les nom-
breux invités qu'avaient réunis pour la circon-
stance M. et MmeTassel, Merlin et l'auteur ont été
longuement acclamés.
— Mme Miry-Merck, l'excellente cantatrice et
le professeur bien connu, donnait mardi dernier,
salle Le Roy, son concert annuel, avantagé du
concours pianistique de M. Em. Bosquet.
Indépendamment des qualités de l'interpréta-
LE GUIDE MUSICAL
i53
sition, le programme offrait- un intérêt intrinsèque
Iréel par sa variété et sa nouveauté. Aux pièces de
îHasndel, Galuppi, Monsigny, Lotti, J.-S. Bach
](deux des cinq délicieuses ariettes, trop ignorées
] chez nous, à la basse réalisée, sauf erreur, par
jLachner), Schubert et Schumann, se joignaient
; des chansons dans le style populaire de Bruneau,
1 deux pages délicates d'Albéuiz (dont la romance
de Pépita Jimenez), de curieuses notations de
Debussy, des Lieder de Sibélius, dont les Roses fu-
nèbres, d'une sombre et impressionnante majesté.
Tout cela fut dit et chanté par Mme Miry-Merck
j de sa voix au timbre pur et sympathique, disci-
plinée et souple et avec le goût parfait et le nuancé
délicat qui caractérisent l'artiste; elle a été vive-
ment applaudie.
M. Bosquet, qui accompagnait avec son talent
ordinaire (un peu trop fort toutefois), nous a
donné, pour piano seul, un intermède de choix :
un Nocturne émouvant et pathétique de Wallner,
une Sérénade pleine de brio, et de facture serrée, de
Jongen et deux numéros de Debussy, dont les
Jardins sous la pluie, page d'un réalisme curieux, où
l'incertitude tonale se concilie étonnamment avec
une magistrale homogénéité. Le talent de M. Bos-
quet a été fréquemment louange ici. Qu'il nous
suffise de constater aujourd'hui ses progrès consi-
dérables dans le sens de la spontanéité d'interpré-
tatton ; sa personnalité achève de se dégager, dé-
couvrant une nature prime-sautière et vigoureu-
sement caractérisée. E. C.
— Mlle Desmaisons et M. Angeloty, qui pos-
sèdent tous deux un fort joli talent, vont donner
trois séances de sonates pour piano et violon, con-
sacrées aux trois B, les maîtres Bach, Beethoven,
Brahms. Le premier concert a eu lieu vendredi
dernier et a obtenu un gros succès.
Mlle Loui:-;e Desmaisons est une pianiste douée
de grandes qualités; son jeu souple, allié à une
puissante sonorité, en fait une virtuose réelle-
ment intéressante. M. Angeloty est un violoniste
de talent, mais dont le jeu demande encore à se
perfectionne]"; les promesses qu'il donne sont des
plus sûres, en raison même du côté artistique de
son interprétation. Ces jeunes artistes ont exé-
cuté la sonate de Bach en si mineur, celle en fa de
Beethoven et celle en ré mineur de Brahms.
J.T.
— La séance Engel-Bathori était consacrée
cette fois à deux compositeurs belges, MM. L.
Wallner et G. Huberti.
Les œuvres de M. Wallner sont d'une poésie
délicate ; elles charment par les petits thèmes
spirituels et vifs dont elles sont parsemées ; l'Orgue,
YEnguignonné, le Passé qui file, sont ses plus jolies
mélodies et elles lui ont valu — car il accompa-
gnait lui-même — de chaleureux applaudissements.
Chez M. Huberti, la forme est plus austère : un
thème principal qu'il développe avec talent et
d'heureuses harmonies lui suffisent amplement
pour toute une mélodie ; il se dégage de sa musique
une impression de calme reposant qui enchante
et nous plaît. Pendant la nuit, Retour, Berceuse, ont
été particulièrement goûtés. M. Huberti était au
piano et il a été très applaudi.
Faut-il dire que M. Engel et Mme Bathori ont
délicieusement chanté? J. T.
— Une fort intéressante séance a été donnée par
Mlle Myrtle Elvyn, pianiste, et M. Arthur Hart-
mann, violoniste, qui ont exécuté la sonate en ut
mineur de Beethoven d'une façon remarquable.
Mlle Elvyn possède, du reste, un beau talent ;
elle l'a mis en valeur dans les Etudes symphoniques
de Schumann, où elle a déployé une force de sono-
rité extraordinaire chez une femme, un mécanisme
rompu à toutes les difficultés techniques en même
temps qu'un sentiment très juste et très artistique.
Non moins parfaite a été l'exécution de l'Im-
promptu, op. 36, du Scherzo, op. 3i de Chopin et de
la douzième Rapsodie de Liszt,, où l'artiste a mis
toute sa fougue.
Quant à M. Hartmann, c'est un violoniste de
grande valeur, possédant toutes les qualités violo-
nistiques désirables et qui a obtenu un très beau
succès dans la Çhaconne de Bach,
La deuxième séance promet donc d'être intéres-
sante. , L. D.
— La Libre Esthétique organise un cycle de
musique nouvelle en quatre auditions fixées aux
jeudis 2, 9, 16 et a3 mars, à 2 1/2 heures, et em-
brassant un choix d'oeuvres inédites ou récemment
parues des écoles belge, française, anglaise et
espagnole. L'interprétation en sera confiée, entre
autres, à M»»8 D. Demest et G. Marty, à M"« M.
Chabry, Blanche Selva, Evelyn Stuart, à MM. G.
SurJemont, E. Bosquet, E. Chaumont, A. Zimmer,
F. et E. Doehaerd, Baroen, H. Merck, etc.
— Le quatrième concert populaire, d'abord
fixé aux 18-19 mars, aura lieu huit jours plus tard,
les 25-26 mars. Au programme, la première audi-
tion en français du Rêve de Gérontius, oratorio pour
soli, chœur et orchestre de sir Edward Elgar. Les
soli seront interprétés par plusieurs des principaux
artistes du théâtre royal de la Monnaie, dont les
noms seront publiés ultérieurement.
i54
LE GUIDE MUSICAL
— Le quatrième concert d'abonnement Ysaye
aura lieu le dimanche 5 mars, sous la direction de
M. F. Steinbach, directeur du Conservatoire et des
Concerts du Gùrzenich de Cologne, avec le con-
cours de Mme Nina Faliero-Dalcroze, cantatrice.
Répétition générale la veille.
Pour cartes et abonnements, s'adresser chez
MM. Breitkopf et Hsertel, éditeurs, Montagne de
la Cour, 45.
— S. Exe. M. A. Gérard, ministre de France
à Bruxelles, vient de remettre les palmes d'officier
d'académie à notre directeur, M.Nelson Le Kime.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Nous avons eu au Théâtre
royal la première d'un nouveau drame lyri-
que en deux parties: M organe, de M. Aug. Dupont,
un avocat très estimé de notre ville, fils du regretté
Auguste Dupont, professeur au Conservatoire de
Bruxelles. Le livret, dont il est également l'auteur,
dénote une certaine inexpérience des exigences
scéniques.
La partition est d'un musicien de talent, bien
qu'elle émane d'un amateur. Elle a des pages d'un
rythme solide et d'une belle envolée lyrique; et
l'orchestration n'est pas malhabile. M. Dupont,
toutefois, abuse des cloches, des violons à l'unis-
son et des cuivres bouchés.
L'œuvre a été défendue avec conscience par
MM. De Lérick, Boulogne, La Taste, Viroux,
Maréchal, Mmes Fierens, Dhumon, Devallière et
Demasure et par l'orchestre, qui s'est tiré à son
honneur de sa tâche.
— A la troisième soirée de musique de chambre
organisée par la puissante Société des Nouveaux
Concerts, nous avons entendu le célèbre Quatuor
tchèque. Ces artistes ont interprété, avec cette
intensité d'émotion et cette perfection des détails
qu'on leur connaît : du Mozart, du Beethoven et
du Dvorak. Autant est correcte et respectueuse
l'interprétation des classiques chez eux, autant
aussi ils savent mettre de fougue, d'originalité
dans les rythmes et les nuances pour rendre leur
musique nationale. On leur a fait un superbe suc-
cès. Espérons que l'an prochain, les Nouveaux
Concerts recommenceront ces artistiques soirées.
Le 20 courant, nous entendrons aux Nouveaux
Concerts, le capellmeister M. Viotta et la can-
tatrice, Mme Plaichinger, en remplacement de
M. et Mme Mottl, empêchés.
A la Société d'Harmonie, nous avons eu une
intéressante soirée consacrée à la danse, avec
conférence de M. Bourgault-Ducoudray et Mlles
Sandrini et Delvil. G. Peelaert.
BARCELONE. — Le théâtre du Liceo vient
de donner la première des Maîtres Chanteurs de
Fv. Wagner. Cette œuvre fut montée pour la
première fois en Espagne, au Théâtre royal de
Madrid, avec grande faveur, en 1893. A Barcelone,
aussi, le succès a été grand, mais il faut reconnaître
que c'est plutôt l'ouvjage que l'interprétation qui
l'a mérité.
Les Maîtres Chanteurs avaient été préparés en peu
de temps. C'est le maestro catalan M. Ribera,
un jeune qui connaît à fond l'œuvre de Wagner,
qui a dirigé les répétitions. M. Ribera a beaucoup
travaillé et il a pu donner maints détails d'inter-
prétation juste, pour combattre les funestes habi-
tudes des chanteurs italiens.
L'interprétation a été tout au plus honnête. Le
rôle le mieux rendu était celui de Sixtus Beck-
messer (M. Bellatti) ; Hans Sachs (M. Pessina)
manquait d'émotion et de sens poétique, et Walter
était tout à fait insuffisant. Mme Lalia (Eva) a eu
des moments heureux.
De la part de l'orchestre, l'intérêt aurait pu
être grand, mais le chef, M. Balling (du théâtre de
Bayreuth), s'est borné à donner le mouvement géné-
ral de l'œuvre. Les morceaux d'ensemble ont fait
très grande impression, notamment le charivari du
2me acte et la grande scène finale.
A l'Association wagnérienne, MM. De Greef et
Crickboom ont donné la série (trois auditions) des
sonates de Beethoven pour piano et violon. Inter-
prétation admirable, où le sentiment du grand maî-
tre était rendu avec une justesse merveilleuse.
MM. De Greef et Crickboom nous ont fait voir
très clairement l'évolution du génie beethovénien,
et le public a été profondément ému de ces exécu-
tions impeccables et sincères.
Le succès de MM. De Greef et Crickboom a été
considérable. E. L. U,
LE GUIDE MUSICAL
■f-35
BORDEAUX. — Le gros morceau du 6me
concert donné par la Société Sainte-Cécile
était la deuxième symphonie de M. Vincent d'Indy.
Il faut une certaine audace pour porter un juge-
ment définitif sur cette œuvre après une seule audi-
tion. Si elle déconcerte certaines oreilles éprises
de tonalités précises, elle offre dans la variété de
ses rythmes, dans la richesse de son coloris, dans
l'agencement de ses thèmes, un intérêt qui va gran-
dissant jusqu'au point final. Notre impression est
que cette symphonie est quelque chose de rare —
et de très clair aussi, encore que complexe. Ré-
duite à son schéma le plus rudimentaire, elle nous
présente la lutte de deux thèmes, l'un composé de
quatre notes formant un intervalle de quarte aug-
mentée, rugueux à dessein, dans ses contours,
barbare volontairement, dans ses sonorités; l'autre
plein d'élévation et d'une relative simplicité. La
lutte se termine, après mainte péripétie, dans une
admirable apothéose musicale, par le triomphe du
thème qui symbolise la tradition. Dans le corps de
l'œuvre, il y a maint épisode d'une saveur très par-
ticulière, tel que l'intermède écrit dans la gamme
par tons entiers, la fugue dont la couleur sombre,
et l'allure mélancolique ont profondément im-
pressionné l'auditoire. En résumé, si les thèmes,
très originaux, manquent peut-être de flamme, ils
sont présentés avec un art, une science qui font de
M. Vincent d'Indy un des grands novateurs de
notre temps. La symphonie a été exécutée par
l'orchestre, dirigé par M. Pennequin, de façon à
en mettre toutes les beautés en lumière et à en ren-
dre la noble austérité. Nous remercions vive-
ment ceux qui ont eu l'idée d'inscrire au programme
cette œuvre dont peu d'orchestres encore ont osé
aborder l'étude. Le public demande à la réentendre
et nous aussi.
Après l'effort de la symphonie, repos pour les
musiciens de l'orchestre. Mlle Renié, qui a un très
grand talent de harpiste (elle a un son d'une ampleur
admirable alliée à une grande délicatesse), a inter-
prété diverses œuvres, parmi lesquelles nous ne
retenons que la gavotte en si mineur de Bach. Très
grand succès, rappels, etc.
Mlle Laporte. une des étoiles de notre Conserva-
toire, a chanté les Berceaux de Fauré et Y Absence
de Berlioz de sa voix chaude de mezzo. M. Arthur
a correctement exécuté le solo de violon du pré-
lude du Déluge. Comme sortie, la Marche des Fian-
çailles de Lohengr'm. H. D.
BRUGES. — Le deuxième concert du Con-
servatoire, retardé par suite d'une indisposi-
tion de M. César Thomson, a eu lieu le 2 de ce
mois.
M. Thomson, bien secondé par l'orchestre, que
conduisait M. Karel Mestdagh, a interprété d'abord
le concerto en n: mineur de J.-S. Bach; primitive-
ment écrite pour violon, cette œuvre n'est plus
guère connue que dans la transcription que. Bach
en a faite lui-même pour le clavecin. Le premier
allegro est d'allure sévère, mais l'adagio qui suit est
de toute beauté et d'un sentiment profond. Si le
soliste se joue des difficultés accumulées dans les
mouvements vifs, il a mis, en revanche, dans
Y adagio, une expression admirable, une émotion
contenue, tout à fait prenante.
M. Thomson a aonné ensuite la chaconne de
Vitali, une page d'une grande noblesse, puis La
Follia de Corelli ; l'on sait que le maître liégeois
s'est assimilé cette vieille musique italienne au
point que peu de violonistes pourraient lui en dis*
puter les secrets de beauté et d'interprétation. Son
style, d'une marmoréenne pureté, la noblesse de son
phrasé, y ont fait merveille autant que son impec-
cable mécanisme dans les variations de la sonate de
Corelli. Ajoutons qu'il avait trouvé en M. Edouard
Daneels, pianiste-accompagnateur, un partenaire
dont il n'a eu qu'à se louer.
Le succès de M. César Thomson a été considé-
rable ; l'on a pu admirer tout à la fois la radieuse
beauté de son programme et la maîtrise de son
interprétation. Il y avait sept ans que le violoniste
n'avait plus paru aux concerts du Conservatoire de
Bruges ; nous espérons que le comité ne nous fera
plus si longtemps attendre le plaisir d'applaudir
celui qui reste une des gloires de l'école belge du
violon.
Le programme orchestral de la soirée portait la
symphonie en sol mineur de Mozart, cette merveille
de grâce émue, de touchante mélancolie. M. Mest-
dagh et son orchestre en ont donné une excellente
interprétation, comme aussi de l'air de ballet en sol
de Rosamonde (Schubert) et de la brillante Marche
des Nobles du Tannhaiiser, qui terminait le concert.
Signalons également un charmant intermède
vocal : douze des Poèmes d'amour de Brahms, chan-
tés avec une justesse et un ensemble parfaits par
seize des meilleurs élèves de la classe de M. G.
Willemot.
Le prochain concert aura lieu le 16 mars, avec
le concours de Mme Ida Ekman, d'Helsingfors, qui
chantera des Lieder de maîtres allemands, ainsi
qu'une série des plus caractéristiques parmi les
mélodies de la jeune école finlandaise. L'orchestre
donnera, en première audition, la 2e symphonie du
compositeur brugeois M. J. Ryelandt.
L. L.
.156
LE GUIDE MUSICAL
G AND. — Le deuxième concert d'hiver nous
a fait apprécier une jeune artiste, Mlle Rueg-
ger, violoncelliste aujourd'hui célèbre, mais que
le public gantois ignorait à peu près complète-
ment.
Le morceau de résistance de son programme, un
concerto de Haydn, a été exécuté avec un charme
très pénétrant; le jeu est pur, sans beaucoup d'am-
pleur de son peut-être, mais d'une belle élégance ;
sa technique est d'une grande sûreté et elle l'a
d'ailleurs prouvé dans l'exécution de la cadence
dont Gevaert a orné le concerto de Haydn. Elle a
joué ensuite (fort bien accompagnée au piano par
Mlle Berthe Busini) YAbendlied de Schumann, la
Tarentelle de Popper et, en bis, le Rêve d'enfant de
Schumann, dans l'interprétation duquel elle a
mis un sentiment singulièrement prenant.
M. Edouard Brahy a obtenu son grand succès
habituel pour l'intelligence avec laquelle il dirige
l'orchestre. Son programme portait des fragments
du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. Rarement
l'œuvre a obtenu une interprétation plus vivante et
plus fouillée dans ses détails. MM. Radoux, pro-
fesseur de flûte, et Heylbroeck, professeur de cor
au Conservatoire de Gand, ont été parfaits, le pre-
mier dans le scherzo, le second dans le nocturne.
Les préludes de Y Ouragan de Bruneau semblent
avoir dérouté le public. Ces pages symphoniques
sont d'une belle richesse de coloris, l'orchestration
en est très chatoyante et leur exécution parfaite
mérite un accueil moins réservé ; Mort d 'Œdipe et
Gloire d'Athènes, tel est le titre d'une œuvre nouvelle
que M. Brahy avait inscrite à son programme et
dont il avait tenu à confier la direction à l'auteur,
M. Moeremans, professeur d'harmonie au Conser-
toire de Gand. L'œuvre est intéressante, encore
que l'intérêt mélodique n'y soit pas très soutenu.
Elle atteste chez son auteur une connaissance ap-
profondie du contrepoint et des ressources orches-
trales. La séance se terminait par l'ouverture de
Rienzi, dont M. Brahy élargit sensiblement le mou-
vement, ce qui est loin de nuire à l'impression géné-
rale du morceau.
Une belle ovation a été faite à M. Brahy après
chacune de ses exécutions. Marccs.
IIÉGE. — Le succès de la représentation de
^ Carmen avec M. Clément a fait décider celle
de Manon où l'excellent acteur jouera Des Grieux.
Ce ne sont pas les Liégeois qui bouderont à ces
soirées de haut intérêt, et M. Dechesne a de bien
bonnes raisons de les multiplier. L'objectif « re-
cettes » atteint, il restera de cet essai, pour la
troupe d'abord, la bonne leçon d'art prise au con-
tact de l'acteur parfait qu'est M. Clément, et pouf
le public, autre chose que le banal plaisir de
représentations médiocres où l'on doit faire la part
de tant de choses avant de s'avouer satisfait. Tout
directeur intelligent devrait suivre cette voie.
Combien d'œuvres du répertoire courant n'acquer-'
raient-elles pas une jeunesse nouvelle avec une:
interprétation un peu convaincue ! Et la réforme,
poursuivie jusque dans l'orchestre, l'y viendrait
guérir de sa nonchalance habituelle et lui rendre la
vigueur, la précision rythmique et la discipline
indispensables. P. D.
— L'originalité de la dernière audition du Con-
servatoire consistait dans son programme orches-
tral, exclusivement composé d'ouvertures : Y Ode à
Sainte-Cécile (Hsendel), Iphigénie eu Aulide, Don yuan,
Obéron et Vaisseau fantôme; six, ni plus ni moins,
présentées dans l'ordre chronologique. L'orchestre
était conduit par Mlle Juliette Folville, à qui l'on a
su gré de ses efforts, intelligents dans une entre-
prise qui eût donné à réfléchir à un Mottl ou à un
Richter.
Le public qui assistait nombreux à cette ^séance
a fait un légitime succès à Mlle Vercauteren, dont
les qualités vocales s'affirment plus complètes à
chaque audition.
Signalons la très intéressante soirée de sonates
organisée par MM. Bosquet et Chaumont à la salle
Renson. Franck, d'Indy et Beethoven y ont trouvé
de superbes interprètes, rivalisant de vaillance et
de bon goût, et chez qui la virtuosité s'associe à
une saine compréhension musicale. P. D.
NANCY. — Le festival Wagner que nous
offrait M. Ropartz a été une véritable joie
pour notre public. C'est bien aujourd'hui, je crois,
la musique de Wagner qui est la mieux adaptée
à la sensibilité de notre auditoire, celle qui exerce
sur lui l'action la plus immédiate et la fascination
la plus puissante. Nous sommes loin du temps où
Wagner passait pour abstrait, pour obscur, pour
trop savant. Il est, aujourd hui, « populaire » dans
le meilleur sens du mot. Et le public de la salle
Poirel se repose, en entendant du Wagner, de
P « austérité » des symphonies contemporaines !
Hâtons nous d'ailleurs de dire que ce beau concert
a uni tout le monde dans un même élan d'admira-
tion et que les amateurs de musique « austère »
n'ont pas été les derniers à acclamer M. Ropartz,
son orchestre et l'admirable chanteuse wagné-
1
LÉ GUIDE MUSICAL
15?
rienne,Mme Kutscherra, qui se produisait pour la
première fois à la salle Poirel. Son triomphe a été
complet, surtout quand, après avoir chanté en
français, par une délicate courtoisie, le Rêve d'Eisa,
elle nous a dit en allemand, avec une merveilleuse
netteté de diction et une extraordinaire intensité
d'émotion dramatique, l'air d'Elisabeth dans le se-
cond acte de Tannhàuser, puis l'admirable mélodie
des Rêves et enfin et surtout la Mort d'Iseult. C'est
vraiment une grande artiste, exubérante et pas-
sionnée, dont le tempérament impétueux et ro-
buste convient à merveille pour interpréter, dans
toute son élémentaire puissance la musique de
Wagner. Dans la Mort d'Iseult notamment, elle
atteint des effets d'une incomparable grandeur, et
sa plainte sublime, qui domine aisément l'orchestre
déchaîné, donne bien la sensation inoubliable de
l'amour plus fort que la mort. Notre orchestre,
excellent dans Tristan, a été peut-être supérieur
encore dans le troisième acte des Maîtres Chanteurs
et a interprété avec un sentiment profond le pré-
lude si émouvant et le magnifique choral. Au total,
tout le concert, depuis la première note jusqu'à la
dernière, a obtenu un succès enthousiaste d'une
parfaite spontanéité et restera dans le souvenir de
de tous comme l'une des plus belles auditions de
la saison. H. L.
NICE. — La première de l'Etranger vient
d'avoir lieu à l'Opéra municipal. Succès
considérable pour l'œuvre, l'auteur et les inter-
prètes. M.Vincent d'Indy conduisait lui-même l'or-
chestre, et il a été l'objet d'une manifestation de
sympathie en arrivant au pupitre. L'œuvre a été
montée par M. Saugey de façon admirable, et la
mise en scène fait grand honneur à l'excellent
directeur qui, depuis quatre ans, est à la tête de
l'opéra de Nice. M. Vincent d'Indy l'a très cha-
leureusement remercié des soins et du souci artis-
tique avec lesquels il a réglé les moindres détails.
Citons parmi les deux protagonistes: Mme Charlotte
Wyns et M. Layolle, qui ont donné un puissant et
très artistique relief aux rôles de Vita et de l'Etran-
ger. L'orchestre et les chœurs ont droit aussi à des
éloges. Mentionnons enfin le décor signé Contessa,
très beau. A la fin du spectacle, M. Vincent
d'Indy, acclamé, a dû venir deux fois sur la scène.
ROUEN. — Le Théâtre des Arts nous a
donné cette semaine deux nouveautés, tout
au moins pour Rouen. L'une est un ballet de
M. Schubert, les Fleurs animées, musique alerte et
facile, qui fut applaudie comme il convenait; l'autre
est plus intéressante, comme le sont de nombreuses
compositions de jeunesse des maîtres : il s'agit de
Maître Wolfram de Reyer. Mme Simonne d'Arnaud,
MM. Saimprey, Devargniès et Duprey y ont rem-
porté un succès justifié. Paul Petit.
STRASBOURG. — La dernière quinzaine
musicale a été particulièrement abondante en
concerts intéressants.
Elle a, entre autres, procuré à Strasbourg la
visite de M. Gabriel Fauré, que les membres de
notre Cercle artistique ont fêté comme composi-
teur et comme pianiste, à la deuxième séance de
musique de chambre donnée par MM. Schuster,
Finkes, Kloss et .Mawet. Le même soir, notre
Union chorale, dirigée par M. Ernest Mùnch,
s'est produite avec succès dans la vaste salle du
Ssengerhaus, de même que notre Philharmonie,
dirigée par M. Guillaume Riff, qui prêtait son con-
cours aux chanteurs et qui, Une fois de plus, a
franchement affiimé ses belles qualités orches-
trales.
A ce concert, de chaleureuses ovations ont été
faites à M. Daniel Herrmann, violoniste, de Mul-
house, qui, grâce à son talent de virtuose sincère
et de musicien très instruit, s'est si rapidement
conquis à Paris une place marquante parmi les
solistes applaudis au concert. Séduisant son
auditoire par son jeu élégant et souple, M. Daniel
Herrmann, qui possède une technique impecca-
ble, a fait valoir les différentes faces de son
talent en exécutant avec un chant exquis, un
style absolument classique et un mécanisme
achevé, des compositions pour violon de Lulli,
Max Bruch, Saint-Saëns et Schumann.
L'autre soir, M. Edouard Risler a donné ici un
récital qui a été un véritable régal d'art pur.
Le chœur du Conservatoire et l'orchestre munici-
pal, sous la direction de M. Franz Stockhausen,
ont fait entendre, à l'église Saint-Guillaume, la
Missa solemnis de. Beethoven, avec le concours de
Mlle A. Rappel, de Francfort, Mme Altmann-
Kuntz, de Strasbourg, M. Richard Fischer, de
Leipzig, et M. Gérard Zalsmann, de Hagen. L'or-
gue était tenu par M. E. Munch. Très belle solen-
nité artistique, qui fait tout honneur â M. F. Stock-
hausen, au quatuor solo réunissant des talents
dignes de considération, et à tous les exécutants de
cette grandiose Missa solemnis de Beethoven.
De grandes fêtes musicales auront lieu à Stras-
bourg, les 20, 21 et 22 mai prochain, avec le con-
cours d'un important chœur mixte et celui de l'or-
chestre municipal, renforcé pour la circonstance.
i$8
LE GUIDE MUSICAL
An programme : Les Béatitudes de César Franck,
les Impressions d'Italie de G. Charpentier, la
cinquième symphonie de G. Mahler, la Sinfonia
domestica de R. Strauss, la neuvième symphonie de
Beethoven, et la scène finale du 3me acte des Maîtres
Chanteurs, de Wagner. Les chefs d'orchestre MM.
R. Strauss, G. Mahler, G. Charpentier et F.Stock-
hausen se partageront la direction des ensembles
à cette première grande réunion musicale, dite :
Premier festival alsacien-lorrain, pour laquelle
sont engagés comme solistes : Mmes Jàrnefelt, so-
prano, Kraus-Osborne, alto ; MM. Gummène,
ténor, Marak, ténor, Paul Daraux, baryton, F. von
Kraus, basse, G. Zalsmann, baryton, F. Busoni,
pianiste, H. Marteau, et A. Kosmann, violonistes.
A. O.
TOULOUSE. — Le programme de la troi-
sième audition de la Société des Concerts du
Conservatoire était de nature à satisfaire tous ceux
qUi — quoique fidèlement attachés aux grands
classiques — ■■ veulent néanmoins connaître les pro-
ductions des compositeurs contemporains.
En tète du programme se trouvait la symphonie
en sol mineur de Lalo, d'un éclatant coloris orches-
tral, que M. Crocé-Spinelli interpréta avec une
conscience artistique des plus manifestes, souli-
gnant les moindres détails et mettant bien en
lumière chacun des motifs qui viennent se greffer
sur le thème initial.
Après la symphonie de Lalo, ce fut Beethoven
avec son concerto en ut mineur pour piano, qui
valut à Mme Roger-Miclos un beau succès pour le
style tout classique qu'elle mit au service de l'œuvre
beethovénienne et, plus tard, la charmante artiste
voyait encore ce succès s'accroître en traduisant,
avec un sentiment exquis, le prélude en ré bémol
de Chopin, V Ariette variée de Haydn, toute de sim-
plicité naïve, et la fougueuse treizième rapsodie de
Liszt, qui n'est pas la mieux venue de la série.
Chose curieuse, le public resta froid après l'exé-
cution de l'ouverture de Pauhts, de Mendelssohn.
J'avoue n'avoir pas compris celte indifférence. Il
faudrait bien s'entendre et admettre que l'on ne
peut pas toujours rêver et être amoureux ; et pour-
quoi ne serait-il pas permis au délicieux composi-
teur du Songe d'une nuit d'été de s'enfermer — ne
serait-ce que quelques instants — dans un temple
ou dans une église et de prier? Voilà ce que c'est
que de ne connaître Mendelssohn que par ses
romances sans paroles, ses concertos, ou ses
pièces pianistiques. L'éducation musicale des Tou-
lousains n'est donc pas arrivée à son apogée; il
appartient à la Société des Concerts de la para-
chever.
La petite chapelle franckiste — car elle existe à
Toulouse et promet de s'agrandir — était en liesse
à l'audition de Lénor, le poème symphonique de
M. Henvi Duparc, que l'orchestre interpréta de
façon sûre, affectant même de se complaire dans ce
persistant chromatisme qui, en dépit de tout, res-
tera la caractérisque du maître des Béatitudes, dont
M. Duparc semble être un des continuateurs. Le
public souligna de ses bravos cette œuvre, riche
en idées autant que captivante dans sa polyphonie.
M. Mirande, qui occupe au théâtre du Capitole
les fonctions de secrétaire général, est tout à la fois
un compositeur dont le modernisme — très accen-
tué — est fait pour plaire à ceux qui ont pour de-
vise : Toujours en avant. Sa ballade Mizoen, écrite
sur une légende La Fée des Neiges de M. E. Du-
coin, est un tableau descriptif traité en solide mu-
sicien de la nouvelle école. Et par suite, vous
voyez déjà l'audace des harmonies. Je me hâte de
dire que M. Mirande sait les résoudre de façon à
contenter tout le monde, et l'oreille et le diapason,
et la logique et le bon sens. Mlle Charbonnel, con-
tralto du théâtre du Capitole, se fit applaudir en
traduisant la partie vocale de l'œuvre de M. Mi-
rande, et l'orchestre cisela la partie symphonique
avec l'art dont il est coutumier. Au total, encore un
succès à l'actif de la Société des Concerts et de
M. Crocé-Spinelli, son distingué chef.
Omer Guiraud.
NOUVELLES
La première de Chérubin au théâtre de Monte-
Carlo a été un magnifique succès pour les auteurs,
MM. Jules Massenet, Francis de Croisset et Henri
Cain,et pour les interprètes, qui ont été longuement
ovationnés. Nous en rendrons compte dans notre
prochain numéro.
— On vient de publier la statistique des repré-
sentations d'œuvres de Wagner. En Allemagne,
elles ont eu i,5io représentations dans 82 villes,
partagées entre Lohengrin (3o2), Tannhàuser (289),
les Maîtres Chanteurs (191), le V aisseau fantôme (174),
la Walkyrie (146), Siegfried (n3), Tristan et Isolde (92),
le Crépuscule des Dieux (85), VOr du Rhin (81) et
Rienzi (37).
Hambourg vient en tête avec 74 représentations,
LE GUIDE MUSICAL
i5g
puis Berlin 72, Munich 67, Vienne 61, Dresde 57,
Breslau 5i, Francfort 48, Cologne 44, Magde-
bourg 42, Leipzig 3g, Wiesbaden 38, Augsbourg
3i, Brème et Mannheim 3o, Dusseldorf et Stras-
bourg 28, Zurich 26, Hanovre, Carlsruhe et Stet-
tin 25, Darmstadt, Graz et Prague 24, Rostock 22,
; Cassel, Kônigsberg et Mayence 21, Essen, Halle
Jet Wùrzbourg 20, Weimar 19, Ratisbonne et
Schwerin 18, Lubeck, Stuttgart, Dessau et
Posen i3, Aix-la-Chapelle et Dantzig 12, Bàle,
Coblence, Fribourg et Linz 11, Bromberg, Kiel
et Metz 10, etc.
U Anneau du Nibehmg a été représenté à Munich
5 fois, à Hambourg et à Vienne 4 fois, à Berlin,
Dresde, Carlsruhe, Magdebourg et Mannheim,
3 fois, à Francfort, Cologne, Leipzig et Schwerin
2 fois, à Augsbourg, Brème. Breslau, Bromberg,
Darmstadt, Dessau, Dusseldorf, Cassel, Ratis-
bonne, Rostock, Riga, Stuttgart, Weimar, Wies-
baden et Zurich 1 fois.
En Belgique, on a donné Tristan, Lohengrin, les
Maîtres Chanteurs, la Walkyrie, le Crépuscule des
Dieux, le Vaisseau fantôme répartis entre Bruxelles,
Anvers, Liège et Gand; en France, Lohengrin,
1 Tristan, Siegfried, la Walkyrie, les Maîtres Chanteurs,
le Crépuscule des Dieux répartir, entre Paris, Bor-
deaux, Lyon, Marseille et Nice; à Londres, Tristan,
Lohengrin, les Maîtres Chanteurs, la Walkyrie, le
Crépuscule des Dieux; l'Italie a eu Lohengrin, Y Or
du Rhin, Tristan, les Maîtres Chanteurs, le Cré-
puscule des Dieux ; la Hollande, Tristan, Lohen-
grin, la Walkyrie; la Suède, Tristan, Lohengrin,
le Vaisseau fantôme, la Walkyrie, Y Or du Rhin et les
Maîtres Chanteurs; la Russie, la Walkyrie, le Crépus-
cule des Dieux, Lohengrin, Tristan ; la Hongrie,
Lohengrin, Tristan, le Crépuscule des Dieux, la Wal-
kyrie, les Maîtres Chanteurs, Siegfried, Y Or du Rhin,
le Vaisseau fantôme, Tristan; l'Espagne et la Rou-
manie, Lohengrin.
— Nous avons annoncé que la maison Ricordi
et Cie avait institué un prix de i2,5oo francs des-
tiné à un opéra anglais. Les postulants doivent
être d'origine anglaise et sujets anglais. Les arbi-
tres sont MM. J. Benett, le critique du Daily Tele-
graph, Massenet et Tito Ricordi. La représentation
de cet opéra doit avoir une durée de 3 heures à
3 heures 1/2. Il sera joué à Covent Garden en
1907. Quarante p. c. des recettes seront réservés
au compositeur. Dernière date de l'envoi : 3i dé-
cembre 1906. Les poslulants doivent présenter un
résumé succinct du livret avant le 3o juin 1905. Ce
livret devra obtenir l'agrément des arbitres. La
nationalité du librettiste est laissée au choix des
concurrents.
— La société fondée à Berlin pour l'exploitation
d'un théâtre d'opéra-comique, et qui doit com-
mencer ses représentations en octobre t^^5 avec
Le Jongleur de Notre-Dame de Massenet, vient de
remplir les dernières formalités officielles. Elle
prend la dénomination suivante : « Opéra-comi-
que, société à responsabilité limitée ». Le direc-
teur, M. Hans Gregor, dont l'activité et le sens
artistique ont été déjà appréciés à Elberfeld, dis-
pose d'un capital constitutif de près de 700,000 fr.
— Mlle Palasara, dont nous avons eu plus d'une
fois l'occasion de louer la voix chaude, le grand
style et le goût parfait, s'est fait entendre, à la
Société philharmonique de Madrid (les u et i3
janvier), dans deux concerts que nous tenons à
signaler, car ils ont fait une impression particuliè-
rement artistique. La digne élève de Mme Viardot
a chanté, en trois langues, du Schumann (Ich grolle
nicht, Widmung), du Schubert (La Jeune Fille et la
Mort), du Gluck (Dansa Pastorella). du Lulli (l'air
à.' A tys) et du Monteverde ; puis du Brahms et du
Gounod, et des pages plus modernes de Massenet,
Fauré, Paladilhe, René, Denza, etc. Enfin, un
psaume de Mendelssohn et la Pentecôte de Bach.
Ici, elle était accompagnée de M. J. Bizet, qui
a exécuté sur l'orgue Mustel diverses pièces de
Bach, Franck, Saint-Saëns, Hsendel, Mustel, etc.
M. J. Gallon accompagnait l'un ou l'autre au
piano. — Depuis, une séance d'élèves de M. S.
Riéra, le 5 février, a permis encore d'entendre
Mlle Palasara, dans diverses mélodies, de S. Riéra
surtout.
pianos et.Darpes
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1D ris : rue ou /Ë>afl, 13
ECROLOGIE
Nous apprenons la mort récente de Mlle Cé-
line Litvinne, la sœur aînée de la grande artiste
Mme Félia Litvinne et de Mme de Reszké. Le Guide
musical présente à la famille ses plus sympathiques
condoléances.
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S'adresser à M. F. Choisy, boulevard de la Cita-
delle, à Gand.
i6o
LE GUIDE MUSICAL
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Rigoletto ; Daria; Tristan et Isolde ;
Faust; Le Prophète.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Vaisseau fantôme ; Car-
men ; Xavière, Les Rendez- vous bourgeois; Le Jongleur
de Notre-Dame, Cavalleria rusticana; Le Vaisseau
fantôme ; Orphée ; Le Jongleur de Notre-Dame, Caval-
leria rusticana; Orphée.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice Cpre-
mière représentation; La Petite Bohème.
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — Faust;
La Basoche; Hérodiade; Le Jongleur de Notre-Dame,
Les Noces de Jeannette; Lakmé; Hérodiade; Carmen.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Lundi 20 février. — Salle Pleyel : Récital Wanda Lan-
dowska, Voltes et Valses.
Jeudi 23 février. — Au Nouveau-Théâtre, Concerts
Cortot : La Légende de Sainte-Elisabeth de Liszt; exécu-
tion intégrale avec le concours de Mmes Eléonore Blanc,
L. Hess, MM. Paul Daraux, Jan Reber.
Vendredi 24 févier. — A 9 h., au Nouveau-Théâtre :
Sous le patronage de Mllle la duchesse d'Uzès et au
bénéfice de ses œuvres de charité, concert consacré aux
œuvres de F. d'Azevedo, avec le concours de M. Ernest
Van Dyck, de Mlle Jeanne Hatto, de l'Opéra, et de
l'orchestre et des chœurs de l'Association des Concerts
Lamoureux sous la direction de M. Camille Chevillard.
BRUXELLES
Lundi 20 février. — A 8 y2 h., Salle Le Roy, concert
par Mlle Irma Hustin, pianiste, avec le concours de
Mlle Henriette Goossens, cantatrice et de M. Henri
Merck, violoncelliste.
— A 8 J4 h., Salle Erard : Concert donné par Mlle
Jeanne Pierkot, harpiste, et M. Emile Devlieger, vio-
loncelliste, avec le concours de Mlle Alice Cholet,
violoniste.
Mardi 21 février. — A 8 % h., Grande Harmonie :
Troisième concert de la Société symphonique des Nou-
veaux Concerts, sous la direction de M. Louis FI. De-
lune; soliste : M. Arthur De Greef. Au programme :
Ouverture de Léonore n° 3; Concerto en ré mineur, J.-S.
Bach; Première symphonie, Schumann; Concerto en
ut mineur, Mozart ; Marche hongroise, Berlioz.
Mercredi 22 février. — A 8 J^ n-; Salle Erard : Séance
de sonates par MM. Bosquet et Chaumont (Sonates de
Bach, de Brahms et de Vincent d'Iudy).
Samedi 25 février. — Salle Erard : Audition d'oeuvres
de M. A. Wilford, organisée par le Cercle du Quatuor
vocal et instrumental. Au programme : Trio pour piano,
violon et violoncelle, Deux airs polonais pour violon, un
Cycle à quatre voix et en deux parties : Chansons de mai
et Bises d'automne, des Lieder et un quatuor vocal fla-
mand inédit, Droomerij op de Schelde.
Dimanche 5 mars. — A 2 h., Théâtre de l'Alhambra :
Quatrième concert d'abonnement des Concerts Ysaye
sous la direction de M. F. Steinbach, directeur du
Conservatoire et chef d'orchestre des Concerts du Gûr-
zenich de Cologne, avec le concours de Mme Nina
Faliero-Dalcroze, cantatrice. Programme : Symphonie
n° 7, Beethoven ; Air de Suzanne et Air de Chérubin
des Noces de Figaro, Mozart (Mme N. Faliero-Dalcroze) ;
Concerto brandebourgeois pour orchestre à cordes,
Bach; Air de Marguerite de la Damnation de Faust, Ber-
lioz (M™e N. Faliero-Dalcroze); Ouverture des Maîtres
Chanteurs, Wagner.
Vendredi 10 mars. — Salle Erard, Deuxième séance
de sonates pour piano et violon donnée par MHe Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. (Sonates en la ma-
jeur, Bach; ut mineur op. 3o, Beethoven; sol majeur
op. 78, Brahms.
Dimanche 12 mars. — A 2 yz h., Théâtre de l'Alham-
bra : Piano-récital par M. Mark Hambourg.
Mercredi 15 mars. — A 8 Yz h., Salle de la Nouvelle
Ecole Allemande : Deuxième séance du Quatuor
Zimmer. (Quatuors en mi majeur, Wittowsky ; fa ma-
jeur, Schumann; mi bémol majeur, Mozart).
ANVERS
Lundi 20 février. — A 8 yz h., Théâtre Royal : Nou-
veaux Concerts, sous la direction de M. Henri Viotta,
directeur du Conservatoire de La Haye, avec le con-
cours de Mme Hilka Plaichinger, de l'Opéra de Berlin.
Programme : Ouverture d'Anacre'on, Cherubini; Sym-
phonie en ut mineur, Beethoven; Air de dona Anna
(Don Juan), Mozart; Enchantement du Vendredi- Saint
(Parsifal), R. Wagner; Air de Fidélio, Beethoven; Ou-
verture du Vaisseau fantôme, Wagner.
Mercredi 22 février. — A la Société royale de Zoologie,
Concert avec le concours de M. A. Godenne, violon-
celliste.
LIÈGE
Dimanche 19 février. — A 3 yz h., au Conservatoire
royal, troisième audition. Programme : Symphonie en
sol majeur, d'après le livre 3 des Métamorphoses d'Ovide,
Cari Ditters von Dittersdorf; Concerto en ut majeur
pour deux pianos et instruments à cordes, J.-S. Bach
(Mlles André Delchef et Léonie Dosogne) ; Concerto en
si bémol majeur, op. 46, pour alto solo et orchestre,
Hans Sitt (M. Jean Rogister); Symphonie en ré mineur,
op. 21, Sig. Stojowski. L'audition sera dirigée par M.
Charles Radoux.
LILLE
Dimanche 19 février. — Concert populaire, séance con-
sacrée aux œuvres de Théodore Dubois, directeur du
Conservatoire de Paris, et sous sa direction. Œuvres
principales exécutées à cette séance : Adonis, poème
symphonique; Quatre pièces pour chant et orchestre
(Mme Georges Couteaux); Concerto pour violon et
orchestre par M. Gabriel Wuillaume, de la Société
des Concerts du Conservatoire.
Dimanche 12 mars. — Quatrième concert de la Société
de musique avec le concours de Mme Marie Bréma.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlle Marcella Pregi, MM. Mauguière, Daraux et L.
Nivette, Mmes Buen, Artôt, et M. Vander Haeghen.
LE GUIDE MUSICAL 161
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BRUXELLES
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Tome X. —
TRAGÉDIE en 5 actes et un prologue, paroles de LECLERC de la BRUÈRE
Ce Tome est consacré à un chef-d'œuvre de Rameau dont le succès fut considérable et
dont la réputation s'est maintenue, à juste titre, jusqu'à nos jours.
Rameau ayant en quelque sorte écrit trois fois son ouvrage, tant les changements furent
importants à la reprise de 1744, les éditeurs ont été amenés à publier, en un second volume, les
nombreux appendices concernant Dardatius.
Sous la haute direction de M. C. Saint-Saëns, la revision générale et la réduction de piano-
ont été faites par M. Vincent d'Indy, dont la compétence et la connaissance des maîtres anciens
sont incontestées.
Trois hors-texte servent à illustrer cette publication de luxe : i° un portrait de Rameau par
Carmontelle; 20 un fac-similé de costume du temps; 3° la reproduction du frontispice de
l'édition de 1739.
Le volume est complété par un commentaire bibliographique dû à la plume autorisée de
M. Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra.
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5ime année. — Numéro 9.
26 Février 1905.
CH ÉRUBI
Comédie chantée en trois actes, poème de MM. Francis de Croisset et Henri Cain, musique de M. J. Massenet. (1)
Première représentation donnée, le 14 février 190S, au théâtre de Monte-Carlo.
ON n'a jamais bien su l'histoire
du Chérubin de M. de Croisset,
reçu à la Comédie-Française
■il y a quatre ans, étudié, monté,
puis retiré après la répétition générale.
Bruxelles en a eu réellement la primeur
il y a deux ans, et le succès qui a été fait à
l'ouvrage en a rendu encore plus incom-
préhensible l'abandon subit et, certaine-
ment, non volontaire. C'était une jolie
fantaisie, un peu précieuse à la façon de
Rostand, et d'une négligence élégante et
tout aristocratique.
A peine né, Chérubin a eu tout de suite
un enfant, qui ressemble de loin à son
jeune père, mais qui a gardé son nom.
Parti de Paris, où il a été conçu, passant
par Bruxelles, où il a vu le jour, pour arri-
ver à Monte-Carlo, il a beaucoup changé
en route. M. de Croisset, avec l'aide et la
collaboration de M. Henri Cain, l'a tout
transformé. Jadis amoureux timide, Ché-
rubin est devenu hardi, entreprenant
auprès des femmes. Il a dix-sept ans : bel
âge pour les conquérir quand on ose tout
oser. Il fait la cour à Nina, la pupille de
son précepteur, à la Comtesse, à la
(1) Partition piano et chant au Ménestrel, 2bis, rue
Vivienne, Paris,
Baronne, à tous les jeunes minois qu'il
rencontre ou, plutôt, qui vont au-devant
de lui. Ivre de la vie, poète par l'amour,
mais économe de ses vers, il adresse son
billet galant, toujours le même, à la beauté
qui s'offre. Chacune est trompée tour à
tour, le croira peut-être, mais s'en conso-
lera pourvu qu'elle soit aimée d'un si
charmant chevalier. Car il vient d'obtenir
son premier grade. C'est fête au château,
un château en Espagne : il a doublé les
gages de la valetaille et fait remise aux
paysans d'un an de dîme et de fermage.
« Folie que tout cela! » s'écrient le Duc,
le Comte et le Baron, qui ne pardonnent
pas tant de prodigalités. Et quand ils
apprennent que Chérubin fait venir l'Enso-
leillad, la fameuse ballerine de Madrid,
maîtresse du roi, ils ne se sentent plus de
rage et de dépit. « Si déjà l'on t'envie,
murmure le vieux précepteur, surnommé
le Philosophe, qui plus tard t'aimera? —
Moi, répond Nina; c'est mon ami, je le
= défends et- je l'aime. » Chérubin accourt,
gris de jeunesse et de printemps, vole un
baiser de-ci, de-là, courtise les fillettes et
'nobles dames, 'les femmes 'l'une' -après
l'autre et toutes à la^ fois,. oublie sa mélan-
colie, reprend sa gaîtê et, à' là vue de
164
LEGU1DE MUSICAL
l'Ensoleillad qui passe dans sa chaise à
porteurs, enthousiaste, il lui adresse à
pleines mains les baisers les plus pas-
sionnés.
Au deuxième acte, le rideau s'entr'ouvre
et laisse voir la cour-jardin d'une vieille
posada. Voyageurs, voyageuses y affluent;
soldats, grands seigneurs s'y coudoient, et
l'on n'est pas trop surpris que la Baronne
et la Comtesse se rencontrent avec la dan-
seuse et des filles peu farouches, tant la
fantaisie règne en ce pimpant livret. Ché-
rubin fait trop d'envieux; il n'a qu'à se
pencher pour trouver des lèvres à la hau-
teur de ses lèvres; un pareil triomphe ne
va pas sans quelque querelle : un dragon
le provoque, il met flamberge au vent,
l'Ensoleillad s'évanouit, le duel est arrêté,
l'on se tend la main, la ballerine reprend
ses sens, danse et chante, la foule se dis-
perse, Chérubin dit sa chanson d'amour
sous les fenêtres de l'Ensoleillad, elle lui
répond, amoureuse et ravie, la Comtesse
et la Baronne s'imaginent que la chanson
est pour elles et lui jettent du balcon un
gage intime, leurs jaloux de maris accou-
rent et voilà encore des duels pour l'en
demain.
L'en demain (laissez moi l'emploi de ce
vieux mot si logique) est jour de tristesse.
Chérubin, réfugié dans une pièce de la
posada, achève d'écrire son testament, il
le lit au Philosophe; il lui lègue son châ-
teau et ses domaines, il donne à l'Ensoleil-
lad sa fortune et à Nina, presque sa
fiancée, sa bague qui aurait pu s'échanger
en une alliance. Ce mariage, le Philosophe
l'a toujours rêvé; il faut que son élève sorte
vivant de ses duels; il lui enseigne une
botte secrète; mais les duels n'auront pas
lieu, les maris apprennent, en présence de
leurs femmes, que c'était pour l'Ensoleillad
que chantait Chérubin et renoncent à se
battre ; la Comtesse et la Baronne se mo-
quent du galant, et, dernière déception,
l'Ensoleillad, sur le point de rejoindre son
royal amant, passe sans reconnaître son
amoureux d'une nuit. C'est son premier
chagrin; il durera peu, puisque Nina vient
le consoler et tomber dans ses bras. Il
oubliera? Qui sait? Il a l'âme de don Juan,
Nina peut-être sera son El vire, et le rideau
se ferme lentement sur le prélude ironique
de la sérénade de Mozart.
Ce joli poème, léger et non frivole, ver-
sifié avec goût, a dû singulièrement plaire
à Massenet. La jeunesse d'un livret qui
fleure si bon convenait le mieux du mondé
à la jeunesse éternelle et vraiment miracu-
leuse du maître. En écoutant cette musique
qui a comme des ailes, quel auditeur pen-
serait à la longue et illustre carrière -du
compositeur? Est-il un musicien en France
et à l'étranger apte à concevoir, à produire
des œuvres d'une sève aussi généreuse? Ne
parlez pas de fleurs d'arrière-saison; cou-
leur, parfum, tout dans Chérubin a la fraî-
cheur et la grâce du printemps. On dirait
que Massenet est encore à cet âge heureux
où la mélodie jaillit comme d'une source
intarissable; elle s'épanche sans effort,
fécondant les prairies qu'elle arrose et qu'a
su disposer l'habileté prévoyante du maître.
Car Massenet sait ce qu'il fait et toujours
ce qu'il va faire. Cette sûreté dans l'exécu-
tion est prodigieuse, mais cette fécondité
mélodique l'est plus encore.
Des mélodies, vous en trouvez partout.
Au premier acte, l'air de Nina : « Il n'a pas
un front soucieux » d'une si belle franchise
tonale; celui de Chérubin : «Je suis gris, je
suis ivre! » qu'un dessin d'orchestre rend si
entraînant; un autre de Nina; « Ah! Ché-
rubin, c'est mal », dont la clarinette sou-
ligne la mélancolie ; la fête pastorale, où je
note un andantino qui ne module pas et
n'en est que plus charmant, le motif: « Phi-
losophe, dis-moi pourquoi mon cœur se
dérobe », qui a été bissé ainsi que l'air
« Lorsque vous n'aurez rien à faire » qui ter-
mine le premier acte sur une note d'une
sentimentalité naïve et d'une charmante
simplicité.
Le deuxième acte est celui que je pré-
fère peut-être, s'il est permis de choisir une
partie dans un tout aussi harmonieux.
Après l'air de bravoure de l'Ensoleillad :
« Plus de soucis, de la gaîté », et la manola
d'une prestigieuse envolée rythmique, vient
l'adorable duo du balcon, scène d'une
LE GÙID2 MUSICAL
cèS
poésie prenante et d'un charme irrésistible.
Massènet s'est bien gardé d'appuyer sur la
passion, il a effleuré les cœurs et les a
caressés de sa musique charmeresse : un
sourire prochain qu'on devine à travers
des larmes, une tristesse bientôt consolée
qui va se Changer en mélancolie et devenir
presque du bonheur.
Le dernier acte, trop court pour notre
plaisir, renferme encore bien des pages à
retenir et qui seront retenues, soyez-en
sûr ; l'introduction symphonique, l'air du
testament, l'aubade si curieusement accom-
pagnée par les guitares et les mandolines,
le dialogue si touchant entre Chérubin et
le Philosophe, qui a été bissé, et surtout
l'air : « Je ne pleure plus », chanté à ravir et
qu'on a voulu également réentendre.
Parler des neuves et fines harmonies de
Chérubin et de l'instrumentation, qui a par-
fois les teintes irisées du pastel et aussi le
coloris chatoyant de l'aquarelle moderne,
me paraît chose superflue : on sait que
Massènet a la palette la plus riche et la
plus variée. Ce qu'on peut dire, c'est que
jamais il n'a fait preuve d'une pareille
maîtrise et d'une plus surprenante légèreté
de main. Un de nos confrères, et non des
moindres, M. de Fourcaud, critique cour-
tois, mais sans complaisance, a dit de
Chérubin : « Par une ingéniosité dont je le
loue, il (Massènet) a pensé parfois, en ses
vifs dessins d'orchestre, au glorieux com-
positeur des Noces de Figaro, à l'exquis
Mozart en personne. Cette preuve d'esprit
n'est point pour nous surprendre, mais
nous l'enregistrons avec plaisir, d'autant
plus que les mozartismes en question n'ont
rien du pastiche. »
L'œuvre nouvelle, de pure essence fran-
çaise par la mesure, le goût et la clarté,
mérite l'éclatant succès qu'elle a remporté.
Les joyaux qui ornent la couronne de
Massènet sont si nombreux, qu'ils ne
laissent plus de place pour permettre d'en
ajouter un autre ; mais Chérubin les fera
resplendir d'une lumière plus vive, éblouis-
sante comme l'éclair, comme un éclair qui
serait durable.
L'ouvrage de Massènet a été monté par
M. Gunsbourg, le directeur le plus alerte,
le plus ingénieux et le plus inventif qui soit
aU monde; en deux semaines — les jour-
nées comptent triple à ce théâtre de Monte-
Carlo — les rôles et les chœurs étaient
appris et sus, et, après trois lectures de
l'orchestre et quatre répétitions d'ensem-
ble, avait lieu la répétition générale
en présence de la critique parisienne.
La mise en scène, les décors, les costumes
sont d'une richesse inoubliable ; l'or-
chestre, sous la direction artistique de
M. Léon Jehin, est digne de nos meilleures
scènes lyriques, et l'interprétation, réunis-
sant les noms les plus aimés de l'Opéra-
Comique, est de tout premier ordre.
Comme la vedette est inusitée sur les
affiches du théâtre monégasque, les artistes
réputés n'hésitent pas à accepter les rôles
les plus modestes. C'est ainsi qu'on peut
voir Mme Deschamps-Jehin, MM. Lequiên,
Nerval, Chalmin prêter le concours de
leur talent et contribuer ainsi à un ensem-
ble des plus rares.
Mlle Mary Garden est délicieuse en tra-
vesti ; sans perdre de sa féminité, elle sait
donner au personnage de Chérubin une
allure gamine, un ton d'impertinence et de
gâîté qui lui valent d'exceptionnels applau-
dissements. Mme Marguerite Carré chante
le rôle de Nina avec une expression toute
virginale et une ingénuité voulue, et obtenue
à force d'habileté et d'art, qui conquièrent
tous les auditeurs. Par le timbre clair et
sonore de sa voix plus que par sa beauté et
la grâce de son sourire et de ses attitudes,
Mll£LinaCavalieri (l'Ensoleillad),sait plaire
non seulement au public mondain de Monte-
Carlo, mais aussi aux juges prévenus et vite
désarmés. Enfin, M. Renaud, comédien qui
se renouvelle et se transforme dans chacun
de ses rôles, chanteur qui n'oublie pas et
ne veut pas oublier que l'artiste complet
doit rester maître de sa voix et lui faire
quelques sacrifices, M. Renaud, dans la
figure attendrie du Philosophe, se montre
égal à lui-même, c'est-à dire parfait.
La première représentation de Chérubin
était donnée au bénéfice de la colonie fran-
çaise de Monaco; la recette a dépassé
i66
LE GlJTbE MUSICAL
soixante mille francs. En acclamant Mas-
senet, le public a acclamé aussi le prince
Albert. Jamais hommage plus juste n'a été
rendu à ce véritable mécène ; sait-on que le
souverain de ce petit Etat, dont la fortune
est relativement modeste, abandonne,
chaque année, les deux tiers de son revenu
au profit de la science et de l'art?
Julien Torchet.
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS DU CONSERVATOIRE. -
La symphonie en si bémol de Haydn est une de
ces œuvres délicates et de pondération parfaite
qu'écrase toujours un peu la splendeur sonore de
nos orchestres de quatre-vingts musiciens. Elle
n'en porta pas moins une joie sans mélange dans
l'âme pure des plus fidèles abonnés du Conserva-
toire, dont les applaudissements nourris saluèrent
aussi bien la verve pimpante de Y allegro que la
profondeur aimable de Yadagio, la grâce du minueïto
ou la bonne humeur à\\ fatale.
L'exécution du prologue et des quatre premières
Béatitudes de César Franck fut bonne de la part
de l'orchestre et excellente de la part des
chanteurs. M. Cornubert, ténor au style sûr,
à la technique parfaite et dont 1'jnterprétation
dénote un goût et une intelligence hors de
pair, se fit chaleureusement applaudir dans les
phrases célestes" du prologue comme dans l'ar-
dente imploration : Puisque partout oit, nous entraîne,
dont il sut graduer les effets avec beaucoup d'art.
Son succès fut partagé par M. Daraux, absolument
admirable dans la Voix du Christ, qu'il chante avec
une grandeur émue et une onction pénétrante bien
difficiles à surpasser. Les chœurs furent à la hau-
teur de leur tâche, et, sous la direction tour à tour
vigoureuse et nuancée de M. Marty, l'œuvre
admirable de Franck put se développer dans toute
sa religieuse et sereine beauté.
Le concert se terminait par l'ouverture de la
Flûte enchantée, jouée avec une précision et un
rythme au-dessus de tout éloge. J. d'Offoël.
CONCERTS LAMOUREUX. — La séance
a débuté par l'ouverture du Tasse de M. Eugène
d'Harcourt. On sait que cet opéra, exécuté à
Monte-Carlo il y a quelques années, et depuis
notablement remanié par le compositeur, du moins
pour le dernier acte, est sur le point d'être repré-
senté simultanément à Anvers et à Bordeaux. La
page importante et développée qui lui sert d'intro-
duction renferme, suivant l'usage classique, plu-
sieurs thèmes de l'œuvre même, celui surtout qui
est destiné à caractériser l'amour idéal conçu par
Léonore d'Esté pour le grand poète italien. Ces
motifs se croisent et se fondent, dans routes les
sonorités instrumentales, sur un fond d'harmonie
très coloré, très vivant ; ce sont des échos de fête
d'abord, des fanfares variées de timbres ; puis la
mélodie principale, élégante et poétique, est des-
sinée par les violons seuls, avant d'être reprise
en tutti; elle revient encore, après de nouveaux
développements plus rapides, mais avec les cors,
puis d'autres instruments. C'est une page très
riche de tons, un peu bousculée cependant, si l'on
peut dire, où trop de choses se pressent et s'étouf-
fent, mais intéressante d'ailleurs par cette fièvre
même.
Le cinquième concerto pour piano de Beetho-
ven, en mi bémol (1809), a été exécuté ensuite, et
dans la dernière perfection, par M. Emile Sauer.
Dans son originalité si pittoresque, dans sa poésie
délicate et enjouée, l'œuvre ne pouvait que servir
admirablement le célèbre pianiste de Hambourg
et de Vienne, dont le talent si pur, si classique,
d'une autorité si absolue, dont le jeu si plein de
pensée, sans effets faciles ni tours de force de
mauvais goût, sont particulièrement en valeur
quand ils sont mis au service des maîtres les plus
profonds et les plus éloquents de l'art pianistique.
La symphonie avec chœurs a terminé le con-
cert, toujours rendue avec beaucoup de soin, et
même, pour finir, avec un brio extrême. La der-
nière partie est certainement un des morceaux
auxquels M. Chevillard tient le plus dans son
répertoire. Chaque fois, il s'efforce d'en améliorer
.encore l'exécution, si difficile pour les solistes en
particulier. Cette fois, au baryton de M. Frôlich,
il a fait succéder l'emportement chaud, vibrant de
M. Gibert, pour le ténor, gardant d'ailleurs tou-
jours la voix si pure de Mme Charlotte Lormont
pour dominer l'ensemble à l'aigu. Du reste, c'est
une impression bizarre peut-être, mais il m'a sem-
blé que l'exécution de la symphonie se perfection-
nait de morceau en morceau. Le premier était
vraiment un peu gris, comme une bonne gravure
qui a été tirée à trop d'exemplaires ; le second a
LE GUIDE MUSICAL
167
repris couleur, et surtout le troisième, avant le
grand style du dernier. H. de C.
CONCERTS COLONNE. — Le concert du
Châtelet débutait dimanche dernier par l'ouver-
ture de Léonore n° 3. On sait que Beethoven écrivit
pour son oeuvre quatre ouvertures ; celle-ci, qui
date de 1807 (peut-être 1808) ne parut qu'en i835,
après la mort du compositeur, sous le numéro d'op.
i38. L'exécution donnée par M. Colonne en fut
aussi solide que brillante.
La grande attraction était le concerto en ré ma-
jeur pour violon de Brahms, exécuté par M. Hugo
Heermann.
M. Hugo Heermann l'a interprété de façon à
se faire longuement rappeler, et avec justice. Maî-
tre de toute la technique de son instrument, il
semble ignorer les difficultés, ou mieux il s'en joue.
Il possède tout... sauf peut-être l'émotion commu-
nicative. A quoi tient la transmission de l'émotion
par le virtuose ? Curieux problème de psychologie
musicale que nous n'avons pas à élucider ici. La
sonorité de M. Heermann, même dans la douceur,
a quelques chose qui veut s'imposer et contre quoi
l'auditeur se met en garde... Mais il est si presti-
gieux d'autre part !.. Il faut applaudir à son succès
et le louer comme un admirable virtuose.
De Brahms à Gabriel Fauré, la transition est
curieuse : autant la science de l'un nous est attes-
tée par toutes ses notes, autant celle de l'autre met
de grâce hautaine à se laisser oublier. Quel art
aristocratique et fin ! Quelle habileté... et quel
scepticisme ! Clair de lune. Le décor est exquis et
tel qu'en veulent des âmes un peu lasses : tout en
nuances, rien de heurté ni de désharmonique. Mu-
sique et poésie y semblent revêtues de voiles mau-
ves, un mauve qui serait comme le regret d'un ton
plus vif et plus franc. Ici, rien de vif, ce serait
choquant; rien de trop franc non plus : cet art est
si subtil ! Mais le délice d'une chose qui s'apprête
à n'être plus ce qu'elle est, de la musique à la li-
mite de ce qui est la musique. Clair de lune. Les
vers — - si infiniment adorables — sont de Verlaine,
musicien du verbe. Ils ont inspiré ce charmeur, ce
poète qu'on se défend d'aimer : M. Gabriel Fauré.
L'interprète, Mlle Jeanne Leclerc, se montre
plus à son aise, et tout à son avantage, dans la jolie
romance du Timbre d'argent de Saint-Saëns : « Le
bonheur est chose légère... » C'est d'une mélan-
colie.
Pour clore la séance, la Vie du poète, cette exu-
bérance musicale, cette folie de vivre, qui s'achève
par le mot de toute vie : « Pleure ».
M. Daubresse.
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE. —
Le 325me concert donné le 18 février, a été un
triomphe pour M. Claude Debussy. Bien que ce
compositeur, planant d'habitude dans les nuées
vaporeuses de l'art indécis, fût représenté cette
fois par deux morceaux bien rythmés et assez ca-
ractéristiques, Masques et Isle joyeuse, le programme
comportait des œuvres issues de son école. En
valent-elles mieux ou moins ? Je n'ose me pronon-
cer. Ceux qui aiment M. Debussy l'adorent, ceux
qui ne l'aiment pas l'exècrent. Il y a quelque dix
ans, je ne pouvais souffrir aucune de ses œuvres ;
aujourd'hui, l'accoutumance me les a rendues sup-
portables, bien mieux, je vais les réentendre, attiré
par une sorte de plaisir défendu, presque une jouis-
sance vicieuse. J'ai peur d'aimer la musique de
M. Debussy et aussi celle de ses imitateurs. Une
suite pour piano, En Languedoc, de M. de Séverac,
dont un morceau a été bissé pour sa valeur et pour
la belle interprétation qu'en a donnée M. Vinès,
m'a beaucoup plu, parce qu'elle ne cesse pas d'être
musicale. Heures d'été, préludes et mélodies de M.
Albert Groz, m'ont paru, plus encore que l'œuvre
précédente, inspirées de la manière imprécise de
l'auteur de Pelléas et Mélisande : le piano esquisse une
rêverie, la voix la continue, l'instrument tente de
l'achever, mais tout recommence alternativement
(amant alterna Camœnœ), et c'est triste, maladif et
prenant quand même. D'ailleurs, M. Jean Périer,
un grand artiste qui dispose de peu de moyens, a
chanté ces Heures d'été, ces heures mélancoliques,
avec une telle intensité d'expression, et M. Bastin
les a si bien accompagnées, que j'ai pu m'abuser
sur le mérite du compositeur : ce n'est pas la pre-
mière fois qu'un interprète égare mon jugement.
Un adagio en forme de fugue pour quatuor à cordes
de M. Saint-Réquier, m'a semblé passablement
languissant, et deux mélodies de M. Ravel m'ont
intéressé. Je n'en dirai pas autant d'un quintette
pour hautbois et cordes de M. E. Lacroix, parce
que je n'y ai rien compris du tout; une seconde
audition me le ferait peut-être mieux apprécier.
L'oreille s'habitue à tant de choses folles ! Avant
d'arriver au délicieux « Que sais-je? » de Montai-
gne, il faut parfois passer par de bien douloureuses
épreuves. Je vous jure que je les supporterai avec
patience et bonne volonté. J. Torchet.
ÉP
— Cinquième et sixième séances du Quatuor
Parent. — Séance impressionniste, la première
des deux ; ultra-moderne, avec une œuvre nouvelle,
168
LE GUIDE MUSICAL
un quatuor de Ravel, et deux noms d'avant-garde :
Maurice Ravel et Claude Debussy.
Séance d'ailleurs préparée par les précédentes,
consacrée d'abord au maître" et précurseur César
Franck (quatuor, sonate et quintette), puis au
regretté Chausson, ensuite au noble et savant di-
recteur de la Schola Cantorum, Vincent d'Jndy,
venu pour exécuter la partie de piano dans sa fière
Sonate inédite, dédiée à M. Armand Parent. Et
n'est-ce pas, en effet, un intérêt pour ainsi dire
historique que procure cet enchaînement de belles
soirées, en dehors même de la haute délectation
de l'âme et du mérite à la fois solide et subtil de
l'exécution? Nous n'avons jamais mieux compris
qu'à la salle iEolian comment le debussysme sort
du franckisme, le lien mystérieux qui rattache le
vieux maître aux plus indépendants novateurs, de
même que Verlaine et les plus hardis partisans du
vers libre procèdent de la musique songeuse de
Lamartine... Et ce problème poético-musical qui
nous hante trouve ici des éléments vibrants pour sa
solution. Toute la musique de chambre française
contemporaine (la première d'Europe, actuelle-
ment) procède de Franck, de son développement
chromatique, de sa polyphonie complexe, de ses
harmonies éoliennes, de son recours au leit-motif,
de ses recherches orchestrales aux sons harmo-
niques, aux frissonnants souvenirs des Murmures
de la forêt wagnérienne, au coloris ondoyant,
poétique et nuageux... César Franck épanchait sa
foi d'archange en longues mélodies parfumées
d'encens enivrant; les novateurs, ses héritiers fan-
tasques, ne veulent noter que leur fantaisie, la
mélancolique et chatoyante indécision du rêve.
On connaît ce prestigieux op. 10, le quatuor à
cordes de Claude Debussy, dont le Quatuor
Parent nous donna la primeur il y a sept ans, à la
Société nationale, et qu'il rejoue volontiers avec
un sentiment toujours plus pénétrant de sa
construction toute française et très précise sous le
kaléidoscope discret de ses vagues couleurs. Après
l'esquisse d'un scherzo teinté de musique russe,
Vandantino est comme le chant d'une claire nuit
sans lune. Et, comme chez Franck, la phrase du
premier temps renaît au dernier. Que les impres-
sionnistes intransigeants en prennent leur parti, la
mélodie n'est pas absente non plus du quatuor
nouveau de Maurice Ravel et s'impose dès le
-début; mais elle s'évapore, se disloque, s'épar-
pille à dessein parmi les trémolos de tempête, les
pizzicati de vent et de pluie dans une atmosphère
capricieuse de rêve. On voudrait réentendre cette
œuvre remplie de fièvre et d'imprévu. L'agile vir-
tuose du piano M. Ricardo Vinès a rivalisé de
maestria sérieuse, et de rappels, avec le Quatuor
Parent en perlant des pièces de Ravel et de De-
bussy qui sont l'équivalent musical, un peu déca-
dent, des nocturnes mineurs d'un Whistler ou,
quand elles sont joyeuses, d?s colorations d'un
Monticelli... Les Jeux d'eau de Ravel sont éton-
nants.
C'est l'impressionnisme: en musique, et plus
légitime en musique qu'en : peinture ou - qu'en
poésie, puisque l'art musical lui-même ne peut
retenir des choses ou des sentiments que la sugges-
tion. La féminine musique est une physionomie
qui passe « en gardant son secret », à supposer
qu'elle ait un secret dans l'âme.
Au vendredi suivant, Beethoven nous a répon-
du : magnifique réponse du génie, mâle, profonde,
entraînante, puissante, avec trois des derniers qua-
tuors : le onzième, si poignant dans sa brièveté; le
quatorzième, si captivant dans sa longueur, et la
grande fugue op. i33, écrite primitivement pour
un quatuor, et bloc éloqueminent abrupt d'un
Michel- Ange musical : on dira t d'un aérolithe en
fusion tombé du ciel de l'art... Mais comme ces
derniers quatuors de Beethoven, qui paraissaient
absolument inintelligibles à nos pères, nous revien-
nent lumineux et radieux après tant d'harmonies
contemporaines, lunatiques, nuageuses, nocturnes
ou crépusculaires! L'étoile de Beethoven luit
comme un soleil dans la délicieuse nébuleuse de
toutes nos subtilités. Le libre génie nous répond
en épanchant sa grande âme, et Beethoven dou-
loureux est un superbe « professeur d'énergie » :
durch Leiden Freude ! Ecoutez la conclusion ma-
jeure et réconfortante de ces quatuors en mode
mineur, ces élans de candeur, de confiance et de
courage où la douleur solitaire de Beethoven
sourit largement dans sa familiarité sublime, où
les interprètes se sont montrés à la hauteur de
leur tâche ; car, aux prises avec Beethoven, le
Quatuor Parent s'est surpassé. Belle soirée d'art,
qui nous a rappelé les saisons 1901-02 et 1903-04,
où l'artiste Armand Parent nous gratifia des dix-
sept quatuors de Beethoven, à la Schola d'abord,
puis à l'iEolian, qui retentit délicatemeni, désor-
mais, de la voix inédite des musiques nouvelles.
Vendredi prochain, les jeunes reparaîtront au
programme et le partageront encore, cette année,
avec Haydn, Mozart, Schumann et Brahms. —
Instructive année! Les musiciens, qui ne sauraient
être ingrats, s'en souviendront.
Raymond Bouyer.
©
L3 GUIDjÎ- MUSICAL
169
— Le concert de Mme G. Marty avait attiré,
salle Erard, tout le Paris musical, venu pour ap-
plaudir une de nos meilleures cantatrices, dont
chaque exécution est un enseignement. En effet,
depuis quelques années, une grande égalisation
s'est opérée dans les différents registres de la voix,
et le style, façonné par le remarquable musicien
qu'est M. Georges Marty, s'est épuré au point de
nous donner les plus parfaites visions de l'art du
chant.
C'est surtout chez les maîtres classiques, dans
l'interprétation de Haendel, de Bach, de Gluck et
de Haydn que cette impression nous est restée.
Pour le reste du programme, composé en dehors
du répertoire dramatique et comprenant quatorze
mélodies de quatorze compositeurs modernes, la
cantatrice a fait preuve d'une grande souplesse
vocale et d'un réel talent d'assimilation. Parmi les
oeuvres les mieux accueillies, nous citerons le
Mariage des Roses de C. Franck, le Dernier Bouquet
d'Hillemacher, Chère nuit de Bachelet, Il m'aime de
Th. Dubois.
Un seul artiste, M. Diémer, alternait avec Mme
Marty. Son succès fut des plus .vif, comme tou-
jours : on bissa son Réveil sous bois et nombre de
pièces de clavecin que le maître interprète avec
une exquise délicatesse. A. G.
— Mme Riss-Arbeau a donné le samedi 18 février
une première séance de trios, avec le concours de
M VI. Ed. Nadaud et Cros-Saint-Ange. Au pro-
gramme se succédaient le Trio à l'Archiduc de
Beethoven, une œuvre de Th. Dubois et une de
Lalo. Mme Riss-Arbeau, admirablement secondée
par le jeu nerveux et souple des artistes hors de
pair que sont MM. Nadaud et Cros-Saint-Ange, a
fait applaudir sa technique impeccable autant
qu'un sentiment musical très délicat ; nous aurions
souhaité parfois un peu plus de vigueur et d'émo-
tion dans son interprétation.
Une seconde séance (œuvres de Chevillard,
Saint-Saëns, Beethoven) aura lieu le mercredi
22 mars, salle des Agriculteurs. G. R.
■'•'•'- — M. David Blitz a donné la semaine dernière,
à la salle Pleyel, un récital de piano qui a eu un
vif succès. A un mécanisme accompli, M. Blitz
joint un excellent style. Le programme était très
varié. Nous avouons peu goûter les arrangements de
Bach, comme la toccata et la fugue transcrites par
Tausig. Ils font valoir l'interprète plutôt que l'œu-
vre. M. Blitz a été mieux inspiré en donnant la
jolie sonate op.3i,n° 3, de Beethoven, ainsi que des
pièces de Chopin, de Schumann, de Brahms et de
Debussy, qu'on entend toujours avec plaisir quand
elles sont aussi intelligemment exécutées.
F, G.
— M. Emile Sauer, de Vienne, a donné le 16 fé-
vrier le premier des quatre récitals qui resteront
sans doute parmi les plus intéressants de la saison.
Le célèbre pianiste, après un prélude et fugue de
Bach, a exécuté la Sonate appassionata de Beethoven,
un impromptu de Schubert, les Traumeswirren de
Schumann, page exquise justement bissée, quel-
ques Chopin, dont un nocturne idéal, quelques
pages de lui-même, élégantes sans virtuosisme
mal placé, enfin le Carnaval de Pesth de Liszt. J'ai
déjà loué ce parfait artiste, pour son autorité sou-
veraine et son goût très pur. Un jeu ferme et doux,
très classique, d'une souplesse et d'une délicatesse
pleines de charme, d'une couleur sobre et puis-
sante, ce sont des qualités à ravir les plus difficiles
et qui le mettent vraiment au premier rang des
pianistes actuels. H. de C.
— Le second concert de MmeWanda Landowska
était presque plus curieux comme programme que
le premier, et n'a pas eu un succès moinsj chaleu-
reux. Sous le titre général de Chaînes de voltes et de
valses, elle a groupé d'abord des voltes de William
Byrd, Michaelis Prsetorius, Chambonnières et Mor-
ley, jouées sur le clavecin ; puis diverses valses
exquises de Schubert, sur le piano-forte ; enfin, sur
le piano ordinaire. V Invitation à la valse de Weber,
une valse de Schumann, un Zuricher Vielliebchen
Walzer de Wagner, la Valse des Sylphes de Berlioz,
et une demi-douzaine de valses brillantes de Cho-
pin. Comme a pris soin de l'expliquer elle-même
Téruditë et délicate artiste, la volte est une ancienne
danse provençale très - en vogue au xvie siècle par
tous pays. De son rythme peu à peu disparu, na-
quit, en Allemagne, la valse, d'abord dans sa forme
primitive de Laendler et Dreher chez Bach, Haydn
ou Mozart, puis sous sa forme de Laendler et Walzer
chez Schubert, mais toujours, dans les deux cas,
en chaînes de petites pièces réunies. L'indépen-
dance et le développement du genre commence
avec Weber et s'épanouit avec Chopin : ce n'est
plus la guirlande qui orne la danse, mais un tableau
original et poétique H. de C.
— Le concert que devaient donner le 14, à la So-
ciété philharmonique, MM. Joh. Messchaert et
Ferruccio Busoni,n'a pu avoir lieu par suite de Fin-
170
LE GUIDE MUSICAL
disposition qui retenait à Berlin le célèbre pianiste-
compositeur. M. Busoni a été remplacé par M.
Emile Sauer, qui a joué avec son immense talent
le Prélude et Fugue en ré de Bach et la sonate 35 de
Chopin.
— Le programme du concert donné par Mme
Ysabel Schmitt-Bernard avec le concours de l'émi-
nent violoncelliste Pablo Casais comportait la
sonate en ré pour piano et violoncelle de Beetho-
ven. Dans des œuvres de Chopin et de Schumann,
Mme Schmitt-Bernard a fait apprécier un jeu déli-
cat et un style sobre très convenable. Dans la
sonate de Boëllmann, le mouvement trop vif pris
à la fin, n'a point permis aux oreilles les plus
avisées d'entendre le trait final du violoncelle, que
M. Casais exécute cependant avec une virtuosité
fantastique.
—- Chez Pleyel, M. Jean Ten Hâve a joué avec
une jolie précision et un beau son la sonate en sol
mineur pour violon seul de Bach, le concerto en la
de Saint-Saëns et la sonate en ut de Corelli. Dans
ces œuvres de caractère très divers, M. Ten Hâve
a su conserver le cachet classique du bon style.
Mme Albert Bauer prêtait son concours à cette
séance en des mélodies de Rubinstein et de Brahms,
interprétées d'une voix chaude et timbrée.
Ch. C.
— Un certain nombre d'œuvres de M. Ferdinand
Mazzi ont été exécutées le samedi 18 à la salle
Pleyel et ont recueilli de sincères applaudisse-
ments. Le programme, heureusement varié, com-
portait un quatuor pour cordes (MM. Enesco, La-
parra, Englebert et Fr. Thibaud), un octuor pour
piano et cordes, une danse pour piano (M. J. Mor-
pain) et quatre mélodies (Mme L. Masson).
— Un concert très curieux et d'un genre tout
spécial a eu lieu le n février à la salle Pleyel,
celui de Mme Olénine d'Alheim, exclusivement
composé de Lieder et de chansons populaires,
russes ou allemandes. On sait la finesse mélanco-
lique des motifs populaires russes. Mme Olénine,
avec un goût parfait, en a fait entendre un certain
nombre que nous ne connaissions pas du tout,
lires des recueils formés par Rimsky-Korsakow,
Balakireff, Fedossova et Mme Olénine; puis un
groupe de huit réunis par Moussorgsky. Deux mé-
lodies originales de ce même musicien étaient
encore sur le programme ainsi qu'un Lied de Schu-
bert, Les Frères ennemis, Les Deux Grenadiers de
Schumann, et les huit pièces de Y Amour d'une femme
(version française Hettange), C.
— M. Ossip Gabrilowitch nous offrait jeudi 9 fé-
vrier, à la salle Erard. un récital de piano des plus
intéressant. Ame fine, artiste, profondément musi-
cale il interprète aussi magistralement Beethoven
et Brahms que Schubert et Chopin.
Malgré son jeune âge, M. Gabrilowitch montre
une grande maturité d'esprit dans son jeu; il est
déjà un maître. La façon dont il a exécuté le bel
andante de la sonate en ré majeur de Beethoven (la
Pastorale) dénote une très grande culture musicale
et lui a valu une ovation très chaleureuse du public
parisien, parmi lequel il compte beaucoup d'admi-
rateurs. . L. M.
— On assure que les concours annuels du Con-
servatoire auront lieu, en juillet prochain, sur la
scène de l'Opéra-Comique, qui est libre à cette
époque. C'est une innovation depuis longtemps
réclamée et qui sera bien accueillie par tous.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Carmen a eu les honneurs de la semaine au théâtre
de la Monnaie, grâce à M. Edmond Clément et à
Mme Maria Gay. Mme Maria Gay classée depuis
deux ou trois ans parmi les plus remarquables
cantatrices de concert, a eu la magnifique audace
de débuter à la scène dans le rôle de Carmen.
Ce courage méritait, à lui seul, quelque admi-
ration, si l'on veut tenir compte des difficultés
vocales et dramatiques que comporte la réalisation
du personnage, difficultés centuplées par ce fait
que le rôle est connu du public tout entier dans
ses moindres détails et que de très grandes artistes
nous en ont donné d'inoubliables incarnations.
Ajoutons que Mme Gay se trouvait plutôt desservie
par les récitatifs de Guiraud, qui enlèvent au
poème beaucoup de vie, de chaleur et d'esprit et ne
contribuent certes pas à augmenter l'impression
musicale.
On m'objectera que Mme Gay avait l'avantage
d'être Espagnole et de pouvoir ainsi apporter dans
la composition du rôle une vérité d'expression,
une couleur locale dont les interprètes précédentes
ont dû faire une étude préalable; mais qu'est-ce
que ce faible avantage pour compenser une expé->
LE GUIDE MUSICAL
171
rience de la scène encore à ses débuts? N'oublions
pas, d'ailleurs que Carmen est moins une œuvre
espagnole qu'une vision saisissante de l'Espagne à
travers le tempérament français.
Ayant à lutter contre de telles difficultés, servie
et desservie tout à la fois par le voisinage de l'ad-
mirable artiste qu'est M. Edmond Clément — voi-
sinage précieux, car il pourrait à lui seul porter
le poids de l'œuvre entière et en assurer le succès;
voisinage dangereux aussi, car il élève singulière-
ment le point de comparaison entre ses partenaires
et lui, — Mme Maria Gay a su donner du personnage
de Carmen une interprétation qui, pour n'être pas
encore à son apogée, ne s'en classe pas moins
parmi les conceptions caractéristiques, originales,
personnelles du rôle.
Au premier acte, ses coquetteries avec Don José,
sa sortie de la fabrique et le duo ; au deuxième
acte, la danse, prise pour la première fois, ou
presque, dans le rythme vif qui lui convient et qui
donne à la sonnerie de la retraite la rapidité
d'allure nécessaire ; son attitude pendant que José
chante : La Fleur que tu m'avais jetée; au troisième
acte, l'air des cartes, parfait pour les admirables
notes graves de sa voix; au dernier tableau, la
scène de la mort, tout cela a été réfléchi, intelli-
gent, cherché, réalisé d'une manière souvent
saisissante. Mme Maria Gay a une physionomie
d'une extrême mobilité ; son masque exprime la
révolte quand José l'oblige à l'entendre et, un
instant après, il n'est plus que douceur, amour et
coquetterie, quand il rappelle son séjour en pri-
son; ou bien il est tout de fureur et de mépris
quand il la supplie de revenir à lui, et il s'illumine
de passion, de désir, il se transfigure quand elle
entend la fanfare du toréador. On sentait qu'elle
avait mis tous ses soins à la composition drama-
tique, négligeant un peu trop peut-être les effets
vocaux, car le soir de la première, elle a chanté
presque tout le temps mezzo voce.
Dès la seconde représentation, elle avait pris
une assurance qui lui avait fait un peu défaut le
premier soir, et le chant a eu des accents émou-
vants, des beautés rares qui s'accentueront forte-
ment encore.
Enfin, les costumes de Mme Gay méritent une
mention spéciale, surtout celui du premier acte,
jaune avec un châle turquoise, et celui du dernier,
avec un merveilleux boléro vert, soutaché d'ar-
gent.
Mme Maria Gay est à l'aurore de sa carrière
théâtrale; elle y a débuté par le rôle le plus difficile
et elle y a révélé un tempérament, une personna-
lité, une intelligence scénique rares.
M. Edmond Clément s'est surpassé dans les
trois représentations qu'il a données ; jamais il n'a
été plus parfait chanteur ni plus admirable comé-
dien -, son éloge n'est plus à faire, mais l'admiration
qu'il commande ne cesse d'augmenter.
A côté de lui, M. Bourbon a été l'excellent Esca-
millo qu'on applaudit chaque fois qu'il parait dans
ce rôle; MM. Cotreuil, Belhomme, Caisso, Mmes
Eyreams, Maubourg et Colbrant ont assuré l'inter-
prétation parfaite de l'œuvre.
Les représentations d'Hérodiade ont été l'occasion
d'une heureuse apparition du ténor Moisson, rem-
plaçant M. Dalmorès, malade. Il s'est produit non
sans bonheur, dans le rôle de Jean et à côté de lui
Mmes Francès Aida et Paquot-D'Assy, MM. Albers
et Vallier ont remporté leur habituel succès.
Le Jongleur de Notre-Dame, la Basoche et Faust,
ont complété le répertoire de la semaine. Aujour-
d'hui dimanche, en matinée, Hérodiade, et le soir
pour les représentations de M. Edmond Clément
et de Mme Maria Gay, Carmen ; demain lundi,
reprise de Mireille; mardi, Faust.
Incessamment première de Martille de MM, Al-
bert Dupuis et Edmond Cattier. R. S.
— Le succès favorise les séances de la Société
symphonique des Nouveaux Concerts. C'est de-
vant une salle fort brillante qu'a eu lieu mardi le
troisième concert de la saison. M. Louis Delune a
pris soin d'ailleurs de s'assurer régulièrement le
concours de virtuoses de tout premier ordre. Cette
fois, c'était M. Arthur De Greef qui lui prêtait
sa précieuse collaboration.
Le réputé pianiste a exécuté le concerto en ré
mineur de Bach et le concerto en ut mineur de
Mozart, deux œuvres bien appropriées à son talent,
si probe, si purement musical. Préoccupé seule-
ment de rendre les pages interprétées dans leur
véritable sentiment, sans maniérisme, sans re-
cherche de l'effet, M. De Greef a traduit excel-
lemment l'austérité, si attrayante en sa simplicité
de moyens, du concerto de Bach, montrant toute la
carrure de rythme désirable dans les deux allégros
qui encadrent l'éloquent adagio, noblement en-
veloppé par les sonorités des cordes, s'appuyant
elles-mêmes sur la gravité solennelle des basses.
Dans le concerto de Mozart, l'éminent virtuose s'est
distingué surtout par sa délicatesse de toucher, si
adéquate au style de l'œuvre, et toutes les qua-
lités de charme de celle-ci furent mises par lui en
plein relief. Son interprétation, à la fois sobre et
brillante, lui valut des ovations sans fin, qui se
172
LE GUIDE MUSICAL
renouvelèrent, plus chaleureuses encore, après
l'exécution, en bis, de variations de Saint-Saëns
sur des thèmes de YAlceste de Gluck, — un mor-
ceau tout d'actualité au lendemain des représen-
tations du théâtre de la Monnaie — et, en second
bis, d'une œuvrette délicieuse de Scarlatti.
L'orchestre des Nouveaux Concerts se montre
en progrès à chaque audition nouvelle. Après
s'être fait très justement applaudir mardi dans
l'ouverture de Léonore(n° 3), il a recueilli un hono-
rable succès avec la première s}rmphonie (en si bé-
mol) de Schumann, dont M, Delune a donné une
exécution artistement colorée et dont il a bien
rendu la variété rythmique. Il lui resterait à con-
tenir quelque peu l'ardeur juvénile de ses instru-
mentistes, tentés, avec ensemble d'ailleurs, de
précipiter la réalisation de certains mouvements.
Cette tendance s'affirma dans les deux concertos
comme dans les œuvres purement symphoniques,
et M. De Greef ne put résister toujours à la force
d' entraînement de ses fougueux accompagnateurs.
Au... total, une soirée fort réussie, qui est venue
consolider encore l'institution due à l'artistique
initiative de M. Delune. J. Br.
— Fondation Jean-Sébastien Bach. — MM.
Charles Bouvet, violoniste, et Joseph Jemain,
pianiste, dont nous admirions récemment le style
et la technique dans une séance consacrée à la
sonate pour violon et basse chiffrée au xvne siècle,
nous sont revenus vendredi, à la salle Erard, avec
un programme tout aussi intéressant, corsé par la
participation d'une charmante cantatrice, Mlle
Marie Lasne, et d'un excellent flûtiste, M. Gaston
Blanquart.
Le grand Bach faisait cette fois presque tous les
frais de la séance, avec la sonate en mi bémol pour
flûte et piano, celle en la, pour piano et violon et
une sonateà trois, peu connue, pour flûte, violon
et piano. De ces trois œuvres, également remar-
quables, MM. Bouvet, Jemain et Blanquart ont
donné une exécution à peu de chose près parfaite
d'ensemble, de cohésion et de style.
La. sonate en W. de Hasndel, qui ouvrait la
séance, et celle en sol, de Haydn, n'ont pas été
moins, bien goûtées,: encore que la dernière,
comme du reste les Chansons populaires de France,
fort bien dites par Mlle Lasne, détonât un peu
parmi les œuvres de Bach entre lesquelles elles se
trouvait intercalée. Mlle Lasne a également
interprété en cantatrice expérimentée des airs
de Lulli et de Campra et une mélodie de Pergo-
lèse. Le public, très nombreux, l'a associée au 11
succès de ses partenaires.
— Mardi dernier, M. Mark Hambourg a donné
un piano-récital au Cercle artistique et littéraire.
On connaît toutes les qualités techniques de ce
virtuose, qui, au point de vue du métier, ne semble
plus avoir grand'chose à apprendre. Cela ne suffit
pas, pourtant, pour interpréter la Fantaisie chroma-
tique et Fugue de Jean-Sébastien Bach, ni la sonate
en ut majeur (op. 53) de Beethoven. Par contre, la
grande virtuosité, un peu trop tapageuse parfois,
de M. Mark Hambourg l'a servi dans le Carnaval
de Vienne de Robert Schumann, dans les œuvres de
Rameau, de Scarlatti, de Sgambati, de Paderewski
qu'il a exécutées, et enfin dans ses Variations sur un
thème de Paganini, dont l'intérêt pianistique semble
dépasser la valeur musicale. R.
— Excellente séance à la salle Le Roy, donnée
par Mlle Hustin, une pianiste au jext intéressant,
qui a exécuté, avec l'excellent violoncelliste
M. Henri Merck, la sonate de Saint-Saëns, à
laquelle ils ont apporté une compréhension pleine
de goût artistique et de personnalité. Mlle Hustin a
fait apprécier un fort joli toucher dans les pièces
de Daquin, de Rameau, et a été très applaudie
dans des œuvres de Schumann et Chopin.
Quant à M. Merck, c'est un artiste d'un beau
talent dont l'éloge n'est plus à faire. Il a remar-
quablement exécuté le Kol Nidrei de Max Bruch,
phrasé par lui d'une façon impeccable.
M1,e Goossens, une jeune cantatrice douée de
belles qualités, s'est fait applaudir dans quelques
mélodies modernes, qu'elle a dites avec beaucoup
de goût. L. D.
— Lundi dernier a eu lieu, à la Grande Harmo-
nie, la première représentation d'une pantomime
en un acte de M. Jacques Tourrette, musique de
M. G. Frémolle, la Noël de Colombine. Cette œuvre
charmante de grâce, de délicatesse et d'esprit a
été bien interprétée et très vivement applaudie;
le livret et la musique ont beaucoup plu et on a
justement fêté les interprètes : Mlles Frayelle et
Denamy, MM. Sorel, Decoster et Verlez.
LE GUIDE MUSICAL
i73
CORRESPONDANCES
DIJON. — Le second récital donné par Raoul
Pugno a obtenu un succès plus grand en-
core que le premier. Il ne restait pas, en effet, une
seule place libre dans la vaste salle des Etats de
Bourgogne. L'éminent pianiste s'est fait particuliè-
rement remarquer dans le Concerto italien de Bach
et dans la sonate de Beethoven Clair de Iune^ qu'il
a admirablement rendue. Il a triomphé également
dans les délicieuses pièces de Schumann Fantasie-
stùcke et dans la treizième rapsodie de Liszt, où il a
fait preuve d'un prestigieux mécanisme.
Mlle Povla Frisch, qui prêtait son concours à
cette séance artistique, est une des meilleures can-
tatrices que nous ait fait entendre le Comité Ra-
meau. Voix exquise, diction excellente, expression
toujours vraie. Aussi a-t-elle été très applaudie
dans différentes mélodies de Schubert, de Brahms
et de Tosti.
Au théâtre, la Reine Fiammette. Tous les rôles, à
part celui du Cardinal, sont convenablement tenus.
Mais une mention spéciale doit être accordée à
Mlle Chassang, excellente dans le principal person-
nage de Louvrage. M. Xavier Leroux est venu
diriger l'orchestre à l'une des dernières représenta-
tions.
Hœnsel et Gretel a mieux réussi encore. L'opéra
de Humperdinck est monté avec beaucoup de
soin et fort bien interprété. L'orchestre, sous la
direction de son nouveau chef, M. Tapponier, ne
mérite que des éloges. A. D.
\0
JA HAYE. — Au théâtre italien de La
J Haye a eu lieu le 17 février la première repré-
sentation de André Chénier, drame lyrique en 4 ta-
bleaux de M. Luigi Illica, musique de M. Umberto
Giordano.
Le libretto, se compose de quatre tableaux diffé-
rents sans aucun lien entre eux. Le premier nous
fait assister à un bal chez la comtesse de Coigny ;
le second représente la foule révolutionnaire ; au
troisième, on voit le tribunal révolutionnaire con-
damnant André Chénier, et au quatrième, le poète
en prison et son exécution. Sur ces quatre tableaux
dramatiques, mais décousus, M. Giordano a écrit
une partition bruyante, colorée assez brutalement,
qui a parfois de l'allure, mais dans laquelle l'in-
strumentation est souvent si tapageuse, qu'elle cou-
vre la voix des chanteurs.
L'exécution a été fort honorable; le ténor Isal-
berti (Chénier) en a été le héros.
L'Opéra royal français annonce pour la fin du
mois la première de la Tosca de Puccini ; en
attendant il a donné aussi une reprise de Cavalleria,
où Mme Dalcia s'est brillamment distinguée dans le
rôle de Santuzza.
Pour célébrer le dixième anniversaire de ses
débuts en Hollande, le Quatuor thèque vient de
donner une séance au profit du Sanatorium fondé
par S. M. la reine des Pays-Bas, avec le pro-
gramme de son premier concert en 1895 : Ans
meinem I eben de Smetana, une œuvre du plus haut
intérêt, d'une originalité exceptionnelle; le Kaiser-
Quatuor de Haydn, avec les variations sur l'air
national autrichien, et le dernier quatuor de Schu-
bert, avec les célèbres variations sur Der Tod und
das Màdchen. Ces œuvres ont été interprétées avec
cette passion suggestive, impressionnante qui
caractérise les quatre grands artistes tchèques.
La séance de musique de chambre donnée par le
violoniste Bronislaw Huberman, a été un grand
succès.
Cette semaine, deux concerts populaires ont eu
lieu, l'un dirigé par le baron van Zuylen van Nye-
velt, avec le concours du pianiste Oberstadt, et
l'autre avec le choral mixte A capella, dirigé par
M. Arnold Spoal. Ces deux concerts qui avaient
attiré un auditoire fort nombreux ont été donnés
au Conservatoire des arts et sciences. Le pro-
gramme orchestral dirigé par le baron van Zuylen
se composait d'ouvrages connus, et le pianiste
Oberstadt possède une belle technique. Le choral
mixte nous a donné un programme aussi varié
qu'intelligemment composé, et l'exécution mérite
de sincères éloges, bien que l'homogénéité ait
laissé parfois un peu à désirer. MUe Haagmans,
élève de M. Spoel, y a débuté et a été accueillie
avec une extrême faveur; la voix est petite, mais
très sympathique; l'artiste vocalise avec. une faci-
lité, que l'on rencontre bien rarement chez une
débutante. Elle a notamment chanté le Nel cor iu
mi sento de Paisiello, qu'elle a délicieusement
interprété.
Succès exceptionnel pour MUe Julia Ciilp, une
jeune cantatrice hollandaise qui a fait ses études
musicales à Berlin et donnait son premier con-
cert. Elle possède une belle voix de contralto, un
tempérament chaud et vibrant, un style, une dic-
tion, un sentiment musical, une expression qui en
font une artiste très intéressante et de beaucoup
d'avenir. Au concert dirigé par M. Viotta, elle a
chanté l'air cY Orphée de Gluck et des Lieder de
Brahms, Lôwe, Rubinstein et Wagner.
174
LE GUIDE MUSICAL
A cette même matinée, M. Viotta a fait exécuter
par le Residentie-Orkest la quatrième symphonie
de Tschaïkowsky , l'intermède du ballet Proméfhêe de
Beethoven et l'ouverture du Vaisseau fantôme de
Wagner.
Au dernier concert de la société Diligentia,
la quatrième symphonie de Mahler, exécutée en
octobre dernier au Concertgebouw d Amsterdam,
a été le clou de la séance. Malgré l'exécution
admirable que l'orchestre de M. Mengelberg nous
a donnée, l'ouvrage n'a obtenu qu'un succès très
réservé. L'éminent violoncelliste belge M. Jean
Gérardy, qui nous avait déjà émerveillé en i8g3,
a transporté notre public. Il a joué le premier con-
certo de Saint-Saëns et les Variations symhfioni-
ques de Boëllmann. L'orchestre a joué encore la
première ouverture de Léon-or e de Beethoveu et la
Rapsodie hollandaise de van Anrooy, dont on abuse
un peu.
L'abbé Perosi est attendu à La Haye pour diri-
ger les dernières répétitions de son oratorio Le Ju-
gement dernier .
Au prochain concert de la Société pour l'encou-
ragement de l'art musical, on exécutera le Chant de
la Cloche de Vincent d'Indy, sous la direction de
M. Anton Verhey, avec le Residentie Orckest et
comme solistes M. Cazeneuve, de Paris, et
Mlle Lacneil, de La Haye.
Au festival Weingartner qui aura lieu à La Haye
au mois de mai prochain, et où l'on exécutera entre
autres la neuvième symphonie de Beethoven, la
Damnation de Faust et la symphonie Harold de Ber-
lioz, sont engagés comme solistes Mmes Marcella
Pregi, Anna Kappel, MM. Jos. Tijssen, Jan Sol,
Nedbal; l'orchestre sera celui de la ville d'Utrecht.
Ed. de H.
IIÉGE. — Les concerts se succèdent de
J près. Vendredi 17, c'est le Quatuor Char-
lier qui donnait la première de ses séances
Beethoven, avec un programme peu banal, com-
posé de la sérénade op. 25 pour violon, alto et
flûte, du trio pour deux hautbois et cor anglais et
du quintette à cordes op. 29. D'habiles instrumen-
tistes prêtaient à M. Charlier et à ses archets un
talent qui fut apprécié.
Un succès moins chaleureux qu'à la première a
été fait à la seconde soirée Zimmer. Les quartet-
tistes ne paraissaient pas en possession de leurs
moyens. Peut-être aussi les contrastes trop mar-
qués du programme enlevaient-ils à leur exécution
cette force calme et souple dont ils sont coutu-
miers. Le moyen d'atteindre les cimes majestueuses
de l'op. i35 de Beethoven après avoir folâtré avec
le bon papa Haydn dans les gais méandres de
son ré mineur? Et, sans heurt, redescendre de si
haut dans les frais bocages où Brahms nous incite
aux tendres rêveries.
C'était bien, certes, mais il a paru aux connais-
seurs que les artistes pouvaient faire mieux. Cette
critique est un éloge.
M. Charles Radoux a correctement conduit la
troisième audition du Conservatoire. Une sym-
phonie de Ditters von Dittersdorf, écrite d'après
une des Métamorphoses d'Ovide, ouvrait curieu-
sement le programme, au cours duquel l'auditoire
a encouragé d'aimables talents pianistiques (Mlles
Delchef et Dosogne) et applaudi comme il conve-
nait le professeur d'alto, M. Rogister, jouant le
concerto, malheureusement bien banal, de Hans
Sitt. Une symphonie de Stojowski, passablement
longue et d'une originalité contestable, terminait
cette audition. P. D.
LILLE — Le concert populaire de dimanche
dernier, dirigé par M. Emile Ratez, a obtenu
un vif succès. M. Théodore Dubois, directeur du
Conservatoire de Paris, était venu lui-même
conduire son poème symphonique Adonis, exécuté
pour la première fois aux Concerts Colonne le
24 novembre 1901. Cette œuvre très intéressante
comprend trois parties : la mort d'Adonis, la déplo-
ration des nymphes et le réveil d'Adonis ; elle a
été très appréciée de notre public et a valu au
compositeur de longs applaudissements.
M. Théodore Dubois est resté au pupitre
pour conduire deux de ses œuvres pour chant
et orchestre : Dormir et rêver, La Voie lactée, et il a
accompagné ensuite au piano sa Lamentation de
Notre-Dame de la mer et sa tarentelle. Dans ces
quatre morceaux, Mme Georges Couteaux a rem-
porté un éclatant succès, que mérite sa belle voix
de soprano, son style sobre, sa diction excellente
et le sentiment artistique de son tnterprétation ;
on lui a fait bisser la tarentelle.
M. Gabriel Wuillaume a été très applaudi dans
le concerto pour violon et orchestre de M. Th.
Dubois; on a admiré ses belles qualités de son
et un coup d'archet énergique et vibrant.
Enfin, M. Emile Ratez mérite les plus vives féli-
citations pour la conscience et le talent avec les*
quels il a dirigé la magnifique ouverture de Coriolan
de Beethoven. I. M.
LE GUIDE MUSICAL
i75
LONDRES. — Les derniers concerts sym-
phoniques ont été particulièrement intéres-
sants. M. Henry J. Wood a conduit la belle
symphonie en si de Glazounow, rarement entendue
à Londres; M. Hugo Becker a superbement
exécuté à ce même concert le concerto en ré de
Haydn, pour violoncelle, et l'un des concertos
brandebourgeois de J.-S. Bach.
M. Edouard Colonne est venu diriger l'Orchestre
symphonique de Londres, au programme duquel
il avait inscrit la symphonie en ré de César
Franck, des fragments de la Damnation de Faust,
le Carnaval romain d'Hector Berlioz et le Caprice
andalous de M. Camille Saint-Saëns, qu'on entendait
à Londres pour la première fois et qui y a rem-
porté un vif succès. Le soliste était M. Johannès
Wolff, très applaudi; M. Edouard Colonne a été
reçu avec un magnifique enthousiasme.
Coïncidence curieuse, le même jour, à l'Albert
Hall, la Société chorale royale donnait aussi une
exécution de la Damnation de Faust, qui a été suivie
avec beaucoup d'intérêt. Les concerts de cette
excellente phalange, que dirige M. Arthur Fagge,
sont d'ailleurs remarquables, et récemment encore
on y exécutait les Apôtres de sir Edward Elgar.
Parmi tous les récitals, citons d'abord ceux
qu'ont donnés M. Maurel, qui a chanté d'une
manière charmante des fragments d'opéra; Mme
Carreno, une virtuose du piano très admirée;
miss Maud Mac Carthy, une excellente violoniste
qui a interprété le concerto de Brahms avec
orchestre dirigé par M. Fritz Steinbach, lequel a
lui-même conduit une exécution admirable de
Mort et Transfiguration de Richard Strauss; M. Fré-
déric Lamond, quia joué des sonates de Beetho-
ven, et M. Théo Sierhammer, qui a chanté des
œuvres de Brahms, Hugo Wolf, etc.
Hier 25 février, aura eu lieu la première exécu-
tion à Londres de la Sinfonia domestica de Richard
Strauss. N. G.
&
EOME. — L'inauguration des concerts de
l'Académie de Santa Cecilia a eu lieu cette
année sous les auspices du directeur d'orchestre
M. Arturo Toscanini. Le programme était formida-
ble : prélude de Tristan et Mort d'Isolde (Wagner);
La Reine Mab (Berlioz); Till Eulenspiegel (Richard
Strauss); prélude de l'opéra Waïïy et danse des
ondines de l'opéra Loreley (Catalani); troisième
symphonie de Beethoven.
On était très curieux d'entendre le poème musi-
cal de Strauss, dont on avait applaudi l'année der-
nière l'œuvre symphonique Mort et Transfiguration.
L'impression générale a été de grande admiration
pour ce qui a trait au mécanisme de la compo-
sition, à l'orchestration somptueuse, à la richesse
des détails dans les nombreux développements, à
la distribution magistrale des parties. Mais quant
au contenu il faut dire que l'idée est toujours mince
et que la mélodie tourne souvent au familier. Est-
ce peut-être à cause du sujet, dont le héros s'aban-
donne à des exploits bouffons et à toutes sortes
à' espiègleries ?
M. Toscanini a su rendre avec une netteté
parfaite cette partition, qui présente des difficultés
de toute espèce. Il a dirigé la Reine Mab avec
une légèreté et en même temps un coloris varié,
que personne ne pourrait surpasser ; il à inter-
prété les fragments de Wagner avec une poésie,
une pénétration superbe, et la symphonie de Bee-
thoven avec l'art magistral que chacun lui recon-
naît et qui le place au rang des meilleurs direc-
teurs d'orchestre. T. Montefiore. .
ROUBAIX. — Le deuxième concert de
l'Association symphonique, directeur M. J.
Koszul, a obtenu son succès habituel. M. Ricardo
Vinés, le réputé pianiste, y prêtait son concours et
a été rappelé après une exécution impeccable du
concerto en ut mineur de Rimsky-Korsakow. La
société symphonique a rendu à merveille les numé-
ros dont elle était chargée. Au programme : Sym:
phonie en fa, n° 8 (Beethoven), prélude du 4e acte
de Messidor ( Alf. Bruneau), Impressions d'Italie (n° 5,
Napoli, de Charpentier), tarentelle (Saint-Saëns)
pour flûte et clarinette (solistes : MM. A. Bondues
et P. Fournier), novelette en ré (Schumannj, pré-
lude en ré bémol (Chopin), Les Jardins sous la pluie
(Moskowsky), etc.
M. et Mme Henry Vaillant avaient organisé dans
leurs salons une matinée artistique à laquelle ont
pris part M. Henry Vaillant, l'excellent pianiste,
Mme Jeanne Poissonnier (cantatrice), MM. Eug.
Gigout (organiste), Bâillon (violoniste), H. Choinet
(violoncelliste). M. Albert Roussel assistait à l'au-
dition de ses œuvres. Au programme : Albert
Roussel, Gigout, Boëllmann, Bach, Sarasate, etc.
Public nombreux au concert offert par la Grande
Harmonie (directeur M. J. Koszul) à ses membres
protecteurs et honoraires.
La commission des fêtes s'était assuré le con-
cours de M1Ie Goulancourt, de l'Opéra; M. Gilly,de
176
LE GUIDE MUSICAL
l'Opéra; M. Lucien Capet (violoniste), Mlle Varly
et M. Prévost, de TOdéon.
La Société organisatrice a ouvert le concert par
une exécution excellente de l'Ouverture solennelle de
Paris. Au programme : Saint-Saëns, Bach, Svend-
sen, Verdi, etc.
Le comité des Grands Concerts mixtes a obtenu
un vif succès par une excellente exécution de
la Rtbtcca de C. Franck et du Déluge de C. Saint-
Saëns .-
Les chœurs mixtes ont été très bons, l'orchestre
a compris son rôle sachant s'effacer lorsqu'il le
fallait dans les accompagnements, et les solistes :
Mme Masurel-Vion, Mlle Rollez, MM. Dantu et
L. Dewispelaer ne méritent que des éloges.
Les félicitations les plus méritées reviennent
certainement à M. Albert Duhamel, l'éminent chef
de cette phalange artistique, grâce à l'énergie, à
l'initiative duquel, depuis quatre ans, Roubaix
possède enfin un choral mixte digne de la répu-
tation artistique de notre ville. M. J.
TOURNAI. — La deuxième audition des
Concerts de l'Académie de musique a été
surtout un succès pour les deux solistes étrangers
qui y prêtaient leur concours.
M. Z. Cluytens d'abord, professeur de piano au
Conservatoire de Mons, dans le concerto n° 3 en
ut mineur de Beethoven, s'est montré digne de la
réputation qu'il s'est déjà acquise en notre ville et
de son ancien maître M. Arthur De Greef.
M. Ch. Van Isterdael, professeur de violoncelle
au Conservatoire royal de La Haye, a joué de
façon impeccable le concerto en ré majeur (ca-
dence de M. Gevaert) de Haydn.
Ces deux artistes ont été l'objet d'une véritable
ovation après leur brillante exécution de la sonate
pour piano et violoncelle de Saint-Saëns.
L'orchestre a partagé le succès des deux solistes
et a clôturé cette deuxième audition par une très
large exécution de la Marche troyenne de Berlioz.
Les chœurs de dames ont malheureusement
moins bien répondu à l'attente du public, qui van-
tait néanmoins l'éclectisme qui avait présidé au
choix des œuvres dont on leur avait confié l'exécu-
tion. J. DUPRÉ DE COUKTRAY.
"T~TERVIERS. Le Choral mixte de chant
y sacré donnait le 10 février, au Temple pro-
testant,- sous la direction de M. Alph. Voncken,
son sixième concert de bienfaisance. Il a exé-
cuté de-façon -très satisfaisante la Cantate de
l'Aveftt de ^Sehumann, Marie-Magdeleine de Masse-
net, des fragments de la Passion de J.-S. Bach, :
un motet à quatre voix de Vittoria et Y Ave verum
de Mozart. M11* J. Delfortrie et A. Reichel,
MM. M. Nihoul et J. Tychon ont très artistement
dit les soli, et M. F. Duysings a supérieurement
exécuté à l'orgue une Toccata et une Méditation de
Th. Dubois.
La deuxième séance de la Société symphonique
des Nouveaux Concerts de l'Ecole de musique se
donnait mercredi i5 février au Théâtre, sous la
direction de M. L. Kefer. De la symphonie en la
majeur, n° 7, de Beethoven, de l'ouverture du
Vaisseau fantôme et du prélude du quatrième acte
de Messidor de Bruneau, nos excellents instrumen-
tistes fournirent une exécution très nuancée^
vibrante et colorée, qui leur fait grand honneur.
MM. Alph. Voncken, violoniste, J. Sauvage, pia-
niste, et F. Gaillard, flûtiste, professeurs à l'Ecole
de musique, ont interprété de façon très distinguée
le concerto pour piano, violon, flûte et orchestre
de J.-S. Bach. Mlle Elisabeth Delhez a dit dans un
beau style l'air d'Eléonore de Fidelio de Beethoven,
et chanté avec un goût très fin des mélodies de
Brahms, Chabrier et Bruneau. M. L. Kefer a con1
duit le tout en maître. E. H.
NOUVELLES
— Le comité d'organisation du « concours
général de musique » s'est réuni à Paris sous
la présidence de S. A. S. le prince Albert
de Monaco. Au cours de cette réunion, diverses
modifications ont été apportées aux dispositions
premières du concours. Les concours d'opéra,
d'opéra-comique et de ballet sont maintenus. Mais
le concours d'opérette a été supprimé, comme
contraire aux intentions des donateurs. Ensuite,
un concours de musique de chambre (sonate et
trio) a été substitué au concours de symphonie,
devenu inutile par suite de la création par la ville
de Paris d'un prix important affecté à une œuvre
symphonique. Enfin, et ceci n'est pas à dédaigner,
S. A. S. le prince de Monaco a estimé que, dans
l'intérêt des auteurs, il fallait avant tout assurer
aux œuvres primées le bénéfice d'une représen-
tation. Il a donc été décidé que, tout en réservant
aux lauréats des primes dont le total pour les
quatre sections n'atteint pas moins de 5 5, 000 francs
en espèces, le théâtre de Monte-Carlo prendrait,
de par les statuts du concours, rengagement de
LÉ GUIDE MUSICAL
177
monter les œuvres dramatiques couronnées. Le
règlement du Concours général de musique sera publié
le 2S février, par les soins de la Société musicale
le Paris.
— La Société impériale de musique de Saint-
Pétersbourg, nous prie d'annoncer que le quatrième
concours international pour le prix fondé par
Antoine Rubinstein aura lieu à Paris le 3 août
1905, à la salle Erard.
Les primes sont remises tous les cinq ans,
l'une au compositeur, l'autre au pianiste, et con-
sistent chacune en la somme de cinq mille francs.
Les deux primes peuvent être adjugées à une seule
et même personne les ayant méritées comme com-
positeur et comme pianiste. Dans le cas de la non-
adjudication d'une seule prime ou même des deux,
on peut désigner à leur place des primes secon-
daires de la valeur de deux mille francs chacune.
A ces concours ne sont admises que les per-
sonnes du sexe masculin, de vingt à vingt-six ans,
de toutes les nationalités, confessions et condi-
tions, quel que soit le pays dans lequel elles ont
reçu leur instruction musicale. Les personnes qui
ont obtenu un prix au concours précédent ne
seront pas admises au concours suivant, tandis que
les personnes qui ont participé au concours précé-
dent sans avoir obtenu de prix, peuvent concourir
une seconde fois, si leur âge est conforme aux
conditions ci-dessus mentionnées.
Voici le programme des concours :
a) Pour les compositeurs :
1. Un morceau de concert (Concertstùck) pour
piano avec orchestre ; deux exemplaires de la par-
tition; un exemplaire de la transcription des parties
d'orchestre pour un second piano ; les parties
d'orchestre, parmi lesquelles trois parties de pre-
mier violon, trois de second violon, deux d'alto,
deux de violoncelle, deux de contrebasse.
2. Une sonate pour piano seul ou une sonate
pour piano et un ou plusieurs instruments à archet;
deux exemplaires de la composition et un exem-
plaire de la partie de chaque instrument à archet
participant.
3. Plusieurs petits morceaux pour le piano; deux
exemplaires de chaque morceau.
Conditions. — Les compositions présentées ne
seront admises au concours qu'à condition que
l'auteur lui-même en exécute la partie de piano et
qu'elles soient inédites.
b) Pour les pianistes :
1. A. Rubinstein. IIe et IIIe parties du concertoen
sol majeur pour piano avec accompagnement d'or-
chestre.
2. J.-S. Bach. Un prélude et une fugue à quatre
voix.
3. Haydn ou Mozart. Un andante ou un adagio.
4. Beethoven. Une des sonates op. 78, 81, 90,
101, 106, 109, no, ni.
5. Chopin. Une mazurka, un nocturne et une
ballade.
6. Schumann. Un ou deux morceaux des Fanta-
siestiicke ou des Kreisleriana.
7. Liszt. Une étude.
Les personnes qui désirent se présenter au susdit
concours à Paris sont priées d'en aviser par écrit
le Conservatoire de Saint-Pétersbourg avant le
18 juillet igo5, en y ajoutant les documents origi-
naux ou leurs copies certifiées, constatant leur
identité et leur âge.
— Il y a longtemps que l'on s'étonnait de la
liberté grande que les fabricants de phonographes,
gramophones et autres instruments du même genre
prenaient en France avec les propriétés musi-
cales, enregistrant sans vergogne sur leurs rou-
leaux les meilleures œuvres modernes sans autre-
ment se soucier des droits que peuvent avoir les
compositeurs ou leurs cessionnaires. Un jugement
de la cour d'appel de Paris vient de trancher très
heureusement la question, nous semble-t-il, et
nous ne saurions mieux faire que d'emprunter au
Figaro le résumé très clair et très exact qu'il
donne de toute cette affaire :
« Les marchands de phonographes ou de gra-
mophones doivent-ils payer des droits d'auteur
pour les œuvres gravées sur les disques ou cylin-
dres qu'ils éditent?
» Cette question de droit, juridiquement et pra-
tiquement importante, vient, dans un intéressant
arrêt, d'être tranchée par la cour de Paris (pre-
mière chambre), présidée par M. Emile Forichon.
Me Poincaré avait défendu pendant plusieurs
audiences les droits des éditeurs de musique contre
les reproductions phonographiques d'ouvrages
dont ils sont les cessionnaires. Me Du Buit défen-
dait la thèse des marchands de disques. C'est le
système de Me Poincaré que la première chambre
a, en principe, adopté.
» L'arrêt répartit les œuvres susceptibles d'être
reproduites en deux catégories principales :
178
LE GUIDE MUSICAL
i° œuvres littéraires chantées ou accompagnées
de musique; 2° les airs de musique sans paroles.
» Pour les premières, point de difficulté : la loi
de 1793 sur la propriété littéraire et artistique les
protège. Cette loi est générale. Elle garantit l'au-
teur de l'œuvre littéraire contre toute reproduc-
tion. La musique et les paroles étant indivisibles,
la partition se trouve protégée en même temps que
le livret. Or, la cour considère que l'inscription et
l'édition d'un air d'opéra, par exemple, sur un
disque ou cylindre phonographique, « est un mode
» de publication rentrant dans les termes généraux
» de la loi de 1793 ».
« Grâce à leurs sons, dit l'arrêt, l'intelligence de
» l'auditeur est, par l'ouïe,, pénétrée de l'œuvre
» comme elle l'eût été "avec un livre par la vue,
» ou, avec la méthode Braille, par le toucher. Dès
» lors, c'est un mode d'édition perfectionné par
» l'invention, et les règles de la contrefaçon sont
» applicables : la réunion de ces éditions formant,
» pour respecter les promesses du prospectus,
» une véritable bibliothèque. »
» Au contraire, pour la seconde catégorie : airs
de musique sans paroles, il n'y a point contrefaçon
dans l'édition phonographique. Pourquoi? Parce
que notre législation possède un texte absurde qui
porte la plus grave atteinte aux, principes de la
propriété intellectuelle. C'est une loi du mois de
mai 1866, dont voici l'article unique :
" « La fabrication et la vente des instruments
» servant à réproduire mécaniquement des airs de
» musique qui sont du domaine privé ne consti-
» tuent pas le fait de contrefaçon musicale. »
» Quelle est la raison de cette étonnante déro-
gation à des principes que toutes les nations civi-
lisées sont venues emprunter à notre législation ?
Le motit ? C'est que la boite à musique est une des
industries nationales... de la Suisse. Parfaitement.
En 1866, la France avait besoin de passer un traité
de commerce avec nos voisins. Ceux-ci mirent
comme condition à la signature qu'on leur deman-
dait, l'abandon à leurs nationaux des droits des
musiciens français. Et comme il y avait un grave
-intérêt politique à la passation du traité de com-
merce, on sacrifia volontiers l'intérêt des artistes à
ceux du commerce franco-suisse. »
— On nous télégraphie de Lisbonne le très beau
succès au San Carlos pour la Grisélidis de M. Mas-
senet, qui a trouvé une remarquable interprète en
Mme Marie Boyer*
— Le père Hartmann, auteur de l'oratorio San
Francesco, qui a obtenu en ces derniers temps un
grand succès en Italie et en Allemagne, vient de
terminer un second oratorio, intitulé La Cène du Sei-
gneur. La première exécution de cet ouvrage doit
avoir lieu prochainement à Berlin.
— Au théâtre municipal de Hambourg on an-
nonce, pour la fin du mois, la première représen-
tation de Princesse d'auberge de M. Jan Blockx.
— Le conseil municipal de Weimar a voté, sous
condition, un crédit de 375,000 francs pour la con-
struction d'un théâtre qui doit coûter, d'après l'es-
timation, 1,875,000 francs. Le grand-duc a fixé sa
contribution à un million de francs ; i25,ooo francs
ont été accordés l'année dernière par le Lantdag;
il ne reste donc plus à obtenir de cette assemblée
que 375,000 francs.
— Une revue allemande annonce que le théâtre
municipal de Dortmund prépare, pour être joué
incessamment, un nouvel opéra intitulé Sol Hai-
schuel. L'action se passe au Maroc et serait la mise
en scène d'une aventure véritablement arrivée.
L'auteur de la musique est un compositeur anglais,
M.. Bernard de Lisle, celui des paroles un Fran-
çais, M. Macé. La traduction allemande est due â
M. Otto Neitzel. L'ouvrage est en quatre actes ;
l'ouverture et des airs de ballet auraient été déjà
exécutés avec succès à Covent-Garden et en
France, nous dit-on. Sol Hatsckuel est le nom
d'une juive dont la décapitation forme le dénoue-
ment de l'opéra.
— Tout enfant, Mozart avait reçu en cadeau
um petit violon sur lequel il fit ses premières
études sans l'aide d'aucun professeur. Plus tard,
quand il débuta dans des concerts, il se servit d'un
instrument de Jacob Stainer, un des meilleurs
élèves d'Amati et le créateur de l'école allemande
de lutherie. Les deux violons de Mozart échurent
à sa sœur, la baronne de Stonnenburg, puis
passèrent aux mains dû chancelier Tressler, de
Neumarkt, lequel les revendit à l'école de Lenk,
fameux professeur de musique du Mozarteum de
Salzbourg. C'est dans ses nouvelles fonctions que
Lenk songea à faire constater l'authenticité des
deux précieux instruments en présence de témoins
dignes de foi, à savoir la veuve de Tressler, un
employé du tribunal de Neumarkt nommé Chris-
tan Abl, et un négociant de cette même ville,
Cari Pochinger, qui tous deux attestèrent que les
violons avaient bien appartenu à Mozart. Le plus
petit passa en 1876 en la possession du comte
Ludwig Paar, ambassadeur à Rome, et plus tard
fut offert par son fils au Mozarteum de Salzbourg.
L'autre, le violon de concert, appartient au fils
de Lenk, actuellement maître de chapelle à Griess.
LE GUIDE MUSICAL
179
— Au théâtre en plein air :
Cet été, le théâtre de la Nature, à Cauterets, don-
nera une représentation de Siegfried de Richard
Wagner, sous la direction de M.Jean de Reszké, et
le théâtre des Arènes de Béziers montera Les
Hérétiques, un opéra nouveau de M. Hérold, musi-
que de M. Charles Levadé.
ianos et ibarpes
trorù
Bruxelles : 6, rue Latérale
paris : rue bu ADaU, 13
NECROLOGIE
— Une des cantatrices allemandes les plus
remarquables, Mme Fanny Moran-Olden, vient de
mourir à la maison de santé de Schœneberg, où
on avait dû l'interner depuis deux ans déjà. Elle
était née à Oldenbourg le 28 septembre i855. Elle
dut lutter contre la volonté de sa famille pour
embrasser la carrière artistique, bien qu'elle eût
une voix snperbe et d'une rare étendue. Devenue
élève de Haas à Hanovre, puis de Mme Augusta
Gœtze à Dresde, elle débuta en 1877, au Gewand-
haus de Leipzig, comme cantatrice de concert, et
fut aussitôt engagée, grâce à son succès, à l'Opéra
de Dresde, où elle se montra pour la première fois
au public dans Norma. En 1878 elle passa à
Francfort, où elle aborda tous les grands rôles du
répertoire et se fit surtout remarquer dans les
œuvres de Wagner, jouant tour à tour Brunnbilde,
Ortrude et Isolde. C'est là qu'elle épousa le chan-
teur Cari Moran. En 1884 elle quittait Francfort
pour aller au théâtre municipal de Leipzig, puis,
en 1893, elle était engagée au Théâtre Royal de
Munich. Elle n'y devait pas rester longtemps, car
deux ans après elle prenait sa retraite, pour ne
plus donner qu'accidentellement des représenta-
tions dans telle ou telle ville. Elle chanta alors
à Bayreuth, puis alla faire une tournée en Amé-
rique, conservant son nom artistique de Moran-
Olden, bien qu'après avoir perdu son mari, dont
elle avait eu un fils et une fille, elle eût épousé
en secondes noces un autre chanteur, M. Théo-
dore Bertram, ténor de l'Opéra de Berlin. La
splendeur de sa voix, son opulente beauté, ' ses
qualités de style et sa rare puissance dramatique
avaient fait de Mme Moran-Olden une artiste
d'une valeur exceptionnelle.
— M. Edouard Dannrseuther vient de mourir à
Londres, où il était professeur de piano au Collège
royal de musique. On se souvient de la grande
amitié que lui témoignait Wagner, qui descendit
chez lui lors de son dernier séjour à Londres.
Dannraether a été l'un des plus actifs propagan-
distes des œuvres wagnériennes en Angleterre.
N. G.
— M.Alexandre Guyon,le comédien bien connu,
le créateur du bouillant Achille de la Belle Hélène,
est mort dimanche, à la Varenne-Saint-Hilaire.
Alexandre Guyon était né en 1829. Il avait com-
mencé par être ciseleur en bronze. Son goût pour
le théâtre le porta à se faire figurant, puis machi-
niste. Ayant reçu quelques leçons de Deburau
père, il s'adonna à la pantomime, dans laquelle il
fit de nombreuses créations, entre autres l'un des
Trois Pierrots dans la pièce de ce nom (i853), en
compagnie de Ch. Deburau et de P. Legrand.
Guyon avait créé des rôles épisodiques dans
un grand nombre de pièces. Il s'était fait succes-
sivement applaudir sur les scènes des Folies-Dra-
matiques, de l'Eldorado, de l'Alcazar, des Nou-
veautés, des Variétés, etc. Il avait pris sa retraite
il y a une vingtaine d'années.
— Nous apprenons la mort à l'âge de soixante-
dix-sept ans, de Mme Faure, femme du célèbre
baryton. Elle fit une jolie carrière à l'Opéra-Co-
mique, où elle chanta sous le nom de Caroline
Lefebvre. Son camarade Faure l'épousa en 1860.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
Daria; Tristan et
OPÉRA. — Sigurd; Rigoletto :
Isolde ; Roméo et Juliette.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Vaisseau fantôme;
Lakmé, Les Noces de Jeannette; LaTraviata; Carmen;
Le Jongleur de Notre-Dame, Le Légataire universel
(reprise); "Werther ; La Vie de Bohème.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Le
Jongleur de Notre-Dame et Bonsoir, Monsieur Panta-
lonj; La Basoche et Une Aventure de la Guimard;
i8o
LE GUIDE MUSICAL
Hérodiade; Carmen; Faust; Carmen; Hérodiade; La
-Basoche et Une Aventure de làGuimard.
Première annoncée : Martille.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT- --
La Grande-Duchesse" de Gérolstein.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 26 février. — Concert Colonne sous la
direction de M. Camille Chevillard ; la Rédemption de
César Franck avec le concours de Mme Auguez de
Montalant (l'Archange) et de Mme Renée du Mesnil, de
la Comédie Française (la Récitante). — Deuxième con-
certo pour piano de Ch.-M. Widor (M. I. Philipp).
— Conservatoire ; Symphonie en si bémol, op. 98,
n° 2, J. Haydn; les Béatitudes, César Franck (soli : MM.
Cornubert, Daraux, Guignot, Narçon, Mmes Hénault,
Marie Laute); Ouverture de la Flûte enchantée.
— Concert Lamoureux : Ouverture de Freyschiitz,
Weber; Antan, Rimsky-Korsakow ; Le Compagnon errant,
Malher (Mme Faliero-Dalcroze); Mazeppa, Franz Liszt;
Aria, Rossi, et air de Momus du Défi de Phœhis et de
Pan, Bach (Mœe Faliero-Dalcroze); Fête populaire,
extraite de l'Absent, Le Borne.
Mardi 28 février. — A 9 h , à la Schola" Cantorum,
Concert par Mlle Blanche Sel va.
BRUXELLES
Samedi 4 mars. — A 8 % h., salle Erard : Séance de
sonates donnée par MM. Emile Bosquet et Emile
Chaumont. Au programme : Bach, Brahms, d'Indy.
Dimanche 5 mars. — A 2 h., Théâtre de l'Alhambra :
-Quatrième concert d'abonnement des Concerts Ysaye
-sous la direction de M. F. Steinbach, directeur du
.Conservatoire et chef d'orchestre des Concerts du Gùr-
zenich de Colcgne, avec le concours de Mme Nina
Faliero-Dalcroze, cantatrice. Programme : Symphonie
n° 7, Beethoven; Air de Suzanne et Air de Chérubin
des Xoces de Figaro, Mozart (Mme N. Faliero-Dalcroze);
Concerto brandebourgeois pour orchestre à cordfs,
Bach ; Air de Marguerite de. la Damnation de Faust, Ber-
lioz (Mme N. Faliero-Dalcroze); Ouverture des Maîtres
Chanteurs, Wagner.
Mercredi 8 mars. — A 8 ^ h., Grande Harmonie :
Troisième concert donné par M. Mathieu Crickboom,
violoniste, avec le concours de Mme Lil-y Lang-Mali-
gnon, cantatrice. Au programme : Concerto op. 26,
MaxEruch; Recitativo ed Aria E. d'Astcrga; Canzone,
Hasndel; Sonate n° 6, pour violon seul, J.-S. Bach; Dcr
Neugierige. Schubert ; Nanny, E. Chausson ; D'une
Prison, R. Hahn ; Sérénade, R. Strauss; Havanaise,
Saint-Saëns; Romance, Glazounow; Eallade et Polo-
naise, H. Vieuxtemps.
Jeudi 9 mars. — A 8 ^h., à la Grande Harmonie :
Concert donné par Mlle Magdeleine Boucherit et
M. Jules Boucherit. Au programme : Mozart, Paganini-
Schumann, Chopin, Saint-Saëns, Mendelssohn, Brahms,
Chabrier, J.-S. Bach et Wieniawski.
Vendredi 10 mars. — Salle Erard, Deuxième séance
de sonates pour piano et violon donné» par MHe Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. (Sonates en la ma-
jeur, Bach; ut mineur op. 3o, Beethoven; sol majeur
op. 78, Brahms.
— Salle Ravenstein : Lieder,-Abend donné par MUe
Elisabeth Delhez. ■ ■--'■ -
Dimanche 12 mars. — A, 2 J^ h., Théâtre de l'Alham-
bra- ; Piano-récital par M. Mark Hambourg. Au pro-
gramme : Sonate en. la bémol op. 26, Beethoven; Fan-
taisie en «/majeur iDer Wanderer), Schubert ; Nocturne,
six. . préludes, ■ polonaise, sonate en si bémol, op, 35,
Chopin; Nbctui ne, Rubinstein; Etude, Foldini ; Etude,
Moszkowski; Volkslied, • Mark "Hambourg; Rapsodie
n° 8, Liszt.
Mercredi 15 mars. — A 8 •/£ h., Salle de la Nouvelle
Ecole Allemande : Deuxième séance du Quatuor
Zimmer. (Quatuors en mi majeur, Witkowîky; fa ma-
jeur, Schumann; mi bémol majeur, Mozart).
ANVERS
Mercredi 1er mars. — A 8 Y^h.., à la Société royale de
Zoologie : Concert avec le concours de M. Maurice
Geeraert, pianiste Programme : Euryanthe (ouverture),
Weber; romance en fa pour violon et orchestre, Beet-
hoven; concerto en la mineur op. 54, pour piano et or-
chestre, Schumann; Symphonie inachevée* Schubert;
impromptu en si témol, Schubert-; valse en mi, Mosz-
kowski ; Huldigungsmarsch, Wagner.
Mercredi 8 mars. — A 8 J^ h ,à la Société royale de
Zoologie : Concert symphonique. Audition d'oeuvres de
Peter Benoît et d'Hector Berlioz ; Fragments du drame
lyrique La Pacification de Gand ; Symphonie fantastique.
LIÈGE
Mercredi 1er mars. — A 8 heures, en la Salle des Fêtes
du Conservatoire, quatrième concert donné par le
Cercle Piano et Archets (MM. Jaspa r, Maris, Bauwens,
Foidait et Saive). Programme : 1. Quintette en fa mi-
neur, César Franck; 2. Sonate en la pour viole d'amour
et piano, Ariosti; 3. Quintette en la majeur, Dvorack.
LILLE
Dimanche 12 mars. — Quatrième concert de la Société
de musique avec le concours de Mme Marie Bréma.
NANCY
Dimanche 26 février. — Concert du Conservatoire sous
la direction de M. J. Guy Ropartz : Prélude de Y Oura-
gan de Bruneau; concerto en fa majeur de J. S. Bach
pour violon, flûte, hautbois, trompette et orchestre;
fragments des premier et deuxième actes à' Orphée de
Gluck (Orphée : Mme Georges Marty); première sym-
phonie en si bémol de SchumanD.
Dimanche 12 mars. — Concert du Conservatoire sous
la direction de M. J. Guy Ropartz, avec le concours de
M. Georges Dantu : Faust-Symphonie de Liszt; Ouver-
ture pour Faust, Richard Wagner.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust do Schumann. Interprètes :
Mlle Marcella Pregi, MM. Mauguière, Daraux et L.
Nivette, Mmes Buen, Artôt, et M. Vander Haeghen.
A vendre : Biographie des Musiciens de Fétis
(7 vol.), le supplément par Pougin (2 vol.).
S'adresser à M. F. Choisy, boulevard de la Cita-
delle, à Gand.
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jff czzo-Sopa'fiiio, Ténor et liasse §oli, Chœur et Orchestre
Traduction française de J. d'OFFOËL
Partition chant et piano
Parties de chœur, chaque
Livret ....
Net : fr. 7 5o
» » 2 5o
» » o 5o
JE ai Tente chez tons les éditeurs de musique
5ime année. — Numéro iô.
S Mars 190S.
LES INTERPRÈTES DE * CARMEN
LA millième de Carmen à l'Opéra
Comique s'est trouvée avoir
beaucoup plus de retentissement
qu'on n'aurait pu le croire en se
rappelant combien la plupart des précé-
dentes millièmes ont passé inaperçues. C'a
été de tous côtés, dans les revues ou les
journaux, une course aux souvenirs, aux
anecdotes, aux renseignements statis-
tiques..., et nul ne s'en est plaint. Puisque
la question continue à être à l'ordre du
jour, peut-être nos lecteurs accueilleront-
ils avec intérêt la suite de notre article d'il
y a quelques semaines, que nous avions
coupée par discrétion, et où nous nous
proposons dépasser en revue les principaux
interprètes de l'œuvre de Bizet.
Mais, d'abord, un mot sur le plus pré-
cieux de tous les articles auxquels la mil-
lième aura donné lieu : celui de M. Ludovic
Halévy dans la belle revue illustrée Le
Théâtre. Il faut lire, il faut conserver ces
pages, tout à fait documentaires pour l'his-
toire de l'œuvre non seulement à Paris
mais à l'étranger, car si tout n'y est pas
inédit, plus d'un détail est topique et défi-
nitif, et le récit est plein de charme.
M. L. Halévy parle ainsi des études mu-
sicales de l'œuvre, où les chœurs surtout,
tout désorientés, trouvaient des difficultés
insurmontables : « Les choristes avaient
l'habitude de chanter les ensembles bien
alignés, immobiles, les bras ballants, les
yeux fixés sur le bâton du chef d'orchestre,
et la pensée ailleurs. » (La pensée ailleurs !
comme c'est cela encore !) Cependant, on
travailla, et les dernières répétitions furent
vraiment bonnes. L'effet était d'ailleurs
excellent, et serait probablement resté tel,
au moins sur le public des premières, sans
les notes tendancieuses des journaux,
parues le matin même du jour décisif et
annonçant urbi et populo que l'Opéra-Co-
mique allait cesser d'être le théâtre des
familles et des mariages bourgeois.
Comme écho de cette première soirée,
M. L. Halévy donne une lettre qu'il écrivit,
au sortir du théâtre, à un ami absent de
Paris. Elle est fort curieuse. Une autre ne
l'est pas moins, c'est celle que Bizet écri-
vait, dès 1867, au critique Johannes Weber
et qui montre combien sa marche en avant
était voulue et intelligente dans cette voie
nouvelle où Carmen prouve qu'il fût allé
bien plus loin encore. C'était à propos de
la Jolie Fille de Perth : «J'ai fait, cette fois
encore, des concessions que je regrette, je
l'avoue. J'aurais bien des choses à vous
dire pour me défendre ; devinez-les. Toutes
mes concessions ont raté! J'en suis ravi !
L'école des flonflons, des roulades, du
mensonge, est morte, bien morte ! Enter-
rons-la sans larmes, sans regrets, sans émo-
tion, et... en avant ! »
Pour en revenir à la première de Carmen,
on sait combien les pages vraiment avan-
i$4
LEGUIDE MUSICAL
cées passèrent inaperçues (tel le duo du
quatrième acte), tandis que le duo de Mi-
caëla et Don José au premier acte, l'air du
Torero, l'air de Micaëla, prouvèrent, par
l'accueil qu'on leur fit, qu'il ne tenait qu'à
Bizet d'obtenir le succès, s'il eût voulu tout
écrire dans ce goût. M. L. Halévy cite
d'ailleurs quelques passages des critiques
autorisés qui ne laissent aucun doute à cet
égard. Cependant, les recettes furent hono-
rables, et si espacées qu'elles fussent, les
représentations atteignirent tout de même
le chiffre de 48. Mais c'est la crainte fébrile
des directeurs devant une reprise possi-
ble qui est tout à fait amusante. Carvalho
fut longtemps irréductible, et son horreur
du risque à courir influa pendant bien des
années sur toute la province. Il fallut les
grands succès de l'étranger, qui finirent
tout de même par entraîner nos départe-
ments ; il fallut surtout les obsédantes
réclamations du public, pour vaincre cet
infortuné, « dont la vie était devenue
un véritable martyre », et encore cette re-
prise du mois d'avril 1883 eut-elle besoin
de se reprendre à son tour et de se ressai-
sir en quelque sorte, tant on sentait que la
bonne volonté manquait.
C'est à Vienne que Carmen avait émigré
d'abord, le 23 octobre 1875, mais dans des
conditions très particulières, qu'il est cu-
rieux de rappeler. Non seulement le parlé
était remplacé par des récitatifs dus à Er-
nest Guiraud, mais le corps de ballet dan-
sait, au quatrième acte, tout le divertisse-
ment de la Jolie Fille de Perth, que suivait
un magnifique cortège à cheval. « Cet écla-
tant quatrième acte (écrivait-on alors à
M. L. Halévy) a décidé du succès. L'en-
trée du cirque est un spectacle pitto-
resque et grandiose qui fera courir tout
Vienne. »
Aussi la vraie revanche de Bizet ne fut-
elle pas là, mais à Bruxelles. C'est là, le 3 fé-
vrier 1876, que Carmen obtint son premier
succès décisif. Nous reparlerons de cette
soirée mémorable, qu'évoque encore, dans
l'article de M. Halévy, une lettre récente
de M. Gevaert, dont il faut rapprocher un
passage de Nietzsche (après vingt audi-
tions!). Après Bruxelles, ce fut le tour de
Saint-Pétersbourg, Londres, New- York,
Naples... Puis, en 1878, Marseille, Lyon,
Angers, Bordeaux... successivement, capi-
tulèrent... Enfin, après sept ans d'attente,
Paris se rouvrit à Carmen errante, et nous
voici de retour au point où j'en voulais arri-
ver pour parler des interprètes.
* * *
Je rappelle, pour n'y pas revenir (1), que
la première reprise de i883 fut confiée à
M",e Adèle Isaac, qui n'était pas la femme
du rôle, mais n'en contribua pas moins
très heureusement, par son impeccable et
brillant talent vocal, au succès déjà décisif
de l'œuvre de Bizet. De même, que
Mme Galli- Marié, après être revenue elle-
même donner l'impulsion définitive, tint
son rôle, par intervalles, jusqu'en i885; et
que les meilleures, parmi les nombreuses
Carmen qui se sont succédé depuis elle,
sont encore celles qui ont le mieux fait
revivre le souvenir et les traditions de
cette grande artiste.
Je me souviens de la plus ancienne des
Carmen comme de l'une des plus origi-
nales : Mlle Castagne, qui suppléa Mme Galli-
Marié et se montra bien de son école.
Mme Deschamps, après elle, tint le rôle
avec vaillance et plus longtemps peut-être
que toute autre. On n'a pas oublié Mlle Nina
Pack; on revoit de temps à autre avec
plaisir Mme Wyns, on se souvient de
l'étrange figure qui apparut un soir avec
Mme Georgette Leblanc ; on regrette aussi
la Carmen que nous montra Mme Delna,
qui donnait à plusieurs scènes une ampleur
vocale exceptionnelle. Enfin, plus récem-
ment, Mlles Friche et Cortez (toujours l'op-
position des deux voix de Carmen, chantée
en falcon ou en mezzo-soprano) ont inté-
ressé vraiment les spectateurs.
Mais, bien qu'il soit un peu malséant de
faire des classifications, on peut dire que
trois artistes surtout se sont imposées,
(1) Voyez le numéro 1 du Guide musical : « La millième
de Carmen. »
le guidj: musical
iS5
jà Paris, comme des interprètes person-
jnelles et vraiment éloquentes du rôle :
Mmes de Nuovina, Calvé et Marié de
l'Isle. Je m'y arrêterai peu, après en avoir
si souvent parlé ici. Je tiens cependant
à redire à quel point Mme de Nuovina,
qui s'était profondément assimilé le rôle
pendant ses années de séjour au théâtre
royal de la Monnaie de Bruxelles, nous est
apparue à Paris comme réalisant le plus
absolument la Carmen de Galli- Marié, et,
par l'éclat mordant de sa voix ou le piquant
original de sa beauté, donnant au person-
nage tout son caractère.
Avec Mme Emma Calvé, c'est autre
chose; c'est en quelque sorte une Carmen
à part, qui se soucie beaucoup moins de
traditions quelconques que de la fantaisie
toujours renaissante de son inspiration, et
de l'exacte interprétation de l'œuvre que
de son effet. Elle a fait du rôle une de ses
incarnations les plus enthousiastes et les
plus éprises, et l'a promené dans les deux
mondes, toujours cherchant à mieux faire
(ce qui est parfois un danger), toujours
somptueuse comme voix et comme jeu.
MUe Marié de l'Isle est plus simple ; elle
se contente de représenter Carmen dans la
tradition, et d'ailleurs en vrai mezzo,
comme sa grand'tante, dont elle est juste-
ment fière de faire reparaître le nom sur le
programme. J'ai assez dit pour ne pas le
répéter combien sa Carmen est vraie,
émouvante, vécue dans les moindres
nuances du jeu ou de la voix, rendue avec
goût et profondeur, quel charme de per-
fection on sent à l'entendre....
Il y a eu moins de bons Don José que de
Carmen. Plus encore peut-être que pour
celle-ci, il semble que les qualités phy-
siques soient indispensables, et le carac-
tère, l'instinct naturel ; or, comme la voix
ne l'est pas moins, ce sont là bien des
conditions à trouver réunies. Cependant,
tous les ténors y pensent réussir, et le fait
est que beaucoup ont leurs qualités. On
n'a pas oublié Mauras, Mouliérat, sur-
tout Lubert, qui dépassait les bornes de
l'énergie dramatique, et Jérôme, à la voix
sonore; nous revoyons toujours Maréchal
ou Beyle; nous avons vu un instant
Alvarez, qui écrasait tout, et Clément nous
charme depuis quelque temps avec son
élégance et sa jolie voix. Mais le Don José
type, absolu, qui, à la prestance physique,
joint le caractère spécial (de terroir, dirai-
je) qui convient au personnage, et, à un
pathétique irrésistible, à une force tra-
gique souveraine, joint une grâce de diction
et une beauté vocale sans rivales, c'est
celui qu'ont acclamé les deux mondes et
qui nous reviendra sans doute bientôt,
c'est toujours Albert Saléza.
De la théorie nombreuse et souriante
des Micaëla, peu de figures émergent réel-
lement de la brume qui les entoure. Le
caractère est si indécis en lui-même qu'il
a toujours été singulièrement malaisé de
s'y montier original. J'ai conservé un sou-
venir tout particulièrement charmé de
Mme Bilbaut-Vauchelet, dont la voix comme
la beauté s'adaptaient à ravir au person-
nage. Aussi bien était-ce comme un jeu,
un rôle si mince, pour cette artiste par-
faite.' En sautant d'un coup par-dessus tant
d'autres interprètes, telles que Mmes Lan-
douzy ou Laisné, Leclerc ou Guiraudon...
n'en peut-on dire autant de Mme Marie
Thiéry, qui le relève aujourd'hui de tout
le charme de son style exquis, de toute
l'autorité de son talent?
Le personnage d'Escamillo n'est pas
difficile; encore y faut-il autre chose
qu'une voix sonore : de la ligne, du slancio
et aussi du goût. Sans faire oublier Bouhy,
Taskin est resté longtemps l'Escamillo
type, d'une fatuité somptueuse, d'une
verve pleine de lumière, que la plupart de
ses successeurs ont trop poussée au noir.
L'un des meilleurs, avec cette restriction,
a été Mondaud, qui avait aussi une pres-
tance superbe. Attachons enfin un sou-
venir à Lorrain, à l'intelligent Albers, qui
n'a fait que passer, et louons surtout le
caractère sobre et vigoureux de l'inter-
prète actuel, l'excellent Dufranne.
Et maintenant, je livre mon tableau
général, avec ses lacunes probables, mais
iS6
LE GUIDE MUSICAL
avec ses dates certaines aussi, qui ne sont
la Comédie française, c'est aussi beaucoup
pas sans intérêt à conserver. Comme pour
dans mes notes personnelles et dans les
les statistiques présentées à propos de la
journaux du temps que j'ai cherché et
millième, c'est chez notre ami Albert Sou-
trouvé. S'il y a des oublis, j'espère du
bies que j'ai d'abord puisé; mais comme le
moins qu'ils ne sont pas trop graves.
cadre de ses charmants petits almanachs
(N.B. — Les interprètes ne sont mar-
ne lui a pas permis de dresser pour
qués que la première fois qu'ils ont pris le
l'Opéra=Comique ce précieux « journal du
rôle, bien qu'ils aient reparu souvent pen-
théâtre » dont il a fait bénéficier l'Opéra et
dant ou après nombre d'années.)
ANNÉE
CARMEN
MICAËLA
DON JOSÉ
ESCAMILLO
1875
Galli-Marié
Chapuy
Lhérie
Bouhy
Franck-Duvernoy
1883
Isaac
Merguillier
Stéphanne
Taskin
Galli-Marié
Rose Delaunay
Bertin
Bilbaut-Vauchelet
M auras
Herbert
1884
Castagne
Cécile Mézeray
Carroul
1885
Patoret
Mouliérat
Cobalet
Bouvet
1886
Deschamps
Molé-Truffier
Lubert
Soulacroix
1887
Delaquerrière
1888
Vaillant-Couturier
Bernaërt
1889
Nardi
1890
Dupuy
Devineau
Lorrain
1891
Jeanne Fouquet
Tarquini d'Or
Gluck
Furst
Belhomme
1892
Arnoldson
Chevalier
de Béridez
Calvé
Landouzy
1893
Bonnefoy
Leclerc
Delmas
Mondaud
1894
Wyns
Laisné
Vuillaume
Imbart de la Tour
Badiali
1895
Pack
Leprestre
Maréchal
1396
Oswald
Jérôme
1897
de Nuovina
Juliette Dantin
1898
de Lussan
G. Leblanc
Passama
Thévenet
Thompson
Guiraudon
Engel
Saléza
Beyle
Delvoye
■
1899
Marié de l'ïsle
Chambellan
Marie Thiéry
Eyreams
Mastio
Daviès
Delmas
Dufour
Dangès
Viannenc
Albers
1900
Bressler-Gianoli
Courtenay
Dufranne
1901
Borello
Rolland
Gautier
Allard
Bourbon
Baux
1902
Gottrand
Caux
Alvarez
.
igo3
Friche
Vauthrin
Cossira
Cortez
Suz. Argens
Daffetye
Sizes
Clément
.
1904
Pornot
Vallandri
Zocchi
Henri de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL
187
MARTILLE
Drame lyrique en deux actes par Edmond Cattier,
musique d'Albert Dupuis. Première représen-
tation au Théâtre royal de la Monnaie le
3 mars 1905.
En rendant compte, en 1903, de la pre-
mière représentation de Jean Michel au
théâtre de la Monnaie (1), nous consta-
tions combien M. Albert Dupuis avait
le sens du théâtre, combien ce début
témoignait chez lui d'un véritable tempérament de
musicien dramatique. Nous étions dès lors con-
vaincu que cette œuvre ne tarderait pas à être
suivie d'une autre, qui trouverait auprès de
MM. Kufferath et Guidé la même hospitalité géné-
reuse. Deux ans à peine se sont écoulés depuis
l'apparition de Jean Michel, et voilà que le nom de
M. Dupuis reparait sur l'affiche, accolé à celui
d'un autre auteur belge, M. Edmond Cattier, qui
s'est fait, dans la critique musicale, une situation
particulière par ses vues souvent originales.
Martille n'est pas seulement une œuvre belge
par la nationalité de ses auteurs ; elle est belge
aussi par le lieu où se passe l'action, — un coin de
la Semois, que M. Albert Dubosq a brossé de ma-
nière à en faire un délicieux tableau, une évoca-
tion poétique et saisissante des aspects de la char-
mante rivière ardennaise lorsque les colorations
automnales empourprent les frondaisons de ses
rives.
C'est un drame villageois, rapide et sombre, met-
tant en présence des personnages aux sentiments
à la fois violents et frustes, qui se déroule dans ce
cadre pittoresque. Etienne, marié à une femme qui
ne lui est point fidèle, éprouve un profond amour
pour Martille, une brave et honnête fille obligée,
pour subvenir aux besoins de sa famille, de s'enga-
ger comme servante dans une auberge. Les senti-
ments d'Etienne sont partagés par Martille, mais
celle-ci hésite à en faire l'aveu, cet amour devant
rester sans issue. Martille a inspiré également une
passion très vi^e à Pierre, un bellâtre au carac-
tère brutal, dont les avances sont repoussées, mais
qui s'est juré d'arriver à ses fins. Il trouvera une
alliée dans la femme d'Etienne, la volage Betsy,
qui ressent pour lui un violent amour. Pour s'assu-
rer son aide, il feint de l'aimer également :
qu'Etienne disparaisse, et elle sera libre ! Ils exci-
(1) Voir le Guide musical du 8 mars igo3, p. 209.
teront contre Etienne le braconnier Jérôme, en lui
faisant croire qu'il l'a dénoncé au garde. Le com-
plot réussirait si, au moment critique, Martille ne
déclarait, pour sauver Etienne, que c'est chez elle
— sa maîtresse — qu'il se trouvait au moment où
Jérôme posait ses collets.
Cette déclaration n'a fait qu'exciter la jalousie
de Pierre, qui menace Martille de tuer son rival.
Pour sauver celui-ci, elle lui promet de renoncer
à Etienne. Elle se trouve ainsi amenée à déclarer à
ce dernier qu'elle lui a préféré Pierre et n'a pu résis-
ter à son amour. Betsy, qui a entendu ces aveux,
les croit sincères. Elle reproche à Martille de lui
prendre son amant après lui avoir volé son mari et,
dans un accès de fureur jalouse, la frappe violem-
ment avec ses ciseaux. Martille meurt, non sans
avoir fait connaître à Etienne qu'elle a menti pour
lui sauver la vie et qu'à lui seul allait tout son
amour.
Ces péripéties, trop nombreuses pour une
œuvre d'aussi peu de développement, ce qui
découpe la pièce en scènes menues à l'excès, se
passent sur le cours d'une journée, — une journée
de fête, car c'est la ducasse du village. Chacun des
actes débute par des scènes mouvementées, dont
l'allure joyeuse forme un violent contraste avec le
caractère sombre du drame. Si un cadre unique
sert pour les deux actes de cette œuvre où l'unité
de temps et de lieu se trouve si complètement réa-
lisée, ce cadre est cependant fort changeant d'as-
pect, car l'action, qui débute au lever du jour,
tandis que les vapeurs qui embrument la rivière et
ses coteaux boisés se dispersent sous l'action du
soleil naissant, ne prend fin, par l'épisode tragique
de la mort de Martille, qu'à la tombée de la nuit,
après que le crépuscule a coloré l'horizon de
rougeurs sinistres. C'est habilement conçu, — et ce
fut traduit, matériellement, avec ce sentiment
affiné de la couleur et de la lumière qui s'affirme
dans toutes les réalisations scéniques de la direc-
tion actuelle.
M. Albert Dupuis semble devoir tenir les pro-
messes, si brillantes, qu'apportait la partition de
Jean Michel. On retrouve ici ce don inné du théâtre,
ce sens des proportions, cette habileté à ménager
les transitions, sans diminuer les effets, que cette
œuvre de début avait révélés, à un si haut degré,
chez le jeune musicien. D'autre part, le raproche-
ment des deux œuvres permet de dégager avec
précision la personnalité de l'auteur. Mais M. Al-
bert Dupuis subit encore maintes influences, et
l'originalité de sa ligne mélodique s'en ressent
parfois sensiblement ; les rappels wagnériens, les
souvenirs de son maître Vincent d'Indy, restent
iSS
LE GUIDE MUSICAL
assez fréquents. Que le compositeur oublie com-
plètement Tristan, dont les motifs le hantent tout
particulièrement, et il sera bien près d'être lui-
même. Il y a d'ailleurs maintes choses bien à lui
dans Martiïle, et leur caractère personnel même fait
qu'on les classe d'emblée parmi les meilleures;
nous citerons comme exemple le thème d'amour
qui apparait dès la rencontre d'Etienne et de Mar-
tiïle. La marque particulière de l'auteur se révèle
surtout dans ces motifs en 3/4 agrémentés de syn-
copes et de triolets, — une coupe très fréquente, il
est vrai, dans la partition de Tristan (1), mais à
laquelle le jeune musicien adapte un tour de phrase
d'une saveur spéciale, de la plus délicate poésie.
Avec un pareil don d'invention, il devrait être aisé
de s'affranchir davantage de l'influence d'autrui.
M. Dupuis a pu moins ici que dans Jean Michel
affirmer sa faculté de développement : la con-
ception du livret, découpé en scènes brèves et
rapides, n'y prêtait guère. Mais, des situations
qu'il avait à traduire musicalement, il a tiré un
excellent parti, sachant mettre en valeur les
phrases saillantes du dialogue, les soulignant par
des idées mélodiques bien appropriées, d'une
expression très captivante, présentant au contraire
en la forme de récitatifs souvent à découvert, les
simples énonciations de faits, n'ayant qu'une portée
explicative. Et cette alternance des passages
purement matériels, si l'on peut dire, et de ceux
qui indiquent une vibration de l'âme des person-
nages se produit avec une habileté, un tour de
main que l'on s'étonne de rencontrer à ce point
chez un compositeur dramatique n'ayant pas une
plus longue pratique du métier : il est, dans cette
partition, des pages dignes d'être signées par le
plus expérimenté des musiciens lyriques.
Les scènes épisodiques ont, comme celles qui
traduisent les sentiments des personnages princi-
paux, très favorablement inspiré M. Dupuis, et sa
note personnelle s'y affirme, en maints endroits,
d'une manière caractéristique. La fête de la
kermesse renferme des ensembles vocaux très habi-
lement charpentés ; si le souvenir des Maîtres Chan-
teurs s'y révèle parfois, il voisine avec des inspira-
tions plus originales, ayant, comme il convient, du
rythme et de la couleur.
MM. Kufferath et Guidé ont traité Martiïle avec
des égards auxquels les œuvres belges n'ont pas
toujours été habituées à la Monnaie. Ils ont fait
choix, pour les rôles essentiels, d'éléments de pre-
mier ordre. Mmes Paquot (Betsy) et Dratz-Barat
(1) Tel le thème de la Félicité dans l'Hymne à la
Nuit, au deuxième acte de J'oeuvre de Wagner.
(Martiïle), MM. Laffitte (Etienne) et D'Assy (Pierre)
ont contribué, par une interprétation passionnée,
au succès de l'œuvre de M. Albert Dupuis.
Chacun des deux actes a été suivi de chaleureux
rappels. Et l'on a ovationné à deux reprises
M. Albert Dupuis, appelé sur la scène par les
acclamations d'un public vivement impressionné.
J. Br.
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS COLONNE. — Un matin, M.
Octave Mirbeau, homme de lettres de beaucoup de
talent, s'étant levé de mauvaise humeur parce que,
en mal de chronique, il n'avait pas trouvé un sujet
à sa convenance, s'avisa d'injurier la mémoire de
Gounod au profit de celle de César Franck. On
connaît le procédé du brillant pamphlétaire : il
consiste à mettre en scène un homme célèbre, à
le faire parler et à lui attribuer les sottises de lan-
gage les plus invraisemblables du monde. Selon
M. Mirbeau. Gounod, assistant à la première audi-
tion de Rédemption (donnée à l'Odéon, comme cha-
cun sait, le Jeudi-Saint 10 avril 1873), aurait ridicu-
lisé l'œuvre de Franck, et l'aurait fait en des termes
des plus méprisants, à haute voix dans les couloirs
du Cirque d'Hiver, où elle n'a jamais été exécutée.
L'histoire était inventée de toutes pièces : non seu-
lement Gounod n'était pas présent à cette audition,
mais, de plus, il était alors à Londres, ainsi qu'en
font foi des lettres du maître datées de cette
époque et que j'ai là sous les yeux. Le meilleur
moyen de glorifier un artiste est d'en outrager un
autre : ayant l'admiration agressive, M. Mirbeau
traita Gounod de musicien « de cabinet de toi-
lette » et jugea Faust bien inférieur au Petit Faust.
La vérité était que M. Mirbeau ne connaissait pas
une note de Rédemption, bien qu'il ait dit l'avoir
entendue au Cirque-d'Hiver ; on le devine à
l'étrange appréciation qu'il a faite du génie de
César Franck : « Il était moins compliqué que
Berlioz; son style avait la clarté limpide des
sources qui chantent sous les fleurs... » et autres
phrases creuses qui ne signifient rien du tout.
1,2 GUID^ MUSICAL
Il disait encore que Rédemption, en 1873, avait
échoué « sous les huées du public ». Mais non,
mais non, c'est encore une légende comme celle
qu'on s'obstine à conter à propos de Faust et de
Carmen. Rédemption fut accueillie froidement et avec
une politesse ennuyée, je m'en souviens fort bien,
comme doivent assurément se le rappeler MM.
Reyer, Massenet, Duquesnel, Adolphe Jullien,
Albert Soubies, etc.
Non, César Franck n'était pas un génie « mé-
connu », mais « inconnu » seulement du grand
public. Il ne pouvait en être autrement, puisque
ses œuvres n'étaient pas exécutées dans les con-
certs.
Ce ne fut qu'après sa mort (1890) qu'on se décida
à penser à lui sérieusement ; on tàta le public pro-
gressivement, et enfin M. Colonne donna, le 20 dé-
cembre 1896, une seconde audition de Rédemption,
vingt-trois ans après la première. M. Mirbeau pro-
fita de cette occasion pour enfoncer des portes
qu'il n'avait pas ouvertes au temps où il y aurait
eu quelque mérite à donner de l'épaule.
Dimanche, au Châtelet, a eu lieu la septième
audition. Elle a été admirable en tous points, et
M. Colonne l'a dirigée avec cette passion, cette
fougue et cette jeunesse dont il a le privilège
exclusif. On a redemandé la superbe symphonie
descriptive de 1' « allégresse du monde qui se
transforme et s'épanouit sous la parole du Christ ».
M lis M. Colonne a refusé de céder aux instances
du public, et il a bien fait. On avait déjà bissé le
Clair de lune de Fauré et l'air du Timbre d'argent de
Saint-Saëns, chantés avec grâce par Mlle Leclerc ;
on avait même bissé avec enthousiasme — ce qui
ne s'était jamais vu pour une œuvre placée en tête
d'un programme — l'ouverture du Carnaval romain.
La résistance est souvent la plus habile des coquet-
teries. Le public, pour se venger, a beaucoup
applaudi Mme Auguez de Montalant et acclamé
l'éminent chef d'orchestre.
A ce concert, on a fait bon accueil à un con-
certo pour piano, œuvre nouvelle de M. Widor,
malgré les quelques sifflets traditionnels qui accom-
pagnent d'habitude les compositions de ce genre
et leur servent de macte anima'! Le thème initial,
écrit d'une main sûre, est d'un beau caractère ; la
pâte en est ferme et un peu lourde, ce qui fait
qu'elle se lève avec quelque difficulté ; après la
péroraison, toutefois, quand le motif s'épanouit
avec toute la force de l'orchestre, l'effet ne manque
pas de grandeur. L'andante qui relie les deux par-
ties m'a semblé moins personnel; c'est un chant
exposé par toutes les cordes et développé avec
de petits enjolivements de hautbois, de solo-violon,
un peu inutiles et propres à trop distraire l'oreille.
M. Philipp a exécuté cet intéressant concerto avec
une sage froideur et une impeccable netteté.
Julien Torchet.
\o
CONCERTS LAMOUREUX. — Je ne crois
pas qu'il soit possible d'entendre quelque chose de
plus joli et de mieux fait qu' Antar, symphonie en
quatre parties de Rimsky-Korsakow. La rareté
des thèmes, l'imprévu de l'écriture, la recherche
de l'orchestration, la variété des timbres, la cou-
leur orientale et comme fataliste de l'ensemble,
tout concourt à faire de cette œuvre comme un
écrin de gemmes brillantes à l'éclat superbe, mais
froid.
Car je ne crois pas non plus qu'il soit possible
d'entendre quelque chose de plus dépourvu d'émo-
tion qu' Antar. Cela est chatoyant et somptueux
comme un magnifique décor vu à travers les rêves
de l'opium, décor où agiraient de merveilleux auto-
mates dont jamais un élan passionné ne viendrait
rompre l'harmonieuse extériorité. Après avoir
entendu Antar, l'on doit saluer en Rimsky-Korsa-
kow l'un des plus précieux orfèvres musicaux qui
existent, mais il est parfai tement loisible de douter
qu'il ait l'âme d'un grand musicien.
Je préférerais ne rien dire du Mazeppa de Liszt,
poème symphonique pour piano transcrit pour
orchestre, et qui n'eût sans doute rien perdu à
rester fidèle au piano. Certes, il y a là-dedans
de la fougue et de la verve, mais combien brutales
et surtout combien vulgaires! Il y a deux Ma-
zeppa, celui de Victor Hugo et celui qu'enfants
nous avons tous vu, en maillot chair et lié sur la
croupe d'un cheval fougueux tournant autour d'une
piste d'un galop d'ailleurs cadencé. Pourquoi
n'est-ce pas le Mazeppa de Hugo que m'a évoqué
la musique de Liszt?
La Fêle populaire de M. Le Borne est tirée de la
partition de Y Absent. C'est une page vigoureuse,
haute en couleur, brillamment orchestrée et qui a
fait plaisir. •
Le Compagnon errant de M. Mahler est un cycle
de trois Lieder avec accompagnement d'orchestre,
que Mme Faliero-Dalcroze présenta avec beau-
coup de charme. Le meilleur nous a paru être le
dernier, Deux jolis yeux doux, surtout dans sa pre-
mière partie, où un accompagnement très discret,
en forme de marche funèbre, produit le même
effet.
Mme Faliero-Dalcroze obtint encore un vif
190
LE GUIDE MUSICAL
succès personnel dans un air de Rossi (1620),
d'une ligne charmante, et dans l'air de Momus de
Bach. J. d'Offoël.
CONCERTS CORTOT. — La Sainte Elisabeth
de Liszt fut composée de i858 à 1862 et jouée pour
la première fois en i865.
On ne saurait donc s'étonner si, en plusieurs de
ses parties, elle reflète ies tendances qui régnaient
à l'époque où elle fut écrite. La manière dont
Meyerbeer fut pendant vingt-cinq ans le représen-
tant se retrouve en d'assez nombreux passages,
plutôt en surface qu'en profondeur, où la recherche
de l'effet apparaît comme le but primordial.
Parfois aussi, Liszt se contente de thèmes légère-
ment quelconques, que la conscience avec laquelle
il les reproduit ne suffit pas toujours à rendre inté-
ressants, par exemple la Marche des Croisés, qui
aujourd'hui paraît à la fois longue et vide. D'autre
part, le prélude, page vraiment remarquable, con-
tient des sonorités toutes wagnériennes, et, dans le
tableau intitulé « La Comtesse Sophie », l'on voit
fulgurer un thème que Ton pourrait dénommer le
thème de la haine, et que Liszt a manié avec une
vigueur et une maestria que Wagner n'eût certes
pas désavouées.
L'impression causée sur nous par la Sainte Elisa-
beth est donc forcément un peu hybride. Je dis sur
nous, car il est fort probable que les auditeurs de
i865 l'ont trouvée, les uns très belle, les autres très
avancée. C'est là du reste l'obstacle auquel se
heurtent les tentatives faites aujourd'hui pour ren-
dre à Liszt, auprès du public, la place qui lui est
due. Ce très grand esprit a été un précurseur, il a
beaucoup inventé, mais les dieux hostiles ont
voulu qu'un autre, et beaucoup plus grand que lui,
portât ses inventions à leur perfection suprême, de
telle sorte qu'en nous approchant de Liszt après
nous être familiarisés avec Wagner, nous avons
toujours un peu la sensation que l'on nous montre
l'ébauche après nous avoir fait admirer le tableau.
Il n'en est pas moins vrai que les ébauches
comme la Sainte Elisabeth sont rares et dénotent une
main ferme et un cœur généreux. Si ce qui a trait
à l'extériorité du poème semble aujourd'hui un
peu désuet, des pages comme le Miracle des Roses,
la scène de la Comtesse Sophie, la dernière appari-
tion d'Elisabeth et sa mort au milieu du chœur des
indigents, n'en sont pas moins des pages d'ordre
supérieur et devant lesquelles il convient de s'in-
cliner.
Félicitons donc M. Cortot de l'idée qu'il a eue,
de la peine qu'il a prise et du résultat auquel il est
arrivé. Félicitons-le aussi du soin avec lequel il
compose ses programmes et du noble souci qui
l'anime de faire connaître des œuvres dont, sans lui,
on ne saurait guère que les noms. Si, malgré son
ardente direction, l'orchestre ne fut pas toujours
absolument parfait, les chœurs, par contre, furent
excellents. Mlle Eléonore Blanc composa une
touchante Elisabeth, et M. Daraux chanta avec
autant d'autorité que de style les divers person-
nages qui lui étaient confiés. Ajoutons que le
public ne ménagea ses applaudissements ni à
l'œuvre, ni à ses interprètes. J. d'Offoël.
— MM. Messchaert et Busoni remplissaient le
dernier programme de la Société philharmonique.
Le premier, dont la voix sûrement conduite et le
style sobre furent très applaudis, chanta le Dichter-
liebe de Schumann. Le second exécuta la sonate
op. 109 de Beethoven, Toccata, Adagio et Fugue
d'orgue, de Bach, transcription de Liszt, et diverses
œuvres de Liszt. En ce qui concerne les arrange-
ments pour piano des grandes compositions de
Bach, j'avoue ne point partager les préventions
qu'elles suscitent parfois. Je parle du moins des
arrangements de Liszt, qui sont écrits avec un
respect du texte originel et de l'effet propre de
l'orgue qu'on ne saurait trop louer. On a fort rare-
ment l'occasion d'entendre à l'orgue ces œuvres
dans de bonnes conditions; et d'ailleurs, dussé-je
passer pour hérétique, je ne puis m'empêcher de
trouver qu'elles ne perdent rien de leur beauté
lorsqu'elles sont convenablement transcrites.
Les Variations de Liszt sur le thème de Bach
Weinet, klaget furent aussi composées pour l'orgue
(1864), après toutefois une ébauche originale pour
piano (i85g\ La version définitive pour ce dernier
instrument, dédiée à Rubinstein, fut écrite en 1870.
C'est une œuvre splendide, dont le style toujours
soutenu (sauf dans le milieu une brève cadence en
accords de septième diminuée, véritablement trop
facile), l'architecture imposante, la stupéfiante
richesse harmonique sont également dignes d'admi-
ration. Au point de vue de l'harmonie surtout, on
y reconnaît déjà presque toutes les formes nou-
velles dont César Franck fera usage dans ses
dernières œuvres.
Il faut noter en passant que l'admirable thème
de Bach avait exercé sur Liszt une attraction toute
particulière. Il l'employa encore dans un prélude
de piano (i863) et projeta de le traiter en une page
orchestrale, restée à l'état d'ébauche.
Les Etudes d'après les caprices de Paganini de Liszt
sont loin d'être une œuvre aussi significative, et
LE GUIDE MUSICAL
191
n'ont d'autre intérêt que celui de constituer un
notable accroissement à la technique du piano. Je
ne crois pas qu'on en ait fait la comparaison avec
celles de Schumann (op.. 10). Ce serait un travail
curieux. Schumann, à ce sujet, écrivit lui-même ces
lignes : « L'arrangement de Schumann (sic) pré-
tendait surtout mettre en évidence le côté poétique
de l'original; Liszt, sans méconnaître ce même côté,,
se préoccupe davantage de la virtuosité. »
M. Busoni, on le sait, est un parfait virtuose.
J'ai surtout goûté la façon dont il a joué la fugue
de Bach. Dans les Variations, dont il a donné une
interprétation claire et bien équibrée, j'eusse
souhaité une émotion plus communicative.
M.-D. Calvocoressi.
— Au Nouveau-Théâtre, le 24 février, sous le
patronage de Mme la duchesse d'Uzès et au béné-
fice de ses œuvres de charité, a eu lieu un concert
exclusivement composé d'oeuvres inédites de M. le
comte d'Azevedo, ministre de Portugal en Bel-
gique. C'étaient le deuxième tableau d'une légende
lyrique intitulée Viviane, le sixième d'un drame
lyrique intitulé Flavie, quelques danses portugai-
ses et le premier acte d'une tragédie lyrique, La
Mort d'Orphée, toutes oeuvres dont M. d'Azevedo a
écrit le texte comme la musique et qui montrent
doublement l'élévation de sa pensée et son goût
pour le style pittoresque et poétique. Ces qualités,
très notables dans les préludes et surtout dans les
chœurs, ont apparu plus mûres et plus fortes dans
la deuxième œuvre, la plus courte et la plus con-
densée. Une interprétation de premier choix en
accusait d'ailleurs la valeur, car, avec l'élégante
Jeanne Hatto, c'était M. Ernest Van Dyck, venu
exprès de Bruxelles, qui lui prêtait toute sa fougue,
toute la fière ardeur de son style et de sa déclama-
tion sans rivale; et M. Chevillard conduisait l'or-
chestre. H. de C.
— Annoncé pour neuf heures précises, le con-
cert de M. Casella à la salle Erard, le 22 février,
n'a commencé qu'à neuf heures et demie. Il fau-
drait enfin réagir contre cette inexactitude par trop
traditionnelle.
Le jeu de M. Casella nous a paru meilleur dans
les passages de douceur que dans ceux de force
où il a de la sécheresse. Ainsi, il a fort bien rendu
le thème en la mineur avec variations de J.-S.
Bach, et certaines parties de la Fantaisie chroma-
tique et de la Toccata e Fuga en ut mineur. Avec M.
Salmon,dont le beau talent manque aussi quelque-
fois un peu de puissance, il a bien joué une des
sonates, piano et violoncelle de Beethoven. Quant
à la Sarabande de M.Enesco et à la Toccata de M. Ca-
sella (premières auditions), espérons ne pas les en-
tendre trop souvent.
Mme Raunay, souffrante, a été remplacée par une
artiste — dont nous n'avons pu entendre le nom —
qui a chanté avec goût trois mélodies, dont deux de
Brahms. F. G.
— La Société Haydn-Mozart-Beethoven a donné
le 1 5 un concert à la salle Pleyel. L'œuvre prin-
cipale du programme était le grand quatuor op. i3o
de Beethoven. L'exécution.de cette œuvre ardue a
été très satisfaisante, malgré une certaine nervo-
sité et un peu de rudesse. Mais il faut savoir gré à
des artistes consciencieux qui ne craignent pas
d'aborder les immortels derniers quatuors de Beet-
hoven. On ne saurait trop jouer et trop entendre
ces chefs d'œuvre de la musique de chambre.
F. G.
— La Société de Musique de chambre pour instru-
ments à vent, fondée en 1879 par M. Paul Taffanel,
ne doit pas être confondue avec celle qu'a créée
récemment l'initiative hardie de M. Barrère. Les
deux sociétés sont rivales, il est vrai, mais comme
les artistes qui les composent ne recherchent que
le beau, elles savent, à l'occasion, se prêter un
mutuel appui en exécutant des pages écrites par
un musicien appartenant à la société concurrente.
C'est ainsi que, il y a quelques semaines, le pro-
gramme de M. Barrère portait des œuvres de
M. Philippe Gaubert, membre de la société dont
nous nous occupons aujourd'hui. Cette émulation
entre artistes de tout premier ordre est des plus
rare et vaut d'être citée en exemple de bonne
confraternité.
Je n'ai pas à rechercher ni à dire les raisons de
mes préférences pour l'une ou l'autre des deux
œuvres, également si intéressantes ; elles iraient
peut-être vers la plus ancienne, vers celle qu'a
« inventée » de toutes pièces l'éminent M. Paul
Taffanel, pour les délicieux souvenirs qu'elle m'a
laissés et beaucoup aussi pour le degré de perfec-
tion que savent lui conserver ses successeurs. Le
seul reproche que je me permettrai de lui adresser,
c'est son indifférence en matière de réclame : ses
séances ne sont pas annoncées, ou si peu ! ses pro-
grammes, affichés à peine dans quelques magasins
de musique, sont absents des colonnes Moris, en
sorte que les amateurs — et ils sont nombreux —
ne savent comment se renseigner. Ce désintéresse-
ment est une faute; au savoir on doit joindre le
savoir-faire, et, pour récolter, il faut beaucoup
semer.
193
LE GUIDE MUSICAL
Au premier concert, donné le 23 février, salle
Pleyel, nous avons eu le plaisir de réentendre le
célèbre quintette de Mozart et la suite élégante et
jolie de Théodore Dubois. Le nocturne en mi bémol
mineur pour piano de Gabriel Fauré, transcrit
avec habileté par M. Grovlez pour les instruments
à vent et ainsi plus monté en couleur, n'a rien
perdu de son charme mélancolique, quoiqu'il ait
changé de caractère.
Une sérénade de Walther Lampe, quoique rela-
tivement courte, a paru longue. Ecrire pour les
instruments à vent est un travail extrêmement diffi-
cile : l'unité de timbre faisant défaut, il est malaisé
de fondre les parties * de façon à composer un
ensemble harmonieux. Ceux qui ne sont pas tout
à fait experts dans le métier donnent souvent la
sensation que chaque instrument est « chantant »,
d'où il résulte qu'à force de chercher la ligne qu'il
est censé suivre, on se perd, on se noie sans avoir
rien trouvé. C'est ce qui est un peu arrivé pour la
sérénade dont je parle : les idées se dégageaient
mal et l'ensemble, parfait comme exécution,
.n'était pas le plus agréable de tous les bruits.
Le succès incontestable de la séance a été pour
. la Flûte de Pan, sonate pour flûte et piano de Jules
Mouquet. La première partie est presque entière-
ment sacrifiée à la virtuosité de l'interprète, mais
le talent de l'artiste la rend quand même fort inté-
ressante; le deuxième morceau, une sorte d'idylle,
est d'une grâce incomparable ; et le finale, formé
d'un adorable motif confié au piano tandis que la
flûte l'orne de broderies aériennes et légères,
achève aimablement cette œuvre tout aimable.
Vous, connaissez M. Ph. Gaubert, vous croyez
qu'il souffle dans une flûte parce que vous le voyez
approcher l'instrument de ses lèvres ; coquetterie
pure : les sons sortent d'eux-mêmes.
Cette admirable société, formée par les meilleurs
artistes de Paris, MM. Gaubert (flûte), Bleuzet,
Bourbon (hautbois), Mimart, Lebailly (clarinettes),
Pénable, Vuillermoz (cors), Letellier, Jacot (bas-
sons) et Grovlez (pianiste), donnera sa deuxième
séance le jeudi 9 mars. Julien Torchet.
— Mlle Charlotte Lamy, dont on n'a pas oublié
les grands succès aux derniers concours du Con-
servatoire, où elle fit tant d'honneur à son maître,
M. Alphonse Duvernoy, en donnant à tous l'im-
pression d'un talent vraiment personnel et d'une
perfection très séduisante, vient de remporter un
très brillant succès personnel dans son concert du
22 février, à la salle Erard. Elle a fait preuve d'un
mécanisme absolument supérieur, par exemple
dans Y Etude en tierces de Chopin, ou dans la dou-
zième rapsodie dé Liszt, ou encore dans YHumo-
resque de M. Duvernoy. Le programme, qui com-
prenait encore la Galatea de M. Th. Dubois, le Roi
des Aulnes, etc., était d'ailleurs fort beau ; un peu
tourné en force, cependant, un peu fatigant, je
dis surtout pour la jeune artiste, et c'est à quoi
j'attribue le seul regret que m'a laissé son concert :
de ne pas avoir retrouvé autant chez elle le charme
et la grâce que je sais bien qu'elle possède aussi.
H. DE C.
%>
— La Société des Compositeurs de musique a
offert, le 23 février, à la salle Pleyel, une très inté-
ressante soirée à ses invités, qu'avait conviés son
aimable président, M. G. Pfeiffer. Le programme
étant un peu long, nous ne signalerons que les œuvres
les plus applaudies : trois duos pour harmonium et
piano de Ch. Quef (le dernier, Allegro giocoso, cu-
rieusement traité), exécutés fort bien par M1,e
Cuyer et l'auteur; trois pièces pour piano de
Ph. Bellenot {Y Impromptu à la Chopin, la Scherzetto
à la Schumann), jouées non sans talent par Mmes
Gousseau d'Almeida ; deux cantilènes pour alto et
piano de Wiernsberger (la seconde d'une jolie fan-
taisie\ interprétées avec un beau et large son par
M. Denayer; une autre cantilène pour grand orgue,
de D.-C. Planchet, composition dont les harmo-
nies imprévues ont été traduites excellemment par
M. Tournemire; trois mélodies bizarres et non dé-
nuées de mérite de Georges Sporck, chantées avec
assurance par Mlle Charlotte Melno; trois autres
mélodies de Welsch ila plus heureuse des trois est
le Clair de lune), accompagnées par la charmante
Mme Flornoy et dites avec un grand sentiment
artistique par Mme Cécile Max-Soulier, dont je
connaissais depuis longtemps les articles de fine
critique, mais dont j'avais le tort d'ignorer la belle
voix expressive; une méditation sans portée pour
violon, violoncelle, harpe et orgue, d'Henri Cicu-
tat ; enfin, l'admirable quintette pour piano et cor-
des de Saint-Saëns, exécuté avec une souplesse,
une fermeté dignes de vieux routiers (oh ! les vilains
mots pour tant de grâce!) par de tout jeunes artis-
tes, M\L Saury et Bastide (violons), Mlles Ch.
Lamy (piano), J. Coudart (alto) et Caponsacchi,
une violoncelliste dont je ne saurais trop louer le
style et le jeu vibrant et passionné. T.
— Le concert donné par Mlle Amélie Perémé
pour l'audition de ses œuvres a été fort réussi.
Nous louerons surtout cette jeune compositrice de
rester elle-même; elle ne cherche pas à imiter tel
ou tel maître, à forcer son talent pour se masculi-
niser. Gracieuse, élégante, douée d'une certaine
LE GUIDE MUSICAL
193
morbidezze qui lui sied, elle transmet ses qualités à
la musique qu'elle compose et qu'elle interprète
elle-même.
L'Etude de concert, Fantaisie chromatique, Valse
lente. Fades et Farfadets ont particulièrement plu. Le
scherzo de la sonate est bienvenu et d'une jolie cou-
leur.
Mlle J. Laval, la violoniste appréciée, prêtait
son concours et elle interpréta : Rêve et Impression
d'automne avec beaucoup de charme. Le bel art du
chant n'était pas oublié : Prière d'amour, dont l'ac-
compagnement est fort joli : Quand j'étais tout petit,
Fleurs et Femmes étaient confiés à Mlle Lehmannn,
que sa voix fraîche et son excellent diction firent
longuement applaudir ainsi que l'auteur de ces
charmantes pages. Félicitons Mlle A. Perémé de
cette belle séance.
— Très nombreuse et très élégante assistance,
salle Erard, le 21 février, pour le concert de Mlle
Henriette Renié.
La charmante harpiste s'est fait entendre comme
virtuose et compositrice. Après diverses adapta-
tions de Schumann et de Beethoven que la grâce
et la voix jolie de Mlle Hermann n'ont pu sauver,
Mlle Renié a fait entendre un trio, admirablement
interprété par l'auteur et les excellents instrumen-
tistes MM. Touche (violon) et Feuillard (violon-
celle). De facture intéressante, témoignage d'un
sérieux effort artistique, ce trio a reçu le meilleur
accueil. Les Elfes, inspirés par une légende à la-
quelle Leconte de Lisle prêta la magie de son
verbe, sont également bien traités. Le motif, cor-
respondant aux deux vers repris en refrain, est fort
habilement ramené ; les modulations sont bien con-
duites; toutes les ressources de l'instrument, que
l'auteur connaît à fond, sont heureusement em-
ployées pour concourir à l'effet produit. Comme
virtuose, nous nous plaisons à louer sans réserves
Mlle Renié. Elle se montra fine et délicate dans
l'Impromptu de Fauré, spirituelle à souhait dans
L'Hirondelle de Daquin, brillante et verveuse dans
l'Etude de concert de Poss et Gitaua de Hasselmans.
Les applaudissements d'un sympathique auditoire
prouvèrent à l'artiste en quelle estime est tenu son
beau talent. M. Daubresse.
— A mesure qu'approche la fin des matinées
Danbé, le public montre de plus en plus son em-
pressement. Aux dixième et onzième concerts, des
centaines de personnes n'ont pu, faute de place,
pénétrer dans la salle de l'Ambigu. Le i5 février,
c'est M. Diémer qui triomphait en exécutant avec
une implacable perfection le Coucou de Daquin, la
dixième rapsodie de Liszt, une sérénade inédite de
sa composition et sa grande valse de concert, trans-
crite pour deux pianos par son élève G. de Laus-
nay. On faisait aussi bon accueil à l'andante et au
scherzo de son trio pour piano, violon et violon-
celle. Le succès du maître virtuose faisait un peu
pâlir celui de Mme Charles Max, qui avait pour-
tant chanté avec délicatesse trois mélodies de
M. Widor, mais ne compromettait nullement les
applaudissements dus au talent de M. Migard : le
célèbre altiste, en interprétant le très joli andante
d'un concerto de Hans Sitt, prouvait qu'il n'avait à
redouter aucun voisinage.
Le mercredi suivant, M. Lucien Fugère accapa-
rait les bravos en chantant avec une bonhomie
charmante et un art consommé l'air des Saisons de
Victor Massé, et deux mélodies de Fernand Le-
maire. Il en laissait si peu, qu'à peine l'ingrat pu-
blic trouvait-il le moyen d'applaudir Mlle Suzanne
Cesbron, MM. F. Lemaire, déjà nommé, et Sou-
dant, un peu froid dans un nocturne de Chopin et
plein de virtuosité inutile dans une inutile fantaisie
de M. Sarasate. T.
— L'excellent violoncelliste solo des Concerts
Lamoureux, M. Jules Marneff, a donné la semaine
dernière une séance intéressante, avec un program-
me classique bien choisi et le concours de M. Iwan
Fliege et du pianiste Auguste Delacroix. Avec une
très jolie sonorité et une solide maîtrise, M. Mar-
neff a exécuté les Variations symphoniques de Boëll-
man et le délicat Concerto de Lalo, deux œuvres
d'un intérêt différent, fort bien écrites pour, l'in-
strument et qui, accompagnées au piano, permet-
tent à l'artiste de développer toutes ses qualités de
style et de nuances. M. Marneff a été chaudement
applaudi.
Puisqu'il s'agit de violoncelle, mentionnons en
même temps le concert donné par Mlle Caponsac-
chi, sous l'œil de son maître M. Lœb. Cette jeune
fille a obtenu un premier prix au coucours du Con-
servatoire de l'an passé ; elle en a conclu que le
moment était venu de se produire. Elle possède
effectivement de belles qualités qui permettent de
fonder sur elle de sérieuses espérances; son maî-
tre paraissait enthousiasmé. Mlle Caponsacchi a
exécuté la Sonate de Locatelli, écrite pour violon,
mais que seuls exécutent les violoncellistes; puis
un concerto de D'Albert et celui de Lalo. La jeune
virtuose a obtenu beaucoup de succès ; nous lui
conseillerons de ne point abuser des glissades et
des lenteurs en certains mouvements. Ch. C.
194
LE GUIDE MUSICAL
— Dimanche dernier, 26 féviier, au Conserva-
toire des Arts et Métiers, M. Lyon, le directeur de
la maison Pleyel, a donné une très curieuse confé-
rence sur les instruments de musique anciens, sur-
tout à cordes frottées, pincées ou frappées ; et
divers morceaux ont été exécutés comme exem-
ples. Un adagio de Corelli, de toute beauté, a été
ainsi joué sur le quinton (sorte de grand alto) avec
accompagnement de violes; deux pièces en con-
cert de Couperin, exquises, ont été dites par l'en-
semble des instruments ; un menuet et une musette
de Nicolas Bernier, encore charmants, ont été ren-
dus par une flûte à cinq clés, une musette, une
viole d'amour et une viole de gambe ; la « poite-
vine » de Marais a été exécutée par le quinton, les
diverses violes, les divers théorbes, les flûtes, la
musette et le clavecin. Enfin, d'autres morceaux plus
modernes, surtout un ravissant menuet de Rameau,
ont été exécutés par la harpe à pédales, la harpe
chromatique et la harpe-luth (Mme Wurmser-Del-
court), et Mme Wanda Landowska a fait applaudir
une fois de plus son merveilleux talent sur le cla-
vecin et le piano-forté avec le Forgeron harmonieux
de Hasndel et les valses de Schubert. H. de C.
— La cent-vingt-sixième séance de la Société de
musique d'ensemble, dirigée par M. René Lenor-
mand, a fait entendre, le 25 février, parmi une
douzaine de morceaux anciens et modernes d'or-
chestre ou de piano, diverses mélodies (G. Doret,
Jaques-Dalcroze, Strauss), chantées par Mlle Lu-
quiens, des chansons et des mélodies tchèques,
dites par M. Oumiroff, et des pièces de piano exé-
cutées par M. Maurice Dumesnil.
— Le 23 février, à la salle Erard, Mlle G.
Chéné a donné un beau concert avec orchestre, où
son jeu brillant, un peu sec peut-être, a été très
applaudi. Au programme : Le concerto en 50/ de
Beethoven, une fantaisie polonaise de Chopin, le
concerto en mi bémol de Liszt et, comme intermè-
des, la chaude voix et le beau style de Mme G.
Marty dans l'air à'OUone de Haendel et diverses
mélodies pleines de charme de Georges Marty.
— M. Armand Parent continue son intéressante
série de concerts consacrés à la musique de cham-
bre; il donne des programmes de compositeurs
classiques et de compositeurs modernes. Chose
rare, et qui mérite tous éloges, M. Armand
Parent joue les jeunes.
Vendredi dernier, un trio de M. Albert Roussel
ouvrait la séance. Il est presque impossible de
porter un jugement sur une telle œuvre quand on
ne l'a entendue qu'une fois et qu'on ne l'a pas lue
en partition. Pourtant on peut dire que c'est une
œuvre de belle tenue, d'un style qui est sans doute
personnel mais qui fait d'abord songer au style
ou à la manière de M. Vincent d'Indy, tout en
étant très agréablement pimenté d'un peu d'im-
pressionnisme. C'est évidemment un très bel effort
vers le grand art.
On retrouve un peu les mêmes caractères dans
la sonate pour piano et violon de M. Paul de
Wailly. Bien des passages nous ont paru empreints
de délicatesse et d'une sorte de mélancolie sou-
riante. Mlle Marthe Dron a tenu la partie de piano
avec une réelle maîtrise. Quant à M. Parent, nous
avons dit si souvent l'estime où nous tenions son
beau talent que nous ne pourrions que nous
répéter en disant avec quel art intelligent et con-
sciencieux il nous a présenté cette sonate.
Le quatuor de M. Maurice Ravel avait été rede-
mandé : cela prouve que les auditeurs de la salle
yEolian ont un goût des plus sûr et des plus
raffinés.
Enfin, Mme Fournier de Noce a nuancé comme
elles le méritent les mélodies de M. Henri Duparc.
Chacun sait que ces mélodies sont un véritable
enchantement. Adolphe B.
— Très intéressant concert donné le samedi 9.5,
à la salle Pleyel, par M. Desmonts : Concerto de
Lalo, Variations symphoniques de Boëllmann et
pièces diverses. En même temps, quelques mélo-
dies, dites à ravir par l'excellent artiste de l'Opéra-
Comique M. Lucien Fugère.
— Au cours Sauvrezis, samedi dernier, confé-
rence de M. Coquard sur Beethoven. Glissant
rapidement sur les détails biographiques, le confé-
rencier a éloquement donné des aperçus sur la
psychologie du grand maître. La partie musicale
était représentée par MM. Cortot etFrolich;le
premier a joué avec une incomparable maîtrise
la sonate des Adieux et les trente-deux Variations;
M. Frôlich a dit avec sa voix et son style admi-
rables le cycle A la bien-aimée et plusieurs mélodies.
La série de ces séances historiques et artistiques
se continue tous les samedis à 3 heures, 44, rue
de la Pompe. Samedi prochain, étude sur Weber
et l'école symphonique allemande, avec le con-
cours de Mme Mellot-Joubert, Mlle Dehelly,
M. Turban, professeur au Conservatoire.
— La Société internationale de musique dont,
on le sait, une section française a été fondée l'an
dernier, a tenu le i3 février sa séance mensuelle.
M. Shedlock le distingué musicographe anglais,
LE GUIDE MUSICAL
195
était venu de Londres exprès pour communiquer
à ses collègues de Paris un précieux manuscrit
"d'Alexandre Scarlatti récemment découvert. Mme
Landowska exécuta au clavecin quelques pièces
de ce recueil. M. Ecorcheville fit, sur le style
harmonique de Scarlatti, une communication que
l'audition d'une cantate vint appuyer. Puis M.
Calvocoressi parla du maître russe Balakirew, à
propos des mélodies que celui-ci a tout dernière-
ment composées. Mlle Marguerite Babaïan inter-
préta ensuite quelques-unes de ces mélodies, qui
furent très admirées.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La reprise de Mireille a été un très grand succès
pour M. Bourbon, excellent dans le rôle d'Ourrias,
qui convient .parfaitement à son tempérament et à
sa voix. A son intention, on avait rétabli la scène
du Val d'enfer et le tableau du Rhône, que l'on
coupe souvent. Mme Cécile Eyreams a été char-
mante dans le rôle de Mireille, où elle fut déjà
si souvent applaudie, et l'on a fait un très vif succès
à Mlle Maubourg et à M. Forgeur.
Le répertoire de la semaine comprenait en
outre Hérodiade, Carmen avec Mme Maria Gay et
M. Edmond Clément, Faust, la Basoche, le Légataire
universel et la première de Mariille.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, Faust; le
soir, La Bohème; demain lundi Hérodiade, R. S.
— La séance Engel-Bathori était consacrée,
mercredi dernier, aux œuvres du compositeur
français M. Georges Hue.
Les deux artistes ont interprété un grand
nombre de mélodies, toutes plus charmantes les
unes que les autres. D'abord les Chansons printa-
nières, pleines de fraîcheur et de jeunesse, les
Poèmes maritimes, les Croquis d'Orient et beaucoup
d'autres jolies pages, parmi lesquelles il faut
encore citer Les Violettes, Soir païen et le Bateau noir.
Dans ces différentes œuvres, l'accompagnement
tient une très grande place et est toujours d'une
grande originalité, admirablement approprié au
sujet et souvent d'un charme pénétrant empreint
d'une douce mélancolie, surtout dans les Croquis
-d'Orient.
M. Georges Hue accompagnait lui-même, ce
qui lui a valu un double succès auquel furent
justement associés M. Engel et Mme Bathori.
J.T.
— M. Crickboom nous a convié vendredi dernier
à une audition de quelques-uns de ses élèves ;
cette petite séance de musique a été charmante, et,
quoique tous très jeunes, ces futurs virtuoses ont
fait preuve de grandes qualités qui promettent
beaucoup et tiennent déjà. Mlle Marie-Josèphe
Du Chastain a un jeu net et énergique, de la
virtuosité et un sentiment très juste. On l'a sur-
tout applaudie dans le concerto en sol mineur de
Max Bruch et dans la mazurka de Zarzicky.
Chez M:ie Ina Littell, on trouve plus de délica-
tesse, des nuances plus accentuées, mais en
général son jeu manque plutôt de force et de cou-
leur ; il semble parfois un peu monotone, ce qui
n'a pas empêché le public de lui faire un gros
succès pour son interprétation pleine de charme
de la romance du concerto de Lalo.
Quant à M. Mariani Perollo, il a interprété
avec beaucoup de style et très consciencieusement
la romance en fa de Beethoven et l' allegro du con-
certo en mi bémol de Zvîozart. J. T.
— M. et Mme Cornélis-Servais, les excellents et
sympathiques professeurs au Conservatoire, ont
donné chez eux, la semaine dernière, une soirée
musicale fort intéressante, dont le « clou » était la
représentation, sur une petite scène improvisée, et
avec costumes, de la Servante- maîtresse de Pergo-
lèse. Ce délicat, spirituel et exquis chef-d'œuvre
avait pour interprètes Mlle Marguerite Das, MM.
René Vermandele et Achten ; ils en ont fait valoir
remarquablement la grâce toujours jeune et la belle
humeur, Mlle Das avec son joli talent de comé-
dienne et sa diction intelligente, M. René Verman-
dele avec sa voix fort agréable et ses qualités qui
l'ont fait apprécier plus d'une fois sur la scène du
Parc, et M. Achten avec ses mines divertissantes,
qui ont mis en amusant relief le rôle muet de Sca-
pin. C'a été un régal vraiment artistique que cette
reconstitution d'une œuvre trop injustement délais-
sée et dont la réapparition devant le grand public
ne manquerait pas d'avoir un très sérieux intérêt.
Avant l'exécution de la Servante-maîtresse, on a
applaudi, en un petit concert, aimablement com-
posé, sans surcharges, plusieurs artistes, élèves
et anciens élèves de M. et de Mme Cornélis, ainsi
que la charmante harpiste, Mlle Germaine Cor-
nélis.
— L'audition consacrée aux œuvres du compo-
siteur Arth. Wilford, avait réuni beaucoup de
monde à la salle Erard. Aidé de ses collaborateurs,
LE GUIDE MUSICAL
habituels, M. Wilford nous a donné un programme
varié qui renfermait des compositions d'œuvres in-
strumentales et vocales, toutes d'inspiration heu-
reuse, d'une jolie ligne mélodique.
La première sonate pour violon et piano a trouvé
dans l'excellent violoniste, M. Jules Drubbel, un in-
terprète au jeu expressif, à la sonorité intense, doué
d'un tempérament sincèrement artistique. Ce vir-
tuose a fait apprécier un mécanisme intéressant
dans deux autres pièces de violon, très orignales,
notamment : Krakoviak.
C'est surtout dans la composition vocale, que
M. Wilford excelle. Toutes ses mélodies sont d'une
jolie couleur, très caractéristique.
MUe Elias, avec un beau et puissant timbre de
voix, a fort goûté deux Lkder sur des poèmes alle-
mands. De même, Mme Ceuppens, dans deux mé-
lodies, Berceuse et Viens.
Le « clou » de la séance était un cycle à quatre
voix, avec accompagnement de piano à quatre
mains, une suite de petites pièces vocales, le plu-
part charmantes. Cette œuvre a obtenu un beau
succès interprétée avec un réel souci d'art par
y[mes Elias, Ceuppens et MM. T'Sjoen et Boucq.
Ces deux derniers chanteurs ont été fort applaudis
aussi, dans quelques mélodies flamandes.
L. D.
— M. William Vowles est un jeune pianiste
anglais dont nous avons déjà eu l'occasion de
signaler ici le talent probe et sérieux. Après un
silence assez prolongé, il a reparu la semaine
dernière en public, à une audition (à la Salle
allemande) qui a permis d'apprécier le chemin
parcouru. Le programme comprenait le Capriccio
sur le départ d'un ami de Bach, la sonate en la mineur
de Schubert, des pièces de Brahms et de Chopin et
deux numéros de Cyril Scott, un compositeur
anglais curieusement moderniste. Dans ce pro-
gramme très varié, M. Vowles a déployé de
remarquables qualités de style et de mécanisme.
Ce dernier a acquis plus de brillant et de souplesse,
et l'interprétation était du meilleur goût.
Le succès de M. Vowles, très vif, a été partagé
par. Mlle Delhez, cantatrice, qui a interprété dans
le sentiment voulu des Lieder de Schubert, Cha-
brier et Bruneau. Quant à M. Mariani Perollo,
il a, interprété avec beaucoup de style et très
consciencieusement la romance en fa de Beetho-
ven , et l'attaque du concerto en mi bémol de
Mozart.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le Théâtre lyrique flamand
a tenté une chose extrêmement auda-
cieuse, et qui du reste a complètement tourné à
son honneur. Avec les moyens restreints dont il
dispose, il a mis en scène — et, ma foi, mieux
qu'on n'eût osé l'espérer ! — la Walkyrie. L'or-
chestre a été admirablement stylé par M. Keur-
vels, et la mise en scène soigneusement réglée par
M. Engelen. Reprochons toutefois au premier de
ralentir trop certains mouvements, et au second
d'inonder de clartés solaires le paysage nocturne
du premier acte.
L'interprétation, fort homogène, mérite les plus
vifs éloges. Elle est, sinon impeccable, tout au
moins artistique et consciencieuse. Aussi la salle
ne désemplit plus. M. Swolfs a vaillamment mené
jusqu'au bout le rôle de Siegmund. Mme Judels a
fait une Brùnnhilde de belle allure; Mlle Van
Elsacker, une Sieglinde fort poétique; M. Colli-
gnon, un Hunding correct; Mme'Arens, une su-
perbe Fricka, et M. De Backer, un Wotan de voix
solide. Bref, une tentative hardie, que le succès a
légitimement couronnée.
Le dernier concert des Nouveaux Concerts,
avec le capellmeister M. Viotta et la belle
cantatrice Mme Gay, a été un grand succès. On a
surtout applaudi la symphonie eh ut mineur, diri-
gée avec maestria par M. Viotta, et le beau mezzo
de l'excellente artiste espagnole, qui a chanté avec
beaucoup de style du Gluck et du Hasndel.
Pour le 12 avril les Nouveaux-Concerts annon-
cent une soirée extraordinaire avec le précieux
concours de Mme Litvinne et de M. Pablo de
Sarasate.
MM. Bouvet, Jemain, Blanquart et MIle Lasne
ont donné dernièrement au Cercle artistique une
intéressante séance musicale.
On annonce au Théâtre Royal, la première pro-
chaine du Tasse de M. d'Harcourt. G. P.
&
BRUGES. — Nous avons eu, le i5, le 20 et
le 25 février, sous les auspices de la Société
des Concerts du Conservatoire, trois séances con-
sacrées à l'historique de la sonate pour piano et
violon, données par MM. Théo Ysaye, pianiste, et
Edouard Deru, violoniste.
La première séance comprenait des sonates de
Hœndel (la majeur), Mozart (ré majeur), Beetho-
ven (fa majeur) et Franck; la deuxième, celles de
Schumann (ré mineur), Brahms (ré mineur) et
LE GUIDE MUSICAL
197.
Grieg (ni mineur)/ la troisième, les sonates de
Bach (mi majeur), Lekeu (50/ majeur); pour finir, la
fameuse Sonate à Kreutzer de Beethoven.
Ces séances étaient chose neuve à Bruges;
comme elles constituaient un véritable régal, elles
ont été~ fort suivies et tellement goûtées, que le
comité a d'ores et déjà décidé d'engager MM.
Ysaye et Deru pour une nouvelle série d'auditions.
Aussi bien, ces artistes ont rendu toutes ces pages
si diverses de caractère et de facture avec une
rare compréhension. Le phrasé large, la sonorité
chaleureuse de M . Deru mettaient admirablement
en relief la mélodie ; M. Ysaye chante non moins
bien et possède un mécanisme impeccable. Tous
deux ont fait preuve des plus sérieuses qualités de
style, de façon à réaliser un ensemble excellent.
Aussi le public brugeois leur sait-il gré de leur
artistique initiative. L. L.
DRESDE. — L'Opéra ne fait plus salle com-
ble qu'avec les représentations wagnérien-
nes. La semaine dernière, on a dû refuser des
billets pour Tristan et Yseult, mais Martha, Paillasse,
Freischiitz et d'autres encore n'attirent plus per-
sonne. Est-ce le motif qui empêche la direction de
monter des nouveautés ? Comme première, nous
n'avons eu, cette année, que la reprise de la char-
mante œuvre de Léo Delibes Le Roi l'a dit, qu'on
n'avait plus donnée depuis une dizaine d'années.
Malgré tout, ce sont encore les anciens opéras
français qui trouvent le plus facilement grâce de-
vant le public connaisseur; aussi les voit-on sou-
vent sur l'affiche : Joseph en Egypte, Les Dragons de
Villars, La Muette de Portici, ce dernier sous la direc-
tion du Generalmusikdirector von Schuch lui-
même, avec le concours de Mlle Politz, du Théâtre
royal de drame, et du ténor Burrian, tous deux
excellents artistes. Ce n'est pas que le répertoire
manque de variété, mais d'année en année il se
fait plus uniforme pour les habitués. Quant aux
chanteurs, ils ne se renouvellent guère davantage.
Si quelques-uns sont tout à fait bons, leurs doublu-
res sont bien médiocres, témoin la Nedda de cette
semaine, incapable en dépit de son expérience.
Une débutante un peu douée aurait tiré un meil-
leur parti de ce rôle si brillamment créé ici par
Mme Schuch et repris par Mme Wedekind.
La centième à! Aida a eu lieu le 24 janvier. Am-
néris est un des succès de Mlle von Chavanne, qui
a vu passer auprès d'elle bien des Aida et des
Rhadamès plus ou moins intéressants.
Les Sinfonie-Concerte, toujours très suivis, ont
exécuté, comme à l'ordinaire, les œuvres tradition-
nelles de Beethoven, Mozart, Schumann, Brahms ;
ils ont produit aussi quelques nouveautés devaleur:
mentionnons au cinquième concert (série A) une
valse symphonique des Noces d'Olaf, par Alexandre
Ritter, d'après une légende Scandinave. La couleur
locale bien observée donne à cette pièce un charme
étrange.
Comme solistes pour les quatrième et cinquième
concerts (série Bj : MM. Jean Gérardy, très apprécié
ici, et Alfred Reisenauer,
Des concerts, il y en a en masse, mais combien
peu d'attrayants ! M. Kubelik n'a pas retrouvé ses
succès de l'année dernière ; par contre, M. Sara-
sate a été très fêté. Le ténor Wiillner est venu
deux fois; le public lui est fidèle, il ne manquerait
pas ses Lieder-Abende, où il aime à applaudir un
talent si fin. Mme Clotilde Samuel-Kleeberg est
annoncée ; elle aussi sera la bien venue.
Jamais on n'a autant entendu chanter en anglais
ici; jamais non plus il ne s'est présenté autant de
chanteuses et de chanteurs nationaux et étrangers.
Il arrive que ces derniers n'ont à leur programme
que des morceaux français, italiens, anglais, etc>;
pas un seul en allemand ; aussi l'auditoire ne mani-
feste-t-il pas grand enthousiasme pour eux, même
lorsque tous les textes sont traduits. A cause de cela
précisément, certains de ces exécutants trouvent
que ce n'est pas la peine de bien prononcer, « puis-
qu'on a le texte sous les yeux ». Alton.
L OU VAIN. — Les quatre représentations
d'Orphée par la section d'opéra-comique de
Louvain ont eu un succès sans précédent. L'entre-
prise hardie de M. Léon Bicquet a réussi. Un tel
résultat obtenu avec des choristes amateurs, un
orchestre exclusivement local (sauf la harpe), sous
la direction d'un chef amateur lui-même, M. Jos.
Wouters, mérite tout spécialement d'être applaudi.
La figuration, la mimique, l'éclairage, la mise en
scène en général étaient remarquables. La scène
au tombeau, celles des enfers et des Champs-
Elysées ont été réalisées. avec une sincérité, un
souci d'art des plus louables. Les protagonistes,
Mir>e Latinis (Orphée) et plus encore peut-être
Mlle Seroen (Eurydice) ont été à la hauteur de leur
tâche. M1Ie Collini a bien dit l'air de l'Ombre
heureuse, mais pourquoi se croit-elle tenue de
chevroter dans le rôle de l'Amour ? On pouvait
parfois reprocher à l'interprétation musicale d'être
exagérément lente et insuffisamment nuancée,
mais l'ensemble, je le répète, fut vraiment bon et
ig8
LE GUIDE MUSICAL
fait honneur à la section d'opéra-comique; elle
compte donner encore cet hiver Philémon et Baucis
de Gounod.
Signalons les deux conférences musicales de
M. Charles Martens, l'une sur les origines de
l'opéra et la réforme de Gluck, l'autre sur les
chansons populaires flamandes et françaises, avec
interprétation, admirablement expressive, de com-
plaintes et chansons de tout genre par Mme Crabbe-
Kernitz et M. Vanderheyden. Succès spécial pour
les chansons bretonnes du recueil Bourgault-
Ducoudray. Raro.
YERVIERS. — Vendredi 24 février, M1**
Joliet, pianiste et cantatrice, et M. Alph.
Voncken, violoniste, nous conviaient, dans la salle
des Beaux-Arts, à une séance de sonates. Après
une exécution bien homogène et nuancée de sona-
tes de Hœndel (la majeur) et Niels Gade (ré
mineur), les deux virtuoses ont très heureusement
interprété la sonate de G. Lekeu. Ils ont enlevé la
première et la troisième partie avec toute la fougue
et l'enthousiasme désirables, et très exactement
rendu le sentiment de rêveuse et persistante mélan-
colie qui domine toute la deuxième partie de cette
belle oeuvre.
Mlle Joliet a, en outre, fait valoir son souple
talent de diseuse dans l'exécution, qu'elle accom-
pagnait elle-même, d'oeuvres de Hœndel, Giordani,
Grieg et Massenet. E. H.
NOUVELLES
Le conseil municipal de la ville de Leipzig a
ratifié la requête de Mme Staegemann, veuve du
directeur du théâtre, mort récemment. Il lui
donne en location la direction du théâtre jusqu'à
l'expiration du traité passé avec son mari. Confor-
mément à une offre des héritiers du défunt direc-
teur, le professeur Arthur Nikisch prendra la direc-
tion musicale du théâtre municipal de Leipzig. Le
professeur Nikisch consacrera donc désormais son
activité à quatre importants emplois : la direetion
des concerts du Gewandhaus, celle des concerts
philharmoniques de Berlin, les fonctions de direc-
teur des études du Conservatoire de Leipzig et de
directeur de l'opéra du théâtre municipal de cette
ville.
— Charmante plaisanterie marseillaise : Le
Syndicat de la Presse de Marseille a donné il y a
quelques jours sa grande fête annuelle : concert
suivi de bal masqué. Le programme comportait
notamment le trio de Faust chanté par tous les
ténors, toutes les basses et toutes les chanteuses
de la salle Reyer.
M. Escalaïs avait été invité, à coopérer à l'éclat
de cette fête mais, ayant été informé que l'un de
ses collègues avait été également convié, son
courroux éclata et se manifesta par sa décision
de refuser son concours.
Or, le samedi, tous les artistes du Grand-Théâtre
se trouvant réunis sur la scène, le rideau se lève,
et chacun des spectateurs d'exprimer sa stupéfac-
tion à la vue d'une statuette, due à un de nos plus
malins confrères marseillais, représentant, en
charge, les traits et l'académie si caractéristiques
de M. Escalaïs, qui, ceci soit dit sans vouloir
contrister aucunement l'excellent ténor, ne rappel-
lent que de très loin l'impeccable structure de
l'Antinous antique. Cette statuette se trouvait au
beau millieu des artistes du Grand- Théâtre, tel
Molière quand on fête la Cérémonie, à la Comédie-
Française.
Le public ne comprenait toujours pas, quand le
secrétaire de la mairie de Marseille, nous dit-on,
s'avança et, avec un imperturbable sérieux,
annonça que M. Escalaïs n'ayant pu prêter son
concours, le comité de la fête avait tenu néanmoins
à ce que le trio de Faust ne se chantât pas sans
lui et, pour ce, avait décidé qu'il y participerait
quand même, tout au moins en effigie.
On devine le fou rire qui s'empara de toute
l'assistance.
— On nous écrit que la première audition du Qua-
tuor Leconte à Croix (Nord), très attendue des di-
lettanti roubaisiens et lillois, a eu lieu le 27 février.
Comme début, le quintette de Reissiger, le qua-
tuor n° 4 de Beethoven, la Rêverie de Schumann.
Beau succès également pour M. Louis Phal, violo-
niste, professeur au Conservatoire d'Amsterdam,
qui se faisait entendre pour la première fois dans
notre région. Il a interprété le Rondo capriccioso de
Saint-Saëns, la Polonaise en la de Wieniawski et
Vandante de la Sonate et Gavotte de Bach pour
violon seul. M. G. Lechantre a excellemment
exécuté sur le violoncelle les Variations sympho-
niques de Boëllmann.
Ajoutez à cela Mlle Deflize, cantatrice, M. Jans-
sens, basse, dans des œuvres choisies de Gounod,
Saint-Saëns, Schubert, Joncières, et vous aurez
une idée de la magnifique soirée offerte par le
Quatuor récemment formé. Au piano d'accompa-
gnement : Mlle Duforest. M. J.
LE GUIDE MUSICAL
199
NECROLOGIE
Mme FAURE-LEFEBVRE
Nous avons annoncé au dernier moment,
dimanche dernier, la mort de Mme J. Faure, née
Caroline Lefebvre. Mais nous tenons à fixer un
peu mieux le souvenir de cette femme exquise,
dont la vivacité d'intelligence était extrême,
comme la grande bonté, et dont les souffrances et
l'état de continuelle maladie, qui la clouait presque
immobile dans sa chambre depuis plusieurs
années, n'avaient pas altéré un instant la char-
mante et aimable sérénité. Entre la sollicitude de
tous les instants de son mari, l'illustre artiste, et
l'affection respectueuse dont l'entouraient tant
d'amis de tous âges, devant le bonheur et les
succès de son fils, Maurice Faure, un de nos
peintres distingués, et la grâce de ses petits-
enfants, elle semblait parfaitement heureuse.
, On sait d'ailleurs qu'elle avait de bonne heure
sacrifié à cette vie de foyer et à l'éducation mater-
nelle la belle carrière lyrique qui déjà lui avait
valu tant de succès. Sortie du Conservatoire
en 1849, avec les deux premiers prix de chant el
d'opéra-comique (celui-ci d'emblée), elle était en peu
de temps devenue, par son esprit et sa grâce
souple, l'indispensable soutien de l'Opéra-Co-
mique. Emile Perrin, qui fut son directeur, l'écrivit
un jour très justement : « Princesse ou paysanne,
elle abordait tous les rôles avec une abnégation
que pouvaient seuls égaler son intelligence et son
talent. C'était l'une des artistes les plus aimées,
les plus appréciées, et aussi l'une des mieux
faites pour l'Opéra-Comique. Elle était de la race
des comédiennes-chanteuses, famille charmante
qui commence à Mme Favart, compte Mmes Saint-
Aubin et Gavaudan et s'arrête à Mlle Darcier et à
MIle Lefebvre. »
Citons ses principaux rôles. En 1849 : La Part
du diable, la Sirène, la Fée aux roses; en i85o, la
Chanteuse voilée, Jeannot et Colin, surtout le Songe
d'une nuit d'été, et sa grande création de la reine
Elisabeth, rôle de comédienne et de vocalisatrice
impeccable; en i85i, Joseph; en i853, l'Epreuve
villageoise, Haydée ; en 1854, V Etoile du Nord (Pras-
covia), le F ré- aux- Clercs (Nicette) ; en i855, Miss
Fauvette, étincelante création ; en 1857, Psyché,
autre création et Joconde; en i858, Fra Diavolo et la
Fiancée; en 18S9, le Diable aumoulin; en i863 enfin,
au Théâtre-Lyrique, où elle reparut une dernière
fois avant de se consacrer à son foyer : Cosi fan lutte
et VEfiretwe villageoise. La sympathie, le respect,
l'estime de tous, dont on sent l'expression inva-
riable dans les notices ou les comptes-rendus du
temps, avaient entouré la jeune artiste au cours de
cette belle carrière et la suivirent dans sa retraite.
Elle avait épousé en i85o, son camarade Faure,
qui avait débuté, on le sait, quelques années
après elle, en i852, sur cette même scène de
l'Opéra-Comique, et était alors sur le point de
passer, en plein succès, sur celle de l'Opéra.
H. DE CURZON.
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Bruxelles : 6, rue Xatérale
paris : rue t>u /fl>ail, 13
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La Maladetta.
OPÉRA-COMIQUE. — Orphée; Le Jongleur de
Nôtre-Dames Cavalleria rusticana; Lakmé; Carmen;
Orphée; La Traviata; L'Enfant-Roi (première repré-
sentation, vendredi); La Vie de Bohème.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice.
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diade; Carmen; Mireille (reprise) ; Faust; la Basoche ;
Hérodiade; Martille (création) et Le Légataire uni-
versel.
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La Grande-Duchesse de Gérolstein.
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PARIS
13, H, 15. 16 et 18 mars.— A la Société philharmo-
nique : Audition intégrale des quatuors de Beethoven
par le Quatuor Joachim.
LE GUIDE MUSICAL
BRUXELLES
Dimanche 5 mars. — A 2 h., Théâtre de l'Alhambra :
Quatrième concert d'abonnement des Concerts Ysaye
sous la direction de M. F. Steinbach, directeur du
Conservatoire et chef d'orchestre des Concerts du Giir-
zenich de Cologne, avec le concours de M™ Nina
Faliero-Dalcroze, cantatrice. Programme : Symphonie
n° 7, Beethoven ; Air de Suzanne et Air de Chérubin
des Noces de Figaro, Mozart (Mme N. Faliero-Dalcroze);
Concerto brandebourgeois pour orchestre à cordes,
Bach; Air de Marguerite de la Damnation de Faîist, Ber-
lioz (Mme N. Faliero-Dalcroze); Ouverture des Maîtres
Chanteurs, Wagner.
Mercredi 8 mars. — A 8 % h., Grande Harmonie :
Troisième concert donné par M. Mathieu Crickboom,
violoniste, avec le concours de Mme Lily Lang-Mali-
gnon, cantatrice. Au programme : Concerto op. 26,
Max Bruch; Recitativo ed Aria E. d'Astorga; Canzone,
Hsendel; Sonate n° 6, pour violon seul, J.-S. Bach; Der
Neugierige. Schubert; Nanny, E. Chausson; D'une
Prison, R. Hahn ; Sérénade, R. Strauss ; Havanaise,
Saint-Saëns; Romance, Glazounow; Baliade et Polo-
naise, H. Vieuxtemps.
— A 2 y% h., à la Libre Esthétique : Concert donné
par M'"es Georges Marty, Blanche Selva, MM. E.
Chaumont et Henri Merck. Au programme, Bolakirew,
Bordes, Coindreau, de Séverac, G. Marty, V. d'Indy,
R. de Cassera et I. Albéniz.
Jeudi 9 mars. — A 8 ^h., à la Grande Harmonie :
Concert donné par Mlle Magdeleine Boucherit et
M. Jules Boucherit. Au programme : Mozart, Paganini-
Schumann, Chopin, Saint-Saëns, Mendelssohn, Brahms,
Chabrier, J.-S. Bach et Wieniawski.
Vendredi 10 mars. — Salle Erard, Deuxième séance
de sonates pour piano et violon donnée par MUe Louise
Desmaisons et M. Louis Angeloty. (Sonates en la ma-
jeur, Bach; ut mineur op. 3o, Beethoven; sol majeur
op. 78, Brahms.
— Salle Ravenstein : Lieder-Abend donné par Mlle
Elisabeth Delhez, avec le concours de MM. Louis- FI.
Delune, pianiste, Emile Chaumont et Franz Doehaerd,
violonistes, et Emile Doehaerd, violoncelliste.
Dimanche 12 mars. — A 2 yz h., Théâtre de l'Alham-
bra : Piano-récital par M. Mark Hambourg. Au pro-
gramme : Sonate en la bémol op. 26, Beethoven; Fan-
taisie en ut majeur (Der Wanderer), Schubert; Nocturne,
six préludes, polonaise, sonate en si bémol, op. 35,
Chopin; Nocturne, Rubinstein; Etude, Poldini ; Etude,
Moszkowski ; Volkslied, Mark Hambourg; Eapsodie
n° 8, Liszt.
Mercredi 15 mars. — A 8^h., Salle de la Nouvelle
Ecole Allemande : Deuxième séance du Quatuor
Zimmer. (Quatuors en mi majeur, Witkowsky; fa ma-
jeur, Schumann; mi bémol majeur, Mozart).
Vendredi 17 mars. — A 8 h., à la Grande Harmonie :
Concert par M. Marix Loevensohn, violoncelliste, avec
orchestre sous la direction de M. Albert Dupuis, et
avec le concours de Mlles Cortez et Housman et de
MM. Decléry et Tibaut. Au programme : Weber,
Haydn- Gevaert; Mendelssohn, R. Schumann, A. Du-
puis, Saint-Saëns.
Lundi 20 mars. — A S Y2 h., à la Grande Harmonie :
Récital de piano donné M. Hugh Del Carril. Au pro-
gramme : Bach-Busoni, Beethoven, Chopin, Mendels-
sohn, Schumann, Liszt.
Mercredi 22 mars. — A 8 yz h , à la Grande Harmo-
nie : Concert avec orchestre consacré aux oeuvres de
P. Tschaïkowsky, donné par MM. M. Geeraert, pia-
niste et F. Mora, violoniste, avec le concours de M.
M. Loevensohn, violoncelliste.
Mardi 28 mars. — A 8 J/£ h., à la Grande Harmonie :
Récital de violon par Paul Kochanski.
— A 8 y% h , à la salle Erard : Concert donné par
MM. Gaston Waucampt, pianiste et Georges Liégeois,
violoncelliste, avec le gracieux concours de Mlle G.
Florany, cantatrice. Au programme : Boëllmann, Max
Bruch, Popper, Bach, Piatti, Beethoven, Gounod,
Schubert, Chopin, G. Waucampt.
Jeudi 6 avril. — A 8 34 h-< à la Grande Harmonie ;
Séance annuelle de piano par M. Joseph Wieniawski.
Au programme : Schubert, Field, Weber, Chopin,
Moniusko, Rubinstein, Hasndel, Schumann, Mendels-
sohn, Wieniawski, Liszt.
ANVERS
Mercredi 8 mars. — A 8 y% h., à la Société royale de
Zoologie : Concert symphonique. Audition d'œuvres de
Peter Benoît et d'Hector Berlioz; Fragments du drame
lyrique ha Pacification de Gand ; Symphonie fantastique.
Mercredi 29 mars. — A 8 J/£ h., à la Société royale de
Zoologie : Festival Vincent d'Indy, sous la direction de
l'auteur.
ATH
Dimanche 5 mars. — A 4 h., à la Salle de l'Ecole com-
munale, rue de Gand : Séance de musique de chambre
organisée par M. Arm. Lempers, directeur de l'Ecole
de musique avec le concours de Mlle Berthe De Harven,
pianiste, de MM. Léon Lilien et Alphonse Landas,
violonistes et de M. Louis Paternoster, violoncelliste.
Au programme : Quatuors de Beethoven, Mozart et
Grieg; quintette de Schumann.
BRUGES
Jeudi 16 mars. — A 7 h., au Théâtre, troisième con-
cert du Conservatoire, sous la direction de M. K. Mest-
dagh, avec le concours de Mme Ida Ekman, cantatrice.
Programme : Deuxième symphonie en ré majeur, pre-
mière exécution, J. Ryelandt; Mélodies de Schubert,
Brahms, Liszt et Strauss; Eine Saga, poème sympho-
nique, J. Sibelius; Mélodies finlandaises de J. Sibelius:
Merikanto, Melartin et Jârnefelt; Fragments sympho-
niques des Maîtres chanteurs de Nuremberg, R. Wagner.
LILLE
Dimanche 12 mars. — Quatrième concert de la Société
de musique avec le concours de Mme Marie Bréma.
NANCY
Dimanche 12 mars. — Concert du Conservatoire sous-
la direction de M. J. Guy Ropartz, avec le concours de
M. Georges Dantu : Faust-Symphonie de Liszt; Ouver-
ture pour Faust, Richard Wagner.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlles Marcella Pregi, Paternoster, MM. Mauguière,
Daraux et L. Nivette, Mmes Bujm, Artôt, et M. Vander
Haeerhen.
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déclare souscrire à un abonnement d un an au Guide MllSiCSl.
Signature :
i90 .
Renvoyer ce bulletin à M. Th. Lombaerts, imprimeur, Montagne-des-Aveugles, 7, à Bruxelles.
A. DURAND et fils, éditeurs, 4, place de la Madeleine, Paris
OEUVRES COMPLÈTES DE
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
Publiées sous la direction de C. SAINT-SAËNS
Pour paraître le i5 mars igo5.
Tome X. —
TRAGÉDIE en 5 actes et un prologue, paroles de LECLERC de la BRUÈRE
Ce Tome est consacré à un chef-d'œuvre de Rameau dont le succès fut considérable et
dont la réputation s'est maintenue, à juste titre, jusqu'à nos jours.
Rameau ayant en quelque sorte écrit trois fois son ouvrage, tant les changements furent
importants à la reprise de 1744, les éditeurs ont été amenés à publier, en un second volume, les
nombreux appendices concernant Dardanus.
Sous la haute direction de M. C. Saint-Saëns, la revision générale et la réduction de piano
ont été faites par M. Vincent d'Indy, dont la compétence et la connaissance des maîtres anciens
sont incontestées.
Trois hors-texte servent à illustrer cette publication de luxe : i° un portrait de Rameau par
Carmontelle; 20 un fac-similé de costume du temps; 3° la reproduction du frontispice d&
l'édition de 1739.
Le volume est complété par un commentaire bibliographique dû à la plume autorisée de
M. Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra.
Ces deux volumes sont mis en vente ensemble, pour les souscripteurs, au prix de 50 fr.
Les exemplaires reliés subiront une augmentation de 8 francs
NOVELLO AND COMPANY, LIMITED, Editeurs de Musique, LONDRES
Vient de paraître :
Le Sonoe de Gérontias
Poème du Cardinal NEWMAN
POUR
Ulezzo-Sonrano, Ténor et Basse §oli, Cliœur et Orchestre
Traduction française de J. d'OFFOËL
Partition chant et piano Net : fr. 7 5o
Parties de chœur, chaque . . . . . . . . » » 2 5a
Livret » » o 5o>
JEn vente chez tons les éditeurs de musique
5ime année. — Numéro ïî.
12 Mars igo5.
LE
CENTENAIRE DE MANUEL GARCIA
MANUEL GARCIA; la MALIBRAN; PAULINE VIARDOT
Vendredi prochain, 17 mars,
M. Manuel Garcia, le célèbre
professeur de chant, atteindra
l'âge de cent ans. Tout ce que
l'Angleterre compte d'illustrations artisti-
ques et médicales — car on sait que
M. Manuel Garcia s'est acquis une grande
célébrité par sa découverte du laryngo-
scope et ses travaux sur
la voix humaine — se
réunira le soir en un grand
banquet à l'Hôtel Cecil et
offrira au jubilaire son
portrait par le peintre
Sargent.
Il nous a paru intéres-
sant, à l'occasion d'une
fête aussi rare, d'esquisser
brièvement l'histoire de la
glorieuse famille des Gar-
cia et d'ajouter quelques
documents inédits à tout
ce qui déjà a été publié
sur elle. Ces documents,
nous les devons à la gra-
cieuse obligeance de M.
Charles de Bériot et de
Mme la générale Wauwer-
mans de Francquen, fils
et nièce de la Malibran,
de Mme Marie Bréma et
de M. Nicolas Manskopf,
le fondateur du Musée
d'histoire musicale de
Francfort. Nous les prions de recevoir ici
l'expression de notre gratitude.
Le fondateur de la famille, del Manuel
Popolo Vicente Garcia fut lui-même un
maître illustre, artiste dramatique, compo-
Manuel del Popolo Vicente Garcia
(1775-1832) •
(Collection Wauwermans)
siteur et didacte. Né à Séville en 1775, avait
fait ses premières études dans la maîtrise de
la cathédrale ; de bonne heure il acquit dans
sa ville natale une réputation avantageuse
comme chanteur, comme chef d'orchestre
et comme compositeur. Il avait à peine
dix-sept ans lorsqu'il débuta au théâ-
tre de Cadix dans une tonadilla où il
fit entrer plusieurs mor-
ceaux de sa composition.
Peu après, à Madrid, il
chanta avec succès dans
un oratorio et fit jouer
son premier opéra 77 Pre-
so. Enfin, en i8o5, il avait
Wm alors trente ans, il écrivit
el Poeta calculista, dont la
faveur fut considérable et
qui fut représenté à Paris
quatre ans plus tard;
c'est dans cette œuvre
que se trouve le fameux
chant, devenu populaire
dans toute l'Espagne : Yo
che son contrabandista.
Mais son ambition lui
fit rechercher de plus
larges succès encore et,
sans avoir jamais chanté
en italien, sans avoir jus-
qu'à cette époque vérita-
blement étudié le chant, il
débuta le 11 février 1808
à Paris, dans la Griselda
bout d'un mois, il était
du chant et l'on fut
de Paër. Au
nommé directeur
forcé d'interrompre les représentations de
son Pocta calculista, tant les ovations du
public lui causaient de fatigue. Il entreprit
204
LEGUIDE MUSICAL
alors une tournée en Italie et se fixa à
Naples,où, en 1812, le roi Murât le nomma
premier ténor de sa musique particulière.
C'est là qu'il fit une véritable et complète
étude de l'art du chant avec son maître et
ami Anzani, dont il illustra l'école. De
retour à Paris en 1816, il obtint un triom-
phe inouï dans II matrimonio segrelo de
Pergolèse et dans tout le répertoire de
l'époque, puis partit pour l'Angleterre et
bientôt revint à Paris où les rôles d'Otello,
de Don Juan et d'Almaviva comptèrent
parmi ses créations les plus applaudies.
Après un nouveau séjour à Londres, où
il termina l'éducation musicale de sa fille
aînée, Maria-Felicia, il s'embarqua à Liver-
pool pour l'Amérique, avec une troupe
composée de sa femme et de ses enfants,
de Crivelli fils, d'Angrisani, de Rosich et
de Mme Barbieri. Il enthousiasma toute la
ville de New- York par une campagne artis-
tique sans précédent ; il y donna en outre
de nombreux concerts intimes, au cours
desquels il aimait montrer la perfection de
sa méthode de chant ; il avait coutume de
frapper simplement un accord, puis, avec
sa femme et ses enfants, il exécutait un
chœur à plusieurs voix sans accompagne-
ment; à la fin, il frappait un nouvel accord
et l'on pouvait s'apercevoir que pas une
des voix n'avait bougé d'un quart de ton.
Le climat de New-York lui paraissant
pernicieux, il quitta cette ville pour
prendre la direction de l'Opéra de Mexico,
où il amassa rapidement une jolie petite
fortune. Malheureusement, au retour, la
diligence danslaquelle.il avait pris place
fut attaquée dans le défilé de Rio Frio par
des brigands qui le dépouillèrent de tout
ce qu'il possédait, sauf d'une réserve en or
qu'il portait dans une ceinture autour du
corps. Il s'embarqua à la Vera Cruz et
rentra en France.
On sait que pendant le séjour des Garcia
à New-York, sa fille Maria-Felicia avait
épousé un négociant français, Malibran,
et que l'une des raisons de ce mariage
précipité fut peut-être le désir d'échapper
à la discipline tyrannique de son père.
Cette union fut malheureuse; Malibran,
dont les affaires allaient fort mal, avait
compté sur les ressources que lui procu-
rerait le talent de sa femme. Un an à peine
après son mariage, il fit faillite ; sa femme
le quitta et rentra à Paris au mois de
septembre 1827; elle y obtint de très
grands succès au Théâtre italien.
C'est là que son père la retrouva à son
retour du Mexique ; mais, abusé par des
rapports mensongers, au lieu de se réjouir
de l'énergie de sa fille qui s'était recon-
quis une situation admirable, il ne vit
dans son indépendance qu'un acte de
désobéissance filiale et interdit formelle-
ment à tous les siens de la revoir.
Seul, son fils Manuel enfreignit cette
défense, et cela créa entre Maria-Felicia
et lui une intimité et une affection plus
grandes que jamais. La Malibran quitta
Paris pour Londres peu de temps après le
retour des siens ; son père fit encore une
courte apparition au Théâtre italien dans
Don Juan et dans le Barbier. Mais l'âge
avait altéré sa voix et il se retira bientôt
pour se consacrer exclusivement à l'ensei-
gnement. Il mourut le 2 juin i832, laissant
un bagage considérable de compositions,
dont un assez grand nombre ont été
perdues ; on connaît de lui dix-sept opéras
espagnols (vingt-quatre actes), trente-six
opéras italiens (vingt-neuf actes) et huit
opéras français (dix-neuf actes).
Parmi ses principaux élèves, il faut citer
ses filles, la comtesse Merlin, qui publia
plus tard sur la Malibran un livre dont la
documentation ne doit pas être acceptée
sans réserves, MmesRimbault, Ruiz- Garcia,
Mérie-Lalande et Favelli, le ténor Adolphe
Nourrit, Géraldy et enfin son fils Manuel
Garcia.
Celui-ci, né à Madrid le 17 mars i8o5,
accompagna son père dans tous ses
voyages en France, en Italie, en Angle-
terre, en Amérique et revint avec lui à
Paris en 1826. Lassé comme sa sœur de
la tyrannie paternelle, il songea à s'y sous-
traire et se résolut d'autant plus facilement
à quitter le théâtre que sa voix, qui n'était
LE GUIDE MUSICAL
205
point parfaite, ne lui avait jamais valu que
des succès de second plan.
La France faisait alors les grands pré-
paratifs de l'expédition d'Afrique qui
devait amener la conquête de l'Algérie.
Fait inconnu de la plupart de ses biogra-
phes, Manuel Garcia, connaissant les rela-
tions d'amitié de la Malibran, sa sœur,
avec l'intendant en chef de l'armée, la
supplia d'intervenir pour lui faire obtenir
une place dans l'administration du corps
expéditionnaire ; sa demande fut agréée et
le il mai i83o, il s'embarqua à Toulon en
qualité d'employé aux subsistances mili-
taires.
Il rentra en France après la prise d'Alger
et fut alors attaché à l'administration des
hôpitaux militaires métropolitains. C'est là
qu'il eut l'occasion d'assister à
des cours de médecine et à de
nombreuses cliniques et qu'il
comprit toute l'importance de
l'étude de la physiologie pour
l'éducation rationnelle de la voix.
Ses travaux furent couronnés de
succès et il contribua à détermi-
ner exactement l'anatomie des
cordes vocales.
Fort de ses connaissances
nouvelles, il résolut de les appli-
quer et ouvrit avec son père une
école de chant à Paris, qui devint
bientôt célèbre. Il exigeait de
tout élève qui se présentait un examen
vocal et médical à la suite duquel il lui
faisait subir un traitement, si l'état du
larynx lui paraissait le commander. Cette
méthode scientifique de l'enseignement du
chant fit grand bruit alors et lui valut
même le diplôme de docteur en physiologie
honoris causa de l'université de Heidelberg.
En 1840, Manue], Garcia présenta à
l'Académie des Sciences de France un
Mémoire sur la voix humaine, sur lequel
Magendie, Savart et Dutrochet firent un
rapport qui fut lu le 12 avril 1 841, en séance
publique. Manuel Garcia établissait dans
ce travail : i° que la voix de tête ne com-
mence pas nécessairement là où finit la
Manuel Garcia
(né en i8o5)
d'après un dessin au
crayon de la main de
sa sœur, Mme Pauline
Viardot.
(Collection Wauwer-
mans)
voix de poitrine et que l'on peut donner
un certain nombre de notes aussi bien en
voix de tête qu'en voix de poitrine ; 20 que
la voix de poitrine et la voix de tète sont
produites par une modification particulière
et spontanée des organes vocaux et que
l'épuisement de l'air contenu dans la poi-
trine est plus rapide dans la production
d'une note en voix de tête que dans la pro-
duction de la même note en voix de poi-
trine, et cela dans la proportion de 4 à 3;
3° que la voix est susceptible de reproduire
les mêmes sons en deux timbres différents,
le timbre clair (la voix blanche) et le timbre
sombre (la voix sombrée); 40 que dans la
production diatonique des sons du grave à
l'aigu, le larynx s'élève progressivement et
que le voile du palais est constamment
abaissé, tandis que dans la même
production descendante, le larynx
reste constamment fixé dans sa
position la plus basse, le voile du
palais étant relevé.
Manuel Garcia fut nommé
alors professeur au Conserva-
toire de Paris et publia en 1847
son Traité complet de l'art du
citant, en deux parties (1). Vers
i85o, il quitta définitivement
Paris pour Londres où il fut
nommé professeur à l'Académie
royale de musique; il y continua
son cours jusqu'en i8g5. Il forma
d'illustres élèves : Jenny Lind, Henriette
Nissen (plus tard Mme Saloman), sa femme
Mme Eugénie Garcia, Mmes Marchesi, Chris-
tine Nilsson, Johanna Wagner, le baryton
Stockhausen, etc.
Depuis qu'il a pris sa retraite, M. Manuel
Garcia ne donne plus que de très rares
leçons; mais il a gardé une jeunesse d'al-
lure et d'esprit qui fait l'admiration de tous
et qui sera,dans quelques jours, longuement
acclamée lorsqu'on fêtera solennellement
le jubilé de cet admirable représentant
(1) Une traduction allemande par C.
éditée par Schott frères à Mayence.
Wirth a été
206
LE GUIDE MUSICAL
d'une illustre famille de chanteurs et de la
plus belle école de chant.
Robert Sand.
Moi. soussigné, j'ai reçu de M. Pair, Directeur de la
M usique particulière du Koi . la somme de C^u^v • i~^ / jC^t^.
pour le concert qui a eu lieu le sj, I ^Aï^l
chez.B- /.-*? . (X . 7^~^- •SZb-U^
: /J /ti^-y 1*1 ">
rtt^cZ ç*
Fac-similé d'un reçu signé par Manuel Garcia père,
pour un concert donné chez la duchesse de Berry
en i823
(Collection de M. Nicolas Manskopf, de Francfort)
MARIA-FELICIA GARCIA- MALIBRAN
ous n'avons songé a écrire ici
ni une biographie de la Mali-
bran, ni même une histoire
anecdotique de sa vie. L'un
et l'autre de ces sujets demanderaient des
volumes. Il nous a paru intéressant, toute-
fois, de choisir parmi les événements
nombreux qui marquèrent les étapes de
cette carrière artistique à la fois si courte
et si admirablement remplie, quelques-uns
des plus caractéristiques et surtout des
moins connus. Nous en devons la rela-
tion, pour la plupart, à l'obligeance
extrême de Mme la générale Wauwermans
de Francquen, nièce de de Bériot, qui a
bien voulu mettre à notre disposition les
trésors que renferme le véritable musée
qu'elle possède des souvenirs de la Mali-
bran.
On sait que Maria-Felicia Garcia débuta
à Paris dans une représentation de la
Semiramide de Rossini, donnée à l'Opéra
en janvier 1828, au bénéfice de Galli. On
lui reprocha, malgré l'admirable perfection
de son chant et son beau sentiment dra-
matique, d'avoir ajouté des traits inu-
tiles, peu en rapport avec la partition.
Avec cet instinct sûr du théâtre qui carac-
térise toute sa carrière, elle se corrigea i
rapidement de ce défaut et obtint plus tard j
dans la Somnambule, que Bellini avait écrite
pour la Pasta, des succès sans précédent.
La Malibran renouvela entièrement ce
rôle, mettant en pleine valeur des pages que
sa rivale avait laissé dans la demi-teinte,
puis, voulant l'éclipser complètement, elle
suivit ses traditions, mais ce fut pour la
surpasser.
Bellini trouva d'ailleurs en elle l'inter-
prète rêvée d'une de ses plus belles œuvres,
Norma, qui avait à peine obtenu un demi-
succès à la Scala de Milan. Le soir de la
première à Londres, comme il s'avançait
pour la remercier, la Malibran s'élança
vers lui et lui chanta en lui ouvrant les
bras : Ah! viabbracia! « Mon émotion fut
indescriptible, racontait Bellini ; je me
croyais en paradis.... Je ne pus ajouter un
mot et je restai comme étourdi. »
Rappelons que c'est à la même époque
qu'elle créa à Londres Fidelio de Bee-
thoven. Nous avons pu voir l'exemplaire
du livret en traduction anglaise, (1) dont
elle se servit; il porte sa signature :
M. -F. Garcia-Malibran, de nombreuses
annotations, et des modifications au texte
prouvant le soin avec lequel elle étudiait
ses rôles.
On a souvent parlé de la rivalité de la
Malibran et de la Sontag, de laquelle elle
disait : « Pourquoi chante-t-elle si bien,
mon Dieu? » A Londres, où elles chan-
tèrent toutes deux en 1829, e^es obtinrent
le même succès enthousiaste. 11 en était
résulté un certain froid entre les deux ar-
tistes et il fallut toute la diplomatie de la
comtesse Marlin pour les réunir dans son
salon et leur faire chanter le duo de Tan-
crède. Le 3 janvier i83o, elles parurent en-
semble à Paris dans // Malrimonio segreto,
donné au bénéfice de Mm! Damoreau-
Cinti, et quelques jours après dans Tan-
(1) Brettel, Rupert street, Haymarket, i835.
LE GUIDE MUSICAL
207
crède. Rarement la Sontag fut aussi admi-
rablement belle que dans cette dernière
représentation et, pour faire en quelque
sorte pardonner son triomphe, elle eut le
geste charmant d'offrir à sa rivale les
fleurs qu'on lui jetait sur la scène. Le
18 janvier, Henriette Sontag faisait ses
adieux au public; elle allait quitter le
théâtre pour épouser le comte Rossi ; la
Malibran reparut ce soir-Là à ses côtés et
cette fois, ce fut elle qui offrit des fleurs à
la Sontag.
Ses voyages en Italie furent une
suite de triomphes magnifiques. A Naples,
à Rome, elle fut couverte d'applaudis-
sements; à Bologne, l'en-
thousiasme du public fut tel
qu'on fit exécuter son buste
en marbre et qu'il fut placé
sous le péristyle du théâtre.
A Milan, son succès dans
Norma fut immense. Chose
étrange, la Malibran se trou-
va mêlée à la politique libé-
rale italienne. A Naples
déjà, on avait beaucoup
parlé de ses sympathies
pour la jeune Italie et les
Carbonari. A Milan, elle fut
fêtée par toute l'aristocratie,
qui haïssait la domination
autrichienne et, le soir de la
première de Marie Stuart
de Donizetti, lorsque, inter-
prétant ce rôle, elle repro-
cha à Elisabeth sa naissance irrégulière,
la traitant de « Vile bâtarde! », la salle
entière y vit une allusion à l'usurpa-
tion de la Lombardie et l'acclama fréné-
tiquement. Le lendemain, le gouverneur
autrichien ordonna la suppression de la
scène, menaçant même la Malibran de la
prison si elle ne cédait point. Mais elle
résista, déclarant que, seul, le compositeur
pouvait modifier son œuvre; l'ouvrage
disparut de l'affiche. Elle n'en devint que
plus populaire, et dans toutes les mani-
festations politiques, on cria « Viva Mali-
bran! » comme plus tard le cri de « Viva
Maria Félicia Garcia
Portrait fait à New- York à l'époque
de son mariage avec Malibran
(Collection Wauwermans)
Verdi ! » devint synonyme de « Vive Victor-
Emmanuel ! »
Des difficultés analogues, mais d'un
ordre plus mesquin, devaient se reproduire
plus tard à Venise. Le gouverneur, crai-
gnant des manifestations libérales, s'était
opposé à l'engagement de la Malibran à la
Fenice et il fallut l'intervention de l'Empe-
reur pour lever l'interdiction. Une loi somp-
tuaire du XVIe siècle qui n'avait jamais été
abrogée édictait que toutes les gondoles de-
vaient être uniformément peintes en noir.
La Malibran voulut changer cela : « J'ai in-
troduit ici une nouveauté, écrit-elle, qui fera
époque dans mes fastes. J'ai une gondole
que j'ai fait peindre en gris à
l'extérieur avec des boucles
et des boutons en or ; les
matelots, en jaquette écar-
late, chapeau de paille jaune
et rubans de velours noir
autour, pantalon de drap
gros bleu avec des lisières
sur le côté, à la Pair de
France, seulement en rouge,
les manches et collets en
velours noir, la tente écar-
late et rideaux bleus; de
sorte que lorsque je sortais,
on savait que c'était moi... »
La police la fit rappeler
aux règlements, mais elle
refusa de céder, déclarant
qu'elle partirait plutôt. Le
gouverneur, craignant une
émeute, tant elle était populaire, et plus
encore les observations de la Cour de
Vienne, résolut de fermer les yeux;
mais la Malibran, pour se venger, un jour
qu'il la reconduisait galamment à sa gon-
dole, l'obligea d'y prendre place et le pro-
mena par tous les canaux aux applaudisse-
ments ironiques du peuple.
En 1834, elle fut reçue avec son mari à
la cour de Lucques. Une lettre charmante
de Ch. de Bériot à sa sœur, Mme de
Francquen, relate ce séjour.
Lucca, 3i août 1804.
Chère sœur, nous sommes revenus hier des
2o8
LE GUIDE MUSICAL
bains de Lucca, où nous avons passé deux jours de
la manière la plus délicieuse. Il est impossible de
trouver un prince souverain plus aimable et plus
jovial que le duc de Lucca. Je t'en dirai autant
de la reine mère de Naples. La soirée dont je t'ai
parlé dans ma dernière lettre a eu lieu chez elle
vendredi passé. Mariette a chanté une dizaine de
morceaux, entr'autres celui du Contient, qui a fait rire
tout le monde aux éclats, non pas du rire pincé
et de commande que permet l'étiquette dans une
cour de France et même de Belgique, mais de
cette franche gaîté de la bourgeoisie, car ici on ne
se gêne pas à la cour; on entre, on salue la reine,
le duc, puis on dépose son chapeau dans un coin
du salon et l'on fait ce que l'on veut. Je deviendrais
royaliste enragé, si on jouissait de cette liberté
dans toutes les cours.
Le lendemain de cette soirée, la reine nous a fait
remettre par son secrétaire un bouquet magnifique
en diamant pour le front de Maria et un solitaire de
grande valeur pour mon petit doigt de la main gau-
che, avec lequel je suis toujours sur d'avoir la
cadence brillante, une fort jolie parure d'aigle pour
la sœur de Mariette, Pauline, et par dessus tout
une bourse pour couvrir les frais généraux du
voyage. Voilà ce qui s'appelle bien faire les
choses.
Nous avons passé le restant de la soirée chez
le prince Poniatowski, en compagnie avec le Duc
Souverain, qui a été d'une gaîté folle pendant le
dîner qu'il présidait au milieu de la table, avec
une grande réglette à la main pour tuer les guêpes,
qui sont en grande quantité dans ce pays ; il n'en
manquait pas une. Après le dîner, il s'est mis à
chanter, danser, sauter, prenant tout le monde
par la main comme ferait Labarre dans ses jours
de gaîté. Enfin, il s'est mis au piano et a chanté un
duo bouffe du Mariage secret d'une manière
piquante.
Dans ce moment, un petit incident est venu
troubler la musique, mais n'en a rendu la soirée
que plus pittoresque. Deux chauves-souris, attirées
par la lumière, se sont amusées à voleter et folâ-
trer autour de nos têtes. Toutes les dames ont fui
dans la pièce voisine, mais les messieurs, au
nombre desquels était S. A. R., se sont armés de
bâtons et de fouets et après deux heures de com-
bat, nous sommes parvenus à tuer nos ennemies.
Ma lettre, ma chère Constance, a été interrompue
par une partie de campagne, improvisée en un
instant. Nous sommes encore allé passer deux
jours aux bains chez le prince Poniatowski avec
S. A. R., qui a toujours été aimable à son ordi-
naire. J'avais apporté une canne de Paris avec un
pommeau de plomb ; elle a beaucoup plu au Duc
qui s'en est emparé et m'a donné la sienne en
échange, qui a une pomme d'or et qui pour moi a
un double prix... Ch. de Bériot.
Revenue à Naples, l'année suivante, en
i835, la Malibran faisait en joyeuse compa-
gnie une excursion au mont Pausilippe, sur
lequel s'élève un grand couvent de camal-
dules, lorsque tout à coup un chant funèbre
scandé par le glas, se fit entendre. Une
longue théorie de moines vêtus de blanc,
le visage caché sous leurs cagoules, se
dirigeait vers un petit campo santo où l'on
enterrait les religieux.
Fac-similé de la médaille de la Malibran dans Norma
et de deux timbres à son effigie
(Collection Wauwermans)
La Malibran suivait cette scène avec
émotion; pendant un silence, elle reprit
d'une voix fortement scandée la mélodie
funèbre que les camaldules venaient de
chanter. Ceux ci s'arrêtent et s'agenouillent;
le prieur vient bénir la grande cantatrice
et le cortège s'éloigne. Lorsqu'il fut rentré
dans le couvent, la Malibran fut prise d'un
vif désir de pénétrer dans cette maison
dont la règle interdit l'accès à toutes les
femmes; elle sonna; les religieux étaient
encore dans la cour; alors le prieur or-
donna qu'on la laissât entrer, lui imposant
comme pénitence de répéter la prière qui
les avait si profondément émus et que tous
écoutèrent à genoux. Puis il lui fit apporter
des fleurs et des fruits et la reconduisit
respectueusement à la porte.
Peu de mois après, revenue à Venise,
elle reçut la visite de Giovanni Gallo,
directeur du petit théâtre populaire de
Saint-Jean Chrysostôme. Le malheureux
~L2 GUID^ MUSICAL
209
/;
imprésario était à la veille de faire faillite
et il venait solliciter un secours. La Mali-
bran refusa, mais elle lui proposa de chan-
ter à son théâtre moyennant un cachet de
trois mille francs. La troupe et l'orchestre
étaient déjà à demi dispersés ; on les ras-
sembla à la hâte et de Bériot dirigea lui-
même les répétitions de la Somnanbule.
L'annonce de cette représentation avait
fait merveille. Les places était montées à
des prix incroyables et, le soir de la pre-
mière, la salle était archi-comble. Le ténor,
fort mauvais, fut à ce point ému qu'il s'ar-
rêta court, n'osant plus chanter ; le public
murmurait et tout le succès allait être com-
promis lorsque la Mali-
bran chanta toute la ti-
rade de son partenaire
avec une telle virilité
d'accents et de gestes
que le public l'acclama
et que, lorsqu'elle reprit
son véritable rôle, le té-
nor avait retrouvé toute
son assurance. Des ova-
tions interminables la sa-
luèrent à la chute du ri-
deau.
Mais le bruit de sa géné-
reuse action s'était ré-
pandu dans tout Venise.
A la sortie, on se disputa
les morceaux de son châle,
ses gants, son mouchoir
et toutes les gondoles lui firent cortège
jusqu'au palais Barbarigo, où elle habitait.
A peine rentrée chez elle, le syndic des
gondoliers se fit annoncer et, lui présen-
tant une coupe dorée pleine de vin, la pria
d'y tremper ses lèvres. De son balcon, elle
vit alors toute la flottille s'éloigner et abor-
der à la Riva del Carbone, où la coupe fit
le tour de tous les gondoliers, qui y burent
chacun quelques gouttes, avec une telle
crainte de l'épuiser qu'après avoir circulé
dans tous les rangs, elle était encore à demi
pleine et que le syndic alla la vider dans le
Grand Canal en manière de libation.
La représentation avait produit une
\
La Malibran
(Collection Wauwermans)
recette de io,5oo francs; il en fallait i5,ooo
pour sauver le malheureux Gallo. Lorsque
celui-ci se présenta le lendemain avec les
3,ooo francs promis, la Malibran déchira
son traité et lui remit la somme nécessaire
pour payer le complément de sa dette.
Peut-être était-ce à cette générosité que
pensait Alfred de Musset lorsque, dans ses
stances immortelles, il s'écria :
Cet or deux fois sacré qui payait ton génie
Et qu'à tes pieds souvent laissa ta charité.
En souvenir de cette représentation
inoubliable, la municipalité de Venise
décida que le théâtre de Saint-Jean Chry-
. sostôme s'appellerait dé-
• \ sormais Théâtre Mali-
bran (1).
Le séjour que la Mali-
bran fit à Milan pendant
l'hiver i835-i836 marqua
l'apogée de sa gloire et
on l'appelle encore l'An-
née glorieuse. Elle y pour-
suivit les études qu'elle y
avait commencées autre-
fois sur la réforme du cos-
tume et du décor, et pour
la réalisation desquelles
elle fut appuyée par le
duc de Visconti, surinten-
dant de l'Académie des
Arts et des Sciences, qui
avait dans ses attribu-
tions la direction du théâtre de la Scala.
Reprenant les idées de Talma, elle
voulut introduire au théâtre la vérité artis-
tique et archéologique et, dans ce but, elle
fit copier dans les archives de Venise, sur
les miniatures d'anciens manuscrits, quan-
tité de costumes qui furent exécutés pour
ses représentations, et notamment pour
celles d'Otello. Elle s'était si vivement inté-
ressée à cette réforme qu'elle l'appelait « la
grande affaire ». Nous avons pu examiner
(1) Ce théâtre s'élève sur l'emplacement de l'ancienne
maison de l'illustre voyageur Marco Polo. Aujourd'hui
encore, deux plaques de marbre, sur la façade, rap-
pellent les noms de Marco Polo et de la Malibran.
2IO
LE GUIDE MUSICAL
non seulement un grand nombre des dessins
qui furent copiés par son ordre, mais
encore plusieurs albums de croquis qu'elle
fit elle-même, non sans adresse, et qui
révèlent toujours cette même préoccupa-
tion.
On sait d'ailleurs que la Malibran avait
un certain talent de peintre; parmi ses
aquarelles, il en est de réellement inté-
ressantes et qui, malgré l'empreinte très
marquée du goût de l'époque, dénotent une
grande sensibilité de l'œil.
Elle chercha aussi à réaliser des pro-
grès dans la décoration, notamment en ce
qui concerne la sensation de profondeur
que le spectateur doit éprouver devant un
paysage, au théâtre.
Au milieu de tous ces travaux et des
réceptions mondaines dont elle fut l'attrait
principal, elle chanta fréquemment à la
Scala et y obtint des succès inouïs dans
Otello, I Capiiletti, Norma, la Somnambule,
Giovanna Grey. L'enthousiasme du public
allait à son comble et c'est de cette année
que datent les timbres à son effigie, qui
servaient à fermer les lettres et dont les
exemplaires sont devenus rarissimes.
Le jour de son départ, ses camarades du
théâtre lui offrirent une médaille d'or de
grand module (i5o mm.), la représentant
dans le costume de la Norma, et le gouver-
neur alla lui exprimer l'espoir de la voir
bientôt revenir.
Faut-il rappeler que son mariage avec
Malibran venait enfin d'être annulé et
qu'elle put épouser le 29 mars i836, à
Paris, Charles de Bériot, auquel elle s'était
unie par un mariage religieux secret? Le
lendemain, ils arrivèrent à Bruxelles, et
s'y firent entendre pour la première fois
ensemble dans un concert au bénéfice des
Polonais et dans un autre concert au
Théâtre royal (1).
(1) Le premier concert de la Malibran à Bruxelles
remonte au i: août 1829; il eut lieu au théâtre de la
Monnaie, en présence de la famille royale. Elle y chanta
l'air et les variations de la Cenerentola, le duo de
Sémiramide avec Mlle Dorus, un air du Barbier de Sêvilh
et une tyrolienne.
Quelques jours après, elle chanta le rôle de Rosine
dans une représentation extraordinaire du Barbier,
Peu de temps après, à Londres, elle fit
une terrible chute de cheval, des suites de
laquelle elle ne put jamais se remettre et,
au Festival de Manchester, ayant répété
malgré son épuisement nerveux et les
instances de sir George Smart, directeur
du concert, le duo à'Andronico avec
Mme Caradori, elle fut prise d'effrayantes
convulsions qui dégénérèrent en une fièvre
nerveuse dont elle mourut le 23 sep-
tembre i836 à l'âge de vingt huit ans.
Pendant son dernier séjour à Londres
elle avait été avec son mari parmi les
intimes du célèbre pianiste Moschelès.
Celui-ci, dans ses mémoires, nous a laissé
quelques notations intéressantes sur la
grande artiste :
Ce matin, dimanche, raconte Moschelès (i836),
j'ai composé un Calme de la mer, sur des paroles de
Goethe, pour Mme Malibran. Elle-même est venue
vers trois heures. Thalberg, Benedict et Klinge-
mann arrivèrent successivement. Nous avons
dîné de bonne heure. En sortant de table, la
Malibran s'est mise au piano et a chanté pour les
enfants des rataplans et des chansons espagnoles.
Elle s'accompagnait en grattant la planchette qui
longe le clavier, pour imiter la guitare. Puis
vinrent des romances françaises et italiennes de sa
composition, toutes charmantes et interprétées
avec une grâce adorable. Thalberg la remplaça au
piano ; il fit toutes sortes de farces; puis je jouai
les mains renversées et donnai mes coups de
poing bien connus, à la grande joie de notre
amie. Vers cinq heures nous allâmes tous au Jardin
zoologique et nous nous y promenâmes jusqu'à ce
que nous eussions vu suffisamment les gens et les
bêtes qu'on y trouve. A notre retour, la Malibran
se mit au piano; puis elle appela Thalberg et lui dit
en français -.Venez jouer quelque chose, j'ai besoin de me
reposer. Thalberg ne se fit point prier : il joua
des études et des fragments de ses compositions.
Pendant ce temps, Mme Malibran peignait une
jolie aquarelle. Nous soupâmes ensuite, et pendant
ce repas, ce fut encore elle qui nous occupa : elle
fit des imitations de sir George Smart, des
chanteurs Philips et Braham, et mit le comble à
notre gaieté en contrefaisant la grosse duchesse
de C*** parlant du haut de sa grandeur aux artistes
qui se font entendre chez elle et lady *** chantant
d'une voix nasillarde Home, sweet home. Après le
souper, elle chanta le Freischiïtz en allemand, puis
nombre de lieder de Mendelssohn, de Schubert, de
LE GUIDE MUSICAL
211
Weber, et de mon humble personne. Puis vint
Don Juan, dont elle sait par cœur non seulement
toutes les parties, mais encore toutes les notes de
l'accompagnement. Et jusqu'à onze heures, tou-
jours en voix, toujours gaie, toujours entraînante.
Quand elle nous eut quittés, nous ne pouvions
cesser de parler d'elle, de son talent, de son génie,
et surtout de sa simplicité et du charme qu'elle
répand autour d'elle.
Cette journée heureuse fut, hélas! l'une
des dernières de la pauvre Marietta. Un
soir, elle vint chez Moschelès pâle, souf-
frante, se soutenant à peine. Elle chanta
cependant, « mais sa voix était si faible,
qu'on ne pouvait la reconnaître ». On
apprit qu'elle avait fait une chute de cheval
dans la journée. Cependant elle se remit,
ou plutôt elle parut se remettre. « Ma
chère, dit-elle en français à Mme Moschelès,
je chanterai pour vous jusqu'à extinction de
voix. » Et en effet elle chanta. Un mois
plus tard, elle chanta encore, au concert
de Moschelès, avec Lablache et Grisi.
Elle était même gaie ce soir-là. Lorsque
le bénéficiaire la reconduisit à sa voiture,
elle lui remit sou bouquet : « Si vous voulez
me débarrasser de cette machine là, dit-elle,
vous me feriez plaisir. C'est cet abominable
duc de Brunswick qui vient de me rap-
porter. » Et en disant ces mots, elle riait
de toutes ses dents et de tout son cœur.
Quelques jours plus tard, une correspon-
dance venue de Manchester annonçait la
mort de Maria-Felicia. En apprenant cette
nouvelle, Moschelès éprouva un saisisse-
ment violent :
Il est inutile, écrivait-il, d'essayer de traduire
ma douleur par des mots, je me suis assis à ma
table et j'ai composé une élégie sur sa mort.
Les restes de la Malibran furent trans-
portés à Bruxelles et inhumés au cimetière
de Laeken, dans un mausolée qu'orne sa
statue par le sculpteur Geefs.
Bruxelles conserve quelques souvenirs
de son séjour; par une coïncidence cu-
rieuse, les deux résidences qu'elle y
occupa, son hôtel en ville, actuellement le
coin de la rue de Bériot et de l'avenue de
l'Astronomie, et son château à la campagne,
presque aux portes de l'ancienne ville, sont
devenus tous deux, et sans grande transfor-
mation extérieure des maisons commu-
nales, l'une de Saint-Josse-ten-Noode et
l'autre d'Ixelles. Robert Sand.
'-^è^s^C^-,
PAULINE VIARDOT-GARCIA
lus heureux que pour Maria
Malibran, si prématurément en-
levée à sa gloire, à ses amis, aux
sympathies universelles, nous
pouvons, et ce nous est une joie vive, rap-
procher de Manuel Garcia sa sœur cadette,
Pauline Viardot. Ici nous ne sommes plus
en peine d'évoquer les souvenirs de gé-
nérations elles-mêmes disparues; nous
n'avons que faire d'interroger la Muse
d'Alfred de Musset, saluant la première
apparition de la plus jeune des Garcia, de
ces vers immortels qui sont dans toutes
les mémoires :
Ainsi donc, quoi qu'on dise-, elle ne tarit pas
La source immortelle et féconde
Que le coursier divin rit jaillir sous ses pas...
Nous avons Pauline Garcia elle-même,
et sa mémoire inlassée.et son enthousiasme
toujours radieux et communicatif pour la
musique, pour l'art, et la séduisante viva-
cité de son sourire de grand-mère, et l'ac-
cueil charmant de sa cordiale bonté. C'est
avec elle qu'il faut pénétrer par la pensée
dans l'extraordinaire foyer d'art où s'éla-
boraient ces éducations lyriques dont nous
ne pouvons nous faire même une idée
aujourd'hui. C'est avec elle, c'est par elle,
qu'on se rend compte de ce que peut être
une organisation artistique véritablement
complète, dont il semble en définitive
qu'une voix de flamme, un sentiment sin-
cère et pénétrant, un style souverain, ne
soient que les expressions naturelles et
comme nécessaires.
Le père donnait l'exemple, et ses enfants
avaient de qui tenir. Quels souvenirs n'a-t-
il pas laissés, ce Garcia qui, dès l'âge de
212
LE GUIDE MUSICAL
dix-sept ans, avait une réputation établie
de chanteur et de compositeur tout en-
semble, qui égrena dans les deux mondes
une quarantaine d'opéras en trois langues,
qui fut à la fois un Othello terrible et le
plus séduisant des Don Juan, le Don Juan
type, définitif et inégalé,... et, par ses
leçons ou par son exemple, un professeur
hors ligne ! On l'a dit violent, exigeant,
tyrannique même... MmeViardot s'indignera
si vous le lui rappelez. Parler de son père,
vanter non seulement le talent, mais l'âme
de ce père, si tôt perdu pour elle (il est mort
à Paris en i832) a toujours été une joie
pour l'admirable artiste. Priez-là de vous
entretenir d'elle... elle n'aura rien de plus
pressé que d'évoquer l'image de Garcia.
On en pourra juger par le fragment d'une
lettre récente, toute vive et alerte comme
l'esprit qui l'a dictée :
... Comme je jouais du piano passablement, à
l'âge de huit ans, j'accompagnais les leçons de
mon père, tandis que, tout en surveillant les
élèves, il composait, sur un coin du piano, des
airs délicieux que, dans les moments de repos, il
me faisait déchiffrer. Il a écrit pour moi des études
admirables, que je chantais avec bonheur. Une
entre autres, qui commençait par un trémolo, sur
ces mots : Aspri rimorsi airoci, figli del fallo miolî
(Apres et atroces remords, fils de ma faute!) Oh!
comme je me sentais coupable en la chantant!
J'étais bourrelée de remords ! Et comme c'était
amusant!... Cela, c'était au retour du Mexique.
Mon père avait fondé à Mexico un opéra italien.
Il était parvenu à grand'peine à former une troupe,
dont ma mère, qui avait un soprano magnifique,
mon frère, beau baryton, et lui, faisaient la plus
belle partie. Oui..., mais de musique, point!...
Bah! mon père n'était pas homme à s'embarrasser
pour si peu — Il écrivit de mémoire les grandes
partitions de Don Giovanni, du Barbiere et d'OttUo,
puis composa lui-même plusieurs opéras impor-
tants— L'insurrection força tous les Espagnols à
quitter le Mexique. En chemin, nous fûmes déva-
lisés par des brigands, et toute notre fortune
(qu'il fallait emporter avec soi, aucun banquier
ne voulant s'en charger), fut enlevée aussi. De
retour en Europe, mon père se mit à professer le
chant... C'est ce cher et bon père qui m'apprit la
musique dès l'âge de quatre ans. »
Extraits d'autres lettres inédites :
... Mon père a été indignement calomnié comme
père et comme homme. Que de fois j'ai entendu
ma sœur dire : « Si mon père n'avait pas été si
sévère avec moi, je n'aurais rien fait de bon;
j'étais paresseuse et indocile. » Quant à moi, je
n'ai pas vu mon père même s'impatienter avec
moi, et il m'a appris le solfège, la musique et le
chant...
... J'étais une petite fillette de dix ans au plus
quand Adolphe Nourrit venait à la maison. Par
exemple, j'ai eu souvent le bonheur de l'accom-
pagner au piano. Entr'autres, je me souviens
d'avoir déchiffré avec lui les premières mélodies
de Schubert qui sont arrivées à Paris, et que c'a
été tout seul.
C'est ce que Mme Viardot appelle son
talent passable sur le piano. Le fait est que
Liszt en fit une de ses meilleures élèves et
qu'elle joua dans plusieurs concerts orga-
nisés par sa sœur et Bériot, en Belgique et
en Allemagne (bien avant d'avoir paru
comme cantatrice). Pour la composition,
c'est Reicha qui fut son professeur et à
qui elle dut la technique d'un art où l'abon-
dance de ses propres inspirations l'en-
traîna de bonne heure. Plus d'une fois déjà,
nous avons eu l'occasion, ici, de parler de
ce côté brillant, mais moins connu de la
carrière de Mme Viardot, de ses opéras-
bouffes, de ses mélodies en diverses lan-
gues, de ses morceaux d'ensemble, de ses
grandes scènes lyriques... Bien que la pré-
sente étude soit surtout faite pour la placer
à son rang dans la famille Garcia et auprès
de son frère Manuel, — bien que parler
d'elle soit risquer mille reproches et ce cri
de désespoir : « Dans quel antre profond
voulez-vous que j'aille cacher la rougeur
de mon visage? » (i) — nos lecteurs nous en
(i) Faisons-la rougir encore, car ceci en vaut la peine.
M. M. Kufferath a cité un jour (dans son Tristan et Iseult)
une lettre de Richard Wagner dont un passage est tout
à fait topique à propos de l'éducation musicale transcen-
dante de M me Viardot. C'est une lettre à L. Uhl, relative
au séjour de Paris en 1859, et aux tentatives en vue de
représentations de Tristan, Wagner rappelle que la
difficulté même de lire les rôles de cette œuvre était
devenue eu Allemagne un thème courant contre elle et
il ajoute : a Mme Viardot me manifesta un jour son
étonnement, qu'en Allemagne, on parlât toujours de
cette difficulté de déchiffrer Tristan. Elle me demanda,
si; chez nous, les artistes n'étaient donc pas musiciens?
Et je ne sus trop que répondre pour l'éclairer sur ce
point, car cette grande artiste, jadis, à Paris, m'avait
chanté à vue, avec expression, tout un acte du rôle d'iseult. »
LE GUIDE MUSICAL
2l3
voudraient de ne pas rappeler à grands
traits ce qu'elle fat sur la scène lyrique.
Elle ne l'aborda, comme on sait, qu'après
la mort de sa sœur, qui avait suivi d'assez
près celle de son père. Elle était toute seule
à lutter contre l'incertitude du public et
l'écrasant souvenir de la Malibran. Mais
de quels dons son talent déjà consommé
n'était-il pas paré! Sans hésitation, la
faveur qui avait accueilli sa sœur lui revint
toute, et presque avec plus d'enthousiasme
puis presque aussitôt à Paris, aux Italiens
dans les trois rôles si caractérisques et si
divers à la fois d'Otrflo, de la Cenerentola
et du Barbier de Sévi lie, quand Musset la
salua de ces vers qu'on n'oublie pas... Il
voulut redire en prose aussi son émotion
ravie :
Si Pauline Garcia a la voix de sa sœur, elle en
a l'âme en même temps, et, sans la moindre imi-
tation, c'est le même génie... Elle chante comme
(Collection Wauwermans)
Mme Pauline Viardot
encore. Après quelques concerts de pré-
sentation (i), elle avait débuté à Londres
(i) Il n'est pas sans intérêt de rappeler que Mrae Pau-
line Viardot donna son premier conceit à Bruxelles
avec de Bériot, le i5 décembre 18I7, au profit des
pauvres de la ville. A cette occasion deux médailles à
l'effigie du Roi Léopold 1er furent frappées pour être
offertes aux artistes et les matrices en furent ensuite
brisées. Celle de Mme Viardot portait l'inscription sui-
vante : « Hommage de reconnaissance et d'admiration
à Mlle Pauline Garcia — i5 décembre 1837 — Société
royale de philanthropie de Bruxelles, concert au profit
des pauvres de l'Hôtel de Ville. » L'année suivante, le
5 janvier i838 elle donna un second concert avec de
Bériot au Théâtre royal de la Monnaie.
(Appartient à M"'e Marie Bréma)
§dans « Orphée »
elle respire... Sa physionomie, pleine d'expression,
change avec une rapidité prodigieuse, avec une
liberté extrême, non seulement selon le morceau,
mais encore selon la phrase qu'elle exécute...
Avant d'exprimer, elle sent...
C'était en 183c; dès l'année suivante,
Pauline Garcia devenait Mme Viardot, par
son mariage avec l'érudit critique d'art
qui était alors directeur du Théâtre Italien.
Entre i83g et 1843, elle se montra encore
dans Tancrcde, Semiramide (rôle d'Arsace),
la Gazza Ladra. Mais en même temps com-
mencèrent les voyages pittoresques où elle
charmait les villes, tandis que son mari
214
LE GUIDE MUSICAL
courait les musées pour ses publications
futures. Mrae Viardot, comme sa sœur,
comme tous les Garcia, savait toutes les
langues qui chantent, et chantait en toute
langue. En Italie, en Espagne, en Russie,
en Allemagne, à Londres, les genres les
plus divers, les voix les plus opposées, ne
furent qu'un jeu pour elle. Son répertoire
comprit encore la Somnanbula et Norma,
I Capuletti (rôle de Roméo) et UElisire
d'amore, Lucia de Lammermoor et Don Pas-
quale; ou bien, en allemand, la Juive, Don
Juan (Zerline ou Dona Anna, à volonté),
Iphigénie en Tauride, les Huguenots, Robert
le Diable.
Quant elle nous revint, ce fut pour ap-
porter à l'Opéra, en 1848, le Prophète
qu'elle chantait aux lendemains des Hu-
guenots) ! Plus tard, elle prit Gounod par
la main et créa Sapho (i85i) Les Italiens
la revirent également, soit dans le Barbier,
soit dans le Mariage secret (i855). Puis, ce
sont les inoubliables soirées du Théâtre-
Lyrique, avec Orphée et Fidelio (i85g), et
les dernières saisons théâtrales à l'Opéra
de i86r, avec Alceste, la Favorite et le
Trouvère... Quel dommage de passer si
vite sur tant de souvenirs de gloire tou-
jours vivante!
Quel dommage encore de ne pouvoir
insister sur sa personnalité de professeur,
sur son action si bienfaisante parmi tant
d'artistes qu'elle a formés et qui sont
venus à elle des deux mondes, sur la joie
aussi qu'elle a eue de voir revivre dans ses
propres enfants les dons et le talent reçus
en héritage !... Et ne faudrait-il pas encore
peindre Mme Viardot dans son intérieur,
dans cette atmosphère toute vibrante de
musique, toute baignée d'art, montrer cette
sérénité aimable et gaie qui est bien ce qui
frappe le plus, au premier abord de cette
femme vaillante, à l'activité prodigieuse?
Je veux terminer du moins par une der-
nière citation de lettre, dont on appréciera
le tour vraiment exquis :
... Mais où trouver le temps de faire ce qu'on
voudrait ? C'est à peine si on arrive à faire ce
JJZ $LJL-*£ é-
^^^, ^ /S
AC^^é^^j^^^
<f4s? é^*-
SfS~4>
Autographe de la cadence faite par Mme Viardot au dernier point d'orgue de l'air final du premier acte à' Orphée,
lors des représentations d'Orphée à l'Opéra de Paris, en 1859.
LE GUIDE MUSICAL
2l5
qu'on doit ! En vieillissant,, le temps passe de
plus en plus vite et vous entraîne d'une course
vertigineuse vers le Grand Inconnu ! sans arrêt, sans
repos, sans pitié. Il y aura peut-être dans le ciel
une immense bibliothèque, où les œuvres du génie
seront rassemblées, et je me promets d'y faire de
fameuses séances de lecture!...
Celte lettre est d'hier, mais les senti-
ments qu'elle exprime sont de toujours.
Henri de Curzon.
PAULINE VIARDOT-GARCIA
ET L'ALLEMAGNE
-ers le milieu du siècle dernier, Pauline
Garcia -Viardot, que George Sand
appela « la poésie et la musique en
personne », parcourait triomphante
l'Europe entière et, pareille à la muse,
répandant à profusion les trésors de son art, elle
trouvait en tous pays une patrie nouvelle ouverte
à son génie. L'Allemagne lui fut surtout accueil-
lante, et dès le début, il s'établit entre le public
germanique et l'artiste « latine » une sympathie
réciproque qui jamais ne se démentit. Après
un brillant début à Berlin, dans un concert
à la cour, cérémonie officielle, mais encore
privée, elle prit contact avec le vrai public
dans une soirée au Gewandhaus de Leipzig,
en iS|3. Elle avait alors vingt-deux ans. Appa-
rition charmante, déjà auréolée de la gloire
de sa sœur, la Malibran, son aînée de treize ans,
Pauline Garcia eut bien vite élevé la curiosité
sympathique de ses auditeurs à l'enthousiasme le
plus sincère et le plus frénétique. La presse
entière louait en elle, à un égal et suprême degré
de perfection, la virtuose, l'artiste au sentiment
profond, la cantatrice au visage expressif et
noble. On admirait surtout en elle le don de
révéler toute la beauté des grandes œuvres musi-
cales qu'elle vivait et sentait profondément, et ce
talent unique qui parvenait à envelopper d'un
charme exquis les choses les plus menues, tant
elle y apportait de grâce et d'esprit. C'est pourquoi
l'air de bravoure d'Inès de Castro, de Persiani, le
rondo finale de la Cenerentola, de Rossini, puis un
air inédit de C. de Bériot, lui valurent à ce pre-
mier concert autant de succès que le grand air.de
Rinaldo, de Haendel, et les jolies romances fran-
çaise, espagnole et allemande qu'elle chanta dans
la suite, ces trois dernières avec une couleur na-
tionale si caractéristique « qu'elles parurent
chantées par trois voix et par trois âmes totale-
ment différentes ». Comme d'habitude, elle s'ac-
compagna elle-même au piano, en toute perfection,
étant d'ailleurs une des bonnes élèves de Liszt.
Clara Schumann, qui participait à la soirée (elle y
joua une sonate de Beethoven), en fut émerveillée
et n'oublia jamais ce magnifique concert, auquel
prit aussi part, bien modestement encore, un tout
jeune violoniste, enfant prodige de douze ans, qui
devint le grand maître Joseph Joachim.
Quel triomphe fut encore le sien au festival
Beethoven, à Bonn (1845), et à ses représentations
à Berlin de 1846 à 1848! C'est là qu'elle
réussit un jour à accomplir ce tour de force de
chanter en la même soirée les deux rôles d'Alice
et d'Isabelle dans Robert le Diable, remplaçant au
pied levé, avec sa bienveillance coutumière,
l'artiste chargée du rôle d'Isabelle, subitement
indisposée. Après Berlin, elle passa par Ham-
bourg, Dresde, Francfort, Leipzig, etc., personni-
fiant tour à tour, avec un égal bonheur, Rosine,
Desdémone, Norma, Valentine, Isabelle, Donna
Anna, Zerline, Iphigénie.
Ce qui la faisait encore aimer davantage en
Allemagne, c'est qu'elle chantait en allemand,
et cela en toute perfection. A ce sujet, VAllgemeine
musikalische Zeitung (juin 184S) s'exprime en ces
termes : « La Viardot-Garcia chante le texte alle-
mand non seulement clair et correct, mais aussi
« beau » ; oui, elle alla même plus loin, car, trou-
vant une manière spéciale d'accentuer dans des
mots comme Herz, Hand, F est, Geschick, etc., la
voyelle douce suivie de deux ou de plusieurs con-
sonnes qui l'assourdissent aisément, elle parvint
à les émanciper musicalement. Aussi longtemps
que la note le permet, elle soutient la voyelle
pure et claire, en lui donnant une intensité, une
couleur et une durée normales, et laisse alors
suivre, en glissant doucement, rapidement, les
consonnes malencontreuses. Voilà ce que des
chanteurs allemands pourraient encore appren-
dre! »
Vers i865, elle se fixa quelque temps à Baden-
Baden, qui en ce temps-là était une ville presque
aussi française qu'allemande ; dans sa charmante
villa, elle reçut plus d'un hôte illustre, mais elle
s'y consacra surtout à l'enseignement du chant.
Mme Marie Bréma, dont la sœur aînée fut élève de
Mme Viardot, se rappelle encore l'impression pro-
fonde qu'elle ressentit en l'entendant à cette
époque chanter l'Atlas de Schubert. Un autre sou-
venir lui est resté d'une charmante fête que donna
Pauline Viardot et où fut jouée une opérette qu'elle
2l6
LE GUIDE MUSICAL
avait composée pour ses élèves, sur des paroles de
Tourgueniew.
De Baden, Pauline Viardot passa, avec Tour-
gueniew à Stuttgart, où elle chanta Norma. C'est
là qu'elle connut le poète Edouard Môrike, dont
elle mit plusieurs poèmes en musique ; Tourgue-
niew et le critique Maurice Hartmann les admiraient
beaucoup, ne pouvant, disaient-ils, les comparer
à rien d'autre qu'à Schubert même! Bel éloge que
Môrike pourtant ne comprenait point tout à fait :
« Cela est-il possible, fit-il un peu sceptique, d'une
Française? »
Elle s'était rendue à Stuttgart à l'occasion de fêtes
en l'honneur de Schubert, qu'elle fut une des pre-
mières dans Paris à connaître et surtout à faire
admirer. Elle avait d'ailleurs un culte tout spécial
pour les grands maîtres allemands et en donna une
preuve éclatante lorsque, plus généreuse que les
bibliothèques de Vienne, de Berlin et de Londres,
elle acheta le manuscrit de l'immortel Don Giovanni
de Mozart, successivement mis en vente par le
luthier Streicher, de Vienne (qui le tenait de son
beau-père André, d'Offenbach, éditeur du Don Juan)
et par le pianiste Paur, de passage à Londres.
Mme Viardot, alors en représentations dans la capi-
tale anglaise (r.855), ayant appris la chose, offrit
spontanément 5,ooo francs, le prix fixé, pour
acquérir un si précieux trésor. Avec un soin
et une piété extrêmes, elle fit grouper les sim-
ples feuilles détachées du manuscrit en quelques
petits cahiers admirablement reliés et ornés, dépo-
sés dans un coffret artistique portant, gravés en
lettres rouges sur cuivre, ces deux mots : Don
Giovanni et, en dessous, le nom, les dates de la
naissance et de la mort du maître.
Les détails de ce précieux achat furent racontés
par Louis Viardot, mari de la grande artiste, au
Journal universel l'Illustration (4 janvier i856);
après s'être étonné de l'indifférence de l'Autriche
pour son précieux patrimoine, il ajoutait :
« A Salzbourg, sa ville natale, on lui a élevé une
» statue sur une place publique, on prépare une
» grande fête populaire pour fêter le centième
» ainiversaire de sa naissance (27 janvier 1756);
» il est question de rassembler tous les manuscrits
» importants à la Bibliothèque impériale. Mais il
» est un manuscrit que cette ville, ayant autrefois
» laissé passer une occasion de l'acquérir, ne re-
» couvrera jamais, un manuscrit qu'une simple et
» modeste artiste refuserait à un souverain : c'est
» le manuscrit de Don Giovanni. »
Aux grandes solennités, surtout en l'honneur de
Mozart, Mme Viardot prêtait du reste volontiers sa
précieuse relique (Exposition universelle 1878,
Festival Mozart 1901). Pourtant, voulant la savoir
définitivement acquise à la France, qui, en sa
personne même, lui avait donné une si belle
hospitalité, Pauline Viardot a fait récemment don
du manuscrit au Conservatoire de musique de
Paris, dont il constitue désormais le plus précieux
trésor. Voilà comment cette artiste de génie hono-
rait l'Allemagne dans ses maîtres les plus purs. A
Mozart, à Beethoven, à Gluck, à Schubert allait
toute son âme, et dans son admirable voix vibrait,
intense, toute leur musique! L'Allemagne fut
reconnaissante envers cette femme si com-
préhensive ; elle resta pour Mme Viardot la fidèle
admiratrice qu'elle avait été lors de la première
apparition de l'artiste à Leipzig, et Liszt, le grand
apôtre de l'art allemand, semble avoir résumé la
pensée de l'Europe entière en ces quelques mots :
« Depuis le commencement de sa carrière, Pau-
» line Viardot s'est élevée à la hauteur des poètes
» de l'art. Dès son premier début, elle appartint
» aux plus brillantes apparitions dramatiques du
» temps, et restera toujours l'une des plus belles
» dans le groupe remarquable des Pasta, Malibran,
» Schrôder-Devrient, Ristoii, Rachel, Seebach et
» d'autres; de plus, elle s'y réserve une place
» unique, par la diversité de ses dons, dans lesquels
» se condense ce qu'il y a de meilleur dans l'art
» italien-français et allemand, par une culture
» intellectuelle de premier ordre, par son génie
» tianscendant, par l'élévation de son caractère,
» par la noble tenue de sa vie privée. Elle n'est
» pas de ces artistes qui, sans regarder le monde
» environnant et sans aucune idée d'autres sphères
» élevées, s'enferment dans leur art comme dans
» un château magique, ni de ceux non plus qui
» n'ont en vue que le but pratique de la vie, qui
» veulent acquérir par leur talent toutes les
» jouissances et tous les gains possibles, et cher-
» chent dans ce but à se conformer surtout au
» goût du beau monde, courant les succès, sans
» pourtant se laisser prendre au vide de ses
» louanges et de ses flatteries. » (Franz Liszts
Gesammelte Schriften, Band III.)
Il était aisé de dire tout ce qu'elle n'était pas;
mais Liszt lui-même semble n'avoir pas connu de
paroles assez élogieuses pour un si beau génie, si
universel, si élevé ! Poète de l'art, a-t-il dit ; belle et
profonde appellation venant d'un si grand maître ;
à elle seule, elle est une précieuse et infinie
louange. May de Rudder.
LE GUIDE MUSICAL
217
LA DECOUVERTE
DU LARYNGOSCOPE
Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici
comment Manuel Garcia découvrit le
laryngoscope et son mode d'emploi.
Longtemps avant lui, il est vrai, .on
pouvait examiner la gorge dans sa région
la plus accessible, au fond de la cavité buccale ;
mais c'est seulement depuis i855 qu'on est arrivé
à explorer le larynx. Avant Garcia, de nombreux
médecins avaient cherché en vain le moyen d'y
parvenir : Levret (1743) invente un glottiscope,
insuffisant d'ailleurs; Bozzini (i825) se livre à
de nouveaux essais qui restèrent infructueux;
Senn, de Genève (1827) songe le premier à intro-
duire un miroir dans la gorge, mais sans arriver
au résultat cherché; Ballington, Trousseau et
Belloc, Beaumès, Liston, Warden et Avery
essayent sans plus de succès de perfectionner
la méthode de leurs devanciers. Les uns, pour
conserver au miroir toute sa netteté, le chauffèrent
légèrement avant de l'introduire dans la bouche,
d'autres tentèrent d'éclairer la gorge par l'emploi
d'une source de lumière artificielle.
Enfin, en i855, Manuel Garcia, utilisant simple-
ment la lumière solaire, se plaça devant une glace
de manière à apercevoir un miroir placé au fond
de la bouche et incliné de telle sorte que les rayons
lumineux, arrivant directement, fussent réfléchis
vers le larynx pour l'éclairer et permettre de per-
cevoir le jeu des cordes vocales. Le laryngoscope
était trouvé; on sait que cet appareil consiste en
un petit miroir de la forme d'une pièce de monnaie,
fixé par son bord à une tige suffisamment longue
pour qu'on puisse l'introduire dans la gorge et
formant avec elle un angle de i35 degrés. Manuel
Garcia publia sa découverte dans un mémoire
resté classique, véritable chef-d'œuvre pour l'épo-
que : Physical observations on humait voice (Proceed
of the Royal Society of London, i855).
Remarquons que l'auteur fit ses premières
recherches sur lui-même; grâce à la parfaite doci-
lité de sa gorge, qualité acquise par la pratique
du chant, il put, sans autre instrument, écarter
par accommodation tout obstacle à la vision et
distinguer nettement le larynxî
Quatre années s'écoulèrent néanmoins avant
que cette belle découverte fût appliquée par les
médecins. Czermak de Pesth, Tùrck de Vienne,
Semeleder et Stoerck publièrent alors quelques
perfectionnements à la méthode de Garcia. Le
laryngoscope fut éclairé par un miroir concave
placé sur le front de l'observateur, qui reçoit les
rayons d'une lampe située à côté de la tête du
sujet et les renvoie en les convergeant de manière
à en diriger le faisceau sur le laryngoscope. La
position à donner au patient fut définitivement
fixée par ces auteurs.
Avec la lumière électrique, de nouveaux per-
fectionnements furent introduits jusqu'au moment
où Kirstein, de Berlin, découvrit, en 1896, une
nouvelle méthode d'investigation du larynx qui
amena l'établissement par Killian en 1902, d'un
procédé nouveau, la bronchoscofiie, lequel permet
l'exploration directe des bronches.
Mais toutes ces découvertes ne sont que la con-
tinuation de l'invention de Garcia qui lui assure
un nom glorieux dans l'histoire de la médecine.
Dr Heyninx.
L'ENFANT-ROI
Comédie lyrique en cinq actes, poème d'Emile Zola, musique de M. Alfred Bruneau. Première représentation
à l'O^éra-Comique.
Sur la couverture de la partition, une vi-
gnette symbolique représente une mère
tenant dans ses bras un enfant, et tous
les parents jeunes et vieux, comme en
extase, groupés autour du berceau de
l'enfant, de « enfant-roi », espoir et salut de la fa-
mille.
Tout le drame de Zola est dans cette idée. Seu-
lement, au lieu d'un baby, déjà vu dans Grisélidis, j
c'est un jeune homme de seize ans, Georget, que
nous présentent les auteurs : c'est par lui que se
fera le miracle d'amour.
Ce Georget est un enfant naturel, né deux ans
avant le mariage de sa mère, Madeleine, avec
François Delagrange, brave boulanger, qui a tou-
jours ignoré l'existence de cet enfant et qui souffre
de n'en avoir pas. Mais il est philosophe, il adore
sa femme, et tout irait pour le mieux dans la meil-
leure des boulangeries, sans la calomnie de deux
envieux : le premier garçon et la demoiselle de
218
LE GUIDE MUSICAL
magasin, qui, en dépit des observations du brave
Toussaint, un vieux serviteur dévoué, s'avisent de
mal interpréter les absences fréquentes de Made-
leine et de faire croire au patron, par un billet
inséré au livre de journées, que sa femme court à
des rendez-vous galants dans un magasin de jouets
des Tuileries.
François se rend à l'endroit désigné, y trouve sa
femme et l'accable aussitôt de reproches, car il a
parfaitement aperçu le jeune homme qu'elle a fait
disparaître à son entrée. Pressée de s'expliquer,
Madeleine avoue la vérité : c'est son fils qu'elle
vient voir, son fils que sa grand'mère a élevé à
l'écart, et le pauvre mari, atterré par cette révéla-
tion d'un autre ordre, quitte sa femme après l'avoir
mise en demeure d'opter entre lui et le fils. Mais
celui-ci a reparu et le prenant dans ses bras :
« Georget, mon Georget, dit-elle, je reste avec
toi; et que mon amour m'en donne le courage! »
Tels sont les deux premiers actes. Le troisième
acte, qui se passe au marché aux fleurs de la
Madeleine, n'est qu'un agréable hors-d'œuvre,
destiné à varier les tableaux et à montrer encore
quelques jolis coins de la capitale.. Dans le mou-
vement des promeneurs, nous voyons François
acheter des fleurs en souvenir de l'absente, dont
c'est la fête. Puis c'est Georget qui vient fleurir
gentiment sa mère, pendant que celle-ci, tout en
larmes, a vu son mari faire ses emplettes et témoi-
gner ainsi d'un amour ardemment partagé. Enfin,
comble d'amertume et de regrets, c'est un baptême
qui sort de l'église et dont le défilé, dans une orgie
de fleurs, éclaire cette fin d'acte d'un rayon de
joie et de tendresse.
Autre tableau : Seul dans le fournil de la bou-
langerie, parmi les fours et les pétrins, François
s'afflige d'un travail qui le tue depuis qu'il est seul
à y donner ses soins. D'ailleurs, la maison péri-
clite, et l'absente manque à toutes les commandes
comme à toutes les affections, sauf à nos deux
chenapans, employés infidèles qui ne rêvent que
l'effondrement de leurs maîtres afin de les rem-
placer. Tout à coup, la salle semble s'illuminer;
un rayon de soleil a passé : c'est Madeleine qui
revient, incapable de résister plus longtemps à son
amour et cette fois sacrifiant l'enfant au mari; et
avec elle, c'est l'ardeur au travail, que célèbre
François, tout confiant dans l'avenir : « Je tâ-
cherai, dit-il, de te faire oublier tout autre que
moi ! » Et cette fin rappelle d'une façon frappante
l'invocation du semeur de Messidor, avec la poésie
en moins.
Enfin, la pièce se termine dans l'arrière-bou-
tique du boulanger. Georget, averti par une lettre
anonyme, et comprenant les tourments dont il est,
pour sa mère, la cause involontaire, a décidé de
partir au loin, et il vient lui faire ses adieux. Mais
devant l'alternative cruelle de se séparer à jamais
de son fils, ou, si elle le suit, de son mari qu'elle
adore, la pauvre femme n'a pu retenir son déses-
poir; et François, comprenant enfin que l'enfant
est le gage même du bonheur de son foyer,
touché d'ailleurs de la générosité de Georget qui
plaide contre lui-même pour encourager sa mère
au sacrifice, François est pris à son tour d'un
élan généreux : « Prends-le, garde-le, dit-il à
Madeleine, et qu'il soit notre fils à tous deux ! »
Tel est le triomphe de YEnfant-Roi, drame ému
auquel la musique n'ajoute, hélas! aucune émo-
tion ! Idée jolie en soi, mais autour de laquelle il
est fâcheux de voir graviter un appareil aussi
insolent de pétrins et de mitrons, de farine et de
panneries, de boutiques et d'arrière-boutiques qui
n'ont que faire de musique et sur lesquels M. Bru-
neau a déchaîné les fureurs d'un orchestre très
nourri et d'une symphonie inlassable. C'est la
mélodie continue évoluant dans la plus complète
indépendance, autour de la prose la plus pro-
saïque, loin de tout phrasé, loin de toute expres-
sion musicale. C'est un bavardage incessant contre
lequel l'auditeur fera bien de se prémunir d'un
livret, sous peine de ne rien comprendre, et qu'ac-
compagne un discours d'orchestre tout de mouve-
ment, de couleur et de bruit, distribué d'ailleurs
avec une extrême adresse et plus de légèreté que
jamais M. Bruneau n'en avait montré, aux timbres
les plus variés, aux effets toujours imprévus, mais
sans qu'on puisse définir les lois qui en relient
entre elles toutes les parties.
Parfois, aux paroles émues, le musicien consent
à laisser dominer le chanteur et donne l'essor à
quelque lyrisme en des phrases de tendresse,
comme celles du fidèle Toussaint, ou de courte
rêverie, comme celles du patron devant Paris
endormi. De même, on ne saurait nier l'émotion
sobre et pénétrante de l'épisode de la mendiante au
premier acte, ou l'effet radieux du final du troi-
sième acte, au mileu de cette fête des fleurs où la
musique atteint un plein épanouissement. Mais
c'est surtout au quatrième acte que se rencontrent
les plus tendres expansions, dans la triste solitude
de François, comme dans les phrases énamourées
des deux époux. A citer encore dans la scène finale
le joli accompagnement d'alto qui souligne les
adieux délicats et discrets de Georget, et les trans-
ports avec lesquels le père adjure l'enfant de
rester.
Pour le reste, et en dehors d'un prélude sym-
LE GUIDE MUSICAL
219
phonique qui annonçait l'œuvre merveilleusement,
le compositeur procède d'une poétique toute spé-
ciale, en une langue plus littéraire et moins musi-
cale que jamais. Effort voulu vers un art indéfinis-
sable, qui commença par le Rêve, se continua par
Messidor et Y Ouragan (exception faite de VA flaque du
Moulin) et aboutit aujourd'hui à V Enfant-Roi, sans
heurts ni dissonances, très clair quoique imprécis,
très limpide quoique confus, mais où l'intérêt du
spectacle prime celui de la partition, ce qui m'a
toujours paru regrettable.
L'interprétation est parfaite. M. Dufranne
chante de sa belle voix et joue avec infiniment de
justesse le rôle du patron François (en élégant
complet gris, boulangerie oblige!), et Mme Friche
traduit avec bonheur ses angoisses de mère et
d'épouse, très bien secondée par Mme Marie
Thiéry, absolument charmante sous les traits de
Georget, et dont la voix si pure rend à merveille
l'ingénuité courageuse. Très amusant, M. Périer
en mitron envieux de son patron, mais entrepre-
nant avec la demoiselle de magasin, Mlle Tiphaine,
au nez provocant! M. Vieuille joue consciencieu-
sement un rôle de vieil employé et Mme Cocyte
estime bonne grand'mère.
La mise en scène est réglée avec un soin qui
tient du prodige, surtout sur un théâtre aussi peu
profond, et ces cinq petits actes seront un vrai
succès de curiosité. L'exécution de l'orchestre est
d'ailleurs des plus remarquable, sous la main
ferme et souple de M. A. Luigini. A. Goullet.
LA SEMAÏ
PARIS
CONCERTS LAMOUREUX. — D'un pro-
gramme très nourri, j'écarterai d'abord la Huitième
de Beethoven, le Prélude à l'après-midi d'un faune,
de M. Debussy, l'ouverture de Tannhàuser et le
prélude de Parsifal, que l'orchestre du Nouveau-
Théâtre exécuta avec ses qualités accoutumées.
M. Pierre Hermant a eu le courage de s'attaquer
à l'admirable poème de Verlaine : C'est la fête du
blé. Disons tout de suite qu'il a été vaincu, ce dont
on ne saurait s'étonner, car ces vers, par leur
beauté achevée, la musicalité de leur rythme
propre et la plénitude de leur signification, sont
de ceux auxquels il est impossible d'ajouter quel-
que chose. M. Hermant a d'ailleurs cru devoir se
cantonner presque exclusivement dans le rythme
de la Chevauchée, et quand il en est sorti, il n'a
suivi que des routes bien connues. L'œuvre, con-
venablement chantée par Mme Marguerite Picard,
obtint un succès poli.
Mme Teresa Carreno, d'après le programme,
serait la plus grande pianiste du monde. A vrai
dire, on ne s'en est pas tout à fait aperçu en lui
entendant jouer la Fantaisie hongroise de Liszt, pièce
de style heurté d'ailleurs et peu propre à mettre
en lumière d'autres qualités que la virtuosité.
Mme Carreno en a, c'est évident : elle arrive même
à tirer de son instrument des sons d'harmonica qui
ont surpris et qui ne sont pas ordinaires, s'ils sont
voulus. En somme, son succès se traduisit par
trois rappels. J. d'Offoël.
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE. —
Samedi dernier, M. de Wailly a fait exécuter son
quatuor à cordes qu'il intitule Poème et qui com-
porte une suite de quatre parties variées et sans
lien d'unité. Cette œuvre, d'une distinction non
exempte de quelque afféterie, se recommande
surtout par la recherche du détail plutôt que par
la hardiesse de l'idée, d'une envergure un peu
étroite. Le second motif, Danses, tourne un peu
court en une gaîté factice ; le troisième, Epithalame,
est bien traité, et le dernier, Marche nuptiale,
présente un rythme plaisamment rustique. Mlle
Germaine Chevalet a chanté deux mélodies de
Silvio Ferrari, dont l'une, composée sur un air de
Schumann, emprunte au grand compositeur une
heureuse mélancolie.
La sonate pour flûte et piano présentée par
VI. Fleury et l'auteur, Mme Bonis, constitue plutôt
une suite pastorale quelconque qu'une - sonate ;
l'idée est mince et relevée çà et là d'agréables enjo-
livures.
La pièce attendue était la fantaisie, orientale de
Balakireff, intitulée Islamey et transcrite pour deux
pianos par M. Casella. Ce morceau, écrit pour
le piano il y a environ trente-cinq ans, est l'œuvre
d'un coloriste étincelant. M. Casella a voulu
agrandir le tableau et lui donner un éclat plus
violent; dans ces sortes de reproductions, il est à
craindre souvent que la palette n'écrase le dessin et
que, à force de se préoccuper de la couleur, la
ligne n'apparaisse moins nette et comme surchargée.
La combinaison des deux pianos donne à cette
page très vive une sonorité en ré bémol presque
excessive.
Admirablement interprété par l'auteur et par
M. Pierret, Islamey a pris les proportions d'une
farouche et formidable invasion asiatique, fort bien
220
LE GUIDE MUSICAL
accueillie d'ailleurs par un public enthousiaste.
Pour finir, MM. Pierret, Hayot, Denayer et
Salmon ont joué d'un accent très sincère et d'un
beau style le remarquable quatuor en la majeur
de Chausson. Ch. C.
— La Société moderne d'inslruments à vent,
fille unique de celle qu'a fondée M. Paul Taffanel
en 1879, marche sur les traces maternelles, et de
si près, qu'elle semble lui emboîter le pas, pour
bien marquer son désir de l'imiter en toutes choses.
Elle fait d'autant mieux, qu'elle ne saurait agir
autrement. Le répertoire de la musique écrite pour
les instruments à venl est fort restreint ; on aborde
peu ce genre de compositions, en raison des diffi-
cultés qu'il présente. Il en résulte que les deux
sociétés sont obligées d'exécuter souvent les
mêmes oeuvres. Ainsi, la Société Mimart-Gaubert a
mis sur son programme du 23 février une sérénade
de Walther Lampe, dont nous avons entretenu le
lecteur dimanche dernier, et la société Barrère l'a
rejouée, le mercredi Ier mars, en indiquant, à tort,
qu'elle en donnait la première audition en France.
Comme cette œuvre exige quinze artistes de pre-
mière force et qu'on ne trouve pas toujours d'ex-
cellents virtuoses sur les instruments à vent ; les
deux sociétés, pour ce même morceau, ont de-
mandé et obtenu le concours de M. Brun, haut-
boïste.
Cette sérénade, dirigée chaque fois par l'auteur,
a obtenu plus de succès dans la salle des Agricul-
teurs que dans la salle Pleyel. Les deux exécutions
ont été supérieures également; mais les auditeurs,
dont la plupart sont les mêmes ici et là, l'ont sans
doute mieux comprise à la seconde audition, parce
qu'ils en ont saisi tous les détails. \J adagio, un peu
confus d'idées, et le finale, d'une étrange fantaisie,
n'ont pas semblé plaire davantage ; au contraire,
le premier mouvement a été très goûté à cause de
sa bonne sonorité, et le second surtout, très ori-
ginal dans les développements et interprété avec
beaucoup de délicatesse, a remporté tous les suf-
frages.
Deux fragments d'un septuor de G. Alary ont
été écoutés avec le plaisir qu'on ressent au « déjà
entendu »; là, nul effort de compréhension : le
compositeur ayant suivi la voie ouverte avant lui,
on lui. sait gré de la joie paisible et facile qu'il
vous procure; son intermezzo est d'une monotonie
charmante, et son finale, dénué de caractère, a tout
le mérite et l'agrément du néo-classique. Du sex-
tuor de M. Souza-Méïral, j'ai retenu, dans Y adagio,
un motif pour flûte exécuté à ravir par M. Barrère,
une sorte de cantilène italienne à la Bellini, en
mineur naturellement, accompagnée par des ar-
pèges de clarinette, à l'imitation de Saint-Saëns
dans Samson et Dalila. L'ensemble de l'œuvre m'eût
paru merveilleuse si je n'avais regretté de trouver
quelque indécision dans le premier allegro et, dans
le second, quelque sécheresse.
Trois Pièces brèves de J.-B. Ganaye valent plus
qu'une mention ; elles justifient trop bien leur
titre : à peine le prélude est-il commencé, qu'un
choral de quelques mesures lui succède pour être
remplacé par une fuguette aussitôt achevée qu'ex-
posée. Comme intermèdes, nous avons eu : le
concerto pour basson de Mozart, interprété avec
une rare virtuosité et un beau son par M. Edouard
Flament, et cinq mélodies de Sylvio Lazzari,
toutes d'un sentiment très expressif, surtout la
Demande, que la voix jolie de Mme Marie Mayrand
a fort bien chantées.
La Société Mimart-Gaubert donne en matinée
ses concerts, dont la durée ne dépasse pas une
heure et demie ; ceux de M. Barrère ont lieu le soir
et ne finissent guère avant minuit : de là la néces-
sité de reposer l'auditeur par l'adjonction de quel-
ques morceaux de musique vocale.
Julien Torchet.
m
— Au concert du samedi 4 mars, salle des Agri-
culteurs, deux jeunes artistes hollandais, MM. Cari
Flesh et Joh. Wysman, ont remporté un succès
très franc et très mérité.
Interprétant avec l'auteur un poème sympho-
nique pour deux pianos de M. G. Pierné, puis,
seul, différentes pages de Schubert, Schumann,
Brahms, Paderewski, Chopin et Liszt, M. Wys-
man sut faire apprécier son jeu puissant, son tem-
pérament sincère et probe, sa technique aisée.
Le triomphateur de la soirée fut M. Cari Flesh,
violoniste distingué et déjà célèbre. Il tira de son
instrument des sons d'un velouté caressant et d'une
intensité pénétrante. Il joua avec une poésie
prenante une charmante sonate de Nardini (1760),
tout empreinte de sentimentalité gracieuse, à
peine surchargée d'ornements mélodiques et d'ar-
pèges vertigineux, puis de mélancoliques Regrets
de Gretschnaninow. Enfin, il stupéfia le public par
son étourdissante virtuosité dans plusieurs courses
d'obstacles comme les deux caprices de Paganini,
inscrits au programme.
Quand M. Cari Flesh se défiera un peu plus
des effets faciles que produisent les vibratos, les
LE GUIDE MUSICAL
trilles et les ports de son, quand il sacrifiera moins
aux purs exercices de virtuosité, il sera un des
grands violonistes de l'époque. G. R.
— Salle Pleyel, audition très intéressante du
Quatuor vocal de Paris, représenté par Mmes Anne
Vila, Mayrand, MM. Nausen et Jean Reder.
Parmi les morceaux de style archaïque, les plus
applaudis, citons Ce- mois de mai de Jannequin,
O pieux amour de Henri Schutz, Quand je bois de
H. Dumont, ce dernier rehaussé d'accompagne-
ment de clavecin, violon, alto et violoncelle, d'une
saveur et d'un tour très originaux.
Les modernes étaient représentés par Brahms,
avec une œuvre de fort beau style, A la pairie; par
M. Georges Huë, L' 'Eternelle Sérénade, de forme un
peu contournée ; par deux petits quatuors légers et
badins, de Sylvio Lazzari. M. Bourgault-Ducou-
dray y avait joint deux petites chansons bretonnes,
et Schumann terminait le programme avec un
quatuor d'un charme pénétrant : A la nuit, qui doit
être chanté sans accompagnement et que soutenait
cependant un piano.
On a fort applaudi le quatuor de Chausson, fort
bien exécuté par Mire Landormy et MM. Parent,
Vieux et Fournier. A. G.
— La troisième séance de la fondation J.-S.
Bach, dirigée par M. Charles Bouvet, a été con-
sacrée à des œuvres des xvne et xvme siècles pour
deux violons et basse chiffrée, œuvres inconnues
du public actuel, à l'exception du concerto en ré
mineur de Bach, qui terminait le concert.
On a pris un vif intérêt à des sonates de Torelli,
de Veracini et de Dali' Abaco. Ce dernier nous
semble un précurseur de Haondel dans ses con-
certos. Quant au « Concert instrumental composé à
la mémoire immortelle de l'incomparable M. de
Lulli, » par François Couperin (1724), c'est une suite
charmante de finesse et de bonhomie.
Mme Lovano a chanté avec le style parfait que
les abonnés du Conservatoire ont souvent
applaudi le Laudamus de la messe en si mineur, le
Pur Dicesii de Lotti et un air des Noces de Figaro.
F. G.
— Mlle Marguerite Long a un talent très
personnel, beaucoup de charme et de joliesse,
aucune prétention à l'effet. Accompagnée par
l'orchestre que dirigeait M. Chevillard, elle a
joué, le 25 février, à la salle Erard, le concerto
en ut mineur de Beethoven et le concerto en mi
bémol de Liszt. Il ne manque pas d'œuvres plus
captivantes que celle-ci. Mais, malgré son style
décousu, cette « musique à brandebourgs » a sou-
vent des détails charmants, que la jeune artiste a
bien mis en valeur, sans virtuosité excessive. Elle
a enfin joué seule une pastorale de Scarlatti et une
barcarolle de Fauré qui conviennent à merveille à
son remarquable talent. F. G.
— M. Widor a donné lundi dernier, avec le
concours du M. Philipp, le professeur au méca-
nisme idéal, une audition de ses œuvres pour
piano et orchestre. Le concerto est devenu, on ne
saurait le nier, une forme musicale d'accès difficile
pour les compositeurs modernes. Ils risquent de s'y
heurter à des écueils comme l'abus de la virtuosité
creuse, le retour à l'ancienne facture du concerto,
la prédominance exagérée de l'orchestre, etc. A
cela s'ajoute la difficulté inhérente à l'orchestration
de ce genre d'ouvrages. Sans échapper à certaines
critiques, les deux concertos et la fantaisie de
M. Widor sont intéressants dans leur ensemble et
exquis dans certaines parties. Le mouvement
initial du premier concerto est d'une belle vigueur,
avec des changements de rythme curieux. \Jan-
dante en est fort délicat de sonorité. Dans le deu-
xième concerto, nous avons remarqué surtout le
finale, bien que l'orchestre y ait une place trop
dominante. Enfin, la Fantaisie justifie son titre par
une grande variété de mouvements et une recher-
che très réussie de la couleur. Cette œuvre d'un
réel intérêt a bien terminé la soirée.
Mme Charles Max a chanté trois mélodies du
maître, avec une jolie voix, mais une diction
imprécise. F. G.
— Mlles Nelly et Alice Eminger ont donné à la
salle Pleyel, le Ier mars, un concert très attrayant
et très varié, qui en même temps a fait connaître
plusieurs œuvres nouvelles de M. Francis Thomé,
pour piano et pour violon. Le programme compor-
tait encore les noms de Mozart, Schumann,
Chopin, Saint-Saëns, où les deux sœurs, ensemble
ou isolément, surent mêler leurs gracieux talents.
— La quatrième conférence de M. Arthur Co-
quard, consacrée à l'école allemande après Beet-
hoven, a obtenu son grand succès habituel.
Mm" Hermann, élève de Mme Chevillard, a fort bien
dit le grand air de Freyschiitz. Une toute jeune
fille, Mlle Geneviève Dehelly, qui eut, il y a deux
ans, un premier prix de piano sensationnel, a joué
superbement les fameuses variations de Brahms
sur un thème de Paganini.
— Les deux derniers concerts donnés salle
Erard par M. Emile Sauer ont eu le même suc-
cès que les précédents. Déjà, à la Société philhar-
monique, le distingué virtuose viennois avait été
222
LE GUIDE MUSICAL
applaudi avec un véritable enthousiasme. Son
talent est exempt de toute banalité. Nous ne par-
lons pas seulement de son mécanisme, qui ne pour-
rait être dépassé, mais de son style. Peut-êire
exagère-t-il un peu les oppositions. Mais il est
aussi charmant dans les passages de douceur que
puissant dans ceux de force,
Citons parmi les pièces qui ont eu le plus de
succès un prélude de Mendelssohn, une fantaisie
et les études symphoniques de Schumann, la
transcription du Roi des Aulnes, de Liszt, et trois
intéressantes œuvres de M. Sauer lui-même.
F. G.
— Les journaux annoncent que M. Théodore
Dubois, directeur du Conservatoire, aurait l'inten-
tion de se retirer pour se consacrer exclusivement
à la composition.
— Notre confrère M. Gustave Bret fonde une
nouvelle société musicale qui paraît appelée à
donner des résultats du plus haut intérêt, une
vSociété J.-S. Bach. Un comité artistique (P. Dukas,
Guilmant, d'Indy, Schweitzer, Widor) et un comité
de patronage (comtesse de Béarn, Mmes Alphen-
Salvador, Chausson, H. Fuchs, Kinen, Ménard-
Dorian, comtesse P. de Pourtalès, etc.) encou-
ragent cette organisation, dont M. Bret est le direc-
teur et M. Albert Roussel le secrétaire. La Société
se propose de donner chaque année douze concerts
en deux séries, l'une de six séances d'orchestre et
chœurs, l'autre de six d'orgue et de musique de
chambre, et d'exécuter au moins quatre cantates
nouvelles chaque année. La salle de l'Union
(14, rue de Trévise) a été choisie pour ces audi-
tions, dont la première a eu lieu hier samedi et
comportait la cantate Die Fïenden sollen essen, avec
le concours de M. Guilmant, de Mmes Eléonore
Blanc, G. Marty, Wanda Landowska et de
MM. Cornubert et Daraux.
Les adhésions peuvent être adressées à M. Rour-
sel, nbis, rue Viète. ou à un membre du comité.
Le prix des places, pour le public, varie de 2 à
10 francs pour la première série des séances, et de
1 à 5 francs pour la seconde. Il sera considérable-
ment réduit pour les membres de la société.
— La composition de notre tableau des inter-
prêtes de Carmen à Paris était trop minutieuse
pour que quelques noms ne vinssent pas à sauter,
dans la correction des épreuves. Il en est deux, et
non des moindres, qui ont été omis et qu'il faut
rétablir ainsi : — Dans la colonne des Carmen en
1900, Mlle M. Delna; dans celle des Don José, en
1899, M. David, (à la place de M. Delmas, nommé
déjà plus haut).
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La deuxième représentation de Martille a confirmé
le succès du drame lyrique de MM. Albert Dupuis
et Edmond Cattier. Beau succès pour les inter-
prètes, Mmeï Dratz-Barat et Paquot-D'Assy, MM.
Laffitte et Pierre D'Assy.
Le répertoire de la semaine comprenait en
outre Faust, la Bohème, Hérodiade, Mignon et Une
aventure de la Guimard, le charmant ballet de
M. André Messager.
Demain lundi, Faust avec Mlle Brozia dans le
rôle de Marguerite (début).
On répète Hamlet avec le Postillon de Lonjiimeaa
qui passera sans retard. R. S.
CONCERTS YSAYE. — M. Fritz Steinbach,
directeur du Conservatoire de Cologne et des
concerts du Gurzenich, a reparu dimanche au
pupitre des Concerts Ysaye, et comme l'an dernier,
on lui a fait un très chaleureux accueil.
Cette fois, le programme symphonique ne por-
tait que des œuvres classiques. On a pris grand
intérêt à suivre dans tous ses détails l'exécution de
la septième symphonie de Beethoven, une œuvre
faite pour mettre en relief les qualités rythmiques
de la direction de M. Steinbach. Exécution très
vivante, très colorée, où les oppositions r de nuan-
ces furent traduites avec beaucoup d'habileté, les
forte étant suivis d'accalmies d'une souveraine
quiétude, amenées sans choc malgré leur appari-
tion subite. La mimique, si caractéristique, de
M. Steinbach trouva l'occasion de se manifester
tout à loisir en cette œuvre mouvementée, qui
semble être d'un bout à l'autre l'apologie du
rythme. Et l'on admira la merveilleuse souplesse
de sa main gauche, dont l'intervention fréquente
s'explique par une puissance expressive vraiment
exceptionnelle, qui donne presque à chaque doigt
son rôle dans la direction à imprimer aux instru-
mentistes.
Le concerto brandebourgeois n° 3 de J.-S. Bach,
pour violons, alti et basses, qui fut le grand
succès de M. Steinbach au dernier festival rhénan,
LE GUIDE MUSICAL
223
avait été exécuté récemment au Conservatoire.
L'orchestre des Concerts Ysaye ne pouvait lutter,
sous le rapport de la sonorité, avec celui de notre
établissement d'enseignement musical, qui compte
des chefs de pupitre si réputés. Le rapprochement
fut donc, sous ce rapport, peu favorable à l'exécu-
tion de dimanche ; et si parfaite que fût celle-ci
sous le rapport du mouvement et du rythme, il
nous a paru que la variété excessive des nuances
nuisait au caractère d'attachante austérité de l'œu-
vre, dont la beauté s'accommode peut-être davan-
tage d'une exécution plus archaïquement classique.
Mme N. Faliero-Dalcroze prêtait son concours
à ce concert d'un intérêt puissant. Elle s'est mon-
trée, dans l'air de Suzanne et dans l'air de Chéru-
bin des Noces de Figaro de Mozart, cantatrice
accomplie, et l'exécution en italien de ces deux
pages d'une inaltérable jeunesse, fut, grâce aune
grande pureté de style, un délicieux régal. L'air
de Marguerite de la Damnation de Faust, moins
approprié à son talent, ne lui fut pas aussi favo-
ble ; mais l'exécution, en bis, de deux Lieder — le
ravissant Ungeduld de Schubert et le Secret de
Fauré — lui ramena toute l'admiration d'un public
qui souhaite vivement d'avoir bientôt l'occasion
d'entendre à nouveau, et plus copieusement, cette
artiste dont le talent lutte de distinction avec sa
personne même. J. Br.
CONCERTS CRICKBOOM. — Le troisième
concert d'abonnement nous a procuré le vif plaisir
d'entendre M. Mathieu Crickboom, rentré il y a
peu de temps d'une tournée triomphale en
Espagne. Son succès a été très grand, et il le
méritait tant par son école, qui est excellente, que
par son art et sa sensibilité musicale. M. Crickboom
a interprété le beau concerto op. 26 de Max Bruch,
la sonate n° 6 de J.-S. Bach, la Havanaise de Saint-
Saëns, une romance de Glazounow et Ballade et
Polonaise de Vieuxtemps.
A ses côtés, M™ Lily Lang-Malignon a été
applaudie dans Récitatif et Aria d'Astorga, un
Canzone de Haendel, des œuvres de Schubert,
d'Ernest Chausson, de Raynaldo Hahn et de
Richard Strauss.
M. Ch. Hénusse tenait avec beaucoup de tact le
piano d'accompagnement. R. S.
— M"e Magdeleine Bouchent et M. Jules Bou-
chent ont donné jeudi un fort beau concert à la
Grande Harmonie. Le programme était composé
avec goût et éclectisme. En tête figurait la sonate
en si bémol de Mozart pour piano et violon que
les jeunes artistes ont jouée avec une grâce et une
délicatesse charmantes, et dont M. Boucherit a
chanté l'andante avec une expression vraiment
délicieuse.
Mlle Boucherit a fait valoir des qualités de
doigté, de rythme et de gracieuse agilité dans le
Menuet varié en ré de Mozart et dans le caprice
en mi majeur de Paganini-Schumann; elle a mis de
l'expression dans la V aise-posthume de Chopin ; elle
a su donner de la couleur à une Danse hongroise de
Brahms et de l'humour au spirituel scherzo-valse de
Chabrier. On a fait un très vif succès à cette jeune
pianiste dont le talent raffiné fait honneur à l'école
de Pugno.
Ce succès à été partagé par M. Boucherit, qui
possède un joli coup d'archet, une belle sonorité
et une rare distinction d'interprétation. Il a mis
du cachet dans le Capriccio de Saint-Saëns, a enlevé
avec sûreté la mazurka de Wieniawski et détaillé
avec style quelques pièces de Bach.
La sonate en ré mineur de Saint-Saëns a clô-
turé la séance qui a valu aux deux intéressants
interprètes une chaude ovation.
Dans une matinée musicale privée précédente
MIle et M. Boucherit avaient donné une captivante
interprétation de l'éternellement belle sonate de
César Franck. On a pu applaudir également
Mlle Chabr3r, une cantatrice intelligente qui a
chanté d'une belle voix solide et timbrée conduite
avec un art très distingué et d'émotion prenante,
l'Invitation au voyage et Phidylé de Duparc, et
l'Absence de Berlioz. N. L.
— MM. Bosquet et Chaumont, pianiste et vio-
loniste, ont donné samedi dernier, salle Erard,
une séance de sonates qui comptera parmi les plus
intéressantes et les mieux réussies de la saison.
Exécution très soignée, interprétation fouillée et
convaincue, d'un juvénile et communicatif élan.
Le talent de M. Bosquet a été fréquemment
analysé ici. M. Chaumont, dont le talent s'apparie
très heureusement avec le sien, ne lui cède ni au
point de vue de la technique, ni à celui de l'inter-
prétation ; mais l'artiste devra vaincre encore une
certaine fébrilité qui compromet parfois, non la
justesse, mais la netteté d'attaque de la corde dans
las pianissimi.
Le programme constituait un vrai régal : sonates
en si mineur de Bach, en sol majeur de Brahms et
en ut de d'Indy. L'œuvre de Brahms, dans une
note délicate, douce et sereine comme une impres-
sion pastorale; paraissait un peu écrasée entre les
deux autres ; en réalité, elle contrastait agréable-
ment, par son caractère, avec ces dernières, évo-
quant comme un paysage idyllique entre deux
compositions épiques.
L'intérêt de la séance résidait particulièrement
dans l'audition (la première à Bruxelles) de la nou-
velle sonate de d'Indy. Celle-ci, en ut (si peu que
ce soit!), est une œuvre admirable et le digne
224
LE GUIDE MUSICAL
pendant, dans la musique de chambre, de la
monumentale symphonie en si bémol. D'Indy est
véritablement complet et n'a jamais paru plus maî-
tre de son prestigieux talent, — plus incliné, nous
sembla-t-il toujours, vers la musique instrumentale
que vers la lyrique. Ce qu'on admire le plus en
lui, c'est (et il convient d'y insister), dans la
splendeur rutilante de l'harmonie, la verve et
l'imprévu des développements, la forme consciente
et volontaire qui donne à l'ensemble une cohésion
et une homogénéité parfaites, ménage des plans,
des culminations, des centres tonals de la plus
grande précision, toutes choses rares, malheureu-
sement, dans les œuvres de l'école. Bornons-nous
à constater ici ces qualités dominantes de la
nouvelle œuvre de d'Indy, que nous espérons réen-
tendre fréquemment et qui nécessiterait d'ail-
leurs une analyse détaillée.
Ajoutons qu'elle a reçu du public un chaleu-
reux accueil, présentée d'ailleurs très avantageu-
sement, très chaleureusement par MM. Bosquet
et Chaumont, qui en ont surmonté avec une
consciencieuse application les énormes difficultés
d'exécution. E. C.
— Vendredi dernier, salle Gaveau, intéressante
audition des élèves de MM. Oscar Drèze et Louis
Miry, respectivement professeurs de violon et de
violoncelle, deux pédagogues bien connus dans.
notre ville. Le programme comportait, pour le
violon, des fragments de Max Bruch, la romance
en/a de Beethoven, du Couperin, du Saint-Saëns,
du Sarasate; pour le violoncelle, des pièces de
Marcello, Golterman, Popper, Bach, Bruch; plus
des trios de Haydn, Jadassohn, réunissant les
divers éléments des deux cours.
Tout a fort bien réussi et a témoigné en faveur
de l'enseignement des deux maîtres. Signalons
particulièrement, parmi les violonistes, miss Grâce
Holmes, qui a joué les Zigeanerweisen de Sarasate
avec une fougue endiablée, et miss Hazel Owen,
dans une. interprétation émouvante du Rondo de
Saint-Saëns. Parmi les violoncellistes, M. Le-
grand, qui a joué les pièces de Bach et de Max
Bruch avec une grande pureté sonore et un fort
bon style. E. C.
— La Libre Esthétique organise, comme les
années précédentes, une série d'auditions de
« musique nouvelle » qui, dans cette ambiance
éminemment favorable, offrent une rare saveur.
Tout ce qu'on entend là n'est pas à retenir, tant
s'en faut; mais tout est intéressant et instructif ;
c'est une « exposition de musique » qui complète
l'autre.
La première séance se donnait avec le concours
de Mlle Marthe De Vos, pianiste, Mme Béon,
organiste, Mlle Chabry, une cantatrice à la dic-
tion intelligente et à la voix agréable, — un peu
étranglée au début par le trac, — MM. Crickboom
et Prenez, violoniste et violoncelliste. Elle débu-
tait par un trio de M. A. Roussel, d'un travail
intéressant, mais auquel l'identité tonale des trois
parties communiquait néanmoins une certaine
monotonie ; elle se terminait par une sonate pour
violoncelle et piano de -GuyRopartz, œuvre d'une
maîtrise plus forte, d'une thématique et d'une
harmonie très séduisantes, mais rappelant forte-
ment Franck et Lekeu ; une caractéristique
curieuse de l'œuvre était, à côté de la beauté des
timbres, la maigreur de la sonorité, attribuable
sans aucun doute à la fréquente dispersion, dans la
partie de piano, de la masse harmonique aux deux
extrémités du clavier; cela fait un trou que la
sonorité tout autre du violoncelle ne parvient pas
à combler. Le programme se complétait par deux
pièces d'harmonium, de Guy Ropartz encore, et,
pour chant, deux numéros des Heures claires de
de Serres, l'élégie de Duparc et le Tantum ergo
de Fauré, ces deux derniers presque classiques
dans cet ensemble résolument « impressionniste ».
La deuxième séance réunissait MIIe Blanche
Selva, pianiste ; Mme G. Marty, cantatrice; MM.
Chaumont et Henri Merck, violoniste et violon-
celliste. Elle débutait par un trio de M. R. de
Castéra, assez monotone par l'abus des mêmes
procédés harmoniques et mélodiques, comme les
gammes mineures antiques, etc. Mme Marty
(ancienne élève du Conservatoire de Bruxelles,
me dit-on) possède un contralto sonore, mais assez
inégal; elle a dit avec intelligence et goût une
série de mélodies de Mlle Selva, Ch. Bordes, de
Séverac, G. Marty et Balakirew, la première et les
dernières parculièrement applaudies. Mlle Selva
a joué avec le brio presque viril qui la caractérise
trois pièces vigoureusement colorées de Albéniz
et, avec M. Chaumont, la majestueuse sonate de
d'Indy dont nous reparlons ci-dessous. E. C.
CORRESPONDANCES
BORDEAUX. — Mlle M. de Bartels et M.
Lespine avec la collaboration de Mmes Mor-
tagne et Grizy.- Lammers, et de M. Viallard, vio-
loncelliste, d'une part, viennent d'entreprendre une
série d'auditions consacrées à l'école française,
d'autre part, M. Gillet, pianiste, et M. Féline, vio-
loniste, ont organisé des séances de sonates an-
LE GUIDE MUSICAL
225
ciennes et modernes. Nous rendrons compte en
temps opportun de ces intéressantes manifesta-
tions artistiques, nous bornant aujourd'hui à indi-
quer que le mouvement musical ne semble pas se
ralentir dans notre ville.
Le programme du septième concert Ste-Cécile —
un concert tout en ré, ou peu s'en faut — compor-
tait la çe Symphonie. Cette œuvre colossale, hymne
de triomphe d'un homme chez lequel les épreuves
n'avaient pas tué l'optimisme, a trouvé auprès du
public l'accueil enthousiaste duquel elle est habi-
tuée.Nous aurions voulu plus de nuance dans l'in-
terprétation de Vadagio. Il nous semble que les pre-
miers violons ont un peu trop accentué les gracieux
dessins qui s'enroulent autour du motif principal,
confié aux bois . Peut-être y a-t-il lieu de signaler
quelques intonations légèrement douteuses dans
les tenues, ^'ailleurs périlleuses, au finale. L'exécu-
tion de l'œuvre n'en a pas moins été bonne dans
l'ensemble. Nous rendant compte des difficultés
de la Neuvième, nous reconnaissons d'autant plus
volontiers les qualités de vigueur et de fougue
avec lesquelles M. Pennequin l'a dirigée. Le pre-
mier temps, notamment, a été joué d'une façon ex-
cellente. Nos compliments au quatuor vocal,
composé de Mlles Coudre et Laporte, et de MM.
Pratz et Claverie. La Neuvième Symphonie clôturait
le concert, qui débutait par l'ouverture des Noces
de Figaro, interprétée avec esprit. Au cours du con-
cert, nous avons entendu Au crépuscule, de M. Pen-
nequin, page pour orchestre, un peu frêle, mais
d'une grâce très tendre, où le thème, passant d'un
instrument à l'autre, flotte, comme les dernières
lueurs du jour expirant, et s'enlève en clair sur un
fond harmonique sombre d'un charme savoureux
tout debussiste — page très supérieure au méchant
quatrain dont s'est inspiré l'auteur. — Le violon-
celliste Loewensohn prêtait son concours au sep-
tième concert : concerto de Haydn, variations de
Boëllmann et, comme morceau de rappel, une étude
de Popper, à ce qu'il nous a semblé. M. Loewen-
sohn a beaucoup de talent, une sonorité ample et
forte, un peu nasillarde toutefois. Mais pourquoi
s'étale-t-il avec tant de complaisance sur d'inutiles
points d'orgue qui n'offrent d'autre intérêt que ce-
lui de la difficulté vaincue? H. D.
LILLE — La seconde séance du Quatuor
Rieu a obtenu un énorme succès. La salle,
à moitié vide lors de la première séance, était
cette fois absolument bondée, et de belles et
grandes ovations ont salué ces exécutions jeunes et
sincères d'œuvres fort intéressantes : douzième
quatuor à cordes [Kaiser-Quarteit) d'Haydn, sonate
en la majeur (piano et violoncelle) de Richard
Strauss, radieusement interprétée par Mlle Marthe
Chrétien et M. Désiré Monsuez, deux talents pleins
d'expression et d'ardeur, un trio de B. Godard et
quelques mélodies d'Alexandre Georges, Mozart
et Beethoven, dits par Mme Marie Morel avec son
habituel talent.
Une nouvelle société d'instruments à vent,
l'Eolienne, a inauguré une série de séances de mu-
sique de chambre par une excellente interpréta-
tion du quintette de Deslandres, du quintette avec
piano de Beethoven et du quatuor de Saint-Saëns.
M. Bouillard, l'âme de cette jeune société, a déli-
cieusement interprété la sonate pour flûte et piano
de Hsendel. L'exécution, bien au point, fait le
plus grand honneur aux artistes, prix de Paris,
Bruxelles et Lille, qui composent la société :
MM. Bouillard, Lardinois, Pamart, Gabelle,
Boidin.
Au Grand-Théâtre, La Reine Fiammette de notre
concitoyen M. Xavier Leroux ne semble pas devoir
fournir une longue carrière. L'œuvre est certes
intéressante, mais elle exige une interprétation
parfaite que Lille ne peut lui donner. Et puis,
venant après la reprise de Louise... P. C.
IIÉGE. — C'est une joie pour les délicats
J d'entendre Mme Marie MockT; son chant
si souple pénètre intimement la pensée des maî-
tres en gardant une admirable pureté de style.
Qu'elle interprète Bach, Mozart, Schubert ou des
mélodies très modernes de Fauré, Chausson,
Ravel, c'est toujours avec une égale perfection.
On lui a fait grand succès.
Le pianiste Van Tyn, qui se l'était associée pour
le succès de son dernier récital, a lui-même mérité
de chauds applaudissements par son exécution
très valeureuse de Mozeppa et d'autres pages de
Liszt ; son programme réunissait aussi les noms
de Beethoven, Schumann et Brahms, mais ces
œuvres conviennent moins au talent de l'artiste,
talent fait de virtuosité exubérante et volontiers
fantaisiste. P. D.
LISBONNE. — Depuis notre dernière lettre,
la Schola Cantorum a donné son premier
concert. Le directeur, M. Sarti, se propose de pré-
senter un tableau en lignes générales de l'évolution
de la musique religieuse depuis Palestrina, et c'est
par la Messe du Pape Marcel qu'il a commencé.
L'exécution était confiée à un groupe de dames,
pour la plupart élèves de M. Sarti, et à des chan-
226
LE GUIDE MUSICAL
teurs de la cathédrale de Lisbonne. M. Sarti ne se
proposait pas et on ne pouvait s'attendre à ce qu'il
atteignît d'emblée la perfection. Dans ces circon-
stances, le résultat fut très honorable, vraiment
digne d'éloges, qu'on ne doit pas épargner à toutes
les tentatives sérieuses. Quant à l'effet obtenu, il
faudrait savoir d'abord au juste si une œuvre d'art
comme la messe de Palestrina, qui nous révèle
bien des traits de génie, peut cependant nous don-
ner une vraie émotion exécutée entièrement hors
du cadre que le compositeur avait en vue. Le con-
cert a été répété, et ceci montre que le public s'y
est intéressé. Les deux séances furent précédées
par des conférences de M. E. Vieira, professeur au
Conservatoire, et de M. F. de Sousa.
Au théâtre San Carlos on a présenté une autre
nouveauté pour Lisbonne : Grisélidis,de M. Masse-
net. De tous les interprètes, c'est Mlle Boyer qui a
mis en lumière tout le charme de la musique de
M. Massenet. On peut dire que le public a aimé
pour elle-même toute la musique, du prologue, du
premier et du second acte. Il n'a pas aimé l'œuvre
pour laquelle elle fut écrite. Le diable et sa femme,
dont les artistes qui jouaient ces rôles ont accen-
tué la bouffonnerie, ont dérouté le public du San
Carlos, qui aime de préférence, et il se peut bien
que ce soit avec raison, un Méphistophélès sérieux
sur la scène lyrique. L'interprétation par l'or-
chestre, fut lourde ayant peu de la fraîcheur que
M. Massenet a mise dans sa musique.
Un enfant prodige s'est fait entendre au théâtre
D. Amelia, Mecio Horszowski. pianiste. Ces exhi:
bitions sont ordinairement un sacrifice non inté-
ressant de l'art et quelquefois de réels talents à
des buts... non artistiques. Il faut rendre cette jus-
tice au jeune Horszowski qu'il intéresse parfois
avec son interprétation. Car il en a une, et c'est
par là et par sa mémoire qu'il est prodige, et non
dans les exécutions transcendantes confiées à ses
doigts de dix ou onze ans. T. de S.
MUNICH. — L'événement artistique le
plus intéressant des dernières semaines a
été, sans contredit, le festival Antoine Bruckner,
sous la direction de M.Ferdinand Lœwe, de Vienne,
organisé par l'orchestre Kaim au profit de sa
caisse de retraite.
M. Lœwe est un disciple de Bruckner, il est
mieux qu'aucun autre capellmeister vivant au fait
du style du grand symphoniste viennois et il en
traduit la puissance d'expression de manière à en
pénétrer profondément le public.
Le premier concert comprenait la symphonie en
mi majeur, souvent entendue, et la neuvième
symphonie (inachevée) en ré mineur; au deu-
xième concert, nous avons entendu pour la pre-
mière fois la symphonie en la majeur et le
Psaume ioo pour chœur et orchestre. La symphonie
en la, composée dans les années 1879-1881, semble,,
malgré de merveilleuses beautés, avoir été moins
bien traitée que ses sœurs, — bien à tort, comme
nous l'a montré l'exécution de M. Lœwe. L'orches-
tre Kaim, considérablement renforcé, a été sous sa
direction vivante, remarquable de sûreté et de belle
sonorité. Le succès a été immense, et le public a,,
par de nombreux rappels, témoigné à M. Lœwe
son admiration et sa reconnaissance.
Le Théâtre de la cour a donné une exécution
merveilleuse de Béatrice et Bénédict de Berlioz,
dirigée par M. Félix Mottl avec toute sa finesse
musicale.
M. Weingartner ne commencera ses concerts
qu'après le carnaval.
M. Bernard Stavenhagen donne, avec l'orches-
tre Kaim, des concerts modernes exclusivement
composés d'œuvres de musiciens vivants. A la
première séance, il a dirigé le Chant des sorcières de
Max Schillings (avec M. Ernst von Possart
comme récitant), Don Quichotte de Richard Strauss,
les Variations symphoniques de Nicodé et une suite
encore inédite, du compositeur genevois, Pierre
Maurice, d'après le roman de M. Pierre Loti
Pécheurs d'Islande.
A sa séance de musique de chambre, M. Sta-
venhagen a interprété avec l'excellent violoniste
M. Félix Berber la sonate de Guillaume Lekeu,
qui a obtenu un très grand succès.
Edgar Istel.
\0
NOUVELLES
M. Rodolphe Louis vient de faire paraître à
Leipzig une biographie d'Antoine Bruckner dans
laquelle il reproduit la lettre que ce maître écrivit
le 17 avril i885 à M. Félix Moltl :
« Cher vieil ami, cher jeune ami ! Noble capell-
meister de la cour ! Ce doit être le bon Bruckner
vas-tu dire. Bien deviné, c'est justement lui
Ecoute : Le professeur Riedel, de Leipzig, m'a
demandé si je voudrais consentir à laisser exécuter
au festival de l'Association des musiciens aile
mands. qui doit avoir lieu le 3o mai à Carlsruhe,
LE GUIDE MUSICAL
227
Y adagio de ma septième symphonie. Liszt et Stand-
thartner m'y engagent. Tu es, dans cette circons-
tance, le personnage principal. i° L'orchestre
n'est-il pas trop mal disposé pour moi? 20 As-tu les
nouveaux tubas, les mêmes qui ont servi dans les
Nibelungen, ou, si tu ne les as pas, peux-tu te les
procurer? 3° Voudras- tu, comme l'ont fait
MM. Levi et Nikisch, consacrer ton moi artistique
tout entier pour ton vieux maître qui t'a toujours
tenu en. grande affection, et étudier et diriger cet
adagio avec les tubas et la musique funèbre pour le
compositeur défunt, comme s'il s'agissait de ton
propre ouvrage? Si mon cher Mottl me promet
cela et m'en donne sa parole d'honneur, alors,
hourra! hourra! hourra! tout va bien et je puis
faire envoyer les parties. Les quatre tubas sont
très essentiels et aussi le tuba contrebasse. Je
pense que nous serons contents tous les deux. Ma
détermination repose en ce moment dans tes mains.
Sois salué de tout cœur et embrassé par celui qui
té tient en la plus haute estime et reste ton
xi A. Bruckner. »
Il est assez piquant de constater qu'au moment
où il écrivit cette lettre pleine de jeunesse et de
modestie, Bruckner avait soixante et un ans; que,
l'année précédente, M. Arthur Nikisch avait di-
rigé à Leipzig, avec grand succès, la symphonie
dont il est question et que Hermann Levi la faisait
entendre cette même année à Vienne, à Gratz, à
Berlin, à Hambourg, à Amsterdam.
Rappelons aussi ce mot charmant du maître à
l'empereur d'Autriche dans les circonstances sui-
vantes : On sait que le critique Hanslick poursuivit
Bruckner d'une sorte d'animosité féroce et qu'il
n'épargnait pas même sa personne. Au lendemain
de l'audition d'une de ses symphonies, il osa écrire
que la salle dû concert avait été souillée par cette
musique. Quelque temps après, Bruckner ayant été
reçu en audience privée par l'empereur d'Autriche,
qui estimait chez lui autant la modestie et la sim-
plicité de l'homme que le génie de l'artiste, le sou-
verain lui dit ces paroles : « Que puis-je faire pour
vous ? » Bruckner ne trouva rien à demander ; il
formula seulement ce vœu charmant : « Sire, obte-
nez que M. Hanslick, lorsqu'il parle de moi, soit
un peu plus objectif».
— Les fêtes à l'exposition de Liège. — ■ Le
comité central des fêtes vient de se réunir pour
prendre certaines dispositions.
Un festival permanent d'harmonies et de fanfa-
res est en voie d'organisation, et tous les dimanches
de l'été prochain, il y aura également concert
d'harmonie et de fanfares sur les divers points de
l'Exposition.
NECROLOGIE
A Templin, dans le Brandebourg, est mort
à l'âge de soixante-treise ans Robert Eitner, auteur
d'un lexique des musiciens hollandais qui fut
couronné en 1867 par l'Association des composi-
teurs d'Amsterdam. Né le 22 octobre i832, à
Breslau, il vécut à Berlin de i853 à i883, comme
professeur et bibliographe. Il a laissé plusieurs
travaux utiles sur les éditions musicales d'œuvres
anciennes, sur la bibliographie des ouvrages
publiés en recueils au xvie et au xvne siècle, et sur
les compositions de Hans Léo Hassler et Orlando
di Lasso. Plusieurs articles de lui ont paru daus
le Recueil mensuel four l'histoire 'de la musique, organe
qu'il avait créé en 1869.
iauos et Ibarpes
irarù
Brucelles : 6, rue ^Latérale
paris : rue îm flDafl, 13
RÉPERTOIRE DES THEATRES
PARIS
OPÉRA. — Faust; Sigurd; Lohengrin; Daria;
La Maladetta.
OPÉRA-COMIQUE. — Les Noces de Jeannette, Les
Rendez- vous bourgeois; Mignon, Manon; Carmen; Le
Légataire universel, L'Enfant-Roi; Werther; Orphée.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice.
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — Pre-
mier grand bal masqué; Faust; La Bohème; Héro-
diade ; Deuxième grand bal masqué ; Mignon ; Martille
et Le Légataire universel ; La Bohème et Une Aven-
ture de la Guimard ; Hérodiade.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT. —
La Grande-Duchesse de Gérolstein.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 12 mars. — A 2 h., au Conservatoire : Trei-
zième concert, sous la direction de M. G. Marty. Pro-
gramme ; Ouverture de Coriolan, Beethoven ; Suite en
si mineur, J.-S. Bach; Les Béatitudes, nos 5, 6, 7 et 8,
César Franck (soli : M™es E. Blanc et Narçon, MM.
Cornubert, P. Daraux, L. Frœlich, Millot, Bernard et
Narçon.
— A 2 h. 1/4, au Châtelet : Dix-neuvième concert,
sous la direction de M. Ed. Colonne. — Programme :
Ouverture du Carnaval romain, Berlioz ; Cinquième con-
certo, Bach (MM. Diémer, Barrère et Touche); Elégie
symphonique, Marsick; Rédemption, César Franck (l'Ar-
22S
LE GUIDE MUSICAL
change, Mme Auguez de Montalant; la Récitante, MHe
Renée Du Minil.
- A 3 h., au Nouveau-Théâtre : Vingt et unième con-
cert Lamoureux, sous la direction de M. Camille Che-
villard. — Programme : La Damnation de Faust, Berlioz,
avec le concours de Mme Jeanne Raunay, MM. Lamtte,
Fournets et Sigwalt.
13, 14, 15, 16 et 18 mars. — A la Société philharmo-
nique : Audition intégrale des quatuors de Beethoven
par le Quatuor Joachim.
BRUXELLES
Dimanche 12 mars. — A 2 Yz h., Théâtre de l'Alham-
bra : Piano-récital par M. Mark Hambourg. Au pro-
o-ramme : Sonate en la bémol op. 26, Beethoven; Fan-
taisie en ut majeur {Der Wanderer), Schubert ; Nocturne,
six préludes, polonaise, sonate en si bémol, op. 35,
Chopin; Nocturne, Rubinstein; Etude, Poldini ; Etude,
Moszkowski; Volhslied, Mark Hambourg; Rapsodie
n° S, Liszt.
Mercredi 15 mars. — A 8 Y2 h., Salle de la Nouvelle
Ecole Allemande : Deuxième séance du Quatuor
Zimmer, avec le concours de M. Hannon, clarinettiste.
(Quatuors en mi majeur, Witkowsky ; fa majeur, Sehu-
mann ; mi bémol majeur, Mozart).
Jeudi 16 mars. — A 2 ^ h., à la Libre Esthétique;
concert avec le concours de Miss Evelyn Suart, pia-
niste des Concerts Populaires de Londres, MM. G.
Surlemont, E. Bosquet, E. Chaumont, F. Doehaerd,
L Angeloty, L. Baroen et H. Merck, qui interpréteront
un sextuor inédit et des pièces de piano de Cyril Scott,
la sonate pour piano et violon de Jongen, des œuvres
vocales d'H. Duparc, A. Magnard et R. Bonheur.
— A 8 % h., à la Grande Harmonie : Concert De-
lune avec le concours de M. César Thomson. Pro-
gramme : Cinquième symphonie, Beethoven ; Concerto
pour violon avec accompagnement d'orchestre, G. Tar-
tini M. César Thomson) ; Deux danses slaves, A. Dvo-
rak ; Concerto pour violon avec accompagnement d'or-
chestre, J. Brahms (M. César Thomson).
Vendredi 17 mars. — A 8 h., à la Grande Harmonie :
Concert par M. Marix Loevensohn, violoncelliste, avec
orchestre sous la direction de M. Albert Dupuis, et
avec le concours de Mlles Cortez et Housman et de
MM. Decléry et Tibaut. Au programme : Weber,
Concerto de Haydn-Gevaert; Mendelssohn, R. Schu-
mann, A. Dupuis, Concerto de Saint-Saëns.
Dimanche 19 mars. — A 2 Yi h., au Théâtre royal de
la Monnaie, Concert populaire sous la direction de
M Sylvain Dupuis : Le Songe de Gerontius, oratorio
d'Edward Elgar (première andition en français) avec le
concours de Mme Lafritte, de MM. Lamtte et Bourbon,
Lundi 20 mars. — A 8 Y h., à la Grande Harmonie :
Récital de piano donné M. Hugh Del Carril. Au pro-
gramme : Bach-Busoni, Beethoven, Chopin, Mendels-
sohn, Schumann, Liszt.
Mercredi 22 mars. — A S J^ h, à la Grande Harmo-
nie : Concert avec orchestre, sous la direction de M.
Albert Dupuis, consacré aux œuvres de P. Tschaï-
kowsky, donné par MM. M. Geeraert, pianiste et F.
Mora, violoniste, avec le concours de M. M. Loeven-
sohn, violoncelliste. Programme : Ouverture solennelle
pour orchestre; Concerto en ré majeur pour violon;
Variations sur un thème rococo pour violoncelle; Con-
certo en si bémol pour piano ;' Marche du Couronnement
pour orchestre.
Lundi 27 mars. — A 8 Y h., à la Salle Erard : Soirée
de musique flamande par Mlle Jeanne Van den Bergh,
MM. Georges Surlemont, Jos. Watelet, et avec le con-
cours de M"'e A. Béon. An programme : Œuvres de
Peter Benoît, H. Waelput, G. Antheunis, Edward
Keurvels, Lod. Mortelmans et Frank Vander Stucken.
Mardi 28 mars. — A 8 Y h., à la Grande Harmonie :
Récital de violon par Paul Kochanski.
— A 8 Y h , à la salle Erard : Concert donné par
MM. Gaston Waucampt, pianiste et Georges Liégeois,
violoncelliste, avec le gracieux concours de MHe G.
Florany, cantatrice. Au programme : Boëllmann, Max
Bruoh, Popper, Bach, Piatti, Beethoven, Gounod,
Schubert, Chopin, G. Waucampt.
Jeudi 6 avril. — A 8 J4 h., à la Grande Harmonie ;
Séance annuelle de piano par M. Joseph Wieniawski.
Au programme : Schubert, Field, Weber, Chopin,
Moniusko, Rubinstein, Hsendel, Schumann, Mendels-
sohn, Wieniawski, Liszt.
ANVERS
Mercredi 15 mars. — A 8 Yi h-> à la Société royale de
Zoologie : Concert avec le concours de M. Edmond
De Herdt, violoniste, professeur au Conservatoire royal
d'Anvers. . Programme : Episodes chevaleresques, Chr.
Sinding; Rapsodie suédoise, (n° 2), Andréas Hallen; Con-
certo pour violon et orchestre, Joh. Svendsen; Bal masqué,
Ant. Rubinstein; Nocturne en ré, Fr. Chopin; Dans-e
cosaque, P. Tschaïkowsky.
Mercredi 29 mars. — A 8 ^ h., à la Société royale de
Zoologie : Festival Vincent d'Indy, sous la direction de
l'auteur, avec le concours de M™e Fierens, de M. L.
Swolfs et de M. Maurice Geeraert, pianiste.
BRUGES
Jeudi 16 mars. — A 7 h., au Théâtre, troisième con-
cert du Conservatoire, sous la direction de M. K. Mest-
dagh, avec le concours de Mme Ida Ekman, cantatrice.
Programme : Deuxième symphonie en ré majeur, pre-
mière exécution, J. Ryelandt; Mélodies de Schubert,
Brahms, Liszt et Strauss; Eine Saga, poème sympho-
nique, J. Sibelius; Mélodies finlandaises de J. Sibelius:
Merikanto, Melartin et Jarnefelt ; Fragments sympho-
niques des Maîtres chanteurs de Nuremberg, R. Wagner.
LILLE
Dimanche 12 mars. — Quatrième concert de la Société
de musique, dirigé par M. Maurice Maquet, avec le
concours de M™e Marie Bréma et -de Mlle H. Renié.
'Programme : Symphonie pastorale, n° 6, Beethoven; Air
à! Orphée de Gluck (Mme Bréma) ; Concertstûch pour harpe
et orchestre de Pierné (M'ie Renié) ; Mazeppa de Liszt,
Contemplation de H. Renié, Gavotte de Bach-Saint-
Saëns; la Source de Zabel (Mlle Renié); Finale du Cré-
puscule des Dieux de Wagner (Mme Bréma).
NANCY
Dimanche 12 mars. — Concert du Conservatoire sous
la direction de M. J. Guy Ropartz, avec le concours de
M. Georges Dantu : Faust-Symphonie de Liszt; Ouver-
ture pour Faust, Richard Wagner.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlles Marcella Pregi, Paternoster, MM. Mauguière,
Daraux et L. Nivette, Mmes Buyn, Artôt, et M. Vander
Haegdien.
LE GUIDE MUSICAL 229
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5iine année. — Numéro 12.
19 Mars 190S.
WAGNERIANA
es Bayreuthev Blàtter publient dans
leur dernier numéro une lettre char-
mante, plus que cela, émouvante,
de Richard Wagner à sa mère. Elle
est datée de Carlsbad, le i5 juillet i835.
Wagner avait alors vingt-deux ans. Avec quelle
tendresse, quelle délicatesse de cœur il parle
à celle qui lui donna la première toute son
âme, et quelle exquise sensibilité dans ces effu-
sions filiales, où l'on trouve déjà ce besoin
d'affection, cette soif de sympathie et d'a-
mour dont plus tard l'homme fait eut tant à
souffrir! Cette lettre est extraordinaiiement
intéressante pour la compréhension de l'homme
dans l'artiste et, venant s'ajouter à tous les
autres documents intimes récemment mis au
jour, nous révèle plus complètement encore
toute la beauté de cette âme de grand poète,
toute la sensibilité de ce cœur si profondément
humain. R. S.
A toi seule, ma chère mère, je pense avec l'amour
le plus sincère et l'émotion la plus profonde; — je
sais bien que frères et sœurs suivent leur propre
chemin, — chacun n'a à envisager que soi-même et
son avenir, et ce qui en dépend tout autour; c'est
ainsi et je le sens, il y a. un moment où la séparation
se produit d'elle-même ; — dans nos relations réci-
proques nous ne voyons plus que le point de vue de
la vie extérieure ; nous devenons l'un pour l'autre
des diplomates affectueux, — nous nous taisons
lorsque cela nous paraît politique, nous parlons
lorsque notre manière de considérer les choses le
veut, c'est même quand nous sommes le plus éloi-
gnés les. uns des autres que nous parlons le plus
librement. Ah ! combien au-dessus de tout cela se
dresse l'amour d'une mère ! Je suis évidemment de
ceux qui ne peuvent pas toujours parler à tout
instant selon leur cœur, — car autrement, tu aurais
appris à me connaître sous un aspect beaucoup
plus souple. Mais les sensations restent les
mêmes, — et tiens, en ce moment, mère, — loin de
toi, les sentiments de reconnaissance pour l'amour
merveilleux que tu as de nouveau si chaudement
et si intimement envers ton enfant, me dominent à
ce point que je voudrais t'en écrire et t'en parler
sur le ton le plus délicat qu'emploierait un amou-
reux s'adressant à celle qu'il aime. Mais bien plus
grand, — l'amour d'une mère n'est-il pas bien plus
grand, — bien plus pur que tout autre? — Non, je
ne veux pas philosopher ici, — je veux simplement
te remercier, et te remercier encore, — et j'énu-
mérerais volontiers toutes les preuves de ton
amour, pour lesquelles je te remercie, — s'il n'y
en avait pas beaucoup trop. Ce que je sais, c'est
qu'il n'y a pas un cœur qui me suive avec autant
d'intérêt sincère, autant de sollicitude que le tien,
— que c'est même peut-être le seul qui veille sur
chacun de mes pas, — et non pour me critiquer froi-
dement, — mais pour m'envelopper dans ta prière.
N'as-tu pas toujours été l'unique qui me soit im-
muablement restée fidèle, alors que d'autres, ne
considérant que les résultats extérieurs, s'éloi-
gnaient philosophiquement de moi? Il serait
d'ailleurs impertinent de vouloir exiger le même
amour de tous, je sais bien que cela n'est pas possi-
ble. Chez toi, tout vient du cœur, de ton bon cœur
aimé, — que Dieu me le conserve toujours favo-
rable! — car je sais que si tout m'abandonnait, il
serait mon dernier, mon plus cher refuge. O mère,
si tu mourais trop tôt, avant que je t'aie entière-
ment prouvé que tu as donné tant d'amour à un.
232
LEGUIDE MUSICAL
homme noble, infiniment reconnaissant! Non, cela
ne peut pas être, tu dois encore goûter beaucoup
de beaux fruits ! —Ah ! quand je pense aux derniers
huit jours passés avec toi! C'est pour moi une
entière consolation, une renaissance d'évoquer en
mon âme les moindres traits de ta bonté aimante !
Ma chère, chère mère, — quel misérable serais-je
si je pouvais me refroidir envers toi!
Dans l'avenir, je vous tiendrai moins au courant
de mes actions et de mes efforts. Vous les jugerez
d'après les résultats apparents, et ceux-là, vous les
apprécierez sans mon intervention. Et maintenant
qu'il arrive ce qui doit arriver et comme cela doit
arriver ; je suis enfin indépendant et je veux me
suffire à moi-même. O cette humiliation devant B.,
est profondément enracinée dans mon cœur et je
m'inflige les plus amers reproches pour lui avoir
mis en mains le droit de m'humilier. Je vais main-
tenant m'affranchir tout à fait de lui et jamais plus
je ne m'associerai à lui, et si j'avais tort en cela, je
préférerais mourir avec ce tort. Je me sépare entiè-
rement de lui. Tout le monde ne peut avoir raison,
et j'avais tort, — mais je ne le leur avouerai jamais;
tout au contraire, je prendrai position de telle ma-
nière que je ne doive jamais rien leur avouer, — et
cela a été mon grand défaut de me mettre entre ses
mains et de m'avancer si bien que je lui ai donné
quelque droit sur moi. Nous sommes, d'ailleurs,
si éloignés l'un de l'autre que ce serait ridicule de
vouloir me rapprocher de lui. Pourtant, combien
je me réjouis de cette catastrophe qui m'a fait voir
avec certitude que je n'ai rien à attendre de per-
sonne au monde et qu'au contraire, je ne dois
compter que sur moi-même. Maintenant seulement,
je me sens indépendant. Car c'était cela qui me
manquait, qui m' énervait et m'enlevait toute direc-
tion, — c'était une sorte de confiance imprécise,
inconsciente dans un appui qui sottement n'était
pas limité à Apel, mais avait pris aussi d'autres
formes baroques, dont je ris actuellement à cause
de ma bêtise. Maintenant, je suis désillusionné sur
tout cela et je m'en réjouis. Ma mollesse devait
faire cette expérience, — elle me servira en toutes
circonstances. J'espère seulement qu'ils me refu-
seront leur sympathie, elle me serait insupporta-
ble; — toi, ton cœur, ton amour, voilà mon unique
soutien, dans lequel, au cours de ma vie nouvelle,
je chercherai aux heures de détresse, consolation
et espérance ; — l'amour maternel n'a besoin
d'aucun motif; tout autre amour cherche le pour-
quoi et n'arrive qu'à la méfiance.
Je suis allé à Teplitz et à Prague, et n'ai rien
trouvé pour mes occupations, sinon la confirmation
de mon projet de ne pas aller à Vienne et de persé-
vérer dans la voie que j'ai choisie. Maurice était à
Prague et m'a encouragé vivement dans mes
idées. De Prague j'ai écrit à tous ceux auxquels je
pensais pour savoir d'avance où j'en suis avec eux
et éviter toute démarche inutile. A Nuremberg, où
j'irai demain ou après-demain, j'attendrai leurs
réponses et une lettre de Magdebourg pour mettre
toutes mes affaires en ordre. A Nuremberg, je m'ar-
rêterai; lorsqu'un théâtre dissout sa troupe, on
peut facilement obtenir bien des choses ; les Wol-
fram pourront me donner aussi beaucoup de ren-
seignements, si bien que leur avis m'épargnera
peut-être plus d'un voyage.
Ma chère, chère mère, — mon bon ange, — sois
profondément heureuse, et ne t'attriste pas ; — tu
as un fils reconnaissant qui jamais, jamais n'ou-
bliera ce que tu es pour lui ; avec la plus sincère
émotion, se souvient de toi
ton
Richard.
i ' SONGE DE GÉR0NT1US „
'est une œuvre musicale d'un grand
développement et d'une belle enver-
gure que ce Songe de Gérontius (i), ora-
torio pour chœur, soli, orchestre et
orgue du compositeur anglais, Edward Elgar (2). Les
Concerts populaires de Bruxelles lui donneront sa
première consécration « française », et leur chef,
M. Sylvain Dupuis, confirme par l'intérêt sympa-
thique qu'il porte à cette œuvre, nouvelle encore
pour nous, toute l'estime et toute l'admiration
qu'elle suscita successivement, lors de ses grandes
premières auditions, à Birmingham en 1900, par
deux fois, à Dùsseldorf en 1901, puis à Vienne
en 1902.
Sir Edward Elgar n'est plus tout à fait un in-
connu à Bruxelles. M. Eug. Ysaye nous révéla,
en décembre 1901, ses chatoyantes Variations sym-
phoniques qui, dans leur forme aussi aimable que
savante, avaient surtout séduit par une orchestra-
tion merveilleusement brillante, riche et variée.
L'œuvre que nous présentera le Concert popu-
(1) Partition et livret français, Novello et CIe, éditeurs
à Londres.
(2) Voir, sur Elgar, une esquisse biographique de M.
G. Ferrari, parue au Guide musical 1898, n° i3.
LE GUIDE MUSICAL
233
laire est d'un bien autre caractère et d'une portée
artistique beaucoup plus élevée. Elle est conçue
dans la forme sévère de l'oratorio et s'appuie sur le
beau texte d'un des grands écrivains de l'Angle-
terre au xixe siècle, le cardinal Newman (1801-
1890). Voici, en quelques mots, le sujet de ce poème
chrétien qui aurait été inspiré au cardinal par un
douloureux événement de sa vie : la perte d'un
ami qu'il assista à son chevet de mourant.
Gérontius, agonisant, entouré de ses amis, cher-
che dans leurs visages douloureusement affectueux
et dans la suprême affirmation de sa croyance, le
courage nécessaire pour la dernière lutte, la force
de combattre l'ultime assaut des puissances démo-
niaques, et surtout le reconfort dans sa douleur
extrême. Soudain, le calme s'est fait en lui; une
voix angélique vient de retentir, appelant son âme
au ciel, et voici que nous suivons cette âme dans
son mystique voyage. Alors commence à propre-
ment parler le rêve de Gérontius, rêve de l'au-delà,
vie ineffable des âmes pures et libres dans un
monde lumineux et paisible, immatériel et subtil,
qu'il nous faut entrevoir suivant la tradition de la
foi catholique. A cette merveilleuse vision de la vie
des âmes, Newman s'est élevé avec l'élan intense
d'un sincère et enthousiaste croyant, et l'imagina-
tion d'un vrai poète lui en a révélé toutes les
splendeurs. L'auteur pourtant voulait mieux en-
core ; sans doute comprit-il que dans la vision de
ce monde idéal, la parole seule n'avait pas assez
de puissance, et que toujours elle gardait un sens
trop précis, trop limité, surtout dans l'évocation
d'un monde mystérieux et infini. La musique seule
avait le pouvoir de nous faire entrevoir cette
sphère mystique : génie ailé, à l'envolée puissante,
elle pouvait nous emporter dans l'au-delà et nous
conduire loin des réalités de la terre, dans ce
monde invisible des âmes heureuses et libres. Le
cardinal Newman proposa donc son manuscrit à
plusieurs musiciens dont aucun n'osa accepter une
tâche aussi difficile. En 1886, lors d'une visite de
Dvorak, Newman lui montra le poème, lui fit aussi
part de ses désirs et crut bien que le compositeur
tchèque allait enfin les réaliser. Celui-ci, en effet,
promit d'examiner le sujet en détail, mais ne donna
aucune suite à la chose. Enfin, en 1892, Elgar prit
à son tour connaissance du manuscrit qui, dès la
première lecture, l'enthousiasma ; il vit aussitôt
tout le merveilleux parti qu'il pourrait en tirer ;
toutefois, avant de se mettre à l'œuvre, il voulait s'en
pénétrer tout entier, se l'assimiler complètement,
et, à cet effet, l'étudia pendant des années. Au fur et
à mesure que le poème se gravait plus profondé-
ment dans son esprit, il lui apparaissait de plus en
plus clairement dans sa nouvelle lumière, dans son
atmosphère idéale, évidemment inhérente à l'œuvre
primitive, mais à laquelle la musique seule pou-
vait donner tout l'éclat, toute la vie. toute la vi-
brante intensité. A cette existence profonde et
cachée, Elgar allait enfin donner son libre essor
par la puissance magique et libératrice de la mu-
sique, et en 1900 eut lieu, au festival de Birmin-
gham, et sous la géniale direction de Hans Richter,
la première exécution du Songe de Gérontius dans sa
double conception poétique et musicale, telle que
le cardinal Newman l'avait sonhaitée (1).
L'oratorio comprend deux parties de caractères
très différents, correspondant, la première, aux im-
pressions encore terrestres de l'agonisant, la se-
conde, à la vision céleste, vie de l'être transfiguré.
Les deux parties, longuement développées — un
peu trop peut-être — sont précédées d'un beau/^'-
lude où sont présentés les thèmes principaux qui
prendront dans la suite tout leur développement ;
ce prélude est à l'œuvre entière, une préface synthé-
tique vraiment sublime et merveilleuse. Dès le
début, nous sommes ainsi enveloppés de l'atmos-
phère mystique si particulière qui se dégage de
l'oratorio. Construit d'après le système wagnérien
du leitmotiv, nous trouverons donc, pour caractéri-
ser chaque grand sentiment, dans le même ou dans
différents personnages, un thème conducteur qui
nous guidera, dès le prélude, à travers toute la par-
tition, suivant la pensée de l'auteur. Qu'il nous
suffise d'indiquer ici ces principaux motifs : dans
la première partie, les thèmes très caractéristiques
se rapportant à Gérontius mourant, thèmes indi-
quant tour à tour ses douleurs, ses luttes, ses aspi-
rations (ténor solo), voix delà terre encore qui se ren-
contre avec cette autre voix terrestre du prêtre (ba-
ryton solo) formant un groupe de thèmes; à
côté de ces motifs principaux les chœurs des es-
prits, voix célestes d'une part, appels mystiques,
impérieux pourtant, de l'Ange de lumière (mezzo-
soprano) ; d'autre part, les incantations effrayantes
des démons, confiées au chœur, qui doit surmonter,
dans cette partie toute en passages chromatiques
d'une rapidité vertigineuse, des difficultés extrêmes
et sans nombre.
La deuxième partie ne nous présente plus que
les thèmes de la céleste vision devenue réalité pour
Gérontius, dont l'âme libérée aperçoit déjà les es-
paces éthérés, les merveilles éternelles et le pur
(1) Les solistes, Mme Marie Bréma, MM. Edw.
Lloyd et Plunkett Greene, furent, dans leurs créations
respectives, admirables de chaleur et de conviction.
Hans Richter, qu'on ne peut soupçonner de tendances
très « modernistes », prouva, par le fait même qu'il diri-
gea l'œuvre d' Elgar, la haute et rare estime qu'il lui
témoignait .
234
LE GUIDE MUSICAL
monde des esprits bienheureux où lui-même plane
à présent.
Dans l'expression de ce monde spirituel Elgar
a osé une chose inouïe ; il faut reconnaître, que son
génie n'a pas été inférieur à son audace ; il a trouvé
pour caractériser ces deux mondes si différents,
monde humain et divin, des motifs mélodiques
d'un pouvoir expressif intense, et surtout des har-
monies puissantes qui donnent à elles seules toute
la sensation que le sujet doit produire. Il faut ad-
mirer aussi la science étonnante de ce maître de la
polyphonie moderne dans l'édification d'une œuvre
orchestrale si compliquée et d'une telle envergure ;
enfin et surtout le coloris de son orchestration,
d'une richesse et d'une splendeur souvent merveil-
leuses, qui font oublier ce que l'unité d'impression,
indiquée d'ailleurs par le sujet, pouvait engendrer
par endroits de monotonie dans ce long travail.
Tout cela est d'autant plus admirable, que toute
cette science, Elgar l'a pour ainsi dire acquise sans
aucun maître : très peu de leçons de composition,
aucune d'instrumentation ; lui-même avouait un
jour qu'à ce sujet, il n'eut jamais le moindre en-
seignement : « Tout ce que je sais, je l'ai appris par
» une observation attentive, l'étude constante des
» partitions et par des exercices pratiques de com-
» position. » C'est peut-être une des causes de
sa grande originalité ; s'il a appliqué à l'oratorio
les procédés wagnériens qui pouvaient s'y adapter,
s'il y a mis à profit toutes les ressources de l'orches-
tration moderne, il n'est jamais tombé dans l'imita-
tion, et ses œuvres portent le cachet de la belle et
remarquable personnalité de leur auteur.
L'exécution du Songe de Gérontïus au prochain
Concert populaire sera, sans nul doute, une belle
révélation pour le public belge, comme elle le fut
tour à tour pour l'Angleterre, lors de la première
exécution à Birmingham (i),' et pour l'Allemagne,
à la première et splendide audition de Diisseldoff,
sous la direction du professeur Julius Buths (2). Le
chef allemand, qui avait assisté au festival de Bir-
mingham, en revint si enthousiasmé, que d'emblée,
il inscrivit l'œuvre d'Elgar au programme de ses
concerts et la traduisit lui-même en allemand, as-
surant par sa belle conviction, le premier triomphe
de cette cantate religieuse en Germanie. La presse
allemande, unanimement, en reconnut la haute va-
leur et la plaça à côté du Christus de Liszt et du
(1) Depuis, l'œuvre, à laquelle M'"e Marie Bréma,
en particulier, consacre tout son talent et son prestige
de grande artiste, continue, avec elle, la série de ses
triomphes dans toutes les grandes villes d'Angleterre.
(2) Comme solistes : Mlle Antonie Beel — MM. Ludwig
Wùllncr et Willy Metzmacher.
Requiem de Brahms. Dans sa courte étude sur Elgar
(signalée plus haut), M. G. Ferrari n'hésita pas à
désigner l'œuvre comme une « fille des divines
Béatitudes », et sans lui reconnaître, peut-être, la
magnificence et la technique prodigieuse de son
illustre devancière, il trouve cependant, à la rap-
procher de l'œuvre de Franck par les « mêmes
» coups d'aile, la même force hardie, la même puis-
» sance dramatique et le même agenouillement
» d'une foi ardente et humble sans mysticisme
» équivoque ». Sans doute, tout n'est pas de la
même valeur, mais telle qu'elle est, la partition
n'en est pas moins sincère et grandiose ; écoutée et
comprise dans le sentiment qui l'a inspirée, elle
doit retenir, émouvoir et s'imposer.
May de Rudder.
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA=COMIQUE. — Le soir du Mardi-
Gras, le théâtre de la rue Favart a donné une
reprise du Légataire universel, représenté pour la
première fois le samedi 6 juillet 1901. Il serait inté-
ressant de rappeler l'historique de cette œuvre,
pour l'édification des lecteurs et l'enseignement
des jeunes musiciens.
Commandé en 1888 par Paravey, le Légataire
universel a été reçu sept fois sans être joué, et mis
en répétitions presque aussi souvent. Mais la
malechance poursuivait partout le compositeur :
ou le directeur faisait faillite, ou il mourait, ou les
interprètes s'en allaient, ou les théâtres fermaient
leurs portes. De la succession de Carvalho, il ne
restait que deux ouvrages : Cendrillon, de Massenet,
et Jacqueline, drame lyrique de M. Pfeiffer, répété,
puis interrompu, à la veille de la première, par la
fin de saison et le départ de Mme de Nuovina, la
principale interprète (même chose était arrivée
déjà à Lyon pour des motifs semblables). En
échange de Jacqueline, qui pouvait avoir le guignon,
M. Albert Carré redemanda le Légataire universel,
dont la fortune paraissait plus mauvaise encore;
il tenait à l'avoir, pour se donner le plaisir de
triompher des « jettatures ». Pourtant, cette fois;
peu s'en fallut qu'il ne succombât. L'un des inter-
prètes, M. Cazeneuve, fut contraint par la maladie
de rendre son rôle l'avant- veille de la répétition
générale; M. Carbonne l'apprit en huit jours,
LE GUIDE MUSICAL
235
attrapa un rhume et retarda, lui aussi, la première.
Et voilà pourquoi un ouvrage, conçu en 1888, mit
treize ans pour venir au monde.
Le succès avait été si vif le premier soir, si spon-
tané, que tout le monde s'imaginait que l'ouvrage
devait suivre tranquillement « de chemin son
petit bonhomme », selon l'amusante inversion de
Théophile Gautier, et rester longtemps au réper-
toire. Il n'en fut rien. Les trois actes se jouent
d'affilée, dans un seul et même décor, à la façon
classique, et durent une heure et trente-trois mi-
nutes en tout : il faut donc compléter la soirée par
un autre ouvrage d'égale dimension. Il parait qu'il
en existe peu de ce genre; je soupçonne qu'on ne
veut pas les chercher ni les voir là où ils sont.
Bref, le Légataire universel eut, en 1901, sept repré-
sentations, et une seule l'année suivante. Souvent,
en igo3 et 1904, on en annonça la reprise (surtout
après le succès qu'il avait eu à la Monnaie de Bru-
xelles), on le répéta avec différentes distribu-
tions, et chaque fois, le sort s'acharnant, pour une
cause ou une autre, la - partition, lassata necdum
satiata, remonta dans les archives du théâtre.
Le 8 mars 1905, elle en est redescendue. De
tout cœur je souhaite qu'elle demeure longtemps
« devant les chandelles », parce qu'en vérité elle le
mérite. La musique de M. Pfeiffer est aimable d'un
bout à l'autre, vive, spirituelle et absolument scé-
nique. Ecrite de verve, sans prétention, elle est
d'une facture toujours distinguée. Je ne jurerais,
pas qu'elle soit partout très originale, mais elle ne
tombe jamais dans la banalité. Le compositeur est
homme de goût et de savoir; il n'a pas abusé des
formes archaïques, il les a employées discrètement
là seulement où il les fallait ; enfin, l'instrumenta-
tion ne manque ni de finesse ni de variété. Que
voulez- vous de plus? N'oubliez pas que vous
entendez un « opéra bouffe », car, en ces temps
moroses où l'on s'ennuie avec délectation, M.
Pfeiffer a eu la hardiesse de donner ce titre à son
ouvrage ; il a voulu tenter d'amuser ses contem-
porains et il y a réussi.
La distribution a été modifiée dans quelques
rôles. A la place de Mlle de Craponne, créatrice de
Lisette, nous avons M1Ie Tiphainey et la gentille
Mlle Vauthrin succède à Mlle Eyreams, qui a
laissé de si bons souvenirs ici : l'interprétation est
donc toujours très bonne. M. Cazeneuve, qui
avait été désigné, comme nous l'avons dit plus
haut, pour chanter Eraste et qui avait dû céder
son rôle à M. Carbonne, le reprend aujourd'hui et
le tient avec un goût parfait. M. Huberdeau rem-
place bien M. Jacquin, mais M. Gourdan ne rem-
place pas du tout M. Grivot. Mme Pierron-Danbé,
M. Mesmacker continuent de personnifier gaîment
la duègne et l'apothicaire. Pour M. Jean Périer, il
reste le Crispin verveux, leste, élégant, oui,
élégant, qu'il était à la création, avec plus d'auto-
rité encore, un Crispin inimitable.
Julien Torchet.
— L'Opéra-Comique donnera au mois de mai
les Armaiïïis de M. Doret et la Cabrera de
M. G. Dupont. Immédiatement après ces deux
œuvres passera la Marie-Magdeleine de Massenet,
qu'on travaille activement et que chantera
Mme Emma Calvé.
AUX VARIETES. — Neuvième spectacle de
la saison d'opérette française, avec Miss Heïyett,
représentée ici pour la première fois. Il est plus que
superflu de reparler ici de la musique d'Edmond
Audran, et de cette partition trop facile d'inspi-
ration, en général, mais parfois spirituelle et d'un
tour amusant. Alternant avec les Dragons de l'Impé-
ratrice, elle n'est pas sans offrir quelques contrastes,
mais le public ne les déteste pas. La distribution
nouvelle, surtout, est piquante et donnera à ce
succès légendaire un regain de curiosité dont il
profitera. C'est Mlle Eve Lavallière qui se montre
à nous sous les traits de Miss Helyelt, consacrée
longtemps par Biana Duhamel ; c'est Mme Tariol-
Baugé qui prête sa belle voix et sa verve à la belle
Manuela, et la senora est magnifiquement per-
sonnifiée par Mme Marie Magnier. M. Albert Bras-
seur a voulu le rôle de James, « l'homme de la
montagne », et il y est impayable, à son habitude;
M. Paul Fugère est le pasteur Smithson, M. Dam-
brine, le beau Puycardas, enfin M; Alberthal,
Paul Landrin. Ici, j'exprime un regret et une
surprise : n'avoir pas demandé au créateur du rôle,
M. Piccaluga, de reprendre ce personnage qu'il a
joué un millier de fois avec tant de succès, me
paraît nettement inexplicable. Ne faisait-il pas
encore dernièrement partie de la troupe des
Variétés? Les dernières représentations de Miss
Helyett à Paris sont celles de la Renaissance,
en 1901. On sait qu'elle avait été créée aux Bouffes
en 1890 et jouée plusieurs années de suite.
H. de G
CONCERTS DU CONSERVATOIRE. —
Après une fort bonne exécution de l'ouverture de
Coriolau, la suite en si mineur de Bach, que la
Société donnait intégralement pour la première
fois, reçut du public l'accueil qu'il fait toujours à
ces pièces d'un rythme si vigoureux et si précis.
236
LE GUIDE MUSICAL
Ajoutons que l'excellent flûtiste M. Hennebain
fut couvert d'applaudissements après la Polonaise,
le Menuet, et surtout la célèbre Baiinerie, où ce fut
véritablement merveille de l'ouïr et de savourer
ses « passages », comme eût dit La Fontaine.
Les quatre dernières Béatitudes n'eurent pas
moins de succès que les quatre premières, bien
qu'elles soient peut-être plus inégales. Tout
en constatant que, dans l'ensemble de l'œuvre, le
métier n'est pas toujours à la hauteur du génie.,
nous n'en féliciterons pas moins, l'orchestre tour à
tour puissant et nuancé, les chœurs, qui furent tout
à fait bons, puis M. Daraux, Christ impeccable,
M. Cornubert, dont la voix vigoureuse et timbrée
sonna aussi bien dans les soli que dans les ensem-
bles, et enfin Mlle Eléonore Blanc, remarquable
dans l'Ange du pardon comme dans la poignante
éploration de la Mater dolorosa. Ajoutons que
M. Frolich prêtait sa belle voix à Satan.
J. d'Offoël.
. CONCERTS LAMOUREUX. — La Damnation
de Faust est, comme on sait, devenue une institution
nationale. De même que Faust de Gounod, à
l'Opéra, Carmen à l' Opéra-Comique, l'Artésienne à
l'Odéon, elle assure toujours une salle comble à
nos concerts symphoniques. M. Chevillard a refusé
beaucoup de monde dimanche dernier. Il en refu-
sera encore dimanche prochain.
L'interprétation a été très bonne. On sent que
rien n'est laissé à l'imprévu, que les répétitions
sérieuses n'ont pas été ménagées. Il nous semble
que chez M. Colonne, après tant d'exécutions,
l'œuvre n'est plus jouée avec autant de précision
et de soin. Il y a un peu de laisser-aller. Ici, les
chœurs et l'orchestre sont parfaits. Mme Raunay a
eu un succès mérité. Elle a toujours une voix sym-
pathique et le sentiment exact de la musique qu'elle
chante. MM. Lafiitte et Fournets ont été à la hau-
teur de leurs rôles et ont eu leur part dans le
succès général. F. G.
CONCERTS COLONNE. — Joué par les
doigts merveilleux de M. Diémer, l'archet très
classique de M. Firmin Touche, la flûte enchan-
tée de M. Barrère, et accompagné par l'orchestre
Colonne, un concerto de Bach est un ravis-
sement pour l'oreille, une chose délicieuse,
exquise, qu'aucune louange ne saurait égaler.
Encore sous l'impression de cette œuvre, et lassé
sans doute d'applaudir, le public, toujours fidèle au
précepte de M. Faguet, que a c'est un crime que
d'encourager les jeunes gens », a fait un accueil
très froid à l'Elégie pour orchestre de M. Armand
Marsick. La notice imprimée au programme nous
dit que ce musicien, né 1877, fait partie de l'orches-
tre Colonne et qu'il est fils de Louis Marsick, de
Liège, à la mémoire duquel le morceau est dédié.
Il nous a paru que cette Elégie, moins funèbre et
plaintive que dramatique et véhémente, était le
très honorable début d'un compositeur dont la
personnalité n'est pas encore dégagée ; la main
du violoniste s'y fait sentir, non pas tant par l'im-
portance du rôle assigné aux instruments à archet
que par la longueur et l'amplitude des thèmes,
qui s'étalent à la surface de la trame orchestrale
plutôt qu'ils ne s'y fondent et s'y développent
symphoniquement.
Comme le dimanche précédent, le concert
commençait par l'ouverture du Carnaval romain, et
se terminait par cette admirable Rédemption, que
M. Colonne a eu jadis l'honneur de faire connaître
au public et qu'il sait aujourd'hui lui faire aimer.
Michel Brenet.
SOCIÉTÉ PHILHARMONIQUE. — L'année
concertante appartient à Beethoven. Comme pré-
lude au grand festival qui exécutera toutes ses
symphonies, voici le Quatuor Joachim qui vient
de nous convier à l'audition intégrale des seize
quatuors ; et l'on peut penser quel succès d'enthou-
siasme les salles combles de ces cinq séances, ont
fait aux quatre artistes éminents: Joseph Joachim,
Halir, Wirth et Haussmann.
Aussi bien, ce sont déjà d'anciennes connais-
sances pour nous, et nous n'en sommes ici ni à
révéler leur talent, ni même à renouveler la forme
des éloges qu'on leur peut adresser. Il y a des
artistes qu'on n'accueille pas avec des jugements
et des raisonnements, mais avec des remercie-
ments, soit pour le plaisir qu'ils nous donnent, soit
pour les leçons que leur talent prodigue à leurs
confrères en art. M. Joachim est de ceux-là, et le
nombre d'artistes venus pour l'entendre, comme la
foule pressée d'amateurs accourue pour l'applaudir,
prouve son action bienfaisante et son irrésistible
autorité. Nous savons d'ailleurs qu'il a fait école;
on en pourrait nommer plus d'un, parmi nos
artistes de Paris, violonistes précisément, qui
après lui se sont voués à glorifier la musique la
plus élevée, les plus purs chefs-d'œuvre, sans
vaine recherche de l'effet, du virtuosisme, sans
autre souci que l'absolue perfection de l'esprit et
du rendu des œuvres exécutées.
Cette perfection absolue de la compréhension de
l'œuvre de Beethoven, en même temps que l'exé-
cution raffinée, sobre et impeccable de la parti-
tion, telle est la première impression qu'on ressent
LE GUIDE MUSICAL
237
à l'audition des quatuors par ces artistes. Aucune
partie, aucune note, n'est ni laissée dans l'ombre,
ni mise en valeur aux dépens des autres; tout
sonne avec une égale pureté, à sa place, dans le
commun souci de la beauté de l'ensemble, du style
plein de goût qui convient à cette musique ; sans
grands effets d'ailleurs, sans grand éclat, — n'ou-
blions pas que la musique de chambre est déjà
presque hors de sa place dans une salle de con-
cert, et que jamais on n'est en droit de la trouver
trop discrète, — mais avec une légèreté, une
délicatesse absolument délicieuses. Le violon de
M- Joachim, en particulier, trouve des sonorités,
des glissés d'un charme tout à fait rare. C'est un
pur régal.
Les quatuors ont été exécutés dans l'ordre sui-
vant : Lundi i3 mars : n0» 1 (op. 18), 12 (op. 127)
et 8 (op. 5g) ; mardi 14 : nos 3 (op. 18), 9 (op. 5g),
i3 (op. i3o); mercredi i5 : nos 4 (op. 18), 2 (op. 18),
11 (op. 95), 16 (op. i35); jeudi 16 : n0s 6 (op. 18),
7 (op. 5g), i5 (op. i32); samedi 18 : nos 5 (op 18),
10 (op. 74), 14 (op. i3i). De la sorte, les trois
manières de Beethoven étaient, chaque fois, suc-
cessivement étudiées. H. de C.
&
— Le vendredi 24 février, la Schola Cantorum
donnait son concert mensuel, consacré cette fois à
la musique italienne du xvne siècle. Au programme,
un ballet de Monteverdi, Tirsi e Clori; la Rosaura
de Scarlatti et le Couronnement de Poppée, le dernier
opéra de Claudio Monteverdi.
Le Couronnement de Poppée est l'histoire des amours
coupables de Néron et de Poppée, femme d'Othon.
La mort de Sénèque, qui a eu l'audace de repro-
cher sa conduite à l'empereur; le bannissement
d'Othon et d'Octavie, femme de Néron, sont les
points culminants du drame.
Le Couronnement de Poppée est un des premiers
opéras « historiques », mais il faut prendre le mot
opéra dans son sens propre — propre à tous
égards, — car, malgré quelques courts passages où
la composition semble vouloir fleureter avec la
vocalise, cette œuvre est d'une tenue tout à lait
haute et noble. Les parties récitatives sont tou-
jours pleines d'émotion et d'une justesse expres-
sive que n'ont pas dépassée les plus grands maîtres
anciens ou modernes. Pourtant, tout cela est
simple ; quelques dessins d'orchestre, souvent
chromatiques, suffisent à caractériser d'une ma-
nière poignante les différents états d'âme, parfois
terribles, des personnages de ce drame.
La déclamation musicale est à ce point judi-
cieuse que l'on ne peut s'empêcher de songer à
celle de certains drames ultra-modernes.
La vie déborde dans cette œuvre, la vie avec
ses alternatives de tristesse et de joie. On y trouve
même un certain comique de bon aloi (notamment
dans la scène II du premier acte) qui est comme
un modèle charmant de ce que devrait chercher la
comédie lyrique, encore non réalisée, hélas !
Monteverdi a été servi, il est vrai, par un livret
de premier ordre, dans lequel les caractères sont
traités d'une main aussi légère que ferme. La pas-
sion ardente, langoureuse, féline de Poppée, la
sagesse digne et hautaine de Sénèque, font un
habile contraste avec la torpeur d'Othon et
l'abattement, un instant révolté, d'Octavie.
Ces personnages ont été interprétés par Monte-
verdi avec un rare sens des proportions et des
couleurs. Il suffirait pour s'en rendre compte de
comparer la scène si sombre de la mort de
Sénèque avec le duo délicieux et tout ensoleillé du
Page et de la Damoiselle.
Comme cette musique est délicate et simple !
Aucune complexité polyphonique, pas de thèmes
se chevauchant mutuellement, comme nous ont
appris à le faire des musiciens venus des pays de
brumes, rien que des touches savoureuses et justes,
où la loi des contrastes, si importante dans le
drame, est religieusement observée. C'est, pour
parler comme Nietzsche, de la musique « médi-
terranéenne ».
L'interprétation, confiée à Mmes Legrand, Piron-
net, Hugon, Flie et à MM. David, Gebelin, Cor-
nubert et Bourgeois, fut excellente.
Il faut hautement louer M. Vincent d'Indy
d'avoir, après YOrfeo, fait connaître cette belle
œuvre aux fervents du grand Art. D. de S.
Puisque nous parlons des intéressantes exécu-
tions de la Schola, ajoutons que la quatrième des
six séances de piano consacrées à Bach, Rameau,
Scarlatti... par Mlle Blanche Selva, a eu lieu le
mardi 21, avec un programme des plus variés et
pittoresques qui soient : une sonate biblique de
Kuhnau (1660-1722), neuf pièces de clavecin de
Couperin, quatre de Rameau et huit de Scarlatti,
la Parttta en ut mineur de Bach, et du même, deux
préludes et fugues du Clavecin bien tempéré et le
concerto en ut mineur pour deux pianos (avec
M. Marcel Labey).
Le mardi suivant, ce sera le tour des séances
de musique de chambre, la troisième, qui compor-
tera, outre un trio de Beethoven, celui « à l'archi-
duc Rodolphe », exécuté par M. Vincent d'Indy,
pour le piano, avec MM. A.. Parent et F. Dressen,
pour le violon et le violoncelle, deux œuvres de
I
238
LE GUIDE MUSICAL
M. d'Indy, son Poème des montagnes, pour piano,
pittoresques pages que rendra Mlle Marthe Dron,
et sa sonate (en ut) pour piano et violon, que le
compositeur exécutera lui-même avec le concours
de M. Armand Parent.
— Il n'est pas exagéré de dire qu'en France, on
ne connaît de la musique allemande contempo-
raine que quelques œuvres de Richard Strauss et
d'Humperdinck. Pour ne citer que quelques noms,
nous ignorons Bruckner, Mahler et ce si curieux
Hugo Wolf, dont M. Romain Rolland évoquait la
saisissante figure jeudi dernier à l'Ecole des
Hautes Etudes sociales.
Wolf a vécu quarante-trois ans, mais il n'a
produit que pendant trois ou quatre. Son œuvre
se compose d'environ deux cents Lieder et d'un
opéra-comique. Il commença à publier en 1887,
puis s'interrompit cinq ans (1891-1895), devint fou
en 1897 et mourut, sans avoir recouvré la raison, en
1903. En littérature et en musique, il fut son propre
maitre, sans piano et sans autres livres que ceux
des bibliothèques. Cependant, il lut beaucoup et
étudia toute la musique moderne. Jusqu'à sa
maladie, on ne le connut guère à Vienne que par
■ses articles dans le journal mondain, le Sdlonblatt,
où il attaqua avec violence Brahms et son école,
leur reprochant leur haine de toute nouveauté.
Enfin, durant ses années de folie, sa musique
commença à se répandre, en Allemagne, et il était
célèbre, sans en avoir rien su, quand la mort le
délivra. Exalté par ceux qui l'avaient le plus
combattu, apprécié et chanté dans toutes les
classes de la société, glorifié dans de nombreux
Wolfvereine, il est aujourd'hui connu de tous les
Allemands. En France, on ignore presque son nom.
Il est, par excellence, le Tondichter de Wagner.
Pour lui, la musique doit s'incorporer, s'identifier
à la poésie. Depuis Mozart, aucun musicien ne
s'est mieux assimilé l'intime pensée d'un poète.
Quelquefois même il la dépasse, l'exagère. On
conçoit donc qu'il ne se soit pas inspiré de poèmes
médiocres et que même des œuvres consacrées ne
l'aient pas musicalement ému. Il fut toujours
spontané et sincère.
Si sa conception du Lied est toute wagnérienne,
ses procédés ne le sont pas. Chez lui, le chant et le
piano sont, mélodiquement, presque indépendants,
bien qu'ils se complètent et ne puissent se séparer.
Il rend ses impressions avec force, presque avec
âpreté et rudesse. D'ordinaire, une phrase assez
développée de piano forme un épilogue, une con-
clusion au Lied. En résumé, sa musique sort d'une
âme toute moderne et très complexe. Il fait penser
à un Schubert fortement influencé par Schumann
et par Wagner. Il a moins de recherche pitto-
resque, mais il sent et exprime plus profondément
l'essence même du poème.
Ce n'est là qu'un court résumé de la conférence
très intéressante et très vivante de M. Romain
Rolland. Elle a été illustrée d'une vingtaine de
Lieder de Wolf fort bien chantés par M. Jean Reder
et MUe Palasara, que M. Romain Rolland a accom-
pagnés lui-même au piano. F. Guérillox.
©
— Mme Nina Faliero-Dalcroze a donné un réci-
tal le 6 mars, à la salle Pleyel. Le récital, mot
importé d'Angleterre, est, vous le savez, un con-
cert où l'on n'entend qu'un seul artiste, instrumen-
tiste ou chanteur. Le degré de talent de l'interprète
en fait tout l'agrément ou tout le déplaisir. Il
répugne à de très grands artistes d'occuper à eux
seuls un programme entier, autant par modestie
que par crainte de fatiguer l'auditeur. D'autres s'y
résignent pour éviter la tâche malaisée d'obtenir
le concours de camarades ou de rivaux, et de les
réunir le même soir. Ne nous plaignons pas de ce
que Mme Dalcroze ait chanté de suite vingt mélo-
dies : elles étaient bien choisies dans le répertoire
des maîtres, et la cantatrice les a dites avec un
style finement nuancé et beaucoup de grâce et de
charme. L'interprétation à fleur d'âme de certains
Lieder de Schubert (L'Amour a menti), de Schumann
(Au loin) et de Brahms (Ode saphique et Voneiviger
Liebe), n'était peut-être pas tout à fait celle
qu'il eût fallu ; mais la voix de la cantatrice est
d'un si joli timbre, surtout dans les demi-teintes
(A la lyre, de Schubert, les Berceaux, de Fauré,
Sérénade inutile, de Brahms), que la joie presque
physique d'écouter de belles notes l'a emporté sur
le regret de ne pas toujours ressentir la totale émo-
tion que doit faire naître une musique d'une
expression aussi intense.
A une musicienne de ce mérite, je me permettrai
de signaler encore l'indécision tonale avec la-
quelle elle a chanté Geheimes, le Lied célèbre de
Schubert, connu en France sous le titre de Secr.et.
On sait que la mélodie passe alternativement du
majeur au mineur pour revenir au mode majeur
initial. Or, je ne suis pas très sûr que Mme Dal-
croze ait donné à la note déterminante {ut bémol;
LE GUIDE MUSICAL
23g
la justesse que commande impérieusement le
changement de modalité. N'importe, son succès a
été très vif, et, après les Nuages, d'Alexandre
Georges, et deux chansons populaires romandes,
de Jaques-Dalcroze, si franches de rythme, l'ai-
mable artiste a été rappelée et couverte de fleurs
et d'applaudissements. T.
— La Société de musique de chambre pour
instruments à vent (fondation Paul Taffanel) a
donné chez Pleyel, le g mars, sa deuxième séance.
Cinq œuvres étaient portées au programme. Du
Chant élégiaque pour hautbois et piano de G. Alary,
peu de chose à dire, si ce n'est que M. Bleuzet,
fort bien accompagné par M. Grovlez, a, grâce à
l'élégance de son jeu, rendu presque intéressante
cette page inoffensive. La suite pour piano et
quintette à vent de Ch. Quef est bien plus per-
sonnelle ; Yandaniino n'offre rien de saillant, niais
Vallegro et le rondo en style fugué, curieusement
rythmés, font penser à la conversation de gens
d'esprit qui ont assez d'idées pour se passer de
faire des mots. Cette œuvre a été bien accueil-
lie, ainsi qu'un Andante et Choral pour harpe
chromatique avec accompagnement de quintette à
cordes et à vent, de Charles Lefebvre ; le premier
morceau surtout a beaucoup plu, pour sa jolie
sonorité, pour l'ampleur du thème initial et pour
la belle envolée de la fin Mme Wurmser-Delcourt
et le quatuor Soudant, en prêtant leur concours à
la Société, se sont montrés dignes d'elle. Le Ter-
zetlino pour harpe, flûte et alto de Théodore
Dubois a retrouvé le succès qu'il avait déjà
obtenu à la matinée Danbé du 21 décembre der-
nier; sauf Mlle Renié, remplacée par Mme Wurmser-
Delcourt, les interprètes étaient les mêmes qu'à la
matinée du théâtre de l'Ambigu : c'est assez dire
l'admirable exécution de la charmante harpiste et
de MM. Gaubert et Migard. L'auteur, reconnu
dans la salle, a été l'objet d'une touchante ovation ;
les marques de; sympathie s'adressaient autant au
compositeur de tant d'œuvres remarquables qu'au
directeur du Conservatoire, dont la retraite pro-
chaine, rendue publique le matin même, laisse de
si vifs regrets.
Pour terminer le concert, on a exécuté la Rani-
mer-symphonie (musique de chambre) pour piano et
quintette à cordes et à vent, de Wolf- Ferrari.
Exécutée avec un ensemble merveilleux et
une incomparable perfection, sous la direction
précise et ferme de M. Philippe Gaubert, le nou-
veau chef de la Société des Concerts, cette œuvre,
pleine de verdeur et de jeunesse, a produit grand
effet. Julien Torchet.
— Mercredi 8 mars, à la salle ^Eolian, M VI. La-
zare Lévy et Nestor Lejeune ont donné un très
intéressant concert de piano et violon, où des
œuvres de Bach, de Veracini (suite en mi mineur)
et Locatelli (suite en ré mineur) ont mis en relief
leurs qualités très sûres et très souples. M. Le-
jeune, dont la partie était la plus importante a
montré de la délicatesse, de la grâce, avec un son
léger, un peu pointu peut-être et joli sans émotion.
M. Lazare Lévy nous a donné une fois de plus
l'impression d'impeccabilité et de puissance, sans
variété et sans grande personnalité encore, que
nous ressentons à ses diverses exécutions. Mais
quand on a autant d'étoffe que lui, on a droit à
bien du crédit.
Le vendredi 10, c'était, à la salle Erard, le tour
de M. Staub, dont il n'est guère possible encore de
louer la variété de style ni même l'impeccabilité,
mais d'ailleurs la hardiesse, la force facile, les
doigts légers et rapides. La composition de son
programme n'était pas très heureuse. Du Diémer,
duThéodore Dubois (thème varié), la barcarolle de
Chopin, la Rhapsodie espagnole de Liszt, un nocturne
de Pierné, une romance de Fauré, la polonaise en
mi de Liszt, qui finissait bien une séance assez pa-
nachée. Une jeune cantatrice, Mlle d'Espinay a in-
terprété d'une voix légère, étendue et puissante,
quoique fragile, les Ailes de Diémer, qui ont fait
plaisir, et deux pièces de M. Staub, Tendresse et Si
je t'aime, qui ont paru charmantes. Le concert a,
d'ailleurs, remporté un très vif succès, devant une
salle comble. C.
— Dimanche, dernier, à l'Association des Con-
certs Le Rey, M.Viaidot, qui conduisait l'orchestre,
a donné une exécution très satisfaisante de la
.symphonie en ut mineur de Beethoven. Puis
l'excellent violoniste Lucien Capet a joué la suite
pour violon et orchestre de César Cui; cette
œuvre charmante, d'une inspiration colorée, admi-
rablement encadrée de dessins harmoniques déli-
cats, a remporté un succès considérable, grâce
aussi à l'interprétation parfaite de M. Capet; il
faut signaler surtout, le dernier motif, Tarentelle,
d'une légèreté périlleuse, plein de rythmes et de
timbres amusants au possible.
Virtuose, M. Capet est en même temps un com-
positeur doué d'un tempérament où la sobriété
n'exclut pas l'élévation du sentiment; il a conduit
un poème symphonique de sa composition, intitulé
Le Rouet, où l'auteur a voulu décrire les souvenirs
240
LE GUIDE MUSICAL
d'amour de Marguerite ; certains passages en sont
intéressants et empreints d'une poésie calme et
profonde ; l'orchestration est souvent heureuse.
Mlle Jeanne Blancard a exécuté sans grande
puissance les Djins, page grandiose et délicieuse
de César Franck, écrite supérieurement pour piano
et orchestre.
L'Enterrement d'Ophélie, une des meilleures et des
plus pures inspirations de Bourgault-Ducoudray, a
obtenu son succès accoutumé. Ch. C.
— M. Massarenti Alboni, violoniste, neveu de
la célèbre cantatrice, a donné chez Erard une
séance de musique variée où les mélodies italiennes
de Puccini et de Giannarello alternaient avec la
sonate de Franck, le concerto de Max Bruch, la
sonate Clair de lune de Beethoven. M. Alboni ne
manque pas de mécanisme, mais la sonorité est
maigre malgré l'effort ; de plus, rien n'est plus
désagréable pour l'auditeur que d'entendre accor-
der continuellement le violon pendant le cours
d'un morceau. Le jeune violoncelliste Richet, qui
prêtait son concours à ce concert, a dû bisser la
Danse des Elfes de Popper ; il a exécuté ce casse-cou,
d'ailleurs ravissant, avec une sûreté et un brio
tout à fait réussis.
— Mlle Hélène-M. Luquiens a donné le
samedi 11, au Cercle Amicitia (rue du Parc
royal1, un très intéressant concert, où sa belle
voix et son goût d'artiste de style ont fait valoir à
merveille des pages classiques ou contemporaines,
l'air des Noces de Figaro ou des morceaux de Léo
Sachs, des Lieder de Brahms ou de Schumann, des
mélodies de Schubert ou de Gustave Doret et de
René Lenormant. Comme intermèdes, Mmes Du-
pont-Colle et Renée Lénars, MM. Polack et Ca-
sella, dans la Sonate à Kreutzer, un Aria de Bach,
du Chopin, du Scarlatti, une Fantaisie italienne de
Nérini (Mlle Lénars), etc.
— M. Georges Enesco est, sans conteste, parmi
les jeunes violonistes de notre époque, un des vir-
tuoses les plus remarquables. Peut-être pourrait-on
désirer une meilleure qualité de son, un peu moins
d'abus du vibrato et une plus constante justesse.
Mais, je le répète, la technique, tant celle de la
main gauche que celle de l'archet, est tout à fait
transcendante. Aussi M. Enesco a-t-il comme en
se jouant, exécuté le lourd programme de son
premier récital, qui commençait par une sonate de
Tartini et le Prélude et Fugue en sol mineur de
Bach; dans la fugue surtout, il a été absolument
supérieur.
Mais pourquoi faut-il que son programme com-
prît, entre ces deux belles œuvres, un concerto de
Ernst d'une lamentable médiocrité, et les célèbres
variations de Paganini sur Nel cor fiiii non mi sento,
qui ne sont qu'un fastidieux tissu d'acrobaties anti-
musicales? M. Enesco s'est tiré tout à son honneur
de l'amas de difficultés qui hérissent ces deux
œuvres; mais, vraiment, il aurait pu trouver autre
chose à jouer. De la part de l'excellent musicien
qui double cet excellent violoniste, pareils erre-
ments sont inexplicables. J. A. W.
— Le second récital de M. Enesco a été donné
par lui le mercredi i5, avec un programme qui
peut donner lieu aux mêmes éloges et aux mêmes
critiques, mais une exécution d'ailleurs toujours
magistrale : une sonate de Nardini, un caprice de
Pennequin, l'Aria de Bach et la Passacaille de
Hœndel, la Partita en mi majeur de Bach et la
Danse des Sorcières (le Stregghe) de Paganini.
— M. Joseph Debroux, le remarquable virtuose
que l'on connaît, s'est adonné à la recherche et à
l'étude des maîtres français du violon au xvme
siècle. La sonate ancienne n'a plus de secrets pour
lui, et l'on peut dire qu'il la possède au bout des
doigts ; bien mieux, il la sait et la joue par cœur, et
le surprenant, c'est que, malgré la ressemblance et
presque l'uniformité du style, il ne commet jamais
une faute de mémoire.
Le deuxième récital qu'il a donné, salle Pleyel,
le 8 mars, était composé, comme le premier, des
sonates de Jean-Marie Leclair, Jean-Baptiste Se-
nallié, François Francœur et L'Abbé le fils. Je ne
saurais dire en quoi diffère le talent de ces char-
mants petits maîtres. La sonate de l'un me paraît
continuer la sonate de l'autre, et je suis tenté d'at-
tribuer toutes les œuvres au même musicien. Peut-
être, si je les avais plus étudiées, aperce vrais-je
mieux ce qui les distingue. Je n'en jurerai pas,
mais il me semble toutefois que la musique de Jean-
Marie Leclair est plus originale, d'un style plus
ferme et plus élevé que celle de ses contemporains.
Dans sa sonate en la majeur, j'ai noté une sara-
bande très expressive, et dans une autre sonate, en
mi mineur, un adagio orné d'un élégant contrepoint
confié au piano.
Il ne faut pas croire que de l'audition de cinq so-
nates successives ilrésulte de l'ennui. Non, on ferme
les yeux, on rêve et l'on voit en imagination défiler
des jupes à panier, de longs corsages en pointe, de
LE GUIDE MUSICAL
241
hautes coiffures poudrées, avec des flots de rubans
vert-tendre, rose-thé, bleu d'azur. C'est exquis ; et,
comme M. Debroux a le son pur, l'archet délicat,
le style simple et sans passion, ainsi qu'il convient
dans ce genre de musique, et qu'il est accompagné
délicieusement au piano concertant par M. Cathe-
rine, on passe deux heures charmantes dans l'oubli
du présent et le regret des époques disparues.
T.
— Deux jeunes virtuoses, MM. Jean Canivet et
Paul Oberdœrffer, donnent chaque année chez
Pleyel une séance de sonates pour piano et violon.
Le concert du 11 mars était court, le programme
ne comportant que trois œuvres. Deux sonates —
en «£ mineur, de Jean Huré, et en la majeur, de
César Franck — sont trop connues pour qu'il soit
besoin d'en parler de nouveau. Il n'en va pas de
même d'une sonate en ré mineur de Joseph
Ryelandt, dont les artistes nous offraient une pre-
mière audition. L'œuvre est intéressante, sagement
écrite, sobrement développée ; Yandante surtout a
beaucoup plu à cause de sa simplicité. MM. Cani-
vet et Oberdœrffer sont des artistes consciencieux :
ils jouent « proprement », ce qui dans ma pensée
n'est pas un mince éloge, et font preuve d'un bon
style. T.
— Mlle Andrée Gellée comprend profondément
la musique qu'elle joue ; elle a de grandes qualités
d'exécution et surtout une très jolie sonorité. Son
programme, à la salle Erard, était sévère et com-
prenait notamment la Fantaisie chromatique de Bach,
puis les œuvres 110, 111 et la sonate Aurore de
Beethoven. Les auditeurs ont été charmés par
Y adagio de l'op. 110, et par quelques variations de
Y adagio de l'œuvre 111, admirablement interpré-
tées. H. de C.
— La deuxième conférence de notre collabora-
teur M. D. Calvocoressi sur la musique russe aura
lieu à l'Ecole des Hautes Etudes sociales, 16, rue
de la Sorbonne, le jeudi 23 mars, à 8 h. 45 très
précises.
On y entendra des mélodies de Moussorgsky,
Borodine, Balakirew, Rimsky-Korsakow, chan-
tées par Mlle Louise Thomasset. Le Quatuor Lu-
quin y exécutera le scherzo [mi mineur) de Boro-
dine et M. Ricardo Vines y jouera les curieux
Tableaux d'une exposition de Moussorgsky, incon-
nus en France, et Islamey de M. Balakirew.
— Notre correspondant de Vienne, le distingué
compositeur Johannès Scarlatesco, est en ce mo-
ment à Paris, où il va donner, le lundi 27 mars, à
la salle Lemoine, 17, rue Pigalle, un très intéres-
sant récital de ses œuvres, avec le concours de Mlle
Maritza Rozann et de MM. G. Enesco, Gille et Ca-
sella Nous rendrons compte de ce beau concert,
dont le programme comporte de la musique de
piano et de chant, notamment une Rapsodie roumaine,
arrangée pour piano à quatre mains, que l'artiste
exécutera lui-même avec M. Enesco, des pièces de
piano de style ancien, des mélodies roumaines, etc.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
MIle Brozia a été très favorablement accueillie
dans le rôle de Marguerite de Faust. Ce n'est pas
qu'elle ait fait oublier ses plus illustres devanciè-
res, mais on a reconnu en elle des qualités per-
sonnelles, une justesse d'expression, un talent
dramatique qui lui ont valu un vif succès. La voix,
sans être très puissante, est d'un timbre agréable,
et l'émission est excellente dans toute l'étendue des
registres.
Lahné a été l'occasion d'applaudissements cha-
leureux pour M. David, et il les a mérités autant
par la qualité de sa voix que par la perfection avec
laquelle il l'a conduite. Jamais il ne fut meilleur
dans ce rôle, qui compte parmi ses créations les
plus appréciées. Mme Lalla Miranda nous est
revenue, et on ne saurait sans plaisir l'écouter
vocaliser avec une étonnante pureté; elle a des
notes d'un timbre délicieux et elle serait tout à
fait admirable si elle apportait un peu de passion
dans ses rôles.
M. Charles Dalmorès, remis de l'indisposition
qui l'a éloigné depuis trois semaines, a repris jeudi
avec autorité le rôle de Jean dans Hérodiade, et le
public lui a prouvé par de longs applaudissements
toute sa sympathie.
Le programme de la semaine comprenait en ou-
tre Martille avec le Légataire universel.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, la Basoche;
le soir, Hérodiade; demain lundi, Faust; mardi
Mignon; mercredi, reprise de Hamlet. Incessam-
ment le Postillon de Lonjumeau. R. S.
CONCERT DELUNE. — Il faut vraiment
admirer l'habileté avec laquelle M. Louis-Fl. De-
lune s'est tiré de la cinquième symphonie (ut mi-
neur) de Beethoven ; si tout n'était point parfait, si
l'impression de grandeur et de sublime n'a pas été
242
LE GUIDE MUSICAL
toujours atteinte, il faut louer néanmoins les qua-
lités d'homogénéité et de rythme dont l'orchestre
a fait preuve sous la direction énergique de son
jeune chef.
Les deux danses slaves de Dvorak ont paru
particulièrement intéressantes, et M. César
Thomson a fait applaudir sa technique remar-
quable dans des concertos de Tartini et de Brahms.
S.
— Donner un piano-récital dans la vaste salle de
l'Alhambra, si propice aux grandes auditions or-
chestrales, n'était pas chose ordinaire. M. Mark
Hambourg, encouragé par ses succès antérieurs,
n'a pas hésité devant cette audacieuse entreprise.
Et celle-ci lui a été de tous points favorable.
L'avis à peu près général, au concert de diman-
che dernier, fut que le réputé pianiste n'avait pas
encore affirmé jusqu'ici, à côté de la virtuosité
transcendante — phénoménale presque — que tout
le monde lui reconnaît, une pareille compréhen-
sion des œuvres interprétées. Si, dans les mouve-
ments rapides, il n'a pas toujours su résister à cette
sorte d'entraînement vertigineux qui lui fait perdre
presque le sentiment du rythme, il a eu, dans les
piges d'expression — telles les marches funèbres des
sonates en la bémol de Beethoven et en si bémol
de Chopin, — des accents d'une pénétrante émo-
tion, soulignés par une grande richesse de sono-
rité. Le piano Erard qu'ont fait vibrer ses doigts
agiles, au toucher d'une articulation si nette, si
martelée ^ était un nouveau spécimen, à cordes croi-
sées de la production de la célèbre maison fran-
çaise; et cet instrument fit merveille, malgré les
vastes proportions du vaisseau de l'Alhambra.
Il serait trop long d'analyser l'interprétation
fournie par M. Mark Hambourg des nombreux
morceaux qui figuraient au programme de cette
séance. Les deux heures que dura celle-ci parurent
courtes aux nombreux auditeurs accourus pour
applaudir le distingué pianiste, grâce à la variété
d'une exécution fertile en surprises et où les impres-
sions purement artistiques voisinaient avec l'affir-
mation d'une virtuosité de la fantaisie la plus dé-
bridée.
On a fait à M. Mark Hambourg un succès
enthousiaste, chacun donnant d'ailleurs ses pré-
férences à tel ou tel aspect de ce talent d'ordre
éminemment composite. - J. Br.
— Belle séance du Quatuor Zimmer, mercredi
dernier, à la salle Allemande.
D'abord, le quatuor en mi majeur de Witkowsky,
une œuvre très touffue, qui manque peut-être un
peu de cohésion, mais qui renferme de très belles
pages, surtout, dans les troisième et quatrième
parties, deux mouvements alertes et vigoureux.
Le quatuor en mi bémol majeur de Mozart,
d'une si jolie inspiration, est trop connu pour y
revenir.
Pour terminer, la quintette avec clarinette de
Brahms, une œuvre puissante et grandiose du
maître de Hambourg.
Ces trois œuvres ont été magnifiquement inter-
prétées et ont valu au Quatuor et à M. Hannon,
professeur de clarinette au Conservatoire, un
franc et légitime succès. J. T.
— La séance Engel-Bathori était consacrée,
cette semaine, aux mélodies de Schubert.
Nous avons entendu, toujours avec le même
plaisir, le Départ, le Roi de Thulé, le Roi des Aulnes.
Mme Bathori a interprété le Voyage d'hiver, com-
posé de dix mélodies bien connues, mais toujours
intéressantes, dans lesquelles la Poste, le Tilleul et
le Joueur de vielle, tiennent la première place. La
Jeune Religieuse et Marguerite au rouet lui ont valu
de vifs applaudissements. J. T.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le Théâtre lyrique flamand a
commémoré solennellement, samedi, le
quatrième anniversaire de la mort de Peter Benoit.
Il y avait, hélas! beaucoup de vides dans la salle,
et ceci n'est pas à l'honneur des dilettantes anver-
sois. Comme on n'avait pu monter un drame lyri-
que du regretté compositeur flamand, on a donné
un acte de Princesse d'auberge sous la direction de
M. Blockx et un acte de Quentin Messys dirigé par
M. Wambach.
L'orchestre, ensuite, nous a fait entendre des
fragments de Charlotte Corday, que M. Keurvels
dirige avec toute la piété et le respect qu'il
éprouve pour l'incontestable génie de Benoit.
Enfin, une apothéose, fort artistiquement réglée
par M. Engelen, a provoqué l'enthousiasme du
public et clôturé cette soirée commémorative.
Le Théâtre royal a repris dans d'excellentes
conditions Guillaume Tell, avec MM. Boulogne,
De Lerick, Grommen, Lataste, Viroux et Radoux ;
Mlles César, Lejeune et Daubray. A signaler aussi
le gros succès obtenu par la reprise du Voyage en
Chine. On ne montera plus cette année le nouvel
LE GUIDE MUSICAL
243
opéra de M. d'Harcourt : Le Tasse, notre falcon,
Mme Dhumon, ayant dû résilier son engagement
par suite d'indisposition grave.
La semaine dernière a eu lieu, au Jardin zoolo-
gique, un fort brillant concert, consacré à des
œuvres de Berlioz et de Benoit et auquel M. Judels
prêtait son précieux concours. G. Peellaert.
— Le pianiste Maurice Geeraert a donné mer-
credi soir, devant le public de la Société royale de
Zoologie, une audition fort réussie.
L'artiste, dont on ne saurait assez vanter le
mécanisme savant, a mis dans son jeu une sobriété
qui a fait ressortir davantage la science technique
de l'instrumentiste et le sentiment distingué de
l'artiste.
M. Maurice Geeraert a donné du concerto en la
mineur de Rob. Schumann une interprétation
toute de verve et d'éclat ; il a surmonté avec une
aisance très remarquée les grandes difficultés qui
fourmillent dans Yallegro vivace.
G AND. — La deuxième symphonie en ré
majeur de Brahms, qui figurait au pro-
gramme du concert du Conservatoire, a obtenu
un beau et franc succès. On ne sait qu'admirer
le plus, ou de la belle péroraison de Yallegro du
début, ou de l'adagio, dans lequel une même idée
empreinte de la même mélancolie est promenée à
travers des tons, des rythmes différents, ou du
scherzo, un des caprices les plus ravissants qui
puissent être imaginés, ou du très coloré et puis-
sant finale. On eût pu souhaiter un peu plus de
vie dans le scherzo, mais l'exécution qu'en a donnée
M. Mathieu n'en est pas moins intéressante.
Puis Mlle Annie de Jong est venue jouer avec un
sûreté impeccable un concerto que Dvorak a
écrit pour le violon. Nous regrettons que MIle de
Jong, que nous entendions pour la première fois,
ait choisi une œuvre où la virtuosité tient une
place trop prépondérante, alors que la littérature
du violon compte tant de concertos d'une valeur
musicale incontestablement supérieure. Ceci
ne nous empêche pas de reconnaître les très
sérieuses qualités dont Mlle de Jong a su faire
preuve : sonorité exquise, mécanisme étourdissant
de précision et un grande ampleur du jeu. Son
programme comportait encore VAhendlied de Schu-
mann et le Mobile perpetunm de Ries, où elle a pu
faire admirer la grande légèreté de son coup
d'archet. L'ouverture des Maîtres Chanteurs, puis la
merveilleuse ouverture de Coriolan ont complété
l'intéressant programme, un des plus beaux qu'ait
composés M. Mathieu.
Le conseil communal a nommé M. Marquet
directeur du Théâtre royal de Gand pour la saison
prochaine. Marcus.
HUY. — Le dernier concert du Cercle des
Beaux-Arts a permis d'applaudir deux
solistes de marque : le pianiste Louis-Fl. Delune
et le violoncelliste Marix Loevensohn.
L'auditoire exceptionnellement nombreux a fait
à M. Delune un gros succès pour son exécution,
toute classique, de la chaconne de Haendel, du
Prélude et Caprice de Scarlatti et de l'impromptu
avec variations de Schubert, et il a apprécié le
charme et l'élégante fantaisie qui ont marqué l'in-
terprétation de la ballade en la bémol de Chopin.
M. Marix Loevensohn n'a pas été moins chaleu-
reusement accueilli. Il a joué en véritable artiste,
avec une belle ampleur de son, le célèbre Aria de
Bach et, en compagnie de ses élèves, des transcrip-
tions pour deux et trois violoncelles des belles
sonates pour violons de Haendel, dans lesquelles
M. Mawet a tenu à la perfection la partie de
piano.
IA HAYE. — L'Opéra royal français de
J La Haye a enfin donné la première repré-
sentation de la Tosca de Puccini, qui a été un véri-
table triomphe pour Mlle Scalar dans le rôle de la
Tosca. M. Marcoux, dans le rôle de Scarpia, a
obtenu, lui aussi, un très grand succès. Le ténor,
M. Dangosse (Cavaradossi), n'a pas toujours été
heureux. Les petits rôles ont été bien tenus. Les
chœurs et l'orchestre bons. Les décors et la mise
en scène sont splendides.
Au Théâtre italien, on nous a donné les reprises
du Barbier de Séville, l'immortel chef-d'œuvre de
Rossini, de Mefistofele de Boïto et du Ballo m
maschera de Verdi.
Cette semaine aura lieu le premier concert à la
cour, où se feront entendre deux artistes néer-
landais, la charmante chanteuse Mlle Julia Culp,
le ténor M. Jos. Tyssen, actuellement au théâtre
de Hambourg, et le jeune pianiste M. Egon Pétri,
fils du violoniste néerlandais Henri Pétri, résidant
à Dresde.
L'exécution du Jugement dernier, l'oratorio de
l'abbé Perosi, a été un véritable événement. La
partition contient des pages intéressantes; elle
est bien écrite pour les voix et heureusement
orchestrée ; mais il y a tout lieu de croire que la
prophétie des Italiens, qui saluent en l'abbé Perosi
un nouveau Palestrina, leur donnera de grosses
désillusions. L'exécution du Jugement dernier
mérite de sincères éloges; Perosi est un chef
244
LE GUIDE MUSICAL
d'orchestre calme et autoritaire, évitant tout ce
qui semble viser à l'effet. Les chœurs et l'orches-
tre se sont fort bien tenus ; les solistes, dont deux
appartiennent au Théâtre italien, Mles Occiolini
et Barbi, et un ténor néerlandais, M. Renaud, de
notre Conservatoire, n'ont pas toujours été à la
hauteur de leur tâche.
Au huitième concert de la société Diligentia.
le violoniste Jacques Thibaud a interprété avec
autant de poésie que de perfection le premier
concerto de Max Bruch et la Habanera de Saint-
Saëns. On nous a fait entendre au même concert
une scène pour baryton et orchestre, Vondels vaart
naar Agrippina, sur un poème d'Alberdingh Thym,
par Alphonse Diepenbrock.
La Société pour l'Encouragement de l'art musi-
cal a exécuté dans son second concert, sous la
direction d'Anton Verhey avec le Residentie Orkest
de La Haye, le Chant de la cloche de Vincent d'Indy
avec le concours de Mlle Constance Lacueille,
MM. Cazeneuve et Adelin Firmin. Cette exécu-
tion a été un succès triomphal pour le ténor
Cazeneuve, qui a provoqué, après son solo Chante
à jamais la sublime Harmonie et l'étemelle Vérité, une
explosion d'enthousiasme.
A la dernière matinée symphonique donnée
par M. Viotta avec le Residentie Orkest, M. Char-
les van Isterdael a obtenu un très grand succès
par son interprétation impeccable d'une Fantaisie
de M. Viotta et surtout de la sixième sonate en la
majeur de Boccherini. Ed. de H.
LIÉGK. — Les dernières semaines de février
et les premiers jours de mars ont vu se suc-
céder, à notre Théâtre royal, quantité d'œuvres
lyriques surtout du répertoire moderne, toutes
présentées dans une correction rare. Citons entre
autres, la Fiancée de la mer, qui s'achemine vers sa
quinzième, Louise, Carmen, Lakmé, Cavalleria, Sapho,
Paillasse, la Vie de Bohème, le Barbier et la Dame
Hanche. Malgré une distribution vocale qui réunis-
sait d'excellentes cantatrices : Mmes Lacombe et
Catalan, les chanteurs Perrens, Lestelly, Kar-
loni, Viguié, le Prophète n'a guère porté. Une
reprise de Sapho a fourni à M'"e Lagard, l'occasion
d'affirmer plus encore sa personnalité ; elle fut, du
reste, remarquablement secondée par le ténor
Geyre. Le rôle de Valentine, des Huguenots, avec
le concours de la brillante cantatrice Mme Fierens-
Peeters, nous a valu une des belles soirées de la
saison.
M. Dechesne, nous assure, pour le 24 mars,
Werther avec M. Ernest Van Dyck. Terminons en
disant que le public a fait un accueil très favorable
au ballet inédit, Les A mours de Colombine, écrit par un
jeune compositeur belge, M. Max Guillaume, qui
possède une inspiration facile et une technique
adroite. Prochainement, reprise demandée de
Princesse d'auberge, sous la direction de M. Jan
Blockx. A. B. O.
— Au concert de bienfaisance organisé par le
Cercle musical des Amateurs, on a vivement
applaudi Mlle Eisa Homburger, qui a chanté d'une
voix pure, facile, très bien conduite, un air de
Haendel, du Schubert, du Grieg, du Berlioz, et
M. Paul Kochansky, violoniste, qui a exécuté avec
un merveilleux brio le concerto en ré de Paganini
et le Trille du Diable deTartini.
NANCY. — Les derniers concerts du Con-
servatoire nous ont fait entendre une série
d'œuvres de tout premier intérêt. Il y a quinze
jours, M. Ropartz nous donnait, outre une reprise
de la belle symphonie en si bémol de Schumann,
les préludes de l'Ouragan de M. Alfred Bruneau.
Si la description de la tempête paraît d'un pitto-
resque trop prévu et tout extérieur, nous avons,
par contre, pris grand plaisir aux charmantes et
aimables sonorités soit du premier morceau, soit
de la fin du second. On a beaucoup goûté ensuite
le concerto en fa majeur de Bach, pour violon,
hautbois, trompette et orchestre, qui a été inter-
prété avec une remarquable virtuosité par MM.
Jamar, Longprets, Foucault et Delfosse, et dont
Vandante et surtout le finale fugué sont admirables
de pureté et de douceur ou de joyeuse allégresse.
Des fragments du premier et du second acte de
Y Orphée de Gluck complétaient ce beau programme
et nous ont procuré l'occasion d'applaudir le beau
talent et le style impeccable de Mme Marty, qui a
été fort bien secondée soit par les chœurs, soit par
l'orchestre.
Il y a huit jours, une séance de musique de
chambre donnée par M. Cortot et par les frères
Fernand et René Pollain nous a donné une pre-
mière audition d'un intérêt exceptionnel : une
sonate de piano et violoncelle de M. J. Guy-Ro-
partz. Je serais bien étonné si cette œuvre ne con-
quérait pas une rapide popularité. Je n'hésite pas,
pour ma part, à la mettre, avec la sonate pour
piano de Dukas, parmi les œuvres de musique de
chambre les plus remarquables de ces dernières
années. On est dès l'abord conquis par la superbe
allure de la première partie et l'héroïque vigueur
LE GUIDE MUSICAL
245
de son thème principal exposé brusquement avec
une souveraine grandeur, sans introduction dès
les premières mesures du morceau. On se laisse
entraîner, aussi, dans les tourbillons du magnifique
et puissant finale. Mais je goûte, pour ma part, plus
que tout le reste, l'admirable adagio dont la déso-
lation infinie émeut profondément : rien de plus
navrant que cette détresse qui s'étale, sans révolte,
sans sursauts de désespoir, sans une lueur d'espoir,
comme une lande aride qui s'étend à perte de vue,
morne, sous les rayons mortels d'un soleil impla-
cable. Les deux exécutants, MM. Cortot et Fernand
Pollain,se sont l'un et l'autre surpassés et l'œuvre,
supérieurement interprétée par eux, a obtenu le
plus éclatant succès ; il me paraît difficile qu'ils ne
le retrouvent pas partout où ils porteront cette
composition, qui vaut non seulement par la beauté
de sa forme artistique, mais aussi parce qu'elle est
profondément sentie et « vécue ». Toute la séance
a du reste été d'un intérêt soutenu. On se souvien-
dra longtemps de la merveilleuse exécution que
M. Cortot a donnée de la célèbre polonaise, op. 53.
de Chopin, ainsi que du beau trio de Franck, qu'il
a joué avec les frères Pollain. Ces excellents
artistes nous ont donné une sensation d'art vrai-
ment précieuse et rare et qui leur a valu les plus
chaleureuses ovations du public.
Dimanche dernier enfin, l'orchestre du Conser-
vatoire nous a fait entendre pour la première fois
la curieuse ouverture du Faust de Wagner, dont
on a suivi avec intérêt le développement psycho-
logique. Un aimable et gracieux poème de M. Co-
quard, Voix du soir, nous a permis d'apprécier le
bel organe et la diction expressive de M. Georges
Dantu Enfin, M. Ropartz nous a donné une excel-
lente reprise du Faust de Liszt, qui a retrouvé
auprès du public son succès d'autrefois ; la deu-
xième partie, notamment, a été un pur enchante-
ment, et le choeur final avec les splendides phrases
du ténor, fort bien dites par M. Dantu, a produit
l'effet le plus imposant. H. L.
TOURNAI. — Un concert très intéressant
et très réussi a été donné samedi en notre
ville.
Le programme était fort copieux, mais il a
néanmoins satisfait tous les auditeurs.
Le chant y était représenté par Mlle Danielle
Paternoster, l'excellent soprano, acclamée après
la cavatine du Barbier de Séviïïe, les variations de
Proch et le duo de Manon, qu'elle a chanté avec le
jeune professeur du Conservatoire royal de Gand
M. Léo Vander Haegen. Celui-ci s'était également
produit avec succès dans l'air des Bijoux de Lahnê
et dans deux mélodies intéressantes l'une, {Sommeil
en paix) de sa composition, l'autre (Si lu veux!) de
M. Ludovic Stiénon du Pré.
Un brillant premier prix de flûte du Conserva-
toire de Paris, M. Bouillard, de Lille, a joué dans
la perfection une sonate de Haendel, le solo des
Champs élysées de Y Orphée de Gluck et une gra-
cieuse Libellule de Mme Alphonse de Neuville.
Et, chose assez rare en notre ville, mais qui
démontre que petit à petit le goût du public s'y
affine davantage, c'est à la musique de chambre
qu'est allé surtout le succès de cette belle soirée.
On aurait voulu bisser, si le programme n'avait
déjà été un peu long, le quatuor de Beethoven et
le quintette de Schumann, magistralement exécutés
par le Quatuor tournaisien (MM. Lilien, Landas,
Lempers et Paternoster) et le nouveau professeur
de piano de notre Académie, M. Jules Detournay.
J. DUPRÉ DE COURTRAY.
%
rpOULOUSE. — Le théâtre du Capitole
\ vient de monter, dans de fort bonnes condi-
tions d'interprétation, la Troupe Jolie ceur, de M. Ar-
thur Coquard. L'ouvrage a porté — et beaucoup
même — sur le public, et les musiciens particu-
lièrement ont pris un vif intérêt à l'audition de
cette partition, toute de clarté et de probité artis-
tique. Cette œuvre et Grisélidis (qui va atteindre
sa quinzième représentation) seront les deux suc-
cès très réels, très francs et j'ajoute très légitimes
de cette saison, qui va prendre fin dans six se-
maines.
Dans ma dernière chronique, je vous parlais du
troisième concert donné par la Société du Conser-
vatoire, et je crois avoir dit que jamais la salle
du Capitole n'avait vu autant d'auditeurs. Il faut,
aujourd'hui que je renchérisse encore sur ce fait
pour rendre compte du succès du dernier concert,
qui comprenait d'abord la symphonie en ré mineur
de César Franck, dont l'exécution, absolument
supérieure, valut à M. Crocé-Spinelli et à son
merveilleux orchestre une double ovation; l'ou-
verture de Proméihée, de Beethoven, l'esquisse de
Borodine : Dans les steppes de l'Asie centrale et la
Marche du sacre de Charles VII de Paul Vidal,
œuvre toute archaïque dans sa contexture initiale,
soulignée d'harmonies savoureuses et soutenue
par une instrumentation d'un coloris chatoyant.
Et, après la partie purement symphonique,
M. Lucien Capet a été couvert d'applaudissements
après une prestigieuse exécution du caprice d'Er-
246
LE GUIDE MUSICAL
nest Guiraud, de la romance de Svendsen, d'une
Rapsodie piémontaise de Sinigaglia et de la fugue de
la première sonate en sol mineur, pour violon
seul, de Bach.
Après lui, M. Boulo, du théâtre du Capitole,
traduisait dans un style tout classique l'air à'Iphi-
génie en Tauride de Gluck et mettait au service de la
cavatine du Prince Igor, de Borodine, un sentiment
des plus délicat. Omer Guiraud.
NOUVELLES
Un jeune médecin, M. F. Vielle, a soutenu
l'autre semaine, à l'université de Lyon, sa thèse
de doctorat en médecine avec un travail qui avait
pour titre et pour sujet l'État mental de Beethoven.
— Un marchand d'autographes de Paris a eu
dernièrement, paraît-il, le bonheur de mettre la
main sur le manuscrit de la troisième ballade de
Chopin, en la bémol majeur. La composition porte
ce titre, écrit de la main du maître : 3me ballade
pour le piano-forte, dédiée à Mlle Pauline de Noailles par
F. Chopin. Œuv. 4J . La troisième ballade a été
composée en 1841. La contesse de Noailles était
du nombre des élèves préférées de Chopin.
— Le théâtre de Mayence a joué le Crépuscule
des Dieux sous la; direction de M. Volbach, et la
même œuvre a été donnée pour la première fois à
Copenhague.
— Le Timbre d'argent de Saint-Saëns a été joué
comme nouveauté à l'Opéra de Francfort.
— On nous écrit de Vienne ":
« Le Quatuor Schorg, dans sa deuxième soirée,
a présenté le nouveau quatuor de Leone Siniga-
glia. C'est une œuvre pleinement réussie et char-
mante dans toutes ses parties. Les thèmes ont une
chaleur méridionale, les développements coulent
de source et sont traités avec connaissance du
style classique ; dans le scherzo comme dans le der-
nier allegro, nous trouvons cet art savant de ménager
les ascensions des idées mélodiques pour en obte-
nir les meilleurs effets, qui nous révèle un compo-
siteur ayant vraiment le don du style de la musique
de chambre. L'œuvre remporta un grand succès,
dont l'heureux auteur est en partie redevable à ses
admirables interprètes. »
— A l'occasion d'une exposition industrielle, la
ville d'Orléans annonce un festival permanent de
musique qui aura lieu, dans l'enceinte de cette ex-
position, du 7 mai au x5 août prochain. Il sera
ouvert aux fanfares, harmonies, symphonies d'au
moins vingt musiciens, chorales d'hommes ou fem-
mes, chorales mixtes d'au moins trente exécutants,
sociétés de trompettes, trompes de chasse et estu-
diantinas. Les exécutions auront lieu tous les di-
manches ; quarante-trois primes et cent médailles
seront distribuées. Les adhésions doivent être
adressées avant le 20 avril.
— Mme Hedwige Niemann, la femme du fameux
ténor wagnérien Albert Niemann, vient d'être
atteinte d'aliénation mentale et a dû être enfermée
à Berlin dans une maison de fous. Tragédienne
remarquable, elle s'appelait Hedwige Raabe, et
Niemann l'avait épousée en 1870, après avoir
divorcé d'avec sa première femme, Marie Seebach,
qui était elle-même une actrice distinguée. Mme Nie-
mann, beaucoup plus jeune que son mari, qui est
né en i83i, est âgée de 58 ans.
— M. Julius Waldt, écrivain, rédacteur du
Journal de Salzbourg, à Salzbourg (Autriche), Berg-
strasse, 12, nous demande de publier l'appel ci-
après : « Documents sur Mozart! Le soussigné se
propose, à l'occasion du i5oe anniversaire de la
naissance de Mozart, de faire paraître un recueil
renfermant des jugements sur l'art et sur le tempé-
rament artistique du maître... Il prie en consé-
quence les compositeurs, professeurs, écrivains,
directeurs de théâtre, etc., etc., de répondre aux
questions suivantes : i° Quelle est votre opinion
sur Mozart et sur ses productions artistiques?
2° Quel est, dans l'œuvre de Mozart, l'ouvrage
que vous préférez (quel est le rôle qui a vos pré-
dilections)? Toute communication, si modeste
qu'elle soit (vers, prose, etc.), sera bien accueillie. »
— Le théâtre municipal de Francfort donnera
un festival Wagner du 10 au 3i mai, qui com-
prendra Rienzi, le Vaisseau fantôme, Tannhauser,
Lohengrin, les Maîtres Chanteurs, Tristan et Isolde et
l'Anneau du Nibelung.
— La ville de Fribourg (Suisse) vient d'ouvrir
un conservatoire de musique sous la direction de
MM. Ch. Delgouffre et Ed. Favre. Soixante-
quinze élèves se sont fait inscrire.
— Grâce à l'initiative éclairée de M. Barrère,
ambassadeur de France à Rome, le Quatuor
Joachim donnera bientôt au Palais Farnèse les
seize quatuors de Beethoven.
LE GUIDE MUSICAL
227
— On s'occupe en ce moment, à Berlin, de
l'établissement d'une Bibliothèque musicale impé-
riale, dans laquelle on réunira toutes les œuvres
publiées ou qui se publieront par toute l'Alle-
magne. On annonce que soixante-douze maisons
d'édition sont prêtes à mettre gratuitement à la
disposition de la nouvelle bibliothèque toutes
leurs publications.
— On peut voir en ce moment, à Leipzig, dans
l'atelier du - sculpteur Max Klinger, l'auteur du
monument en marbre polychrome de Beethoven,
la maquette de la statue de Wagner qui doit être
érigée devant l'ancien théâtre de la ville. La^statue
sera drapée et mesurera 4m2o de hauteur, non
compris le piédestal, haut de imgo. Le bloc de
marbre du Tyrol dans lequel elle doit être
taillée, a coûté 5o, 000 francs.
— Notre correspondant de Constantinople,
l'asdvazadour G. Harentz, a épousé cette semaine
Mlle Aroussiag Evrenian. La bénédiction nuptiale
a été donnée à l'église arménienne de Kadi-
keny.
— M. Manuel Garcia a été nommé, à l'occasion
de son centenaire, grand-croix de l'ordre d'Al-
phonse XII, et l'empereur d'Allemagne lui a con-
féré la grande médaille d'or pour les arts et les
sciences.
NECROLOGIE
Le 14 février dernier est mort à Munich Max
von Erdmannsdorffer. Né le 14 juin 1S48, à Nu-
remberg, élève du Conservatoire de Leipzig,
ensuite maître de chapelle dans plusieurs villes
importantes, il a contribué puissamment à faire
connaître les œuvres de Liszt, Berlioz, Brahms,
Raff, Saint-Saëns et d'autres compositeurs moder-
nes ou contemporains. Il a dirigé des concerts en
Russie et occupé différents postes importants
comme professeur et comme chef d'orchestre. Il
est resté jusqu'à sa mort à la tête de. la grande
société chorale fondée par Henri Porges en 1886.
Compositeur, il a écrit des œuvres chorales,
une ouverture, des morceaux de piano, des
mélodies. Il a consacré, en 1903, de concert avec
sa femme, qui est une excellente pianiste, un
capital de cent soixante mille francs à une fonda-
tion en faveur de la caisse des pensions de l'orches-
tre de la cour, à Munich.
— Nous avons le regret d'apprende la mort de
M. Minvielle, le jeune ténor de l'Opéra-Comique,
qui faisait la saison actuelle au Grand-Théâtre
d'Alger, où il obtenait un vif succès.
M. Minvielle a été enlevé en quelques jours par
une fièvre typhoïde.
— Nous apprenons la mort à Blase witz, près de
Dresde, à l'âge de 71 ans, de Louise Bochringer,
une ancienne élève d'Alary et de Duprez, qui
chanta longtemps à la Scala de Milan, puis à Ber-
lin, à Wiesbaden, à Brunswick, à Dessau.
— Le pianiste Bruno Zwintscher, ancien pro-
fesseur au Conservatoire de Leipzig, vient de
mourir en cette ville à l'âge de 67 ans; il était
élève de Moschelès, de Plaidy et de Hauptmann \
il avait publié une méthode excellente : Etudes
te cliniques.
lPfa nos et ibarpes
Brucelles : 6, rue latérale
parts : rue ou flftail, 13
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Tannhâuser; Roméo et Juliette; Sigurd;
Lohengrin.
OPÉRA-COMIQUE.— Werther; La Traviata, Ca-
valleria rusticana ; Les Dragons de Villars ; L'Enfant-
Roi; Le Jongleur de Notre-Dame, Hélène; L'Enfant-
Roi; Manon; L'Enfant-Roi.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice; Miss
Hélyett (première, à ce théâtre, mardi).
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Troi-
sième grand bal masqué; Faust; Lakmé; Hérodiade ;
Martille et Le Légataire universel; Lakmé.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT. —
Madame l'Archiduc.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 19 mars. — Concerts Colonne : Requiem de
Berlioz; Ave Maria de Max Bruch (M™ Lola Rally) ;
Concerto de Lalo (M. Ch. Baretti) ; Air de la Comtesse
228
LE GUIDE MUSICAL
des Noces de Figaro de Mozart (Mme Rally) ; Ouverture
des Noces de Figaro de Mozart.
— Conservatoire : Quatorzième concert sous la direc-
tion de M. Georges Marty. — Ouverture de Coriolan,
Beethoven; Suite en si mineur, J.-S. Bach; Les Béati-
tudes, César Franck (soli : M^s Eléonore Blanc et
Narçon, MM. Cornubert, Paul Daraux, Louis Frœlich,
Millot, Bernard et Narçon.
— Concerts Lamoureux, sous la direction de M. Ca-
mille Chevillard : La Damnation de Faust de Berlioz,
avec le concours de M^ Raunay, MM. Laffitte, Four-
nets, Sigwalt.
BRUXELLES
Dimanche 19 mars. — A 2 h., au Conservatoire : Sym-
phonie en si bémol majeur, Mozart; Concerto pour deux
clavecins avec accompagnement d'instruments à cordes,
J.-S. Bach (MM. De Greef et Gurickx); Chants pour
voix de femmes, avec accompagnement de deux cors
et harpe, op. 17, Brahms ; Symphonie italienne en la ma-
jeur, Mendelssohn.
Lundi 20 mars. — A 8 y h., à la Grande Harmonie :
Récital de piano donné M. Hugh Del Carril. Au pro-
gramme : Bach-Busoni, Beethoven, Chopin, Mendels-
sohn, Schumann, Liszt.
Mercredi 22 mars. — A 8 ^ h., à la Grande Harmo-
nie : Concert avec orchestre, sous la direction de M.
Albert Dupuis, consacré aux œuvres de P. Tschaï-
kowsky, donné par MM. M. Geeraert, pianiste et F.
Mora, violoniste, avec le concours de M. M. Loeven-
sohn, violoncelliste. Programme : Ouverture solennelle
pour orchestre; Concerto en ré majeur pour violon;
Variations sur un thème rococo pour violoncelle; Con-
certo en si bémol pour piano; Marche du Couronnement
pour orchestre.
Vendredi 2\ mars. — A S Y2 h., Salle Erard : Troi-
sième et dernière séance de sonates donné par Mlle
Louise Desmaisons, pianiste, et M. Louis Angeloty,
violoniste. Au programme : Sonates en fa mineur, Bach;
la .majeur, Brahms; et /«majeur (à Kreutzer), Bee-
thoven.
Dimanche 26 mars. — A 2 heures, au Théâtre royal de
la Monnaie, Concert populaire sous la direction de
M. Sylvain Dupuis : Le Songe de Gerontius, oratorio
d'Edward Elgar (première audition en français) avec le
concours de Mme Laffitte, de MM. Laffitte et Bourbon,
de M^es Carlhant, Colbrant, Cortez, Tourjane, Udellé
et Van Dyck ; de MM. Crabbé, Disy, François et Lu-
bet, du Théâtre royal de la Monnaie et des chœurs du
théâtre.
Lundi 27 mars. — A 8 y h., à la Salle Erard : Soirée
de musique flamande par Mlle Jeanne Van den Bergh,
MM. Georges Surlemont, Jos. Watelet, et avec le con-
cours de Mne A. Béon. An programme : Œuvres de
Peter Benoît, H. Waelput, G. Antheunis, Edward
Keurvels, Lod. Mortelmans et Frank Vander Stucken.
Mardi 28 mars. — A 8 y2 h., à la Grande Harmonie :
Récital de violon par Paul Kochanski.
— A 8 y h., à la salle Erard : Concert donné par
MM. Gaston Waucampt, pianiste et Georges Liégeois,
violoncelliste, avec le gracieux concours de Mlle g.
Florany, cantatrice. Au programme : Boëlimann, Max
Bruch, Popper, Bach, Piatti, Beethoven, Gounod,
Schubert, Chopin, G. Waucampt.
Jeudi 30 mars. — Salle Erard : Troisième concert du
Cercle du Quatuor vocal et instrumental. Programme
classique comprenant : Sonate et duo de Haendel, Trio
de Spohr, Chant élégiaque à quatre voix de Beethoven,
un duo de Mignon et des Lieder de Schubert, ainsi
qu'une sonate pour violoncelle de Mendelssohn.
Vendredi 31 mars. — A 8 y h., à la salle Erard ;
Audition d'oeuvres de Peter Benoit, organisée par M.
Ed. Barat, pianiste, avec le concours de Mlle Jeanne
Van den Bergh, cantatrice, et M. Hippolyte Vinck,
flûtiste.
Dimanche 2 avril. — A 2 h., au théâtre de l'Alhambra :
Cinquième concert Ysaye sous la direction de M. W.
Mengelberg, chef d'orchestre du Concertgebouw d'Am-
sterdam, et avec le concours de M. Raoul Pugno, pia-
niste. Programme : Symphonie n° 3 (Eroïca), L. Van
Beethoven; Concerto en mi bémol, W. A. Mozart (M.
R. Pugno); Psyché, fragments symphoniques, C. Franck;
Variations symphoniques, C. Franck (M. R. Pugno);
Ouverture de Tannhâuser, R. Wagner.
Jeudi 6 avril. — A 8^ h., à la Grande Harmonie ;
Séance annuelle de piano par M. Joseph Wieniawski.
Au programme : Schubert, Field, Weber, Chopin,
Moniusko, Rubinstein, Hasndel, Schumann, Mendels-
sohn, Wieniawski, Liszt.
ANVERS
Dimanche 19 mars. — A 1 y h., au Théâtre Royal :
Concert populaire, avec le concours de Mlle Jeanne
Flament. — Symphonie n° 3 de Max Bruch ; Weihnachts-
Oratorium de J.-S. Bach (MUe Flament) ; Trois danses
allemandes de Mozart; Zigeunerlieder de Brahms (Mlle
Flament ; Procession et Eénédiction de la mer (Fiancée
di la mer) et Scène du Carnaval [Princesse d'auberge) de
Blockx; Marche Hans Memlinc de Waelput.
Mercredi 22 mars. — A 8 y h., à la Société royale de
Zoologie : Audition de Venise de Ch. Radoux, pour réci-
tant, soli, chœur mixte, orgue, piano et cordes. Projec-
tions lumineuses.
— En l'Eglise Allemande (rue Bex) : Récital d'orgue
donné par M. Bernard ten Cate, avec le concours de
MHes Fulleners, cantatrice, et Strack, violoniste.
Mercredi 29 mars. — A 8 y h., à la Société royale de
Zoologie : Festival Vincent d'Indy, sous la direction de
l'auteur, avec le concours de Mme Fierens, de M. L.
Swolfs et de M. Maurice Geeraert, pianiste.
GAND
Samedi 1er avril, — A 8 h., Quatrième concert d'abon-
nement sous la direction de M. Ed. Brahy avec le con-
cours de M. Ossip Gabrilowitch, pianiste.
LILLE
Dimanche 19 mars. — Concert populaire : Festival Jan
Blockx sous la direction de l'auteur. Progamme : Jour
de kermesse, poème symphonique en trois parties; deux
mélodies (Mme Mikaëlly); Triptique symphonique;
Barcarolle de l'oratorio Un Rêve du Paradis (chœur);
Feuille d'album pour orchestre; Deux mélodies (Mme Mi-
kaëlly;; Carnaval de Prhicesse d'auberge.
TOURNAI
Dimanche 26 mars. — A 3 h., à la Société de Musique,
Exécution intégrale du Faust de Schumann. Interprètes :
Mlles Marcella Pregi, Paternoster, MM. Mauguière,
Daraux et L. Nivette, M mes Buyn, Artôt, et M. Vander
Haearhen.
LE GUIDE MUSICAL 2+9
BRUXELLES
Vient de Paraître :
CARL LOEWE
Ballades choisies pour une voix, avec piano
Version française par A. QeofïrOy-DaUSay"
net : fr. 5
J. B. KATTO Rue de l'Ecuyer, 46-48
Editeur de musique BRUXELLES ~v téléphone 1902
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Paroles de E. de LINGE
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F'rix : 1 ,SO franc
Editeur des Contes et Ballades, pour piano, de PETER BENOIT
en 4 cahiers. — Chaque, 3 fr. — Ouvrage complet, 1 O fr.
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VIENT DE PARAITRE :
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Prix : fr. 7.50 net
Texte français, allemand et anglais
Cet ouvrage est précédé des attestations les plus flatteuses de Buson'i, De Greef, Diémer,
JDelaborde, Philipp, Planté, Pugno, etc.
A. DURAND et fils, éditeurs, 4, place de la Madeleine, Paris
OEUVRES COMPLÈTES DE
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
Publiées sous la direction de C. SATNT-SAËNS
Pour paraître le i5 mars igo5.
Tome X. —
TRAGÉDIE en 5 actes et un prologue, paroles de LECLERC de la BRUÈRE
Ce Tome est consacré à un chef-d'œuvre de Rameau dont le succès fut considérable et
dont la réputation s'est maintenue, à juste titre, jusqu'à nos jours.
Rameau ayant en quelque sorte écrit trois fois son ouvrage, tant les changements furent
importants à la reprise de 1744, les éditeurs ont été amenés à publier, en un second volume, les-
nombreux appendices concernant Davdanns.
Sous la haute direction de M. C. Saint-Saëns, la revision générale et la réduction de piano-
ont été faites par M. Vincent d'Indy, dont la compétence et la connaissance des maîtres anciens
sont incontestées.
Trois hors-texte servent à illustrer cette publication de luxe : i° un portrait de Rameau par
Carmontelle; 20 un fac-similé de costume du temps; 3° la reproduction du frontispice de
l'édition de 1739.
Le volume est complété par un commentaire bibliographique dû à la plume autorisée de
M. Charles Malherbe, archiviste de l'Opéra.
Ces deux volumes sont mis en vente ensemble, pour les souscripteurs, au prix de 50 fr.
Les exemplaires reliés subiront une augmentation de 8 francs
NOVELLO AND COMPANY, LIMITED, Editeurs de Musique, LONDRES
Vient de paraître :
s
Poème du Cardinal NEWMAN
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fflezzo-Soprano, Ténor et liasse §©Ii, Cliceur et Orchestre
Traduction française de J. d'OFFOËL
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Parties de chœur, chaque . » » 2 5a
Livret ..." » » o 5o
Jïïfi» vente eliea tous les éttiteurs de musique
5iae année. — l^umèro i3.
26 Mars 1905.
LE
LANGAGE MUSICAL DE J.-S. BACH
L n'est personne aujourd'hui qui
n'admire l'ingénieuse et puissante
architecture des œuvres de J.-S.
Bach; et c'est un lieu commun
que de vanter sa maîtrise incomparable
dans l'art de la composition musicale, sa
science de l'harmonie et des modulations
harmoniques, la variété des rythmes qu'il
sait employer, son étonnante habileté dans
tous les genres de contrepoint, surtout sa
virtuosité miraculeuse dans l'art de la
fugue, où il est véritablement unique et ne
connaît point de rival. Mais lorsqu'on a ren-
du hommage à la beauté formelle de cette
œuvre grandiose, on se trouve placé en face
d'une question singulièrement embarras-
sante et ardue. Que signifient toutes ces
merveilleuses architectures? Devons-nous
les admirer uniquement en raison de leur
perfection technique, et serons-nous sûrs de
les avoir intégralement comprises lorsque
nous aurons pénétré jusque dans les
moindres détails le secret de leur struc-
ture? Ou bien faut-il voir dans la musique
de Bach non pas uniquement une fin en
soi, mais aussi un moyen pour exprimer
et suggérer quelque chose qui n'est pas
musique pure, un rêve, une émotion,
une vision, une pensée; — peut-on y
voir un langage dont il importe de dis-
cerner les éléments constitutifs et de
connaître le sens pour goûter en pleine
conscience les créations du vieux maître
de Leipzig? C'est à ce problème, ardu que
M. Albert Schweitzer s'est attaqué dans
les chapitres les plus captivants et les plus
neufs du beau livre qu'il consacre à Bach (1).
La solution qu'il lui donne me paraît
singulièrement ingénieuse et originale :
elle ouvre des horizons nouveaux sur l'art
de Bach et jette un jour bien curieux sur
le mystère si obscur et si attirant de la
création musicale. Essayons de résumer
les résultats généraux de ses recherches.
Il est évident, tout d'abord, qu'on n'aura
pas compris Bach tant que l'on considérera,
par exemple, son Clavecin bien tempéré
simplement comme une série d'études des-
tinées à familiariser le monde musical avec
les vingt-quatre tonalités majeures et mi-
neures,ou ses fugues comme des problèmes
de contrepoint élégamment résolus. Il y a,
(1) Joh.-Seb. Bach, le musicien- poète, par Albert Schweit-
zer; préface de Ch.-M. Widor. — 1 vol. in-8°,
10 francs. Breitkopf et Hœrtel, Leipzig et Bruxelles.
252
LEGU1DE MUSICAL
sans aucun doute, sous cette forme savante
qui fait l'admiration des hommes du métier,
mais dont les beautés en quelque sorte ma-
thématiques demeurent inaccessibles aux
profanes, un élément profondément humain.
Bach est essentiellement un génie religieux.
A une époque où, dans la classe sociale la
plus cultivée, un intellectualisme dessé-
chant, un rationalisme abstrait et de plus
en plus médiocre tendait à prendre le des-
sus, la grande âme naïve et simple de J.-S.
Bach a incarné en elle, avec une élémen-
taire puissance, cet instinct mystique tou-
jours vivace dans les masses profondes du
peuple et qui se traduit au cours du XVIIe
et du xvme siècle par l'épanouissement
graduel du subjectivisme religieux au sein
du protestantisme allemand. L'œuvre de
Bach est ainsi toute imprégnée de religion.
Elle est écrite en grande partie pour les
besoins du culte et destinée, primitivement,
à ne pas être donnée en dehors de l'Eglise.
Elle a pour base même le choral, où se ré-
sume l'effort poétique et musical du protes-
tantisme ; elle représente l'éclosion magni-
fique, au souffle d'un génie créateur
incomparablement fécond, de toutes les
possibilités musicales contenues en germe
dans la mélodie de choral. Et ce n'est point
pas un vain étalage de piété que Bach ins-
crit en tête de presque toutes ses partitions
S. D. G. (Soli Deo Gloria), ou qu'il place
en tête de son Orgclbùchlcin cette dédicace
naïve :
Dem hôchsten Gott allein zu ehren,
Dem Nâchsten draus sich zu belehren(i).
Il croit véritablement, du plus profond de
son âme, que la musique est l'art sacré par
excellence : « La basse chiffrée, dit-il dans
son cours d'harmonie, est le fondement le
plus parfait de la musique. On l'exécute
des deux mains : la main gauche joue les
notes prescrites et la main droite y joint
des consonances et des dissonances,
pour que le tout donne une harmonie agréa-
(i) En V honneur du Dieu suprême, pour l'édification du
prochain.
ble en l'honneur de Dieu et pour la réjouis-
sance légitime de l'âme. Comme toute mu-
sique, la basse chiffrée n'a d'autre fin que
la gloire de Dieu et la récréation de l'esprit;
autrement, ce n'est plus une véritable mu-
sique, maij un bavardage et un rabâchage
diabolique. » Sincèrement attaché à son
Eglise, au courant même des controverses
théologiques qui agitaient à ce moment le
protestantisme, Bach est exempt de toute
étroitesse confessionnelle : il n'est ni ortho-
doxe, ni piétiste; je ne sais même si son art
est spécifiquement protestant : il est haute-
ment mystique, largement humain. Dans
son œuvre vaste et profonde, l'instinct reli-
gieux de son peuple s'est fait musique et
chante ses tristesses et ses espoirs. Bach
a su donner une expression admirable de
profondeur et d'intensité à la nostalgie de
la mort, à l'aspiration douloureuse vers le
repos éternel, à l'immense tristesse qui sai-
sit l'âme en face du spectacle troublant du
péché et de la souffrance. Et il décrit avec
une puissance plus saisissante encore peut-
être l'allégresse débordante et triomphante
de l'âme qui a vaincu la tristesse et se ré-
pand en actions de grâces à l'auteur du
monde et de l'homme ; il dit avec une sou-
veraine majesté le sentiment le plus sublime
peut-être qui puisse remplir un cœur hu-
main, l'acceptation sereine, joyeuse, con-
fiante,reconnaissante de la destinée univer-
selle, l'immense sérénité de l'homme qui
dit « Oui » à l'existence avec le chœur su-
blime de la Messe en si mineur et peut s'é-
crier du plus profond de son être : Gloria in
excelsis Deo et in terra pax hominibus bonœ
voluntatis. Bach était un mystique obsédé
par le pessimisme religieux. Mais cet
homme robuste et sain, qui fut deux fois
marié, qui eut vingt enfants, qui composa
deux cent quatre-vingt-quinze cantates,
cinq passions et entassa dans son armoire
de la Thomasschule des monceaux de com-
positions de toute sorte, nous apparaît en
même temps comme un optimiste de grand
style qui, conscient de son inépuisable
fécondité, passa son existence à jouir sans
se lasser des richesses de son esprit et à
LE GUltLS MUSICAL
253
louer le Créateur de lui avoir donné la paix
de l'âme et le don de la musique pour em-
bellir tous les instants de sa vie...
Nul doute, en définitive, que l'œuvre de
Bach ne soit et n'ait voulu être non point
une construction de savant ou un divertis-
sement de virtuose, mais, avant tout, la con-
fession d'une grande âme, ingénue et pro-
fonde, l'expression d'une conception de la
vie. Qu'il écrivît une cantate, ou une pas-
sion, ou une fantaisie pour orgue sur une
mélodie de choral, c'est toujours un état
d'âme, non point général et indéterminé,
mais le plus souvent défini et précisé par
un texte — cantique, récit biblique, poésie
religieuse — qu'il se proposait de rendre et
d'illustrer par la musique.
Comment, dès lors, Bach va-t-il s'y pren-
dre pour illustrer les textes qui servent de
point de départ à son inspiration ?
Avant Bach déjà, nombre de musiciens
s'étaient essayés dans le genre descriptif.
Ces tendances se manifestent chez les maî-
tres italiens ou français comme aussi chez
les maîtres allemands des deux généra-
tions qui précèdent immédiatement Bach.
On voit, par exemple, les musiciens ham-
bourgeois Keiser, Matheson ou Telemann
prodiguer les descriptions orchestrales
dans leurs opéras et dans leurs oratorios;
Froberger se plaît à conter des histoires
musicales sur le clavecin; Kuhnau prétend,
dans une suite de six sonates universelle-
ment admirées à ce moment, évoquer des
épisodes de l'histoire sainte, tels que « Da-
vid et Goliath », ou « la maladie du roi
Ezéchias », ou « Gédéon, le sauveur d'Is-
raël ». Cette musique à programme n'est
pas dépourvue de valeur et, si l'on sourit
parfois de la naïveté de ces primitifs de la
musique, on n'en admire pas moins leur in-
géniosité. Mais leur commune erreur, c'est
de tomber dans l'artificiel. Ils ignorent les
ressources expressives de leur art ; ils mé-
connaissent les limites qui lui sont assi-
gnées par la nature même et qu'il ne peut
dépasser sans faire fausse route. De même
que les primitifs de la peinture s'imaginent
représenter tel épisode de l'histoire sainte
en réunissant sur leur toile tous les person-
nages qui y figurent et composent ainsi des
tableaux dont nul ne pourrait, sans le se-
cours d'un commentaire ou d'une légende
explicative, deviner la signification, ainsi
les primitifs de la musique se livrent à des
descriptions ou variations musicales qui
ne portent point leur explication en elles-
mêmes, mais dont les péripéties nécessitent
un commentaire qui annonce ce qui va se
passer. Leur langage musical, au lieu de
suggérer directement l'émotion par sa vertu
propre, n'est qu'un assemblage de signes
conventionnels, une sorte d'allégorie dont
le sens pourra bien apparaître à l'intelli-
gence avertie par les indications d'un pro-
gramme, mais qui laissera le cœur parfai-
tement indifférent.
(A suivre.) Henri Lichtenbërger.
« PARSIFAL » A AMSTERDAM
L'Allgemeine Richard Wagner Verein
vient de publier la protestation sui-
vante contre les représentations de
Parsifal à Amsterdam :
« Lorsqu'un Conried accapara l'œuvre la plus
vénérée de Wagner dans un but de sauvage spécu-
lation, les flots de l'indignation furent déchaînés.
Maintenant qu'une autre main cherche à nous
arracher encore ce patrimoine intellectuel de notre
nation, nous avons toute raison d'être plus indi-
gnés encore, car cette fois cette tentative vient
d'un pays avec lequel nous vivons amicalement
côte à côte, avec lequel nous avons beaucoup
d'intérêts communs et dont la population est de
très près apparentée à la nôtre.
» M. le Dr H. Viotta, le directeur artistique de
l'Association wagnérienne d'Amsterdam, se pro-
pose de donner une représentation de Parsifal en
Hollande.
» S'il fallait l'en croire, il ne serait guidé que par
des motifs artistiques. C'est un homme instruit, un
artiste incomparable. Il a lu les écrits, il sait la
254
LE GUIDE MUSICAL
façon de penser de Richard Wagner. Il s'est tou-
jours efforcé de rendre le plus de services possibles
à l'art wagnérien. Il prétend encore aujourd'hui
respecter l'esprit du maître.
» Il nous est difficile de le croire. Nous savons
en effet que le Dr Viotta connaît parfaitement le
désir exprimé par Richard Wagner, à savoir que
Parsifal doit toujours rester purement et simple-
ment l'apanage de Bayreuth.
» Au nom de l'Allgemeine Richard Wagner
Verein, nous protestons contre les représentations
projetées! Les moyens légaux nous manquent pour
les empêcher. Mais il est possible que ce qui n'a pu
arrêter un Conried fasse réfléchir M. Viotta. Nous
en appelons à ses sentiments de piété envers le maî-
tre vénéré par lui ! Nous en appelons au respect de
ses volontés, au désir de ses héritiers, à la nation
allemande tout entière ! Nous nous adressons aux
sentiments de convenance de l'homme éclairé et
de l'artiste, et nous espérons que, fût-ce au dernier
moment, il comprendra que la réalisation de son
projet ne peut apporter quelque honneur ni à lui-
même, ni à son Association. »
La vaillante petite revue allemande les Signale
répond excellemment à cette protestation amphi-
gourique •,
« Les véritables grands artistes sont au-dessus
de tels courants de chauvinisme. L'œuvre de
Wagner n'appartient en propre ni à Bayreuth ni à
l'Allemagne, mais au monde entier.
» Wagner, il est vrai, a exprimé le désir que
Parsifal restât exclusivement la propriété de Bay-
reuth. Il manifesta d'ailleurs les mêmes intentions
pour ses autres ouvrages. Le motif de ce désir
reposait sur cette idée que les autres théâtres ne
pouvaient que déformer ses œuvres.
» La conception de Bayreuth n'est pas liée à
Bayreuth tel qu'il existe aujourd'hui. Bayreuth est
partout où les œuvres wagnériennes sont montées
dans un esprit wagnérien.
» Si l'Allgemeine Richard Wagner Verein est
indigné des représentations de Parsifal à Amster-
dam, il doit aussi protester contre les représenta-
tions du Ring que donnent tous les théâtres
allemands et contre les exécutions fragmentaires
de Parsifal dans des concerts où l'œuvre wagné-
rienne est aussi déformée. »
On parle d'ailleurs facilement de la volonté de
Wagner; mais il n'est pas mauvais d'en rappeler
les termes exacts. Wagner a écrit au banquier
Feustel « qu'il ne voudrait jamais livrer la der-
nière et la plus sacrée de ses œuvres aux pro-
cédés inconvenants des théâtres et du public, que
Parsifal ne devrait être monté qu'à Bayreuth et
que jamais il ne devrait être donné dans d'autres
théâtres pour l'amusement du public ».
Celui qui voit dans cette phrase une défense
absolue de donner Parsifal hors de Bayreuth, la
comprend mal. Pour certains motifs, Wagner enten-
dait laisser à Bayreuth le privilège de l'ouvrage,
mais, ces motifs disparaissant, le privilège tombe
de lui-même.
M. Viotta a donné des preuves nombreuses de
sa grande conscience artistique. On peut attendre
avec confiance les représentations qu'il dirigera ;
elles serviront la gloire de Richard Wagner mieux
peut-être que certaines des manifestations que l'on
se complaît à organiser à Wahnfried. R. S.
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS COLONNE. - Tout a été dit
sur le Requiem de Berlioz. Chaque année, on
raconte l'anecdote fameuse sur la « prise de tabac »
d'Habeneck, les uns pour faire semblant de la
croire véridique, les autres sans y ajouter la moin-
dre foi. Qu'importe si ses Mémoires sont parfois en
contradiction avec ses Lettres? A l'époque du
romantisme, il devait être sincère comme le sont
les êtres doués d'une imagination effrénée. Sans
elle, aurions-nous l'histoire de sa vie aventureuse,
qui passionnait tant Gustave Flaubert, et ses pre-
mières compositions, inégales, souvent outrées,
jamais indifférentes, d'où sont sortis ses chefs-
d'œuvre, la Damnation, Roméo et Juliette et les
Troyens ?
Le Requiem ferme la série de ses ouvrages essen-
tiellement romantiques; c'est peut-être pour cela
que Berlioz le préférait à tous les autres : on
regrette toujours la dernière œuvre de sa jeunesse,
surtout celle qu'on a écrite avec le plus de joie.
Dimanche dernier, M. Colonne en a donné la
treizième audition ; il l'a dirigée avec l'ardeur et la
conviction qu'il applique en particulier aux œuvres
de Berlioz. Le Sanctus a été chanté avec douceur
par M. Cazeneuve, et l'orchestre a magnifiquement
LE GUIDE MUSICAL
255
exécuté YOfferioire, le morceau qui « surpasse
tout », selon l'opinion de Schumann rapportée par
Berlioz.
Le Requiem reste une œuvre puissante, à peine
religieuse, presque mélodramatique en certaines
parties, mal pondérée, remplie d'idées ajustées,
mais non pas développées, avec une grande fugue
assez ennuyeuse — Berlioz les abhorrait, — avec
des vocalises — il les trouvait ridicules chez les
autres, — avec une orchestration parfois bizarre
(une flûte et trois trombones sans rien au milieu),
avec une armée de timbales et de cuivres, bref,
toutes les herbes de la Saint-Jean. Le Tuba mirum
a produit sur ceux qui l'entendaient pour la pre-
mière fois un « effet foudroyant », je veux le
croire. La surprise passée, quand, aux auditions
suivantes, on s'attend à ce déchaînement de sono-
rité (quatre orchestres de cuivres), on n'éprouve
plus qu'une sensation brutale de l'oreille et non un
plaisir d'art. Il en ira toujours ainsi quand un
morceau de musique ne contiendra rien autre
chose que de la sonorité.
Dans la première partie du concert, l'ouverture
des Noces de Figaro a failli être bissée, à cause de
sa grâce souriante, d'abord, et, ensuite, pour la
façon délicate dont l'orchestre l'a interprétée.
Le concerto pour violoncelle de Lalo a valu
de nombreux rappels à M. Baretti, virtuose
populaire au Châtelet ; -le public aime ses solistes
habituels et même le concerto, à condition que
d'autres qu'eux ne viennent pas le jouer. Un Ave
Maria de Max Bruch n'a pas été mal accueilli;
on a été quelque peu surpris d'entendre une prière
aussi dénuée d'onction, voire menaçante au milieu;
mais Mme Lola Rally, cantatrice berlinoise à la
belle chevelure blonde et à la jolie voix blanche,
l'ayant chantée dans un sourire, les auditeurs ont
compris qu'il ne fallait pas trop prendre l'œuvre
au sérieux, et beaucoup applaudi l'interprète, l'air
encore plus que la chanson. Julien Tobchet.
SOCIÉTÉ NATIONALE DE MUSIQUE. —
Samedi 18 mars, dans la monastique chapelle de
la Schola Cantorum, la Société musicale célébrait
son 327e concert par la production d'une œuvre
nouvelle de son chef vénéré, M. Vincent d'Indy :
sonate pour violon. M. Guy Ropartz escortait le
maître, brandissant aussi sa sonate pour violon-
celle.
Il faut reconnaître que sous l'effort de ces esprits
élevés, sincères et sérieux, la musique de chambre
traverse une phase de transition, dans la tentative
d'un idéal très nouveau ; cet effort sera-t-il fécond,
et les enthousiastes croyants de l'art moderne
nous révéleront-ils des beautés essentielles et
inconnues ? J'avoue que jusqu'à présent, leurs aspi-
rations sont plutôt obscures et leurs indications plu-
tôt noyées de brumes. Peut-être sont-ils les jouets
d'une erreur qui les entraîne à écrire pour la mu-
sique de chambre comme pour la symphonie, d'une
recherche inquiète de la polyphonie, mieux placée
à l'orchestre, avec la variété des timbres, que sous
l'archet d'un instrument unique soutenu par la
monotone sonorité du piano. D'une intime musica-
lité, la sonate, comme le quatuor ou le trio, doit
être et doit rester la traduction claire et vivante
d'une pensée intime, d'une poésie douce, d'un
dialogue sans emphase et sain; si les ressources
grandioses de l'orchestration et des masses lui
échappent, elle a du moins l'expression sereine de
la méditation tranquille, des mouvements pro-
fonds de l'âme, de la pensée noble, infiniment
variée. C'est peut-être dans la musique de cham-
bre que le créateur met surtout de lui-même, qu'il
peut communiquer non seulement la naïveté de
son âme, mais aussi les réflexions les plus intenses
de ses sentiments et le charme de sa conversation,
Pourquoi l'alourdir ainsi qu'en un travail méta-
physique ou, plus exactement, par un labeur mathé-
matique, par une torture incessante du rythme,
pat le lieu commun des dissonances, les amputa-
tions de motifs, les remplissages harmoniques qui
n'étonnent plus personne, mais détournent l'atten-
tion et fatigvtent l'auditeur, qui s'aperçoit qu'on lui
parle pour dire qu'on connaît son métier et qu'on
est capable de parler sans sujet pendant un temps
déterminé? Nous ne ferons pas à M. d'Indy, dont
on connaît la sincérité, le reproche de dire que sa
sonate paraît écrite pour quelques snobs ; d'autant
qu'elle comporte des dessins extraordinairement
exquis. Mais encore qu'il ait de la peine, au début
même, de se dégager de la phrase franckiste,
l'auteur semble s'égarer — et avec lui le malheu-
reux exécutant. — dans le dédale rythmique de
combinaisons peu spontanées. Le motif à g/8 du
premier morceau comporte deux mesures et évolue
au milieu de dessins curieux, plus curieux à la
lecture qu'à l'audition. Le second morceau —
animé — est le mieux venu, encore que la phrase
alerte et distinguée du motif initial passe sans
trop de logique du 7/4 au 6/4, puis au 5/4,
au 3/2, etc., tout ceci en l'espace d'une demi-page.
L'adagio, d'une passion contenue, d'une belle auto-
rité, semble gris et peu de nature à faire valoir le
violon. Le finale, où reparaît la courte idée domi-
256
LE GUIDE MUSICAL
nant l'œuvre, est difficile d'exécution et emploie
toutes les ressources de l'orchestre restreint du
piano — inégale lutte.
M. Parent et Mlle B. Selva ont exécuté l'œuvre
du maître avec une conviction profonde et un souci
très louable de la clarté.
La sonate de M. Guy Ropartz est écrite en un
style analogue ; les idées ne manquent point non
plus à ce compositeur de talent, et son œuvre ren-
ferme des passages d'un sentiment intense et d'une
couleur vive ; le dernier mouvement, sorte de ronde
à cinq temps, est d'une jolie allure ; Validante, à
force d'exagération dans ce qu'on appelle la musi-
calité, offre quelque monotonie. Cet ouvrage a été
admirablement exécuté par MM. Pollain et
A. Cortot.
Cette belle séance offrait en outre, au nombreux
public qui se pressait rue Saint-Jacques, sept
petites pièces pour piano de M. Florent Schmitt,
courtes, mais intéressantes — la Chanson des
Feuilles surtout. Enfin; un chœur antique chanté
par les élèves de Mme Chevillard, composé par
M. Kurc, et trois mélodies de Balakireff, exotique-
ment interprétées par Mlle Babaïan. Ch. C.
— A noter le gracieux concert donné par
MlleSarah Pestre avec le concours de Mme Auguez
de Montalant. Mlle Pestre, harpiste d'excellente
école, a exécuté parfaitement les Variations de
Widor et différents morceaux de styles variés.
M. Fleury, accompagné par Mlle Pestje, a obtenu
un gros succès dans la Valse mélancolique de Mme de
Grandval, pour flûte.
Dans leur dernière séance, MM. Burmester et
Edouard Bernard ont continué la série de leurs
triomphes. M. Burmester a interprété brillamment
le Rondo de Saint-Saëns et la sonate en mi bémol
de Beethoven. M. Bernard a joué le magnifique
Prélude, Aria et Final de Franck. Qu'il me per-
mette une légère observation : Il n'y a jamais
aucun déshonneur à jouer avec la musique devant
les yeux — surtout quand on joue du piano
comme lui et que le texte ne sert que de guide-
mémoire. Ch. C.
— La neuvième séance du Quatuor Parent (i)le
vendredi 17 mars 1905, était consacrée à Brahms,
pour lequel M. Armand Parent partage la ferveur du
regretté Hugues Imbert. On devinerait ce culte de
l'âme à la conviction de l'archet; l'amour fait des
prodiges, et disons tout de suite que l'exécution
(1) Cf. le Guide des 5, 19 et 26 février 1905.
la plus solide et la plus fougueuse a vivifié cette
musique austère.
En même temps, et capricieusement, mais logi-
quement, l'histoire de la musique intime se pour-
suit : d'abord, César Franck et le franckisme avec
toutes ses conséquences et ses corollaires les plus
avancés; puis Beethoven, monumental au milieu
des impressionnistes ; ensuite, deux séances consa-
crées aux musiciens jeunes, aux musiques nou-
velles, où se distinguait un dramatique et vigoureux
trio de Victor Vreuls, avant la seconde audition,
remplie d'instructives surprises, du quatuor désor-
mais fameux de Ravel... Aujourd'hui, Brahms.
Un critique musicien, rara avis, M. Paul Lan-
dormy., recherchait naguère, dans la Revue bleue,
pourquoi le dernier des classiques avait quelque
peine à s'introduire en France... L'Allemagne
apprécie mieux ce compositeur très allemand;
mais non pas sans luttes mémorables entre la
musique pure, incarnée dans Brahms, et le théâtre
musical, représenté par Richard Wagner! Dès i853,
la prophétie schumannienne, saluant dans Brahms
un nouveau Messie, ne déclarait-elle pas la guerre
au wagnérisme naissant ? En France, on devient
sévère pour les élégantes mélancolies de Mendels-
sohn ; on reste encore froid pour les mélancolies
abstraites de Brahms. Ni wagnérien, ni impres-
sionniste, Brahms ne pimente pas le goût blasé
comme le font les mélancolies pittoresques de la
mubique russe. Il n'était que musicien, sa « musi-
calité » le caractérise. Le compositeur d'Altona
vint de ce nord de l'Allemagne où le Fatist de
Berlioz tâtait lui-même du contrepoint... A Vienne,
ce fut un beethovénien. Brahms continue la grande
tradition du quatuor allemand, si grandiose déjà
chez le riant Mozart. Parfois, le savoir s'anime et
l'ambition de la grandeur devient grandeur véri-
table : l'abstraction plane sur les cimes froides,
poésie hautaine et fierté secrètement blessée des
andantes ; toujours noble, un sourire mélancolique
affine la grâce des allégrettos ; un élément subtil
complique le rythme et multiplie les contre-temps.
De beaux unissons se déroulent ou se précipitent
dans l'atmosphère sombre. Un peu de mystère
transparaît.
Telle est la suggestion des beaux quatuors de
l'op. 5i [Vandante du deuxième est une page de
haute musique), — quatuors qui nous semblent
supérieurs aux symphonies, aux concertos ambi-
tieux, aux Lieder discrets, même à la sonate
op. 120, n° 1, où l'alto chanteur de M. Vieux s'est
fait justement applaudir.
Aujourd'hui, Brahms. Bientôt, Mozart et Schu-
mann ! Raymond Bouyer.
— La soirée musicale donnée, salle Pleyel, le
17 mars, par MIle Hélène Barry, présentait un
intérêt artistique qui ne se rencontre pas toujours
dans les concerts des virtuoses. Cette excellente
pianiste, mieux encore, cette musicienne accom-
plie, s'était adjoint le concours de Mlle Céline
Dreux, une cantatrice à la voix dite « de salon »,
qui a chanté non sans agrément le poème de
Beethoven A la bien-aimée absente, et plusieurs
mélodies de Franck et de Fauré. M1Ie Barry a
exécuté des œuvres de Chopin — ce poète du
piano qu'on joue si souvent, mais dont la tradition
se perd de plus erj plus — avec beaucoup de
netteté et d'élégance, et peut-être aussi dans un
style trop classique pour mon goût personnel. Là
où elle s'est montrée une interprète supérieure,
c'est dans deux sonates pour piano et violoncelle,
l'une de Beethoven, l'autre du regretté Boëll-
mann. Son partenaire était M. François Dressen,
premier violoncelle solo des Concerts Lamoureux,
un très noble artiste, celui-là, au large et beau
son, n'usant pas du fâcheux « vibrato » que le
faux goût attribue au sentiment et à l'expression
et qui ressemble fort au chevrotement du chan-
teur, ne visant jamais à l'effet par l'exagération
des nuances et gardant la mesure impeccable
même dans les rythmes les plus irréguliers [scherzo
de la sonate de Beethoven). Le meilleur éloge
que je puisse faire de Mlle Barry, c'est d'ajouter
qu'elle méritait l'honneur d'associer son talent à
celui de M. Dressen. T.
— Le fin et distingué compositeur M. Arthur
Coquard a donné dimanche dernier, 19 mars, en
sa villa coquette blottie dans la verdure des jar-
dins de la villa Montmorency, une soirée de
musique très intéressante à deux points de vue :
pour les œuvres qui figuraient au programme et
pour les interprètes qui les exécutèrent. Derrière
le grand nom et l'admirable sonate pour piano et
violon de son maître César Franck, M. A. Co-
quard s'était abrité avec des pièces vocales :
Joies et Douleurs, ce petit cycle schumannien de
mélodies, plutôt d'épisodes passionnés et de noble
caractère; Nocturne, Noël, La Cigale et la Fourmi,
pages à deux voix de femmes. Une exquise séré-
nade pour violoncelle était encore signée de son
nom. C'est M. Cros Saint-Ange qui l'interpréta,
ainsi que la sonate de Franck (avec M. Vanzande),
avec un style raffiné. Le chant était représenté
par Mme Mellot-Joubert, et le piano nous a révélé
ou rappelé une autre toute jeune artiste,
Mlle Geneviève Dehelly. Mme Mellot est bien un
exemple de l'insouciance parfois inimaginable des
le guide musical
257
directeurs à l'égard des débutants. Elle a quitté
le Conservatoire en 1900 avec un premier prix
de chant, un premier prix d'opéra-comique et un
second prix d'opéra — et à peine a-t-elle paru à
l'Opéra-Comique, où on ne lui a rien fait chanter!
Sa voix est vibrante et belle pourtant, elle ne
manque ni d'éclat ni d'étendue, surtout elle est
guidée par un sentiment vrai. Mlle Dehelly est le
premier des premiers prix de piano de l'année
igo3. Elève de M. Delaborde, elle a conquis son
rang d'emblée; elle est née virtuose, sa vélocité
perlée est étourdissante : l'exécution de variations
de Beethoven, de pièces de Schumann et de
Chopin, enfin de l'ouverture de Tannhâuser (arran-
gée par Liszt) l'a prouvé surabondamment. Heu-
reusement qu'il y a aussi de la grâce et du style
sous cette virtuosité parfois excessive : c'est de ce
côté qu'elle fera bien maintenant de développer
son prestigieux talent. H. de C.
— Le concert donné le 16 mars à la salle
Pleyel par Mlle Lapidus-Dylion, pianiste, a permis
d'apprécier les qualités d'élégance et de charme
de son jeu délicat. Elle a fort bien exécuté les
Variations et Fugue sur un thème de Hœndel, écrites
en un jour de verve par l'illustre Brahms. Certai-
nes de ces variations auraient grandement surpris
l'auteur du thème. Elles sont touffues, mais
Mlle Lapidus-Dylion leur a prêté la clarté d'une
judicieuse interprétation.
Furent également applaudies, les pièces de Cho-
pin et celles de Schumann, poétiquement jouées.
MIIe Laval, qui prêtait son concours à cette
séance, est une violoniste de talent, mais sa sonorité
est souvent lourde. Elle a exécuté la belle sonate
en ut mineur de Grieg, bien accompagnée par
M1Ie Lapidus-Dylion, et, en soliste, le Rondo
capriccioso de Saint-Saëns. M. D.
— Le succès des matinées Danbé s'est affirmé
avec un tel éclat, qu'on a dû organiser deux con-
certs supplémentaires pour contenter le désir
d'une partie du public. La séance du i5 mars eût
pu s'appeler « festival Massenet », car le pro-
gramme était consacré aux œuvres du maître, à
l'exception de la délicieuse sérénade de Beethoven,
qui ouvrait le concert, et du premier quatuor de
Mendelssohn, qui le clôturait. M. Jean Périer,
dont le talent grandit à mesure que l'artiste se sou-
vient d'avoir été ténor, a chanté Si tic veux, mignonne,
Printemps dernier et Ne donne pas ton cœur avec un
sentiment inexprimable; et Mlle Angèle Pornot,
258
LE GUIDE MUSICAL
qui remplaçait Mme Marguerite Carré indisposée,
a dit d'une voix légère et brillante l'air du Cour-la-
Reine et fait bisser le fabliau de Manon. Tout en
reconnaissant que le succès des deux pensionnai-
res de l'Opéra-Comique a été égal à leur mérite,
oserai-je regretter qu'on n'accorde pas toujours la
même faveur aux artistes de l'orchestre? Quand,
par exemple, MM. Soudant, Migard, Bedetti, Mi-
mart — pour ne citer que ceux-là — exécutent
quelques soli dans un ouvrage lyrique, ne serait-il
pas i uste qu'on imprimât leurs noms sur les affiches
du théâtre? Le public leur prêterait plus d'atten-
tion et les applaudirait davantage; et quelques
chanteurs et cantatrices de la scène, surpris du suc-
cès fait à d'autres qu'à eux-mêmes, finiraient par
s'enquérir de leurs noms, par les retenir et désirer
apprendre d'eux ce qu'est la perfection du style.
C'est en écoutant l'invocation des Erinnyes et l'ado-
rable « Clair de lune » de Werther, interprétés de
manière idéale par le violoncelle de M. Bedetti et
la viole d'amour de M. Migard, que je me faisais
cette réflexion un peu mélancolique. (Sait-on que
ces deux pages célèbres ont été écrites primitive-
ment pour le piano, que la première fait partie
d'un recueil publié chez Girod et que la seconde,
estimée par l'éditeur Hartmann trop belle pour de-
venir une simple romance sans paroles, n'a jamais
été gravée sous cette forme et qu'elle a été intro-
duite longtemps après dans le chef-d'œuvre de Mas-
senet?
Le « dernier sommeil » de la Vierge, exécuté par
un double quatuor à cordes, et les Chansons des bois
d'Amaranthe, très bien chantées par le quatuor vocal
Battaille, complétaient ce remarquable programme.
Le maître, qui avait bien voulu accompagner ses
œuvres au piano, a reçu du public l'ovation la plus
enthousiaste. T.
— Le règne, de la fugue est, de nos jours, très
florissant. L'amour qu'on a pour elle semble, il est
vrai, quelque peu platonique ; les jeunes composi-
teurs la pratiquent et ne l'utilisent guère. Mais les
amateurs lui rendent un culte d'autant plus fervent
qu'ils la comprennent moins. Pour flatter leur
amour-propre, il se forme de toutes parts des asso-
ciations qui cherchent et découvrent quelques
vieux musiciens précurseurs ou contempoiains du
grand Bach, ce roi de la fugue! C'est ainsi que
dans un récital d'orgue donné le i3 mars à la salle
de l'Union, rue de Trévise, M. Georges Lothnous
a fait connaître quatre morceaux d'un intérêt plu-
tôt archéologique, de Girolamo Frescobaldi, qui a
vécu de i5S3 à 1644, un siècle avant Bach. Le
jeune organiste a exécuté encore, et fort bien,
quatre chorals de Bach, dont l'un : Que Dieu seul
au ciel soit loué, est d'une beauté achevée, et deux pa-
ges admirables de César Franck. Mm* Marie Ca-
poy, qui prêtait son concours, a chanté d'une voix
pure des Lieder de R. Franz, de Jensen et de
Loewe. J'ai noté de celui-ci une chanson de Mar-
guerite au rouet, un andantino à dix-huit, d'un ca-
ractère presque enjoué; si je n'avais saisi le sens
des paroles, j'aurais cru qu'il s'agissait de la Mar-
guerite avant et non après la faute. T.
— La Société Haydn-Mozart-Beethoven, fondée,
il y a dix ans, pour la propagation de la musique
de chambre, a donné le i5 mars, salle Pleyel, son
troisième concert. Au programme : Le trio-diver-
tissement de Mozart, œuvre toute de grâce, exécu-
tée avec morbidesse par M. VI. Calliat, Le Métayer
et Julien, auxquels on a redemandé Y adagio et le
second menuetto ; la sonate pour piano n° 3i de
Beethoven, interprétée par Mlle Nazli Bittar, jeune
virtuose au jeu viril, et le grand quatuor à cordes
n° 14, de Beethoven, qu'on connaît si peu ou si
mal et dont les artistes déjà nommés ainsi que
M. André Bittar ont su faire ressortir les sublimes
beautés.
— Un public très élégant et nombreux, réuni
salle Erard pour entendre M. Maurice Amour,
n'a pas ménagé au très jeune virtuose ses applau-
dissements chaleureux. M. Amour possède, dès
maintenant, de solides qualités artistiques : une
technique très sûre, un jeu vigoureux et puissant,
parfois peut-être un peu heurté en ses brusques
nuances, un sentiment suffisamment pénétrant; il
y a en lui l'étoffe d'un exécutant de tout premier
ordre. Le programme comprenait une sonate de
Beethoven (op. 57), la sonate en si bémol mineur
de Chopin et différentes pages.^de Chopin, Liszt,
Fauré, C. de Bériot, etc. Ch. C.
— La dernière séance Engel-Bathori était con-
sacrée à Schumann, dont Mme Roger-Miclos a
interprété avec le talent que l'on sait quelques
œuvres de piano, entre autres le Carnaval, vaste
tableau où se groupent, au gré des épisodes, les
principaux personnages d'un bal masqué. De ra-
vissantes idylles jettent à travers ce mouvement
une note sentimentale, telles Rencontre, Aveu, Pro-
menade, que Mme Roger-Miclos a jouées avec une
grâce et un charme incomparables.
Parmi les œuvres vocales, le couple Engel-Ba-
thori a pu faire ample moisson, et l'on sait l'irré-
LE GUIDE MUSICAL
259
sistible attrait de ces Lieder si simples, si discrets,
trésors d'expression parfois enfouis en une tren-
taine de mesures... à peine !
Deux nouveaux traducteurs, MM. d'Offoël et
Boutarel, viennent d'augmenter le répertoire vocal
du maître, jusqu'ici limité aux seules versions de
M. Jules Barbier. Ils l'ont fait avec un soin trop
négligé de leur prédécesseur, et les services rendus
aux chanteurs seront fort appréciables. Mais
comme, sous les titres nouveaux donnés par ces
messieurs, nous retrouvons souvent des mélodies
connues sous une autre appellation, il deviendra
désormais indispensable, sous peine de confusion,
de mettre au programme le chiffre d'œuvre ou le
titre allemand.
Dans la traduction d'Offoël, Mme Bathori a
chanté avec un goût infini quatre mélodies, dont
Ophélie et Message sont d'une saveur pénétrante.
Dans la traduction Boutarel, nous retrouvons les
délicieux Myrtes, parmi lesquels la Chanson de Su-
leika et le Noyer, d'éternelle poésie.
M. Engel, toujours grand artiste, a détaillé les
A viours du Poète d'où émerge ce beau Lied : J'ai par-
donné, bissé d'acclamation. Il était accompagné au
piano par Mme Bathori, virtuose et musicienne
accomplie, qui finalement lui a donné la réplique
chantée dans deux duos charmants : Tableau de
famille et Sous ta fenêtre, ce dernier d'un exquis ba-
dinage. A. B.
— Le second concert donné par MM. Lazare
Lévy et Nestor Lejeune, à la salle iEolian, a eu
lieu le mercredi 22 mars. Le programme compor-
portait quatre sonates de piano et violon, comme
le précédent, toutes œuvres du xvme siècle : la so-
nate en ut mineur de Philippe-Emmanuel Bach, la
sonate en fa majeur de Mozart, la sonate en ré mi-
neur de F.-W. Rust (1739-1796), enfin la sonate en
sol majeur de Beethoven (op. 96). En somme, une
suite sévère, mais des plus intéressantes, supérieure
à celle de sa première séance et qui a été exécutée
avec brio et sûreté par les deux jeunes artistes.
— Les auditions d'élèves présentent rarement
autant d'intérêt que celle pour laquelle nous avaient
convié, lundi dernier, à la salle Erard, M., Mme et
Mlle Weingaertner. Les excellents professeurs de
piano et de violon ont fait entendre une trentaine
d'élèves de tout âge et de toute force, mais possé-
dant une bonne technique et comprenant la musi-
que qu'ils jouent. Rien de commun avec les séances
habituelles données par des professeurs. Plusieurs
des exécutants sont déjà de vrais artistes. Nous
nommerons à ce titre Mlles Candé, Fossey, Steef,
Metelnikoff, de Schlumberger, Toulmouche,Wass-
ner, etc.
M. Candé, l'excellent artiste de l'Odéon et du
Vaudeville, a dit deux charmantes poésies de Ros-
tand et de Richepin; Mrce de Schneider a chanté
avec beaucoup de goût plusieurs mélodies et Mlle
Marie Weingaertner a joué avec une absolue per-
fection deux morceaux de piano. F. G.
— Le concert donné par Mlle Anna Hirzel, le
i5 de ce mois, à la salle ^Eolian, avait comme pro-
gramme, à côté de sonates de Beethoven et de
Chopin, plusieurs œuvres allemandes inédites pour
piano, notamment un Capriccio de F. von Rath et
trois pièces de L. Thuille. On a fait très bon ac-
cueil au talent très fin et très personnel de la char-
mante virtuose. F. G.
— Avant de quitter l'école si active de la rue
de la Sorbonne, mentionnons qu'elle vient de
donner un intéressant concert où M. Risler a
joué avec son talent incontesté et son merveilleux
style deux sonates de Beethoven et Mme Mockel
a chanté quatre mélodies classiques, dont cette
œuvre courte, mais si expressive et si belle, de
Beethoven : Dans une tombe. Le Quatuor Luquin
a terminé la soirée par le quatuor op. 74 de
Beethoven. F. G.
— Dans deux conférences qu'il vient de faire sur
Liszt à l'Ecole des Hautes Etudes sociales, M. Jean
Chantavoine a développé avec beaucoup d'ingé-
niosité et de richesse d'arguments cette idée que
Liszt a toujours voulu rester fidèle à la forme clas-
sique et que, malgré son romantisme plus littéraire
que musical, il descend en ligne directe de Bach,
de Mozart et de Beethoven. La « musique à pro-
gramme » ne diffère guère de la musique classique.
Le programme n'est en rien descriptif chez lui. Il
indique seulement un poème (Mazeppa, Orphée,
Prométhée, etc.), ou une œuvre d'art (La Bataille
des Huns), ou une conception philosophique (Les
Préludes) qui l'a ému, où il a vu, non une matière
à développements pittoresques, un sujet à commen-
ter dans les détails les plus précis, mais bien un
symbole, un motif d'inspiration. Quelle différence
entre ce point de vue et celui de Berlioz expli-
quant sa Symphonie fantastique !
Liszt reste également classique dans son pro-
cédé de développement symphonique. Son thème
n'est pas, comme chez Berlioz, purement descrip-
tif. Il ne le répète pas, sans développements, sui-
vant les exigences assez factices du programme.
26o
LE GUIDE MUSICAL
Son thème a, avant tout, une valeur psychologi-
que, subjective; il correspond à l'impression res-
sentie par l'auteur. En outre, il est, musicalement
parlant, générateur. L'œuvre entière est formée de
ses développements, de ses transformations ryth-
miques, tonales, instrumentales. C'est bien le pro-
cédé de Beethoven, et Liszt le suit dans ses sona-
tes, dans ses variations sur un thème de Bach
comme dans ses poèmes symphoniques, mais en y
apportant souvent une manière personnelle.
Liszt composa à treize ans son premier ouvrage
dramatique, un acte, intitulé Don Sanche ou le Château
d'amour. Le surintendant des beaux-arts, M. de la
Rochefoucauld, en avait commandé le livret à
Théaulon et de Rancé. Il fut représenté à l'Opéra
en i825.
Le jeune prodige était déjà connu dans toute
l'Europe pour son étonnante virtuosité et fort
choyé dans la haute société de Paris. Cependant,
l'œuvre n'eut que quatre représentations. La cri-
tique semble l'avoir assez bien accueillie, à l'ex-
ception de Castil-Blaze, jaloux d'une atteinte à
son monopole de librettiste officiel de l'Opéra.
On croyait cette petite partition détruite lors de
l'incendie de la salle Le Peletier, en 1873. M. Jean
Chantavoine l'a retrouvée dans la bibliothèque ac-
tuelle et, à l'occasion de ses conférences, il a voulu
la faire exécuter. Il n'y a rien de bien personnel
dans cette œuvre de début et l'on ne peut s'en
étonner. Liszt était influencé par les ouvrages nom-
breux et divers qu'il avait déjà étudiés et joués.
Mais on y sent une réelle préoccupation de sim-
plicité et de justesse dans la déclamation. Les mé-
lodies, nettes et franches d'allure, ont quelque
analogie avec celles de Delayrac et de Monsigny.
L'air du Sommeil a peut-être été remarqué par
Auber, car, trois ans plus tard, il semble s'en être
souvenu dans la Muette. Particularité notable pour
l'époque, aucune vocalise.
Il est à désirer que M. Jean Chantavoine re-
prenne et dévoloppe toute cette étude sur Liszt. Il
y a encore beaucoup à dire sur les musiciens de
l'époque romantique. F. G.
— Notre distingué collaborateur M. M. D.
Calvocoressi a donné samedi dernier, à l'Ecole
des Hautes Etudes sociales, la premières de confé-
rences sur la musique russe contemporaine que
nous avions annoncées.
Il a parlé des caractères généraux de l'école
russe contemporaine, si récente et cependant si
originale, puis de Glinka, de Sérow et de Dargo-
mysky. Il a parfaitement indiqué l'origine toute
nationale de leurs œuvres et la puissance de leurs
personnalités. Avec leurs successeurs, dont
M. Calvocoressi parlera jeudi, nous verrons se
développer ce rameau si vigoureux de la mu-
sique contemporaine.
Mlle Rabaïan, professeur au Conservatoire de
Tiflis, a chanté trois chansons populaires d'in-
fluence orientale très marquée, des fragments de
la Roussalka de Dargomysky et une mélodie un
peu italienne de Glinka. Elle a eu un vif succès.
— Les concours ouverts en 1904 par la Société
des Compositeurs de musique ont donné les résul-
tats suivants :
I. Symphonie à grand orchestre. — Prix de
1,000 fr., offert par M. le ministre des beaux-
arts, non décerné. Deux mentions honorables :
i° avec prime de 3oo fr. à M. Georges Sporck ;
20 avec prime de 200 fr. à l'auteur de l'œuvre
ayant pour devise : Thalassa.
II. Œuvre symphonique pour piano et orchestre.
— Prix de 5oo fr. (fondation Pleyel-Wolff-Lyon)
non décerné.
III. Mélodie, avec accompagnement de huit
instruments concertants. — Prix de 5oo fr., offert
par M. Albert Glandaz, décerné à M. Marcel Ber-
trand. Deux mentions honorables : i° à l'auteur de
l'œuvre ayant pour devise : Expression et Sincérité;
2° à M. Aloys Claussmann.
IV. Quatuor pour deux violons, alto et violon-
celle. — Prix de 5oo fr., offeit par la Société, dé-
cerné à M. Emile Goupil. Mention à l'auteur de
l'œuvre ayant pour devise : Las! f en tremble...
V. Suite pour harpe chromatique et deux instru-
ments à vent. — Prix de 200 fr., offert par la So-
ciété, décerné à M. Edouard Mignan. Deux men-
tions honorables : i° à l'unanimité, à l'auteur de
l'œuvre ayant pour devise : Instar omnium) 20 à
M. Aloys Claussmann.
— Les quatre concerts annoncés par Ricardo
Vinès pour passer en revue, sur le piano, la mu-
sique de clavier depuis ses origines jusqu'à nos
jours, auront lieu, à la salle Erard, les lundis
27 mars (écoles espagnole, anglaise, italienne,
française et allemande, jusqu'à Haydn), 3 avril
(de Mozart à Chopin), 10 avril (Liszt, Brahms,
Saint-Saëns, Balakirew, etc.) et 17 avril (Franck,
Chausson, d'Indy, Debussy, etc.).
LE GUIDE MUSICAL
261
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La reprise de Hamlet a été particulièrement bril-
lante, mercredi dernier. On sait le talent de com-
position que M. Henri Albers apporte dans ce rôle
du piince danois, l'un de ses préférés, qu'il inter-
prète avec autant d'originalité que d'expression, de
goût et d'art. Mme Francès Aida chantait pour la
première fois à Bruxelles le rôle d'Ophélie ; elle y a
su rendre avec un rare bonheur les expressions si
diverses d'amour, de trouble, d'effroi, de désespoir
de ce personnage; elle a été très applaudie, surtout
après la scène de la folie, qu'elle a admirablement
chantée. M. Vallier a été un Roi excellent,
Mme Bastien chantait la Reine, l'un des rôles du
répertoire qu'elle réalise le mieux, et M. François
mérite des éloges pour son interprétation de
Polonais.
MUe Lalla Miranda qui avait reparu la semaine
dernière dans Lakmé, a repris vendredi le rôle de
Gilda dans Rigoleito ; son art parfait du chant, la
souplesse de ses vocalises, la pureté de ses trilles,
lui ont valu un très beau succès. M. Henri Albers
reste admirable dans le rôle de Rigoletto, qui est
l'un des plus remarquables de son répertoire.
M1Ie J. Maubourg a été charmante dans le person-
nage de Madeleine, M. Vallier, (Sparafucile), éner-
gique et rude, et M. David a chanté excellemment
le rôle du duc de Mantoue.
Le répertoire de la semaine comprenait en outre
la Basoche, Hérodiade, Faust, Mignon, le Jongleur de
Notre-Dame, Martïïle et la Fille du Régiment.
Très prochainement, reprises du Postillon de
Lonjumeau et du Trouvère.
Aujourd'hui, dimanche, Hamlet; lundi, Louise;
mardi, Faust. R. S.
CONCERT DU CONSERVATOIRE. —
M. Gevaert nous a présenté, pour le troisième
concert de la saison, un programme de goût,
habilement ordonné et d'une variété fort dis-
trayante, qui nous fit passer par quatre époques
de la production musicale assez distantes l'une
de l'autre.
A la symphonie en si bémol majeur de Mozart,
œuvre d'allure légère et reposante exécutée cou
amore et dans Un style excellent, succéda le con-
certo en ut majeur de J.-S. Bach pour deux clave-
cins (remplacés ici par des pianos), avec accompa-
gnement d'instruments à cordes. Cette oeuvre
procura des impressions plus austères, encore
qu'elle ne fût pas rendue avec toute la simplicité
désirable; MM. De Greef et Gurickx y firent
montre de leurs qualités habituelles d'interprètes
compréhensifs et probes.
Les chants pour voix de femmes, avec accom-
pagnement de deux cors et harpe, sont parmi les
premières œuvres de Brahms (op. 17). Le musicien
tire un joli parti des sonorités du cor, dans ces
chants douloureux où domine la note mélanco-
lique et sombre, et la harpe enveloppe d'ara-
besques d'un dessin délicat les voix groupées en
des harmonies troublantes et expressives. L'œuvre,
dans l'ensemble, a un caractère romantique
accentué, qui n'est pas dépourvu de charme.
La Symphonie italienne de Mendelssohn terminait
le concert, dont elle fut peut-être la page la plus
applaudie. Les œuvres orchestrales du maître de
Hambourg, longtemps délaissées et proscrites, ne
sont guère connues de la génération actuelle.
M. Gevaert s'acquitte de la mission éducatrice qui
incombe au Conservatoire en initiant les plus
jeunes de ses auditeurs au charme de ces compo-
sitions si sincères, si spontanées, qui n'ont pas la
puissance et l'envolée des œuvres des plus grands
maîtres, mais qui révèlent cependant une person-
nalité très marquée, dont l'influence sur les musi-
ciens dramatiques du milieu du xixe siècle paraît
aujourd'hui fort sensible. J. Br.
— Le récital donné par M. Marix Loevensohn
(violoncelliste) a eu lieu vendredi dernier; M. Al-
bert Dupuis, qui, pour la première fois à Bruxelles,
conduisait l'orchestre, a ajouté un attrait de plus à
cet intéressant concert.
M. Loevensohn a interprété avec une délicatesse
charmante le concerto de Haydn- Gevaert; — il
nous a donné, du concerto de Schumann, une exé-
cution vibrante, parfois fougueuse, mais toujours
alliée à un goût sûr et à une grande pureté de ligne;
— dans le concerto de Saint-Saëns, il a fait preuve
d'une technique remarquaable.
La partie orchestrale comprenait trois œuvres de
M. Albert Dupuis. D'abord le prélude de Jean
Michel, empreint d'une si triste mélancolie, et son
spirituel entr'acte symphonique sur des airs popu-
laires liégeois, plein de vie et de gaité ; puis un Lied
pour quatuor vocal, qui a semblé peut-être un peu
terne, convenablement chanté par Mlles T. Desmai-
sons, Hausman, MM. Decléry et Tibaut; enfin, un
fiagment des Cloches nuptiales, d'une belle inspira-
tion, superbement chanté par M. Decléry. On com-
mençait par l'ouverture du Freyschutz de Weber.
L'orchestre a fait de son mieux sous la direction
de M. Albert Dupuis. J- T.
262
LE GUIDE MUSICAL
— M. Hugh del Carril a donné, pour la première
fois, lundi dernier, à la Grande Harmonie, un ré-
cital de piano qui a obtenu un gros succès.
Ce jeune pianiste a un jeu énergique et une tech-
nique remarquable, qui a fait merveille dans la
Première Elude et le scherzo en ut mineur de
Chopin, les Variations sérieuses de Mendelssohn,
Toccata de Schumann et la Rapsodie espagnole de
Liszt.
Dans les œuvres qui ne demandent que du sen-
timent, M. Hugh del Carril a été moins heureux;
il n'a rendu qu'imparfaitement la tristesse qui se
dégage du nocturne en «/mineur de Chopin, dont ila
par trop accéléré le mouvement. La sonate (op. 57)
Appassionata de Beethoven aurait demandé une
interprétation plus sobre, mais cependant les deux
dernières parties ont été bien enlevées. J. T.
— Au troisième concert de la Libre Esthétique,
MM. Henri Merck et Bosquet ont interprété, pour
violoncelle et piano, une poétique Légende de Her-
bert, une Romance et une Humoresque de M. Leone
Sinigaglia, spirituelle et bien rythmée.
Mlle Wybauw a chanté La Caravane de Chausson,
dont elle a rendu avec puissance la grandeur tra-
gique, le Lied maritime de Vincent d'Indy, si pas-
sionné et si empreint du sentiment de la nature, et
deux chefs-d'œuvre de G. Lekeu, Sur une tombe et
Ronde.
Miss Evelyn Suart, une jeune pianiste anglaise,
élève de Lechetitzki et dont on se rappelle les
succès à Londres, aux côtés de MM. Richter,
Ysaye et Kubelik, a interprété avec aisance et
précision des œuvres très difficiles : les dissonances
de M. Cyril Scott et de M. Claude Debussy lui
vont à ravir.
La sonate pour violon et piano de M. Jongen a
été jouée avec enthousiasme par MM. Chaumont
et Bosquet. Il y a une richesse étonnante dar.s
cette musique, et il nous a été rarement donné d'en
sentir plus profondement la poésie. R.
— MM. Maurice Geeraert (pianiste), Florencio
Mora (violoniste) et Marix Loevensohn (violon-
celliste) ont donné mercredi un concert consacré
aux œuvres de Tschaïkowsky. L'orchestre était
dirigé par M. Albert Dupuis.
M. Florencio Mora a exécuté le concerto en ré
majeur pour violon ; l'ensemble de cette œuvre a
paru confus. La canzonetta qui relie les deux allegro
est d'une inspiration délicieuse et fait un heureux
contraste avec les deux autres parties, remplies
de thèmes bruyants. M. Mora nous a donné une
très belle impression d'art par la façon charmante
dont il a interprété ce concerto; il possède une
délicatesse de toucher remarquable, que peut-être
l'œuvre de Tschaïkowsky ne demande pas, mais
qui nous a agréablement charmé et nous a reposé
un peu du déchaînement continuel de l'orchestre.
De plus, M. Mora a un jeu souple et beaucoup de
technique, il ne lui manque qu'un peu plus de force
pour être parfait.
M. Loevensohn a interprété avec sentiment
Barcarolle et Souvenirs de Hapsal, deux œuvres très
intéressantes ; le public l'a chaleureusement
applaudi et rappelé.
Pour finir, M. Geeraert nous a donné une très
belle exécution du concerto en si bémol pour
piano. On se rappelait l'interprétation qu'en avait
donnée M. Mark Hambourg et on attendait avec
une certaine impatience ce numéro du programme.
M. Geeraert a été parfait d'un bout à l'autre; s'il
n'a pas autant de puissance que M. Mark Ham-
bourg, il a beaucoup plus de sentiment, plus de
ligne et l'ensemble était plus fondu. Son succès a
été très grand et on lui a fait une véritable
ovation.
M. Albert Dupuis a dirigé l'orchestre d'une
façon très satisfaisante. On commençait par V Ou-
verture solennelle, d'une éclatante sonorité; un
andante pour quatuor d'orchestre a été délicieu-
sement mis au point par le jeune et vaillant chef.
J.T.
— La semaine dernière a eu lieu, dans la salle
du Crédit lyonnais, un concert organisé par
l'Association des Dames françaises de la Croix
rouge, présidée par M. Gérard, ministre de
France. Différents artistes se sont fait entendre au
cours de la soirée, notamment M. Em. Agniez,
qui a délicieusement interprété sur la viole
d'amour des pages de Corelli, Simonetti, Lotti et
Milandre, et M1Ie Marguerite Chabry. qui possède
une voix agréable et bien conduite et une diction
très française. M1Ie Chabry a chanté avec expres-
sion deux pages colorées d'A. Georges, Y Hymne
au Soleil et Nuages, un rondel d'une facture originale
de F. d'Azevedo et l'air de Salomé de Massenet. Le
plus vif succès a été fait à cette cantatiice capti-
vante et distinguée. N. L.
— Au concert annuel du Cercle verviétois, des
amateurs de talent ont donné la première repré-
sentation à Bruxelles des Fiancés de Ceriseite, un
opéra-comique inédit en un acte, paroles de
M. P. Berlier, musique de M. Louis Maes. C'est
une œuvrette charmante, d'une inspiration gra-
cieuse, très mélodique et qui a bénéficié d'une
interprétation heureuse sous le bâton de l'auteur.
Elle a obtenu un succès marqué. N. L.
LE GUIDE MUSICAL
263
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le dernier concert populaire
a dignement clôturé l'intéressante série d'au-
ditions musicales que dirigea cette année M. Le-
naerts. Mlle Flament y a interprété un air du
Weihnackts-Oratorium de J.-S. Bach et les Zigeuner-
lieder de Brahms. L'auditoire lui a fait un succès
vibrant. L'orchestre a exécuté avec beaucoup
d'attention la symphonie en mi majeur de Bruch,
des transcriptions de Princesse d'auberge et de la
Fiancée de la mer de Blockx et la belle Marche à
Hans Memlinc de Waelput.
De jeunes élèves ayant obtenu leur diplôme de
sortie du Conservatoire royal, ont donné derniè-
rement, au Cercle artistique, une audition qui a
obtenu beaucoup de succès. On y a entendu :
Miles Van Hoorde, cantatrice, et Hahn, pianiste;
MM. Taeymans, baryton; Van Gintruyen,
violoncelliste, et Vande Vyver, violoniste.
Lundi a eu lieu le concert Walther auquel se
sont fait applaudir M. Walther, violoniste;
Mlle Walther, cantatrice, et M. Louis Delune,
pianiste. G. P.
BORDEAUX. — M. Diémer, qui s'est fait
entendre au huitième concert Sainte-Cécile
(le dernier de la saison), est toujours l'artiste par-
fait qui met sur tout, ce qu'il interprète la marque
d'une élégance raffinée, de la distinction suprême.
Avec lui, les trilles et les traits voltigent sur le cla-
vier, légers, fugaces comme l'embrun qu'emporte
la brise. Le concerto en sel de Beethoven a été in-
terprété par lui avec une maîtrise souveraine. L'or-
chestre, dirigé par M. Pennequin, l'a très intelli-
gemment accompagné. Il a eu, notamment dans
Yandante. des sonorités riches et sombrées de na-
ture à en faire nettement ressortir le caractère poi-
gnant et mystérieux. M, Diémer, qui fut maintes
fois rappelé, a charmé le public en exécutant sur
le clavecin plusieurs œuvres de Couperin, Dan-
drieu, J.-S. Bach, Daquin. La pure décoration
Louis XVI de notre Grand Théâtre ajoutait à la
saveur archaïque du clavecin l'agrément d'un cadre
approprié. M. Boucherit a exécuté sur le violon le
Concertstiick de M. Diémer, le Rondo capriccioso de
Saint-Saëns et, comme morceau de rappel, la ga-
votte du Tombeau de Leclair, déployant tour à tour
des qualités de sonorité caressante et suave, un
peu maladive, de pureté dans les sons harmoni-
ques, de grâce alerte dans le détaché et le staccato.
Le concert, avait débuté par l'ouverture, redeman-
dée, des Noces de Figaro; il a été clôturé par des frag-
ments des Béatitudes (nos 2, 3 et 4) en attendant
l'exécution intégrale de l'œuvre où César Franck a
dit sa foi avec le plus d'éloquence et de ferveur,
œuvre à la fois profonde et sublime par l'intensité
des sentiments exprimés et l'ardeur des élans mys-
tiques. Si l'on voulait chercher quelques faiblesses
dans les Béatitudes, on les trouverait peut-être dans
la traduction des mauvais instincts de la nature
humaine, pour la raison que l'âme candide et se-
reine de César Fianck y est toujours demeurée
étrangère. L'orchestre s'est vaillamment comporté
dans les Béatitudes. Les chœurs et les solistes se
sont bien acquittés de leur tâche.
Dans l'ensemble, la campagne menée par la so-
ciété Sainte-Cécile au cours de cette année aura
été brillante. Le comité a eu le souci d'inscrire au
programme, à chaque concert, de nobles œuvres,
ne se montrant pas systématiquement hostile aux
contemporains sans cesser d'être traditionnaliste.
Nous l'en remercions. Le succès a couronné ses
efforts. Si, insoucieux du qu'en dira-t-on, nous
avons fait quelques réserves courtoises sur certai-
nes exécutions, il ne nous est jamais venu à l'es-
prit de discuter le talent incontestable de M. Pen-
nequin. Ses qualités de chef d'orchestre sont assez
solides pour que nous ayons le droit d'être exi-
geants. Quel serait le prix des éloges, d'ailleurs
nombreux, que nous lui avons adressés, si notre
sincérité n'avait jamais le droit de s'exprimer que
sur le mode dithyrambique? H. D.
BRUGES. — Le programme du troisième
concert du Conservatoire n'offrait pas moins
d'intérêt que les précédents ; il avait même, en
plus, tout l'attrait de la nouveauté, par suite de
l'exécution de la nouvelle symphonie du composi-
teur brugeois M. Joseph Ryelandt, et d'une œuvre
non encore exécutée en Belgique, la Saga du
maître finlandais Jean Sibelius.
Quoique ce poème symphonique ne porte aucune
indication, il nous parait certain que l'auteur s'est
inspiré d'une donnée littéraire : visions de combat,
marches haletantes, épisodes plaintifs, accents
funèbres, clameurs de révolte, il y a tout cela dans
cette œuvre, manifestation d'une âme véhémente
et tumultueuse.
Comme écriture, cela est superbe et d'une pro-
fonde originalité. On dirait que certains thèmes
sont empruntés au folklore finnois, ce qui n'est
pas ; d'autre part, il y a là des hardiesses harmo-
niques, des qualités de rythme et de couleur or-
264
LE GUIDE MUSICAI
cliestiale qui font de cette Saga une œuvre extrê-
mement captivante, curieuse et belle.
La symphonie en ré de M. Ryelandt nous
transporte dans le domaine de la musique pure ;
on y trouve, comme qualités dominantes la matu-
rité de conception, la solidité de structure et une
réelle entente des sonorités; il y a des thèmes d'une
grande fraîcheur, dont l'auteur a su tirer parti ;
Yandante est largement inspiré, le scherzo a des
détails de rythme ingénieux ; en un mot, c'est une
œuvre claire et saine ; conduite par l'auteur, elle a
été fort applaudie.
La partie vocale du programme était confiée à la
cantatrice finlandaise Mme Ida Ekman, très réputée
en Allemagne comme chanteuse de Lieder. Cette
artiste est douée d'une voix belle et pure, d'un
style excellent et d'une flamme intérieure, d'une
intensité d'expression sans lesquelles il n'y a pas
de grand art.
Mme Ekman a interprété d'abord quelques Lieder
allemands : le tragique Sosie et la populaire Heiden-
rôslein de Schubert, les Strophes saphiques de
Brahms, le Jeune Pêcheur de Liszt, pour finir par
l'admirable Sérénade de R. Strauss. Elle y a rem-
porté beaucoup de succès. Un plaisir plus rare
encore était d'entendre la cantatrice détailler
quelques mélodies de son pays ; la Finlande
compte, en effet, de nombreux compositeurs de
Lieder que le correspondant berlinois du Guide,
M. Marcel Remy, a signalés naguère à l'attention
de nos musiciens.
Mme Ekman nous a fait connaître ainsi, d'abord
les Roses noires de Sibelius, cette mélodie si pre-
nante, dont le refrain : La douleur a des roses noires
comme la nuit, est empreint tantôt de résignation,
tantôt de sombre désenchantement, et à la fin
s'exhale comme un cri de souffrance aiguë. Puis le
Lied de Melartin 0 Herre! une supplication ardente
et douloureuse comme un sanglot. L 'Ave Maria de
Merikanto, malgré le sens du texte poétique, nous
paraît d'une expression plus extérieure, moins pro-
fonde ; mais, en revanche, dans la Berceuse du
même auteur, quel sentiment de tendresse et de
mélancolie! Tout cela est exquis, de même que la
délicate et aérienne mélodie Titania de Jàrnefelt,
et la cantatrice y a mis la justesse d'accent et la
variété d'expression voulues.
La soirée s'est terminée par des fragments sym-
phoniques du troisième acte des Maîtres Chanteurs,
exécutés à souhait sous la direction de M. Karel
Mestdagh.
Lundi dernier, c'était la deuxième séance de
musique de chambre donnée par le Quintette bru-
geois. Les archets du groupe, MM. Vanderlooven,
Debusschere, Delà Rivière et De Vlacmynck, ont
exécuté un nouveau quatuor en la de Glazounow,
une œuvre curieuse, de facture assez compliquée
et d'exécution très difficile. Ce qui nous a plu le
mieux dans cette œuvre, c'est, outre le mélodieux
andante, le scherzo piquant, qui contient une sorte
de mouvement perpétuel difficile comme un con-
certo.
Venait ensuite un intermède vocal, composé de
quelques chœurs à deux voix de femmes de
Rubinstein et de Schumann, très bien enlevés sous
la direction de M. J. Willemot.
Pour finir, nous avons eu une bonne exécution,
avec M. J. Van Dycke au piano, du quatuor,
op. 47 de Schumann. L. L.
t*
IIÉGE. — Le Conservatoire donnait samedi
J la primeur d'une nouvelle œuvre de Jongen :
Lalla RoîM, d'après un conte de Th. Moore. De
la donnée épisodique, l'auteur ne retient qu'une
jolie description de cortège oriental; il s'attache
plutôt à traduire la synthèse poétique : l'élan de
deux jeunes cœurs épris, admis au bonheur après
l'épreuve. Ce thème, M. Jongen le développe avec
talent, en technicien rompu aux difficultés du mé-
tier; on y trouve des subtilités d'expression, des
chatoiements de sonorités, mêlés à ce tumulte or-
chestral qui est devenu, en musique moderne, le
langage de la passion. Il manque à cette page
quelque originalité d'invention, fleurie dans une
athmosphère moins tourmentée, pour être tout à
fait bien. L'auteur, qui dirigeait d'un bâton ferme
et précis, a été chaleureusement acclamé.
Au point de vue technique, le violoniste Arrigo
Serato a de précieuses qualités; il joue purement,
l'archet très à la corde ; son style est bon, à part
une tendance fâcheuse à ralentir les mouvements
à chaque passage chanté ; trop souvent aussi, il
néglige les nuances, ce qui alourdit son jeu. Le
concerto de Beethoven a paru long et bien mono-
tone, de même que l'adagio du deuxième concerto
de Bruch. On pourrait aussi critiquer la tenue anti-
académique du violoniste; ses grimaces, ses con-
torsions donnent l'impression d'un perpétuel effort,
malgré la pureté de la note et la perfection des
traits.
Une cantatrice réputée, Mme Marcella Pregi, à
chanté avec art mais sans charme, l'air de la Dam-
nation de Faust : u D'amour, l'ardente flamme...» et
mieux, sans que cela fût très captivant, deux contes
mystiques de Bordèse, l'un signé Widor, l'autre
Fauré.
LE GUIDE MUSICAL
265
L'orchestre a exécuté, sous la direction de M.
Radoux, l'ouverture de Léonore n° 3 et celle des
Maîtres Chanteurs; ce programme, bien fait pour
secouer la mollesse de nos musiciens, n'y a réussi
qu'à demi. Quel effort patient et tenace il faudrait
pour leur restituer la vigueur et la discipline néces-
saire ! On les compte, les pupitres où s'atteste en-
core quelque amour-propre professionnel, quelque
souci de faire du beau et du bon ; le reste accom-
plit machinalement la corvée. P. D.
LI LLE . — Le quatrième concert de la Société
de musique a obtenu un immense succès.
Un public très nombreux, très chaud et enthou-
siaste n'a ménagé ses ovations ni aux artistes
éminents qui se faisaient entendre, ni à l'orchestre
et à son excellent chef.
L'exécution de la Pastorale a été parfaite ; c'était
une vraie révélation; jamais cette œuvre n'avait
produit ici aussi grande impression.
Le Mazeppa de Liszt a produit le plus grand effet
et a valu à M. Maquet un triple rappel.
Mlle Antoinette Renié, que nous entendions pour
la première fois, est une harpiste du plus grand
talent, tout à fait remarquable comme puissance
de sonorité, légèreté et fermeté des traits, sûreté
et délicatesse du jeu. Elle a joué le Concertstiick
de Pierné, Contemplation de A. Renié, la Gavotte de
Bach-Saint-Saëns, la Source de Zabel et enfin
une vieille chanson française délicatement orches-
trée par Périlhou.
Mme Marie Bréma a chanté admirablement l'air
d'Orphée; mais c'est surtout dans la scène finale
du Crépuscule des Dieux qu'elle fut réellement surhu-
maine, trouvant des accents sublimes, de grande
tragédienne lyrique.
M. Maurice Maquet a dirigé ce final avec une
grande maîtrise.
M. Clark, le baryton américain bien connu,
avait été engagé au dernier moment pour le cas
où Mme Bréma, retenue à Douvres par la tempête,
n'aurait pu paraître au concert. Il a chanté en
grand artiste l'air d'Euryanthe de Weber.
On a grandement fêté, au dernier Concert popu-
laire, le compositeur flamand Jan Blockx, qui
dirigeait ses œuvres. Avec des éléments assez
restreints, un orchestre un peu faible, des chœurs
d'hommes satisfaisants et des chœurs de dames
à peine suffisants, M. Blockx a pu cependant par
son travail obstiné aux répétitions et par sa belle
conviction d'artiste, nous offrir un concert des plus
intéressants.
Au programme : Jour de kermesse, suite d'or-
chestre pittoresque d'un joli coloris; Triptyque
flamand, œuvre forte, magnifiquement écrite dans
une langue sobre et fort belle ; une barcarolle d'un
oratorio, Rêve du Paradis, délicieuse à l'oreille
qu'elle charme sans la fatiguer; enfin, le Carnaval
de Princesse d'Auberge, très suffisamment interprété
par deux cents exécutants. Les soli étaient chantés
par M. et Mme Mikaelly; leurs belles voix ont
admirablement dominé cet ensemble débordant de
vie, de mouvement, de couleur et dans lequel le
génie flamand s'épanouit si largement. Le succès
de cette page a été énorme.
M. et Mme Mikaelly, les artistes aimés du Grand-
Théâtre de Lille, ont chanté avec goût de char-
mantes œuvrettes du maître, notamment la séré-
nade de Milenka, qui a été bissée, et d'autres dont
nous regrettons de ne pas connaître les titres.
M. Gédalge, inspecteur de l'enseignement musi-
cal, était venu de Paris pour assister à ce concert.
Il a chaudement félicité M. Jan Blockx et les orga-
nisateurs, MM. Ratez et Doutrelon de Try. Le
comité a offert à M. Blockx une couronne d'or
ciselé dans un écrin de velours aux couleurs
franco-belges. Dr P. C.
NICE. — Premières représentations d'Arnica
de M. Mascagni, et de Roland de M. Hirch-
mann. — S'il restait encore un doute sur la
supériorité de l'art musical français comparé
à l'art transalpin, les deux premières aux-
quelles nous venons d'assister suffiraient pour
l'effacer. Je veux parler de la première d'Arnica,
poème dramatique en deux actes de MM. Paul
Bérel et Pietro Mascagni, et de celle de Roland,
drame musical en trois actes et quatre ta-
bleaux, du même librettiste, musique du jeune
compositeur Henri Hirchmann, l'auteur récem-
ment applaudi de la Petite Bshème. Ce débutant,
presque un inconnu, dont le bagage est minime en
comparaison de celui du maestro italien, a rem-
porté sur celui-ci une éclatante victoire.
On se demande vraiment, en entendant la
musique de M. Mascagni, si celui-ci est encore
musicien dans le sens esthétique du mot. Il est
inutile de chercher dans son œuvre la moindre
trace de goût. On lui pardonnerait encore l'insuffi-
sance de son écriture, mais subir pareille enfilade
de phrases vulgaires et banales, accepter au
comptant cette fausse abondance d'idées et les
puériles trouvailles harmoniques (cherchées sur
266
LE GUIDE MUSICAL
le clavier) dont la partition est émaillée, cela
passe la mesure. M. Mascagni a du talent, cela
est certain, mais ce talent est jeté hors de
sa voie par un âpre et insatiable désir de
tapage et de succès faciles. On ne sait vraiment
à quelle source il puise ses accents passionnés.
L'on dirait que ses élans lyriques s'appuient sur
les sentiments les plus vulgaires, les plus terre -à-
terre. Il n'y a pas un moment de calme, de séré-
nité; tout est violent, brutal, saccadé, bruyant. Le
plus fâcheux est que le temps passe et qu'à mesure
qu'il avance dans la carrière, M. Mascagni, au lieu
de progresser, aggrave les erreurs de ses débuts.
Au demeurant, le public si mêlé de Monte-Carlo
a fait à la partition d'Arnica un accueil frénétique.
Le jour suivant, à Nice, au théâtre du Casino
municipal, avait lieu la première de Rolande. Le
contraste était saisissant ; autant l'œuvre de Mas-
cagni est outrée, brillante de lumière artificielle, et
faussement exéburante, autant celle de M. Hirch-
mann est délicate, fine et, en plus d'une page, re-
marquablement établie. M. Hirchmann semble être
une nature musicale bien saine; sa personnalité
ne s'est pas encore dégagée d'influences d'école ;
son savoir-faire n'est pas encore suffisant, surtout
quand il traite des scènes d'action; mais son ins-
piration est toujours fraîche et délicate, et il y a de
l'art et du goût. La partie la mieux venue de sa
partition est incontestablement le premier tableau
du second acte ; il s'y est montré tendre, passionné,
sincère, hautement lyrique, et çétait un vrai régal ;
ajoutez à toutes ces qualités, une science et une
technique accomplies, et vous ne vous étonnerez
pas du succès de bon aloi, sérieux et sincère que
Ton a fait à cette œuvre.
M. Paul Bérel, l'auteur des deux livrets, a une
ressemblance physique surprenante avec un éditeur
parisien bien connu, M. Paul de Choudens...
On assure même — et devant l'évidence je suis
bien obligé de me rendre — que MM. Bérel et
Choudens ne font qu'une seule et même personne.
Aussi les deux ouvrages sont-ils remarquablement
édités. Il faut de toute façon louer la belle mise en
scène qu'ils ont reçue, aussi bien à Monte-Carlo
qu'à Nice, grâce à la libéralité de MM. Gunsbourg,
de Falconnet, de Cuba et Saugey. Artistes et
orchestres ont été, de part et d'autre, non moins
excellents.
Les directeurs du Casino, MM. Falconnet et de
Cuba, ont organisé, l'autre semaine, à grands
frais, un festival Wagner qui aurait pu avoir
un retentissant succès. Malheureusement, ils en
avaient confié la direction à M. Siegfried Wagner
qui nous a donné entre autres choses, une pénible
interprétation du Siegfried-Idyïï, de l'ouverture du
Vaisseau fantôme et de divers fragments de ses
œuvres, sur lesquelles il serait inutile et cruel
d'insister. X.
\o
NOUVELLES
Le centenaire de M. Manuel Garcia a été fêté
à Londres avec une solennité exceptionnelle. Le
jubilaire a été reçu à liuckingham Palace par
S. M. le Roi Edouard VII qui lui a remis les
insignes de commandeur de l'Ordre royal de
Victoria, puis à la Société royale de médecine et
de chirurgie où sir Félix Semon lui a remis le
magnifique portrait exécuté par sir John Sargent et
où sir Alexandre Mackenzie, président de l'Aca-
démie de musique, et sir Hubert Parry, directeur
du Collège de musique lui ont présenté les félicita-
tions des artistes. Au cours de cette réception,
S. Exe. M. le marquis de Villalobar, chargé d'af-
faires de l'Espagne, lui a remis les insignes de
Grand-Croix de l'Ordre d'Alphonse XII et le pro-
fesseur Frànkel, au nom de S. M. l'Empereur
d'Allemagne, la grande médaille d'or pour les
sciences.
Le soir, un banquet de trois cent cinquante
couverts a été offert à M. Manuel Garcia qui y a
porté un toast étonnant de jeunesse et d'entrain.
Dans un article publié par YAIgemeine Musik
Zeitung, le baryton Julius Stockhausen raconte
comment il devint l'élève de Manuel Garcia.
C'était en 1848, à Paris. « Lorsque je lui demandai
ce qu'il exigeait comme honoraires, il me dit :
Combien voulez-vous me donner ? Je n'ai fitus d'élèves, ils
ont tous fui la révolution. — Mais, cher maître, vous
venez d'accorder une audition à un ténor qui a une
voix très puissante? — Oui, mais il n'a pas
d'oreille; lorsque je lui ai demandé quelle était sa
profession, il m'a répondu : Je suis tourneur. Eh lien
lui ai-je dit, tournez, tournez encore; pas d'oreille, pas de
chanteur! » Il raconte ensuite l'importance que
Manuel Garcia attachait à la bonne respiration et
les exercices sans fin qu'il faisait faire à ses élèves
dans ce but, et enfin comment il lui apprit à
triller, un jour, au coin d'une rue, sans donner de
voix en lui montrant simplement les mouvements
extérieurs de la gorge.
— Comme l'année dernière, les théâtres royaux
de Munich donneront cette année un double
festival Wagner-Mozart. Les représentations wag-
nériennes auront lieu au théâtre du Prince régent,
LE GUIDE MUSICAL
267
et les œuvres de Mozart seront exécutées au théâ-
tre de la Résidence. Voici les dates dès à présent
arrêtées :
Festival Wagner
7 août, les Maîtres Chanteurs.
9-i3 août, Y Anneau du Nibelung.
i5 » le Vaisseau fantôme.
16 » Tristan et I solde.
18 » les Maîtres Chanteurs.
21-25 » l'Anneau du Nibelung.
28 » Tristan et I solde.
3o » le Vaisseau fantôme.
3i » les Maîtres Chanteurs.
2 septembre, Tristan et Isolde.
5-g )) l'Anneau du Nibelung.
Festival Mozart
11 septembre, les Noces de Figaro.
i3 » Cosijan tutte.
i5 » Don Juan.
17 » Cosijan tutte.
19 » les Noces de Figaro.
21 » Don Juan.
— M. Massenet vient de terminer toute une parti-
tion de musique de scène pour une œuvre nouvelle
du poète Jean Aicard, intitulé le Manteau du Roi,
légende tragique en quatre actes.
— M. Luigi Mancinelli termine en ce moment la
musique d'un grand oratorio, Sainte Agnès, qui doit
être exécuté au mois d'octobre prochain au grand
festival triennal de Norwich. Ceci retarde la
représentation de son nouvel opéra, Paolo e Fran-
cesca, qui ne pourra paraître devant le public qu'au
cours de la prochaine année 1906.
— ■ L'architecte du ministère des travaux publics
d'Egypte, M. Paolo Prampolini, a dressé les
plans d'un nouveau théâtre de l'Opéra destiné à
remplacer celui du Caire, qui est construit presque
entièrement en bois.
— On nous écrit de Lyon que Mme Maria Gay y
a remporté un très grand succès dans Carmen, aux
côtés de M. Alvarez. On a applaudi surtout son
jeu intelligent dans une note très personnelle, sa
voix souple et chaudement timbrée, le charme, la
fantaisie, la verve de son allure et la finesse de son
interprétation musicale.
— Les concerts philharmoniques de Vienne, di-
rigés par M. Félix Mottl, ont donné comme nou-
veauté le deuxième concerto brandebourgeois de
Bach (adaptation de M. F. Mottl) et Dans le Midi,
d'Elgar.
— L'Académie de Chant de Vienne a donné ré-
cemment, sous la direction de M. Guillaume
Kienzl, une excellente exécution de la messe en ut
mineur de Mozart.
— On nous écrit de Manchester que M. Hans
Richter est assez gravement malade d'un érysipèle.
Les concerts ont été dirigés par MM. Brodsky et
Simon Speelman. On espère toutefois que M. Hans
Richter sera remis pour l'ouverture de la season à
Covent-Garden,où il doit conduire deux exécutions
de Y Anneau du Nibelung.
flMauos et Ibarpes
trarb
Bruxelles : 6, rue Xatérale
paris : rue ou flDatl, 13
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Tannhâuser; Faust; La Walkyrie ; Rigo-
letto, La Maladetta.
OPÉRA-COMIQUE. — Orphée; Louise; Xavière,
La Maladetta; Carmen; Le Jongleur de Notre-Dame,
Hélène; L'Enfant-Roi; La Vie de Bohème ; Werther.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice; Miss
Hélyett.
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — La
Basoche; Hérodiade; Faust; Mignon; Hamlet; Le
Jongleur de Notre-Dame et Bonsoir, M. Pantalon!;
Rigoletto; Martille et La Fille du Régiment.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT. —
Madame lArchiduc; La Belle Hélène.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Dimanche 26 mars. — Concert du Conservatoire sous
la direction de M. Georges Marty : i. Symphonie en ut
mineur n° 5, Beethoven; 2. a) La Mort d'Ophélie, ballade
pour" voix de femmes, Berlioz ; b) Ulysse (chœur des
Naïades), Ch. Gounod; 3. a) Fantaisie (première audi-
tion) pour violon, R. Schumann ; b) Romance en /«,
pour violon, Beethoven (M. Henri Marteau); 4. Deux
prélude pour Axel (première audition), M. A. Georges;
5. Trois pièces en forme de Canon (première audition), R.
Schumann, orchestrées par M. Th. Dubois; 6. Le
Prince Igor, danse polovtsienne avec chœurs, Borodine.
— Concert Colonne avec le concours de Mme Mary
Garden, de Miss Fanny Davies et de M. Cazeneuve :
Ouverture de Fidelio de Beethoven; Dix-septième con-
certo pour piano et orchestre de Mozart (Miss Davies);
Cantique du Bethphag de Trépard, première audition
(Mme Garden); Requiem de Berlioz {Sanctus chanté par
M. Cazeneuve).
— Concert Lamoureux sous la direction de M. Ca-
mille Chevillard : Ouverture de la Haine, G. Alary;
26S
LE GUIDE MUSICAL
Symphonie italienne, Mendelssohn; Rodelivda, Hsendel
(Mme Mary Garnierj; Suite symphonique, L. Moreau;
La Flûte enchantée, Mozart (Mme Mary Garnier; Mort et
Transfiguration , R. Strauss; les Maîtres Chanteurs, Wa-
gner.
Lundi 27 mars. — A 9 heures, à la salle Lemoine :
Récital d'œuvres de M. Johannès Scarlatesco avec le
concours de Mlle Maritza Rozann et de MM. Georges
Enesco, Victor Ph. Gille et Alfred Casella.
BRUXELLES
Dimanche 26 mars. — A 2 heures, au Théâtre royal de
la Monnaie, Concert populaire sous la direction de
M. Sylvain Dupuis : Le Songe de Gerontius, oratorio
d'Edward Elgar (première audition en français) avec le
concours de Mme Lafhtte, de MM. Lafhtte et Bourbon,
de Mmes Carlhant, Colbrant, Cortez, Tourjane, Udellé
et Van Dyck; de MM. Crabbé, Disy, François et Lu-
bet, du Théâtre ro3ral de la Monnaie et des chœurs du
théâtre.
Lundi 27 mars. — A 8 ^ h., à la Salle Erard : Soirée
de musique flamande par Mlle Jeanne Van den Bergh,
MM. Georges Surlemont, Jos. Watelet, et avec le con-
cours de Mnie A. Béon. An programme : Œuvres de
Peter Benoît, H. Waelput, G. Antheunis, Edward
Keurvels. Lod. Mortelmans et Frank Vander Stucken.
Mardi 28 mars. — A 8 )/% h., à la Grande Harmonie :
Récital de violon par M. Paul Kochanski. Au pro-
gramme : H. Wieniawski, Tartini, Bach, Chopin-
Wilhelmi, Tschaïkowsky, Zarzycki, Paganini.
— A 8 Yi h., à la salle Erard : Concert donné par
MM. Gaston Waucampt, pianiste et Georges Liégeois,
violoncelliste, avec le gracieux concours de MUe G.
Florany, cantatrice. Au programme : Boëlimann, Max
Bruch, Popper, Bach, Piatti, Beethoven, Gounod,
Schubert, Chopin, G. Waucampt.
— A 3 h., Concert extraordinaire à la Libre Esthé-
tique, avec le concours de MM. G. Surlemont, baryton,
Théo Ysaye, pianiste, et du Quatuor Zimmer, qui inter-
préteront le quatuor à cordes en mi majeur de Vincent
d'Indy, le quatuor en ut mineur (piano et cordes) de
G. Fauré et, en première audition, des pièces vocales
d'A. Magnard, H. Duparc et R. Bonheur.
Mercredi 29 mars. — A 4 yz h., Salle Gaveau, Une
heure de musique par M™ Bathori et M. Engel : La
Chanson populaire.
Jeudi 30 mars — Salle Erard : Troisième concert du
Cercle du Quatuor vocal et instrumental Programme
classique comprenant : Sonate et duo de Haendel, Trio
de Spohr, Chant élégiaque à quatre voix de Beethoven
un duo de Mignon et des Lieder de Schubert, ainsi
qu'une sonate pour violoncelle de Mendelssohn.
Vendredi 31 mars. — A 8 % h., à la salle Erard :
Audition d'œuvres de Peter Benoit, organisée par M.
Ed. Barat, pianiste, avec le concours de Mlle Jeanne
Van den Bergh, cantatrice, et M. Hippolyte Vinck,
flûtiste.
— A 8 "fa h., à la Grande Harmonie, Concert par
l'Association des Chanteurs de Saint-Boniface, avec le
concours de Mme Demest, cantatrice, de MM. E. Van-
derborght, baryton; E. Chaumont, violoniste; Aug.
De Boeck, organiste et d'un groupe de dames-amateurs.
Dimanche 2 avril. — A 2 h., au théâtre de l'Alhambra :
Cinquième concert Ysaj-e sous la direction de M. W.
Mengelberg, chef d'orchestre du Concertgebouw d'Am-
sterdam, et avec le concours de M. Raoul Pugno, pia-
niste. Programme : Symphonie n° 3 (Eroïca), L. Van
Beethoven; Concerto en mi bémol, VV. A. Mozart (M.
R. Pugno); Psyché, fragments symphoniques, C. Franck;
Variations symphoniques, C. Franck (M. R. Pugno);
Ouverture de Tannhauser, R. Wagner.
Mercredi 5 avril. — A 8 ^ h., à la Nouvelle Ecole
allemande : Troisième séance du Quatuor Zimmer.
Au programme : Quatuors en re majeur op. 5o de
Haydn, en mi majeur op. 45 de Vincent d'Indy, en ré
majeur op. 18 de Beethoven.
Jeudi 6 avril. — A 8 y% h., à la Grande Harmonie ;
Séance annuelle de piano par M. Joseph Wieniawski.
Au programme : Schubert, Field, Weber, Chopin,
Moniusko, Rubinstein, Hsendel, Schumann, Mendels-
sohn, Wieniawski, Liszt.
Vendredi 7 avril. — A 8 Y% h., salle Erard, Conférence
de Mme Cléricy du Collet : L'art de conduire la voix parlée
et chantée.
ANVERS
Mercredi 29 mars. — A 8 y^ h., à la Société royale de
Zoologie : Festival Vincent d'Indy, sous la direction de
l'auteur, avec le concours de Mme Fierens, de M. L.
Swolfs et de M. Maurice Geeraert, pianiste.
BRUGES
Dimanche 26 mars. — A 6 heures, en la Salle des
Concerts : Concert annuel du Chœur mixte brugeois,
sous la direction de M. Alphonse Wybo, avec le con-
cours de M. Camille Gurickx, pianiste, professeur au
Conservatoire royal de Bruxelles. Programme : Trois
chœurs mixtes a capella, Mendelssohn ; Prélude et Fugue
en sol mineur (transcrite pour piano par A. Dupont),
J.-S. Bach; Trois Répons à matines pour le Jeudi-Saint,
M. Ingegneri; Sonata appassionata, L. van Beethoven ;
Deux chœurs pour voix de jemmes, C. Franck ; Trois
pièces pour piano, Chopin; Choral de Bach et Noël du
xvine siècle.
GAND
Mercredi 3! mars. — Au Cercle artistique et littéraire,
séance du Quatuor Zimmer. Au programme : Quatuors
en mi bémol de Mozart, en fa majeur op. i35 de Bee-
thoven et en ut mineur de Brahms.
Samedi 1er avril. — A 8 h., Quatrième concert d'abon-
nement sous la direction de M. Ed. Brahy avec le con-
cours de M. Ossip Gabrilowitch, pianiste.
LIÈGE
Jeudi 30 mars. — A 8 yz h., en la salle de l'Emula-
tion : Séance César Franck, organisée par le Cercle
l'Avant-Garde, avec le concours de MM. Vincent
d'Indy, Albert Zimmer et Maurice Jaspar. Programme :
1. Conférence sur César Franck par M. V. d'Indy;
2. Sonate en la par MM. Zimmer et Jaspar.
NANCY
Dimanche 26 mars. — Concert du Conservatoire, sous
la direction de M. Guy-Ropartz : 1. Ouverture d'Eu-
ryanthe C.-M. von Weber; 2. Concerto en ut mineur,
L. Van Beethoven (M. Raoul Pugno); 3. Danse macabre
C. Saint-Saëns (M. A. Heck) ; 4. Les Djinns. C. Franck
(M. Raoul Pugno); 5. Prélude de Lohengrin, R. Wagner;
6. Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, R. Wagner (frag-
ments du troisième acte).
Dimanche 9 avril. — Concert du Conservatoire, sous
la direction de M. Guy Ropartz : La Damnation de Faust
de Berlioz.
LE GUIDE MUSICAL 269
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5ime année. — Numéro Ï4-,
2 Avril igo5.
LE
LANGAGE MUSICAL DE J.-S. BACH
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
E grand mérite de Bach, c'est
d'avoir instinctivement deviné ce
que la musique pouvait dire
à l'aide de ses propres res-
sources, et d'avoir substitué au langage
conventionnel des primitifs un langage natu-
rel qui agit directement sur la sensibilité.
Lui aussi entre résolument dans la voie de
la description musicale. Dès 1704, nous le
voyons composer un Capriccio sur le départ
de son frère, où il retrace la scène des adieux
à la famille : les efforts des amis pour rete-
nir le voyageur par leurs « cajoleries », ou
l'affrayer par la description des hasards et
des risques qu'il trouvera à l'étranger; leurs
lamentations lorsqu'ils voient sa résolution
inébranlable, leurs adieux au voyageur,
enfin l'appel du postillon et les sonneries
de son cor. Or, ces diverses péripéties sont
exposées avec une simplicité de moyens,
avec une netteté et une précision qui ne
laissent rien à souhaiter. Le lamento no-
tamment est, selon M. Schweitzer, une page
véritablement classique et qui marque une
date dans l'histoire de la musique descrip-
tive. Avec une géniale sûreté, Bach a su
trouver dans cette esquisse de jeunesse les
motifs typiques qui lui serviront désor-
mais, dans toutes ses œuvres suivantes,
pour caractériser les diverses nuances de
la douleur : pour la douleur calme, un motif
en croches ou en doubles croches liées
deux à deux; pour la douleur agitée, qui
semble entrecoupée de sanglots, un mo-
tif coupé de syncopes irrégulières; pour
les gémissements de la douleur aiguë,
un motif chromatique descendant de cinq
ou six notes. Rien de plus simple, rien de
plus clair et de plus suggestif.
Et cette préoccupation descriptive et sym-
bolique s'affirme désormais dans toute
l'œuvre de Bach. Dans les ouvrages qui
s'appuient sur un texte, cantates, passions,
motets ou messes, nous le voyons toujours
préoccupé avant tout de donner à ce texte
le relief qu'exige la musique. « 11 a horreur,
dit M. Schweitzer, de la musique neutre
qui vient se superposer à un texte sans
avoir rien de commun avec lui que le
rythme et un sentiment tout à fait géné-
ral. » Il entend véritablement rehausser par
l'expression musicale ce qui lui apparaît
comme la pensée maîtresse, le trait domi-
nant, la substance musicale du morceau
qu'il traite. Et il s'acquitte de cette tâche
avec une aisance et une simplicité admira-
bles. Veut- il traduire musicalement des im-
pressions visuelles, veut-il rendre la poésie
de la nature qu'il sentait profondément et
qu'il aimait à faire chanter dans son œuvre
pour peu qu'il en trouvât l'occasion, il ima-
gine des motifs typiques pour figurer les
ondulations des vagues, le balancement de
la mer, le mouvement des nuages, le brouil-
272
LEGUIDE MUSICAL
lard qui se dissipe aux rayons du soleil, le
glissement des anges dans le ciel, la rep-
tation du serpent ou de Satan. Cherche-t-il
à exprimer les sentiments élémentaires de
l'âme, il nous présente un ensemble de for-
mules rythmiques d'un symbolisme très
simple pour rendre les idées ou sentiments
de fermeté, d'assurance, de défaillance, de
paix, de tristesse, de joie, d'allégresse ; et
ses formules ont le plus souvent pour point
de départ la transcription musicale de la
démarche humaine, ferme ou hésitante,
régulière ou saccadée, solennelle ou tumul-
tueuse, ascendante ou descendante. « Il
existe, dit M. Schweitzer, une quinzaine
ou une vingtaine de ces catégories dans
lesquelles on peut faire rentrer tous les
motifs expressifs caractéristiques de Bach.
La richesse de son langage ne consiste pas
dans l'abondance de thèmes différents,mais
dans les différentes inflexions que prend le
même thème suivant ces occasions. Sans
cette variété de nuances, on pourrait même
reprocher à son langage une certaine mo-
notonie. C'est en effet la monotonie du
langage des grands penseurs qui, pour
rendre la même idée, ne trouvent tou-
jours qu'une expression unique, parce
qu'elle est la seule vraie. »
Mais les préoccupations descriptives et
symbolistes n'apparaissent pas seulement
dans celles des œuvres de Bach qui repo-
sent directement sur un texte, elles se font
jour d'une façon tout aussi marquée dans
les plus célèbres de ses œuvres d'orgue.
Les préludes de chorals, en effet, dont
Bach a donné d'incomparables modèles
nous montrent l'emploi des mêmes procé-
dés de symbolisme musical. Aussi bien, la
nature même de cette forme d'art appelait-
elle presque nécessairement l'usage des
procédés descriptifs : « En effet, témoigne
M. Schweitzer, les auditeurs, en entendant
dans le prélude la mélodie du choral, con-
naissaient les paroles que recouvrait cette
mélodie, ils les avaient présentes à la mé-
moire, mieux encore, sous les yeux, dans
leur livre de cantiques ; bien plus, ils
allaient les chanter dans quelques instants.
Ne devaient-ils pas chercher tout naturel-
lement une concordance entre la poésie et
la musique? Donc, nul besoin d'explica-
tions pour faire comprendre telle ou telle
intention poétique ou descriptive de la mu-
sique. Que la musique des préludes des
chorals fût descriptive, c'est ce qui, sem-
ble-t-il, eût dû s'entendre de soi pour l'or-
ganiste tout comme pour l'auditeur. Et l'on
se demande alors comment les Scheidt, les
Pachelbel et les Buxtehuds ne s'en avisè-
rent pas. En l'absence d'un texte, le musi-
cien est, d'ordinaire, forcé de recourir à
un moyen artificiel pour indiquer à l'audi-
teur ce qu'il a voulu exprimer par la musi-
que ; un titre ou quelques paroles d'expli-
cation sont nécessaires pour évoquer les
choses décrites. Point n'était besoin ici de
pareils artifices, et l'on s'étonne d'autant
plus que les précurseurs de Bach aient
passé à côté du problème nouveau qui se
posait, sans se douter même qu'un pro-
blème se posât. » Bach, avec la clairvoyance
du génie, n'eut garde de tomber dans les
erreurs de ses devanciers. Abandonnant
résolument les procédés des Pachelbel, des
Bôhne, des Reinken, il cultive et porte à
son point de perfection la forme libre de la
fantaisie de choral. Il arrive à la maî-
trise complète dans YOrgelbùchlein, dans
cette collection modèle de petits chorals
qu'il a rassemblés, aux environs de sa tren-
tième année, à Weimar et à Côthen. Ce
sont des fantaisies d'orgue dont le trait ca-
ractéristique est qu'elles font entendre la
mélodie de choral accompagnée et pour
ainsi dire commentée par un motif descrip-
tif renfermant l'idée maîtresse du texte. Ici,
Bach nous donne une méditation mélanco-
lique au crépuscule de la dernière soirée
de l'année (Das ait Jahr vergangen ist); là, il
célèbre joyeusement le soleil levant de la
nouvelle année(i>/ dir ist Freztde); ailleurs, il
dépeint l'attente confiante de la mort (Mit
Fried und Freud ich fahr dahiu),la. lassitude
delà vie {Herr Gott nun schleuss den Himmel
auf), le mystère angoissant du péché origi-
nal (Durch A dams F ail), et ainsi de suite. Et
toutes ces descriptions musicales, Bach les
LÉ GUID^ MUSICAL
273
. exécute en se servant des mêmes procédés
dont nous avons signalé l'emploi dans les
cantates. Nous y trouvons déjà arrêtés et
fixés presque tous les motifs typiques ou
expressifs que nous avons signalés plus
haut et qui reviennent sous une foule de
variantes indéfiniment renouvelées dans les
œuvres postérieures, cantates ou passions.
Si bien que l'on peut voir dans les petits
chorals d'orgue comme un « dictionnaire
de la musique de Bach », un recueil des
formules principales de son langage.
Et une fois que l'on a pris conscience
des éléments de ce langage, toute l'œuvre
de Bach revêt soudain un aspect nouveau.
Partout on y sent tressaillir la vie ; partout
elle cesse d'être une simple architecture
sonore et prend un sens que nous révèlent
les thèmes et motifs employés par les musi-
ciens : « Les compositions même qui ne se
rattachent à aucun texte, comme les prélu-
des et les fugues du Clavecin bien tempéré,
deviennent parlantes et énoncent en quel-
que sorte une idée concrète. S'agit-il d'une
musique écrite sur des paroles, on peut,
sans regarder le texte, en préciser les idées
caractéristiques à l'aide des thèmes seuls. »
Dans quelle mesure tout ce processus
était-il conscient chez Bach, dans quelle
mesure a-t-il été, suivant la belle expres-
sion de Wagner « conscient de l'incons-
cient » {der W inends des Unbewussten) ? On
ne sait trop. On ne trouve, dans ses confi-
dences à ses élèves, aucune allusion qui
permette d'affirmer qu'il se rendît compte
avec netteté des associations que son in-
stinct créateur établissait entre tel motif
musical et telle sensation auditive ou vi-
suelle. Il arriva même à Bach de se paro-
dier lui même et de détruire, en substituant
un nouveau texte au livret primitif, les in-
tentions descriptives de telle de ses œu-
vres. Un livret de Picander,qui mettait en
scène Eole se disposant à libérer les vents
enchaînés, puis vaincu grâce à l'interven-
tion de Pallas et des Muses, réenchaînant
les vents et laissant le champ libre au soleil
et à la joie, avait inspiré à Bach un admi-
rable poème d'automne, où il peignait de la
façon la plus expressive la fureur des vents
déchaînés, la mélancolie des feuilles tom-
bantes, puis la renaissance de la lumière et
de la vie. Or, se trouvant obligé, à quelque
temps de là, de composer une cantate pour
le couronnement d'Auguste II, roi de
Pologne, il reprend son Eole apaisé et
remplace le texte ancien par un livret de sa
composition qui mettait en scène la Bra-
voure, la Justice et la Clémence et con-
cluait en priant le roi Auguste de favoriser
les Muses. Par cette substitution véritable-
ment sacrilège, Bach détruisait de fond en
comble la belle harmonie qui existait, dans
l'œuvre originale, entre le texte poétique et
la musique. Si bien qu'on est tenté de se de-
mander, en présence de ce fait et d'autres
semblables, si Bach avait réellement con-
science du caractère descriptif de sa musi-
que ou si, au contraire, l'instinct pictural
n'était pas chez lui dans une très large me-
sure inconscient.
A un autre point de vue, inversement, il
semble que la recherche de l'effet descrip-
tif ou du symbole entraîne parfois Bach
par delà les limites de la beauté propre-
ment musicale. Il se plaît alors, si l'on en
croit les ingénieuses analyses de M.
Schweitzer, à imaginer des constructions
d'une complication véritablement scolas-
tique et d'un symbolisme étrangement
abstrait. L'étude du grand recueil de cho-
rals de 1739, notamment, montre à quelles
étonnantes subtilités il pouvait aboutir.
Entreprenant de représenter le dogme
luthérien sous forme musicale, Bach ima-
gine de traiter chaque choral de deux fa-
çons différentes, l'une savante et abstraite,
l'autre simple et naturelle, et cela parce
que Luther a écrit deux catéchismes, un
grand, en latin, pour les penseurs et les pas-
teurs, et un petit, en allemand, pour les en-
fants. Ailleurs, il symbolise les dix com-
mandements, dans le choral Dies sind die
heilgen zehn Gebot, en faisant répéter dix
fois par la pédale la première phrase de- la
mélodie. Ou bien il exprime le désordre
moral dans le monde avant la promulgation
de la loi divine au moyen d'une grande
274
LE GUIDE MUSICAL
fantaisie libre où l'on voit les différentes
parties suivre leur chemin sans souci les
unes des autres, sans rythme, sans plan,
jusqu'au moment où apparaît la loi, repré-
sentée par un canon sévère sur la mélodie
de choral, qui se poursuit majestueuse-
ment à travers la fantaisie. Dans sa re-
cherche du descriptif, Bach va, surtout
vers la fin se sa vie, jusqu'à sacrifier par-
fois la beauté musicale à l'effet pittoresque,
et il lui arrive de créer des thèmes admira-
blement caractéristiques, mais dénués de
tout charme musical. C'est le cas, notam-
ment, pour certains airs construits sur des
thèmes figurant la démarche d'un homme
qui trébuche (voir, par exemple, la cantate
Ich glaube Herr, hilf meinem Unglauben,
avec ses descriptions si expressives, mais
presque insupportables à l'audition , de la foi
défaillante), ou encore le motif étrange —
qui semble avoir été suggéré à Bach « par
la vision d'un marin qui cherche un appui
solide sur les planches roulantes » — à
l'aide duquel il prétend décrire, dans la
grande version du choral Jésus Christus
miser Heiland, le miracle de la Sainte Cène.
Mais si, par suite de l'exceptionnelle
profondeur de sa pensée, Bach a pu se
laisser entraîner parfois hors du domaine
propre de son art, il n'en est pas moins un
des génies les plus admirables de tous les
temps. M. Schweitzer nous montre en lui
non point un représentant de la « musique
pure » comme on l'admet communément,
mais un musicien -poète de grand style. Ce
génie prodigieux pour qui la technique
musicale n'eut pas de secret, ce composi-
teur d'une science impeccable et d'une
merveilleuse fécondité d'imagination, ce
virtuose sans rival devant qui l'un des plus
illustres maîtres français de l'orgue, Mar-
chand, s'éclipsait sans oser affronter un
tournoi public, — n'était pas un spécialiste
de la musique, mais bien un artiste complet,
génial par la pensée comme par le cœur et
pour qui la musique fut seulement l'instru-
ment sacré à l'aide duquel il s'efforça de
traduire d'une façon sensible sa vision du
monde, sa conception religieuse de l'uni-
vers. A l'aide d'un petit nombre de formu-
les, de « racines » musicales (si je puis
m'exprimer ainsi) obtenues soit en stylisant
des bruits naturels (le glas funèbre, le gé-
missement, le rire, etc.), soit en transpo-
sant symboliquement dans le langage des
sens certaines impressions visuelles (ondu-
lations de l'eau, fuite des nuages, rythmes
et allures variés de la démarche humaine,
etc.), il s'est créé une sorte de langage très
simple, non point du tout abstrait et froi-
dement allégorique, mais vivant et sug-
gestif, capable de mettre en branle directe-
ment, sans aucune intervention de la
réflexion consciente, l'imagination et le
cœur. Et dans ce langage simple par ses
éléments constitutifs, mais diversifié à l'inj
fini grâce à son art du développement, il
a su dire avec une savante ingénuité ses
rêves intimes et sa foi religieuse, il a su
faire chanter en des accents de la plus con-
vaincante sincérité toutes les émotions qui
firent vibrer sa grande âme.
Le livre de M. Schweitzer n'a pas seule-
ment le mérite de renouveler à certains
égards la conception traditionnelle qu'on
se fait de Bach, de contribuer ainsi à une
intelligence plus approfondie de son œu-
vre, de poser un problème captivant d'es-
thétique et de psychologie musicale. Il
plaît aussi par l'accent tout personnel que
l'auteur a su donner à son exposé. A la fois
théologien et pasteur, philosophe et orga-
niste, en même temps artiste, homme de
pensée et homme d'action, M. Schweitzer
a pu comprendre et pour ainsi dire « vivre »
Bach comme peu d'hommes aujourd'hui
sont en état de le faire. De là aussi la vie
et la chaleur qu'il a su communiquer à ses
descriptions. Son étude n'est pas seule-
ment une œuvre d'érudition; on devine
chez lui un commerce intime et prolongé,
une familiarité profonde avec le vieux
cantor de la Thomasschule. On sent qu'il
connaît à fond la sphère d'idées et de sen-
timents où se mouvait Bach ; et on sent
en même temps chez lui l'organiste qui a
longuement pratiqué le maître, qui a préparé
et accompagné de nombreuses auditions
LE GUIDE MUSICAL
275
de ses œuvres. On comprend, en le lisant,
que sa thèse n'est pas la construction para-
doxale d'un théoricien érudit, mais qu'elle
a sa source dans les impressions directes
et vivantes de l'artiste et du praticien. —
Il n'est pas indifférent, enfin, de remarquer
que cette étude, due à la plume d'un pro-
fesseur de l'Université de Strasbourg, est
écrite en français et destinée au public
français. Enfant d'Alsace, M. Schweitzer
a voulu ainsi s'associer à cette œuvre de
médiation intellectuelle entre la culture
française et la culture allemande qui est
la mission séculaire de l'Alsace et qui
réunit aujourd'hui encore dans une pensée
commune les Alsaciens des deux côtés des
Vosges, ceux qui sont partis et ceux qui
sont restés. Ce nous est une raison de plus
pour souhaiter une heurense fortune à un
livre solide et clair, qui ne peut manquer
d'obtenir un succès mérité et de bon aloi
auprès de tout le public de langue fran-
çaise qui s'intéresse aux problèmes musi-
caux. Henri Lichtenberger.
LE SONGE DE GÉRONTIUS
de sir Edward Elgar
aux Concerts Populaires
Lorsque le Songe de Gcroutius fut donné
pour la première fois en Angleterre
(en 1900, au festival de Birmingham),
il n'obtint pas — constate M. Robert
J. Buckley dans l'ouvrage qu'il a consacré récem-
ment au musicien anglais (1) — un succès en rap-
port avec la haute valeur de la partition. C'est que
celle-ci tranchait absolument, par sa conception
très moderniste, sur les productions auxquelles
était accoutumé, en matière d'oratorios, le public
(t) Sir Edward Elgar, by Robert J. Buckley (John
Lane, London and New-York, 1905). Ce volume forme
le n° III de la série de monographies intitulées Living
Mastevs of Music et publiées sous la direction de Rosa
Newmarch.
britannique. L'auditoire se montra tout surpris de
ne pas retrouver, dans l'oeuvre nouvelle, les formes
classiques, ou plutôt scolastiques, des partitions
de Hsendel, qui entrent pour une si large part
dans la composition des programmes en Angle-
terre : on eut quelque peine à admettre qu'une
œuvre d'un pareil développement ne comprît pas
de nombreuses pages en style fugué, écrites selon
les traditions des grands maîtres d'autrefois. L'œu-
vre sembla donc révolutionnaire à beaucoup; elle
fut écoutée avec respect, mais la langue musicale
dont se servait Edward Elgar apparut comme un
idiome nouveau, que le public n'était pas préparé à
comprendre. Et l'impression dominante fut une
sorte de désappointement, vu la réputation que le
musicien s'était déjà faite par ses œuvres anté-
rieures. Seuls les esprits les plus avancés saisirent
toute la beauté de cette cantate religieuse.
L'exécution de celle-ci au festival rhénan
de 1901, à Dusseldorf, eut pour effet de mettre les
choses au point. La critique allemande formula, en
général, des appréciations enthousiastes, qui trou-
vèrent leur écho en Angleterre. Et l'œuvre, écoutée
désormais avec plus d'attention, dans un esprit
moins hostile aux idées novatrices, fut jouée suc-
cessivement avec le plus grand succès dans toutes
les grandes villes anglaises.
Au concert de dimanche, il semble y avoir eu,
comme en 1900 chez nos voisins d'outre-Manche,
un léger malentendu, mais il fut d'une autre nature.
Le public, dont l'éducation musicale a été dirigée
ici dans des voies toutes différentes, était certes
préparé à apprécier une composition d'une écriture
aussi raffinée ; mais où il y eut surprise, et par là
momentané désaccord, ce fut quant à la donnée
poétique de l'œuvre. La plupart des auditeurs,
ignorants du sujet qu'annonçaient ces mots « le
Songe de Gérontius », ne s'attendaient pas à un
poème d'un mysticisme aussi intense, d'une essence
aussi profondément dogmatique; et ce fut dans
une atmosphère insuffisamment imprégnée du
recueillement nécessaire, que se déroulèrent les
deux parties de cet oratorio, auquel le cadre
d'une salle de spectacle est d'ailleurs si peu appro-
prié.
L'œuvre de sir Edward Elgar n'a donc pas
obtenu, à cette première audition en langue fran-
çaise, tout le succès qu'eût justifié sa haute valeur
musicale, déjà mise en lumière ici par l'intéres-
sant article que publiait le Guide Musical dans son
numéro du 26 mars dernier. Elle nous a paru
surtout remarquable par une tenue irréprochable,
qui lui fait conserver d'un bout à l'autre cet accent
de foi profonde dont le musicien semble animé
276
LE GUIDE MUSICAL
au même point que le librettiste. Certes l'écriture
de Sir Elgar subit en maints endroits l'influence
de Parsifal, et les désespérances de Gérontius ont
parfois, musicalement, une parenté prononcée
avec les souffrances morales d'Amfortas. Mais il
ne se dégage pas moins de l'œuvre, dans son
ensemble, une personnalité très réelle, résultant
moins d'une substance constitutive ayant son
caractère propre que de la manière dont les idées
mélodiques sont développées, distribuées, pour
former un tout d'une unité de conception et d'inspi-
ration vraiment admirable. Les accents drama-
tiques ont une grande puissance expressive, en leur
simplicité exempte de toute mise en scène théâ-
trale, de toute recherche d'effet extérieur, mais
leur pouvoir émotif est intimement lié au sujet lui-
même et résulte d'une fusion intense de la poésie
et de la musique; en d'autres termes, celle-ci, si
intéressante qu'en soit la facture, n'a pas une
suffisante extériorité pour que le charme en appa-
raisse sans que l'auditeur soit pénétré du senti-
ment poétique qui l'a inspirée. Et de là, nous le
répétons, l'effet relativement peu considérable
produit, dimanche dernier, sur un public en
majeure partie insuffisamment préparé. Gageons
qu'à une seconde audition, exempte cette fois
de toute méprise, l'impression serait particulière-
ment forte. Tel fut d'ailleurs le cas pour maints
auditeurs qui étaient sortis de la répétition géné-
rale sous une impression vague, mal définie, et qui
le lendemain éprouvèrent une émotion profonde à
réentendre cette musique si sincère, écrite en
dehors de toute préoccupation d'effet, avec la seule
pensée de traduire de la manière la plus fidèle,
dans la langue des sons, les sentiments exprimés
par le poète.
Ce que tout le monde admira, sans restriction,
c'est la manière remarquable dont sir Edward
Elgar traite les ensembles vocaux. Les chœurs
sont construits avec une maîtrise qui, dans les
pages les plus fournies où se trouvent groupées
jusqu'à quatorze parties, ne laisse rien apparaître,
à l'exécution, des complications d'une écriture
dont la sûreté tient du prodige. Il y a là des effets
merveilleux, obtenus toujours par des moyens de
la plus stricte probité, sans pédanterie, sans l'idée,
si fréquente aujourd'hui, de chercher à étaler la
difficulté vaincue. C'est d'ailleurs la caractéris-
tique de l'œuvre entière ; et comme pour les
chœurs, la polyphonie instrumentale, si moder-
niste soit-elle, ne s'inspire jamais que du désir de
l'expression juste, arrivant d'ailleurs à de grandes
impressions par des moyens d'une apparente sim-
plicité.
Le Songe de Gérontius a reçu aux Concerts popu-
laires, grâce au concours des artistes du théâtre
de la Monnaie, une exécution vraiment remar-
quable. M. Laffitte, qui s'était révélé ily quelque
temps au Conservatoire, dans le Judas Macchabée de
Haendel, chanteur d'oratorio de premier ordre,
ne s'est pas moins distingué dans le rôle de Géron-
tius, qu'il a dit dans un style excellent, mettant
tous les détails en valeur par une articulation fort
nette. Si la voix de Mme Laffitte n'a pas toute la
gravité que réclame le rôle de l'Ange, l'intelligente
artiste s'est cependant acquittée de sa tâche en
musicienne accomplie, colorant son exécution de
nuances très délicates. Et la voix de M. Bourbon
a résonné admirablement dans les rôles du Prêtre
et de lAnge de l'Agonie.
Il faut féliciter chaleureusement M. Sylvain
Dupuis de nous avoir fait connaître cette œuvre
de grande valeur et de s'être consacré à cette tâche
avec une si haute compétence, une foi artistique
si ardente. Espérons que ses efforts n'auront pas
été dépensés pour cette seule audition et qu'il
nous sera donné bientôt d'applaudir à nouveau
cette production qui jette un vif éclat sur l'école
anglaise moderne. J. Br.
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS DU CONSERVATOIRE. —
A son avènement, M. Georges Marty était trop
sage pour amener la révolution dans la Société des
Concerts : elle ne se fût pas laissé faire. Avec une
prudente lenteur et force ménagements, il a peu à
peu introduit dans les programmes ou des ouvrages
classiques inconnus des abonnés, ou des œuvres
nouvelles et même ultra-modernes. Au début, la
Société, par habitude, a protesté, mais pas long-
temps ni bien haut; comme une vieille coquette,
elle a été ravie d'être violentée avec tant de poli-
tesse. Aujourd'hui, la conquête est achevée, et
M. Marty est, je crois, maître de la place : il peut
maintenant aller encore plus de l'avant.
Le programme du 26 mars, très éclectique, était
particulièrement intéressant. Après une superbe
exécution de la symphonie en ut mineur, l'œuvre
peut-être la plus accomplie de Beethoven, parce
qu'on n'a pu y découvrir la plus légère imperfec-
tion, les chœurs féminins ont chanté délicieuse-
L,2 GUIDE MUSICAL
277
ment un fragment de la Mort d'Ophélie de Berlioz,
composition écrite par le maître pendant son
séjour à Londres, non en 1847, comme le dit le
programme, mais en 1848 (elle porte la date du
4 juillet). En écoutant la douceur et la mélancolie
des voix, il m'a semblé que l'auteur de Sigma s'en
était involontairement inspiré dans l'admirable
« Scène de la fontaine », et, dans ma pensée, s'est
confondu le souvenir de Reyer et de Berlioz.
Si la Mort d'Ophélie a été beaucoup applaudie, le
« Chœur des Naïades » composé par Gounod pour
Ulysse, tragédie de Ponsard, l'a été plus encore,
puisqu'il a été bissé, avec mollesse, il est vrai, par
la moitié des abonnés, mais impérativement par un
petit groupe — quorum pars fui — d'admirateurs du
maître. On sait que la pièce, représentée au
Théâtre-Français le 18 juin i852, n'eut aucun
succès. Alexandre Dumas père, qui en parla dans
ses Mémoires, a constaté que les meilleurs vers
étaient ceux que Gounod avait mis en musique.
Le charme de la partition a fait illusion sur l'esprit
de Dumas. Ces vers-là — relisez-les pour votre
pénitence — valent peu de chose : Ponsard n'était
qu'un médiocre poète « de province ». Il est
curieux de rappeler que la musique d'Ulysse fut
dirigée par Offenbach, alors chef d'orchestre du
Théâtre-Français, et que la partition eut la chance,
que n'avait pas eue Sapho (représenté à l'Opéra le
16 avril i85i), de rencontrer un éditeur, Escudier,
qui l'acheta... pour rien!
Dans ses Souvenirs, Saint-Saëns raconte que sa
grande intimité avec Gounod date des chœurs
d'Ulysse (il avait alors dix-sept ans). « Gounod
jouait du piano fort agréablement, dit-il, mais la
virtuosité lui manquait et il avait quelque peine à
exécuter ses partitions. Sur sa demande, j'allais
presque chaque jour passer avec lui quelques
instants, et, sur les pages toutes fraîches, nous
interprétions à nous deux, tant bien que mal —
plutôt bien que mal — des fragments de l'œuvre
éclose. Sa grande préoccupation était de trouver
sur la palette orchestrale une belle couleur Il
rêvait, pour ses chœurs de nymphes, des effets
aquatiques, et il avait recours à l'harmonica fait
de lamelles de verre, au triangle avec sourdine,
celle-ci obtenue en garnissant de peau le battant
de l'instrument. Les gens de métier savent qu'au
fond, c'est surtout à la musique elle-même, à
l'habile emploi de l'harmonie qu'est dû le caractère
de la sonorité ; aussi est-ce particulièrement une
double pédale de tierce et de quinte, changée plus
tard en triple pédale par l'adjonction de la to-
nique, véritable trouvaille de génie, qui prête au
premier chœur d' Ulysse tant de charme et de fraî-
cheur. » La citation est un peu longue, mais le
plaisir que vous aurez à la lire me tient lieu
d'excuse.
M. Henri Marteau a exécuté la romance en fa
de Beethoven d'un style très pur et très froid. Cet
artiste de grand talent a joué aussi une fantaisie
pour violon de Schumann, avec la même pureté ;
mais pouvait-il faire autrement pour une œuvre où
la virtuosité tient plus de place que la musique?
Son seul tort, c'est de l'avoir choisie et fait agréer.
Deux préludes, d'Alexandre Georges, composés
pour Axel, drame de Villiers de l'Isle-Adam
représenté à la Gaîté en 1894, ont été accueillis
avec faveur et méritaient de l'être. Ils décrivent le
monde religieux et le monde Iragique : musique
synthétique qui ne se perd pas en développements
exagérés, qui exprime juste ce qu'il faut, nerveuse
et concise, rappelant, dans la première partie, la
scène mystique de Parsifal, et, un peu partout, le
contour wagnérien.
Trois pièces en forme de canon, écrites pour
piano à pédalier par Schumann et récemment
instrumentées par Théodore Dubois, ont obtenu
plus de succès encore. Sans doute, l'orchestre et
les solistes, MM. Hennebains, Bleuzet, Mimart,
Brun, etc., les ont mises en valeur avec un talent
dont rien n'approche; mais le coloris en est si
varié, si harmonieux, si distingué de ton, qu'on a
oublié un instant la musique de Schumann pour
ne penser qu'aux parures dont le peintre l'a
revêtue.
Grâce à M. Théodore Dubois, qui nous a ménagé
la transition, nous avons pu passer sans trop de
difficulté du Schumann illustré avec tant d'art au
Borodine éclatant de lumière. Les danses polovtsi-
niennes du Prince Igor forment, en effet, avec les
chœurs qui se mêlent à l'orchestre, un tableau si
plein de couleur, de mouvement et de magnificence
qu'il est rare de pouvoir achever un concert sur un
effet aussi grandiose et aussi éblouissant.
« Borodine mourut trop tôt, en 1887 », dit la
notice explicative du programme. La remarque
n'est pas dénuée de sens : on meurt toujours trop
tôt. Julien Torchet.
CONCERTS COLONNE. — La séance de
dimanche dernier comportait surtout une seconde
exécution du Requiem de Berlioz, et je ne trouve
rien à ajouter ou à modifier aux termes de notre
précédent compte-rendu. Il y a sans doute de
belles pages dans cette œuvre ultra-romantique,
des pages même inspirées, pénétrantes ; mais
combien d'un effet fâcheusement théâtral et d'une
278
LE GUIDE MUSICAL
couleur baroque ! Et que la préférence de Berlioz
pour ce grand effort de sa jeunesse prouve donc
une fois de plus le peu de délicatesse de son goivt!
Exécution toujours superbe de puissance et de
précision de la part de l'énorme masse d'exécu-
tants dirigée par M. Colonne. J'ai trouvé moins
rare l'interprétation de l'ouverture de Fidélig, qui
commençait le concert, ou même celle du dix-
septième concerto de Mozart pour piano. Cepen-
dant, la légèreté exquise et enjouée de l'œuvre
n'a pas été mal rendue, et la simplicité du jeu
de Miss Fanny Davies a contribué heureusement
à en garder l'esprit. On conte, à propos du der-
nier morceau, [certaine anecdote de sansonnet
acheté par Mozart parce qu'il en sifflait les pre-
mières mesures, Ce sifflet n'a pas manqué non
plus à l'exécution de dimanche. Mais ce n'était
pas le même oiseau qui le lançait du haut de la
salle en souvenir de Mozart : quelque serin sans
doute.
Une œuvre nouvelle était encadrée dans ces
pages anciennes : Le Cantique de Betphagé, un frag-
ment du moins de cette assez longue page, inspirée
à M. Emile Trépard (l'auteur du gracieux opéra
comique Martin et Martine) par un poème de Victor
Hugo. C'est le récit, en style biblique, l'effusion
ardente d'une jeune fille qui a vu passer le Christ
le dimanche des Rameaux. La mélodie est colorée,
fiévreuse et poétique; l'orchestre ne manque ni de
pittoresque ni de finesse en soulignant ces images
exaltées, et Mlle Mary Garden a chanté avec toute
sa nervosité passionnée. H. de C.
CONCERTS LAMOUREUX. — Je serais fort
en peine d'analyser Mort et Transfiguration de
Richard Strauss, car l'émotion profonde dont m'a
saisi cette œuvre n'a guère laissé à mes facultés
critiques le temps ni les moyens de s'exercer. Ce
que je puis dire, c'est qu'à côté d'un musicien hors
pair, elle révèle un cœur chaud et vibrant, com-
préhensif et expressif d'humanité, ressentant et
sachant faire ressentir aux autres les plus nobles et
les plus hautes impressions. Sans doute, puisqu'il
s'agit ici de poème symphonique, cette musique
est descriptive, mais elle est en même temps évo-
catrice. A travers la description et au-dessus d'elle
transparaît et s'affirme en une lumineuse apothéose
le sentiment, âme même de l'œuvre, qui lui doit sa
naissance et sa vie. C'est là de l'art, et du plus
grand, de celui qui nous touche aux fibres pro-
fondes de l'être, et auprès duquel le métier, si
raffiné qu'il soit, semble s'annihiler. Quant à
M. Chevillard et à son orchestre, ils furent simple-
ment prodigieux, et le public sut gré à l'excellent
chef d'orchestre d'associer ses collaborateurs à
l'ovation enthousiaste qui lui fut faite.
Je n'ai pas grand'chose à dire de l'ouverture de
la Haine de M. G. Alary. Cela est assez cuivré,
mais ne paraît pas dépasser une honorable
moyenne.
'L'allégro et le scherzando de la suite symphonique
de M. Léon Moreau furent sympathiquement
accueillis, surtout le schersando, d'un orientalisme
amusant.
Entre temps, Mlle Mary Garnier s'était fait
applaudir dans l'air du Printemps de Rodelinde
(Haendel) et dans celui de la Reine de la nuit de la
Flûte enchantée, dont elle surmonta vaillamment les
difficultés.
Le programme se complétait par la Symphonie
italienne de Mendelssohn, au délicieux andajite, et
par des fragments symphoniques des Maîtres Chan-
teurs. J. d'Offoël.
— La huitième séance du Quatuor Armand
Parent avait été consacrée à MM. Claude Debussy,
Maurice Ravel, Jean Huré et Victor Vreuls. —
A la séance suivante, ne pouvant oublier tant de
beaux efforts pour acclimater Brahms en France,
M. Parent avait composé tout son programme
avec du Brahms.
La dixième séance fit entendre deux composi-
teurs récents, entre un quatuor de Mozart et un
quatuor d'Haydn.
Mlle Germaine Corbin avait, contre ses deux
compositions, une chance cruelle : elle venait
aussitôt après Mozart. Mais ce qu'elle donna
dans ses deux poèmes pour chant et piano était
si différent que le voisinage fut moins redou-
table.
La sonate pour piano et violon de M. Sama-
zeuilh est une œuvre considérable. On ne peut
prétendre l'étudier en quelques lignes. Mais,
grâce aux remarquables interprètes, Mlle Marthe
Dron et M. Armand Parent, peut-être a-t-on pu
recevoir de cette sonate une impression où l'on
découvre quel musicien est M. Samazeuilh. Tout
d'abord, comme il arrive toujours (et c'est presque
une loi de l'entendement humain), on pense à ce
qui a précédé cet auteur : il est difficile alors de
n'avoir pas sur les lèvres les noms de César Franck,
d'Indy, Lekeu, et aussi Gabriel Fauré. — Et puis
l'on sent ce qui est particulier à M. Samazeuilh,
on perçoit les qualités propres de la musique de
cet auteur, et alors on remarque de l'abondance
LE GUIDE MUSICAL
279
dans l'invention mélodique, de la tendresse, une
distinction naturelle sur laquelle le style ne sem-
ble pas un vêtement d'apparat, une véritable
richesse d'harmonie où, malgré quelques gageures
de « jeune », il n'y a nulle surcharge, nulle bizar-
rerie. Chose rare, la partie de violon nous a
semblé très bien écrite pour l'instrument.... Cette
sonate de M. Samazeuilh est un très bel effort
d'art, où l'on sent un musicien « qui a quelque
chose à dire », — quelque chose de précieux,
d'intérieur : innig, comme écrivait Schumann.
Adolphe B.
— C'est devant une salle comble et avec un très
grand succès que M. Calvocoressi a donné sa
seconde conférence-audition sur l'école russe. Il
est regrettable que le temps lui ait manqué pour
développer ses aperçus sur « les Cinq » et sur
l'avenir de la musique en Russie, car il est mieux
que personne en complète possession de ce sujet.
En aucun autre pays on ne trouve un groupe
plus homogène et plus caractéristique que celui
de Balakirew, Cui, Moussorgsky, Borodine et
Rimsky-Korsakow. Ces descendants artistiques de
Glinka et de Dargomysky s'inspirent de la mélodie
populaire, si variée et si expressive, mais ils pos-
sèdent toute la technique moderne et y ajoutent de
nouveaux effets d'orchestre et des recherches
rythmiques. Ayant au plus haut point le sens de
la vie, surtout de la vie des petits et des humbles,
leur œuvre est puissante et originale. Ils ont
échappé aux puérilités de la musique à programme
et aux prétentions de la musique philosophique.
Ils sont restés avant tout musiciens. Eux et leurs
disciples sont les vrais compositeurs russes, et ceux
qui, comme Rubinstein et Tschaïkowsky, ont suivi
une autre voie ne tiennent guère de place dans
l'évolution de l'art.
C'est ce que M. Calvocoressi a bien mis en
lumière. Puis il caractérisé chacun des « Cinq » :
Balakirew par le souci de la justesse dans la décla-
mation, Cui par une finesse musicale un peu miè-
vre, mais un tempérament de critique et de
polémiste, Moussorgsky par une originalité et une
vitalité poussées à l'extrême, Borodine par la
science de l'orchestre et la recherche du pitto-
resque, Rimsky par la souplesse et l'abondance,
sans que cette personnalité de chacun d'eux fasse
oublier des origines et des tendances communes.
Il faut, pour compléter cette conférence, se
reporter par la pensée aux quelques œuvres russes
jouées dans nos concerts symphoniques, Antar,
Sadko, Scheherazade, le ballet du Prince Igor, La
Grande Pdque russe, etc., et à la musique de cham-
bre de Borodine et de Rimsky. M. Calvocoressi a
fait entendre, par le Quatuor Luquin, deux frag-
ments de Borodine (Sérénade espagnole, Scherzo) d'une
merveilleuse couleur, où l'on pressent le quatuor
de M. Debussy. Mlle Thomasset a chanté plusieurs
Lieder de Borodine, de Rimsky et de Moussorgsky,
ces derniers singuliers, déconcertants presque,
mais bien curieux. M. Ricardo Vinès, avec son
prestigieux talent de pianiste, interprète de façon
idéale ce genre de musique. Aucun artiste n'a peut-
être en ce moment à Paris autant le sens des
œuvres modernes de piano. Il a joué la Fantaisie
orientale de Balakirew, Islamey et les curieux
Tableaux d'une exposition de Moussorgsky. Voilà une
réponse aux ennemis du piano, s'il en est encore
de sincères. F. Guérillot.
— Le programme de la soirée musicale offerte
chez Pleyel, le 23 mars, par la Société des Compo-
siteurs ne contenait aucune œuvre inédite; mais
elle n'était pas moins intéressante pour cela. On a
beau demander du nouveau, n'en y eùt-il plus au
monde, on se plaît mieux aux œuvres consacrées,
parce qu'on les entend sans effort et qu'elles vous
épargnent l'ennui de prendre parti pour ou contre.
Il était ainsi bien agréable d'applaudir, sans crainte
de se tromper, le scherzo à deux pianos de Saint-
Saëns, brillamment exécuté par les sœurs Lamy,
et le très beau trio pour piano, violon et violoncelle
de Théodore Dubois, non moins bien interprété
par Mlles Charlotte Lamy, Carmen Forte et Capon-
sacchi. Cette jeune violoncelliste, dont j'ai déjà
signalé le son puissant et le jeu passionné, a
obtenu également beaucoup de succès dans
un nocturne du maître Dubois et dans trois
pièces de G. de Saint-Quentin. J'espérais entendre
plusieurs mélodies du regretté Samuel Rousseau
et de son fils Marcel, mais, à la dernière heure, le
programme a été changé, et Mme Adée Leander-
Flodin, cantatrice finlandaise, a chanté avec grâce
des Lieder de Fauré, de Grieg et de Tschaïkowsky.
Après deux fragments d'une sonate pour orgue
de Guilmant, exécutés par l'auteur et fort bien
accueillis, on a écouté avec une vive curiosité
deux œuvres couronnées au dernier concours de
composition de la Société : La Chanson de TOndine
de Marcel Bertrand et une suite pour flûte, haut-
bois et harpe chromatique d'Ed. Mignan. Ce trio,
élégamment écrit, n'a qu'un défaut, c'est d'être
trop court ou de le paraître, sans doute parce que
MM.. G. Laurent, Bleuz et et Mlle Renée Lénars
28o
LE GUIDE MUSICAL
l'exécutaient avec tout leur talent. La Chanson de
l'Ondine, mélodie avec accompagnement de flûte,
cor anglais, harpe chromatique et quintette à
cordes, mieux développée et d'un coloris fin et
transparent, a été chantée par Mlle Lucy Arbell,
un beau mezzo qu'on applaudira avec plus de
plaisir encore quand elle renoncera à grossir le
son des notes graves. T.
— M. Joseph Morpain a donné le 25 mars, salle
Pleyel, une séance de musique dont le programme
était consacré entièrement aux œuvres de son maî-
tre, Gabriel Fauré. La sonate en la majeur pour
piano et violon, d'une si jolie fantaisie (Yandante est
adorable), a été bien interprétée par MM. Morpain
et Luquin, bien que le talent de ces deux artistes
ne me semble pas fait pour s'associer. Parmi les
pièces pour piano les plus applaudies, j'ai noté la
romance sans paroles et surtout la barcarolle,
toutes deux en la bémol, tonalité qui a semblé
porter bonheur au virtuose. Une cantatrice, qui
porte un nom connu, a fait entendre et non écouter
dix mélodies de Fauré : il me serait impossible de
dire comment elle les a dites et chantées. T.
— La Société de musique de chambre pour
instruments à vent (fondation Taffanel) se distingue
de celle dont M. Barrère est le secrétaire en ce
que ses membres appartiennent tous, sauf un, à
l'orchestre du Conservatoire. L'autre, la jeune
émule, puise ses principaux éléments dans l'asso-
siation de M. Colonne. S'il se forme une troisième
société similaire, — on en parle déjà — elle em-
pruntera des artistes à l'orchestre de M. Chevil-
lard. Cette concurrence aura une influence heu-
reuse sur la production des œuvres de ce genre
spécial, sur le goût des amateurs et sur le talent
des interprètes.
Ce qui prouve l'utilité publique, artistique tout
au moins, des sociétés d'instruments à vent, c'est
l'empressement que montre le public pour assister
à leurs séances : au troisième concert Mimart-
Gaubert, donné chez Pleyel le 23 mars, on se
disputait les places et, tour à tour, les virtuoses
étaient acclamés. Si l'on a paru goûter médiocre-
ment le quintette pour piano et quatuor à vent
de Rice, œuvre nouvelle qui atteste pourtant un
sérieux effort, on a beaucoup applaudi : la sonate
pour hautbois et piano de Hasndel, exécutée à
ravir par MM. Bleuzet et Grovlez; le trio pour
piano, alto et clarinette de Mozart, que bien peu
d'artistes autres que MM. Grovlez; Monteux et
Mimart, joueraient avec une égale perfection;
l'adagio du concerto pour basson de Weber. que
je ne me lasserai pas d'entendre, à la condition
qu'il soit interprété par M. Letellier ou son fils ;
enfin, la symphoniette pour flûte et double quatuor
à vent de Gounod, où l'on retrouve la poésie
pastorale de Mireille et de Philémon et Baucis, et
dont Yandante a été chanté par la flûte, ce délice,
de M. Philippe Gaubert. Quand j'aurai ajouté
qu'en outre des artistes déjà nommés, MM. Bour-
bon, Lebailly, Pénable, Vuillermoz et Jacot parti-
cipaient à l'ensemble admirable de ces œuvres, il
ne me restera plus rien à dire.
Julien Torchet.
— Les matinées Danbé sont achevées. La der-
nière séance, qui a eu liea le 22 mars, a été une des
plus brillantes de la saison. Au programme, pour
la partie instrumentale : le trio en si bémol pour
piano, clarinette et violoncelle, de Beethoven,
d'une sonorité inouïe (dans le sens étymologique)
et rendue charmante par le talent réuni de MM.
Grovlez, Mimart et Bedetti; la Rêverie de Schu-
mann pour quatuor à cordes, œuvrette dont on
abuse un peu; la Musette, de Pfeiffer, trio sans
prétention qui a été fort goûté et qu'ont exécuté
avec la grâce des forts MM. Bleuzet, Mimart et
Letellier; le quintette pour piano et quatuor à
vent de Mozart; enfin, l'ariette variée d'Haydn,
ainsi qu'une valse et une polonaise de Chopin, qui
ont valu à Mme Roger-Miclos un vif succès.
La partie vocale était remplie par Mme Charlotte
Lormont, dont le style s'épure chaque jour et à
qui on a redemandé le Cœur de ma mie, de Jaques-
Dalcroze; et par M. Lassalle, un chanteur de la
vieille école, je veux dire de la bonne, celle qui
tend à disparaître. On ne juge pas, a dit à peu près
La Rochefoucauld, du mérite de quelqu'un par les
qualités qu'il possède, mais par l'usage qu'il en fait,
En écoutant le célèbre baryton, qui se douterait
qu'il a soixante ans? Sa voix n'a plus l'ampleur
de jadis, mais « il en fait un tel usage », que c'est
un ravissement de l'entendre. Il a chanté deux
mélodies simples et toutes jolies d'Emile Nérini,
un jeune compositeur dont le nom est à retenir, et
la Danse macabre de Saint-Saëns ; bissé d'acclama-
tion à deux reprises, il a redit Rose, ne croyez pas
et ajouté la chanson du Roi Renaud. M. Lassalle a
démontré victorieusement que l'art reste toujours
le souverain maître du chanteur comme du public.
T.
— MM. Max Behrens et Maurice Darier, deux
tout jeunes professeurs au Conservatoire de
Genève, ont donné lundi dernier, à la salle Pleyel,
LE GUIDE MUSICAL
281
une séance de sonates piano et violon. Leur incon-
testable talent gagnera- par l'expérience plus
d'autorité et de fondu dans l'exécution. M. Behrens
* est un pianiste très brillant et d'un jeu très sûr,
mais il dominait trop son partenaire, qui n'a pas
encore toute l'assurance d'un maître. Nous les
réentendrons avec plaisir. La sonate n° 1, de
Saint-Saëns, n'est pas une de ses meilleures
j œuvres. La sonate n° 3, de Paul Lacombe, est
intéressante surtout dans son scherzo et son finale.
Qnant à celle de Vreuls, quoique longue et touffue,
c'est une pièce fort bien faite et originale. Elle a
a été bien jouée. F. G.
— Un des plus brillants élèves de M. Diémer,
M. Lazare Lévy, a donné cet hiver plusieurs
auditions, dont un récital, le 24 du mois dernier,
salle Erard. L'exécution de la sonate op. 110, de
Beethoven, nous a paru un peu molle. Par contre,
l'artiste a rendu d'une façon parfaite quatre pièces
de Chopin, une étude et le Sposalizio (des Années de
pèlerinages) de Liszt et les Kreisïeriana de Schu-
mann. Ici, M. Lazare Lévy a joint à une impecca-
ble virtuosité un style excellent. Il a obtenu un
grand succès d'un public malheureusement peu
nombreux. La saison est vraiment ingrate pour les
pianistes. « Ils sont trop », et ne trouvent pas
toujours l'auditoire qu'ils méritent. F. G.
— Une jeune pianiste roumaine, Mlle Florica
Solacoglu, a donné la semaine dernière salle Erard
un concert intéressant. Son jeu n'a rien des opposi-
tions exagérées et des violences de certains
exécutants d'aujourd'hui. Elle a fort bien joué les
Etudes symphoniques de Schumann, la sixième
rapsodie de Liszt et plusieurs pièces de Chopin.
Il est regrettable que l'assistance ne fût pas très
nombreuse. Le public, à cette saison surtout où
son attention est sollicitée de tous côtés, se laisse
prendre aux réclames et aux réputations faites...
ou surfaites. Mais une artiste consciencieuse
comme Mlle Solacoglu arrive à s'imposer par un
talent incontestable et de la persévérance.
F. G.
— Nous avons parlé dans notre dernier numéro,
à propos d'une soirée de musique donnée par
M. Arthur Coquard, du talent sur le piano de
Mlle Geneviève Dehelly, cette jeune virtuose qui
avait remporté un triomphe si éclatant au Conser-
vatoire en 1903. Elle a donné son propre concert,
à la salle Erard, mardi dernier; mais nous avons
d'autant moins à revenir sur notre appréciation de
dimanche dernier, que le programme était à peu
■de chose près le même, et qu'elle s'était assuré
également le précieux concours de Mme Mellot-
Joubert dans la suite schumannienne de Lieder de
M. Coquard : Joies et Douleurs. Le succès a été
très vif.
— La séance de trios donnée le 22 mars par
Mme Riss-Arbeau a été des plus intéressantes.
M. Cros Saint-Ange a fait grand plaisir, surtout
dans Vannante du trio en mi mineur de Saint-Saëns.
Le jeu charmant de M. Nadaud a plu également,
particulièrement dans le trio de Chevillard ; il
manque plutôt un peu de force dans le Beethoven.
Quant à Mme Riss-Arbeau, ses traits ravissants sur
le piano, son très élégant phrasé, ont été longue-
ment applaudis. En somme, c'est à la seconde
partie du trio de M. Chevillard, à Y allegretto, Man-
dante et le grazioso de celui de M. C. Saint-Saëns
et à Y allegro de celui de Beethoven que le succès
a été le plus complètement. C. T.
— Au concert Le Rey de dimanche dernier,
s'est fait entendre le Quatuor vocal Battaille, com-
posé de Mme Astruc-Doria, soprano, Mme Aubertin,
contralto, et de MM. Paulet, ténor, et Battaille,
basse. Ce quatuor pour mélodies interprète agréa-
blement et précieusement des musiques de salon
et s'est fait d'ailleurs un répertoire des plus dis-
tingués. Ces artistes, doués chacun d'une jolie
voix, ont chanté avec une douce sentimentalité les
Chansons du bois d'Amaranthe, suite en cinq parties,
courtes et parfumées, de Massenet.
Mlle Marcelle Le Rey, excellente élève de Mar-
montel, débutait avec l'orchestre dans l'exécution
du concerto en ut mineur de Saint-Saëns; elle a
pleinement réussi auprès du public, aussi bien par
le charme de la jeunesse que par l'interprétation
très correcte et très délicate de plusieurs passages
exquis de cette œuvre. M1,e Le Rey a de bons
doigts et un sentiment musical très net et très
juste ; elle acquerra bien vite la mesure exacte des
oppositions et des nuances et l'autorité que donne
l'expérience.
Je n'ai rien à dire d'une composition de Mme ou
Mlle Audan, intitulée Dans la montagne, où la pein-
ture simpliste des nuages et des cimes rappelle de
très loin la poésie des Impressions d'Italie.
M. Viardot conduisait l'orchestre. Ch. C. .
— Fort intéressante séance de sonates, salle
Erard, par M. et Mme Loiseau, le 22 mars dernier.
Ces deux artistes donnent tout d'abord à leurs
auditeurs un très grand plaisir. Ils sont d'aplomb,
et en état d'entente parfaite. Ils savent l'un et
282
LE GUIDE MUSICAL
l'autre ce qu'ils veulent faire et ce qu'ils vont
faire. Chose trop rare chez certains virtuoses qui
s'associent pour monter un concert et se présentent
devant le public après quelques hâtives répéti-
tions. Une légère critique — puisque notre métier
est de critiquer : Mme Loiseau accompagne
souvent trop fort. Ainsi, dans la sonate de Seitz,
elle a beaucoup nui à son partenaire. Autre
critique : M. Loiseau prend trop souvent l'accord.
Mieux vaut le prendre que jouer faux, mais à ce
point de fréquence ! . . .
Bonne exécution d'une sonate en ré de Haendel
et d'une sonate en si bémol majeur de Mozart,
Enfin, de M. Th. Dubois, les deux artistes inter-
prétèrent une belle sonate. "L'allégro appassionato
— un appassionato un peu superficiel — a de la
couleur, Yandante est d'un bel effet et le der-
nier allegro, très mouvementé, fort brillant, a
assuré le succès de l'œuvre. La sonate de Seitz
mériterait mieux qu'une note rapide ; Yandante
est d'une heureuse venue, le scherzo plein de jolis
détails avec d'amusants petits contretemps, le
dernier allegro, plus bruyant que brillant. Au
résumé, bonne séance pour les deux interprètes.
M.D.
— La cinquième des séances de piano consa-
crées par Mlle Blanche Selva aux anciens maîtres
a eu lieu à la Schola Cantorum, mardi dernier
28 mars. Au programme : La cinquième sonate de
Kuhnau sur des scènes de la Bible, trois pièces de
clavecin de Couperin (dont les Folies françaises ou
les Dominos), six pièces de Rameau, cinq de Scar-
latti et d'importants fragments de Bach. Vif succès,
comme toujours.
— La Schola Cantorum, c'est-à-dire les Chan-
teurs de Saint-Gervais et l'orchestre, dirigés par
M. Charles Bordes, a donné le vendredi 3i une
très intéressante séance de musique ancienne,
comportant un concerto de Bach pour violon,
flûte, piano et orchestre (Mlle Blanche Selva au
piano), deux madrigaux spirituels de Palestrina,
trois chansons françaises de Certon, Jannequin et
Costeley, et surtout le troisième acte d'Armide,
chanté par M:ie Marie de La Rouvière, Mme Bra-
quaval, etc.
— La dernière séance de l'Institut Rudy, cent-
vingt-septième audition de la Société de musique
d'ensemble, dirigée par M. René Lenormand, a
fait entendre un bon choix d'œuvres de Grieg,
Rubinstein, Brahms, Schumann, Rimsky-Korsakow
et des Lieder de Schumann-Schubert, Brahms...
chantés par Mme Réja Bauer, artiste de la cour
royale de Roumanie (25 mars).
— M. Jacques Malkiore, qui offrait un concert
le lundi 20 mars, est un violoniste aimable. Son
poignet droit possède une légèreté et une souplesse
exquises, sa main gauche une agilité suffisante, et
son âme se plaît aux morceaux empreints de dou-
ceur mélancolique ou de vivacité gracieuse. Je
n'oserais affirmer qu'il possède les qualités d'am-
pleur et de puissance qu'auraient exigées le Prélude
et la Fugue de Bach portées au programme.
M. de la Cruz-Frohlich prêta son organe puis-
sant et chaleureux à différentes œuvres de Mo-
zart, Brahms, Schumann et Gretschaninow.
Les deux artistes furent vigoureusement applau-
dis. G. R.
— Sur la proposition de M. Dujardin-Beaumetz,
sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts, le gouver-
nement vient d'accorder, à titre d'encouragement,
une somme de 200 francs à la Société moderne
d'instruments à vent, 25o francs à la Société
d'auditions fondée par M. Emile Pichoz et
100 francs au Quatuor Beethoven, qui vient de se
fonder.
— Notre regretté rédacteur en chef et ami
Hugues Imbert a légué au Conservatoire national
de musique sa bibliothèque et un violon précieux.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Mme Jane Dhasty a repris avec succès, jeudi der-
nier, le rôle d'Anita dans la Navarraise. Sa voix
émouvante et son jeu dramatique ont produit
une grande impression, et Mme Dhasty a re-
trouvé la grande faveur qu'elle obtint il y a
quelques années dans les rôles de Dalila, de Wal-
traute, d'Amnéris, etc. Le reste de l'interprétation
était assuré, comme de coutume, par MM. Ch.
Dalmorès et Pierre D'Assy, très applaudis, MM.
Forgeur et Belhomme.
Hier soir, reprise du Postillon de Ldnjumeau avec
Mmes Eyreams (Madeleine), Tourjane (Rose);
MM. David (Chapelou), Belhomme (Biju), Caisso
(Marquis de Corcy) et Danlée (Bourdon). Nous
en rendrons compte la semaine prochaine. Cet
opéra-comique fut, on le sait, le plus grand succès
qu'Adolphe Adam remporta au théâtre. Créé à
Paris en i836, il fut joué pour la première fois
à Bruxelles, au théâtre de la Monnaie, le 22 mai
1837 (la même année que les Huguenots) avec la
distribution suivante : Mme Bultel (Madeleine),
LE GUIDE MUSICAL
283
MM. Thénard (Chapelou) et Renaud (Biju). Le
Postillon de Lonjumeati resta longtemps au réper-
toire pendant la première année, et fut repris
pour la dernière fois, la première année de la
direction Stoumon et Calabrési, 1875-1S76.
Le répertoire de la semaine comprenait en outre
Hamlet, la Basoche, Faust, Rigoletio, le Jongleur de
Notre-Dame, la Navarraise.
Demain lundi et jeudi, pour les représentations
de Mme Félia Litvinne, Alceste; mardi, Aida.
Très prochainement, reprise du Trouvère.
R. S.
— Le quatrième concert de la Libre Esthétique
servait de début en public à Mme Demest, qui
avait déjà révélé, dans quelques auditions privées,
un réel talent de cantatrice. L'audition d'hier a
été tout à son avantage. On a vivement applaudi
sa voix d'une grande pureté et parfaitement
assouplie, sa belle articulation (caractéristique
de l'école Demest) ; Mme Demest a chanté dans le
style qui convenait trois mélodies de M. A. Du-
puis, dont Printemps a été particulièrement appré-
cié, et des fragments de grand caractère de la
Briséis du regretté Chabrier. Succès aussi pour
M. Bosquet, qui a enlevé avec verve la charmante
Sérénade de Jongen et de curieuses notations
sonores de Debussy et de Séverac. La séance s'ou-
vrait par un Sextuor pour cordes et piano d'un
jeune compositeur anglais, Cyrill Scott, plein de
bonnes intentions, mais bien recherché et d'une
étonnante monotonie d'écriture : les trois violons
et l'alto montant et descendant toujours parallèle-
ment, le violoncelle seul suivant une marche indi-
viduelle, sa voix naturellement noyée dans le
faisceau sonore serré et; partant, très vibrant des
trois autres instruments. Une jeune pianiste an-
glaise, Miss Evelyn Suart, tenait la partie de
piano; jeu soigné et châtié, mais trop faible pour
résister à un groupe aussi important d'archets.
Pour finir, MM. Bosquet, Chaumont et Merck ont
interprété un Trio de Jongen, œuvre aussi sédui-
sante par l'abondance des idées que par la richesse
des développements. E. C.
Le concert qui a eu lieu mardi dernier pour
la clôture de l'Exposition comprenait le beau
quatuor à cordes, en mi mineur, de Vincent d'Indy
et le quatuor en ut mineur de Fauré, exécutés
par le Quatuor Zimmer et M. Théo Ysaye. On a
vivement applaudi des œuvres vocales d'Albéric
Magnard, de Henri Duparc et de R. Bonheur,
interprétées avec tact par M. G. Surlemont.
— Après s'être produite à Londres, à Paris, à
Berlin, à Vienne, Miss Isadora Duncan a passé
aussi par Bruxelles, où elle a donné, au théâtre de
l'Alhambra, trois séances d'intérêt divers, con-
sacrées à des interprétations orchestiques de toiles
célèbres (la Primavera de Botticelli, un ange musi-
cien de Raphaël), d'ancienne musique de danse
(Rameau, Couperin), à des réalisations d'épisodes
mythologiques (Narcisse, Pan et Echo) et de
fragments pantomimiques et chorégraphiques d'œu-
vres théâtrales (Orphée, Iphigénie)), etc.
Grâce à un entraînement rationnel, à une fré-
quentation intime de tous les éléments que l'anti-
quité nous a légués dans ce genre, Miss Duncan
est arrivée à réaliser en elle une harmonie réelle-
ment remarquable de la nature et de Fart. Pas un
moment, sa danse et ses attitudes ne cessent d'être
d'une irréprochable plasticité.
Partant de ce principe évidemment juste, que la
danse est un moyen d'expression élémentaire, comme
la parole et le geste, Miss Duncan écarte de ses
performances tout ce qui rappelle les figures con-
ventionnelles de la chorégraphie italienne. (Le
seul inconvénient réside, — sauf dans les scènes à
programme déterminé, — dans la monotonie en-
gendrée à la longue par la limitation des moyens
d'expression). De même, elle écarte tous les acces-
soires matériels de la chorégraphie, ornements,
attributs, pour se limiter strictement à l'expression
du corps en mouvement. L'artiste présente la beauté
corporelle robuste, d'un caractère presque atlhé-
tique, qui distingue même les figures féminines
dans la statuaire antique, comme la fermeté des
genoux et des bras, les nodosités vigoureuses du
cou, etc.
Au point de vue musical proprement dit, l'art de
miss Duncan commande quelques réserves. L'in-
terprétation plastique d'une œuvre de musique
instrumentale absolue, — qu'on interprète par le
fait seul qu'on exécute l'œuvre, bien ou mal, —
nous parait, quant à nous, aussi illégitime, arbi-
traire et superfétatoire que le serait une inter-
prétation picturale ou poétique. L'artiste a évité,
chez nous, ce genre d'exercice, qui lui valut
ailleurs d'assez vives critiques. Elle n'a dansé
que de la musique spécifiquement chorégra-
phique, menuets de Couperin, Rameau, voir-e une
valse de Strauss. Mais même ici, l'interprétation
plastique « élémentaire », avec des attitudes, des
gestes empruntés à l'antique, une action imagi-
naire, etc., ne nous paraît pas admissible comme
telle, un menuet et une valse ayant leurs corres-
pondantes chorégraphiques bien déterminées, loca-
lisées et datées... Autre chose est des ballets de
284
LE GUIDE MUSICAI
Gluck, lequel, bien qu'écrivant à une époque où
l'archéologie théâtrale était encore à naître, nous
donne véritablement, dans ses drames anciens, les
Iphigénies, Orphée, Alcesle, opposés par exemple à
Armide, le sentiment de l'âme antique. Si, dans les
airs de ballet d'Orphée, Miss Duncan ne nous a pas
paru bien inspirée en commentant d'une danse
tourbilonnante les majestueuses promenades des
ombres heureuses, par contre, ses interprétations
plastiques et chorégraphiques des Iphigénies ont été
d'un bout à l'autre une exceptionnelle jouissance
d'art.
Il y a néanmoins là une manifestation artistique
certainement intéressante qui vient corroborer
les remarquables travaux de M. Maurice Emmanuel
sur la Danse antique et qui paraît pouvoir servir de
point de départ à un art chorégraphique absolu-
ment nouveau ou, si l'on veut, renouvelé. E. C.
— M1Ie Maria Michaux, cantatrice, a donné à la
salle Erard une audition de chansons françaises
anciennes (depuis le xive jusqu'au xvme siècle).
Citons la Chanson de Clément Marot, la Chanson de
Marie Stuart (i56o), la Romanesca, air de danse du
xvie siècle, des menuets du xvnr3 siècle, le Rosier
de Jean-Jacques Roueseau, etc. Audition char-
mante, instructive et qui a valu à l'intelligente
artiste un très vif succès. Ce qui caractérise les
interprétations de Mlle Michaux, outre le charme
sympathique de la voix, c'est la distinction du
style, la parfaite justesse d'expression et surtout un
art de diction des plus fins et des plus compréhen-
sifs. A ce concert prenait part une toute jeune pia-
niste, Mlle Jeanne Maison, qu'on a écoutée avec
grand intérêt et qui, dans diverses pièces de Bee-
thoven, Scarlatti, Brahms, Chopin, Saint-Saëns, a
montré une aisance et une souplesse de technique
vraiment remarquables. G.
— La soirée de musique flamande donnée
lundi par M"e Jeanne Van den Bergh (cantatrice),
M. Georges Surlemont (baryton) et M. Joseph
Watelet (pianiste), a obtenu un vif succès à la
salle Erard.
M, G. Surlemont et Mlle Jeanne Van den Bergh
ont fort bien chanté différentes mélodies de
H. Waelput, Mortelmans et de Peter Benoit.
M. J. Watelet a exécuté trois petites pièces pour
piano de Peter Benoit, très intéressantes, surtout
La Chevauchée. J. T.
— La deuxième séance de musique de chambre
donnée par MM. Marcel Jorez (violoniste), Mau-
rice Du'Jardin (pianiste) et Albert Janssens (violon
celliste), a eu lieu jeudi dernier à la salle de
Thôtel Scheers, devant une nombreuse assistance.
D'abord le trio en ré mineur de Mendelssohn,
puis la sonate pour piano et violon de César
Franck et, pour terminer, le trio en ut mineur de
Théodore Dubois.
M. Marcel Jorez possède un jeu expressif, un
sentiment délicat, une personnalité intéressante.
Je ne pourrais en dire autant de M. Maurice
Du Jardin, qui manque de netteté et joue d'une
façon lourde les choses les plus légères; il a plu-
tôt nui à l'exécution de la sonate de César
Franck.
M. Albert Janssens a tenu sa partie avec tact,
et Mlle T. Desmaison a chanté avec grâce quelques
mélodies de Brahms, Schumann, De Greef et
Chausson. J. T.
— La dernière séance Desmaison-Angeloty,
consacrée aux sonates des maîtres Bach, Beetho-
ven et Brahms, avait attiré beaucoup de monde
à la salle Erard.
Cette fois, les deux jeunes artistes avaient à
exécuter trois œuvres capitales, très connues : la
sonate en fa mineur de Bach, celle en la majeur
de Brahms et celle en la majeur (Sonate à Kreutzer)
de Beethoven, et la comparaison avec d'autres
exécutions s'imposait tout de suite.
Ils ont fait preuve de grandes qualités, mais sans
arriver cependant à nous donner une interpréta-
tion vivante de ces trois sonates, sauf celle de
Brahms, admirablement enlevée; la Sonate à Kreut-
zer surtout a paru manquer de nuance, d'énergie,
de couleur, et l'ensemble de cette page sublime
était terne et peu prenant. J. T.
— M. Paul Kochansky, qui a donné mardi, à
la Grande Harmonie, un récital de violon, pos-
sède un mécanisme extraordinaire et une très
belle sonorité.
Il a exécuté des œuvres de : Wieniawsky (con-
certo), Tartini (Trille du Diable , Bach, Chopin
(nocturne), Tschaïkowsky (romance sans paroles),
Zarzycki (mazurka) et de Paganini.
Il nous a donné de ces différents ouvrages une
exécution pleine de fougue, de jeunesse, qui a fait
merveille dans le Trille du Diable de Tartini,
la mazurka de Zarzycki. Quant à la romance
sans paroles de Tschaïkowsky, il l'a interprétée
avec un sentiment et une pureté de son délicieux,
qui a enthousiasmé le public. A la fin de la
séance, après le Siregh de Paganini, enlevé magis-
tralement, le public l'a applaudi frénétiquement
et l'a rappelé plus de dix fois. J. T.
LE GUIDE MUSICAL
265
CORRESPONDANCES
IA HAYE. — Le neuvième concert de la
J société Diligentia a eu lieu avec le con-
tcours du pianiste Dirk Schàfer, qui a fait enten-
.dre avec une belle technique et un beau style le
quatrième concerto de Beethoven, une étude en
/«mineur de Chopin, une barcarolle en sol mineur
de Rubinstein et la Légende de saint François de Paul
marchant sur les flots, de Liszt. Il a obtenu un bril-
lant succès et de nombreux rappels. M'"e Hensel-
Schweitzer, de Francfort, a chanté d'une belle voix
un air du Faust de Spohr et des Lieder. L'orches-
tre Mengelberg, supérieurement disposé, a donné
une exécution impeccable de l'admirable sym-
phonie en ut mineur de Beethoven, de la scène
d'amour de Roméo et Juliette de Berlioz, de la déli-
cieuse petite ouverture de Baslien et Bastienne de
Mozart, et de la Chevauchée des Wàlkyries de
Wagner.
Le dixième concert de Diligentia, qui va clô-
turer la série, sera dirigé par M. Richard Strauss
et entièrement composé de ses œuvres : la Sinfonia
domestica, Don Juan, Mort et Transfiguration et des
Lieder, qui seront chantés par Mme Strauss-de
Ahna.
A la deuxième matinée symphonique du Resi-
dentie-Orkest, dirigé par M. Viotta, le programme
orchestral comprenait la treizième symphonie de
Haydn, la charmante suite du ballet Casse-Noisette
de Tschaïkowsky et l'ouverture du Freisclxutz de
Weber. Le violoniste Henri Hack, a vivement
enthousiasmé le public par la belle exécution du
premier concert de Max Bruch et de la Folia de
Corelli.
A Rotterdam, la Société pour l'Encouragement
de l'art musical a donné, sous la direction de
M. Anton Verhey, une première exécution de l'ad-
mirable oratorio La Vita Nuova de Wolff-Ferrari
et du treizième psaume de Liszt, avec le concours
de MM. Cazeneuve, Zalsman et de Mme Oldeboon,
qui a été absolument insuffisante dans la partie
de Béatrice.
A la dernière séance du Toonkunst-Kwartet,
tout l'intérêt s'est concentré sur la première audi-
tion d'un quatuor pour piano, violon, alto et vio-
loncelle de M. Victor Vreuls. L'exécution en a été
fort bonne, et il faut louer avant tout la pianiste,
Mme Verhallen-Mulder, qui a été tout à fait remar-
quable. Elle a été bien secondée par MM. Hack,
Verhallen et Van Isterdael. qui nous ont aussi
fait entendre, avec M. Voerman, des variations
d'un compositeur russe. M. Pogojeff. C'est un
ouvrage bien écrit, mais sans importance aucune.
M. Henri Viotta vient de nous donner, avec le
chœur du Wagner- Verein de La Haye, le Resi-
dentie-Orkest et le concours de Mmes Oldeboom,
Viotta-Wilson, MM. Rogmans et Zalsman, un
concert dont le programme se composait de la
neuvième symphonie de Beethoven et du Te Deum
d'Alphonse Diepenbrock. Ce Te Deum, brillant
surtout par une instrumentation superbe, d'une
couleur toute moderne qui trahit la main d'un
maître, est d'une conception grandiose et impo-
sante, mais l'exécution vocale en est d'une diffi-
culié extrême, dépassant parfois pour le chœur
les limites de ce que l'on peut exiger de la voix
humaine. L'exécution mérite de sincères éloges,
et l'œuvre a fait une grande impression. L'exé-
cution de la neuvième symphonie de Beethoven
a été fort bonne, sans avoir offert rien de remar-
quable à signaler. Ed. de H.
\0
IIÉGE. — Sarasate nous est revenu avec
^J le prestigieux stradivarius aux sons can-
dides comme une claire et pure voix d'ange, dont
l'audition est un ravissement. On ne songe pas à
discuter le style, nul, ni l'émotion absente ; on est
subjugué par la note cristalline, le trait impec-
cable, la désinvolture ingénue qui font de ce vir-
tuose une personnalité intangible.
Avec un tel soliste, M. Delsemme était assuré
du succès pour son troisième concert populaire,
fort bien composé d'ailleurs au point de vue
orchestral. Le public a fait un chaud accueil à la
Rapsodie moderne de V. Vreuls, composition de
haute envergure qui confirme chez ce jeune auteur
de rares qualités de symphoniste vivifiées par un
tempérament ardent et original. L'œuvre, très
difficile, a été vaillamment exécutée par le jeune
orchestre des Concerts populaires.
En inscrivant en tête de son programme la
symphonie en la majeur n° 29 de Mozart, M. Del-
semme réparaît l'injuste ostracisme dont pâtissait
cette œuvre de franche et saine venue, intéres-
sante à plusieurs titres; une exécution plus
ryhtmique l'eût mieux fait valoir encore, bien
qu'elle fût vivement applaudie.
La Jubel-Ouverture de Weber terminait la soirée.
M. Debefve, dont la tournée se prolonge en
Amérique, laissera son ami Delsemme diriger le
quatrième Concert populaire, dont la date est
fixée au 8 avril. P. D.
286
LE GUIDE MUSICAL
LONDRES. — Le premier concert philhar-
monique de la saison a été conduit par M.
F. -A. Cowen et l'on y a entendu une œuvre nou-
velle de sir A.-C. Mackenzie, Rapsodie canadienne.
M. Ferrucio Busoni y a interprété le concerto en
fa de Saint-Saëns et miss Ada Crossley a chanté
plusieurs Lieder de Wagner, orchestrés par M. Fé-
lix Mottl.
Au concert symphonique du Queen's Hall, Mlle
Landi a chanté les Nuits d'été de Berlioz et M.
Henry J.Wood a excellemment dirigé la.Faust-Sym-
phonie de Liszt. La Sinfonia domestica de Richard
Strauss a été extrêmement discutée ; on a vu renaî-
tre la vieille querelle entre les partisans de la
musique à programme et les défenseurs de la musique
absolue. Mais d'une manière générale, l'œuvre a été
très bien accueillie. Au même concert, M. Emile
Sauer a exécuté le concerto en mi mineur de Liszt.
Le soir même où sir Edward Elgar dirigeait ses
belles variations avec l'Orchestre symphonique de
Londres, la Société chorale royale interprétait les
Apôtres à l'Albert Hall, sous la direction de M. Fré-
déric Bridge.
Le concert de la fondation Ernest Palmer pour
faire connaître les jeunes compositeurs, compre-
nait cette fois des œuvres de MM. Bell, Dale, Du-
lick et Balfour-Gardiner, parmi lesquelles il y en
avait de vraiment intéressantes.
Les récitals qui ont obtenu le plus de succès
sont ceux de Sauer, Dohannyi, Fanny Dorrès (avec
orchestre dirigé par M. Edouard Colonne), miss
Marie Hall, Sametini, Ivy Angove.
On a vivement applaudi Mlle Landi dans des
chants de Hugo Wolf, Bruneau et Strauss; Mme
Alboni et M. Iserhammer ont été fêtés à l'JEolian
Hall avec le quatuor Kruse, qui a interprété le sol
mineur de Debussy.
La saison d'opéra ouvrira à Covent-Garden le
Ier mai avec le Ring, dirigé par M. Hans Richter;
on donnera ensuite les Huguenots, Don Pasquale,
Mme Butterfly, la Tosca et un nouvel opéra de
F. Leoni : le Chat et le Chérubin. N. G.
LUXEMBOURG. — Parmi les meilleurs
concerts que nous ayons eus, il faut citer
d'abord le Quatuor Schôrg, qui nous a fait entendre
avec autant d'art que de précision des quatuors de
Beethoven et de Dietersdorf, un contemporain de
Haydn dont la facture musicale n'est pas dépourvue
d'intérêt ; puis le trio Carelvon Textor,de La Haye,
qui nous a ravis par le fini de son exécution et la
parfaite compréhension de la phrase musicale, dans
des trios de César Franck, Schumann et Smetana.
Autant de bonnes et belles soirées que nous de-
vons à l'initiative de la Société de musique de
chambre, présidée par l'ambassadeur d'Allema-
gne, S. Exe. M. le comte de Pùckler.
M. de Pùckler, qui est un pianiste distingué et
fervent, avait organisé, avec le concours de
Mlle de Cuyper, un récital pour piano et chant \
qui a obtenu le plus grand succès. Au programme
figuraient Y Appassionala de Beethoven, une sonate
de Chopin, des Lieder des meilleurs compositeurs
allemands et français et trois mélodies intéres-
santes de M. de Pùckler.
La société Union dramatique, sous la direction
de M. J.-A. Muller, avait organisé une belle soi-
rée musicale, avec le concours de M,les Wouters et
Goossens, de Bruxelles, qui ont été très applau-
dies.
La Société chorale nous a donné, avec le con-
cours de l'orchestre militaire, deux bonnes exécu-
tions de la Création de Haydn.
D'autre part, la Société philharmonique, dont
les grandes auditions sont conduites par M. Max
Kaempfert, directeur musical du Palmengarten de
Francfort, a joué, la semaine passée, la brillante
symphonie Dans le forêt de Joachim Raff, la suite
de Y Artésienne de Bizet et l'ouverture des Maîtres
Chanteurs de Wagner. Le chef et les musiciens ont
été l'objet d'une ovation pleinement justifiée.
N. L.
»
MADRID. — Le mois dernier, le Théâtre
royal a clôturé sa saison, sans éclat, en
plein italianisme vieillot, sans le moindre souci
d'art ; rien ne peut être signalé qui mérite l'atten-
tion.
Au théâtre de la Comédie, le Quatuor Francès,
constitué par des professeurs espagnols, sous la
direction du violoniste M. Francès, a donné une
série d'auditions intéressantes. L'exécution était
soignée.
Parmi les œuvres qui figuraient aux programmes,
en dehors des classiques, on y a interprété du
Franck e1 des quatuors de compositeurs espagnols.
Ce fait mérite d'être signalé, car la musique de
chambre était, jusqu'à présent, entièrement délais-
sée. La saison précédente nous avait déjà révélé
quelques tentatives. M. Chapi a eu un vif succès
avec son troisième quatuor pour instruments à
cordes ; c'est ample d'allure, les idées sont déve-
loppées librement, mais toujours en gardant
l'unité de l'ensemble. L'inspiration est bien espa-
gnole, et nous sommes loin, heureusement, du
pastiche pseudo allemand.
Il faut signaler aussi un quintette de M. Bre-
LE GUIDE MUSICAL
287
ton et le quatuor de M. Manrique de Lava, où les
formules trop classiques abondent malheureuse-
ment. E. L. Ch.
KOUEN. — La première représentation de
Suzeî, opéra-comique en trois actes de
MM. Julien Goujon et A. Bernède, musique de
M. André Polonnais, a obtenu un bon succès.
La scène se passe dans les Vosges, sur le versant
d'Alsace ; on doit reconnaître à la donnée de la
pièce une certaine banalité, mais une versification
souvent agréable y alterne avec la prose. Deux
jeunes filles ont un commencement d'intrigue avec
deux jeunes gardes-généraux, mais quoique les
unes et les autres y aient été entraînés pour des
raisons diverses, c'est justement pour l'amie de
son voisin que chacun des jeunes gens éprouve
des sentiments sérieux. Après des épisodes simples,
tous arrivent à leurs fins et sont heureux.
M. André Polonnais a fait preuve d'une belle
science orchestrale et d'une bonne inspiration
dans la partition qu'il a écrite sur ces données ;
mais la musique, d'assez grande envergure, large-
ment traitée, symphonique, s'accommode mal d'un
livret idyllique et villageois. Le ballet du second
acte est traité plus heureusement.
L'interprétation a été excellente pour les uns,
suffisante pour les autres, avec M1Ie Dereims, de
l'Opéra, spécialement engagée pour la circon-
stance, Mlle Lemeignan, MM. Grimaud, Saignez
et Cornettez. Paul Petit.
TOURNAI. — M. Stiénon du Pré, prési-
dent de la Société de musique s'est promis
de faire petit à petit l'éducation musicale de ses
concitoyens, et depuis dix-sept ans déjà; il y con-
sacre tout son zèle et tout son dévouement. Au
grand concert annuel de l'hiver dernier, il nous
avait offert la Damnation de Faust de Berlioz ;
dimanche, il a osé une interprétation intégrale des
scènes pour Faust de Schumann et il nous permet
d'espérer pour la saison prochaine la série com-
plète des Béatitudes de César Franck.
On a très rarement donné des exécutions inté-
grales de cette œuvre, une des plus pures du .
maître de Zwickau, celle dans laquelle son génie
musical allemand s'est si adéquatement adapté au '
génie poétique du demi-dieu de Weimar.
L'exécution a été de premier ordre. Toujours
et avant tout, même avant les meilleurs solistes,
il faut vanter les masses chorales de la Société
de musique de Tournai, si accomplies, si sonores,
si intelligentes et si artistes. L'orchestre s'est bien
comporté, malgré le trop petit nombre de répéti-
tions. Quant aux solistes, ils ont tous collaboré
dans la mesure de leurs moyens à cette intéres-
sante exécution des belles pages de Robert
Schumann : M1Ie Marcella Pregi fut une Margue-
rite idéale par la pureté de son chant et de sa
diction; M. Daraux, chanteur de grand style, a,
malgré un léger enrouement, interprété les rôles
de Faust et du Docteur Marianus; M. Mauguière
s'est fait applaudir dans le personnage assez
effacé d'Ariel, et M. Nivette s'est taillé un succès
personnel dans Méphistophélès.
A côté de ces solistes étrangers, signalons aussi
les mérites des artistes belges qui participaient à
cette solennité musicale. D'abord. Mlle Danielle
Paternoster, MM. Tondeur et Léo Vanderhaegen,
les baryton et ténor, professeurs des conserva-
toires de Mons et de Gand, et enfin deux jeunes
débutantes bruxelloises, un mezzo-soprano, Mlle
Beun et un contralto, Mlle Artot.
— M. N. Daneau, directeur de l'Académie de
musique et membre fondateur du Groupe des
Jeunes Compositeurs belges, organise une audi-
tion intégrale de son drame lyrique en trois actes,
Linario. Cette séance aura lieu le dimanche
16 avril, à 3 heures de relevée, en la salle de la
Halle-aux-Draps. L'orchestre sera dirigé par
l'auteur, qui s'est assuré le concours de M. Swolfs,
du Théâtre lyrique d'Anvers, et A. Tondeur, du
Csnservatoire de Mons, ainsi que de Mme Cluytens
et de M1Ie Duchatelet, cantatrices.
J. Dupré de Courte ay.
NOUVELLES
— Le Festival rhénan aura lieu cette année à
Dusseldorf, les 11, 12 et i3 juin. Programme :
Première journée : a/ Suite pour deux orchestres
(Gabrielli); b/ Israël en Egypte (Hseiidel).
Deuxième journée : a/ Orchesterwerk, première
exécution (Friedman-Bach); b/ Morceau de violon
par Kreisler(X); c/ Cantate de la Pentecôte, A Iso hat
Gott die Welt (J.-S. Bach); d/ Concerto de piano
n° 2, Dohnaty, de Vienne (Brahms); e/ Symphonie
n° 2, avec soli et chœur (Muhler).
Troisième journée : a/ Appalachia, poème sym-
phonique, orchestre et chœur (Delius) ; b/ Canzone
di Ricordi, pour alto (Martucci); c/ Concerto de
violon (Mozart); d/ Eulenspiegel (R. Strauss);
e/ Morceaux de chant; f/ Fantaisie pour piano et
chœur (Beethoven).
288
LE GUIDE MUSICAL
— Le festival de l'Association générale des Mu-
siciens allemands aura lieu cette année à Graz, du
22 au 26 mai. Le programme comprend :
22 mai : Fragments du Requiem de Joseph Reiter
et du Christus de Liszt; Te Denm de Bruckner. Le
soir, Don Quichotte de Kienzl.
23 mai: Prélude et Fugue pour orchestre de Paul
Ertel; fragments de la symphonie n° 2, en mi mi-
neur de GuidoPeters ; Le Petit Dé à coudre, pour ba-
ryton, chœur de femmes et orchestre, de Jul.
Weissmann ; Appalachia, poème symphonique pour
orchestre et voix d'hommes de Fr. Delius; Chants
de l'amour de S. von Hausegger ; trois chœurs avec
orchestre à vent de Th. Streicher; le Retour d'Ulysse
d'Ernest Bochez.
24 mai : Le matin, concert de musique de cham-
bre : variations pour piano sur un thème de Bach,
de Max Reger; deux chœurs d'hommes a capella
de Rud. Buck; sérénade pour quatuor à cordes de
Jaques-Delcroze; Lieder de Otto Taubmann; va-
riations sur un thème de Beethoven, de Max Reger.
Le soir, concert avec orchestre; La Mort et la Mère,
pour soli, chœurs et orchestre de Otto Naumann ;
L'Idéal, poème symphonique de Liszt; A V Illuminé,
pour chœur, baryton et orchestre, de Max Schil-
lings.
26 mai : Le matin, concert de musique de cham-
bre : quintette pour cordes de Félix Draeseke ; dix
Lieder de Hugo Wolf; quatuor à cordes de Hans
Pfitzner. Le soir, concert avec orchestre : Ainsi
parla -Zarathustra, de Richard Strauss ; Chants avec
orchestre de Gustave Mahler; Marche impériale de
Richard Wagner.
Le 27 et le 28 mai : M. Gustave Mahler, direc-
teur de l'Opéra impérial de Vienne, dirigera une
adaptation scénique de la Sainte Elisabeth de Liszt
et Feuersnot de Richard Strauss.
— On nous écrit de Cologne que M. Jean du
Chastain vient de remporter un grand succès dans
le concerto en sol de Beethoven. M. Fritz Stein-
bach.qui dirigeait le concert, a vivement félicité le
jeune artiste, qui, peu de jours auparavant, s'était
fait applaudir à Gand dans le concerto pour piano
et orchestre de Liszt.
— La tournée de concerts que Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel vient de terminer n'a été qu'une
suite de retentissants succès. A Berlin, à Dresde, à
Leipzig, à Vienne, on l'a acclamée dans des œuvres
de Bach, Beethoven, Brahms, Schubert, Men-
delssohn, Schumann, Chopin, et de modernes,
comme Saint-Saëns, Fauré, Debussy, Chabrier.
Mais les applaudissements ont été surtout à l'admi-
rable chef-d'œuvre de César Franck, Prélude, Choral
et Fugue, moins connu en Allemagne, et qui a été
hautement apprécié dans la vivante interprétation
qu'en donne Mme Kleeberg-Samuel.
— Exposition de Liège. — Le commissariat
général du gouvernement vient d'être définitive-
ment transféré de Bruxelles à Liège, place Saint-
Paul, 12.
Tous les renseignements désirables y seront
donnés aux intéressés, qui sont priés d'y adresser
dorénavant les correspondances et documents à
M. Richard Lamarche, commissaire général.
Les réunions des groupes de la section belge se
tiendront désormais au siège du commissariat,
12, place Saint-Paul, à Liège.
ianos et Ibarpes
Brucelles : 6, rue Xatérale
paris : rue £m flDatt, 13
NECROLOGIE
— De Milan nous arrive la nouvelle de la mort
de Luigi Manzotti, le « géant de la chorégra-
phie » comme l'appellent certains journaux italiens,
l'auteur de ballets à grand spectacle : Siéba,
Excelsior, qui, pour avoir été célèbres et être même
restés en vogue à Vienne et en Italie, n'en sont
pas moins d'une musique détestable. A Bayreuth,
chez Mme Wagner, où la chorégraphie la plus
étrange est depuis quelques années en honneur,
la Zucchi dansa un jour, devant les invités de
Wahnfried, le pas à' Excelsior; ce fut peut-être la
gloire pour Manzotti; c'était moins celle des héri-
tiers de Richard Wagner.
— Hélène Gerl, cantatrice de la cour ducale
de Saxe, est morte à Brunswick, à l'âge de cin-
quante-huit ans. Elle a vécu et exercé pendant
plus de- vingt ans dans cette ville. Elle chanta à
Berlin en 1870 et en 1SS0 et fut une excellente
interprète des maîtres italiens et français.
— Mme Maus, mère de notre excellent confrère
M. Octave Maus, est morte il y a quinze jours
dans sa quatre-vingt-sixième année, des suites d'un
accident. Nous présentons à notre confrère et
ami l'expression de nos plus sympathiques condo-
léances.
LE GUIDE MUSICAL 289
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sous la direction de
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de 10 à 2 heures.
3ime année. — Numéro i5.
9 Avril 190S.
LA SONATE DE PÏANO ET VIOLON
DE M. VINCENT d'INDY
a plus récente composition de M.Vin-
cent d'Indy peut à bon droit provo-
quer un mouvement de curiosité
tout particulier par le seul fait qu'elle
est, si l'on excepte une petite sonate de piano
publiée il y a vingt-cinq ans déjà, la première
sonate que celui-ci ait écrite. Mais chacune des
grandes œuvres de M. d'Indy commande en
elle-même un intérêt nouveau, marque une nou-
velle étape de l'évolution artistique du maître.
Jamais, en effet, M. Vincent d'Indy ne s'est
répété; jamais il n'a rêvé, dans tout le cours
de sa carrière, de sa progression vers un double
but qui est, d'une part, l'organisation aussi
complète que possible de sa pensée musicale
et, d'autre part, la recherche de l'émotion et de
l'expression, non hors de soi, mais en soi, non
dans l'appareil extérieur de la vie, dans les
sensations, dans la paraphrase sonore des don-
nées tangibles, ni même dans le développe-
ment d'un thème psychologique, mais bien
dans la seule effusion, libre, intime et con-
sciente de l'âme.
M. Vincent d'Indy a clairement manifesté la
première de ces tendances par sa continuelle
recherche de l'unité thématique, de la forme
cyclique grâce à quoi la structure de l'œuvre
musicale devient parfaitement homogène et
comparable en quelque sorte à celle de l'être
organisé. Et la seconde devient évidente par
la' simple observation d'une liste chronologi-
que des productions du compositeur où, suc-
cédant à des œuvres qui partent d'une donnée
extérieure [Jean Hnnyade,i8j5', La Forêt enchan-
tée, 1878; Wallenstein, 1881, etc.), on en observe
d'autres qui ne contiennent que des évocations
moins directes et plus générales (Poème des
montagnes, 188 1; Symphonie Cévenole, 1886, etc.), et
auxquelles ne succéderont bientôt plus que des
œuvres de musique pure. En ces dernières
même, l'inspiration devient graduellement plus
grave, moins encline au pittoresque, et se con-
centre davantage autour d'une pensée direc-
trice toujours plus précise et plus affinée.
* * * .
La sonate de piano et violon vient aujour-
d'hui confirmer la continuité de l'évolution de
M. d'Indy. Elle est suprêmement forte, et tous
les éléments en sont associés non pas arbitrai-
rement, mais d'une façon qu'on sent nécessaire
et naturelle; ils doivent les uns aux autres leur
valeur expressive particulière comme leur apti-
tude à jouer un rôle dans l'organisation de l'en-
semble, et viennent conjointement communi-
quer à cet ensemble la vie. En même temps,
l'œuvre s'éclaire d'une lumière tout intérieure.
On sent que l'inspiration en a jailli du plus
profond de l'âme, sans qu'aucune considéra-
tion de métier musical ni aucun souci de faire
correspondre l'effusion sonore à un enchaîne-
ment d'images, voire de pensées, soit venu
entraver l'expansion. Par cette puissance de
simplicité comme par le lyrisme généreux dont
elle est pleine, cette sonate est, à mon sens, une
2§2
LEGUIDE MUSICAL
des œuvres les plus belles et les plus émouvan-
tes qu'ait produites l'auteur de Fervaal.
Elle offre encore ce mérite particulier que
l'auteur y triomphe du principal obstacle auquel
se heurte qui veut écrire pour piano et violon;
une association satisfaisante de ces deux tim-
bres est, je crois, particulièrement difficile à
réaliser. Entre les différents partis que l'on
adopte d'ordinaire, il y d'abord celui qui con-
siste à ne confier au piano qu'une simple partie
d'accompagnement, ce qui est bien peu inté-
ressant. On peut encore penser et écrire isolé-
ment la partie de violon et la partie de piano,
ce que font assez volontiers (à ce qu'il semble
du moins) les compositeurs d'aujourd'hui. Mais
alors, chacune des unités instrumentales paraît
artificiellement réunie à l'autre; elles ne concou-
rent point à un commun effet, et le résultat
d'un tel procédé (souvent inconscient, je pense)
reste, d'ordinaire, médiocrement satisfaisant.
Enfin, les compositeurs qui évitent l'une et
l'autre de ces erreurs font souvent de la réunion
dés deux instruments quelque chose de dense,
de pâteux, d'opaque, où il n'est tenu compte
ni du timbre propre du violon, ni de celui du
piano, lesquels timbres se perdent l'un et l'au-
tre dans un ensemble peu sonore et sans
beauté. De toutes les sonates de piano et violon
qu'il me fut donné d'entendre en ces derniers
temps (et l'on sait combien le genre, grâce à
l'incomparable modèle qu'en donna César
Franck, est rentré récemment en faveur), je
n'en vois certes qu'un bien petit nombre qui,
au seul égard de l'homogénéité et de la beauté
sonores, ne prêtent à la critique. Ici, rien de
semblable : violon et piano, loin de rester dis-
sociés ou d'être accouplés laborieusement, sont
intimement et spontanément unis; ils peuvent,
en leur mutuelle et commune liberté, s'entr'ai-
der et se suffire à la fois.
#*#
Pour revenir à la contexture de l'œuvre,
celle-ci comporte les quatre mouvements accou-
tumés. L'architecture en est à ce point simple,
que l'analyse en sera rapidement faite. Aucune
anomalie ne se présente et les quelques parti-
cularités qu'il importe de mettre en lumière ne
provoquent aucun commentaire spécial. Les
développements, l'ordonnance tonale, sont d'une
absolue clarté. Ce qui est surtout intéressant et
typique, c'est la dérivation des thèmes et la mul-
tiplicité des relations, toujours très claires,
qu'on remarque entre ceux-ci.
Le thème initial, très franc d'allure, est ex-
posé par le piano en ut majeur :
Modéré
Il s'achève (mesure 5) par un dessin
qui paraît bien être la cellule générahice du
thème du scherzo.
Le violon reprend ce thème, un peu à la
manière d'une réponse de fugue, au ton relatif
de la dominante, soit mi mineur, et cette fois
avec un prolongement qui semble contenir en
germe la forme dérivée de ce thème I que
montre l'exemple II, et aussi, peut-être, une
ébauche d'un thème de Yandante :
Cf. II
Cf. VII
La forme dérivée de I qui apparaît ensuite
au piano (p. 2, 1. 1) :
et dont le rythme est absolument celui de I,
jouera un très grand rôle dans toute la sonate.
Une nouvelle idée vient (p. 3,1. 1) se super-
poser à II :
Piano II
Ici, c'est une thème de transition qui, du
reste, devient important dans tout ce mouve-
ment initial et constituera un des thèmes prin-
cipaux de Yaudantè.
Ce thème III est repris ensuite par le piano,
tandis que le violon répète IL Le mouvement
s'accélère quelque peu, et alors paraît (en la
bémol majeur) le deuxième thème proprement
dit:
lé guide musical ^
LA SEMAINE
Le rôle dévolu à ce thème reste exception-
nellement secondaire, si bien qu'il semble pres-
que n'être qu'une forme accidentelle de IL
Particulièrement expressif est le chant du
violon qui accompagne la reprise de III par le
piano (p. 4, d. 1.) et précède une rentrée de I
dans le ton principal. Le thème I est ensuite pré-
senté de diverses façons; d'abord (p. 6, 1. 2) il
revient, comme timidement, au violon, accom-
pagné de mystérieux arpèges. Le voici ensuite
au piano, dérythmé en âpres harmonies (p. 7,
1. 1). Enfin, réduit à un tronçon de trois notes,
il se répète sous un chant du violon qui paraît
contenir des fragments de II et III (p. 7, 1. 3
et 4) et forme plus loin (p. 8, 1. 2 et 3) une sorte
de strette au-dessus de laquelle s'affirme de plus
en plus franchement le dessin Ibis, celui qui
formera le thème du scherzo. Ce développe-
ment se poursuit et aboutit à une explosion de
I en «tf majeur, qui est suivie (p. 10, 1. 1) d'un
retour de ce thème I en ut mineur, avec un
prolongement très expressif qui aboutit à II,
toujours en ut mineur. Puis il reprend, en ut
majeur, au piano (p. 11, 1. 1) pendant que le
violon énonce une variante de III. Voici en-
suite (p. 11, d. 1.) II au violon combiné avec
III au piano (de même p. 12, 1. 1); puis le
deuxième thème IV, en ut majeur cette fois, et
autour duquel le violon brode des arabesques.
Le développement se poursuit à travers diver-
ses tonalités, sans donner lieu à des remarques
nouvelles. Vers la fin, le premier thème (I), lé-
gèrement modifié, vient se juxtaposer au deu-
xième (IV, p. x5, 1. 2). Puis, peu à peu, tout
s'éteint. Une dernière fois, II reparaît, associé
à un écho de I (p. 16, 1. 2). Les trois notes con-
stitutives de I, doucement et solennellement
affirmées, achèvent cette première partie.
(A suivre.) M.-D. Calvocoressi.
PARIS
CONCERTS LAMOUREUX. — Si vous le
voulez, nous ne parlerons pas de l'ouverture
d'Egmont ni de la symphonie en ut mineur de
Beethoven (le premier mouvement a été, à notre
avis, pris trop lentement), pas davantage de
l'Enchantement du Vendredi-Saint de Parsifal, ni
de l'ouverture de Gwendoline de Chabrier, qui
occupaient les deux tiers du programme du
2 avril. Ces œuvres étant au répertoire de tous les
concerts, il suffit de les indiquer pour contenter
les statisticiens et d'ajouter qu'elles ont été super-
bement exécutées par l'orchestre de M. Chevillard,
un chef maître de soi et de ses artistes, tel un bon
cavalier toujours calme sur un cheval fougueux.
M. Chevillard avait eu l'heureuse pensée d'adop-
ter, lui aussi, une œuvre de Théodore Dubois
qu'on joue un peu partout et qui est généralement
bien accueillie : Adonis, poème symphonique en
trois parties. La première audition en avait été
donnée au Châtelet, le 24 novembre 1901, et le
public, ce jour-là très nerveux sans raison, s'était
montré irascible comme une jolie femme, comme
une laide aussi. Cette colère injustifiée n'a pas
nui à la fortune à! Adonis, elle l'a avancée au con-
traire : quelques sifflets lancés au moment opportun
font rebondir une œuvre comme un coup de cra-
vache fouette l'ardeur d'un pur-sang. Au Nouveau-
Théâtre, il ne s'est produit aucun incident, et l'on
a applaudi avec cette sympathie mêlée de respect
que mérite à tant d'égards le directeur du Con-
servatoire. Adonis est une élégie douce, mélanco-
lique sans trop de tristesse, une sorte de demi-
deuil. La douleur d'Aphrodite, traduite par un
motif confié à la clarinette, n'est pas poignante :
la déesse savait bien que son amant n'était pas
mort à jamais et que bientôt il renaîtrait en une
vivante anémone. La Déploration des Nymphes,
chantée par deux flûtes qu'accompagnent les
cordes en sourdine, est aimable avec des sonorités
tendres et discrètes. La Métamorphose d'Adonis
n'est pas moins aimable ; elle signale le renouveau
delà vie, et la musique qui, le décrit, avec son
joli bruissement instrumental, fait penser à la
douceur d'une fraîche matinée de printemps.
M'"e Mysz-Gmeiner a chanté — en allemand —
d'une voix jeune et charmante, les Rêves, de
Wagner, une mélodie à peine esquissée dont le
maître a dû se servir dans Tristan et Isolde, et dit,
plutôt que chanté, les Trois Tziganes, de Liszt. H
294
LE GUIDE MUSICAL
s'agit, d'après la traduction, de pauvres héros,
loqueteux mais libres, qui se consolent de leur
misère, l'un en jouant du violon, l'autre en fumant
sa pipe, le troisième en dormant. La musique ne
manque pas de pittoresque ; j'ai entendu, au début,
d'insignifiants traits de violon fort bien faits par
M. Sécbiari, un motif très commun vers le milieu,
et à la fin, j'ai cessé d'écouter. C'est tout ce que
j'ai à dire des Trois Tsiganes.
Un air de Don Carlos, de Verdi, eût valu d'être
chuté, s'il eût été interprété par une autre cantatrice
que Mme Mysz-Gmeiner, dont le talent est si
apprécié par le public. Comme elle le chantait
en italien, j'ai cru comprendre qu'une femme
maudit sa beauté et qu'à cause de cela elle va
s'ensevelir dans un couvent. Don Carlos, suivant
l'opinion des musicographes, inaugurait la deu-
xième « manière » de Verdi; je n'y contredis
nullement, mais ce dont je suis sûr, c'est que ce
n'était pas la bonne.
Avant de terminer, j'ai la faiblesse de signaler
à l'attention du comité de l'Association des Con-
certs Lamoureux une petite tache qui souille la
couverture de ses programmes. Sur une belle
page bleue s'étale le thème célèbre de Lohengrin
«Tu ne devras connaître... » noté avec de nom-
breuses fautes de mesure. La Société n'est pas
responsable, je le sais, du texte des annonces;
mais il se pourrait qu'un philistin l'accusât d'igno-
rer le solfège. « Ah! préservez-là du soupçon
funeste », ô monsieur Chevillard !
Julien Torchet.
CONCERTS COLONNE. - La 144e audi-
tion de la Damnation de Faust fut ce qu'elle devait
être avec M. Colonne comme chef : pleine de vie,
de verve, de fougue et de jeunesse, romantique à
souhait, en un mot, et non dénuée de cette trucu-
lence et de cette vigueur de coloris qui est bien
dans l'esprit de l'œuvre. Un public enthousiaste
multiplia les bis et les applaudissements. Mlle Mar-
cella Pregi, qui a fait sien le rôle de Marguerite,
le chante et le dit avec une entente parfaite des
nuances et une émotion communicative. M. Daraux,
Méphistophélès de grande allure, met plus en
dehors le côté philosophique que le côté satanique
du personnage, ce qui n'est d'ailleurs pas moins
dans la tradition de Gœthe. M. Cazeneuve fut
excellent dans les trois premières parties, mais se
ménagea de telle sorte dans l'Invocation à la na-
ture que l'effet en fut quelque peu amoindri. Quant
à M. Sigwalt, il dit sa Chanson du rat à la satis-
faction générale. J. d'Offoël.
SOCIETE NATIONALE DE MUSIQUE. —
L'orchestre de l'Association des Concerts Cortot
prêtait samedi son concours, sous la direction
de son chef distingué, à la 32Se séance de la
Société nationale de musique; c'est dire que les
compositeurs n'avaient point à se plaindre de l'in-
terprétation de leurs œuvres. Et pourtant on se
sentait plongé dans une tristesse étrange, enve-
loppé de musiques tristes, grises, vagues, mono-
tones, dans l'obsession des mélopées maladives,
coustruites toutes sur une pensée uniformément
mélancolique, lamentable ; on était sous l'impres-
sion d'un art affligé d'une mauvaise santé, atrabi-
laire et angoissé. Est-ce à dire que les auteurs n'ont
pas de talent ? Pas le moins du monde ; ils en ont
plutôt trop, au détriment de leur personnalité. Les
Harpes dans le soir de Woollett, Musique sur l'eau de
M. Florent Schmitt, Perversités de M. Lamotte,
sont des poèmes d'une langueur obstinée, qui, mu-
sicalement, procèdent de la façon de M. Debussy.
Ces œuvres, très ciselées, sont des tableaux impres-
sionnistes sans dessin, d'une couleur toujours inté-
ressante, où l'artiste semble s'appliquer à ne rien
préciser pour permettre au public d'y mettre tout
ce que son imagination en délire lui permet de
supposer. Musique sur l'eau — « Rien n'est doux
comme une agonie » — était chanté par M. Sautelet.
Les deux mélodies de M. Lamotte, Par la mort et
Voix d'enfant — « C'est une voix de gamin qui
m'arrive » — avaient pour interprète Mlle Bathori.
L'orchestre s'est tiré assez favorablement du
difficile Divertissement de M. Ch. Bordes pour trom-
pette solo. Sur un 3/4 énergique, l'appel de la
trompette, exécuté par M. Char lier, se développe
en sonorités aiguës au milieu des combinaisons les
plus imprévues et d'un effet sauvage et diver-
tissant. Le motif final, où la trompette chevauche
sur des trilles de violons, est d'un effet curieux,
bien qu'un peu strident.
L'œuvre capitale du programme paraissait être
Automne, esquisses symphoniques de M. Inghel-
brecht. Je pense que ce jeune compositeur a voulu
nous représenter quelques études de paysage la
nuit; sa conception descriptive et imitative a
d'ailleurs réussi. Dans la première esquisse,
Agreste, le hautbois, puis la clarinette-basse en
réponse exposent un court motif bucolique à trois
temps, et tout finit en sourdine dans le calme de la
nature qui s'endort. La nuit est venue; ce sont
les Etangs, qui reposent sur de tranquilles tenues
de basse ; leur surface est à peine ridée par un
zéphyr des archets qu'enflent une jolie sonorité de
la harpe et un léger frisson de cymbale. Quelques
notes finales de la flûte dans le grave terminent la
LE GUIDE MUSICAL
295
mélancolie du tableau. Puis c'est la Danse des feuilles
qui tombent et se froissent sur le sol, sans rafales,
sur quelque rythme un peu trop agrémenté de cas-
tagnettes dont je n'ai pas bien saisi l'utilité. Enfin,
Y Aube vient à naître, amenant le jour et la clarté;
malgré quelques accords des cuivres, ce n'est
point le soleil, et l'oeuvre conserve son harmonie de
clair-obscur. En somme, ces esquisses contiennent
de jolies trouvailles et renferment les matériaux
poétiques que l'auteur pourra employer avec
succès lorsqu'il voudra se laisser aller à une inspi-
ration plus spontanée et plus soutenue.
Une symphonie en une partie, qui n'est autre
-que le premier mouvement d'une symphonie de
M. Mariotte, est d'une tenue serrée, encore que
trop touffue. On pourra la juger plus complète-
ment lorsqu'elle sera terminée. Ch. C.
OPERA. — Les répétitions générales à'Armide
sont commencées. La première représentation de
l'admirable chef-d'œuvre de Gluck, que l'on récla-
mait depuis de si longues années, aura lieu le 12
avril, avec la distribution suivante : MmesL. Bréval,
Armide; Alice Verlet, la Naïade; Rose Féart, la
Haine; Lindsay, Phénice; Demougeot, Lucinde;
Vix, Mélisse; Dubel, Sidonie; Augussol, un
Plaisir ; Mendès,uneAmanteheureuse; MM. Affre,
Renaud; Delmas. Hidraot; Scaremberg, le Cheva-
lier danois; Gilly, Ulbade; Riddez, Aronte;
Cabillot, Artemidore.
©
— Le très vif succès qu'a remporté à la salle
Pleyel, le 3i mars, M. Henri Granados, pianiste
espagnol, fait grand honneur à l'école française.
Ce virtuose est élève de M. de Bériot : c'est dire
l'excellent enseignement du professeur. On cher-
cherait en vain les qualités qui lui manquent; il
les a toutes : la force et la délicatesse dans la
sonorité, la rectitude de la mesure, la fermeté et la
largeur du style et cette possession de soi-même
qui donne tant d'assurance à son jeu et de sécurité
à l'auditeur. 11 a exécuté sept sonates de Scarlatti
à la suite l'une de l'autre sans qu'on ait ressenti la
moindre fatigue à entendre des œuvres un peu
uniformes, parce qu'elles ont été jouées toutes
avec une égalité parfaite (l'allégro de la sonate n° 9
est dans son genre un petit chef-d'œuvre).
Si je n'avais conservé le souvenir de l'interpré-
tation des œuvres de Chopin par Mmes Pleyel et
Dubois (je tâcherai d'expliquer, à l'occasion,
comment elles 'sentaient ce poète du piano), je
dirais que M. Granados les a traduites à merveille.
La tradition — je l'ai souvent constaté — s'étant
à peu près perdue, j'ajouterai simplement qu'il a
su dégager du nocturne en ul dièse mineur, de la
polonaise n° 2 et surtout de la ballade n° 3 tout le
charme qu'il est possible d'obtenir quand on n'a
pas reçu la transmission directe de la pensée de
Chopin lui-même. Bissé, trissé, il a joué deux
belles études de sa composition, qu'on ne saurait
trop recommander.
M. Mathieu Crickboom, qui prêtait son concours
à M. Granados, a partagé son triomphe en jouant
la sixième sonate pour violon seul de Bach,
œuvre d'un genre trop spécial pour que j'en con-
seille l'exécution en public à d'autres virtuoses
que cet artiste de grand mérite ; et, avec son par-
tenaire, la Follia, sonate de Corelli (les traits à
l'octave en double corde étaient faits avec une im-
peccable justesse) et l'admirable sonate de César
Franck. T.
— Le récital d'œuvres de M. Johannès Scarla-
tesco donné, le 27 mars, à la salle Lemoine, a
obtenu un plein succès. Le concert a duré cinq
quarts d'heure à peine : contrairement à l'impres-
sion subie souvent dans les auditions de ce genre,
la séance a paru trop courte. Les compositions de
M. Scarlatesco se recommandent par une sûre
technique et' une probité artistique des plus rare.
Son inspiration, puisée aux sources mêmes de sa
patrie — M. Scarlatesco est d'origine roumaine, — -
a une saveur singulière, qui surprend d'abord le
goût de l'auditeur, à laquelle il s'habitue prompte-
ment et dont ensuite il ne peut plus se passer. Elle
vous suggère des sensations non encore éprouvées,
évoquant des paysages irréels, des forêts incon-
nues, toutes odorantes de parfums bizarres, ou de
vastes plaines tristes, arides et solitaires. A part
une pièce écrite dans le style ancien et des varia-
tions sur Loreley (le thème ne paraît pas nouveau,
mais les variations sont bien ingénieuses), toutes
les autres œuvres entendues sont expressives et
teintées de mélancolie. Parmi les mélodies, chan-
tées timidement par Mlle Maritza Rozann, je
signale celles qui ont été le plus applaudies par
un public de choix : une chanson tzigane, originale
d'accent et de rythme; Ein Lied (c'est le simple
titre), joli et sentimental; Saga rhénane, Einsamkeit
[Solitude), Um Mitternachl [ Vers minuit), trois rêveries,
trois larmes qui tombent lentement ; Doïna, un sou-
venir involontaire de Lahné; Wandert ïlir Wolken,
hymne à la nature souligné par des accords arpé-
gés, et Lass' tief in dir mich lesen [Laisse-moi lire en
toi), d'une belle envolée.
M. Victor Philippe-Gille s'est convenablement
tiré d'une Vieille Mélodie roumaine pour piano, semée
296
LE GUIDE MUSICAL
d'harmonies charmantes. M. Montoriol-Tarrès a
brillamment exécuté un Prélude, au contrepoint
austère, plus destiné, semble-t-il, à être joué au
clavecin ou sur l'orgue. Pour M. Georges Enesco,
partenaire de l'auteur, il s'est efforcé, et il y a
réussi, de traduire au piano la couleur orchestrale
d'une Rapsodie roumaine, qui ne nous était offerte
qu'en une froide réduction à quatre mains.
M. Scarlatesco est correspondant du Guide
musical à Vienne. L'usage défend, je ne sais pour-
quoi, de louer un confrère dans le journal auquel
il collabore. Qu'il veuille donc me pardonner si je
ne puis dire comme il le faudrait tout le bien que je
pense de son talent d'écrivain, de critique, de
pianiste et de compositeur. Julien Torchet.
— Le concert donné le 28 mars, à la salle Pleyel
par MM. Gabriel Grovlez et François Dressen, ne
pouvait manquer d'attirer les amateurs de la mu*
sique sérieuse. On sait en quelle estime ils tiennent
ces deux artistes, excellents virtuoses par métier,
sans doute, mais surtout parfaits musiciens. Ni
l'un ni l'autre ne cherche l'occasion de provoquer
les applaudissements par des « effets » faciles et
vulgaires ; tous deux s'efforcent de faire disparaître
leur personnalité pour n'être plus que les inter-
prètes de la pensée des maîtres. Ce respect de l'art
pur, ils l'ont montré dans la sonate en sol mineur de
Hsendel, de ce contemporain du grand Bach, qui
seul osait se permettre de douter du génie du com-
positeur saxon ; dans une autre sonate, de Saint-
Saëns, une grande œuvre construite avec de mi-
nuscules idées ; enfin, dans une troisième, du
compositeur hollandais Ludwig Thuille, entendue
pour la première fois à Paris : musique écrite
d'une main ferme, sans tâtonnements, et dont
M. Dressen a chanté le bel adagio avec cette
sérénité qui est la marque des forts.
Pour reposer les auditeurs, qu'aurait pu fatiguer
l'austérité du programme, MM. Grovlez et Dressen
avaient demandé le concours gracieux et tout de
grâce de Mme Charles Max. Je doute que le
résultat cherché ait été obtenu. Le charme de
Mme Max, très prenant, il est vrai, laisse toujours
à l'esprit un peu d'inquiétude et de trouble. Si elle
chante les Larmes secrètes et le Noyer, de Schumann,
les cordes vocales, tendues à l'excès, élèvent légè-
rement la note au-dessus de la tonalité, et quand
elle dit Plaisir d'amour de Martini et la Chevelure de
C. Debussy, elle met dans son chant tant de
passion, qu'on a peine ensuite à goûter les tran-
quilles joies de la musique idéale et pure, T.
— Il fut un temps où l'on s'écriait avec effroi :
« Sonate, que me veux-tu? » Aujourd'hui elle
règne dans la plupart des concerts. Les artistes
cueillent ce regain de floraison qu'ont fait naître
Pugno et Ysaye et l'offrent détaché ou en gerbe
aux amateurs nouveaux ou repentants. M. David
Blitz, avec le concours de M. André Tracol, a, le
27 mars, dans la salle Pleyel, assemblé trois fleurs
musicales, trois seulement, mais aux corolles si
largement épanouies et aux couleurs si riches et si
variées, qu'ils ont pu tous deux en former un
attrayant bouquet. Trêve de métaphores, ces
artistes, l'un pianiste au jeu ferme, élégant et
souple, l'autre, M. Tracol, chef d'un groupe de
violons au Conservatoire et reconnu si bon mu-
sicien qu'il eut l'honneur d'être mis en ballottage
pour la nomination de second chef de la Société des
Concerts ; bref, ces deux artistes, qui n'ont rien à
s'envier, ont exécuté d'un style au-dessus de tout
éloge la première sonate de Schumann, celle qui
a été dédiée à Kreutzer par Beethoven et une
œuvre d'Edouard Schùtt. Cette dernière composi-
tion, presque inconnue à Paris, vaut d'être
signalée pour sa fantaisie et son étrangeté. Le
premier mouvement est un peu sec de rythme,
mais le scherzo qui suit est d'une grâce légère bien
spirituelle. Si le thème de la canzonetta manque de
caractère, les variations attestent beaucoup d'ori-
ginalité et le finale est plein de verve et de couleur.
Les deux interprètes ont été rappelés et couverts
d'applaudissements. T.
— Plus accessibles au public que les quatuors à
cordes et moins monotones que certains récitals de
piano, les séances de la Société moderne d'Instru-
ments à vent attirent toujours une grande affluence.
Celle du mardi 28 a eu ce succès habituel, et
justifié pour plusieurs « numéros ». L'exécution a
été en général très bonne.
Une suite pour quintette (flûte, hautbois, clari-
nette, cor et basson) de M. Ch. Lefebvre offre de
jolis détails, mais l'instrumentation nous a semblé
alourdie par le mode d'emploi du cor et du
basson. Sans grand caractère sont le nocturne de
M. Léon Moreau et la Suite gauloise de Gouvy.
Nous avons préféré une barcarolle et un scherzo
pour quintette et piano de M. Cœdès-Mongin,
œuvrettes légères et agréables. On a fort applaudi
la première sonate de Brahms pour clarinette et
piano, bien rendue par MM. Guyot et Eug.
Wagner. Uandante et Y allegretto, en particulier, sont
des pages délicates et abondantes en détails inté-
ressants.
Le grand succès de la soirée a été pour une
LJi GUIDE MUSICAL
297
œuvre inédite de M. Reynaldo Hahn, le Bal de
Béatrice d'Esté, pour petit orchestre à vent, harpes
et timbales. C'est un pastiche exquis de musique
ancienne, sans longueurs, un peu écourté même
en certaines parties. Est-ce bien « xvie siècle»,
comme le voulait le programme? Nous ne le
jurerions pas. La musique instrumentale d'alors —
à la différence des œuvres chorales — ne nous
intéresse d'ailleurs plus qu'historiquement. Mais
c'est une œuvre fort agréable, comme il fallait
l'attendre du délicat auteur, et elle reparaîtra sans
doute dans les concerts.
Mme de Milleville a chanté quatre mélodies de
M. Devanchy, œuvres de bon goût et sans re-
cherche prétentieuse. F. G.
— La dernière séance Engel-Bathori, consacrée
aux œuvres de MM. Louis Aubert et Léon
Moreau, a fait apprécier une fois de plus l'art
infini des deux interprètes, et une science qui ne
se dément jamais, fut-elle aux prises avec des
pages ingrates, comme il s'en est trouvé quelques-
unes au répertoire vocal de M. Aubert. Par contre,
les pièces instrumentales de ce compositeur se
relèvent d'une facture intéressante, et je signalerai
avec plaisir une suite pour deux pianos, inter-
prétées par Mme Bathori et l'auteur : menuet,
berceuse, valse, qui témoignent de jolies et élé-
gantes qualités. Une vieille Chanson espagnole, sur
des paroles d'Arsène Houssaye, d'allure pitto-
resque, a valu à Mme Baihori un succès très per-
sonnel de chanteuse.
M. Léon Moreau, jeune prix de Rome, dans des
œuvres purement vocales, a semblé de style plus
varié, et la diction très étudiée de M. Engel, son
accentuation toujours juste, leur prête une grande
saveur. A citer : Au bord de la mer, Câliner ie, d'écri-
ture très délicate et très recherchée, et la Fiancée,
une œuvre de grâce et d'émotion, dans laquelle
Mme Bathori fut tout à fait exquise. A. G.
— M. Ricardo Vinès vient de commencer, salle
Erard, une série de quatre concerts consacrés à la
musique de clavier."
Il fallait toute la maîtrise de M. Vinès pour
tenter une telle chose et pour la mener à bien. En
effet, depuis le xvie siècle, la mode en musique, le
choix et la mise en œuvre des moyens d'expression
ont changé si souvent, qu'on pouvait craindre que
le public d'aujourd'hui ne pût prendre contact, dès
l'abord, avec tant de pensées et tant de styles
différents : comment passer, sans perdre son plaisir
en route, d'Antonio de Cabezou ou de Juan
Moreno à Claude Debussy, et réciproquement? Dès
le début, il fallait quitter nos chers contemporains
pour Antonio de Cabezou...
Il est vrai que M. Ricardo Vinès avait distribué
ses programmes selon l'ordre chronologique. En-
core est-il que, dans la première séance, le prodi-
gieux pianiste fit entendre des œuvres espagnoles,
anglaises, italiennes, françaises, allemandes, —
c'est-à-dire des échantillons de deux siècles de
musique à travers la vieille Europe.
Vraiment, pour un exécutant, il n'y a guère
meilleur moyen de prouver sa variété, son intelli-
gence et la sûreté de son style. Peut-être, en fin
de séance, le pianiste a-t-il un peu pressé quelques
mouvements; mais il cédait, sans doute, à l'entraî-
nement du succès. Dans l'ensemble, l'exécution
de M. Ricardo Vinès fut irréprochable et d'une
fort bonne tenue d'art.
Les prochaines séances, tous les lundis soir,
continueront cette histoire de la musique de cla-
vier. Et, vers la fin, ce sera une histoire toute
contemporaine avec Saint-Saëns, Castillon, Marly,
Fauré, Samazeuilh, Pierné, Séverac, Ravel, Vin-
cent d'Indy, Chabrier... Adolphe B.
— M. Franz Fischer, chef d'orchestre des
théâtres de Munich et de Bayreuth, s'est fait une
spécialité de l'interprétation au piano des œuvres
de Wagner. La mission qu'il s'est donnée est des
plus louable. Quand les concerts symphoniques
et les «cènes lyriques ne nous avaient pas encore
familiarisés avec le drame wagnérîen, il était utile
d'en tenter la vulgarisation, ne fût-ce que par le
piano. Aujourd'hui, le but étant atteint, l'effort est
superflu. Quel que soit le talent de M. Fischer —
et il est grand, — la marche funèbre du Crépuscule,
des Dieux, la mort d'Isolde, le prélude de Parsifal,
scènes plutôt « commentées » que traduites tex-
tuellement, restent bien pâles sans la couleur
orchestrale, et la scène d'amour de Tristan, au deu-
xième acte, devient, au piano, d'une extrême mo-
notonie. Seules, l'Incantation du Feu de la
Walkyrie et la Fête populaire des M aïti'.es Chantetirs
produisent quelque effet, à cause de la franchise
des rythmes. Si j'osais émettre une légère critique
sur l'interprétation pianistique, j'ajouterais que la
fréquence des accords arpégés et le balancement
des mains (le « bateau », comme on dit vulgaire-
ment) donnent à la musique de Wagner un flotte-
ment que sûrement elle n'a pas et ne peut avoir.
Cette impression toute personnelle, les auditeurs
de la salle Pleyel ont été loin dé la ressentir dans
298
LE GUIDE MUSICAL
la séance du Ier avril. Ils ont, au contraire, cha-
leureusement applaudi M. Fischer. Dans l'admi-
ration qu'ils lui ont témoignée, il entrait peut-être
aussi un sentiment d'amour-propre ; ils se savaient
bon gré de reconnaître les thèmes principaux, de
les appliquer à la scène exacte du drame et de
pouvoir les revêtir, par le souvenir, des riches
parures orchestrales dont Wagner les a superbe-
ment ornées. Ils s'aimaient dans M. Fischer. T.
— Salle d'Horticulture, le 28 mars, intéressante
audition des œuvres chorales d'Edmond de Poli-
gnac, interprétées par l'Euterpe, sous la direction
de M. Dutheil d'Ozanne. Cette excellente société,
très en progrès, nous a permis d'apprécier dans
des chœurs tantôt a cafiella, tantôt accompagnés au
piano, des compositions de beau style, soit reli-
gieux, soit profane, toujours empreintes d'élévation
et fort bien écrites pour les voix. A citer un beau
chœur de la Passion, d'une belle envergure et que
je préfère à l'épisode de Martha et Maria, d'expres-
sion un peu confuse. On a bissé un joli chœur, Les
Hirondelles, d'une poésie ravissante, aussi bien par
l'idée que par la musique qui l'accompagne, et
nombre de pièces qui témoignent d'un goût raffiné
et délicat.
Les œuvres du compositeur alternaient au pro-
gramme avec d'heureuses sélections de Sokalof
(deux chœurs de femmes ravissants), de Fauré,
Madrigal et Pavane, bien connus, et de Brahms,
avec ses délicieux Poèmes d'amour, dont M. Dutheil
a tort de retenir le mouvement de valse {Liebeslieder-
zvalzer), ce qui leur donne une lourdeur regrettable.
A. G.
— Le Quatuor Lejeune (MM. N. Lejeune, Cla-
veau, Lefranc et de Bruyn) exécuta le mercredi
29 mars, salle iEolian, le quatuor en la mineur de
Schubert, une merveille de grâce aimable et
d'émotion contenue, et le quatuor en mi majeur de
Witkowski, une page très curieuse et originale.
Les jeunes artistes firent preuve d'une belle ardeur
et jouèrent avec intelligence et cohésion. Une
sonate de M. Labey, interprétée par l'auteur et
M. Lejeune, eut un succès d'estime, malgré la froi-
deur et la sécheresse de ses développements.
G. R.
— Il est de mode, en certains milieux, de voir
dans les œuvres de Brahms des compositions rai-
sonnables, dans la manière de% Mendelssohn, plus
colorées peut-être, mais' aussi moins franches et
d'allure plus lourde,
C'est à réagir contre de telles affirmations, par-
fois peu désintéressées, que s'est employé Hu-
gues -Imbert dans de nombreux articles publiés
ici même, dans le Guide. La mort l'est venue sur-
prendre alors qu'il mettait la dernière main au
livre qu'il a consacré à Brahms. Ces pages paraî-
tront un jour prochain. Ainsi se continuera l'effort
si probe qu'il a déployé, comme le fait encore
M. Adolphe Jullien, pour suggérer au public fran-
çais l'admiration d'un maître symphoniste grand
parmi les grands.
La sonate pour piano et alto où tant de pages
sont fleuries de poésie et de gaîté sereine est une
des dernières œuvres de Brahms, dont elle reflète
l'humour et la santé d'âme. L'alto y est traité
comme Brahms le savait faire, car une affinité
naturelle autant qu'élective l'attachait à cet instru-
ment autour duquel pivotent en quelque sorte les
sonorités de son quatuor.
Mlle Raulin a fait de louables efforts pour se
hausser au rôle d'interprète de quatre des plus
beaux chants du maître. Il me serait agréable de
dire qu'elle y a réussi. Le talent de Mme Loiseau
et la maîtrise des quartettistes ont pu tout à loisir
se donner carrière dans tant de pages superbes où
les difficultés d'exécution sont semées sous les
fleurs. Félix Grenier.
— Mlle Clémence Oberlé a donné un premier
concert le dimanche 2 avril, à la salle des Agri-
culteurs (le second concert est annoncé pour le
3 mai). Un beau succès a souligné son talent très
distingué sur le piano et le programme de choix
qu'elle avait imaginé : trio en ut mineur de Men-
delssohn (avec MM. Balbreck et Liégeois pour le
violon et le violoncelle), sonate en si bémol majeur
de Mozart (avec M. Balbreck), quatuor de Saint-
Saëns. Comme délassement, un joli choix de mé-
lodies modernes (Fauré, Samazeuilh, Debrie,
Moussorgsky) chanté par Mme Camille Fournier.
— Le mardi 4 avril, à la salle des fêtes du
Journal, concert donné par le violoniste René
Samson. entouré d'un choix très attrayant d'ar-
tistes. Musique moderne, très moderne (sauf un
fragment de concerto de Beethoven). La magni-
fique sonate en la de César Franck (avec Mlle Ger-
maine Chéné), une Cavatine moderne pour violon
de Gaston Paulin et une Moresque de M. de
Aceves, des airs de Saint-Saëns ou de Bemberg
accompagnée au violon (chantés par Mlle J. de
Mirmont), etc.
LE GUIDE MUSICAL
299
--Le premier concert d'orgue donné le mercredi
22 mars, à la Schola Cantornm, par M. Charles
Quef, organiste de la Trinité, a mis en valeur les
qualités éminentes de cet excellent musicien dans
un heureux choix de morceaux où Each et César
Franck, Widor et Saint-Saëns,Schumann et Théo-
dore Dubois mêlaient leurs noms et qu'ont achevés
un trio et un grand chœur de M. Quef lui-même.
Comme curiosité principale, une sonate en ré
majeur de Jean-Marie Leclair (1697-1764), exé-
cutée avec le concours du violoniste de style qu'est
M. Joseph Debroux.
Le second concert a eu lieu mercredi 5 avril,
avec le concours de Mme Marie Mockel (Lieder de
Schumann, Beethoven, Mozart). Au programme,
des pages importantes de Widor, Saint-Saëns,
Schumann, Boëllmann et le choral 34 de Bach.
— La seconde des séances de sonates données
par M. et Mme E. Loiseau dans la petite salle
Erard a eu lieu le jeudi 6 avril, avec ce programme,
qui a permis d'apprécier une fois de plus la sou-
plesse de style des exécutants : la Sonate à Kreutzer
de Beethoven, une sonate de Marcel Labey et une
sonate de Gabriel Fauré.
La troisième séance aura lieu le 17 avril, avec
une œuvre de Gabriel Pierné, une de Vincent
d'Indy et une de César Franck.
— Le concert de la Société Bach, le lundi 20,
a produit la meilleure impression et la plus con-
forme au caractère de la musique qu'il compor-
tait : celle d'une interprétation puissante et sobre.
Les qualités de Mlle Blanche Selva, par exemple,
sont tout à fait viriles. Le rythme, la mesure, la
plénitude étoffée des sons, sont des plus remar-
quables chez elle, et ce sont bien les qualités qu'il
faut à une exécution d'oeuvres de Bach. Le violo-
niste Enesco n'a pas été moins intéressant, soit
avec elle, soit, par exemple, dans la chaconne pour
violon seul, qu'il a jouée avec une chaleur extrême.
M. Widor, à son tour, a fait justement applaudir
son talent consommé dans le choral et la passa-
caille. Ces concerts ont lieu rue de Trévise, dans
une salle plutôt médiocre, mais pourvue d'un
orgue, la salle de l'Union. C. T.
— Une jeune violoniste, M1Ie Lily Francenie, a
donné un concert éclectique avec le concours de
MM. de Lausnay, Pecquery, Minssart et Villain.
Mlle Fraconie a exécuté avec entrain la Havanaise
de Saint-Saëns, deux études peu musicales de
Lefort et la romance de Svendsen. M. Pecquery a
eu beaucoup de succès en chantant Le Cœur de ma
mie et une romance de Tosti; M. de Lausnay n'en
a pas eu moins avec le Réveil ssus lois de Diémer.
Ch. C.
— Une jolie soirée de jeunes talents a été le
concert donné le 29 mars, à la salle Erard, par
jolies Léman et Playfair, avec le concours de
M. Ed. Colonne et de son orchestre. Des pro-
messes surtout, il est vrai, et quelque inexpérience
encore dans la conduite d'une œuvre de longue
haleine, peu de variété, de gradations. Mais
Mlle Playfair a, sur son violon, une justesse et une
aisance remarquables, du son, de l'entrain, de la
vivacité; et M1'15 Léman, à défaut d'autorité et de
puissance devant un orchestre, a bien de la délica-
tesse et de l'élégance sur le piano. Au programme,
le concerto en mi bémol majeur de Beethoven, une
sonate pour piano et violon de Léo Sachs, assez
peu intéressante; le second concerto de M. Théo-
dore Dubois, pour piano, très bien venu, au con-
traire, et même fort remarquable en certaines
pages [Y allegro, le duo entre le piano et les instru-
ments à vent, suivi d'un unisson des cordes, un
scherzo délicat et bissé); enfin, un ballet de M.
Gabriel Pierné, très fantaisiste et rendu avec beau-
coup de couleur et de flamme.
— A la même salle, deux jours après, le 3r, un
concert donné par Mme Estrabat-Eytmin a fait
entendre le second trio de B. Godard, délicieuse-
ment rendu, avec la pianiste Mlle Magdeleine
Godard et M. L. Feuillard ; les Variations sympho-
niques de Boëllmann (exécutées par ce dernier) ;
deux morceaux de Godard encore, surtout sa char-
mante Mazurka sentimentale (dite à merveille par
Mlle Godard), et une série de pages de Schumann,
Mendelssohn, Chopin, Grieg, Liszt, où Mme Es-
trabat-Eytmin a montré beaucoup de correction,
avec un peu de froideur et d'impersonnalité.
C.T.
— M. Stéphane Austin a donné à la salle Erard,
avec le concours de Mmes Marie Mockel et Marthe
Legrand, un excellent concert, dans lequel on
a acclamé successivement les noms de César
Franck, de Castillon, d'Ernest Chausson, de
Vincent d'Indy, de Charles Bordes et de Pierre
de Bréville. Un air des Béatitudes, le Temps des Lilas,
la Mort des Lis, ont valu de nombreux applaudisse-
ments à M,ne Marie Mockel ; Mme Marthe Legrand
a très joliment interprété l'admirable Lied mari-
time, et M. Austin mérite de très vifs éloges pour
l'art et le charme avec lesquels il a chanté un noc-
turne de Franck, le Bûcher de Castillon, le Cantique
à l'épouse de Chausson, etc.
3oo
LE GUIDE MUSICAL
— Un jeune prodige de douze ou treize ans,
jouant avec un merveilleux aplomb un concerto de
Paganini, le Rondo capriccioso de Saint-Saëns et des
pièces pour violon seul de J. S. Bach, est toujours
assuré d'un triomphe. Les vrais musiciens ont de
la méfiance et restent chez eux. Mais les... autres
accourent en foule et s'extasient sur cette tou-
chante précocité. Le jeune Mischa Elman a cer-
tainement remporté ce genre de succès à son
concert du ier avril, rue d'Athènes. Le choix de
morceaux donne une idée de son mécanisme
étonnant. Aura-t-il un égal succès dans huit ou dix
ans? Nous le lui souhaitons.
Cette séance, en somme peu musicale, dans le
vrai sens du mot, a été complétée par M. Charlton
Keith, « de Londres » dit le programme, qui a joué
au piano une toccata et une fugue de Bach ainsi
que d'autres morceaux. F. G.
É*
— Le prix de Rome.
Le concours pour le prix de Rome de musique
aura lieu, cette année, aux dates suivantes, au
château de Compiègne :
Entrée en loge, pour le concours d'essai, samedi
6 mai, à 10 heures du matin; sortie, vendredi 12
mai, à 10 heures du matin.
Jugement (au Conservatoire), samadi i3 mai, à
9 heures du matin.
Concours définitif (au château de Compiègne) :
Entrée en loge, samedi 20 mai, à 10 heures du
matin; sortie, lundi 19 juin, à 10 heures du malin.
Jugement préparatoire (au Conservatoire), ven-
dredi 3o juin, à midi ; jugement définitif , à l'Institut)
samedi ier juillet, à midi.
Les candidats devront se faire inscrire au
bureau des théâtres, 3, rue de Valois, avant le
dimanche 3o avril, et remettre :
i° Leur acte de naissance ; 20 un certificat déli-
vré par leur professeur ou par un artiste connu,
attestant qu'ils sont capables de prendre part au
concours ; une déclaration de non-mariage.
Les concurrents devront se munir, avant de se
rendre à Compiègne, de draps, taies d'oreiller et
linges de toilette, pour leur séjour en loge.
Terme de rigueur pour le dépôt au Conservatoire
des poèmes de cantates : Mardi 16 mai inclus.
— M. Alexandre Guilmant annonce pour tous
les lundis, du 10 avril au 3 juillet (sauf ceux de
Pâques et de la Pentecôte), en la salle des fêtes
du palais du Trocadéro, à 4 1/2 heures, la série
annuelle de ses séances historiques d'orgue, aux-
quelles il convie ses élèves du Conservatoire et les
amateurs qui lui en feront la demande. (Ecrire à
Meudon, Seine-et-Oise, 10, Chemin delà Station.)
— La Société Bach donnera le mercredi 12
avril, un grand concert avec soli, orgue, orchestre
et chœurs.
M. A. Guilmant, Mme Gallet, MmeGay, Mlle Selva,
M. Cortot, M. Jan Reder, prêteront leur concours
à cette soirée, qui s'annonce comme des plus inté-
ressante.
Au programme, une cantate sacrée (première
audition à Paris), une cantate profane et deux con-
certos pour deux pianos et orchestre. Le concert
sera dirigé par M. Gustave Bret.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La reprise du Postillon de Lohjiimeaa a reçu un
excellent accueil. L'œuvre, qui n'avait plus été
jouée ici depuis la saison 1875-76, était nouvelle
pour la plupart des spectateurs. Ceux qui l'avaient
déjà entendue ont pris le plus grand plaisir à
retrouver maintes pages célèbres dans le réper-
toire de l'opéra-comique; les autres ont goûté le
tour souvent spirituel de cette musique d'une
inspiration facile, mais qui n'est jamais triviale et
que relève souvent une instrumentation piquante.
L'œuvre a moins vieilli que bien des productions
contemporaines; parmi les compositeurs d'opéras-
comiques de la première moitié du dix-neuvième
siècle, Adam est d'ailleurs, avec Hérold, de ceux
dont la ligne mélodique a le moins subi l'atteinte
des ans.
Cette reprise a bénéficié d'une excellente exécu-
tion. M. David et Mme Eyreams ont réalisé avec
esprit le double aspect de leurs personnages,
patoisant comme il convient au premier acte, ayant
à souhait la distinction affectée que réclament
les scènes des deux actes suivants. Le rôle de
Chapelou compte parmi les plus difficiles du
répertoire de l'opéra-comique; M. David l'a chanté
avec une habileté rare, qui lui a valu de chaleu-
reuses ovations. Les deux excellents interprètes
étaient fort bien secondés par MM. Belhomme et
Caisso, très amusants dans les rôles de Biju et
du Marquis. J. Br.
— La rentrée de Mme Félia Litvinne dans Alcesle
a été pour l'admirable artiste un succès merveil-
LE GUIDE MUSICAL
3oi
leux. Son interprétation toute classique, d'une
passion magnifique, qu'elle contient de manière
à garder au rôle sa belle harmonie, la pureté de
son chant, ont fait une profonde et inoubliable
impression. Lundi, M. Ch. Dalmorès a obtenu un
très vif succès dans le rôle d'Admète,qui reste l'une
de ses créations les plus intéressantes. Jeudi, c'est
un ténor russe, l'un des meilleurs élèves de M. de
Reszké, M. Altchevsky, qui a débuté à Bruxelles
dans ce rôle et y a fait bonne impression.
Dans cette même semaine, remarquablement
intéressante, on a applaudi Aïda avec Mme Paquot
et Mme Dhasty, très belle dans le rôle d'Amnéris,
le Postillon de Lonjumeau, Manon et Louise.
On pousse avec activité les répétitions du Cré-
puscule des Dieux, la Walkyrie et le Trouvère qui
passera jeudi prochain.
La direction annonce, pour le 20 et le 22, deux
représentations de V Artésienne de Georges Bizet,
avec le concours de Mme Favart, de MM. Albert
Lambert fils et Paul Mounet, de la Comédie fran-
çaise, de Mme Aimée Tessandier, de l'Odéon.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, le Postillon de
Lonjumeau et Une aventure de la Guimard; le soir,
Faust; demain lundi, dernière représentation de
Lohengrin, R. S.
CONCERTS YSAYE. — Le Concert Ysaye
de dimanche dernier a valu un succès triomphal
à M. Mengelberg et au pianiste Raoul Pugno.
Le premier, excellent pianiste aussi, s'y produi-
sait comme chef d'orchestre, et les brillantes
qualités dont il fit preuve en dirigeant un des
précédents concerts de cette saison se sont affir-
mées à nouveau dans trois œuvres de caractère
assez varié : la Symphonie héroïque de Beethoven,
des fragments symphoniques de la Psyché de César
Franck, et l'ouverture de Tannhâuser. La grande
précision rythmique de M. Mengelberg fut surtout
victorieuse dans le final de YEroïca. enlevé avec
une chaleur qui n'altérait en rien la carrure et
la rectitude du mouvement. Dans les quatre
tableaux symphoniques de Psyché, il sut imprimer
aux ondes sonores une élasticité enveloppante
bien appropriée au caractère de l'œuvre ; et sa
main gauche, si expressive en sa souplesse d'une
suggestive attirance, joua un rôle fort attachant
dans ces pages qui ne nous avaient jamais paru si
éloquentes et si colorées. Il n'est guère de chef
d'orchestre qui, aujourd'hui, ne cherche à relever
l'intérêt de l'ouverture de Tannhâuser, si souvent
entendue, par la mise en relief de tel ou tel détail
de l'instrumentation ; M. Mengelberg n'a pas failli
à cette nouvelle tradition, et si le tableau du Venus-
berg nous parut d'un mouvement un peu modéré,
l'exécution, dans l'ensemble, n'en eut pas moins
belle et enlevante allure. Chacun de ces numéros
du programme valut au brillant chef d'orchestre
de chaleureuses ovations.
Mais plus enthousiastes encore, ou du moins
plus répétés, furent les rappels décernés au pianiste
Raoul Pugno Et l'on dit que le goût de la virtuo-
sité se perd! M. Pugno, il est vrai est plus, ou
mieux qu'un simple virtuose : c'est un iaterprète
dans toute la force du terme. Il l'a prouvé à nou- ,
veau par son exécution du concerto en mi bémol
de Mozart, dont ses doigts agiles ont fait une
chose absolument délicieuse. C'est merveille de:
parvenir à mesurer avec une pareille sûreté l'inten-
sité du son, et de passer avec une transition aussi
habilement graduée du piano le plus ténu au forte
de la plus mâle puissance. Et les trilles, les orne-
ments, avec quelle délicatesse il les réalise, leur
donnant leur caractère propre tout en les ratta-
chant étroitement au chant dont ils sont la parure.
Mais c'est presque une banalité de faire l'éloge
d'un virtuose dont la réputation est si fortement
établie et qui triomphe partout où il se produit.
Interprète idéal de Mozart, M. Pugno ne se dis-
tingua pas moins, dimanche, dans les Variations
symphoniques de César Franck, enlevées avec une
aisance qui n'en laissait aucunement apparaître les
difficultés. Vraiment, la virtuosité ainsi comprise
est faite pour désarmer ses adversaires les plus
convaincus. J. Br.
— Le concert donné par MM. Raoul Pugno et
Arthur De Greef, au Cercle artistique,, a été un
merveilleux triomphe pour ces deux artistes, qui.
ont interprété le concerto en ut de J.-S. Bach, le
Caprice arabe et le Scherzo de Camille Saint-Saëns, .:
le concerto en mi bémol de Mozart. Il est vraiment
superflu de chercher à caractériser des talents
aussi complets, des interprétations aussi parfaites ;
il n'y a place que pour l'admiration sans réserves.
L'orchestre était dirigé par M. Théo Ysaye, qui
a conduit une excellente exécution de la sym-
phonie en si bémol de Haydn. S.
■ — M. Engel et Mme Bathori nous ont chanté,
mercredi dernier, toute une série de chansons
populaires toutes charmantes.
D'abord « les plus jolies chansons de France »,
choisies par M. Catulle Mendès, parmi lesquelles
La Femme du marin, la Délaissée, Vivent la rose et le
lilas sont de petits chefs-d'œuvre de finesse et de
sentiment, de gaîté et d'esprit.
Les .-. chansons populaires flamandes » ont paru -
302
LE GUIDE MUSICAL
un peu plus ternes, plus lourdes, mais leur carac-
tère reste impressionnant. Les « chansons de
Basse-Bretagne », empreintes d'une grande tris-
tesses, sont toutes délicieuses; Mme Bathori et
M. Engel les ont interprétées d'une façon exquise.
J-T.
— Les Concerts Barat ont donné le vendredi
3i mars une séance très intéressante, consacrée
aux œuvres de Peter Benoit. MUe J. Vanden Bergh
y a interprété avec beaucoup de sentiment une
série de Lieder tout à fait charmants, parmi les-
quels il faut noter Un cœur Irisé aspire au repos, le
Petit Chevalier du Printemps et La rose au parfum
suave; M. H. Vinck, i'excellent flûtiste, a fait
entendre trois petites œuvres et M. Edouard Barat
a exécuté au piano, avec un art très sûr et infini-
ment de tact, le Petit Forgeron, Y Angélus, la ballade
n° 3 (2e suite), le Roi des Aulnes, etc., toutes œuvres
auxquelles la cantilènë populaire, que maniait
Peter Benoit avec tant de sentiment et d'origina-
lité, donne un charme tout à fait délicieux. R.
— Jeudi, à la salle Le Roy, le piano-récital
donné par M1Ie Aurora Molander a été un très
grand et très vif succès. Mlle Molander est une
Suédoise, qui vint en Belgique sur les conseils
d'Edouard Grieg et qui est devenue l'une des
meilleures et des plus brillantes élèves de M.Arthur
De Greef. L'année dernière déjà, nous avions eu le
plaisir de l'entendre avec son maître dans un
concert où elle fit excellente impression. Cette
année, Mlle Molander affronte seule le jugement
du public et, en dépit d'une légère émotion, insé-
parable d'un début, elle a obtenu les plus légitimes
applaudissements. Nous avons goûté surtout la
délicatesse et la précision du toucher, qui révèlent à
la fois les meilleurs dons et la meilleure école; un
sentiment très juste et très mesuré, une compré-
hension intéressante et fine des œuvres interpré-
tées [Prélude, Choral et Fugue de César Franck, du
Scarlatti, le Carnaval de Vienne de Schumann, etc.).
R. S.
— La troisième séance du Quatuor Zimmer, à
l'Ecole Allemande, a été marquée par une inter-
prétation remarquable du quatuor en ré majeur,
op. 5o, de Haydn, charmant dans sa simplicité;
du quatuor en mi majeur, l'une des œuvres les plus
caractéristiques de Vincent d'Indy, et de l'admi-
rable r<? majeur de Beethoven, qui a été un grand
succès pour les éminents quartettistes.
— Vendredi dernier, à la salle Ravenstein,
M^e c. Bernard a donné un excellent piano-
:
.
récital avec le concours de Mlle Alexandra Ber-
nard, violoniste. Nous avons tout particulièrement
remarqué le sentiment délicat avec lequel ont été
exécutés le concerto pour violon de Lalo et
quelques œuvres pour piano de Chopin.
— Le concert annuel des Artisans réunis, dirigé
par M. Adolphe Goossens, a obtenu un vif succès.
Le programme comportait l'air de la folie d'Hamkt,
les variations de Proch, excellemment exécutées
par Mlle Henriette Goossens, douée d'une jolie voix;
Callirhoé, de M. Martin Lunssens, cantate qui lui a
valu son prix de Rome en 1896; la Séparation des
Apôtres de Reuschel et les Muletiers de L. De Riilé,
dont l'interprétation a fait honneur aux Artisans
réunis.
M. Seguin s'est fait vivement applaudir dans le
prologue de Paillasse.
— Jeudi dernier a eu lieu, à la Brasserie flamande,
le concert annuel du Select Choral Club (chœur
mixte). Au programme : Le Soir, chœur avec
accompagnement de piano, de Wekerlin, et Le
Moulin, de Weyts, très bien exécutés sous la direc-
tion de M. Henri Van Luck. Un jeune violoniste,
M. Walvis, prêtait son concours à cette fête et a
joué avec beaucoup de netteté un concerto de Max
Bruch, et avec fougue le Zigeunenveizen de Sarasate.
Mlle J.Collini, a fait valoir sa jolie voix dans le grand
air de. Philémon et Baucis, et dans le duo Amour! ouvre
pour nous tes ailes de J. Palicot, où elle avait pour
partenaire M. E. Glauden, un baryton doué d'une
belle voix. Une mention à Mlles Aug. et Ad. Del-
court, deux sœurs, qui ont détaillé à ravir le duo
de Lahné. Soirée extrêmement intéressante.
— ■ Dimanche 3o avril, l'œuvre de 1' « Avenir
artistique », placée sous le haut patronage de
S. A. R. Mme la comtesse de Flandre et la prési-
dence de Mme la baronne Lambert et de
M. Gevaert, donnera dans la salle du Conserva-
toire un grand concert au bénéfice de ses protégées.
Ce concert se donnera avec le concours de
Mme Félia Litvinne, de M. Dufranne, du violoniste
Lucien Capet et de M. Reynaldo Hahn.
— Mme Armand-Coppine, du Théâtre royal de
la Monnaie, professeur au Conservatoire royal de
musique de Liège, donnera, le mercredi 19 avril
à 1 1/2 heure, au théâtre de l'Alhambra, l'audition
annuelle des élèves de son cours particulier
de chant et de déclamation lyrique. Les élèves
se produiront dans des scènes d'opéras et d'opéras-
comiques, en costume, avec décors. Les per-
sonnes désireuses d'obtenir des places pour cette
audition sont priées d'adresser leurs demandes,
le plus tôt possible, 49, rue Philippe-le-Bon.
Le guide musical
3o3
CORRESPONDANCES
ANVERS. — M. Bernard ten Cate, le jeune
organiste hollandais dont on se rappelle le
succès au Jardin zoologique cet hiver, a donné la
semaine dernière un concert d'orgue en l'église
allemande de la rue Bex. Il a exécuté, avec beau-
coup de rythme, le concerto en rè mineur de
Hœndel, et nous a fait entendre Contemplation, une
excellente composition moderne de son maître,
M. Mailly, auquel il fait grand honneur. Dans les
Variations de Hesse, M. ten Cate a fait preuve
d'une virtuosité développée, unie à un sentiment
fort artistique.
Au même concert, nous avons entendu Mlle Tul-
leners qui possède une jolie voix de soprano, et
Mlle Strack, une violoniste de talent qui a donné
une interprétation fort habile de la Romance de
Wieniawski. L'exécution de l'oratorio Venise, de
M. Charles Radoux, n'a guère réussi au Jardin zoo-
logique. On avait, pour faciliter les projections
lumineuses, enfermé les exécutants dans une
double rangée de gros rideaux, qui ont étouffé
toute sonorité ; un quart à peine du nombreux
auditoire a pu entendre quelque chose, et encore!
Signalons cependant : Mlle Marguerite Radoux
(récitante); MM. Swolfs (ténor) et de Roos (basse)
qui ont fait de louables efforts pour faire apprécier
l'œuvre intéressante du jeune compositeur.
A signaler, au Théâtre royal, une exquise
représentation de la Vie de Bohème, avec l'excellent
ténor David, de la Monnaie.
Le 24 avril, la société Diesterweg exécutera, à
l'Harmonie, la Rédemption de Gounod.
L'Harmonie avait organisé lundi une soirée de
musique avec le concours de trois artistes dis-
tingués : Mme Everaers, pianiste de Bruxelles;
M. Carlo Matton, violoniste, et M. Bachem,
baryton. M. Matton, dont le jeu a gagné en sou-
plesse et mécanisme, nous a fait entendre la suite
de Goldmark, un adagio de Bach et une-gavotte de
Vieuxtemps. Mme Everaers, qui joue du piano avec
beaucoup de charme, et M. Bachem, qui chante
avec agrément, ont exécuté du Schumann, du
Brahms, du Schubert, etc., le tout d'excellente
façon. G. Peellaert.
BORDEAUX. — Le troisième concert (le
dernier de la saison) donné par le Cercle
philharmonique fut marqué par la présence de
Mme Gionie, qui a mis au service de morceaux
de valeur inégale les qualités d'une voix très fraî-
che et d'un talent brillant et plein d'élégance.
L'éminent violoncelliste André Hekking a,
comme toujours, ravi le public par la perfection
de sa technique et sa sonorité à la fois puissante,
chaude et charmeuse, rehaussant par la beauté de
son interprétation des œuvres de mérite secon-
daire. Enfin, M. Edouard Risler a, au cours du
concert, montré les ressources de son immense
talent, magistral dans la Polonaise de Liszt, adora-
blement poétique dans An soir de Schumann,
profonément impressionnant dans l'admirable
andante du concerto en sol majeur de Beethoven,
où le piano formule une plaintive prière à laquelle
l'orchestre semble opposer un refus implacable.
Après l'exécution de la Polonaise (op. 22) de Chopin,
MM. Hekking et Reisler ont été l'objet d'une
ovation. L'orchestre, conduit par M. Montagne, a
été plein de verve dans l'interprétation de la
Fête polonaise de Svendsen, mais bien mou et bien
flottant dans l'accompagnement du concerto
de Beethoven. Etait-il bien utile d'inscrire au
programme l'ouverture de la Muette de Portici, qui
nous a donné l'envie d'être sourd?
Mlle M. de Bartels et M. Lespine nous ont
conviés à une série de quatre séances uniquement
consacrées à la musique française depuis Lulli,
Couperin, Dandrieu et Rameau jusqu'à Saint-
Saëns, Vincent d'Indy, Fauré, Debussy et Gustave
Samazeuilh, en passant par les représentants les
plus célèbres de notre art national. L'intérêt histo-
rique de ces auditions n'échappera à personne ; il
a été rendu plus intense par le zèle consciencieux
avec lequel les organisateurs de ces séances se
sont acquittés de leur mission éducatrice. S'il
nous était permis de faire une réserve dont certai-
nement ni Mlle de Bartels ni M. Lespine ne nous
garderont rancune, nous relèverions un certain
défaut de composition dans la rédaction des pro-
grammes. Au premier concert, par exemple, nous
nous sommes trouvés transportés de l'époque de
Lulli à l'époque de F. David et de Berlioz sans
transition, ce qui rendit très difficile le travail de
synthèse du conférencier, M. Berthelot, chargé
de présenter au public les divers compositeurs.
La vieille école française renferme maint trésor
que nous aurions été heureux de voir mettre au
jour, à l'exclusion peut-être, dans les programmes
ultérieurs, de pièces vocales qui n'éclairent pas
d'un jour très vif la physionomie de leurs auteurs.
Toutefois ce défaut de composition était largement
compensé par l'intérêt qu'offrent des œuvres telles
que les pièces de clavecin qu'il nous a été donné
d'entendre, les fragments de Méhul et de Gluck,
le quintette de C. Franck, le quatuor en «^mineur
de Fauré, le quatuor (op. 3o) de Chausson, le trio
(op. 29) de Vincent d'Indy. La sonate en si mineur
3o4
LE GUIDE MUSlCAÏ
de Gustave Samazeuilh est l'œuvre savoureuse
d'un jeune; elle est d'une inspiration un peu
touffue et tendue sans doute, mais riche en idées
et d'un tour déjà bien personnel. Nous avons
eu bien souvent l'occasion d'apprécier très favora-
blement les mérites de M. Lespine comme violo-
niste et le talent solide et brillant de Mlle de
Bartels, que nous goûtons surtout dans les œuvres
qui réclament de la puissance et de l'ampleur de
son. Ces deux artistes s'étaient entourés de colla-
borateurs de talent, Mmes Mortagne, Grizy-
Lammers et Lacroix-Orloff, très estimées, ajuste
titre, dans notre ville. M. Berthelot, illustrait
par des anecdotes agréablement racontées ces
auditions qui ne sont que le prélude de séances
consacrées à l'examen de grandes œuvres des
écoles allemande, italienne, Scandinave et russe.
H.D.
S
BRUGES. — Dimanche a eu lieu le concert
annuel du Chœur mixte brugeois, dirigé
avec conscience et talent par M. Alphonse
Wybo.
La jeune société s'était assuré le précieux con-
cours de l'éminent pianiste bruxellois M. Camille
Gurickx, qui a joué du Bach, du Beethoven et du
Chopin. Si l'on a beaucoup admiré la sûreté de
rythme mise dans l'exécution de la fugue en 50/
mineur, et la poêtie dont M. Gurickx a fait preuve
dans l'étude en mi majeur, dans la valse en ut
dièse mineur et dans la grande Polonaise de Cho-
pin, on a été littéralement subjugué par son inter-
prétation si profondément sentie, si belle et si
noble de la sonate op. 57 de Beethoven ; c'était
admirable et l'on n'imagine pas un jeu plus expres-
sif, plus adéquat à l'œuvre. Aussi M. Gurickx
a-t-il obtenu un grand et légitime succès.
La partie chorale du concert était très variée ;
il y avait, outre trois duos à voix égales de César
Franck, trois de ces Répons à matines qui furent
longtemps attribués à Palestrina, et dont l'auteur
fut Marc Antonio Ingegneri, pages merveilleuses
par la grandeur du sentiment autant que par leur
richesse polyphonique ; on a entendu encore des
chœurs de Mendelssohn, de facture élégante, puis
un choral de Bach et un vieux noël.
Toutes ces pages ont été exécutées avec un en-
semble, un souci des nuances, une homogénéité
et une justesse qui se rapprochaient de la perfec-
tion. Et quelle beauté de style! Ces qualités, qui
ont valu à l'audition de dimanche un très vif suc-
cès, font honneur au Chœur mixte brugeois et à
l'excellent musicien qu'est son directeur, M. Al-
phonse Wybo.
CONSTANTINOPLE. — Si, l'année pré-
cédente, la Société musicale nous avait fait
connaître quelques-unes des œuvres des meilleurs
représentants de la jeune musique française, elle
fait, cette année, œuvre plus utile encore en con-
sacrant ses concerts en partie aux précurseurs.
Ainsi, après Berlioz et Liszt, nous avons entendu,
au cinquième concert d'abonnement, Le Chasseur
maudit de César Franck, dans une interprétation en
tous points excellente. M. Nava a dirigé en outre
une exécution d'une cohésion remarquable de l'ou-
verture de Sakountala de Goldmark. Nous ferons
quelque réserve pour le choix des œuvres de deux
compositeurs locaux : MM. Furlani et Virgilio.
Du premier, on a exécuté deux petits morceaux qui
pourraient plaire au piano, mais sont sans intérêt
au milieu d'un concert symphonique ; ce choix
était d'autant plus regrettable que M. Furlani a
avantageusement écrit pour orchestre. De M. Vir-
gilio, on a présenté une Esquisse symphonique, mu-
sique facile, ne révélant aucune personnalité,
ayant quelques trop rares coins de beauté et d'une
orchestration quelconque, malheureusement.
Le soliste de ce concert était le ténor de la cour
Huarte, qui a eu un succès légitime en chantant les
adieux de Lohengrin, Advienne Lecouvreur de Cilea
et surtout le récit de Rienzi de Wagner, nuancé
avec expression et accompagné fort bien à l'or-
chestre.
Une impeccable et brillante exécution de Y Arté-
sienne de Bizet clôturait le concert, qui fait honneur
à M. Nava. Harentz.
G AND. — C'est devant une salle comble et
avec un très grand succès que le Quatuor
Zimmer, Doehaerd frères et Baroen a donné sa
séance habituelle au Cercle artistique. Il est
regrettable que les dispositions prises ne lui aient
pas permis de donner cet hiver ses deux séances
annuelles, car c'est une jouissance artistique dont
on ne saurait se lasser que d'entendre la perfection
de l'exécution jointe aune si haute compréhension
de la pensée des auteurs interprétés. C'est incon-
testablement dans les œuvres de Mozart que le
Quatuor Zimmer arrive à nous émouvoir le plus.
Et cette impression, que nous avons ressentie à
chacune de ses séances, s'est renouvelée à l'audi-
tion du quatuor en mi bémol majeur, dont Yandante
et le menuetto ont été joués avec un art incompa-
rable. L'op. 5i de Brahms, en ut mineur, renferme
des beautés de premier ordre ; malheureusement,
ses développements sont parfois un peu longs ;
LE GUIDE MUSICAL
3o5
c'est ce qui a quelque peu dérouté le public, qui
venait d'acclamer l'interprétation du dernier qua-
tuor de Beethoven (l'op. i35). Après chacune de
ces oeuvres, M. Zimmer et ses partenaires ont été
longuement applaudis.
Le lendemain s'est donné, au Grand Théâtre, le
quatorzième concert d'hiver dirigé par M. Brahy.
L'orchestre, qui à chacune de ces séances semontre
plus discipliné, s'est absolument surpassé dans
l'interprétation de l'ouverture d'Iphigénie de Gluck
et dans le Concerto grosso de Hsendel, dont le
menuet a été bissé. Non moins parfait dans les
airs de ballet de Rosamonde de Schubert, il a prouvé
ce que, d'un orchestre de province, peut faire un
chef tel que M. Brahy. Les moindres indications
de la partition sont fidèlement traduites, chaque
thème est mis en valeur, tout, en un mot, concourt
à une exécution absolument irréprochable. L'ou-
verture de Patrie de Bizet complétait l'intéressante
partie symphonique de ce concert, où M. Brahy a
vu se renouveler les ovations les plus chaleureuses
du public gantois. Le pianiste russe Ossip Gabri-
lowitch prêtait son concours à ce concert. Il a été
admirable dans son interprétation du concerto de
Schumann, que l'orchestre a d'ailleurs accompagné
avec une discrétion parfaite. Jeu d'une égalité
surprenante, simplicité étonnante, sentiment d'une
justesse absolue, telles sont les qualités essentielles
dont Gabrilowitch a fait preuve dans l'ouvrage de
Schumann; il s'est montré artiste très raffiné dans
l'interprétation de diverses œuvres de Chopin.
Rappelé, acclamé, bissé, il a ajouté à son pro-
gramme un délicieux nocturne de Schumann, où
il s'est vraiment surpassé. Marcus.
LIEGE. — Le Quatuor Charlier a exécuté le
24 mars, devant un auditoire exceptionnelle-
ment nombreux, un très joli programme d'oeuvres
modernes. Le quatuor en 50/ mineur de A. Scon-
trino a plu par son allure délibérée, sa. mélodie
abondante, son écriture serrée sans surcharge;
l'œuvre est d'un musicien habile, chez qui l'inspi-
ration ne fait pas défaut.
La sonate de Strauss op. 18 est mieux connue;
il lui faut une interprétation ardente, enthousiaste;
celle de Mlle Folville, associée à M. Charlier, man-
quait un peu d'envolée tout en étant pleine de
qualités. Le septuor pour piano, trompette, deux
violons, alto et contrebasse de Saint-Saens termi-
nait agréablement cette soirée réussie.
— Jeudi soir, à l'Emulation, sous les auspices du
Cercle littéraire et artistique l' Avant-Garde,
M. Vincent d'Indy a fait une conférence très
applaudie sur César Franck, dont il fut le disciple
et l'ami. On a aussi applaudi les parfaits exécu-
tants que sont MM. Jaspar et Zimmer dans l'inter-
prétation de l'admirable sonate de Franck.
A M. Jongen était confié le soin de la quatrième
audition du Conservatoire ; conduisant un orches-
tre un peu pétulant et passablement inexpérimenté,
il a eu double mérite à faire applaudir son pro-
gramme symphonique, composé de la jolie suite en
ré de Bach, d'une symphonie bien vieillote de
Ph. -Emmanuel Bachet de l'ouverture de Coriolan.
L'auditoire a fait bon accueil à Mlle A. Loupart,
jouant un peu à la lettre le concerto de Mozart, et
Mme Dessart-Andrien, chantant du Grétry.
P. D.
— Les noms d'artistes consacrés, tels M. Ed.
Clément, Mme Fierens-Peeters et M. E. Van Dyck,
ont attiré, en Cette fin de saison, plus que jamais
l'affluence au Théâtre royal. C'est surtout à
M. Clément, Des Grieux d'élégance séduisante et
de pénétrante diction, et à M. Van Dyck qu'est
allé le succès. M. Van Dyck a chanté ici Werther,
qu'il créa à Vienne. Ce rôle, il l'anime avec une
puissance saisissante dans la gradation de la
passion, et il y a produit une profonde impression,
Ainsi s'est terminée brillamment une année théâ-
trale des plus variées et des plus fructueuses.
M. G. Dechesne, vous le savez, a été nommé à
la direction pour deux ans, sans compétition.
A. B. O.
MARSEILLE. — La Société des Concerts
classiques achève cette année l'exposé de,
l'histoire de la symphonie, qu'elle avait commencé
l'année dernière. Parmi les principales symphonies
exécutées au cours de la présente saison, il con-
vient de relever :
i° La symphonie en mi bémol de Borodine, qui
se distingue par l'intérêt des détails et par le dia-
logue établi entre les divers instruments de
l'orchestre. L'écriture en est élégante, l'orchestra-
tion déjà travaillée. Mais une œuvre même délicate
pourrait offrir une trame serrée, et c'est le souffle,
ici, qui manque davantage;
2° La symphonie en mi mineur de Brahms. La
musique de Brahms a été jusqu'à ce jour peu en
honneur dans nos séances : les difficultés d'exécu-
tion et la note souvent austère de ses œuvres en
sont peut-être la cause. Le premier temps débute
par un thème plein de fraicheur et offre des déve-
loppements d'un intérêt soutenu. Uandanie moderato.
a porté davantage sur le public, l'ensemble de
l'ouvrage est d'une belle allure ;
3° Le Faust de Liszt avait sa place marquée,
dans l'histoire de la symphonie, bien qu'il se,
3o6
LE GUIDE MUSICAL
rattache plus directement au poème symphonique,
dont Liszt est le créateur. Cette partition, si l'on
se reporte à l'époque où elle fut écrite, commande
encore l'attention, en dépit de ses longueurs, de
ses redites, d'une pensée souvent courte et de la
virtuosité que l'on y rencontre ;
4° La symphonie pour orchestre et piano Sur un
chant montagnard français, de M. Vincent d'Indy, a
immédiatement conquis les habitués de nos con-
certs. Avec quel art l'auteur transforme le thème
champêtre dans une variété toujours captivante de
grâce, de rêverie et de puissance, où les trouvailles
de rythme et d'intrumentation abondent !
Notons encore, bien que ce soient là de vieilles
connaissances, la symphonie de Franck avec son
ossature puissante et son inspiration si personnelle,
la Symphonie inachevée de Schubert et la sympho-
nie en ut mineur de M. Saint-Saëns, qui revient
fréquemment dans nos séances, toujours accompa-
gnée de la célèbre notice où l'auteur déclare « que
le moment était venu pour la symphonie de béné-
ficier des progrès de l'instrumentation moderne ».
Un certain morceau intitulé Le Jardin de Kîingsor
et. les Filles fleurs est à recommander aux sociétés
musicales qui goûtent les arrangements appelés,
sur les programmes de certaines brasseries alle-
mandes, des « pêle-mêle ». En y joignant le septuor
de Beethoven, joué par tous les instruments à
cordes, l'on obtiendra deux numéros de concert
d'un intérêt particulier, dont on nous a fait la
surprise un dimanche, heureusement sans len-
demain.
Un festival Franck (quel malheureux accouple-
ment de mots !), a permis à notre Société des Con-
certs de passer en revue quelques fragments des
principales œuvres du maître disparu et depuis
longtemps connues du public.
"Une autre belle audition fut celle des Chanteurs
de Saint-Gervais, sous la conduite de leur infati-
gable directeur, M.Charles Bordes, et consacrée à
la fois à la musique religieuse et profane.
•En ce qui concerne les solistes, toujours grande
affluence. D'abord trois maîtres du clavier, MM.
Arthur De Greef, Louis Diémer et Risler, fêtés
chacun comme ils le méritent ; — Mme Georges
Marty, une des rares cantatrices qui daignent
encore chanter simplement et en mesure; — M.
Pablo Casais (concerto pour violoncelle de Dvorak
et sonate de Locatelli) ; — M. Maurice Hayot, le
fondateur du Quatuor de Paris; Mme Litvinne, plu-
sieurs fois rappelée après la Mort de Brûnnhilde et
l'air d'Alceste; — Mme Ida Ekman, très applaudie
dans une série de Lieder ; — Mme Albert Diot, dont
la simplicité charmante d'exécution, jointe à la
pureté de style, révèle l'exquise distinction de
l'artiste et de la femme.
On peut qualifier d'enfant prodige Mlle Stéfi
Geyer, que nous avons entendue cette année pour
la première fois à Marseille. Elle s'est immédiate-
ment imposée à l'auditoire par un coup d'archet
magistral chez une enfant de quinze ans et témoi-
gnant d'un tempérament tzigane. Dans le concerto
de Tschaïkowsky, les Scènes de la Czarda de Hubay,
le Rondo capricioso de Saint-Saëns, les airs russes de
Wieniawski, Mlle Geyer a déployé un mécanisme
extraordinaire, une pureté de son absolue et une
aisance stupéfiante au milieu de difficultés d'exé-
cution véritablement diaboliques. Les profession-
nels du violon, que l'âge ou le travail avait rendus
chauves, regrettaient de n'avoir pas une mèche de
cheveux à s'arracher, comme dérivatif à un déses-
poir causé par l'enthousiasme.
Et pourtant une impression d'art s'est-elle déga-
gée de cette séance? Qui oserait le soutenir? Que
deviendra par la suite cette enfant admirablement
douée, mais dont l'éducation musicale semble diri-
gée tout entière vers la virtuosité ?
Combien, pour notre part, avons-nous préféré
cette autre jeune fille de vingt ans qui, huit jours
plus tard, succédait à Mlle Stéfi Geyer et qui,
sans bruit, sans réclame, se produisait crânement
dans notre vaste salle de concerts avec Prélude,
Choral et Fugue de César Franck et la symphonie
pour orchestre et piano Sur un chant montagnard
français de M. Vincent d'Indy, qu'elle a inter-
prétés avec une superbe maîtrise. C'était Mlle
Blanche Selva, qui, l'an dernier, à Paris, retraçait
dans une vingtaine de séances l'œuvre entière de
Bach.
Entre les virtuoses, avant tout préoccupés de
faire applaudir leur talent d'exécutant, et d'autre
part le noble artiste se vouant à la propagation de
l'œuvre des maîtres, ne vous semble-t-il pas qu'il y
ait un abîme ?
Notre Scola de Marseille a offert à une assistance
d'élite deux belles soirées : la première dirigée par
M. Charles Bordes (que nous attirons chez nous
toutes les fois qu'il est possible), se composait de
la cantate Ach Gott, vom Himmelde Bach, de YO ma-
gnum mysterium de Vittoria et du troisième acte
de YArmide de Gluck. Mlle de la Rouvière a
chantéle rôle d'Armide avec autorité et accent.
La deuxième séance comprenait des œuvres de
Bach, Palestrina, Hasndel et Costeley, inter-
prétées par les chœurs de la Schola et quelques-
uns des meilleurs artistes de notre ville.
Mentionnons aussi les séances de musique de
chambre du Quatuor Lautier; un certain nombre
LE GUIDE MUSICAL
3o7
d'auditions isolées organisées par Mllos de la Rou-
vière, Rozan, Rastit ; enfin le concert de M.Ernesto
Consolo et de Mme Maria Gay, qui réunissait dans
un même programme une chanteuse de la bonne
école et un pianiste de talent.
En voilà bien long pour aujourd'hui. Je vous
enverrai prochainement quelques notes sur notre
théâtre d'opéra, où l'on vient de jouer la Fille de
Roland de M. Henri Rabaud. H. B. de V.
fT^OULOUSE. — Le programme de la cin-
! quième audition d-ï la Société des Concerts
du Conservatoire, se clôturait par la neuvième
symphonie avec chœur de Beethoven ; il n'en
fallait pas davantage pour faire accourir dans la
salle du Capitole un public tellement nombreux
qu'on a dû fermer les guichets avant l'heure régle-
mentaire. L'exécution du chef-d'œuvre beetho-
vénien fut absolument parfaite, que dis-je? elle fut
des plus fouillées, des plus ciselées, des plus
stylées, tant sous le rapport symphonique que
sous le rapport choral. Aussi est-ce par des
bravos unanimes que cette œuvre fut saluée à sa
péroraison.
Le concert avait débuté par YOuverture pour un
drame de M. de Bréville. J'estime qu'il est prudent
de ne pas se prononcer sur cette œuvre après une
seule audition. Sans nul doute, on y sent une
habileté de facture manifeste, Plus clair, plus
lucide nous a paru le poème symphonique de
M. Georges Sporck : Islande, mais l'influence
wagnérienne se fait sentir beaucoup dans cette
page qui évoque souvent le souvenir du prélude de
Tristan et Isolde. Le Choral avec variations, pour harpe,
de M. Widor, valut à M1Ie Jeanne Delon un gros
succès, dû à son brillant mécanisme, à sa sonorité
charmeuse et vigoureuse à la fois et à son style
adéquat à l'œuvre interprétée. Mlle Charlotte
Lormont se fit applaudir dans des pièces vocales
de Schumann, Schubert, Gabriel Fauré et Guy
Ropartz et le concert prenait fin par une artistique
exécution de la Marche héroïque de Saint-Saëns, que
M. Crocé-Spinelli interpréta avec une réelle
maîtrise. Omer Guiraud.
NOUVELLES
La revue Die Musïk, de Berlin, donne d'inté-
ressants détails sur les travaux de différente nature
auxquels s'est livré Wagner à l'occasion de
quelques œuvres de ses confrères, soit qu'il ait eu
à en diriger des interprétations pendant sa carrière
de « maître de chapelle », soit qu'il en ait tiré des
arrangements de toutes sortes pour le compte des
maisons d'édition Schlesinger et Troupenas, pen-
dant son premier séjour à Paris, de septembre 1S39
à avril 184.2. Les trois principaux ouvrages qu'il
voulut faire entendre dans des conditions supérieu-
res d'interprétation furent le Stabat Mater de Pales-
trina, qu'il dirigea le 8 mars 1848 à Dresde,
Ylphigénie en Aulide de Gluck, qu'il remit en scène
dans la même ville, le 22 février 1847, avec Mme
Schroder-Devrient et Mlle Johanna Wagner, sa
nièce, enfin la Symphonie avec chœurs de Van Bee-
thoven. Richard Wagner monta cette sympho-
nie à Dresde, malgré une violente hostilité; elle fut
jouée sous sa direction le 5 avril 1846, toujours à
Dresde, avec un énorme succès. Il apportait dans
la préparation des grandes œuvres qu'il voulait
produire en public une conviction et un acharne-
ment de volonté qui ont pu l'entraîner parfois dans
des voies dangereuses; cependant, s'il n'échappa
point aux critiques, il sut toujours obtenir l'effet
qu'il avait cherché auprès des auditeurs non
prévenus, car il parvenait, comme personne, à
communiquer la vibration. Beaucoup se sont
rappelé longtemps l'effet d'élégance et de grâce
qu'il obtint dans un passage du Stabat Mater en
faisant chanter uniquement par des voix de
femmes, sans adjonction de voix d'enfants, le texte
Virgo virginum prœclara (Vierge, la plus brillante de
toute les vierges). Dans Iphigénie en Aulide, il ajouta
une conclusion à l'ouverture et remania le dénoue-
ment. Quant à la Symphonie avec chceurs, il a expliqué
lui-même, dans deux écrits d'un intérêt technique
incontestable, les motifs qui l'avaient déterminé à
compléter quelques dessins d'instrumentation, à
faire doubler par les trompettes une mélodie du
scherzo, et à modifier légèrement la partie de ténor
dans le quatuor vocal.
Parmi les arrangements écrits pour les maisons
d'édition de Paris ou d'Allemagne, on a cité sou-
vent ceux dont la Favorite de Donizetti a été l'occa-
sion. Voici le titre exact et la dédicace de la
partition chant et piano : ha Favorite. Réduite
avec accompagnement de piano par Richard Wagner.
A Monsieur G. Meyerbeer, Directeur général de la
Musique Royale de Prusse, Membre correspondant de
l'Institut de France, Chevalier de plusieurs ordres, etc. ,
respectueusement dédié. Il y a un exemplaire de cette
l vieille édition au Musée Wagner d'Eisenach.
Wagner fit, jusqu'à épuisement complet, toutes
sortes de transcriptions sur la Favorite : partition
piano seul, partition piano à quatre mains, mor-
ceaux séparés, quatuors pour violons et flûtes,
duos pour violon et piano, arrangements pour
musique militaire, etc. On peut citer parmi les
3o8
LE GUIDE MUSICAL
autres opéras pour lesquels il eut à perpétrer des
travaux du même ordre : le Guitarrero et la Reine de
Chypre d'Halévy, Zanetta, d'Auber, Zampa d'Hé-
rold. Il subsiste quelque doute quant à ce dernier
ouvrage. Mais, parmi les choses les plus intéres-
santes du genre, il faut placer sans contredit des
arrangements à quatre mains sur les fantaisies de
Henri Herz, qui avaient alors de grands succès
dans les salons. L'un des principaux porte ce
titre : Grande fantaisie sur la « Romanesca », fameux
air de danse du XVIe siècle, par Henri Herz, Op. in .
Arrangé à quatre mains par Richard Wagner. Trou-
penas et Oe, Paris. Prix : ç francs.
— L'éminent organiste de Magdeburg M. Lud-
wig Fitzenhagen a donné le dimanche 26 mars,
en l'église Saint-Ulrich, de cette ville, un concert
spirituel des plus remarquable, qui a fait une
impression profonde. Après un choral de Bach, il
a fait exécuter une de ses propres compositions,
pour chant (basse), violon, cor et orgue, sur le
texte : Weintnich ûber Jésus Schmerzen , dont le noble
et pénétrant caractère a infiniment plu. Les ar-
tistes qui concouraient à cette exécution étaient
M. Stephani pour le chant, M. Thiele pour le
violon et M. Mùller pour le cor, sans compter les
chœurs du Gesangverein, dirigés par M. G. Blu-
menstein.
— On nous télégraphie de Hambourg que l'opéra
de M. Jan Blockx, Princesse d'Auberge, vient d'y
remporter un magnifique succès. C'était la pre-
mière exécution en Allemagne de cet ouvrage
populaire depuis longtemps, en Belgique, en
Hollande et en France.
pianos et Ibarpes
Brucelles : 6, rue Xatérale
paris : rue ou /îlbail, 13
NECROLOGIE
Constantin Meunier, l'illustre sculpteur belge,
est mort subitement mardi dernier, à l'âge de
soixante-quinze ans, à Ixelles. La disparition d'un
tel maître est une perte inappréciable non seule-
ment pour la Belgique dont il était l'une des gloires
artistiques, mais pour le monde entier que son
œuvre avait profondément ému. Bien qu'il n'eût
aucun rapport direct avec la musique, nous tenons
à nous associer à l'hommage universel de regrets
qu'emporte ce grand et noble artiste. Si l'on a pu
dire de la musique qu'elle est de la sculp-
ture en mouvement, on peut, en renversant la
proposition, dire de la sculpture qu'elle est de la
musique, ou si l'on veut, du rythme immobilisé.
Dans l'œuvre si profondément émouvante de
Constantin Meunier, elle est mieux que cela
encore : elle est de l'harmonie et de la mélodie
transmuée; car elles chantent éperdûment et avec
un accent singulièrement prenant, toutes ces
figures de marbre ou de bronze qui symbolisent
dans l'œuvre de Meunier la souffrance résignée et
courageuse de l'humble travailleur, de la mère et
de l'enfant. Ses conceptions sculpturales ne sont
pas sans analogie par l'expression qu'elles donnent
à la Douleur avec les créations musicales de
César Franck, symboles frappants, dans leur
chromatisme douloureux, de la grande mélan-
colie moderne. Artiste absolu et complet, ouvert
également à toutes les manifestations de Fart,
Constantin Meunier fut d'ailleurs de tout temps
un amateur passionné de musique. Jusqu'en
ces derniers temps, il aimait à s'entourer de
charme musical et il resta jusqu'au dernier
jour un auditeur assidu des Concerts populaires
bruxellois et des représentations du théâtre royal
de la Monnaie. C'était un enthousiaste de Wagner
et le maître de Bayreuth inspira plus d'une fois
son ciseau, témoin le beau bronze de Wotan qu'il
modela, il y a quelque quinze ans. Ce fut aussi un
homme exquis, d'une douceur et d'une bonté sans
pareilles, simple, loyal, bienveillant et généreux.
Aux siens que sa mort plonge dans une affliction
qui égale l'admiration et l'affection qu'ils avaient
pour lui, nous adressons ici nos sentiments de
profonde condoléance.
REPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Faust; La Walkyrie; Le Prophète.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Jongleur de Notre-Dame,
La Fille du Régiment; Louise; Le Domino noir; Wer-
ther ; Pelléas et Mélisande (reprise) ; La Vie de Bohème;
Carmen; Le Barbier de Séville, le Cor fleuri.
VARIÉTÉS.
Le Petit Duc.
La Fille de Mme Angot ; Barbe-Bleue;
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Alceste;
Aïda; Le Postillon de Lonjumeau et une Aventure de
la Guimard; Alceste; Manon; Louise.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT. —
La Belle Hélène.
LE GUIDE MUSICAL 309
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fjjiûe année. — Numéro 16.
16 Avril igoS.
LES NEUF SYMPHONIES
uoi que l'on puisse écrire ou penser
des vicissitudes du goût musical en
France, ses progrès apparaîtront en
grosses lettres à tous les lecteurs de
'l'affiche des quatre concerts dans
lesquels, en l'espace d'une semaine, M. Félix
Weingartner va diriger à Paris l'exécution com-
plète et chronologique des neuf symphonies de
Beethoven. Il y a beau temps, certes, que nous
n'en sommes plus aux timidités criminelles de
Habeneck qui, pour les faire accepter de son
public et de Fétat-major du Conservatoire, substi-
tuait Validante de l'une à celui de l'autre, et les
sillonnait toutes de coupures ; ni même tout sim-
plement à l'époque, encore très récente, où Pasde-
loup. reculant devant les frais et les difficultés d'une
exécution chorale et ne pouvant cependant pas
se résigner à l'abstention vis-à-vis de la neuvième
symphonie, prenait le parti de la donner réduite à
ses trois premiers morceaux, découronnée, sans le
finale. Il y a beau temps aussi, grâce au Ciel, que
les faiseurs de manuels et d'encyclopédies n'osent
plus copier les inepties qu'on lisait encore, en i85i,
dans la neuvième édition du classique dictionnaire
de Bouillet : « Beethoven, célèbre compositeur,
né à Bonn en 1772,... fils naturel du grand Frédé-
ric,... alla à Vienne se former sous Haydn et
devint l'égal de son maître... On lui doit la mu-
sique de Fidelio, l'ouverture de Coriolan; mais il
est surtout estimé pour ses sonates et ses sympho-
nies. Il excellait aussi dans la musique instrumen-
tale. Beethoven fut de bonne heure affligé d'une
surdité qui le rendit morose ». Il n'y a plus de
Fétis pour déclarer que l'auteur de la symphonie
en ut mineur « n'était pas un homme de goût »,
plus de Scudo pour le dire « égaré par ses infir-
mités », plus de Berton pour défendre aux jeunes
musiciens d'étudier ses partitions, plus de Stendhal
pour le renvoyer à l'imitation de Haydn ; c'est-à-
dire, du moins, qu'aujourd'hui, les Fétis, les
Scudo, les Berton et les Stendhal portent leur
perruque sous une autre forme, et brandissent pré-
cisément les œuvres de Beethoven contre celles de
Wagner, de Franck, de d'Indy, de Richard Strauss
ou de Debussy.
Ce fut, croyons-nous, ce brave Pasdeloup qui
tenta le premier chez nous, au commencement de
la vingt-deuxième année de ses concerts popu-
laires -- octobre et novembre 1882, — d'exécuter
en neuf séances consécutives les neuf symphonies
de Beethoven. En cela comme en beaucoup de
choses, il a été imité par ses heureux successeurs.
Avant eux, il avait imaginé aussi de faire imprimer
au verso de ses programmes des commentaires de
son cru, qui n'avaient pas la moindre ressemblance
avec les belles études que sir George Grove venait
de rédiger à Londres pour les concerts de Richter;
on y trouvait surtout des extraits des analyses de
3 12
LEGUIDE MUSICAL
Berlioz, et sans doute le choix aurait pu être plus
mauvais; parmi les réflexions qui s'y trouvaient
ajoutées, quelques-unes pourraient être intéres-
santes à relire. A propos de la symphonie en si
bémol, Pasdeloup faisait remarquer que Beetho-
ven en avait donné la première audition dans une
séance dont le programme réunissait ses quatre
premières symphonies ; que le public de Vienne né
lui était donc point "défavorable, et que malgré
toute la dévotion de ses modernes admirateurs,
'"« l'on n'oserait plus en faire autant ».
Voici que l'on ose à présent ; et nous sommes
bien certain qu'un très grand succès va couronner
l'entreprise de M. Weingartner; nous sommes
même convaincu que le « snobisme » ne jouera,
dans ce succès, qu'un rôle tout apparent; et pour
en faire la preuve, il suffirait d'offrir le même qua-
druple programme à un public autrement composé
que ne le sera forcément celui des quatre séances
du Nouveau-Théâtre, à un public de concert
populaire, tel qu'était il y a vingt ans celui des
« places à quinze sous », au Cirque d'hiver. Car
depuis ce nombre d'années que l'initiateur de la
musique symphonique en France a cessé de diri-
ger, bien ou mal, et souvent mieux qu'il ne plaît à
d'ingrats compositeurs de le dire, des matinées qui
marqueront dans l'histoire de l'art en France, le
peuple est sevré des jouissances supérieures à la
hauteur desquelles il était parfaitement capable de
s'élever; et il ne s'est habitué à se réfugier en
masse dans les music-halls que parce que tout
moyen lui a été refusé de pouvoir se familiariser
davantage avec les symphonies de Beethoven.
A qui voudrait véritablement honorer, chez
nous, le maître de Bonn, le chemin serait donc
tout tracé qui conduirait à remettre son grand
cœur et son incomparable génie en contact avec
l'âme des foules. II y a des nations chez lesquelles,
en mémoire d'un homme illustre, et par voie de
souscription publique, l'on fonde en son nom des
encouragements à l'art ou à la science, des bour-
ses d'études, des chaires de facultés ou des exécu-
tions modèles de ses œuvres. C'est mésentendre
l'hommage à la musique, qui est par-dessus tous
les autres un art de vie, que de figer dans la froi-
deur morte du marbre l'image d'un de ses grands
prêtres, pour l'exposer dans un carrefour aux
regards distraits des passants et aux insolences des
moineaux. Le véritable monument de Beethoven,
celui qu'il s'est élevé à lui-même, et que ni sculp-
teur, ni peintre, ni poète n'égaleront jamais, ce
sont ses neuf symphonies. Comme il les a enfan-
tées, de sa chair et de son sang, dans la douleur et
dans la joie, écoutons-les, admirons-les, dans le
respect et dans l'amour. Essayons de les compren-
dre et d'en percevoir, à travers la beauté techni-
que, la suprême beauté morale.
C'est parce qu'elles renferment en elles tout un
monde, que ces œuvres parlent à chacun le langage
qui répond à ses pensées et que chacun, les regar-
dant se refléter dans le miroir de sa propre vie, en
peut concevoir une interprétation personnelle, qui
reste vraie sous l'apparence d'une extrême diver-
sité. La méthode française d'exécution des sym-
phonies de Beethoven, qui s'est maintenue d'un
chef à l'autre depuis Habeneck et Deldevez jus-
qu'à M. Chevillard, est celle toute classique de la
simplicité et de la littéralité. C'est à elle — il ne
faut jamais l'oublier — que Wagner dut d'enten-
dre pour la première fois clairement chanter la
mélodie beethovenienne dans la symphonie avec
chœur ; elle aussi comporte des nuances : à qui se
souvient, par exemple, d'avoir pu deux dimanches
de suite entendre diriger par Lamoureux et par
Colonne la Symphonie pastorale, le paysage appa-
raît comme situé sous deux climats ou deux saisons
différentes, et le finale en particulier, qui chez l'un
s'emplissait de toute la transparence d'une journée
de juin et faisait songer à quelque feu de la Saint-
Jean, évoquait chez l'autre le souvenir d'un soir
plus lourd de l'automne, des verdures jaunissantes
et d'une fête des vendanges. Chacune de ces deux
traductions peut répondre cependant à la pensée
de Beethoven. A la différence d'un peintre, il n'a
pas fixé dans un horizon déterminé ni dans un mo-
ment unique son paysage idéal; il n'a pas, comme
le veut un romancier prompt à la fiction, « mis le
petit berger dans un trait de flûte » ; par l'infinie
flexibilité du langage musical, il a rendu l'infinie
mobilité des sentiments qu'inspire la vue de la
campagne, et ces sentiments, qui varient d'indi-
vidu à individu, varient aussi d'heure en heure. Qui
nous dira quelle saison, quelle journée avait mar-
qué en lui sa plus profonde empreinte, et lesquel-
les, de toutes les voix caressantes ou graves de la
nature, il entendait le plus fortement parler en son
intelligence, lorsque, séparé des hommes par la
surdité, il poursuivait autour de Vienne ses lon-
gues et silencieuses promenades ? Qui nous dira
quels mouvements, quels accents, quels rythmes,
eussent le mieux répondu aux élans de son génie,
aux battements de son cœur, entre ceux si opposés
que nous avons vu introduire dans l'exécution de
la symphonie en la, par les chefs étrangers qui,
depuis quelques années, sont venus nous visiter ?
Et ne devons-nous pas croire que dans le moment
même où sa main traduisait en signes sur la portée
le langage secret de son âme, cette âme ardente et
LE GÛID2 MUSICAL
3i3
noble, tumultueuse et chaste, était soulevée par
tant d'aspirations et de pensées, qu'à nous, gens de
peu de foi et de peu de lumières, il n'appartient
ni d'en tout deviner ni d'en pouvoir tout traduire?
Ce n'est pas qu'on ne s'y soit esssayé, et les neuf
symphonies n'ont pas eu moins de commentateurs
que d'interprètes. Berlioz, d'Ortigue, ont vers iS3o
ouvert en France le chemin où l'on a vu en dernier
lieu s'aventurer M. d'Harcourt; l'Allemagne, bien
entendu, a multiplié les volumes, les articles, les
brochures ; l'Italie, si éloignée qu'elle soit du sens
de l'art symphonique, a dit son mot; et l'Angle-
terre nous a envoyé le livre capital de sir George
Grove, dont trois éditions ont paru dans la langue
originale et une en langue hollandaise, sans que
l'on ait encore songé à en donner une très dési-
rable traduction française. Des écrivains étrangers
à toute étude musicale, David Strauss, Lamen-
nais, M. Albert Sorel, n'ont pu rencontrer ces
symphonies sur les limites de leur champ d'action
sans que la révélation leur ait échappé de l'impres-
sion qu'ils en avaient ressentie : Lamennais y
entendait résonner l'hymne « magnifique comme
l'œuvre de Dieu » où se fondent tous les senti-
ments « qui font de l'homme l'interprète des êtres
innombrables qu'il résume en soi »; M. Albert
Sorel y voit flamboyer le symbole de l'époque
napoléonienne. Chacun, toujours, y sent vibrer
l'écho de ses rêves; et il en sera ainsi tant que
durera la musique, parce que Beethoven n'a pas
été le représentant d'un seul peuple ni d'un seul
siècle, mais celui de l'homme total, universel, de
« l'éternel humain » dont l'idiome, l'habitat ou le
costume déguisent mais ne changent pas l'ana-
tomie morale. C'est pourquoi, bien qu'il pa-
raisse de plus en plus difficile de dire, de propos
délibéré, « du nouveau » sur les neuf symphonies,
les gloses s'en succéderont qui marqueront les
transformations du sentiment à leur égard, comme
au pied d'une indestructible roche des lignes mou-
vantes de sable mesurent le passage et la hauteur
des marées.
Et les monuments — l'actualité nous y ramène
— se succéderont aussi, puisque le premier rite du
« culte des grands hommes » est de leur consacrer
des pierres, et que les sculpteurs se nourrissent des
morts. « Ta symphonie en ut mineur, ô Beethoven,
et tous tes chants de souffrance et de joie ne nous
paraissent donc pas encore assez grands pour que
nous puissions nous dispenser de t'élever un mo-
nument?... » Schumann, en i836, parlait ainsi
par la voix de Florestan, et par celle d'Eusèbe, se
répondant à lui-même, il demandait qu'au moins
l'édifice fût gigantesque : une statue colossale,
dont le regard passât au-dessus des montagnes, ou
bien une plantation d'arbres séculaires traçant son
nom dans l'étendue d'une plaine, ou encore une
série de marbres figurant Beethoven-Apollon
Musagète, entouré du cercle des neuf Muses, ses
neuf symphonies : Clio l'Héroïque, Euterpe la
Pastorale; Thalie la quatrième. Schumann ne
continuait pas l'énumération, embarrassé peut-être
de trouver un équivalent à Uranie ou à Terpsi-
chore, car miss Isadora Duncan n'était pas encore
arrivée du Nouveau-Monde, pour enseigner à
l'ancien la signification chorégraphique de la
symphonie en la.
Lorsque des sociétés de musique de chambre —
le Quatuor Parent, plusieurs fois, et cette année
le Quatuor Joachim — ont exécuté à Paris la
série complète des quatuors de Beethoven, chaque
programme a été ordinairement combiné dé
manière à mélanger les œuvres de jeunesse avec
celles de l'âge mûr, les six numéros de l'op. 18 ne
pouvant guère s'entendre à la file sans quelque
monotonie, et trop de disparité résultant, dans
l'intérêt des séances, entre celles qui n'auraient
contenu que des pages juvéniles et celles qui
auraient rassemblé plusieurs des derniers quatuors.
Une pareille opération de dosage est superflue
pour les neuf symphonies, et il suffit de suivre
l'ordre de leurs numéros — ne disons pas l'ordre
chronologique, puisqu'il a été, croit-on, inversé
par l'auteur même quant à la cinquième et à la
sixième — pour obtenir dans chaque programme
un contraste absolu entre deux gammes de senti-
ments et d'expression, dont la réunion forme un
tableau complet du génie de Beethoven. Comme
par la mystérieuse symétrie d'une alternance
vitale, l'afflux et le reflux rythmés du sang que
chasse et rappelle le cœur, le recul de l'Océan qui
s'apaise pour bondir de nouveau et battre plus
haut le rivage, à chaque œuvre de douceur et de
paix succède une œuvre de lutte et de domination :
après la symphonie en ré se. place l'Héroïque; après
celle en si bémol survient la symphonie en ut
mineur ; celle en la est précédée de la Pastorale,
et la symphonie en fa apparaît au seuil de la
neuvième.
Par ces chants prodigieux, Beethoven revit
parmi nous et nous regarde de « ses beaux yeux
parlants, tantôt gracieux et tendres, tantôt égarés,
menaçants et terribles » ; et dans ce regard nous
lisons les tragiques péripéties de sa destinée terres-
tre. La seconde symphonie reflète son amour
pour Giulietta Guicciardi. « Une force irrésistible
balaie les tristes pensées. Un bouillonnement de
vie soulève le finale. Beethoven veut être heureux. »
014
LE GUIDE MUSICAL
Avec l'amour, le bonheur lui échappe ; Giulielta
le repousse, et la surdité l'envahit; i8o3 sonne
une heure de détresse. Dans « son inflexible senti-
ment moral », l'artiste trouve la force d'échapper
au désespoir. Un souffle d'enthousiasme l'anime;
des îythmes de volonté et de combat scandent
ses mélodies, l'Héroïque apparaît, et il commence
d'écrire la symphonie en ut mineur.
Brusquement, il l'interrompt, pour composer
« d'un seul jet, sans ses esquisses habituelles »,
la symphonie en si bémol. Plus grand, plus pro-
fond, plus divin, le bonheur lui était réapparu :
il se fiançait à Thérèse de Brunswick. « La qua-
trième symphonie est une pure fleur, qui garde le
parfum de ces jours, les plus calmes de sa vie ».
Nulle œuvre ne résume plus parfaitement l'accord
entre les dispositions morales d'un artiste au
moment de la création et cette création elle-même.
Puis, en toute passion, en toute puissance, il
achève la symphonie en ut mineur, la Symphonie,
pastorole. A celle-ci, en outre du programme
habituel, que ne donne-t-on pour épigraphe ces
mots tracés sur une page de ses carnets : « Tout-
Puissant! dans les bois je suis heureux — heureux
dans les bois — où chaque arbre parle par toi. —
Dieu, quelle splendeur! Dans ces forêts, sur les
collines, c'est le calme, — le calme pour te
servir. »
Personne, a dit un contemporain, n'aima jamais
aussi complètement « les fleurs, les nuages, la na-
ture ». La nature avec « la vertu », après la rup-
ture de ses fiançailles, furent son ancre de salut :
« Recommandez à vos enfants la vertu ; elle seule
peut rendre heureux, non l'argent... C'est elle qui
m'a soutenu dans ma misère; c'est à elle que je
dois, ainsi qu'à mon art, de n'avoir pas terminé ma
vie par le suicide ». L'orage grondait en lui. Sa
force éclate, s'épand, se livre, en des « transports
de gaieté et de fureur » dans la symphonie en la,
en des fusées d'ironie et de fantaisie ailée dans la
symphonie enja.
« Muré en lui-même » par le mal croissant qu'en-
veniment les soucis pécuniaires et les chagrins de
famille, il entreprend, « du fond de cet abîme de
tristesse, de célébrer la joie ». L'obsession, depuis
ses années de jeunesse, en avait survécu, plus
grande, plus impérieuse, plus surhumaine, à tou-
tes ses crises, à toutes ses phases de révolte ou de
confiance, de souffrance ou de volonté. En 1808,
le thème destiné à YOde de Schiller avait passé
déjà parmi les arabesques de l'op. 80, pour pren-
dre seulement en 1S22, dans les livres d'esquisses,
sa forme définitive. Le 7 mai 1824 eut lieu, à
Vienne, la première audition de la Symphonie avec
un chœur final sur l'Ode à la Joie.
Nous ne ferons pas aux lecteurs l'injure de leur
dire : Lisez, jouez, entendez les symphonies de
Beethoven. Celui qui n'en ferait pas l'un des pre-
miers obj ets de son étude et de sa religion artistique,
celui-là ne serait pas un musicien. Nous leur répé-
terons seulement : Après les avoir admirées comme
les modèles d'un art souverain, au point de vue de
leur beauté formelle, efforcez-vous de les connaî-
tre dans leur signification interne, et pour cela,
approchez-vous à la fois de l'œuvre et de l'auteur ;
ouvrez ses partitions, lisez sa vie. Lisez-la tout
d'abord, non dans de gros volumes, mais simple-
ment dans le récit ému et vrai, poignant comme
une tragédie, beau comme une histoire héroïque,
qu'en a donné en peu de pages M. Romain Ro-
land dans un Cahier de la Quinzaine. A cette
brochure, nous avons beaucoup emprunté : il fau-
drait la reproduire en tête d'une édition des neuf
symphonies qu'on donnerait, lorsqu'ils se prépa-
rent aux combats de la vie, à tous les jeunes com-
positeurs, pour élever leurs cœurs et tremper leur
courage. Michel Brenet.
FÉLIX WEINGARTNER
e n'est pas ici qu'il peut paraître néces-
saire de présenter l'artiste éminent
auquel on a tenu à confier la direction
de ce festival solennel en l'honneur
de Beethoven, ni de caractériser sa personnalité
musicale, de louer son talent vraiment original,
soit comme compositeur, soit comme chef d'or-
chestre. Dès le premier jour, dès son apparition
au Cirque d'Eté, aux Concerts Lamoureux, de
Paris, le 27 février 1898, qui devait être suivie de
peu par celle qu'il fit aux Concerts Ysaye, de
Bruxelles, le Guide music al,pav la. plume de son direc-
teur,^ tenu à dire ce qu'était ce jeune victorieux,
dont la rapide carrière est une des plus belles et
des plus fécondes que nous offre l'histoire de la
musique contemporaine. Chef d'orchestre de car-
rière, ce qui est si rare chez nous, directeur de
musique dans l'acception la plus complète du
terme, c'est-à-dire ayant fait précéder d'études
approfondies cet apostolat spécial qui consiste à
transfigurer d'une vie nouvelle un groupe d'instru-
ments individuellement froids et languissants,
M. Félix Weingartner, on le sait, a fait son éduca-
tion à Gratz (venu de Zara [Dalmatie] où il était
né le 2 juin i863), et à Leipzig, où Liszt s'intéressa
efficacement à lui. A peine âgé de vingt ans, il
débutait à la tête d'un orchestre au théâtre de
LE GUIDE MUSICAL
3i5
Kœnigsberg, et passait ensuite successivement à
Dantzig, Hambourg, Mannheim, Francfort, Berlin
enfin (1891).
Dès le début, je veux dire dès iS83, il s'était
résolument lancé, en même temps, dans la carrière
de compositeur dramatique ou symphonique :
Sakountala à Weimar (1884), Malawïka à Munich
(1886), Gencsius à Berlin, Mannheim, Hambourg...
(1892, 1S96, 1898) ont marqué ses étapes au
théâtre où depuis, à Berlin encore, en 1902, il a
reparu d'une façon plus éclatante avec sa trilogie
antique YOrestie. Le Roi Lear, les Champs-Elysées,
la symphonie en sol majeur, la musique de scène
pour Antigone, un quatuor, des Lieder, des arran-
gements d'orchestre,... signalent son talent de
symphoniste à l'attention des habitués des con-
certs. Enfin, divers écrits sur le drame musical, la
symphonie, l'art du chef d'orchestre, ont montré
que l'activité prodigieuse de l'artiste ne recule
devant aucune polémique et ne craint aucune
audace... Nous savons d'ailleurs quelle part il
prend actuellement à l'édition monumentale de
Berlioz avec notre ami Charles Malherbe.
Mais ce n'est qu'au chef d'orchestre que nous
avons affaire pour l'instant. Des lignes si cordiales
de M. Maurice Kufferath en 1898, il faut rappro-
cher l'étude émue que M. Edouard Schuré, avec
son éloquence et sa poésie habituelles, lui consa-
cra ici encore l'année suivante ( 19 février 1899). Le
plaisir artistique qu'une pareille intelligence des
œuvres et des ressoucres de l'orchestre pour les
rendre en leur couleur propre et leur variété de
style, nous apporta dans le geste si souple et si
sûr de ce « maître de l'orchestre », notre éminent
collaborateur l'exprima ce jour-là de telle sorte
que je ne puis mieux faire que d'y renvoyer nos
lecteurs, en faisant simplement remarquer combien
ces observations se sont encore confirmées par la
suite.
Ce que M. Schuré, par exemple, mettait surtout
en relief, et nous avons pu vérifier maintes fois
l'exactitude de ce point de vue, c'est l'espèce de
transformation de sa personnalité même qui se ma-
nifeste chez M. Weingartner selon le morceau
qu'il dirige. Avec une symphonie de Mozart, « elle
prit quelque chose de la grâce maniérée, de la
gaîté spirituelle et pimpante d'un salon aristocra-
tique vers la fin du xvme siècle », puis, bien vite,
ce cadre rococo « disparut sous les nuages de
parfums enivrants qui sortent des mélodies de
Mozart, pareilles à de grandes fleurs amoureuses et
vivantes ». Avec Berlioz, ce fut « un sens aigu du
coloris, un nuancement subtil et cette morbidesse
passionnée, cet alanguissement douloureux qui est
comme l'essence du romantisme et du génie de
Berlioz ». Avec Wagner, ce fut tantôt « la solen-
nité profonde d'un mystère religieux », tantôt
« une furie subtile et aérienne »..., « l'énergie,
l'ampleur et la magnificence du rythme... », « et
pas une mesure de ces pages d'une si formidable
intensité où le maître impérieux et calme n'ait
paru tenir tout l'orchestre ramassé dans sa main,
en s'élevant avec lui à une hauteur vertigineuse ».
« Impérieux et calme », telle est bien en effet
l'impression que donne M. Weingartner devant
l'orchestre, et c'est avec une espèce de passion
que les yeux restent attachés à son geste, à son
regard, à toute sa personne, les yeux des auditeurs
comme ceux, tout d'abord, des exécutants mêmes.
Suivre d'affilée la théorie sublime des neuf muses
de Beethoven en leur puissante et charmante évo-
lution, c'est une jouissance d'art infinie; mais
étudier cette évolution chez celui même qui en
dirigera l'interprétation, qui sait si ce n'est pas
encore cette joie rare et cette curiosité sans
pareille qui attirera le plus d'amateurs au festival
Beethoven? H. de Curzon.
" ARM1DE „ A L'OPÉRA
HIER ET AUJOURD'HUI
n est loin de se douter aujourd'hui, à
écouter les caressantes mélodies
d'Armide, que cet opéra souleva tant
de controverses à son apparition
en 1777. C'est que Gluck y continuait le système
de sa poétique, déjà exposée en une longue pré-
face, et qu'il rompait avec les traditions accré-
ditées, au grand mécontentement des Marmontel,
des La Harpe et autres dilettantes, hostiles à
toute réforme et dont la campagne, commencée
contre Orphée et Alcesle, allait se continuer plus
impitoyable que jamais. C'était l'aurore de cette
lutte éternelle de la vérité dramatique contre les
erreurs et les conventions, lutte qui recommencera
à l'apparition de tout nouvel apôtre du vrai et du
beau, avec Berlioz et Wagner.
Mais un fait curieux de ce duel entre Gluck et
ses rivaux, c'est qu'on ne chercha jamais à
déplacer le champ du combat et qu'on lutta tou-
jours à armes égales, en s'escrimant sur une même
tête de Turc, sur un poème déjà traité. Non seu-
lement Gluck, avec Orphée et Alceste, nous présen-
tait des héros déjà entrevus — on comptait déjà
sept ou huit Orphée et quatre Alceste, — mais, en
s'attaquant à Armide, Gluck reprenait le texte
3i6
LE GUIDE MUSICAL
même de Quinault, mis en musique par Lulli au
siècle précédent !
Bien plus, quand la Dubarry, pour tenir tête à
la Dauphine, dont Gluck était le protégé, eut fait
venir à Paris Piccini, qu'on lui suscitait comme
rival et dont on attendait un Roland, sur le poème
de Marmontel, Gluck s'écria : « Eh bien, si ce
Roland réussit, je le referai! »
Il ne le refit pas, car l'œuvre de Piccini tomba.
Mais le goût s'accentua de ces joutes ridicules. Et
que penser de spectacles aussi peu variés et de ce
défilé mythologique qui pendant un siècle fit le
répertoire de l'Opéra !
Aujourd'hui et de par leur rareté, ces antiquailles
font diversion, et la naïveté du sujet, la simplicité
de la musique, leur prêtent des qualités bienfai-
santes et reposantes dont maint auditeur leur saura
gré après les enragées partitions de ces derniers
temps !
De toutes les œuvres de Gluck, Armide, si elle
n'obtint pas le plus grand succès, resta du moins
le plus longtemps au répertoire. On la jouait
encore en i83i. Cela tient d'abord au luxe capti-
vant du spectacle, luxe que nous avons retrouvé
splendide, éblouissant de mise en scène et de
décors ; puis au charme incomparable de la mu-
sique, charme qui devait désarmer les détracteurs
du maître, car en aucune de ses partitions, la grâce
n'a autant primé la force. A part l'épisode drama-
tique de ce chef qui tombe mourant aux pieds
d' Armide, après avoir combattu vainement le
chevalier Renaud, chef des croisés, tout est d'un
enchantement féerique.
C'est d'abord la délicieuse lamentation d'Armide,
alors que la belle magicienne aspire à vaincre par
ses charmes cet indomptable Renaud qui guerroie
contre les infidèles ; puis les douces réticences
qu'elle oppose à Hidraot, son père, qui lui conseille
vainement de prendre un époux. Et quels superbes
accents dans ce duo, dans ces adjurations aux
esprits de haine de lui livrer Renaud ! Et avec
quelle noble énergie Mlle Bréval et M. Delmas ont
déclamé cette page !
C'est alors qu'en un magique décor, irrésis-
tiblement attiré, arrive le chevalier. Et c'est
l'air : Plus j'observe ces lieux, que souligne un
délicieux gazouillis de flûte, pur chef-d'œuvre qu'il
faut entendre dans ce cadre merveilleux et auquel
M. Affre n'a pas su donner tout le charme désira-
ble. Il s'endort et tout ce qu'on peut rêver de plus
tendre, de plus caressant nous est chanté par des
voix en écho, d'un effet délicieux, murmuré par
des chœurs au lointain, ou dansé par des sylphes
enchantés. A noter l'air bien connu ; On s'étonnerait
moins de la saison nouvelle, où la jolie voix de
Mlle Verlet a fait merveille et lui a valu plusieurs
rappels.
Armide, armée d'un poignard, a voulu frapper
le héros endormi, et la musique s'est faite hautaine
et superbe ; mais l'arme lui échappe, et faisant un
dernier appel à ses enchantements, la magicienne
enlève dans les airs son amant, qu'elle dérobera à
tous les yeux. L'effet est charmant et s'augmente
d'un truc fort ingénieux qui réalise l'irréalisable.
Mlle Bréval a mis dans l'air qui ouvre le troi-
sième acte : Ah! si ta liberté me doit être ravie, un art,
un style admirables, qui lui ont valu une légitime
ovation, mais que domine encore la maîtrise avec
laquelle elle a déclamé la belle, l'héroïque phrase
qui termine cet acte : Amour, puissant amour, viens
calmer mon effroi. Impossible de rêver plus de gran-
deur et de simplicité, en plein contraste avec les
danses et chœurs des Furies qui ont précédé et que
scandent les larges et angoissantes prophéties de
la Haine, déclamées par Mlle Féart avec la plus
farouche énergie.
Le quatrième acte est un hors-d'œuvre, une ber-
quinade si vous voulez, mais d'un parfum char-
mant jusque dans sa naïveté. Il est occupé tout
entier jpar deux compagnons d'armes de Renaud,
partis à sa recherche pour l'arracher à l'oubli de
soi-même. Mais ils ont compté sans de séduisantes
hallucinations aux cours desquelles leurs dames
paraissent et disparaissent tour à tour, non sans
avoir mis à l'épreuve la fidélité des deux guerriers.
Mais ce badinage est gracieux au possible, et je
serais au regret de ne pas signaler l'air : Voici la
charmante retraite, que Mlle Demougeot a détaillé à
ravir, laissant la place à Mlle Vix, à qui est confiée
une seconde scène non moins amusante que la
première, ensemble coupé de chœurs et de danses
adorables.
Telle Didon au moment de quitter Enée, Armide
défaille à la pensée de se séparer de Renaud.
Mais, en dépit de nouveaux enchantements semés
sur ses pas en un palais merveilleux — prétexte à
de nouveaux ballets encore plus développés que
précédemment, — Renaud, à la vue du talisman,
un bouclier de diamant (!) que lui présentent ses
deux compagnons, a repris ses esprits et s'arrache
des bras d'Armide pour voler à de nouveaux com-
bats. Mais la princesse, après avoir pleuré sa
destinée, anéantit son palais et, magicienne con-
solée, s'élève dans les airs sur son cheval ailé, à
la conquête d'enchantements nouveaux.
J'ai dit les splendeurs du spectacle et des décors.
Elles sont égales à celles de l'interprétation —
exception faite de M- Affre, qui manque vraiment
Lj; GUID^ MUSICAL
3i7
trop de prestige — et je m'en voudrais, à tant de
noms déjà cités avec éloge, de ne pas joindre ceux
de Mmes Agussol et Mendès et de MM. Scarem-
berg et Gilly, celui-ci surtout très en progrès
comme voix et déclamation, dans Ubalde ; enfin,
M. Riddez, très dramatique dans la mort d'Aronte
au premier acte.
La danse, qui occupe à cette soirée une place
exceptionnelle (chaque acte comporte au moins un
divertissement) est représentée par ses plus jolies
étoiles : Mlles Zambelli, Sandrini et Hirsch. Le
goût et la sûreté légère de Mlle Zambelli sont au-
dessus de tout éloge.
Enfin, l'orchestre, que renforcent de nombreux
violons, appelés à prendre la place des cuivres
absents, a soutenu de son vigoureux archet, sous
la conduite de M. Taffanel, la plus séduisante des
partitions de Gluck. A. Goullet.
Armide doit être considérée, en somme, comme le
plus, beau des « opéras à machines » que nous ait
légués le siècle de Louis XIV. Quand Gluck eut
l'idée de reprendre tel quel, pour lui-même, le
poème de Quinault, si longtemps applaudi à
l'Opéra avec la musique de Lulli (de 1686 à 1766,
on ne compte pas moins de dix remises de l'œuvre
à la scène), il ne se proposa nullement de rompre
avec la tradition qui en avait fait avant tout un
« grand spectacle », un mélange continuel de
féerie et de décorations, de danses et de transfor-
mations,... de passion aussi et de dramatique. Il y
mit seulement son génie, ce qui valut à la vieille
pièce une immortalité nouvelle et la transfigura au
souffle d'une inspiration souveraine qui, en plus
d'une page, soit dans l'orchestre, soit dans la décla-
mation et les ensembles, fait preuve d'une audace
extrême et des plus avancées.
Seulement, l'œuvre est aussi la plus difficile à
monter d'une façon digne d'elle-même, digne de
Gluck surtout, une fois les traditions perdues. C'est
ce qui nous a valu d'attendre si longtemps cette
reprise souvent promise depuis i83i. A cette
date, c'est Adolphe Nourrit qui chantait, avec sa
suavité ordinaire, le rôle de Renaud : il y avait
débuté en 1826, en succession de son père (qui,
pour l'occasion, avait voulu chanter un des cheva-
liers de l'entourage du héros), et il y parut encore
à sa représentation d'adieux (fragmentaire) de 1837.
Sauf erreur, l'œuvre de Gluck comptait alors
337 représentations, et la reprise actuelle devrait
donc porter le chiffre de 338. C'est l'un des plus
forts du répertoire de Gluck ; cependant il ne faut
pas oublier que les deux Iphigênie le dépassèrent de
beaucoup, et il est piquant de constater que la
seule partition qu'on ne nous ait encore jamais
rendue, Iphigénie en Aulide, est justement celle qui
triompha avec le plus d'éclat. Elle ne compte pas
moins de 428 représentations !
En 1777, les principaux interprètes d 'Armide
étaient : Rosalie Levasseur (dans Armide), la créa-
trice de l'Amour, d'Alceste et d'Iphigénie; Le
Gros (dans Renaud), le créateur d'Orphée,
d'Achille, d'Admète et de Pylade ; Gélin (dans
Hidraot), le créateur de Calchas et du Grand-
Prêtre; Larrivée (dans Ubalde), le créateur d'Aga-
memnon et d'Oreste; MHe Durancy (dans la
Haine), etc.
Comme il arrive généralement aux œuvres, vrai-
ment durables, Armide commença par être peu
comprise. Sans la présence de la reine Marie-
Antoinette et l'animosité des lullistes aidant,
l'accueil glacial eût même dégénéré en hostilité.
Mais la maladresse des adversaires se chargea de
ramener l'attention du public, un peu déroutée
d'abord, et l'œuvre reçut bientôt les suffrages una-
nimes qu'elle mérite.
On se souvient de la réponse, d'une ironie si
amusante, que Gluck fit dans le Journal de Paris, à
la diatribe de La Harpe, et comment ce pédant
gourmé vit aussitôt autour de lui une levée géné-
rale de railleries sous forme d'articles et même de
brochures.
« J'ai été confondu (lui écrivit Gluck) en voyant
que vous aviez plus appris sur mon art en quel-
ques heures de réflexions que moi après l'avoir
pratiqué pendant quarante ans. Vous me prouvez
qu'il suffit d'être homme de lettres pour parler de
tout... Je demande bien sincèrement pardon au
dieu du goût d'avoir assourdi mes auditeurs par
mes opéras ; le nombre de leurs représentations et
les applaudissements que le public a bien voulu
leur donner ne m'empêchent pas de voir qu'ils sont
pitoyables; j'en suis si convaincu que je veux les
refaire de nouveau; et comme je. vois que vous
êtes pour la musique tendre, je veux mettre dans
la bouche d'Achille furieux un chant si touchant
et si doux que tous les spectateurs en seront atten-
dris jusqu'aux larmes. Alors le rôle d'Armide ne
sera plus une criaillerie monotone et fatigante, ce ne
sera plus une Médée, une sorcière, mais une enchan-
teresse; ]e veux que, clans son désespoir, elle vous
3iS
LE GUIDE MUSICAL
chante un air si régulier, si périodique, et en même
temps si tendre, que la petite maîtresse la plus
vaporeuse puisse l'entendre sans le moindre aga-
cement de nerfs... »
On sait combien Gluck, décidément lancé dans
la voie de la réforme dramatique, hésita peu à
emprunter à ses œuvres antérieures des motifs
pour ses partitions nouvelles. J'en ai dit un mot à
propos du récent Catalogue thématique de Gluck, dû
aux patientes recherches de M. A. Wotquenne,
et précisément au sujet d'Armide. Le sagace biblio-
thécaire du Conservatoire de Bruxelles n'a-t-il pas
trouvé des fragments d'au moins sept opéras anté-
rieurs dans la grande scène de la Haine, au troi-
sième acte? Ajoutons, en tous cas, comme une
simple curiosité, que l'ariette du troisième acte :
« Les plaisirs ont choisi pour asile » est tirée du
Cadi dupé (Schônbrunn, 1761), et la sicilienne, pour
flûte, du divertissement, du ballet de Don Juan;
que le duo : « Esprit de haine » est une nou-
velle version d'un thème de Sofonisba (1744); enfin,
que l'ouverture est simplement celle de Telemacco
(Vienne, 1765). Henri de Curzon.
L' " ARMIDE „ EN 1870
La dernière représentation d'Armide à
l'Opéra de Paris est d'avril 1837. Si le
chef-d'œuvre de Gluck n'a plus été
donné depuis cette date, ce n'est pas
toutefois qu'on n'ait songé à le reprendre, et notam-
ment dans les dernières années de l'Empire. Il
n'est pas sans intérêt de rappeler à ce sujet
quelques souvenirs :
Les triomphes éclatants de Mme Viardot dans
Y Orphée, au Théâtre-Lyrique, puis dans VAlceste, à
l'Opéra, avaient prouvé aux plus incrédules qu'une
exécution fidèle des grands ouvrages de Gluck
pouvait trouver devant le public le double succès
de musique et d'argent que doit viser un directeur
habile. Aussi, dès ce moment, VArmide com-
mença-t-elle à hanter l'esprit de Perrin, qui
venait d'être chargé de la direction de l'Académie
impériale de Musique en 1862. Il semblait d'ailleurs
que la question d'Armide fût dans l'air : Une
étude approfondie et très curieuse du chef-d'œuvre
de Gluck avait paru, en i85g, dans la Revue con-
temporaine; elle avait fait d'autant plus de sensation
qu'elle était signée d'un ..nom fort inattendu en
pareille matière, celui de M. Troplong, président
du Sénat, un musicologue, érudit, un dilettante
passionné, un critique très fin qui se révélait
ainsi sous la simarre du jurisconsulte. Mais pour
faire éclore le projet d'une remise à la scène de
VArmide, il fallait l'arrivée, à l'Opéra, d'un musi-
cien capable de mener l'entreprise à bonne fin. Ce
musicien, appelé à la direction générale de la mu-
sique de l'Opéra après le douloureux enfantement
de Don Carlos, ce fut M. Gevaert, que Perrin avait
appris à connaître et à apprécier durant son pas-
sage aux directions du Théâtre-Lyrique et de
l'Opéra-Comique. On sait l'influence et — chose
plus remarquable — l'autorité que prit bien vite
M. Gevaert sur ce petit monde, si difficile à gou-
verner, qu'on appelle le Grand-Opéra de Paris ;
d'excellentes reprises, Guillaume Tell entre autres,
les exécutions merveilleusement achevées du
Faust, de VHamlet avaient montré la pleine trans-
formation d'un ensemble musical justement re-
nommé jadis, mais tombé peu âpeu en désarroi.
\JArmide s'imposa plus que jamais aux préoc-
cupations de Perrin, car celui-ci avait maintenant
à ses côtés un lieutenant, un chef d'état-major
musical désigné d'avance à la conduite de cette
difficile et périlleuse campagne. M. Gevaert, on le
savait bien, était un fervent adorateur de Gluck,
et féru, -pour A rmide, d'une passion sans rivale.
Bientôt les indiscrétions inévitables surgirent,
çà et là, dans le courant des petits bruits du
théâtre, grossis par les échos de la presse : « Il est,
» dit-on, sérieusement question d'une reprise de
» VArmide de Gluck à l'Opéra. » Mais on n'atta-
chait pas grande importance au ce sérieusement »
de l'information, tant on avait déjà abusé d'un
« cliché » qui reparaissait régulièrement à l'avène-
ment de chaque direction nouvelle. Cette fois,
pourtant, l'exécution alla bien plus loin que ne
l'ont dit les reporters du temps. La seule trace
qui reste du travail accompli se trouve dans ces
lignes du livre si intéressant de M. De Lajarte :
Bïbli'Ahèque musicale du théâtre de VOpéra :
L'administration qui régissait l'Opéra à la fin
du règne de Napoléon III avait pensé avec juste
raison qu'une des plus belles partitions du réper-
toire ne devait pas être oubliée ainsi. L' Armide de
Gluck fut recopiée avec soin, des ordres furent
donnés pour remettre tout en état. Les événements
de 1870 en décidèrent auti'ement. »
La note de M. de Lajarte est exacte, mais
incomplète. Dans la préface de son édition d'Ar-
mide, M. Gevaert a donné lui-même des renseigne-
ments très précis sur le travail qui avait été
accompli alors. Nous avons de plus sous les yeux
LE GUIDE MUSICAL
3ig
des souvenirs de Théodore Jouret, qui, étant allé
voir M. Gevaert à Paris en 1S70, nota et publia
quelques années après, dans un feuilleton de Y Echo
du Parlement, les détails très circonstanciés qu'il
tenait de son ami, le directeur de la musique de
l'Opéra. Voici les très curieux souvenirs de Théo-
dore Jouret :
» Au moment de quitter Paris, au mois de
juin 1870, voulant prendre congé d'un ami
(M. Gevaert), nous nous dirigeons vers l'Opéra, où
le retenait, à cette heure-là, le travail de chaque
jour. Nous traversons le long et sombre couloir de
la rue Drouot, nous saluons et interrogeons en
passant la majestueuse Mme Monge, la concierge
légendaire.
« — M. Gevaert, s'il vous plaît. »
« — Il est chez lui. »
On eût pu dire, ce jour-là, qu'il était chez Gluck.
Gluck avait pris possession du cabinet directorial,
qui était encombré de copies de rôles, de parties
d'orchestre soumises à un dernier travail de revi-
sion scrupuleuse, d'après les textes originaux ou
des partitions chargées d'annotations manuscrites
du maître. Et, sur chacun de ces cahiersr ce titre :
A rmide.
» — Armide? A l'Opéra?... Votre rêve!
» — Un rêve bien près de se réaliser. Tout est
prêt ; tous les services sont en travail, les études
d'ensemble vont commencer : avant un mois, nous
répéterons au foyer. »
La première surprise passée, notre curiosité
impatiente voulait des détails; ces détails, nous
allons les résumer rapidement.
Et d'abord, à qui l'Armide, le rôle qui porte
l'opéra tout entier et sa fortune ? Le succès de
" Mme Marie Sasse dans Y Africaine la désignait au
choix de M. Perrin et de M. Gevaert. L'étude sé-
rieuse du rôle de Sélika avait ajouté à cette voix
superbe des qualités inattendues de diction et de
sentiment : on croyait pouvoir déjà prédire que
Mme Sasse, le travail aidant, nous montrerait les
progrès d'une chanteuse de style, interprète fidèle
de la grande déclamation lyrique de Gluck, une
éducation toute spéciale dont M. Gevaert s'était
chargé, et qui marchait à souhait.
La Haine, c'était Mme Gueymard-Lauters, sa
belle voix, sa vive intelligence. Les deux Suivantes
d' A rmide, au babil gracieux, étaient dévolues à
Mme Hamakers et à Mme Levieilli. Renaud, ce sera
M. Colin, une voix charmante, un débutant
applaudi dans Les Huguenots, dans Don Juan sur-
tout, où il soupirait le Mio tesoro ave une souplesse
et une grâce qui feront merveilles dans les douces
cantilènes de l'amant d'Armide. M. Devoyod prê-
tera sa voix timbrée et son aspect farouche au
ténébreux Hidraot,et la basse sonore de M.David,
l'inquisiteur de Y Africaine, donnera large et
grande ligne aux beaux récits d'Aronte, le guer-
rier blessé.
Il restait pourtant à résoudre une question im-
portante, capitale : le quatrième acte, un inter-
mède à peu près étranger à l'action, que Quinault
semble avoir jeté là, entre les colères furieuses
de la Haine et les scènes passionnées du dénoue-
ment, comme un contraste pour le spectateur,
peut-être aussi comme un repos, pour la chan-
teuse. Quoi qu'il en soit, le quatrième acte (Y Ar-
inide, hors-d'œuvre exquis dans ce chef-d'œuvre,
fait apparaître, on le sait quatre personnages
nouveaux : Ubalde et le Chevalier danois, deux
croisés envoyés par Godefroid de Bouillon à la
recherche de Renaud, puis deux nymphes évo-
quées par l'art magique d'Armide, et qui vont —
sous les traits de deux belles amoureuses délais-
sées aux pays d'Occident — essayer de retenir
loin de Renaud ces messagers fâcheux. — M. Per-
rin avait pourvu déjà à bien des choses. Pour les
ballets [Y Armide en est remplie), Saint-Léon avait
été rappelé de Pétersbourg; et il achevait de ré-
gler les scènes chantées, mimées, dansées, tout en
ajustant aux habitudes, aux exigences de la cho-
régraphie nouvelle les vieilles coupes rythmiques
des airs de danses d'autrefois, menuets, gavottes
et chaconnes. Les décors? Tout était décidé, ar-
rêté pour les maquettes à demander aux peintres.
Et quels prétextes à magnificences architecturales,
à paysages féeriques : le palais et les jardins d'Ar-
mide! L'artiste, le peintre qui vit toujours en
M. Perrin avait songé à tout cela; et jusqu'aux
« transformations » à vue, l'écroulement final, les
vols aériens, le char de feu qui enlève A rmide et
Renaud, l'engloutissement instantané et obligé des
Furies, tout a sa solution prévue ; les machinations
et machineries projetées feront rêver les metteurs
en scène des grandes féeries du boulevard. Tout
est prêt, ou va l'être bientôt.
Tout, excepté ce seul point : les chanteurs, qui
prennent grande part dans l'intermède pastoral du
quatrième acte. On avait V. Warot pour le Che-
valier danois, et Mlle Thibaut pour la Naïade et la
chanson des échos; mais Ubalde, et Mélisse, et
Lucinde? M. Perrin s'inquiétait, et cherchait en
homme qui connait Paris et les Parisiens de son
public. « Ce quatrième acte, » disait-il à son lieu-
tenant musical, « ce quatrième acte, c'est l'acte de
dix heures un quart, l'acte des abonnés et des habi-
tués de la maison : le Jockey trouvera de la danse
320
LE GUIDE MUSICAL
à jambe que veux-tu. Mais il y a aussi de la
musique ! Allons-nous faire servir de pareils chefs-
d'œuvre par des « doubles » ou par des coryphées?
C'est impossible.
Et il cherchait toujours.
Un beau soir, il arrive tout souriant : « J'ai
trouvé, et c'est bien simple, vous allez voir. Que
diriez-vous de Faure pour lancer la fanfare triom-
phale d'Ubalde : Notre général vous rappelle? »
M. Gevaert, un peu surpris d'abord, ne manque
pas de riposter : « C'est bien simple, en effet ; mais
alors, pourquoi ne pas demander pour Lucinde,
pour Mélisse... »
— « Mme Nillson et Mme Carvalho? Rien de
mieux, et... c'est fait. »
C'était réellement chose faite, si invraisemblable
que cela puisse paraître : l'étrangeté, l'originalité
de l'idée avait séduit ces excellents artistes, et ils
s'étaient empressés d'apporter leur concours à
une exécution qui devait être comme une glori-
fication du vieux maître, du véritable créateur du
drame lyrique.
Quelques semaines plus tard, nous recevions de
Paris une lettre dont le post-scriptum nous disait :
« Hier, au foyer, études vocales complètes, so-
listes et chœurs, de quatre actes d'Armide : Armide
est debout ; elle va marcher. »
Hélas ! ce furent les événements qui marchèrent,
et avec quelle terrifiante rapidité! — Dix jours
après, la guerre était déclarée ; et bientôt, dans
cette journée déplorable des fausses victoires, la
foule enthousiaste arrêtait, en plein boulevard des
Italiens, la voiture de Mme Gueymard-Lauters, et
des milliers de voix répétaient le refrain de / a
Marseillaise que la cantatrice, debout sur le siège
de sa voiture, chantait avec l'accent passionné
qu'elle eut mis dans les incantations de la Haine.
De la Haine, d'Armide et de Renaud, l'Opéra
n'avait plus nul souci : on sentait venir l'heure
des angoisses et des mortelles tristesses. Ce fut
une soirée morne et lugubre, la soirée du 2 sep-
tembre, où tout était fini là-bas, sans que Paris
en connût rien, rien que ces vagues rumeurs qui
se répandent on ne sait comment. A l'Opéra, on
jouait Guillaume Tell devant une salle houleuse,
inquiète. Au théâtre, l'émotion était plus vive
encore : entre le deuxième et le troisième acte,
on avait appris que Saint-Léon venait de mourir
subitement, à deux pas de là, au Divan de la rue
Lepeletier. A minuit, les portes de l'Opéra se fer-
maient, et pour longtemps.
La Commune songea à les rouvrir. Le jour
même où l'armée de Versailles pénétra dans
Paris : devait se donner un Concert, dont l'affiche
— énorme — est une des curiosités des archives
de l'Opéra. Cependant, bien avant ce concert,
qui — lui aussi — n'a jamais eu lieu, la Com-
mune avait voulu faire acte de souverain
éclairé, de souverain ami et protecteur des
arts, et un concert avait été donné, au palais
des Tuileries, en grand gala d'uniformes, de galons
et de plumets ; un concert organisé selon les règles
et les habitudes du lieu, avec un programme qui
avait reçu l'appoint en quelque sorte obligé des
morceaux traditionnels, en ces fêtes musicales et
princières, aux temps de l'Empire et même de la
Royauté de i83o. Parmi ces morceaux, régal
habituel de Louis-Philippe, le chœur du quatrième
acte d'Armide tenait belle place, et le chef d'or-
chestre, le signor Pugni (1), requit — naturelle-
ment — l'Opéra d'avoir à fournir les parties
d'orchestre et de chant. Par un excès de zèle bien
excusable, on envoya toute la copie de V Armide,
de l'opéra tout entier. Les artistes, les chœurs, les
instrumentistes de l'Académie nationale de Mu-
sique exécutèrent la douce pastorale devant
l'assemblée des fédérés et de leurs augustes
familles, et l'auditoire, recueilli et charmé, écouta
sans sourciller ces vers du bon Quinault, qui
firent peut-être sourire, en dedans, Paschal
Grousset et Jules Vallès :
Jamais dans ces beaux lieux notre attente n'est vaine;
Le bien que nous cherchons se vient offrir à nous,
Et pour l'avoir trouvé sans peine,
Nous ne l'en trouvons pas moins doux.
C'est à cette unique exécution de ce seul chœur
d? Armide que devaient aboutir tant de beaux pro-
jets et tant de sérieuses études. Et, pour aller jus-
qu'au bout de l'épilogue de notre histoire, il nous
faut ajouter que quelques jours plus tard, les Tui-
leries étaient en flammes ; de toute la musique
d'Armide, de cette copie complète, il ne restait
rien; rien qu'un peu de cendre, dans les cendres
et les ruines du palais. »
(1) Pugni? L'auteur de ces souvenirs semble avoir
mal orthographié le nom du chef d'orchestre. Nous
croyons qu'il signor Pugni n'est autre que le grand et
admirable pianiste Raoul Pugno.
LE GUIDE MUSICAL
321
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA. — La semaine est bonne pour l'hon-
neur de notre Opéra. Avec la reprise à'Àrmide,
nous avons eu celle de Tristan et Isolde, et la
meilleure représentation, de beaucoup, qui nous ait
été donnée de ce chef-d'œuvre. Mais aussi, quel
Tristan pour vivifier d'une flamme nouvelle l'exé-
cution jusqu'alors trop languissante ! Ce n'est pas
dans ces pages qu'il est besoin de révéler au monde
la façon dont M. Ernest Van Dyck comprend et
rend ce rôle de Tristan : depuis tant d'années et
sur tant de scènes, il en a mis en relief les beautés
rayonnantes avant de paraître sous ce costume
sur la première scène lyrique de Paris ! Du moins
peut-on noter l'impression qu'il y a produite et
l'accueil qui lui a été fait.
Cette impression a été profonde et cet accueil
s'est traduit par douze rappels. Peu de soirées
certainement auront été, chez nous, autant à
l'honneur de l'éminent artiste. Car non seulement
sa pénétrante compréhension du personnage trans-
figure le héros de Wagner tel qu'il nous avait été
présenté jusqu'alors, mais son influence vivifiante
se fait sentir sur toute l'exécution générale. Déjà,
aux répétitions, les explications qu'il donnait
avaient rempli d'ardeur tel de ses camarades que
je pourrais nommer ; mais même instinctivement,
c'est un phénomène ordinaire, la vérité de jeu, la
force d'expression de l'un des interprètes entraine
tous les autres, ceux du moins qui sentent vive-
ment, et c'est le cas ici. Du reste, la soirée a eu un
résultat très frappant : elle a été moins longue.
Avec des enlr'actes plus longs que d'habitude, elle
s'est terminée à minuit moins vingt. Or, dès la
première, nous avions tous fait cette observation
qu'elle ne devait pas, commencée à 7 heures et
demie, atteindre et même dépasser minuit. C'est
qu'en maint endroit, les mouvements étaient trop
lents : ce poème de passion intense doit être rendu
avec une vivacité fébrile pour garder toute sa
couleur. Cette fois, l'orchestre aussi et M. Taffa-
nel, qui met tant de sens à le diriger, doivent être
loués par leur contribution au progrès sensible de
l'exécution générale. Quant aux interprètes mêmes
des rôles, il a paru qu'ils mettaient plus de carac-
tère et de vérité que jamais au service de leurs
psrsonnages. Mlle Grandjean fait preuve d'un
effort constant vers le mieux et domine vraiment
son rôle écrasant d'Isolde; M. Delmas met plus
de tendresse simple dans la rude fierté de Kur-
wenal; M. Gresse a saisi tout à fait la nuance
délicate qui convient à la douloureuse mais noble
résignation du roi Marche...
Pour M. Van Dyck, l'émotion qu'il fait naître
presque constamment chez l'auditeur est véritable-
ment admirable. La fin du premier acte a été
fulgurante avec lui. Déjà on avait pu suivre sur son
visage si jeune et si transparent toutes les
pensées qui agitent l'àme du héros ati moment où
Isolde l'amène en sa présence ; au moment du
philtre, la coupe en main, Tristan tout entier s'est
comme révélé dans un élan du génie. Le second
acte, de joie et de passion, ne fut pas moins chaleu-
reux et en même temps délicatement nuancé.
Quant au troisième, à cette mort précédée d'hallu-
cinations si pathétiques, de ressouvenirs si péné-
trants, il a été rendu avec une puissance de vérité
et de voix, une énergie d'expression, une force
d'accent... dont il est presque impossible de parler
de sang froid. Ce fut une heure inoubliable et
souveraine. Notez qu'avec Ernest Van Dyck, on
ne perd pas un mot, ce qui ne laisse pas que
d'étonner d'abord (>!), et concluez que l'Opéra a
eu bien tort de ne pas commencer tout de suite, il
y a trois mois, par où il devait si superbement finir.
Henri de Curzon.
SCHOLA CANTORUn. — Il n'y avait pas
une place vide, rue Saint-Jacques, le 7 avril, pour
l'audition unique de la Passion selon Saint Jean,
et la meilleure preuve à donner de la beauté de
la musique et de l'exécution, c'est que des specta-
teurs, comprimés dans l'étroitesse et la rigidité de
leurs stalles, comme le cardinal de La Balue dans
sa cage légendaire, parvenaient encore à manœu-
vrer leurs poignets pour applaudir. M. Cornubert
dans les récits de l'Evangéliste, Mlles Legrand et
Braquaval, MM. Daraux et David dans les airs
de l'oratorio proprement dit, ont surtout bénéficié
de ces bravos particulièrement flatteurs, dont
quelques-uns, probablement, remontaient, dans
l'intention du public, jusqu'à Bach. La sublimité
de cette œuvre, où s'associent dans une étrange et
grandiose architecture l'ancienne Passion liturgi-
que de l'Eglise catholique, avec sa récitation
dialoguée de l'Evangile et ses turbce, vivants
jusqu'au plus magnifique réalisme, — et la cantate
luthérienne, avec ses longues méditations pieuses
en forme d'airs symétriques, ornés, variés, accom-
pagnés en dialogues d'instruments, et ses chorals
amples et majestueux, — cette grandeur, cette
322
LE GUIDE MUSICAL
intensité de sentiment religieux qui débordent
chez Bach, « portaient » l'orchestre et le chœur
d'élèves. On sentait que tous, comme les y avait
invités leur maître et chef, M. d'Indy, dans un
petit ordre du jour inscrit au bas des affiches de
l'école, avaient « tenu à honneur » de bien faire.
Et presque tous y étaient pleinement arrivés.
M. Brenet.
— Au concert Colonne, même programme que le
dimanche précédent, c'est-à-dire nouvelle audition
de la Damnation de Faust, avec une seule différence
dans l'interprétation, M. Fournets au lieu de
M. Daraux; elle n'est d'ailleurs pas sans intérêt,
M. Fournets étant un des meilleurs interprètes du
personnage de Méphisto. Mlle Marcella Pregi fut,
comme d'habitude, une Marguerite de pénétrant et
noble style.
— Samedi S avril, MM. Lazare Lévy et Le-
jeune ont donné leui troisième séance de sonates
pour piano et violon. Au programme figuraient la
sonate en ré mineur de Schumann, la sonate en sol
de G. Lekeu et la sonate de A. Magnard. MM.
Lévy et Lejeune ont interprété ces œuvres avec
correction et sans excessive personnalité. La belle
sonate de Schumann, notamment, exige un art plus
profond des nuances et du style, aussi bien qu'une
finesse de touche dont les œuvres plus modernes
peuvent plus facilement se passer. Les deux jeu-
nes artistes ont été chaudement encouragés par un
public vraiment amateur. Ch. C.
— Les salons Pleyel, grands et petits, ne pou-
vaient contenir (cliché justifié) la foule d'amateurs
accourue pour entendre le concert donné, le 6 avril,
par M. Albert Geloso. Le quatuor qu'il a formé
avec MM. Blocb, Monteux et Tergis [alias Griset)
a sa réputation faite depuis trop longtemps pour
qu'il soit besoin de lui adresser de nouveaux élo-
ges. Ces artistes ont donc, suivant leur habitude,
interprété avec un grand sentiment, mieux, une
sorte de religion le beau quatuor à cordes et l'in-
comparable quintette de César Franck. Le con-
certo en mi majeur de Bach n'a pas été moins bien
exécuté par VI. A: Geloso et un orchestre à cor-
des d'une vingtaine de musiciens, dirigé par M.
Monteux.
Le public n'était pas venu seulement pour ap-
plaudir d'excellents virtuoses ; son empressement
était encore justifié par le désir et la curiosité d'en-
tendre une jeune cantatrice dont le nom est dou-
blement cher à l'art du bel canto, Mlle Nicot- Bil-
baut-Vauchelet. Qui ne se souvient de Nicot,
ce ténor exquis dans le Pré-aux-Clercs et dans tout
la répertoire de l'Opéra-Comique ? Et qui a pu
oublier Mme Bilbaut-Vauchelet, dont la grâce, la
distinction et le charme ont, pendant huit années,
de 1878 à 1886, procuré tant de jouissances artisti-
ques aux abonnés de la salle Favart? Nulle canta-
trice, depuis Mme Carvalho, n'a chanté avec cette
pureté de style et cette virtuosité vocale les Noces
de Figaro, Mireille, Micaëla de Carmen, la délicieuse
Suzanne, de Paladilhe, Béatrice et Bénédict, de Ber-
lioz, toutes les œuvres, toutes les musiques. Il n'est
pas surprenant que Mlle Nicot ait hérité des qualités
principales de ses parents. D'une voix étendue,
souple, égale, parfaitement posée, elle a dit le
grand air de la Comtesse (Noces de Figaro), la Séré-
nade de Schubert et l'air de Louise qui ouvre le troi-
sième acte. Ce n'est que la seconde fois, je crois,
qu'elle chante en public, et déjà elle sait imposer
son autorité. J'ignore si elle a l'intention d'entre-
prendre la carrière lyrique ; sans le désirer pour
elle, qui ne peut en soupçonner encore les dan-
gers, les luttes et les durs travaux, je le souhaite
pour nous, qui verrons se continuer en elle les
parfaites traditions du style et du goût.
Julien Torchet.
— La Société Haydn-Mozart-Beethoven a
donné sa quatrième séance le mercredi 12 avril, à la
salle Pleyel, avec le 78e quatuor de Haydn, la
sonate 14 de Beethoven et le grand quatuor i5 du
même, comme programme, et Mme Calliat,
MM. Calliat, Bittar, Le Métayer et Jullien comme
exécutants. C'était le dernier concert de cette inté-
ressante et zélée société d'artistes.
— A la salle Erard, le 5 avril, concert donné
par M. Garés, le premier prix de piano de 1902,
élève de M. Diémer, au jeu brillant et sûr.
M. Braud, le délicat et élégant pianiste, l'accom-
pagnait dans plusieurs morceaux. Au programme:
Le Carnaval de Vienne de Schumann, diverses
études et un scherzo de Chopin, une marche de
Schubert et, à deux, l'improvisation de Reinecke
sur une gavotte de Gluck et la Marche héroïque de
Saint-Saëns.
Deux jours après, dans la même salle, avait lieu
à son tour le concert de Mme Rey-Gaufiès, un
récital de piano dont cette artiste remarquable
faisait tous les frais : fantaisie et fugue de Bach,
pastorale variée de Mozart, pièce de Scarlatti,
sonate en sol mineur de Schumann, thème et varia-
tions de Chevillard, caprice en si mineur de
Brahms, études en fa mineur et majeur de
Chopin, etc.
LE GUÏDE MUSICAL
323
— La Société des Concerts des Instruments
anciens, présidée par M. C. Saint-Saëns et dirigée
par M. Périlhou, a donné le samedi 8 avril, à la
salle Pleyel, un concert dont voici le programme :
Concert, de Mozart, pour quinton, violes d'amour
et de gambe, contrebasse et clavecin; seconde
sonate de Borghi (1740) pour viole d'amour et
contrebasse; troisième symphonie de Bruni (1759),
pour les mêmes instruments que le concert de
Mozart; Musette de Campra (1660) et Air aimable
de Kirnberger (1721), pour clavecin, quinton et
viole de gambe ; ballet de Monteclair (1680) pour
tous les instruments. Comme exécutants, MM. H.
et M. Casadesus, Mme H. Casadesus, Mlle Delcourt
et M. Nanny. Nul doute que la séance n'ait eu le
plus grand succès ; mais comme, arrivé à l'heure
que portaient le programme et les billets, c'est-à-
dire 9 heures du soir, nous avons appris que le
concert avait eu lieu à 4 heures, il nous a été
impossible d'en savoir plus long.
»
— Les Chanteurs de Saint-Gervais, sous la
direction de leur chef, M. Charles Bordes, exécu-
teront a capella, en l'église de la Sorbonne, les
mercredi, jeudi et vendredi saints, les Ténèbres, un
chant grégorien avec répons des maîtres romains
du xvie siècle, selon les traditions de la Chapelle
Sixtine; des mottets de Palestrina, Jocquin des
Prés, etc., et le Stabat Mater à deux chœurs de
Palestrina. Le jour de Pâques, ils chanteront la
Messe du pape Marcel, de Palestrina, ©t d'antiques
antiennes.
— MM. Alfred Roth et Sven Kjellstrom ont
donné lundi leur première séance de musique
Scandinave. M. Kjellstrom, violoniste suédois, qui
remportait tout dernièrement un beau succès dans
l'exécution du concerto de Saint-Saëns à la Phil-
harmonique de Berlin, possède le jeu calme et
coloré qui convient à la musique de son pays. Il a
joué avec beaucoup de goût et de simplicité une
sonate de Stenhammer, jeune compositeur fort ap-
précié à Stockholm et dont le bagage en opéras et
en musique de chambre est déjà considérable et
trop peu connu en France ; puis une sonate de
Wiklund, auteur également jeune et intéressant.
Il a interprété avec sentiment la Ballade de Sinding,
une Berceuse de Lago et des Airs norvégiens de Hal-
vorsen.
M. Roth, pianiste délicat, de passage à Paris,
outre la partie de piano dans les deux sonates, a
exécuté des pièces jolies de Sjogren, deKjerulfet
de Grieg.
La cantatrice américaine M1Ie Minnie Tracey
donnait à cette intéressante soirée le concours de
sa belle et chaude voix ; elle a chanté d'un style
parfait une mélodie très passionnée de Lennart
Lundberg, Complainte, sur une poésie tirée des
Pécheurs d'Islande; puis, avec accompagnement
de harpe par Mlle Zielinska, deux charmantes
choses, Schilf rohr Sans le, de Sibelius, et Murmeln-
des Ltiftchen de Jensen.
Il faut féliciter ces artistes de leurs efforts, d'ail-
leurs couronnés de succès, pour nous faire connaî-
tre et apprécier des œuvres trop ignorées en
France. Ch. C.
— Peu de séances ont, cette saison, présenté
autant d'intérêt que le concert donné le 4 de ce
mois par MM. G. de Lausnoy et Henri Richet,
avec le concours de Mme Raunay.
Les deux jeunes maîtres apportent dans l'inter-
prétation des œuvres classiques un goût et un
style parfaits. Ils n'ont aucune recherche de l'etïet;
ils mettent l'œuvre en valeur sans cette virtuo-
sité indiscrète dont tant d'artistes abusent. C'est
ainsi que M. de Lausnay a joué la sonate op. 26
de Beethoven et M. Richet la suite n° 3 pour
violoncelle seul de J.-S. Bach, si difficile et, en
certains passages, un peu défavorable à la sonorité
de l'instrument. Dans les œuvres modernes, un
scherzo et une ballade de Chopin, des nocturnes
de Fauré et de Pierné, les intéressantes variations
symphoniques de Boëllmann ont été interprétés
d'une façon parfaite.
Une salle comble et très élégante a beaucoup
applaudi MM. de Lausnay et Richet. M*"3 Raunay
a eu son succès habituel et mérité en chantant
avec charme La Procession de Franck, la Chanson
de Printemps de Gounod et l'exquise Invitation au
voyage de Duparc. F. G.
— Un professeur avait l'habitude de dire à ses
élèves, quand ils se faisaient entendre en public :
« Inutile d'avoir peur, vos auditeurs, pour la plu-
part, ne comprenant rien à la valeur des œuvres
ni au mérite de l'interprète. » Cette remarque para-
doxale ne pouvait s'appliquer à l'assistance d'élite
réunie, le 6 avril, dans la salle des Quatuors
Pleyel, pour applaudir Mme Adèle Hirsch; mais je
me la suis rappelée en voyant l'aimable pianiste si
épeurée et si tremblante. Son effroi ne l'a pas
empêchée d'exécuter avec beaucoup de talent le
Prélude de Debussy, deux Pièces brèves de Fauré,
trois morceaux de Sporck, une berceuse de Chopin
et une rapsodie de Li=zt. Elle a mieux encore
$2+
LE GUIDE MUSlCAl
interprété la sonate en sol mineur de Haendel et les
Variations concertantes de Mendelssohn, sans doute
parce que le concours de M. Louis Fournier, vio-
loncelliste de style et d'autorité, lui donnait plus
d'assurance. Mme Fournier-de Noce, qui fut élève
de Mme Colonne, a montré sa belle voix dans la
Sérénade de Schubert, la Pastorale de Haydn, l'Invi-
tation au voyage de Duparc et la Cigale de H. de
Saussine, agréable mélodie avec accompagnement
de violoncelle qui m'a fait souvenir un peu de la
Bohême de Puccini. T.
— MM. Max Behrens et Maurice Darier, pro-
fesseurs au Conservatoire de Genève, ont donné
chez Pleyel, le 7 avril, leur deuxième et dernier
concert. Au programme, la sonate en fa de Mozart,
exécutée non sans grâce, et celle en ré de Haendel,
où la virtuosité du violoniste a été très applaudie
(peut-être fera-t-il bien de prendre le larghetto un
peu moins vite). Les vingt-quatre préludes pour
piano de Chopin risquent de perdre de leur
intérêt à être joués à la suite l'un de l'autre sans
interruption. Ces changements de rythme, de tona-
lité, de mode, de caractère, déroutent et fatiguent
l'oreille, soumise à de continuels soubresauts. Le
public n'a pas paru partager cet avis, puisqu'à
plusieurs reprises il a interrompu M. Behrens par
ses applaudissements. L'adagio en mi majeur de
Mozart et les Danses hongroises de Brahms termi-
naient brillamment ce remarquable concert. T.
— Pour n'avoir pas la valeur de nos claveci-
nistes et de nos organistes, les maîtres français du
violon au* xvnie siècle n'en ont pas moins jeté un
vif éclat et tiennent bien dans l'histoire de la mu-
sique leur place à côté de Corelli et de Tartini.
M. Debroux a voulu les tirer d'un injuste oubli.
Il apporte à cette tâche une conscience et un
talent dont il faut le remercier. Quant au style
avec lequel il exécute ces œuvres anciennes, c'est
la perfection même.
La troisième et dernière séance, du mercredi
5 avril, comprenait deux concertos de Leclair,
deux d'Aubert, une sonate de Francœur et une de
Senallié. Mme Brault-Staub tenait dans les con-
certos la partie de clavecin et l'accompagnateur
de l'Opéra, M. Catherine, dirigeait un petit orches-
tre à cordes. On ne peut nier que les concertos
aient vieilli. La partie d'orchestre est souvent
d'harmonie un peu faible. Mais il y a de la robus-
tesse et de la verve, surtout dans le cinquième
concerto de Leclair et dans celui en sol majeur
d'Aubert. Les sonates en sol mineur de Francœur
et en sol majeur de Senallié n'ont rien perdu de
leur intérêt et abondent en détails délicats. Cer-
tainement, nos artistes devraient revenir à ces
œuvres si françaises par la clarté et la bonne
humeur. Combien d'œuvres mordernes sont déjà
plus vieilles que celles de ces maîtres d'il y a cent
cinquante ans ! F. G.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Il n'est pas indispensable de s'apesantir sur la
reprise du Trouvère que vient de nous donner le
théâtre de la Monnaie. Ce n'est pas qu'on n'y ait
mis beaucoup de soin, et que les principaux inter-
prètes Mn,es Lafntte (Eléonore), Dhasty (Azucenaî,
MM. Lafntte (Manrique) et Albers (comte de Luna)
n'aient dépensé sans compter leur voix et leur
talent. Mais il n'y a plus à revenir sur ce maladroit
mélo, dont l'esthétique est vraiment trop secon-
daire et la valeur d'art trop mince pour que le
sentiment musical du public, singulièrement affiné
depuis un demi-siècle, puisse encore s'en acco-
moder. Quelle pauvreté de composition, quelle
brutalité vulgaire et tapageuse dans cette partition
toute en gros effets, où quelques pages seules
s'éclairent d'un reflet du génie. Chantons Miserere
et Reqniescat!
Le répertoire de la semaine comprenait, outre
cette reprise, Hamlet, Carmen, le Postillon de Lon-
jumeau, dont le succès est toujours remarquable,
et les Maîtres Chanteurs de Nuremberg, donnés
au bénéfice de la caisse de retraite des Artistes
belges.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, Faust; le
soir Manon; demain lundi, le Trouvère; mardi,
Werther; mercredi, Lohengrin avec Mme Litvinne
et M. Altchevsky ; jeudi et samedi, représentations
extraordinaires de VArlésienne de Daudet-Bizet,
avec le concours de Mme Favart, de MM. Albert
Lambert fils et Paul Mounet, de la Comédie fran-
çaise et de Mme Aimée Tessandier, de l'Odéon.
S.
— Bien intéressante séance donnée par l'excel-
lente cantatrice Mlle Julie Elias, avec le concours
dn pianiste Arthur Wilford,
Mlle Elias a fait preuve d'un talent très affermi,
d'un sens artistique très étendu en interprétant
des œuvres de l'école italienne classique.
LE GUIDE MUSICAL
325
Dans l'école romantique, elle a eu un beau
succès : son exécution des Lieder de Brahms et de
Dvorak était parfaite d'émotion et de sentiment,
notamment dans les Odes safihiques et Am Bâche.
Son interprétation des mélodies modernes est
fort expressive, et dans des œuvres de Fauré,
Hahn et Wilford, ainsi que dans une nouvelle
composition de M. Léon Delcroix, Rêve au crépus-
cule, d'une note très personnelle et d'une inspira-
tion délicate, elle a obtenu beaucoup de succès.
Quant à M. Wilford, c'est un pianiste au jeu
souple, à la sonorité belle et riche, à la technique
impeccable : son exécution d'œuvres de Grieg,
Schumann, Brahms, etc., lui a fourni l'occasion de
faire valoir son talent distingué. R. V.
— M. Arthur Van Dooren a donné dimanche
dernier un concert de piano à la Grande Harmonie,
avec orchestre dirigé par M. L. Van Dam. La
sonate op. 90 de Beethoven, le concerto en fa
majeur de J.-S. Bach, avec deux flûtes et orchestre,
les Variations sérieuses de Mendelssohn, le concerto
de Mozart (avec M1Ie Henriette Van Dooren), le
nocturne en fa dièse de Chopin, ont été rendus avec
cette correction qui est une des caractéristiques du
talent de M. Van Dooren et qui, en dépit d'une
certaine froideur, n'est pas toujours exempte de
charme musical. On a applaudi à la fin une taren-
telle de sa composition. R.
— La séance annuelle de M. Joseph Wieniawski
a été accueillie par de très vifs applaudissements.
Si l'on peut faire quelques réserves parfois sur
l'interprétation qu'il donne de certaines œuvres
musicales, et particulièrement de Schubert, de
Schumann et même de Liszt, il faut admirer sa
technique remarquable et surtout la mémoire
étonnante qui le sert avec tant de fidélité. S.
— Mercredi dernier, le récital Engel-Bathori a
obtenu un très vif succès avec des œuvres d'Ernest
Chausson et d'Emmanuel Chabrier. Rarement on
a mieux goûté le charme, bien différent pourtant,
l'inspiration élevée, le sens musical si subtil de
ces deux compositeurs. L'interprétation a été en
tous points excellente. R.
— Mme Blauwaert, le sympathique professeur de
piano, veuve de l'excellent musicien Emile Blau-
waert, a pris coutume de donner chaque année
une audition de quelques-unes de ses élèves.
C'était jeudi dernier, à la salle Erard, qu'elle avait
convié ses nombreux amis à juger du résidtat de
. son enseignement, tout en écoutant de la très
bonne musique. Beethoven, Schumann et César
Franck alternaient au programme, et l'honneur de
les présenter était confié aux mains d'interprètes
dont la féminine jeunesse n'excluait pas l'habileté
ni le sentiment.
Mme Blauwaert est beethovénienne ; elle aime
faire partager par ses élèves, jeunes ou formées, le
culte qu'elle a voué au maître. L'exécution des
fragments de concertos et de l'ouverture à'Egmont
valait surtout par le respect des intentions,
le goût mesuré de l'expression, l'absence de
pathos ou de sensiblerie. MlleS Edith Marcks,
Lucie Acker et Julia Desvachez ont paru par-
ticulièrement intéressantes, les deux dernières
spécialement, d'un talent plus « fait ». Ce n'est pas
que Mlles Storer et Havelaar et les jeunes MM.
Brunet et Storer n'aient pas mérité les applaudis-
sements par l'amusante crânerie avec laquelle ils
ont rythmé — à huit mains — : l'ouverture à'Eg-
mont. Mlle Desvachez a terminé la séance par l'exé-
cution du Prélude, Choral et Fugue de Franck.
Voici plus de douze ans que M. Théo Ysaye
jouait pour la première fois cette œuvre à Bruxel-
les, à une séance du Quatuor Marchot, dans la
salle du premier étage de la Bourse. Les meilleurs
musiciens la discutaient, lui reprochaient le man-
que prétendu d'opposition des trois parties, l'inco-
hérence de la fugue, l'imprécision du choral.
Depuis, cette noble composition s'est imposée ;
elle a pris sa place parmi les plus hautes dans la
littérature pianistique, et une jeune fille non pro-
fessionnelle n'hésite pas à l'aborder. Mlle Desva-
chez a bien exécuté le choral et la fugue. Elle
concevra plus profondément, plus tard, le prélude
et le finale. Dès à présent, ses intentions sont jus-
tes, encore que nous comprenions le prélude moins
précipité.
Cette séance substantielle a fait honneur à Mme
Blauwaert, en prouvant son goût musical et les
qualités de souplesse et de sentiment de soi pro-
fessorat. H. L.
— Il serait injuste de ne pas signaler l'effort
intéressant du Cercle d'Auditions musicales, qui
avait consacré son concert de lundi à Gluck et à
Schumann. La place nous manque pour parler
longuement de cette séance, mais il nous est
agréable d'en constater le succès.
— Voici le très intéressant programme du con-
cert qui se donnera le dimanche 3o avril au
Conservatoire, au profit de l'œuvre de 1' « Avenir
artistique », avec le concours de Mme Litvinne, de
MM. Dufranne, Lucien Capet et Reynaldo Hahn :
Sonate en fa, pour piano et violon de Beetoven,
526
LE GUIDE MUSICAL
M. Lucien Capet; Mélodies de Lauwereyns,
A. Somers et Delune, chantées par M. Dufranne;
Mélodies de M. Reynaldo Hahn, chantées par
Mme Litvinne; Romance en Ta, pour violon de
M. Reynaldo Hahn, M. Capet; Mélodies, tirées
du cycle Amour de Poète de Schumann, chantées
par Mme Litvinne, accompagnées par M. Reynaldo
Hahn; Mélodies de M. Reynaldo Hahn, chantées
par M. Dufranne, accompagnées par l'auteur;
Duo de Sigurd de E. Reyer, Mme Litvinne et
M. Dufranne.
— La distribution solennelle des prix décernés
aux élèves de l'Ecole de musique et de déclama-
tion d'Ixelles aura lieu le samedi 29 avril pro-
chain, à 8 heures du soir, dans la grande salle du
Musée communal d'Ixelles, rue Van Volsem.
Dans la première partie, audition d'œuvres
d'Henri Thiébaut, dont plusieurs en première
exécution; dans la deuxième partie, la. Conjuration
des Fleurs, de Bourgault-Ducoudray, sous la direc-
tion de l'auteur.
CORRESPONDANCES
BORDEAUX. — MM. Gillet, pianiste, et
Féline, violoniste, viennent de clore une sé-
rie d'auditions comprenant l'interprétation de
sonates de J.-S. Bach, Mozart, Beethoven, Schu-
mann, Fauré, Lalo, Franck, Saint-Saëns et Grieg.
Nous n'insisterons pas sur l'intérêt musical de cha-
cune de ces œuvres. Elles sont définitivement
classées, et leurs auteurs sont, à des titres divers,
admirés de tous. M. Féline est toujours le violo-
niste délicat et plein de charme dont nous avons
eu souvent l'occasion de parler. Quant à M. Gillet,
il joint à ses qualités de finesse et de distinction le
mérite de bien comprendre et de bien faire com-
prendre ce qu'il joue. Grâce à une étude conscien-
cieuse, approfondie des textes, il y a quelque
chose d'artistiquement intellectuel dans son jeu.
Sachant mettre en lumière ou laisser dans la pé-
nombre tel ou tel passage de l'œuvre qu'il inter-
prète, il possède à un très haut degré les qualités
indispensables pour la musique de chambre. Il
compte parmi les artistes les plus complets et les
mieux doués de notre ville. H. D.
DIJON. — Le Comité Rameau a donné ses
deux derniers concerts. L'un n'a été qu'une
audition fort intéressante de la Schola Cantorum.
Motets de Vittoria et de Nanini, mélopées grégo-
riennes, chansons populaires, ont été unanimement
goûtés. L'oratorio : Le Reniement de saint Pierre,
d'une envolée superbe, a été également très appré-
cié par les amateurs. Compliments aux solistes, et
particulièrement à Mlle de la Rouvière, ainsi qu'à
l'excellente pianiste Mlle Blanche Selva.
Au dernier concert, nous avons entendu le Qua-
tuor Parent, qui a interprété d'une façon que l'on
peut sans exagération qualifier de parfaite le qua-
tuor pour cordes de Schumann. Le quintette de
Franck a assurément moins charmé l'auditoire,
mais a été de même magistralement exécuté.
Le Quatuor vocal de Paris, qui prêtait égale-
ment son concours à cette fête artistique, s'est fait
applaudir dans différents chants à quatre voix qui,
soit dit en passant, n'ont nul besoin d'être dirigés
par M. Landormy. Le quatuor de Fidélio a été
principalement remarqué. Signalons encore l'ex-
cellent style de M. Noël Nansen, qui a chanté un
air d'iphigénie en Tauride, et constatons le succès
complet de M. Jan Reder dans trois Lieder de
Schubert.
Rien au théâtre, en dehors des opéras du réper-
toire, si ce n'est une représentation de Lohengtin,
à demi satisfaisante. A. D.
A HAYE. — Le dixième et dernier con-
J J cert de la société Diligentia, dirigé par
M. Richard Strauss, comprenait l'ouverture de
Don Juan de Mozart, la Sinfonia domestica, Tod und
Verkïàrung, six chants et Lieder de Richard Strauss,
hérissés de difficultés vocales, et admirablement
interprétés par Mme Strauss-de Ahna.
Mme Julia Culp a donné un Lieder Abend qui
restera un des plus grands succès de notre saison
musicale. La grande artiste a été acclamée avec
un enthousiasme indescriptible et elle a été admi-
rablement accompagnée par M. Coenraad Bos.
Nous avons eu samedi une nouvelle audition
du Choral mixte, dirigé par M. Arnold Spoel, avec
le même programme à peu près qu'à son dernier
concert populaire. Mlle Annie de Jong a été très
applaudie dans la Chaconne de Vitali, qu'elle a
rendue avec un beau sentiment musical, où elle
a triomphé vaillamment de toutes les difficultés et
où elle a accusé un grand progrès de style et
d'expression.
A l'avant-dernière matinée symphonique donnée
par M. Henri Viotta avec le Residentie Orkest,
c'est surtout la Symphonie pastorale de Beethoven
LE GUIDE MUSICAL
327
qui a eu les honneurs du concert. Mme Anna
Kappel, y a chanté avec cette perfection qui la
caractérise un air de l'oratorio Boniface de Nicolaï
et des Lieder de Schubert et de Liszt.
A Rotterdam, la Société pour l'encouragement
de l'art musical donnera pour son dernier con-
cert, sous la direction de M. Anton Verhey, la
Création de Haydn avec le concours de M. Mes-
schaert, du ténor Reinier, de Hambourg, et de
Mme Oldeboom. Ed. de H.
OSTENDE. — La distribution des prix de
l'Académie de musique, qui a eu lieu diman-
che 9 avril, avait revêtu cette année, une solennité
exceptionnelle, grâce à l'intérêt du concert dont
M. le directeur Rinskopf avait encadré cette céré-
monie.
Ce concert a débuté, de la façon la plus char-
mante, par l'ouverture de Cosi fan tutte de Mozart.
On a entendu ensuite le cinquième concerto de
Saint-Saëns. La soliste était Mlle Sarah Goffin, une
jeune pianiste couronnée au dernier concours
d'excellence. Mlle Goffin a fait preuve de sérieuses
qualités de mécanisme; possédant un beau tou-
cher, du rythme et le sentiment du phrasé, elle
s'est tirée tout à son honneur de la rude épreuve
que constitue l'interprétation du Concerto oriental.
Mais l'intérêt du concert résidait en majeure par-
tie dans l'exécution de l'oratorio Christ au Mont des
Oliviers, de Beethoven, en une traduction flamande
rythmée, fidèle et bien musicale, de M. Maurice
Sabbe. C'est une œuvre inégale, mais qui contient
des beautés de premier ordre. Tous les récitatifs
d'abord sont d'une élévation de sentiment, d'une
vérité d'expression rares. Quoi de plus douloureu-
sement expressif que le prélude symphonique, où
se dépeint l'angoisse du Christ dans l'attente du
supplice ?
Puis c'est le premier monologue de Jésus, si
prenant, quoique un peu théâtral, et l'air qui suit,
où il y a de si belles échappées vers l'espérance ;
citons encore la majesté des accords qui accompa-
gnent l'arrêt prononcé par le Séraphin, et tout ce
qui précède le duo;, ensuite, le contraste de douceur
et d'onction dont s'enveloppe la réponse de Jésus
aux tentatives de résistance de Petrus. Ce qui, à
notre avis, domine le tout, c'est le premier chœur
des anges, où, après l'imprécation contre « ceux
qui déshonorent le sang versé pour eux », s'ouvre
une éclaircie d'un indicible effet de douceur et
d'apaisement ; ce chœur chantant à demi-voix, sur
lequel se détachent les dessins arpégés de la flûte,
donne une impression à la fois lumineuse et suave,
et souverainement bienfaisante.
Toutes ces pages-là, Beethoven les eût certaine-
ment sauvées, lui qui plus tard ne faisait plus
guère de cas de son Christ au Mont des Oliviers.
Après ces passages où s'annonce le génie de celui
qui allait écrire l'Héroïque, Yut mineur, la neuvième
et la messe en ré, l'on peut faire bon marché des
italianismes et de certaines vulgarités et contre-
vérités esthétiques que l'oratorio renferme pas
ailleurs, et qui nuisent à sa tenue, à son unité de
caractère.
L'interprétation de l'œuvre beethovénienne
nécessite, il va de soi, un grand effort, avec ses
chœurs subdivisés en groupes, chœurs fugues, etc.
L'exécution en a été excellente, et les masses vo-
cales ont évolué avec ensemble et une grande sû-
reté dans les attaques.
Quant aux solistes, ils ont été tout à fait à la
hauteur de leur tâche ; Mme Jane Delmée a chanté
le rôle du Séraphin de sa voix délicieuse, souple
et très égale; comme vocalises, c'était parfait.
M. Willemot, professeur au Conservatoire de
Gand, a su donner du relief au rôle épisodique de
Petrus.
Un artiste ostendais, M. Georges Bulcke, avait
assumé le rôle périlleux et lourd de Jésus. Il y a
été excellent, et l'on sait que les récits qui forment
la majeure partie de ce rôle sont autrement diffi-
ciles à rendre que des airs à mélodie continue. Le
jeune ténor a su y mettre l'expression voulue et a
largement contribué au succès du concert.
L'on peut donc féliciter en bloc solistes, chœurs
et orchestre, sans oublier leur chef distingué, M.
Léon Rinskopf. Remercions M. le directeur de
l'Académie de la belle audition de dimanche ;
celle-ci aura, d'ailleurs, un lendemain, puisque
l'oratorio de Beethoven sera exécuté une seconde
fois au Kursaal, à Pâques. L. L.
&
ROUEN. — Le Théâtre des Arts nous a
donné cette semaine Grisélidis. L'œuvre de
M. Massenet a remporté un beau succès. Le
second acte a littéralement enlevé le public,
qui n'a ménagé ses applaudissements ni à l'en-
semble de la partition, ni à ses interprètes. Nous
citerons surtout parmi ces derniers M. Baer, de
! l'Opéra, dans le rôle du diable, MM. Grimaud
(le marquis) et Coronetty (Alain). M^ Melchis-
sédech s'est montrée comme toujours chanteuse
et comédienne hors de pair. Une bonne note à
Mlle Frédax, dans son rôle de charmante dia-
blesse.
Le nom de Raoul Pugno fait toujours salle
328
LE GUIDE MUSICAL
comble à Rouen. Aussi n'est-il pas besoin de dire
quel a pu être son succès au concert qu'il est
venu donner ces jours-ci dans notre ville. Son
triompbe n'a cessé de grandir pendant toute la
soirée, notamment avec la sonate en ut dièse
mineur de Beethoven, polonaise en mi bémol et
ballade en sol mineur de Chopin, le Carnaval de Vienne
de Schumann, des pièces de Grieg et de Pugno
lui-même. Mlle Marthe Doerken lui prêtait le con-
cours de son sympathique talent. Paul Petit.
NOUVELLES
La librairie Fischbacher, à Paris, met sous
presse l'ouvrage posthume de notre regretté colla-
borateur Hugues Imbert, sur Johann es Brahms, sa
vie et son œuvre, avec une préface très intéressante
de M. Edouard Schuré.
Nous recommandons vivement à nos lecteurs
cet important ouvrage, auquel ils pourront sous-
crire au moyen du bulletin que nous insérons dans
le présent numéro.
Le prix de ce volume sera augmenté dès la mise
en vente.
— M. Félix Weingartner dirigera, au mois
d'octobre prochain, le festival de Sheffield. Au
programme : Messie de Haendel ; la messe en si de
Bach ; le Requiem de Mozart ; la Damnation de Faust
de Berlioz ; le Paradis et la Péri de Schumann ;
Frithjoj de Max Bruch ; Ndnie de Brahms ; la Sym-
phonie héroique de Beethoven ; deux chœurs et la
symphonie en mi de Weingartner ; des œuvres de
sir Edward Elgar, Nicholen Gatty, Frédéric CJiffe.
— Un abonné de la Société philharmonique de
Vai'sovie, nommé Wessell, mort récemment, a
légué par testament à cette institution une somme
d'un million trois cent mille roubles. Voilà au
moins un dilettante dont l'affection est efficace.
— La ville d'Epernay ouvre un grand concours
international de musique pour les n et 12 juin,
sous la présidence de MM. Th. Dubois et Ch. Le-
nepveu, membres de l'Institut. Sont invités à y
prendre part : les orphéons, harmonies et fanfares,
chacune de ces divisions d'exécutants bénéficiant
de prix spéciaux dans chacune des épreuves.
Celles-ci consistent en lecture à vue d'un chœur
ou morceau inédit, puis d'un chœur ou morceau
imposé, enfin d'un nouveau chœur ou morceau
imposé, mais cette fois comme concours interna-
tional, après sélection entre les sociétés françaises
et étrangères primées dans les épreuves précé-
dentes.
— La date d'ouverture de l'Exposition de Liège
est si proche qu'il semble utile dès à présent de
dire comment a été réglé le prix d'abonnement.
Remarquons du reste que l'abonnement pris dès
ce jour donne droit à la visite des travaux en cours.
Pendant toute la durée de l'Exposition : Abonne-
ments ordinaires, 20 francs; actionnaires souscrip-
teurs. i5 francs; militaires de tous grades, tant en
activité de service qu'à la retraite, leur femme et
leurs enfants non mariés vivant sous le même toit,
10 francs; enfant en dessous de i5 ans, 10 francs.
Les dimanches et jours fériés : Les adultes, 10
francs ; enfants en dessous de i5 ans et bonnes
d'enfants, 5 francs.
Les mardis, jeudis et vendredis : Les adultes, 10
francs; enfants en dessous de i5 ans et bonnes
d'enfants, 5 francs.
Ajoutons qu'il faut envoyer au bureau de l'ex-
ploitation, à l'Exposition, avec le prix de l'abonne-
ment, une photographie format carte de visite sur
carton dur.
Enfin, on sait que le prix général de l'entrée à
l'Exposition de Liège sera de 1 franc.
ta nos et t>arpes
trarù
Brucelles : 6, rue ^Latérale
paris : me ou flfeall, 13
NECROLOGIE
Mme Emilie Merian-Genast vient de mourir à
Weimar, à l'âge de soixante-douze ans. Son grand-
père, son père et sa mère avaient appartenu à ce
même théâtre de Weimar, où elle obtint de grands
succès. Elle fut élève de Liszt, dont elle interpréta
plusieurs grandes œuvres, et forma à son tour
des artistes de grand mérite, parmi lesquels Cari
Scheidemantel. Elle avait vécu longtemps dans
l'intimité de Wagner, de Liszt, de Cornélius.
— Otto Dienel, directeur de musique à Berlin, est
décédé le 10 mars dernier. Berlin perd en lui un de
ses organistes les plus populaires. Les concerts
d'orgue qu'il dirigea avec tant de talent ont laissé
de lui un souvenir impérissable. Otto Dienel était né
le il janvier 1839, à Tiefenfurth (circonscription de
Bunzlau). Il était fils du chanteur Wilhelm Dienel.
Depuis 1869, il était organiste de l'église Sainte-
Marie.
LE GUIDE MUSICAL 329
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SOUS LA DIRECTION DE
FELIX WEINGARTNER
AVEC LE CONCOURS DE
Edouard Risler
Lucien Capet
i j/
uatuor Vocal d'Amsterdam
flme Alida Oldenboom = Lûtkemann, fllle Tilly Kcenen
Mrs Johan=J. Rogmans et Jan Sol
P^OG^flPJWE
Première Journée
Vendredi 5 Mai [à 3 h. du soir]
l,e Symphonie en ut majeur.
2e Symphonie en rè.
3e Symphonie (Eroica).
Deuxième Journée
MATINÉE
'Dimanche 7 Mai [à 2 h. 1\2]
4e Symphonie en si bémol.
Concerto pour violon et Orchestre.
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5e Symphonie en ?/£ mineur.
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Troisième Journée
Mercredi 10 Mai[à$h. du soir]
6e Symphonie [Pastorale).
Concerto en sol majeur
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7e Symphonie en la.
Quatrième Journée
Vendredi 12 Mai [à S h. du soir]
8e Symphonie en fa.
Ah! Perfide (Air).
Chanté par MHe Tilly KŒNEN,
9e Symphonie [avec chœurs).
Le QUA 1 UOR vocal d'Amsterdam.
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Fauteuils de galerie de face : 8 fr. ■ — Fauteuils de galerie de cô'é :
Stalles d'orchestre : 8 fr. — Promencir de rez-de-chaussée : 5 fr.
Promenoir de galerie : 3 fr.
6 fr.
i^me année. — Numéro if.
23 Avril igo5.
LA SONATE DE PIANO ET VIOLON
p
DE M. VINCENT d'INDY
(Suite et fin. — Voir le numéro i5 du g avril)
eu de mots suffisent à caractériser
le scherzo. L'origine du thème de
celui-ci :
Violon
ST^iflrSll k
a été expliquée. Notons que bientôt (p. 18, d. 1.),
II au violon vient s'associer à ce thème.
Le thème du trio, exposé par le piano seul,
est exquis ; on en remarquera le sentiment
quasi populaire :
Modéré e expressif.
VI
Bientôt (p. 22, 1. 1) le violon vient y super-
poser I.
Plus loin, par une sorte d'anticipation sur
l'effet terminal de l'œuvre, ce thème I est ex-
posé, en manière de choral, par le piano, sous
le thème VI qu'énonce le violon (p. 12, d. 1.).
Enfin, après la reprise du scherzo, de lents
rappels de I, au-dessus de ce même thème VI,
viennent précéder la conclusion.
Le troisième mouvement (très lent) est con-
struit à l'aide de deux thèmes, qui sont exposés
l'un après l'autre dès le début. Le premier, con-
fié d'abord au piano :
me paraît tirer son origine du prolongement du
premier thème principal que montre l'exemple
lier. Le deuxième, qui apparaît au violon, n'est
autre que III. Bientôt, au-dessus de VII se
présente un nouveau dessin :
.Violon
VÏÏI
qui, comme nous le verrons, joue un rôle dans
le finale. Puis le piano commence des arpèges,
qui préludent à un retour de I, en ut majeur,
largement énoncé par le violon au-dessus
d'un vaporeux accompagnement. Sur ce même
accompagnement, plus trouble encore, re-
paraît II (p. 32, 1. 3) au violon d'abord,
pour s'affirmer, immédiatement après, à la
332
LEGUIDB MUSICAL
basse. Le deuxième thème de Validante (III)
s'annonce d'abord, en syncopes, au violon
(p. 33, 1. i), puis éclate en larges accords au
piano, tandis que le violon en indique une imi-
tation en canon (1. 2). Un nouveau retour de II
(p. 33, 1. 1, violon), en mouvement accéléré,
précède la réapparition de VIII, encore une
fois au-dessus de VII. Ensuite, par un procédé
familier à l'auteur, I revient, formé des mêmes
notes qu'à l'origine (sol, la, mi), mais avec l'har-
monie de la tonique sol (majeur). Puis reparais-
sent les thèmes de Yandante, mêlés d'échos de
II; graduellement le mouvement se ralentit,
les sonorités s'éteignent. Comme dans le pre-
mier allegro, le thème initial (I) vient s'affirmer
doucement, au moment même de la conclusion.
Avant d'aborder l'examen du finale, qu'on me
permette une courte digression, à propos des
correspondances que la présente étude prétend
établir entre les thèmes de la sonate qui nous
occupe. Je sais bien que le critique a parfois une
propension à exagérer la pensée de l'auteur, ou
tout au moins ce qu'il se figure être cette pen-
sée; qu'il se laisse aller, de temps en temps, à
voir dans une œuvre une foule de choses que
l'auteur n'a point voulu y mettre (je ne dis pas :
que l'auteur n'y a point mises). Or, il me sem-
ble que c'est là chose non seulement inévitable,
mais aussi nécessaire. L'artiste m'apparaîtra
toujours comme une matrice en laquelle l'œu-
vre d'art naît, s'organise, se développe pour,
lorsqu'elle est complète, jaillir tout entière,
toute conditionnée. C'est dire que je crois fer-
mement que l'artiste ne gaspille jamais sa force
créatiice à combiner, entre les éléments de son
œuvre, les menues correspondances qu'y dé-
couvrira, apiès coup, l'observateur, ni à inven-
ter patiemment tous les détails que la critique
pourra se complaire à y relever; bien plus, je
crois que l'œuvre d'art est un tout dont tes
diverses parties, comme du reste les rapports
qui existent entre celles-ci, furent établies non
point en vertu de la volonté du producteur,
mais grâce à cette force inconsciente, à la fois
créatrice et organisatrice, qu'est le génie.
Toute œuvre- née d'un calcul, d'un effort
cérébral que ne corrobore point ce que nous
appelons l'inspiration (c'est-à-dire un don
inconscient d'intuition) est vaine et ne peut
vivre. Un artiste peut sembler, peut même être
avant tout un cérébral, non un intuitif. Mais si
une œuvre de cet artiste engendre l'émotion,
nous pouvons hardiment affirmer que cette
œuvre, outre tout ce que le producteur a voulu
y mettre, contient le fruit de cette élaboration
inconsciente sans laquelle il n'est point d'art,
mais qui, du reste, peut parfaitement donner
des résultats paraissant minutieusement calcu-
lés par la froide raison, parce qu'ils sont logi-
ques et nécessaires. II. n'en demeure pas moins
vrai qu'en fin de compte, il ont été produits en
dehors de la volonté de l'artiste, et en vertu
d'une force que celui-ci n'aide ni n'entrave.
Certes, je ne conçois point Richard Wagner
confectionnant la Tétralogie comme Hans de
Wolzogen la dissèque. Mais, étant donnée la
Tétralogie, je ne puis m'empêcher de consta-
ter l'existence des rapports, souvent minuscu-
les, que nous détaille le commentateur. Or,
comme chacun voit l'œuvre d'art non point
telle que la voulut l'artiste, mais telle qu'il la
créa — volontairement ou non, — il faut ana-
lyser cette œuvre sans tenir compte de ce que
l'artiste a voulu ou a su y mettre ou n'y point
mettre, tout simplement d'après ce qu'on y voit.
Aussi n'ai-je aucune hésitation à écrire que
le thème du finale me paraît être une formation
très complexe, dont le début rappelle le thème
de transition du premier allegro (III, deuxième
thème de Yandante) et où se dessinent ensuite
le thème initial (I) et le motif VIII émané de
Validante :
Très animé.
Violon
Cf. m cf.i
Cf. 11
Cf. VIII
Il semble que le procédé employé ici par
M. Vincent d'Indy découle de ces rappels de
motifs que César Franck plaçait volontiers au
début des derniers mouvements de ses œuvres,
et que ses disciples après lui ont pris coutume
d'adopter. Mais, pour être l'aboutissement
logique, la conséquence dernière de cette tradi-
tion franckiste, l'innovation n'en reste pas moins
LE GUID£ MUSICAL
333
incontestable et d'une haute portée. Au lieu de
l'évocation, panoramique pour ainsi dire, de ce
qui précède, ce qui vient se présenter au début
du finale, c'est un nouvel élément, synthétique
et un, dont l'unité a été réalisée avec le con-
cours de tous les éléments antérieurs et qui vit
de sa vie propre tout en participant à la vie
propre de ces autres éléments.
Après que la piano a repris ce thème, inter-
vient, au même instrument, une nouvelle
figure, de rythme caractéristique et franc, qui
confirme et accentue encore la fougue expri-
mée par le thème précédent :
Tf
-$* : — _ -js^-J
J~J J«W - ■ ■■
•)p
ano _ .
k>. :* ■
-tr t
' —
Bientôt le violon présente, au-dessus de X,
un dessin empreint d'une égale décision :
Le développement de ces nouveaux thèmes,
puis le retour (p. 42) de IX en ut majeur d'abord,
en ut mineur ensuite, et enfin (p 43, 1. 2) en si
majeur (harmonie de la dominante), préparent
la rentrée de I au violon (p. 44, 1. 1). Ensuite,
I se combine avec IX (p. 44.. d. 1.); puis IX au
piano est accompagné de X au violon (p. 45,
d. 1.). Api es ce développement, en la majeur,
IX revient encore, en ut, présenté par les deux
instruments en canon libre (p. 47, 1. 2). Suit
un développement de X où bientôt intervient
XI (p. 49, 1. 3, piano) et qui se poursuit jus-
qu'à un nouveau retour de I (p. 5i, 1 3). L'écho
affaibli de X persiste et prépare une dernière
explosion de I, présenté en manière de choral
par le piano, tandis que le violon serpente vive-
ment autour des solennels accords. Ce même
thème I en choral se combine à III (p. 53, 1. 2),
pour éclater enfin, joyeusement, en une der-
nière cadence où l'on observe, au violon, un
rappel de X.
On voit combien profonde est l'unité cycli-
que de l'œuvre, et l'importance des relations qui
.existent entre les divers thèmes ici notés. Mais
à la suite d'une analyse telle que la présente,
une question se pose : Quel intérêt peut offrir,
au juste, cette parenté réciproque des éléments
d'une œuvre, et surtout quelle importance
convient-il d'y attacher ?
Il en est de l'unité thématique comme du
leitmotif, comme de la musique à programme,
comme de la fugue : Alfred Ernst faisait obser-
vée qu'une partition bourrée de leitmotifs pou-
vait être inférieure au plus médiocre des opéras;
réciproquement, une œuvre « à programme »
peut être aussi musicale, aussi spontanée, aussi
émotionnelle que n'importe quelle musique
« pure », et une fugue peut contenir plus de
beauté mélodique que les inspirations les moins
sévères, par exemple, d'un faiseur d'opéras ita-
liens. De même, la forme cyclique, en elle-
même, ne comporte aucune garantie de supé-
riorité musicale. Au contraire, on a pu voir le
danger que, comme toutes les formes du reste,
elle peut offrir à quiconque prend les moyens
pour la fin et oublie qu'une inspiration doit
motiver la naissance de toute œuvre, cyclique
ou non. Peu importe l'ingéniosité des rouages
d'une machine qui n'agit point. Si l'analyse à
pu montrer, par exemple, dans le thème du
finale de la sonate de M. Vincent d'Indy, une
association d'éléments multiples, ce n'est pas
une raison suffisante pour que ce thème soit
beau. Mais c'est parce que ce thème est beau,
qu'il jaillit spontanément et procède librement,
que l'on aime à y voir comme le robuste reje-
ton des forces passées. De même, ce n'est pas
parce que la sonate tout entière est cyclique
qu'elle est belle, mais c'est parce qu'elle est
belle qu'il est intéressant de savoir comment la
vie circule dans ce puissant organisme, d'en
observer les diverses manifestations et d'en con-
naître le détail pour en mieux comprendre l'en-
semble. M.-D. Calvocoressi.
Errata. — Page 291, col. I, 1. 12, prière de
lire : jamais il n'a dévié — et non : il n'a rêvé.
Page 293, Exemple I : le la de la première
mesure est une noire et non une croche.
334
LE GUtDE MUSÏCAL
LA SEMAINE
PARIS
THEATRE SARAH BERNHARDT. —
Mme Sarah Bernhardt a eu l'idée originale, la
semaine dernière, de monter dans son théâtre,
pour quelques soirs, VEsther de Racine, telle que
nous nous figurons qu'elle fut resprésentée à
Saint-Cyr, en 1689, devant Louis XIV et sa cour,
c'est-à-dire tous les rôles d'hommes joués par des
femmes. Elle-même a pris celui d'Assuérus. Un
prologue, signé Jean Sardou, met en scène le grand
roi, Mme de Maintenon, divers personnages his-
toriques, pour la conversation desquels Mme de
Sévigné ou les souvenirs de l'époque ont naturelle-
ment été mis à contribution.
Il y aurait bien quelques petites observations à
faire sur la façon dont cette reconstitution a été
exécutée au point de vue dramatique et scénique ;
mais ne nous attachons qu'à la musique. La musi-
que seule n'a pas été rétablie, la musique de Mo-
reau, dont la partition, à la fois maigre et copieuse,
a été cependant rééditée dans les œuvres de Ra-
cine. Une partition nouvelle a été demandée à M.
Reynaldo Hahn, dont l'adresse pour ce genre de mu-
sique de scène et de fête est heureusement connue;
et de fait, le délicat musicien s'est tiré avec beau-
coup de bonheur de sa tâche. Peut-être en a-t-il
fait un peu long, eu égard à l'œuvre de Racine :
une vingtaine de morceaux, en somme. Mais la par-
tition de Moreau en comporte au moins autant, et
la tragédie les indique expressément. Il y a une
ouverture, quelques préludes, entrées et mélodra-
mes (pas beaucoup., heureusement, car avec des
vers comme ceux-là, c'est toujours trop), des
chœurs, des ensembles et des soli, récits ou frag-
ments mélodiques. On peut signaler surtout le pre-
mier ensemble « Déplorable Sion.. . » et le finale
de l'acte « Ce Dieu jaloux », qui a beaucoup de
mouvement. Puis, au second, la grande scène ou
les jeunes Israélites se communiquent leurs crain-
tes, et qui a de la variété et de l'accent. Enfin, au
troisième, les chœurs et les soli triomphaux, pleins
d'éclat et de couleur, qui marquent le tiiuin^'ie
d'Esther et la joie du peuple. Mmes Auguez de
Montalant et Brolhy chantaient les soli.
H. de C.
CONSERVATOIRE. — Très beau programme,
varié et attrayant, pour les deux derniers di-
manches de la Société des Concerts (9 et 16 avril).
Du reste, ce n'est pas à M. G. Marty qu'on pourra
faire le reproche de sacrifier les modernes, et spé-
cialement l'école française, aux anciens noms
étrangers. Ainsi, nous avons eu le plaisir d'entendre
ici la Peutliésilée de M. Alfred Bruneau, ce poème
symphonique avec chant (poésie de Catulle
Mendès) qui date des débuts du compositeur,
de 1888, mais qui a été exécuté depuis dans les
concerts. Très nourrie au point de vue de l'or-
chestre, très imagée au point de vue du drame
qu'elle veut représenter, cette page pittoresque
est surtout dominée par l'émotion du chant, de la
voix de soprano qui se précipite, vibre d'enthou-
siasme, puis succombe et meurt, comme la reine
des Amazones, volant en vain au secours de Troie
et roulant dans la mêlée.
La reine, ici, c'était Mme Litvinne, attraction
peu commune dans cette petite salle, où sa voix
sonna splendide. Comme autre première audition,
nous avons eu deux pièces pour voix et orchestre
de M. Gabriel Fauré : un madrigal à quatre voix,
d'une élégance raffinée (op. 35) et une pavané avec
chœur (op. 5o), aux sonorités instrumentales
extrêmement pittoreques et amusantes, un vrai
régal. La séance finissait par la symphonie en sol
mineur de Lalo, œuvre puissante et austère, à la
Schumann, où l'on sent la parenté avec les pages
d'orchestre du Roi d'Y s. Elle débutait par la pre-
mière symphonie de Beethoven, une perle de
toute pureté, une muse de toute grâce et de toute
charmante simplicité parmi les neuf. Enfin, Wagner
était représenté par le prélude de Tristan et Iseult,
soudé, selon l'usage, à la mort d'Iseult, que
Mme Litvinne rendit dans tout son beau caractère.
H. DE C.
SOCIETE NATIONALE DE MUSIQUE.—
Un phénomène, déjà vu d'ailleurs, m'a fortement
surpris samedi dernier à la Schola Cantorum
(329me concert de la Société nationale) : c'est la
débandade fatiguée du public qui semblait fuir,
épuisé, l'œuvre vraiment puissante et intéressante
de la soirée. Le beau quatuor de Witkowski a
produit l'effet d'une machine pneumatique. Ce phé-
nomène, assez explicable lorsqu'il se produit en un
public peu connaisseur, celui qui recherche et ne
peut trouver dans la musique qu'un amusement
pour l'oreille, est bizarre et navrant dans une réu-
nion de gens qui s'assemblent pour constituer une
avant- garde, répudier tout ce qui n'est point l'in-
tellect ualité, se piquent de comprendre toutes les
audaces modernes et de supporter les obscurités
philosophiques de la musicalité. Et ceci m'a paru
d'autant plus bizarre que les œuvres précédemment
présentées à un public certainement amateur et
LE GUIDE MUSICAL
335
éclairé n'étaient point d'une intensité telle qu'elles
dussent forcer la fatigue cérébrale. Si bien qu'il a
paru goûter le trio pour piano, violon et violon-
celle de M. de Castéra, composition sincère, mais
d'une ingéniosité relative, où l'auteur, obsédé par
un rythme presque unique, se dégage difficilement
d'une monotonie distinguée; il faut toutefois
reconnaître à cet ouvrage le mérite de la jeunesse
et de la clarté.
Quatre mélodies de M. De Wienawski ont réuni
bien des suffrages. Le Sommeil de Leïlàh, sur une
poésie de Leconte de Lisle, Chanson,s\\r des paroles
de Maeterlinck, eurent pour interprète Mme Jane
Bathori dont on connaît la facilité vocale. Joueuse
de tambourin et Chanson de Kamaralzaman furent
chantées avec beaucoup d'accent et de chaleur
par M. Engel. Ces romances présentent un charme
mélodique et une couleur incontestables; malgré
quelque recherche d'originalités amusantes et
vives, on ne peut s'empêcher de songer à Massenet,
dont quelques formules sont évoquées non sans
adresse et sans goût.
Il n'y a guère à dire des Chants d'Espagne de
M. Albeniz; cette suite pour piano, composée de
deux préludes, d'une orientale et d'une séguedille, a
été remarquablement traduite par Mlle B . Sel va , dont
le talent est si admirablement varié, et qui sait tou-
jours donner le caractère exact des choses qu'elle
interprète. Ces quatre pièces sont également bril-
lantes et très pianistiques.
Les Poèmes de la mer de M. Guillon, chantés par
Mnie Bathori, sont développés outre mesure ;
l'Océan, le Symbole des flots, l'Apothéose de la mer —
images grandioses, décrites et modulées sans ex-
cessive originalité — ont été écoutés avec le res-
pect et la majesté qui conviennent au sujet choisi
par l'auteur.
Lorsque est venu le tour du quatuor à cordes de
Witkowski, la salle était aux trois quarts vide.
Cette œuvre est cependant d'une ampleur de con-
ception, d'une variété de moyens remarquables;
la sonorité en est jolie d'un bout à l'autre et l'unité
parfaite. On pourrait critiquer quelque exagéra-
tion d'étendue dans le finale, que précède, en
forme d'introduction, un mouvement lent d'une
tenue grandiose et pleine de poésie. Le prélude
aussi, qui expose l'idée dominante, est d'une facture
saisissante; çà et là, sous les motifs rendus successi-
vement par l'alto et le violoncelle, murmurent des
dessins harmoniques d'un coloris charmant. Au
surplus, les rythmes et les développements sont
personnels et d'une belle élévation ; cet ouvrage
d'une délicatesse savante, qui fait le plus grand
honneur à l'auteur, est destiné à enrichir le réper-
toire moderne, assez restreint, des quatuors de mu-
sique de chambre. Il a été parfaitement exécuté
dans son ensemble et dans ses détails très marqués
par MM. Lejeune, Claveau, Lefranc et de Bruyn.
Ch. C.
<S/
SCHOLA CANTORUM. — Nous ne ferons
que mentionner la séance de musique de chambre
donnée à la Schola, le n, par M. d'Indy.
L'éminent compositeur est l'âme de la Schola,
il la dirige, il y professe, il y joue. Après le trio
A V archiduc, de Beethoven, par MM. d'Indy, Parent
et Revel, nous avons entendu (toujours avec
intérêt, car une œuvre de cette complexité exige
plusieurs auditions) la sonate pour piano et violon
de M. d'Indy.* Nous n'oserions ajouter à l'étude
qu'y consacre en ce moment même M. Calvoco-
ressi. Quant au Poème des montagnes, joué de façon
exquise au piano par Mlle Marthe Dron, c'est une
des pages les plus délicates de sonorités vaporeu-
ses et d'harmonies raffinées qui soient sorties de la
pensée du maître. Elle a eu son succès habituel.
F. G.
— Mme Adelina Patti vient de recevoir la croix
de la Légion d'honneur. Cette distinction est mé-
ritée, mais inique (dans le sens étymologique,
in œquus). Une autre cantatrice étrangère, non
moins célèbre qu'elle, Mme Krauss, n'a pas été
jugée digne de cette faveur. Mme Patti n'a jamais
rendu de services à l'art français ; merveilleux
instrument sonore, elle n'a été qu'une chanteuse
légère appropriée aux vocalises italiennes; dans
toute sa carrière, elle a créé un seul ouvrage, à
Londres, la Velléda, de M. Lenepveu. En re-
vanche, Mme Krauss, une des rares artistes qui
ont, sur notre scène de l'Opéra, donné la sensa-
tion et le frisson du beau absolu, a créé Polyeucte,
le Tribut de Zamora, Henri VIII, Patrie, et grande-
ment honoré et glorifié la musique française.
Il est bien de décorer les artistes étrangers, il
est mieux de décorer les nôtres. Jamais on ne
comprendra que le gouvernement français n'ait
pas pensé à donner la croix à Mme Pauline Viardot,
une des plus illustres cantatrices du xixe siècle,
née en 1821 en plein Paris, celle dont Alfred de
Musset saluait en 1841 la gloire naissante, qui a
créé, en 1849, le rôle de Fidès dans le Prophète,
puis Sdpho, de Gounod. celle enfin qui a laissé
d'inoubliables souvenirs dans Orphée, Alcesle, et
qui a chanté pour la première fois la touchante
Marie-Mas'deleine de Massenet.
336
LE GUIDE MUSICAL
Si le ministre des beaux-arts ne se rappelle pas
le nom de Mme Viardot, il ne peut ignorer celui de
Mme Rose Caron, la créatrice admirable de
Sigurd, de Salammbô, de Djelma, de Jocelyn, œuvres
françaises, de la Walkyrie, d'Othello, cette noble
muse qui excitait hier encore tant d'émotion à
l'Opéra-Comique dans la nouvelle reprise d'Orphée.
On félicite M. Dujardin-Beaumetz d'avoir osé
offrir, pour la première fois, le ruban rouge à une
cantatrice, et choisi Mme Patti. Ah ! que son geste
eût été plus élégant si, auparavant, il en eût orné
le corsage de Mme Viardot, de Mme Krauss et de
Mme Rose Caron ! Julien Torchet.
— Les deux concerts^donnés^au Nouveau Théâ-
tre, les ii et 14 avril, par M. Jacques Thibaud,
avec le concours de M. Raoul Pugno (ou par
M. Pugno, avec le concours de M. Jacques Thi-
baud), ont obtenu un succès éclatant. La première
séance était réservée à l'exécution de trois sonates
de Beethoven : en fa majeur (le Printemps), en ut
mineur, dédiée à l'empereur Alexandre, et enfin
celle qui porte le nom de Kreutzer. S'il m'était
permis de choisir dans l'excellent, je dirais que
l'interprétation de la sonate « le Printemps » m'a
paru tout à fait supérieure ; il y a une telle grâce,
une telle fraîcheur dans ce chef-d'œuvre, que le
talent de M. Thibaud devait en traduire nécessai-
rement le charme et l'expression : on lui a bissé le
scherzo, cette perle fine. La Sonate à Kreutzer lui
a valu un triomphe semblable, ainsi que celle en
ut mineur. Pour cette dernière, j'aurais désiré un
peu moins d'élégance et un peu plus de profon-
deur dans le sentiment. Celte réserve, je me serais
gardé de la faire pour tout autre que M. Thibaud :
une légère imperfection constatée chez un pareil
artiste serait encore une qualité de premier ordre
pour la plupart des virtuoses consacrés.
A la seconde séance, on a beaucoup applaudi
M. Gérardy, dont le large style et le beau son ont
fait merveille dans la sonate pour piano et violon-
celle de Grieg, bien qu'une corde défectueuse ait,
avec persistance, produit le bruissement de la soie
frôlée. La sonate de Franck et son quintette (dont
les cordes jouent trop souvent à l'unisson ou à
l'octave) ont été exécutés de façon admirable par
MM. Pugno, Mitaud, de Kresz, Monteux et Gé-
rardy.
De M. Raoul Pugno, je n'ai pas encore dit un
mot. Il a été le cœur et l'âme de ces deux belles
séances ; il me semble aussi qu'il en a été comme
l'orchestre et le chef, puisque d'un simple Pleyel
il tira des sonorités orchestrales d'une fluidité, d'une
douceur et d'une puissance extraordinaires, et que,
par l'autorité de son immense talent, il impose
aux artistes qui concourent avec lui les mouve-
ments, les nuances, le style et l'émotion.
Julien Torchet.
— M. Armand Parent vient de clore la série des
séances qu'il a, cette année, consacrées aux mo-
dernes, par une séance tout particulièrement heu-
reuse. Entre deux quintettes, l'un de Svendsen et
l'autre de Mozart, il a fait entendre la sonate de
M. Vincent d'Indy pour piano et violon.
M. Armand Parent et son quatuor d'archets
annoncent pour la saison prochaine un ensemble
de concerts qui va séduire les amateurs de mu-
sique de chambre. Cet ensemble est même si vaste
qu'une saison ne suffira pas. Il s'agirait de donner
intégralement toute la musique de chambre de
Beethoven : quatuors, quintettes, trios, sonates
(piano ou piano et violon, piano et violoncelle),
sans oublier la musique de chambre vocale Les
modernes, pour cela, ne seraient pas négligés :
sur les douze séances de chaque hiver, huit seraient
consacrées à Beethoven, et les quatre autres aux
modernes.
—M. Ricardo Vinès, avec son succès accoutumé,
a donné son quatrième récital d'œuvres du clavier ;
il vient aussi de clore cette rapide et saisissante
histoire qu'il a entreprise cet hiver. A la dernière
séance, Ernest Chausson, Vincent d'Indy, Sama-
zeuilh, Février, Léon Moreau, Rhené-Baton,
Gabriel Pierné, Claude Debussy, Déodat de
Séverac, Maurice Ravel Il y avait aussi Prélude,
Choral et Fugue de César Franck et la Bourrée fan-
tasque de Chabrier. Les musiciens naissent chacun
sous une étoile.
Mais Gabriel Fauré, par son Thème et Variations
(délicieusement interprété par Ricardo Vinès), a
prouvé une fois de plus qu'une « secrète in-
fluence » le faisait à jamais proche parent de
Schumann et Mozart... Longo intervallo, me dira-t-
on, sed proximus Et je dirai : « Pensez moins au
longo intervallo et pensez davantage au proximus. »
Adolphe B.
— A part quelques fragments d'Henri Schùtz
trop rarement exécutés à la Schola, nous ignorons
les musiciens allemands du xvne siècle. Les noms
de J.-W. Franck, Scheiffelhut, Kelz, Fischer, etc.
— pour n'en nommer que quelques-uns — sont à
peine connus des érudits. J.-S. Bach est enfin
glorifié du grand public. Mais il ne faudrait pas
oublier ses précurseurs. La musique a tenu une
place importante dans le mouvement des esprits en
L3 GUIDE MUSICAL
337
Allemagne après la Réforme. Malgré la guerre de
Trente Ans, malgré les rigueurs du piétisme, une
école se constitue dès le début du siècle. Les
maîtres de Venise et de Florence ont des élèves
dans toutes les classes de la société. Un peu plus
tard, on joue des opéras allemands dans les
grandes villes. Dès 164.0, nous trouvons, dans de
petits centres, des « Collegia musica », sociétés
d'amateurs se réunissant à jour fixe pour faire ou
entendre de la musique vocale et de la musique de
chambre.
M. Pirro, l'érudit professeur de la Schola, a
parlé la semaine dernière, à l'Ecole des Hautes
Etudes sociales, de ces « Collegia musica », appor-
tant ainsi sa contribution à l'enseignement de l'his-
toire de la musique, que M. Romain Rolland dirige
— et qu'il développera l'an prochain, nous voulons
l'espérer, car en dehors du cours de M. Bourgault-
Ducoudray au Conservatoire, il y a trop peu de
chose à Paris dans cet ordre d'idées.
Le Quatuor Luquin, M. Reder et IVllle Babaïan
ont exécuté quelques œuvres jusqu'ici inconnues
en France, scolastiques de forme, surtout la mu-
sique instrumentale, mais souvent expressives
(JEneas, opéra de J. W. Franck, joué à Hambourg
en 1680) et quelquefois même d'une solide et plan-
tureuse gaîté, comme les Polnische L ackpfeifen de
Schonelzer, où des airs de musette alternent avec
le chant liturgique du Te Deum. F. Guérillot.
--Se rencontre-t-il un musicien qui connaisse
seulement la moitié de l'œuvre du grand Bach? Je
n'ose le croire. Ce maître prodigieux a laissé tant
de compositions, qu'à les étudier, même superficiel-
lement, on consacrerait plus de temps qu'il n'en a
mis pour les écrire. C'est pour arriver à la diffu-
sion de ses ouvrages principaux qu'il se fonde de
toutes parts des sociétés qui portent son nom. Une
des plus remarquables est celle que dirige M. Gus-
tave Bret. Le 12 avril, à la salle de la rue de
Trévise, si bien aménagée pour la consécration de
la musique austère, Mlle Blanche Selva et M. Alfred
Cortot ont interprété les deux concertos à deux
pianos en ut mineur et majeur, accompagnés par
un petit orchestre à cordes. Le premier a été
écouté avec plus de plaisir que le second, peut-
être parce qu'il a paru plus varié de rythme et
d'une fantaisie plus libre, peut-être aussi parce que
le concerto en ut majeur était joué en fin de séance
et qu'on était un peu las d'une longue attention
soutenue.
Entre ces deux œuvres, deux cantates bien
connues, la Sacrée et la Profane, ont obtenu le plus
légitime succès, la première surtout, à cause de sa
grandiose et majestueuse allure et en même temps
pour sa grâce, car la grâce des forts est incompa-
rable.Les solistes, MM. Jan Reder et Paul Gibert,
ont convenablement chanté ; Mme Maria Gay,
superbe dans sa robe rouge, a montré sa belle voix
de contralto, et Mme Maurice Gallet son aimable
talent de cantatrice mondaine. T.
— L'excellent violoncelliste M. Maxime Tho-
mas donne chez lui, rue Alboni, des matinées mu-
sicales privées qui sont suivies avec une vive
curiosité par le public de ses nombreux invités. Je
voudrais spécialement signaler ici celle qui fut
donnée le i3 avril (la trente-sixième de ces mati-
nées), car elle était entièrement consacrée à des
œuvres que nous ne connaissons guère àParis, celles
de M. Alexandre Luigini, l'éminent directeur de la
musique de l'Opéra-Comique. Un choix piquant et
heureux, une exécution parfaite, due surtout à des
artistes de l'Opéra-Comique et qui montrait de
quelle sympathie admirative ils entourent le maî-
tre, rendaient cette séance des plus attrayantes.
Le côté austère de la musique de chambre était
représenté par un quatuor à cordes (n° 3) que j'ai
peut-être plus goûté qu'aucun autre morceau,
pour sa ferme et souple écriture, ses mélodies
harmoni uses et claires, — • qualité d'ailleurs parti-
culière au compositeur. Puis ce furent deux pe-
tites pièces de piano, une autre pour violon, d'une
très intéressante élégance. Puis, dans le genre pit-
toresque et orchestral, de vraies curiosités : un
Andante et une Aubade pour trois flûtes, hautbois,
deux clarinettes, basson, cor et harpe ; une Séré-
nade romantique pour piano, flûte, violon, violon-
celle et orgue ; enfin, le Ballet égyptien pour orches-
tre, qu'on a vu souvent sur les programmes. Le
chant, bien entendu, était aussi représenté : une
originale chanson bohémienne, Zingara, fut chan-
tée avec force et élan par Mlle Margyl, qui mit en-
core sa belle voix de mezzo au service d'une
Invocation ou « rêverie mystique » avec accompa-
gnement de chœur et d'orchestre; et Mme Gyonie
a dit avec une virtuosité impeccable la difficile
Guitarina que l'auteur nous donne comme « souve-
nir d'Espagne », et avec émotion un air de Magïia,
opéra inédit, d'un très beau style. Je n'ai pas
nommé les principaux instrumentistes : c'était, au
piano, Mme Stiévenard, aux doigts fermes et déli-
cats ; c'étaient le violoniste Gaston Lavello, d'un
archet très souple, M. Fleury, flûtiste, MM. San-
dre, Vidrix, Bonnal... et bien d'autres, autour de
M.. M; Thomas. . H. de C.
338
LE GUIDE MUSICAL
— La saison finie, ou presque, le Châteiet a
encore rouvert ses portes aux concerts de l'admi-
rable violoniste Jan Kubelik, avec l'orchestre et
sous la direction de M. Ed. Colonne. Ce jeune
artiste, si simple d'allure et si puissant de jeu, a
retrouvé, et au delà, l'enthousiasme qu'il avait
excité à Paris dans ses précédentes auditions.
J'apprécie surtout chez lui la nette et impeccable
vigueur de l'archet, jusque dans les effets de dou-
ceur (qui sont infiniment délicats sous ses doigts),
la pureté et la belle tenue du phrasé, le style et le
goût dont il fait preuve dans les pages classiques,
comme le concerto de Beethoven, qui fut son pre-
mier morceau au concert du samedi i5 avril. Je suis
moins touché du point d'orgue, et des difficultés
vaincues dont l'artiste sort en se jouant; mais
quelle exquise rentrée dans le Beethoven, dont il est
trop longtemps sorti à mon gré ! Quel velouté dans
le chant à découvert ! Pour la virtuosité pure, la
verve de Jan Kubelik est assez connue pour qu'il
soit inutile d'insister; mais elle ravit toujours par
cette pureté parfaite dans la fantaisie la plus fan-
tastique en apparence, dans la verve la plus pitto-
resque. Ce fut le concerto en ut majeur de
Paganini, les Zigeunerweisen de Sarasate; ce fut
aussi un prélude de Bach, une polonaise de Wie-
niawski, la Ronde des lutins de Bazzini, tous mor-
ceaux qui n'étaient pas au programme et que la
complaisance de l'artiste a accordés aux ovations
si sympathiques du public. Mlle Marie-Louise
Ritter a joué sur le piano, comme intermède,
quelques pages de Bach, Hsendel, Chopin, et a eu
sa juste part d'applaudissements. H. de C.
*
— Le premier concert donné par le jeune violo-
niste Mischa Elman, dans la salle de la rue
d'Athènes, avait été précédé et suivi d'une telle
fanfare d'éloges, claironnés avec tant de fracas par
les grands quotidiens, que les dons prodigieux de
ce virtuose minuscule nous laissaient tout d'abord
un peu sceptique sur la qualité vraiment artistique
de son talent. Il faut cependant reconnaître, après
son second concert, que Mischa Elman est, dès
maintenant, un exécutant extraordinaire et que ce
petit garçon possède déjà une âme de grand
artiste. D'un archet souple et puissant, il inter-
préta avec pureté, avec émotion, avec largeur, le
concerto de Mendelssohn et la Çhaconne de Bach; et
quant aux morceaux de pure virtuosité, tels que la
Ronde des lutins de Bazzini, ils lui permirent, sans
exagération, de déployer la plus voltigeante et
gracieuse vélocité. Le public, nombreux et enthou-
siaste, lui a fait les plus chaleureuses ovations.
Un troisième concert a eu lieu mardi dernier,
presque avec le même programme que Jan Kubelik
le même jour; nous en parlerons dimanche pro-
chain. G. R.
— Comme tant de virtuoses qui sont loin de
les valoir, Mlle Boutet de Monvel et M. Paul
Viardot auraient pu donner chacun un récital de
violon. Ils ont préféré, en véritables artistes et
parfaits musiciens qu'ils sont, se réunir et faire
entendre de belles oeuvres concertantes. La sonate
en ré mineur de Schumann a été exécutée par les
deux partenaires avec une fermeté de style qui ne
peut être surpassée; Y allegro presto surtout a été
triomphalement enlevé, sans mièvrerie dans la légè-
reté, sans altération dans les mouvements. Avec
M. L. Castel, un des meilleurs élèves de M. Vuil-
lermoz, ils ont interprété le très beau trio si peu
connu, de Brahms, pour piano, violon et cor {Y ada-
gio est d'une émotion poignante), et le quintette de
Franck, qu'on a bien entendu, sans en être lassé,
une dizaine de fois cet hiver. Quatre mélodies de
M. Levadé, chantées par Mme Aslruc-Doria avec
beaucoup de sentiment, ont été très chaleureu-
sement applaudies. La réputation solidement
assise de Mlle Boutet de Monvel et de M. Paul
Viardot dispense la critique d'ajouter de nouveaux
éloges à ceux qu'ils méritent à tant d'égards;
pourtant, je me permettrai d'insister sur la qualité
essentielle par laquelle ils se distinguent et qu'on
n'a peut-être pas suffisamment fait ressortir :
élevés dans les sévères traditions de l'art, ils ont
gardé le style pur, le style classique, celui où
il faut toujours revenir. T.
— Mlle Germaine Schnitzer, élève de Pugno,
a obtenu au Conservatoire le premier prix de
piano en igoi, à l'âge de quatorze ans et, tout
récemment, en Allemagne le prix de l'Etat. Elle
est déjà une virtuose complète; nous avons eu la
joie de le constater au concert qu'elle a donné,
le i3 avril, à la salle Pleyel. Artiste de tempéra-
ment, chaleureuse, pleine de fougue, elle a exécuté
la sonate dite Appassionata de Beethoven, une polo-
naise et des études de Chopin, une paraphrase de
Liszt sur. une Méditation de Lamartine, une pièce
de Sauer et deux morceaux de Schubert, Marche
militaire et air de ballet de Rosemonde, avec une
bravoure, une sûreté et un éclat surprenants de la
part d'une toute jeune fille. Son jeu passionné
's'est communiqué au public et, après chaque
morceau, elle a été l'objet d'ovations sans fin.
La séance s'est terminée par l'interprétation du
LE GUIDE MUSICAL
33g
Concertstûck de Raoul Pugno, composition que
nous avions déjà applaudie en 1900 au concert
officiel du Trocadéro, lorsqu'elle fut exécutée par
l'orchestre du Conservatoire. Cette fois, nous
l'avons entendue arrangée pour deux pianos. Avec
l'interprétation de l'auteur et de l'élève, on n'a
pas trop senti la privation de la couleur orches-
trale. Cette œuvre est bâtie sur trois notes (50/, mi,
fa dièse) ; exposées d'abord à découvert tantôt par
un piano, tantôt par deux, elles se cachent ensuite
dans les fines harmonies dont le compositeur les
a revêtues, pour réapparaître lentes et plaintives,
puis vives et joyeuses; en chemin, ces trois notes
initiales ont attiré à soi d'autres thèmes fragmen-
taires, lesquels, en se soudant et faisant corps
avec elles, forment bientôt un monument d'archi-
tecture musicale solidement construit et merveil-
leusement ouvragé. Cette œuvre, très curieuse,
a été accueillie avec enthousiasme. T.
— Nous avons plusieurs fois déjà signalé les
séances des sonates de M. et Mme F: Loiseau à la
petite salle Erard, l'art charmant de l'exécution et
le goût qui a présidé à la composition des program-
mes. La troisième a eu lieu lundi dernier 17 avril,
avec trois œuvres de notre école française mo-
derne extrêmement intéressantes, soit par elles-
mêmes, soit dans leur rapprochement et leurs
points de comparaison : l'une de M. Gabriel
Pierné, l'autre de M. Vincent d'Indy, la troisième
de César Franck. De chaleureux applaudissements
ont couronné cette dernière série du petit cycle de
sonates pour piano et violon organisé par les
deux éminents artistes et qui sera sans doute suivi
d'autres.
— Le concert de Mme Wurmser-Delcourt, donné
à la salle Pleyel le 12 avril, avait de quoi satisfaire
tous les goûts. Les œuvres portées au programme
n'étaient point austères, et les auditeurs, la soirée
finie, ont pu sans mentir déclarer qu'elle avait été
charmante d'un bout à l'autre. Elle a été le triom-
phe de la harpe chromatique et celui de la déli-
cieuse artiste qui en sait tirer des effets si nou-
veaux et si imprévus. Parmi les morceaux qui ont
été le plus applaudis, je citerai Courante, de Hsen-
del, une berceuse toute jolie de Lucien Wurmser,
la Fileuse de Godard, et la chanson de Gniïïot Mar-
tin, arrangée par Périlhou, un grand petit maître
qui fait siennes les idées des autres, tant il y
ajoute de grâce par les fleurs de ses harmonies, un
véritable inventeur dans l'art de l'ornement. Tour
à tour se sont fait entendre : M. Bleuzet dans deux
pièces pour hautbois, de Wurmser (Y Idylle rappelle
un peu la manière de Godard) ; M. Baretti, dont
l'archet vainqueur a séduit les âmes féminines ;
M. Vuillermoz, qui joue du cor, instrument moins
suggestif que le violoncelle, mais qui a exécuté en
virtuose sûr de son métier une romance de Marcel
Rousseau; enfin, M. Gustave Borde, un baryton de
salon irrésistible. T.
— La séance de piano que miss Adela Verne a
donnée salle Erard, le 11 de ce mois, a prouvé
que cette artiste est non seulement une. virtuose,
mais une véritable interprète des maîtres. On ne
peut jouer d'une manière plus personnelle les char-
mantes Waldscenen de Schumann et la grande so-
nate op. 35 de Chopin. Ce sont là des œuvres
bien souvent entendues, mais d'autant plus inté-
ressante au point de vue de l'exécution, et miss
Adela Verne n'a pas à redouter une comparaison
avec tous les grands artistes qui les ont fait en-
tendre. Le reste du programme a eu un égal suc-
cès. F. G.
— M. Decreus a donné, le i3, un intéressant
récital de piano, dont le morceau principal était
les célèbres variations de Liszt sur un motif de
Bach. L'artiste l'a rendu avec une grande netteté
et un excellent style. Les autres numéros du pro-
gramme (pièces de Chopin, de Borodine, de Pa-
derewski, de Liszt, etc.) nécessitent de l'exécutant
un mécanisme parfait et de la variété dans l'in-
terprétation. M. Camille Decreus a toutes ces qua-
lités, et nous nous sommes associé au vif succès
qu'il a obtenu de son auditoire. F. G.
— La Société de musique de chambre pour in-
struments à vent (fondation Paul Taffanel) a clô-
turé, le i3 avril, la série de ses concerts. Je
n'affirmerai pas que cette dernière séance ait été la
plus intéressante, je ne dirai pas non plus qu'elle
ait été la moins bonne. Ce dont je suis sûr, c'est
que jamais la Société n'a atteint une telle perfec-
tion dans l'exécution d'œuvres aussi difficultueuses.
Il ne s'agit pas ici de la sonate en mi majeur pour
piano et flûte, de Bach, que le vieux maître eût
écoutée avec, ravissement et stupéfaction si, en son
temps, il eût pu exister un Philippe Gaubert; non
plus de la Fantaisie-Stiiche pour piano et clarinette,
de Schumann, parce qu'on sait qu'on ne dépasse
pas M. Mimart pour l'ampleur du style et la beauté
du son, Mais quelle réunion d'artistes autres que
ceux que je viens de nommsr, joints à MM. Bleu-
zet, Lebailly, Pénable, Vuillermoz, Letellier et
Jacot, avec le concours de M. Diémer, qui voulait
bien les accompagner au piano, quelle société,
dis-je, eût exécuté avec cette aisance, cette sou-
340
LE GUIDE MUSICAL
plesse et cette liberté dans le jeu des œuvres
comme la Danse suédoise et le rondo de YOcteito de
Gouvy, comme le tout aimable sextuor de Diémer,
où les instruments se repassent les traits avec une
si élégante prestesse, comme, enfin, le très beau
quintette de Klughardt, dont Y adagio est d'un
style si élevé et le finale d'une si éblouissante fan-
taisie ? T.
— Deux mots joliment dits par M. de Mont-
morand sur les compositions de M. de Fontenailles,
une heure de musique passée en compagnie de
M. Engel et de Mnie Bathori — voilà du temps
agréablement utilisé, — le i5 avril, à la salle des
Mathurins. Quoi qu'en ait dit le subtil orateur,
M. de Fontenailles chante la tendresse bien plus
que l'amour; ses mélodies bleu d'azur ou gris-
perle sont à peine un épithalame, presque un
hymne de fiançailles, rarement un cri de passion;
et ces charmantes grisailles du sentiment ont fait
un vif plaisir à l'assistance aristocratique venue
pour les applaudir. Les mélodies qui ont été le
mieux goûtées sont : Roses d'hiver, Tout doucement,
'Nivôse, Deux Cœurs, ainsi qu'une barcarolle exécutée
par le violoncelliste Bazelaire, qui a le style
simple, c'est-à-dire excellent. T.
— L'audition d'élèves donnée le 14 avril par
Mme Mockel, aux salons de la Chanterie, rue
Fourcroy, a prouvé une fois de plus la beauté de
la méthode de l'excellent professeur. Plusieurs des
jeunes cantatrices qu'il nous a été donné d'enten-
dre offrent déjà plus que des espérances, et pour-
raient sans danger se produire devant un public
moins spécial. Nous ne citerons aucun nom, le
programme n'en indiquant aucun, mais nous n'en
avons pas moins été frappé de la belle tenue artis-
tique qui présidait à l'exécution d'un programme
dont l'éclectisme allait de Rossini à Rimsky-
Korsakow, et qui, par suite, présentait un échantil-
lon de toutes les écoles et de tous les styles. Par-
tout, nous avons retrouvé le goût sûr et l'interpré-
tation pénétrante de Mme Mockel, et nous sommes
heureux de lui en adresser, ainsi qu'à ses élèves,
tous nos compliments. J. d'O.
— M. Alcibiade Anemoyanni a, comme violo-
niste, un talent très classique et un excellent style.
Son dernier concert, à la salle de la rue d'Athènes,
le vendredi 14 avril, a obtenu un légitime succès.
La composition du programme indiquait d'ailleurs
un artiste véritable, bien différent des faux vir-
tuoses qu'on nous convie par trop souvent à
entendre. M. Anemoyanni a joué avec M. Decreus
des sonates de Mendelssohn et de Grieg, et avec
Mme de Rigalt et M. de Bruyne, le premier trio de
Beethoven.
Mme de Rigalt joue du piano avec beaucoup de
charme. Elle a fort bien exécuté une ballade de
Chopin et un prélude de Mendelssohn. On l'a
beaucoup applaudie. Plusieurs Lieder bien chantés
par Mme Réja Bauer ont complété ce programme
copieux et varié. F. G.
— Mme Georgette Leblanc a un art très subtil,
très raffiné et très personnel. Interprète de mélo-
dies, elle s'exprime beaucoup plus par une diction
remarquablement intense, par des attitudes d'un
rythme beau et puissamment expressif, par des
jeux de physionomie très habilement nuancés, que
par la musique même des œuvres qu'elle chante.
En réalité, cette musique disparaît, à ce point
qu'on ne s'inquiète même plus de savoir si elle est
bonne ou mauvais s; elle n'est plus pour ainsi dire
qu'une matière plastique et sonore que l'artiste
modèle à sa- fantaisie dans l'unique but d'arriver à
un effet d'ensemble plus saisissant. Et en fait, ce
but est atteint. Quoi que l'on puisse dire et penser
après avoir entendu Mme Georgette Leblanc, au
moment où on l'écoute et où on la voit, on est pris,
et ce sont des sensations tout à fait rares et neuves
que l'on éprouve. N'en est-ce pas assez pour justi-
fier le très grand succès qu'elle obtint le 14 avril
à la salle des Capucines, en des œuvres de divers
auteurs, surtout dans les chansons de Maeterlinck
mises en musique par Gabriel Fabre, et dont l'im-
précision voulue prend, dans la bouche de Mme G.
Leblanc, une grandeur véritablement troublante?
J. d'Offoël.
— Nous avons eu plus d'une fois déjà l'occasion
de signaler ici le beau talent de la jeune pianiste
Mlle Louise Meyer. En attendant qu'elle nous con-
vie à un récital dans les règles, il n'est que juste de
signaler les occasions qu'elle accueille de prendre
contact avec le grand public. Toutes font prévoir
un très bel avenir, car le succès qu'elle remporte
est très artistique; par exemple, à la salle de la
rue d'Athènes, le jeudi i3 avril, où son exécution
colorée et poétique, d'une part, du nocturne de
G. Jacob et de l'impromptu de Gabriel Fauré, de
l'autre, de la troisième ballade de Chopin et de
la tarentelle de Mozkowski, lui a valu d'una-
nimes et chauds rappels. C'était la sixième audition
du Concert pour tous, où furent aussi applaudis MlleS
Flahaut et Lipschitz, Mmes di Marco et Van
Donghen, M. Italiender. C.
LE GUIDE MUSICAL
341
— Une très intéressante soirée a été donnée le
14 avril, à la salle du Washington-Palace.
Le Tecum principium de Saint-Saëns, par MM.
Verd, Mâche, Feuillard et Krieger, précédait la
première audition d'une Légende bretonne pour soli,
chœurs avec orchestre et tableaux lumineux,
poème de Stéphan Bordèse, musique de M. Chris-
tian de Bertier, très heureusement inspiré. Mme
Eléonore Blanc interprétait le rôle de la Vierge,
M. Monis, avec sa belle voix de baryton, celui du
Père éternel, l'orchestre de M. Mâche et M. Camis,
du Vaudeville, qui remplissait avec beaucoup de
chaleur la partie du récitant, complétaient cette
exécution parfaite.
La deuxième partie de la soirée, réservée à
l'audition complète des Contes mystiques de Stéphan
Bordèse, mis en musique par nos maîtres
modernes, fut un triomphe pour Mme Jeanne
Raunay, dont la belle voix, la parfaite diction et la
grâce naturelle s'harmonisaient délicieusement
pour interpréter ces délicats poèmes.
M. J. Jemain dirigeait le concert avec son auto-
rité habituelle.
— Le deuxième concert donné à la salle Erard,
le 11 avril, par M. Stéphane Austin a eu plus de
succès encore que le premier. Les œuvres char-
mantes de Gabriel Fauré, le Jet d'eau, Mandolines,
Rondel, Recueillement et la romance de Claude De-
bussy, l'Invitation au voyage, le Lamento et Phidylé de
Henri Duparc ont eu pour interprètes Mlle Rose
Féart, de l'Opéra, tout à fait charmante, Mme Louis
Château, très applaudie, et M. Stéphane Austin, qui
a obtenu un grand succès, vraiment mérité par son
style, son sens musical et sa compréhension artis-
tique. C.
— On annonce dès â présent, pour les 19 et
26 mai, à la salle iEolian (de l'avenue de l'Opéra^,
deux séances de musique de chambre du plus vif
intérêt, données par Mlle Marthe Dron, avec le con-
cours de M. Armand Parent. Au programme,
consacré exclusivement à la musique moderne :
Sonate de V. d'Indy, Poème des montagnes, du même
(pour piano\ sonate de César Franck, sonate de
V. Vreuls, Prélude, Aria et Finale de Franck (pour
piano) et sonate d'A. Magnard.
— M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'Etat
aux beaux-arts, a présidé cette semaine à l'inau-
guration du monument élevé sur la tombe du
compositeur Robert Planquette au cimetière du
Père-Lachaise.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Bien que la saison touche à sa fin, elle nous ré-
serve encore quelques belles impressions d'art,
notamment la reprise du Crépuscule des Dieux de
R. Wagner, qui sera précédé d'une représentation
de la Walkyrie et suivi d'Alceste. Mme Litvinne y
paraîtra tour à tour sous les traits de Brunnhilde
et d'Alceste.
La grande cantatrice a paru cette semaine dans
l'Eisa de Lohengrin et elle y a été tout à fait
exquise, en particulier dans sa scène avec Ortrude
(Mme Bastien) et dans la scène de la chambre
nuptiale.
Lohengrin c'était le ténor russe M. Altchevsky,
qui avait déjà paru dans TAdmète d'Alceste.
Il n'a pas déplu dans le Chevalier au Cygne, mais
il ne possède pas le personnage dont il fait une
figure singulièrement fade et molle. Il a d'ailleurs
du charme dans la voix. C'est quelque chose.
Samedi dernier, excellente représentation des
Maîtres Chanteurs, au bénéfice de la Mutualité des
Artistes Peintres, Musiciens et Littérateurs.
MM. Lafiitte (Walther), Henri Albers (Sachs),
Decléry (Beckmesser), Forgeur (David) et Vallier
(Pogner), Mmes Dratz-Barat (Eva) et Maubourg
(Madeleine) ont rivalité de voix et de verve, et les
chœurs ainsi que l'orchestre, sous la direction de
M. Sylvain Dupuis ont été excellents, bref, l'en-
semble de l'interprétation a été tout à fait supé-
rieur.
Manon, Le Trouvère, Carmen et Werther, ces deux
derniers ouvrages avec le concours de M1Ie Thé-
venet ont complété le programme, on le voit
très fourni de cette semaine qui s'est terminée
par deux délicieuses représentations de Y Artésienne
avec Mmea Favart, Aimée Tessandier, MM. Albert
Lambert fils, Paul Mounet, Duard, Gorde et
Cornaglia de la Comédie française et de l'Odéon.
Aujourd'hui dimanche on donne, en matinée,
Le Trouvère, le soir, Carmen, avec Mlle Thévenet
et M. David.
Lundi 24, en matinée, à 1 h. 1/2, Faust. Le soir,
Manon, pour la rentrée de M. Thomas-Salignac,
qui chantera le rôle du chevalier des Grieux.
Pour la semaine de Pâques, la Monnaie annonce
une série de spectacles de haut intérêt artistique.
Du 23 avril au 4 mai on pourra y entendre succes-
sivement : La Walkyrie et le Crépuscule des Dieux de
Richard Wagner, YAlceste de Gluck, et Martille,
l'œuvre si puissante de MM. Albert Dupuis et
Edmond Cattier, tous ouvrages qui ne sont joués
342
LE GUIDE MUSICAL
qu'à Bruxelles, ou sur de rares scènes de langue
française, sans parler des ouvrages du répertoire
courant : Carmen, Manon, Faust, Paillasse, Héroiiade,
Le Postillon de Lonjumeau, Le Trouvère.
Dans les drames de Gluck et de Richard
Wagner, autour de la grande cantatrice Félia
Litvinne, se groupent des artistes tels que M'"es
Paquot-D'Assy, Dhasty, Dratz-Barat, Bastien;
MM. Henri Albers, Dalmorès, Decléry, Vallier,
et dans les pièces du répertoire paraîtront Mmes
Fancès Aida, Eyreams, Thévenet, Maubourg, les
ténors Laffltte, David et Thomas-Salignac, ainsi
que MM. Bourbon, D'Assy, Belhomme, Forgeur,
Caisse C'est là un ensemble de nature à intéresser
les nombreux étrangers de passage à Bruxelles.
AU CONSERVATOIRE. — M. Gevaert a
donné dimanche, pour le quatrième et dernier
concert, une nouvelle audition de Judas Macchabée,
déjà entendu au premier concert de la saison.
Grand succès pour l'exécution, et particulière-
ment pour MM. Laffitte et Seguin, mieux encore
en possession de leurs rôles que précédemment.
L'œuvre de Hsendel, malgré son développement,
a été écoutée avec un intérêt soutenu, et Ton a
admiré à nouveau la vaillance du savant directeur,
M. Gevaert.
CONCERTS CRICKBOOM. — Le quatrième
concert d'abonnement nous a procuré le plaisir
d'entendre pour la première fois M. Fery Lulek,
un baryton tout à fait intéressant, dans des œuvres
de Hugo Wolf, très curieuses, du Schubert, du
Schumann et du Brahms.
La sonate op. 101 de Beethoven, du Fauré, du
Debussy et Forlane d'Ernest Chausson ont fait
applaudir M. Auguste Pierret, qui en a donné au
piano des interprétations en tous points remar-
quables.
Enfin, le quatuor pour piano, violon, alto et vio-
loncelle, l'une des œuvres les plus nobles d'Ernest
Chausson, a été un vrai triomphe pour MM. Pier-
ret, Crickboom, Van Hout et pour Mlle Eisa
Ruegger. R.
— A la salle Erard, mardi dernier, la séance
des Concerts Barat était toul entière consacrée aux
œuvres de J. Jemain et de M. Alexandre Béon.
Mlle Marguerite Chabry, MM. D. Hannon,
Edouard Barat et M. Henri Merck s'y sont fait
très sincèrement applaudir. Un concertino pour
clarinette, trois mélodies et un Pater noster avec
accompagnement d'orgue et de violoncelle ont valu
un grand succès à leur auteur, M. Béon, par leur
originalité et le sentiment très prenant qu'ils
éveillent. Parmi les œuvres de M. Jemain, nous
avons particulièrement goûté une sonate pour
violoncelle et piano, du plus vif intérêt. R.
— L'une des expositions d'art les plus origi-
nales de ces dernières années est ouverte depuis
quinze jours au Musée moderne : l'Exposition des
Peintres et Sculpteurs de l'Enfant. Elle réunit environ
deux cents œuvres d'artistes belges ayant toutes
pour objet l'interprétation de l'enfance. Les orga-
nisateurs ont eu l'heureuse idée d'y donner des
concerts dont le programme cadrerait absolument
avec les idées qui les ont guidés dans le choix des
œuvres. C'est ainsi que samedi dernier, on y a en-
tendu MM. Arthur De Greef et Léon Van Hout,
interprètes merveilleux des Contes de fées (Màrchener-
zàhlungen, op. i32), pour piano et alto, de Robert
Schumann ; Mlle Jane Maubourg a chanté ensuite
la délicieuse Berceuse de Humperdinck, presque
inconnue encore à Bruxelles, dans la version fran-
çaise qu'en a donnée récemment M. Maurice
Kufferath (i); l'œuvre est tout à fait jolie, pleine
de charme, de délicatesse et elle peut, par son
caractère intime, enfantin et ému, passer pour un
modèle ; un Noël d'enfant de Missa, très mélodique,
et une curieuse Chanson nègre, en bis, ont valu
à Mlle Maubourg un très grand succès; puis
M. A. De Greef a retrouvé avec la Berceuse de
Grieg, qu'il fit connaître à Bruxelles il y a quelques
années, et une Ronde norvégienne du même compo-
siteur, les applaudissements qui ne manquent
jamais d'accueillir son talent admirable. La
seconde partie du concert comprenait exclusive-
ment des chœurs et des récits d'enfants, inter-
prétés par les élèves de l'école primaire n° i de
la ville de Bruxelles, sous la direction habile de
M. Benoni Lagye. Le Départ des Hirondelles, de
Mendelssohn, Ma chère maison et Y Oiselet a quitté sa
branche, de Jaques-Dalcroze, un chœur flamand
de G. Antheunis, deux œuvres charmantes de
B. Lagye, etc., formaient un ensemble tout à fait
artistique, qui a été absolument remarquable de
justesse, de sûreté et de grâce. Le succès a été
considérable et il fait honneur à l'enseignement
musical des écoles de la ville.
Le deuxième concert, mercredi dernier, était
consacré à la musique ancienne. La belle sonate
d'Attilio Ariosti pour viole d'amour et clavecin,
(i) Schott frères, éditeurs à Bruxelles.
LE GUIDE MUSICAL
'343
admirablement interprétée par M. Léon Van
Hout et Mme A. Béon ; un air de Hsendel, Maman,
dîtes-moi, L'Amour est un enfant trompeur de Martini,
Paris est au roi, autant de succès pour l'excellente
cantatrice et la parfaite musicienne qu'est Mlle
Marguerite Chabry; la berceuse de Philis, de
Rameau, et un menuet de Milandre, exécutés sur
la viole d'amour avec un art délicat par M. L. Van
Hout; six petites pièces, dont une chanson de
Clément Marot, dites avec tact et humour par
M. Decléry; enfin, une pavane de Byrd, le Tambourin
de Rameau, Sœur Monique ou le Caquet au couvent
de Couperin. un air de Hsendel et le Coucou de
d'Aquin furent un vrai triomphe pour Mme A.
Béon, aussi parfaite musicienne à l'orgue qu'au
clavecin. C.
— Le récital donné à la salle Erard par M.
Georges Sadler a été un très vif succès.
L'excellent violoniste nous est revenu, après une
assez longue absence, avec une réelle maitrise de
son instrument, une compréhension éclectique plus
affermie et une technique parfaite.
Son programme varié, retraçait en quelque sorte
l'histoire de la littérature du violon depuis l'école
classique italienne, jusqu'aux modernes.
Que ce soit le Thème varié de Tartini. l'Aria de
Bach, des pièces de Tschaïkowsky, de Dvorak et
de Sarasate, ou les Danses hongroises de Brahms,
M. Georges Sadler aborde toutes ces œuvres avec
la même facilité, le même talent. Le concerto de
Sinding a été pour lui l'objet d'enthousiastes ova-
tions.
N'oublions pas M. Léon Delcroix, qui tenait
la partie de piano avec tact et intelligence.
R. V.
— La pianiste Mlle Olga Miles, qui s'est fait en-
tendre à la Grande Harmonie, possède une tech-
nique impeccable, qu'elle a su faire valoir dans le
concerto de Grieg et la Fantaisie hongroise de Liszt,
avec accompagnement d'orchestre sous la direc-
tion de M. Emile Agniez. Peut-être pourrait-on
reprocher à Mlle Olga Miles une certaine froideur
de jeu, rachetée, du reste, par une absolue correc-
tion de toucher.
Cependant elle a mis beaucoup d'entrain et de
couleur dans le Carnaval de Schumann, et on a
senti un bel effort dans la sonate en ut de Beet-
hoven. L. D.
— Les auditions d'élèves de Mme Coppine-Ar-
mand attirent toujours un public nombreux et cu-
rieux. Ces intéressantes représentations témoignent
du parfait enseignement de l'intelligent profes-
seur de chant.
Cette année encore, nous avons eu l'occasion
d'applaudir au théâtre de l'Alhambra de nom-
breux élèves qui ont interprété en costume et dans
les décors, diverses scènes des Dragons de Villars,
du Roi d'Y s, d'Hamlet, de Rigoletto, de Samson et Da-
lïla, de Manon, de Cavalleria, du Cid, d'Aïda, de
Faust, etc.
Nous devons citer notamment Mlle Bady et M.
Dognies (dans la scène de Saint-Sulpice de Ma-
non), qui ont fait preuve de sérieuses qualités théâ-
trales. Ce dernier est, du reste, engagé pour la
saison prochaine au théâtre de la Monnaie ;
Mlle Angèle Bady a fait valoir un organe remar-
quablement assoupli et une grande justesse musi-
cale dans l'air du Barbier de Séville; Mme BorelH et
M. Raes, dans l'air, la scène et le duo du Cid;
Mme Morny a chanté avec art et une belle diction
la scène et duo de Carmen, enfin Mlles Morelia,.
Benonard, Dalbray et MM. Délaye, Darcet, etc.,
ont été très intéressants dans les divers rôles
qu'ils ont tenus.
Nous pouvons affirmer, sans exagération, que
tous ont témoigné, par leur voix, leur jeu et leur
diction, qu'ils ont recueilli de Mme Coppine-Ar-
mand des conseils donnés avec maîtrise et qu'ils
en ont heureusement profité. L. D.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le festival Vincent d'Indy
organisé par la Société royale de Zoologie
pour la clôture de ses concerts d'hiver a été un
magnifique succès. M. Vincent d'Indy conduisait
l'orchestre, et l'on a admiré sous sa direction
ferme, sobre, minutieuse, impeccable, Wallen-
stein, le Chant de la Cloche (avec Mme Fierens et
M. Swolfs), un menuet, la Symphonie cévenole (avec
M. Geeraert au piano). Peut-être pouvait-on
regretter de n'y rien entendre ni de Fervaal, ni de
l'Etranger; cela eût complété heureusement le
programme, en donnant ainsi tous les aspects de
l'œuvre du maître.
De magnifiques ovations l'ont accueilli, et le
public anversois lui a fait un accueil digne de sa
haute valeur artistique.
Signalons le succès obtenu à la Société d'Har-
monie par Mme Soetens, MM. Deru, Godenne et
F. Lenaerts. . G. P.
$4*
LE GUIDE MUSICAL
BARCELONE. — La tournée en Espagne
du pianiste Emile Sauer a été un grand
succès à Madrid, puis à Barcelone. VI. Sauer possède
un mécanisme qui tient du prodige. Ses qualités
d'interprétation sont intéressantes, et il faut signa-
ler la sonate op. 53 de Beethoven et la Toccata de
Schumann. Mais le gros public préfère les verti-
gineuses portées des rapsodies et valses endiablées,
et de cette affreuse ouverture de Tannhauser, com-
pliquée pour le piano. On s'étonne de voir un ar-
tiste tel que M. Sauer mettre ces choses dans ses
programmes.
Puis Madrid et Barcelone ont écouté une jeune
et charmante violoniste, Mlle Geyer, qui, toute
jeune qu'elle est, montre déjà de sérieuses qualités
de vraie artiste.
L'orchestre Lamoureux, sous la direction de M.
Chevillard, a donné à Barcelone un premier con-
cert. C'est la seconde fois que cette association
artistique visite l'Espagne, et l'accueil a été très
flatteur. Le programme de ce premier concert était
composé d'œuvres connues. Il était curieux d'ob-
server les divergences d'interprétation entre M.
Chevillard et d'autres maitres étrangers, qui sont
venus diriger les mêmes ouvrages, par exemple
MM. Mottl, Strauss, d'Indy, Nikisch, Weingart-
n er, etc.
Ce qui a paru le plus différent dans ces versions
écoutées, ce sont les mouvements de la cinquième
symphonie de Beethoven ; dans le premier temps
et le finale, on aurait voulu plus de vie et de
rythme décisif. Par contre, l'exécution de Mort et
Transfiguration de Strauss, a été admirable.
L'impression d'ensemble est excellente. On y
sent la discipline, l'unité, l'attention, et rien ne
trouble cette impeccable exécution.
Le programme comportait aussi le poème Dans
les steppes d'Asie, de Borodine, le délicieux Apprenti
sorcier de Paul Dukas, le Venusberg de Wagner et
Vallegretto de la huitième symphonie.
Le second concert a mis en évidence la valeur
des archets de cette phalange instrumentale. C'était
un concerto de Haendel, que le public a trouvé ex-
quis d'exécution. Puis, contraste saisissant, le
beau Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy et
le Camp de Wallenstein de d'Indy, qui ont été très
appréciés.
Au troisième concert, les fragments de Louise de
Charpentier ont été remplacés par la symphonie en
sol mineur de Mozart. Exécution un peu tranquille
et nuancée. Mais la revanche est venue avec la
septième de Beethoven, et puis avec deux frag-
ments de Wagner, superbement joués : le Vendredi-
Saint de Parsifal et surtout le Prélude et la Mort
d'Iseult de Tristan. Ces dernières pages de Wagner
ont été une merveille de sentiment, de nuance et
de coloris. Ed. T. Ch.
BRUGES. — Le Conservatoire vient de
donner, en quelques jours, son quatrième
concert d'abonnement et, en guise de clôture de la
campagne 1904-1905, son concert populaire à prix
réduits.
Le dernier concert d'abonnement, qui a eu Heu
le 12 avril, comprenait, comme œuvres orches-
trales, la symphonie en sol de Haydn, dite La Sur-
prise, à cause de certain fortissimo subit dans
Validante; elle est charmante à tous les égards, et
pleine de verve; Forchestre, dirigé par M. Karel
Mestdagh, y a mis beaucoup de légèreté. On a
entendu encore la pittoresque ouverture Les Hé-
brides, de Mendelssohn, ainsi que l'interlude sym-
phonique de Rédemption, dans l'exécution duquel
manquait un peu le sentiment de la grande ligne.
M. Henry Albers, l'éminent baryton du théâtre
royal de la Monnaie, prêtait à cette fête le concours
de son noble talent. Il a chanté d'abord, avec toute
l'ampleur de style voulue, l'air de Thoas à!lpMgénie
en Tauride, puis la partie solo de la ballade Drie
Ridders de M. Tinel; quoique cette partie soit fort
ingrate, le bel organe de M. Albers et son admi-
rable diction, aussi parfaite en néerlandais qu'en
français, y ont fait merveille; ajoutons que les
chœurs, bien stylés, lui ont excellemment donné
la réplique. Enorme succès pour VI. Henry Albers
et pour l'œuvre de Tinel, qui a été bissée.
Le concert se terminait par deux fragments :
Sanctus et Benedictus du Requiem de Peter Benoit,
pages de grande allure et de puissant effet, malgré
la simplicité de la facture.
Ce sont encore ces fragments qui ont fourni l'un
des numéros principaux du concert populaire de
lundi dernier, dont le programme était en partie
la réédition du concert précédent. La Surprise de
Haydn y a été exécutée avec les mêmes soins, et
l'on a réentendu également la pompeuse Marche
des nobles de Tannhauser.
L'intérêt de ce concert résidait en majeure partie
dans le début à Bruges du jeune pianiste VI. Joseph
Van Roy, le brillant disciple du professeur
M. Edouard Potjes, de Gand. M. Van Roy s'est
affirmé artiste de haute valeur, en possession d'un
talent déjà mûri par l'étude et la réflexion. Il a
interprété, outre la ballade en la bémol de Cho-
pin, dont il a parfaitement rendu l'intense poésie,
et la rapsodie en si mineur de Brahms, le concerto
en sol de Beethoven. Ce choix, qui excluait tout
étalage de pure virtuosité, dénote le goût sérieux
de l'artiste. Dans le concerto, M. Van Roy a
LE GUIDE MUSICAL
3*5
atteint la grandeur du style et la beauté de l'ex-
pression intime par son jeu d'une noble simplicité.
Son toucher varié a toutes les délicatesses dans les
traits perlés ; quand il s'agit de mettre en relief les
admirables inspirations mélodiques de l'œuvre
beethovénienne, il s'entend à faire chanter et
vibrer un instrument ingrat entre tous. Uandante,
entre autres, cette page si tragique, a été admira-
blement rendu. En un mot, le jeune pianiste, tout
à fait remarquable, a fait preuve d'un talent qui
permet de prévoir pour lui le plus brillant avenir.
C'est ce que l'auditoire a bien compris en faisant
à M. Van Roy un succès vraiment enthousiaste.
Ainsi s'est brillamment terminée la dixième
année des concerts de notre Conservatoire. Féli-
citons la vaillante Société des Concerts, qui a
montré tant de vitalité et d'heureuses initiatives au
cours de cette première période décennale,
laquelle sera, espérons-le, suivie de beaucoup
d'autres. L. L.
LIÈGE. — Raoul Pugno, Arthur De Greef,
que de promesses contenues dans ces deux
noms associés sur l'affiche du troisième concert
populaire! Elles furent tenues, et au delà; jamais
la maîtrise des deux éminents artistes n'apparût
plus rayonnante que pendant cette joute à
deux pianos; chacun y sut garder sa personnalité
au milieu de la plus scrupuleuse unité de pensée et
d'expression.
Il appartenait à ces fervents musiciens, à ces in-
trépides pianistes de donner de Bach et de Mozart
l'interprétation idéale, définitive en quelque sorte
qu'on en attendait ; ils n'y faillirent pas ; la lumi-
neuse netteté du style, la force et la grâce du sen-
timent,les séductions d'une sonorité riche et variée,
mirent l'enthousiasme du public à son comble.
Saint-Saëns était représenté au programme par
son spirituel scherzo, que MM. Pugno et De Greef
durent redire, tant il fut applaudi.
M. Delsemme a conduit une bonne exécution des
Variations symphoniques d'Elgar ; l'œuvre un peu,
tirée en longueur, est assez intéressante; elle plait
par une facture aisée et un coloris orchestral
généralement heureux.
Le Concerto brandebourgeois de Bach, réclamait un
quatuor plus fourni et plus aguerri que celui dont
dispose l'Association des Concerts populaires ; le
succès n'a pas répondu à l'initiative louable de
-M. Delsemme. Souhaitons qu'il nous rende cette
belle œuvre dans tout son éclat. L'ouverture de La
vie pour le Tsar, de Glinka, était mieux appropriée
aux talents de l'orchestre; elle fut bien jouée et
sincèrement applaudie. P. D.
NANCY. — Il y a quinze jours, le Conserva-
toire nous a procuré le plaisir d'entendre de
nouveau M. Raoul Pugno, qui a joué le con-
certo en ut mineur de Beethoven et les Djinns de
César Franck. Comme toujours, nous avons été
émerveillés par le charme infini et l'étonnante
puissance de séduction que possède, à côté de son
impeccable virtuosité, cet admirable artiste. Sous
ses doigts, Y allegro con brio du concerto en ut mineur,
notamment, se pare d'une grâce émue qui va droit
au cœur. M. Pugno nous a procuré des sensations
d'art exquises et le public enthousiasmé l'a rap-
pelé avec transport jusqu'à ce qu'il ait consenti à
nous donner, en plus du programme, un préludé
et une fugue du Clavecin bien tempéré, auxquels il
a su infuser une vie toute moderne et un charme
souverain. Une fort bonne exécution de la Danse
macabre de M . Saint-Saëns a de nouveau mis en re-
lief le beau talent de notre premier violon, M. Heck.
Une reprise très réussie du prélude de Lohengrin
et des fragments symphoniques des Maîtres Chan-
teurs complétaient un programme aussi captivant
que varié.
A signaler également un récital d'orgue donné,
dans l'église de St-Léon, par M. Mahaut, qui, en
deux séances, a interprété l'œuvre d'orgue com-
plète de César Franck : les six pièces du premier
recueil, les trois pièces du second et les trois cho-
rals. M. Mahaut, organiste de Saint- Vincent de
Paul et professeur à l'école des Jeunes Aveugles
de Paris, est, bien qu'aveugle lui-même, un virtuose
tout à fait remarquable. Elève de César Franck, il
nous a joué les œuvres du maître avec une ferveur
émue et dans un style admirable. J'ai particulière-
ment goûté dans le premier récital la Pièce sym-
pkonique, dans le second, surtout le premier et le
troisième choral qui sont véritablement d'une mo-
numentale grandeur et dont M. Mahaut a bien mis
en valeur la profonde et émouvante beauté. Il nous
a causé un très vif plaisir et l'on ne peut qu'ap-
plaudir de tout cœur à la vaillante tentative qu'il a
entreprise de vulgariser en province et à l'étranger
l'œuvre sublime et si peu connue de celui qui fut,
avec Bach, le plus grand maître de l'orgue.
Dimanche dernier, enfin, les concerts du Conser-
vatoire terminaient la saison par une magnifique
audition de la Damnation de Faust, la plus belle à
coup sûr et la plus complète que M. Ropartz nous
ait jusqu'à présent donnée. L'orchestre s'est mon-
tré partout d'une admirable souplesse : vigoureux
*4*
LE GUIDE MUSICAL
dans la Marche hongroise, qu'il a enlevée avec une
furie superbe ; doux et moelleux dans la délicieuse
scène sur les bords de l'Elbe ; précis dans l'accom-
pagnement de la sérénade de Méphisto, qu'il a
exécutée dans un mouvement vertigineux ; drama-
tique dans la course à l'abîme, dont il a rendu à
merveille l'angoisse haletante. Les chœurs ont été
très sûrs et suffisamment nourris. Et chez les so-
listes,aucun trou, aucune défaillance. Notre dévoué
professeur de chant, M. Bolinne, s'est acquitté très
convenablement de la chanson de Brander. À peine
est-il besoin de dire que M. Daraux a été tout à
fait supérieur dans Méphisto, qui est une de ses
plus belles créations. Le ténor, M. Girode, qui
chantait pour la première fois à Nancy, s'est taillé
du coup un succès magnifique : on a goûté chez lui
non seulement un organe admirable, tout à la
fois puissant, vibrant et moelleux, mais encore
un goût musical très sûr, un sentiment très
juste du style ; il a été, surtout dans les airs, et tout
particulièrement dans la superbe « Invocation à
la Nature », constamment excellent. Nous sou-
haitons très vivement qu'il devienne, avec M. Da-
raux, un des hôtes attitrés de nos concerts. Enfin,
Mme Faliero-Dalcroze a chanté le rôle de Margue-
rite avec un art accompli, une intelligence déli-
cate, une profonde sensibilité : elle a été émou-
vante et exquise, soit dans la chanson du Roi de
Thulé, dont elle a donné une interprétation très ori-
ginale et toute différente de celle de Mme Marcella
Pregi, soit dans l'air sublime de la quatrième par-
tie, « D'amour, l'ardente flamme », où, admirable-
ment secondée par le cor anglais de M. Foucaut,
elle a tenu sous le charme la salle entière, toute vi-
brante d'émotion attendrie. C'est une artiste ex-
quise et rare dans sa simplicité si profondément
séduisante. Je n'en sais pas qui m'ait procuré un
plaisir plus complet et plus délicat.
En somme, cette belle audition de la Damnation
a terminé par un franc et complet succès une sai-
son marquée, comme chaque année, par d'importan-
tes reprises, comme les Béatitudes, Rédemption, le
festival Wagner, ou par des « premières » plus
méritoires encore, comme la double exécution de
la symphonie en si bémol de M. Vincent d'indy,
que M. Ropartz a victorieusement imposée au res-
pect et à l'admiration de notre public. Exprimons-
lui, une fois encore, notre reconnaissance pour
l'effort musical accompli, pour l'impulsion donnée
à la vie artistique de notre ville. Et souhaitons
qu'il continue longtemps encore parmi nous sa
belle carrière artistique. Il sait combien sincère
est ce vœu parmi les nombreux amis qu'il a su
réunir autour de lui et s'attacher par les liens de
l'admiration et de l'affecton. H. L.
YERVIERS. — L'attrait d'un programme
judicieusement composé et les noms en ve-
dette de Mlle Michaëlis et M. Georges Dantu
avaient attiré un public plus nombreux que d'habi-.
tude à la dernière séance de la Société symphoni-
que des Nouveaux Concerts.
Mlle Michaëlis, élève de Joachim, étonne tant
par l'ampleur du son, qui n'a rien de féminin, que
par la sensibilité musicale déjà profonde, à laquelle
on ne s'attend guère chez une aussi jeune artiste.
L'interprétation soignée qu'elle a donnée du con-
certo n° 2 de Wieniawski et la virtuosité déployée
dans les variations de Paganini lui valurent un
franc et réel succès. L'éloge de M. Dantu n'est plus
à faire. Servi par un organe souple et généreux, il
a su en faire valoir le charme dans le poème sym-
phonique Voix du soir, de Coquard, l'air de Zémir et
Azor et la Berceuse de Mozart. La voix de MmeGre-
nade-Pirenne a gagné en ampleur, et c'est avec
un sentiment profond et dramatique qu'elle a
chanté le récit et air à! Aie este de Gluck.
L'orchestre a fait ressortir l'allure spirituelle et
la fraîcheur gracieuse de l'ouverture de la Flûte en-
chantée.
La Réformation de Bach a retrouvé le succès de
la première audition. Les solistes, MUe J. Delfor-
trie, M™e Grenade- Pirenne, MM. Dantu et H.
Werts, les chœurs et l'orchestre, conduits par le
chef autorisé qu'est M. Louis Kefer, se sont mon-
trés à la hauteur de leur tâche difficile.
NOUVELLES
La Bibliothèque royale de Londres vient d'ac-
quérir une belle collection d'anciennes éditions de
Bach et de manuscrits de Bach, parmi lesquels un
autographe de la Passion selon saint L uc et cent
quatre-vingt-quatorze cantates et œuvres instru-
mentales. Cette collection, qui comporte aussi
quelques ouvrages de Philippe-Emmanuel Bach,
avait été réunie par le compositeur Hauser.
— La harpe de l'impératrice Joséphine dont
on a tant parlé sans Lavoir vue, a été déballée
seulement cette semaine au garde-meuble à
Paris, où nous avons pu l'examiner en détail.
Elle porte cette incription : Cousineau père et fils,
luthiers (de Sa Majesté) à Paris. Les mots de Sa
Majesté ont été ajoutés sur la plaque gravée à la
suite d'une demande que les célèbres luthiers
LE GUIDE MUSICAL
347
avaient faite à l'impératrice Joséphine, dont ils
devenaient, en lui livrant cette harpe, les fournis-
seurs. L'instrument est fort beau. Il est tout en
acajou, orné de bas-reliefs et d'attributs en bronze
très finement ciselés et dorés au mercure. Sur-
monté d'une aigle impériale, il porte sur les trois
parois de sa caisse, trois bas-reliefs représentant
Apollon, l'Harmonie et Minerve qui tient un
écusson au chiffre J de l'impératrice. Le décor se
complète à la base d'un très joli dessin en incrusta-
tions de nacre, et à la frise d'un semis d'abeilles
et d'étoiles d'or. Une pédale, trois abeilles et une
étoile manquent seulement. La harpe est, sauf
cela, en parfait état et l'aspect d'ensemble n'en
souffre nullement. Donnée, on le sait, par l'impé-
ratrice Eugénie à M. Osiiïs, elle a été offerte par
celui-ci à l'Etat pour la Malmaison, où elle sera
transportée.
— A propos de YArmide de Lulli : Pendant les
répétitions de cet ouvrage, Gluck tomba malade,
et son confesseur exigea qu'il brûlât la partition
d'Armide, dont les scènes de magie et de volupté
étaient, à son gré, condamnables.
Le prince de Conti, étant allé le même jour voir
Lulli, s'écria :
« — Eh quoi! tu as pu jeter au feu un si bel
ouvrage ?
(i — Paix ! paix ! monseigneur, répliqua le musi-
cien. Je savais ce que je faisais... J'en avais une
autre copie ! »
— Les trompettes de Josué, qui firent tomber
les murs de Jéricho, ne sont plus les seules à avoir
eu le don des miracles. Tout dernièrement, la
musique militaire de la petite ville d'Heiligenstadt,
dans le nord de l'Allemagne, faisait une répétition
dans un jardin tout près des remparts. Les trom-
bones étaient en nombre et très bien disposés sans
doute, car ils ébranlèrent l'atmosphère avec une
telle violence pendant un fortissimo, que les
parties voisines des vieilles murailles d'Heiligen-
stadt s'écroulèrent avec fracas. On rit beaucoup
de cet accident, qui n'eut aucune suite fâcheuse.
— Nous avons sous les yeux les programmes du
Quatuor du Flonzaley de New- York, et nous
constatons avec plaisir que la musique française
moderne y tient une large place; c'est ainsi qu'au '
milieu des œuvres classiques, nous remarquons les \\
quatuors à cordes de C. Franck et E. Chausson,
les quatuors avec piano de V. d'Indy et G. Lekeu,
la sonate et le trio de V. Vreuls ainsi que diverses
œuvres de Saint-Saëns.
— Récemment, M. Jean Gérardy a été invité
à se faire entendre au Palais impérial de Berlin,
à la suite d'un grand dîner diplomatique. L'Empe-
reur et l'Impératrice l'ont vivement félicité et
l'ont prié d'ajouter plusieurs morceaux à son pro-
gramme.
— La ville d'Epernay annonce que la date du
grand concours international de musique dont
nous avons indiqué récemment les conditions, est
reportée aux i3, 14 et i5 août, à cause de diffi-
cultés matérielles, mais qu'en revanche, le chiffre
des récompenses et primes en espèces, qui s'élève
déjà à plus de 40,000 francs, sera encore augmenté.
— La facture belge des instruments de musique
sera bien représentée à l'Exposition de Liège. Elle
constitue une des collectivités officielles du
groupe III : Instruments et procédés généraux des sciences,
des lettres et des arts (classe 17 : Instruments de mu-
sique) et occupera un emplacement assez important
dans la section belge. Voici la liste des adhérents,
qui promet un tableau intéressant de la facture
instrumentale belge d'aujourd'hui :
MM. Albert frères, Bruxelles (instruments à
vent en bois); M»e Vve Albert, id. (id.); MM. Bal-
thasar-Florence, Namur (pianos et harmoniums) ;
Bernard, Liège (lutherie) ; Mme Vve Crasset, Gand
(pianos); MM. Darche frères, Bruxelles (lutherie);
De Heug, Marcinelle (pianos) ; Derdeyn frères,
Roulers (id.); D'Hont, Gand(id.); F. Doperé, Bru-
xelles (id.); Gunther, id. (id.); E. Hautrive, id.
(id.); Mahillon et Cie, id. (instruments à vent, en
cuivre et en bois); Pley et Dahout, id. (pianos) ;
Renson frères, Liège (id.); Schultz, id. (id.); Séné-
caut, Bruxelles (instruments à vent, en cuivre et en
bois); Solari, id. (accordéons); Van. Bever, Salo-
mon et frères, id. (orgues); Verrees-Verhoeven,
Turnhout (pianos).
Le comité de la classe est composé comme suit :
MM. V. Mahillon, président; Keppenne etRadoux,
vice-présidents; Closson, secrétaire; D'Hont, tré-
sorier; J. Albert, Balthasar-Florence, Brahy, J. et
H. Darche, S. Dupuis, Gevaert, Gunther, Oor,
Schyven, Van Cauwelaert.
L'installation du compartiment, confiée au goût
éclairé de M. A. Javaux, architecte à Liège, promet
d'être des mieux réussies.
— Exposition de Liège. — Avis officiel. — Le
comité exécutif a l'honneur de porter à la connais-
sance du public que l'ouverture officielle de
l'Exposition sera faite le 27 avril courant, au nom
de S. M. le Roi, par LL. AA. RR. le prince
Albert et la princesse Elisabeth de Belgique.
La cérémonie d'inauguration aura lieu dans
348
la grande salle du Palais des Fêtes de l'Exposition
à 1 heure de relevée.
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5, Z 10 et 12 Jffai 1905
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EN QUATRE JOURNEES
SOUS LA DIRECTION DE
FELIX WEINGARTNER
AVEC LE CONCOURS DE
Edouard Risler Lucien Capet
ET DU
Quatuor Vocal d'Amsterdam
flme Alida Oldenboom = Lùtkemann, fllle Tilly Kœnen
Mrs Johan = J. Rogmans et Jan Sol
Troisième Journée
Mercredi 10 Mai [à S h. du soir]
Première Journée
Vendredi 5 Mai [à S h. du soir]
lre Symphonie en ut majeur.
2e Symphonie en ré.
3e Symphonie (Eroica).
Deuxième Journée
MATINÉE
Dimanche 7 Mai (à 2 h. 1\2]
4e Symphonie en si bémol.
Concerto pour violon et Orchestre.
M> Lucien CAPET
5e Symphonie en «/(mineur.
6e Symphonie (Pastorale).
Concerto en sol majeur
pour Piano et Orchestre.
M" Edouard RISLER
7e Symphonie en la.
Quatrième Journée
Vendredi 12 Mai [à S h. du soir]
8e Symphonie en fa.
Ah ! Perfido [Air).
Chanté par. M"e Tilly KŒNEN-
9e Symphonie (avec chœurs).
Le QUA 7 UOR vocal d'Amsterdam.
Orchestre de l'AESOCIATION DES CONCEETS COLONNE
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Fauteuils d'orchestre (s« série) : 12 fr. — Fauteuils de balcon : 12 fr.
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Fauieuils de galerie de face : 8 fr. — Fauteuils de galerie de cô'é : 6 fr.
Stalles d'orchestre : 8 fr. — Promenoir de rez-de-chaussée ; 5 fr.
Promenoir de galerie : 3 fr.
5ltoe ÀNXÊR.
Numéro i8.
3o Avril 1905.
L'ANCIEN THEATRE ITALIEN A PARIS
1789-1905
I. Les origines de l'Opéra italien à Paris; ses diverses salles
|'est toujours avec une vive cu-
riosité, et aussi une vraie sym-
pathie, je l'avoue, que je vois
poindre les diverses tentatives
de renouveau d'une scène d'opéra italien à
Paris. Plus encore, à mon sens, que pour
cette troisième scène française qu'on essaie
toujours et qui ne dure jamais, sous le
nom de Théâtre-Lyrique, il me semble
qu'il y a quelque chose à faire pour une
scène étrangère. Il y aurait surtout quelque
chose à faire — et c'est bien comme cela
que je l'entends, car les temps sont chan-
ges, et il ne faut pas rétrograder sous
prétexte de restaurer — avec un Théâtre
international de musique tel que celui que
va fonder le grand artiste Ernest Van Dyck
à Ostende, et dûment subventionné comme
lui ; où le répertoire italien alternerait avec
un répertoire allemand, avec un répertoire
russe et d'autres encore; où Wagner serait
mieux chez lui qu'à l'Opéra, et Mozart inter-
prété selon son véritable esprit; où Rimsky-
Korsakow nous serait enfin révélé, comme
Pedrell ou Boïto; où l'essor très vivant et
très chercheur des Italiens actuels pour-
rait être suivi sans qu'il faille, pour leur
faire place, prier nos compatriotes d'at-
tendre leur tour. C'est pour le coup, et
mieux qu'avec un Théâtre- Lyrique, que
notre école française y gagnerait, s'il était
entendu que les étrangers auraient leur
théâtre et ne seraient plus chez-eux à
l'Opéra-Comique ou à l'Opéra !
En attendant que ce beau rêve se réalise
(question de subvention, pas autre chose),
voici donc, pour un moment, un nouvel
Opéra italien, dû à l'initiative privée, celle
d'un grand éditeur, protecteur somptueux
des œuvres qu'il édite. C'est peut-être le
moment de jeter un coup d'ceil sur le passé
de cette scène lyrique italienne qui tint
jadis une si grande place dans la vie musi-
cale de Paris. D'accord avec Albert Sou-
bies (qui, je puis bien le dire, prépare, pour
le Théâtre italien à son tour, le même
tableau si suggestif des œuvres exécutées
sous son nom qu'il a dressé pour nos
autres grandes scènes, et qui en parlait si
justement dans son Coup d'œil d'ensemble
de 1871-1891, ce petit volume bourré de
faits et trop peu lu de la collection de
l'Almanach des spectacles), je ne me con-
sole pas de la fermeture de cette salle
Ventadour : « Certains amateurs (dit-il)
vont même jusqu'à s'en réjouir, et ils par-
lent dédaigneusement de son répertoire
usé et suranné. Tel n'est pas notre avis. Le
Théâtre italien, comme tout ce qui dure
longtemps, avait sa raison d'être; il servait
352
LÈGUIDE MUSICAL
d'intermédiaire entre l'étranger et nous.
S'il existait aujourd'hui, ou y essaierait
sans doute... tant d'œuvres dont on parle
toujours et qu'on n'entend jamais. C'était
en outre une école de chant où venaient
faire un stage les meilleurs virtuoses.... »
Oui, ce théâtre servit longtemps, et le
nouveau devrait servir encore d'intermé-
diaire entre les écoles étrangères et la
nôtre ; pas par les seuls Italiens, comme
je l'ai dit... Mais ne parlons que d'eux
aujourd'hui : il faut un commencement à
tout.
Il y a quelque chose de si prestigieux-
dans l'histoire de l'ancien Théâtre italien,
que, même sans en avoir pu garder une
impression personnelle, rien qu'en évo-
quant les souvenirs de ses anciens habi-
tués, ou même simplement en consultant
les lettres, les comptes-rendus, les chroni-
ques de l'époque, on se sent pris d'une
véritable passion rétrospective pour un si
brillant essor lyrique. C'est l'effet que pro-
duit encore, sur l'imagination des lettrés, ce
magnifique et vibrant épanouissement du
romantisme. Heureux temps où l'on pou-
vait penser à l'art et aux lettres !
C'est au début du règne de Louis XIV
qu'il faut remonter pour trouver les pre-
mières traces d'un opéra italien à Paris.
En 1645, Mazarin fit venir des artistes de
son pays, et l'on représenta la Finta-Pazza
au Petit-Bourbon. En 1647 encore, on
peut noter ainsi un Orfeo composé par
Rossi, et l'on suit cette première en-
treprise, malgré de grandes intermit-
tences, jusqu'en 1662. Il faut alors sauter
à 1729, mais surtout à 1752, pour retrouver
les Italiens fixés à Paris : à l'Opéra, cette
fois. Cette année 1752 est même une grande
date dans l'histoire musicale de Paris :
c'est celle de la Serva Padrona de Pergo-
lèse, et de la fameuse « querelle des Bouf-
fons ». Car on pense bien que cette intro-
nisation du répertoire italien à l'Opéra
n'alla pas sans opposition . Les auteurs j oués
avec Pergolèse furent Rinaldi da Capua,
Latilla, Jomelli, Léo....
En 1754, nouvel arrêt; puis reprise en
1778 80, avec la Buona Figlinola et YIdolo
Cinese, œuvres de Piccinni et de Paisiello,
les grands pourvoyeurs de l'époque, ainsi
qu'Anfossi, Traetta, Sacchini. Comme
interprètes, des artistes fameux : la Mara,
la Todi, Garât, David, Fischer... Déci-
dément, la musique italienne prenait pied.
Et, en effet, elle s'imposait si bien, elle
répondait si complètement à un goût
général, que c'est de 178g, en dépit de la
Révolution, qu'il faut dater sa vraie natura-
lisation à Paris. C'est en 1789 que se fonde
le premier opéra italien indépendant.
Léonard, le coiffeur de la Reine, en avait
obtenu le privilège et avait donné la direc-
tion au célèbre violoniste Viotti (précé-
demment directeur de l'Opéra). Nous
verrons plus tard le répertoire de cette
période, qui dura jusqu'en 1792 et ne fut
arrêtée, comme tout le reste, que par la
Terreur.
Mais cette interruption est la dernière.
Nous retrouvons nos Italiens réinstallés en
1801, cette fois au Théâtre olympique, rue
Chantereine, sous les auspices de la Mon-
tansier. Installés n'est pas précisément le
mot, toutefois, car ils semblaient naturelle-
ment fait pour errer toujours. Dès 1802, ils
émigraient à la salle Favart; en 1804, ils
passent à la salle Louvois, théâtre de l'Im-
pératrice ; en 1808, les voici à l'Odéon,pour
un temps un peu plus long, et de grands
succès... En i8i5. nouveau départ, premier
retour à la salle Favart (sous la direction
de Mme Catalani)... En 1819, nouveau chas-
sé-croisé et retour à la salle Louvois... En
1825, enfin, troisième séjour à la salle Fa-
vart, où l'on respire un peu et où s'écoule,
jusqu'en 1837, l'une des plus glorieuses pé-
riodes de toute cette histoire.
Cette fameuse salle Favart, nous l'avons
tous connue : c'était notre Opéra-Comique.
Quand les Italiens durent la céder, l'Odéon
les hébergea quelques années, de i838 à
1841, puis la salle Ventadour, déjà essayée
un moment, en i838, ouvrit pour eux ses
portes, et alors seulement les artistes er-
rants et leur répertoire purent se dire
chez eux. De 1841 à 1878, c'est-à-dire à la
LE GUID2 MUSICAL
353
désaffectation trop radicale du monument,
personne ne songera plus à les déranger.
Telle est, en quelques lignes, la chroni-
que du' règne de la musique italienne à
Paris. Pour l'achever, il faudrait dire un
mot encore des diverses tentatives qui ont
été faites pour ramener la mode à cette
scène, surtout celle de 1883-1884, au Théâ-
tre de la Nation, sous la direction de M.
Victor Maurel, et celle de 188g, à la Gaîté,
organisée par M. Sonzogno. J'y reviendrai
à propos du répertoire utilisé. On sait que
c'est dans la première de ces salles, l'an-
cien Théâtre- Lyrique, devenu l'actuel Théâ-
tre Sarah Bernhardt, que M. Sonzogno
reprend, sans se décourager, son artistique
entreprise.
(A suivre.) H. de Curzon.
M. FÉLIX WEINGARTNER
ET JOHANNÈS BRAHMS
n se souvient du bruit que firent dans
le monde musical les conférences
faites en 1897, par M. Félix Wein-
gartner, à Berlin, à Brème, à Munich
et à Hambourg, sur la Symphonie après Beethoven.
L'année suivante, l'éminent capellmeister publia
une brochure étendue sur le même sujet (1); elle
eut un grand retentissement et fut l'origine d'inter-
minables polémiques.
M. Félix Weingartner y était particulièrement
dur pour Johannès Brahms; tout en déclarant
qu'il mettait sa symphonie en ré majeur au-dessus
des quatre symphonies de Schumann et qu'il la
plaçait au nombre des meilleures composi.ions
néo- classiques écrites depuis Beethoven, il con-
damnait l'œuvre du maître de Hambourg au nom
de l'ennui qu'elle lui inspirait souvent, et il écrivait :
« Quand j'entends un morceau qui me révèle la
faiblesse de la musique à programme moderne, au
bout de peu de temps d'une audition attentive,
j'éprouve, malgré la grande et excessive variété
(1) Traduction française par Mme Camille Cheviilard.
Paris, Durand et fils et Fischbacher, éditeurs, 1899.
extérieure, exactement le même sentiment que
celui qu'éveille en moi une oeuvre faible de
Brahms : c'est la même impression tourmentée, insi-
pide, vide, morose. » Et M. Félix Weingartner trou-
vait beaucoup d'oeuvres de Brahms faibles !
Nous ne rappellerons ni le reproche qu'il lui
faisait de devoir une grande partie de sa réputation
aux efforts incessants des antagonistes du maître
de Bayreuth, qui ne perdaient aucune occasion de
l'opposer à Richard Wagner et parmi lesquels se
distinguait Hans de Bulow, l'inventeur des trois B,
ni les critiques qu'il fit des procédés de Brahms,
comme l'usage de la syncope pour placer la basse
à contretemps des parties d'en haut ou vice
versa (1), ou comme l'habitude de faire marcher
soit la partie élevée, soit souvent aussi une partie
intermédiaire, soit la basse, par intervalle de tierce
ou plus encore de sixte, puis de rejeter les parties
pêle-mêle par des syncopes ingénieuses. De toute
cette complication rythmique, harmonique et mé-
lodique, appelée profondeur de sens par les parti-
sans de Brahms, ajoutait ironiquement M. Wein-
gartner, il résulte que « beaucoup d'œuvres de
Brahms donnent l'impression de compositions
guindées et antinaturelles que toute la maîtrise du
travail technique ne parvient pas à échauffer ».
Les opinions de M. Félix Weingartner se sont
quelque peu transformées depuis l'époque où il
formula ces jugements sévères et outranciers. Il le
reconnaît d'ailleurs lui-même et le geste mérite
d'être admiré car il dénote une rare conscience
artistique. Saisissant l'occasion de la troisième
édition allemande de sa Symphonie après Beethoven,
il dit (2) : « J'ai écrit beaucoup de choses sur
Brahms avec lesquelles je ne me sens plus du tout
d'accord aujourd'hui », et il s'explique :
« Les œuvres de Brahms ont atteint une telle
capacité d'impression que les plus modernes
d'entre les modernes ne peuvent plus le contester
même lorsque, comme cela s'est passé en moi,
leurs tièdes sentiments de considération ne se sont
pas encore transformés en amour. D'une manière
générale cependant, on a reconnu que son Requiem
allemand pouvait être placé à côté des œuvres de
tout premier rang; que, comme pour les anciens
maîtres, sa musique de chambre est la partie la
plus profonde de son œuvre; que sa symphonie en
ut mineur, si elle n'est pas la dixième de Beethoven
(1) C'est exactement, disait M. F. Weingartner,
comme si quelqu'un se donnait des airs d'importance
pour dire la chose la plus simple du monde.
(2) AUgemeine Musikzeitung, 6 janvier 1905.
3S4
LE GUIDE MUSICAL
— que Beethoven seul aurait pu écrire — est
pourtant la première de Brahms, ce qui est mieux,
et enfin qu'on commence vraiment à le comprendre
lorsqu'on ne le considère plus comme le « troi-
sième B », mais comme indépendant de ces deux
géants auxquels le « jeu de lettres » de Bulow
semble l'avoir inéluctablement soudé, comme une
manifestation personnelle ».
M. Weingartner reconnaît alors que sur deux
points il a jugé Brahms avec légèreté; d'abord
lorsqu'il a dit : « Sa musique est belle, il est vrai,
mais quel dommage qu'elle ne sonne pas plus
juste! » et ensuite lorsqu'il a déclaré : « Brahms
orchestre mal. »
L'un et l'autre de ces jugements sont faux, et il
explique notamment comment on ne peut faire à
des compositions où tous les éléments ont été
mesurés avec une précision minutieuse un grief
des difficultés d'exécution qui en rendent la com-
préhension plus ardue.
Brahms, cependant, est-il un artisan de la
« renaissance de notre pure, noble, splendide
musique »? M. Félix Weingartner ne le pense point.
« Un certain esprit conservateur, qui regarde plutôt
en arrière qu'en avant, est indéniable en lui; avec
son tempérament renfermé, sérieux, profond et
noble, il représente plutôt la transition entre les
grands maîtres du passé et ceux que l'on espère de
l'avenir et une puissante citadelle au milieu du
chaos de l'époque présente Je me l'imagine non
comme un fondateur, mais comme un précurseur
de cette renaissance, et pour cela, il mérite d'être
honoré. » R. S.
BOITE AUX LETTRES RETROSPECTIVE
AU TEMPS D'ARMIDE
Les coulisses de l'Opéra de Paris en 1777
Il paraît que, lors des premières représentations
du chef-d'œuvre de Gluck sur la scène de l'Opéra
de Paris, certains trucs de féerie, certains effets de
scène, apparitions ou disparitions de personnages,
furent loin de donner l'impression qu'on en atten-
dait, ou plutôt donnèrent celle du ridicule. Il y
avait, entre autres, une bonne raison pour cela :
c'est le désordre incroyable qui régnait dans les
coulisses et le peu d'attention qu'on prenait à les
laisser libres et praticables. En vain des ordon-
nances spéciales, dès le 28 novembre 1713, et plus
récemment, le 3 avril 1774, interdisaient-elles
formellemement l'accès du théâtre, c'est-à-dire des
coulisses, même aux artistes, quand ils n'étaient
pas de la pièce (« Défense aux acteurs non jouants
d'y paraître en habit de ville »). On va voir par
deux documents authentiques le cas qui se
faisait de ces prescriptions trop justifiées. Cet abus,
joint à celui (qui, hélas! existe encore) des loges sur
la scène, paraît aujourd'hui presque incroyable.
Voici d'abord, dans le Journal de Paris, cette
revue si précieuse pour tout ce qui touche à la vie
intellectuelle de la capitale à la fin du xvme siècle,
à la date du 21 janvier 1777, une lettre anonyme !
adressée au directeur, et qui vise spécialement les
représentations des œuvres de Gluck à l'Opéra.
Elle est déjà topique :
« Le public assemblé aux représentations de
l'Opéra se plaint avec justice qu'il soit permis
aux chanteurs et aux danseurs en habits de ville
de s'avancer hors des coulisses, de manière à trou-
bler l'attention du spectateur et à le priver entiè-
rement, par le contre-sens qui provient de cette
bigarrure, de l'intérêt que doit produire l'illusion
du théâtre. On a vu des acteurs et des actrices
porter l'indécence jusqu'à se montrer hors des
coulisses les uns en camisoles blanches avec une
culotte d'argent et un bandeau sur le front, les
autres en peignoirs.
» J'ai vu, dans l'une des plus belles scènes
d'AIceste, une dame adossée contre l'une des cou-
lisses, ayant sur ses épaules un mantelet de cou-
leur, les deux mains dans son manchon, jouir
tranquillement du plaisir du spectacle, et faire
croire qu'elle étoit en scène avec les deux interlo
cuteurs.
» J'ai vu, dans les Champs Elysées d'Orphée, un
beau monsieur en bas rouges, camisole bleue et
perruque serpentée, s'avancer pour j uger des grâces
des Bienheureux, tous en habit blanc.
» J'ai vu des danseurs choisir le fond du théâtre
pour répéter des pas derrière une décoration à
jour, tandis que la scène étoit occupée par deu
interlocuteurs intéressants.
» J'ai encore vu une belle dame de la cour
d'AIceste, tout éplorée, le mouchoir à la main,
venir conter ses peines aux petites loges qui bor-
dent les côtés du théâtre.
» Je ne finirois pas si je voulois rapporter ici
LE GUIDE MUSICAL
355
tous les ridicules contre-sens qui entrent dans les
représentations de ce spectacle !
» J'ai l'honneur d'être, etc. »
Un autre document, un mémoire inédit, retrouvé
aux Archives nationales dans les papiers de l'in-
tendant des théâtres, Papillon de la Ferté, et pro-
bablement postérieur de vingt-cinq années à la
lettre précédente, peut en être rapproché avec
fruit et paraîtra également curieux, bien que
presque dans les mêmes termes :
Réflexions sur le peu de police observée au théâtre de
l'Opéra lors des représentations .
« Messieurs les administrateurs, guidés par un
zèle très louable, se sont sagement expliqués dans
un article du règlement concernant la police au
théâtre, en défendant aux sujets de ne jamais se
montrer en public en avançant trop hors des cou-
lisses, même sous l'habit des rôles, et encore
moins sous l'habit de la ville. La raison de cette
défense est motivée par le besoin où est le spec-
tacle de conserver son illusion et de la rendre si
vraisemblable aux yeux du spectateur, que rien ne
puisse l'en distraire. Mais comment cet article du
règlement est-il observé aujourd'hui?
» Il n'y a pas un instant, dans la représentation
d'un opéra, où l'on ne voie dans les coulisses une
infinité de gens qui s'avancent assez pour que l'on
puisse aisément les distinguer et les nommer. On
voit des femmes en mantelets blancs, en mantelets
noirs, d'autres en peignoirs, s'avancer effrontément
et faire des mimes et des gestes d'un côté à l'autre
de théâtre. On voit des hommes en habits vert,
rouge; d'autres en camisoles blanches, s'avancer
et badiner aux bords des coulisses; d'autres, plus
loin, et dans le même équipage, dansent et sem-
blent lutter à qui sautera le plus haut. Et dans
quel moment tout cela arrive-t-il ? C'est lorsqu'il y
a deux interlocuteurs en scène et dans les moments
les plus intéressants. Si, du milieu de la salle, on
voit tous ces pantins faire leur singerie, à plus
forte raison des côtés.
» Ah ! messieurs, ne privez pas le public du
plaisir qu'il éprouve lorsqu'il est entraîné, sans
distraction, dans le charme de l'illusion ! Vérifiez
par vous-mêmes, messieurs, si les plaintes qu'on
vous porte sont mal fondées; et si vous avez cette
curiosité, le public s'apercevra bientôt du remède
que vous apporterez à ce mal, en faisant observer,
avec rigueur, cet article de votre règlement.
» Il est encore un inconvénient auquel il serait
bien louable de parer, c'est la place de la ban-
quette pour les acteurs de la scène, du côté de la
Reine. Elle est si près de la loge qui est derrière,
qu'il y a des moments où l'on croit que c'est la
même compagnie, par la facilité qu'il y a de cau-
ser les uns avec les autres. On cherche le person-
nage auquel on s'intéresse, on le trouve confondu
avec des personnes d'un autre costume : c'est un
contre-sens qui détruit tout l'intérêt. Serait-il im-
possible d'obtenir des propriétaires de la loge la
permission de la griller comme elle l'est de l'autre
côté? Cela serait moins sensible. Encore serait-
il mieux de les supprimer entièrement toutes
deux ! »
* * *
A qui le dites-vous ? pourrions-nous répondre à
l'auteur anonyme de cette lettre... Mais de tels
documents se passent de commentaire.
Henri de Curzon.
LA SEMAINE
PARIS
CONSERVATOIRE. — Le Vendredi-Saint, la
Société des Concerts a donné au Conservatoire un
concert spirituel. Ce pourrait être une occasion de
faire connaître les œuvres de musique d'église;
mais le programme offrait l'ouverture de Patrie, de
Bizet, et la Damnation de Faust (fragment de la
seconde partie). Si bien qu'au lieu d'une mise au
tombeau, au lieu de quelque Christ lag in Todes-
banden, l'on voyait le romantique docteur, couché
sur des roses et entouré des sylphes.
Dans ce cadre, le Stabat Mater de M. Paladilhe
fit sentir plus vivement encore le caractère reli-
gieux de son inspiration. Ce Stabat Mater est une
œuvre nouvelle, fort pure de style, fort sincère,
émouvante, une œuvre pourtant dont on ne verra
peut-être pas (du moins tout de suite) le véritable
mérite. Ce malentendu, que nous espérons aussi
passager que possible, est tout naturel. M. Pala-
dilhe, bien qu'il ait écrit déjà un délicieux oratorio-
légende, les Saintes-Mariés de la mer, est surtout
connu comme musicien dramatique. Et son style
dramatique, formé avant l'invasion wagnérienne,
n'est plus tout à fait au goût du jour. Aussi, qu'ar-
rive-t-il à une première audition de ce nouveau Sta-
bat Mater ? On est surtout sensible à ce style, et on
reproche à l'auteur d'avoir transporté dans un ora-
torio ses habitudes do musicien dramatique. Mais
combien ce reproche est injuste! Dès qu'on étudie
356
LE GUIDE MUSICAL
la partition, dès qu'on pénètre le dessein de l'au-
teur, on revient de ce jugement hâtif et l'on com-
mence à sentir que, dans le Stabat Mater, il y a bien
des choses qu'il faudrait aimer.
M. Paladilhe a distribué les paroles latines de
l'hymne liturgique en huit morceaux de chant et
orchestre. A vrai dire, ces huit morceaux ne for-
ment qu'un seul tout. Loin de se laisser aller à ces
développements excessifs, où un auteur fait briller
la richesse de son imagination ou la virtuosité de
son écriture, M. Paladilhe, avec un évident parti-
pris de cf faire simple », a confié aux chanteurs so-
listes ou au chœur (souvent à l'unisson) les paroles
de la prose latine. L'orchestre, sans surcharge,
sonne fort bien à cause de la pureté du style, Il est
d'une couleur à la fois douce et vive, semblable à
ces fresques effacées, mais éclatantes, car le peintre
s'est dégagé du papillotage des détails.
Le Stabat Mater de M. Paladilhe fut bien chanté
par Mlle Jeanne Leclerc, Mme Dressler-Gianoli,
MM. Delmas et Gaston Dubois. Adolphe B...
Ê^
CONCERTS COLONNE. — Le vingt-qua-
trième et dernier concert de l'abonnement, donné
en soirée le Vendredi-Saint, portait le titre de
« Festival Wagner ». A l'exception de Rienzi et de
YOr du Rhin, toutes les œuvres lyriques du maître
allemand étaient représentées soit par des pages
orchestrales, soit par des scènes chantées. De
Tannhàuser, on a entendu l'ouverture et la romance
de l'Etoile ; de la Walkyrie, la chanson de Prin-
temps, l'Incantation du Feu et la Chevauchée; du
Vaisseau fantôme, la ballade de Senta; de Loliengrin,
le prélude ; des Maîtres Chanteurs, la Rêverie de
Hans Sachs; de Tristan et Iseult, la scène de la
mort d'Iseult; de Parsifal, le prélude; de Siegfried,
le duo du troisième acte ; enfin, du Crépuscule dis
Dieux, la marche funèbre.
- Si je ne craignais de faire de la peine aux artistes
chanteurs, je dirais que l'orchestre a eu beaucoup
plus de succès que chacun d'eux; et pourtant, ce
serait la vérité que d'ajouter qu'ils ont été
applaudis et rappelés par politesse pure, tandis
que l'ouverture de Tannhàuser, la Rêverie de Hans
Sachs, et la marche funèbre du Crépuscule des Dieux
ont soulevé l'enthousiasme général. Quand donc
un chanteur aura-t-il la conscience exacte de son
mérite et assez de modestie pour reconnaître que
les instrumentistes qui l'accompagnentj payés
vingt fois moins cher, ont presque toujours vingt
fois plus de talent que lui-même ? Ce n'est pas à
M, Daraux que s'adresse cette réflexion, à M. Ca-
zeneuve non plus. Tous deux sont excellents
musiciens ; mais il faut avouer que ni l'un ni l'autre
n'ont la voix nécessaire pour interpréter la musique
wagnérienne.
Mme Kutscherra, que nous n'avions pas entendue
depuis neuf ans, n'a peut-être pas le timbre aussi
éclatant dans les notes élevées qu'en ce temps-là,
mais le médium est moins sourd et la diction plus
nette. La dernière fois qu'elle chanta au Châtelet,
ce fut encore un Vendredi-Saint, le 3 avril 1896. La
soirée fut très orageuse, et je crois me souvenir que
Mme Kutscherra, par sou sang- froid et sa vaillance,
contribua à calmer l'irritation du public. Voici
dans quelles circonstances :
Le concert, conracré aux œuvres de Berlioz,
avait bien commencé. Mais, quand on vint installer
une table en face du trou du souffleur et que
M. Catulle Mendès s'avança pour faire une « lec-
ture », le public se mit à murmurer. Les premières
phrases qu'il prononça, très amphigouriques
d'ailleurs, étant mal entendues, on cria : « Plus
haut ! » — « Vous vous plaignez de ne pas m'en-
tendre, dit M. Mendès; tout à l'heure, vous m'en-
tendrez trop ». Et il continua sa lecture. On
s'attendait à l'éloge de Berlioz, mais son nom ne
fut pas prononcé une seule fois. L'orateur citait
tous les saints du paradis, mais toujours pas
Berlioz. La foule, impatientée, réclame « Miousic ! »
comme elle l'avait fait quelques années auparavant
au Concert Lamoureux, alors que Sarah Bernhardt
commençait les vers de la Passion de M. Harau-
court. M. Mendès s'énerve : « Ceux qui m'inter-
rompent sont des sots ». Et il empoigne sa chaise
et la brandit en signe de menace. Le tapage redou-
ble, M. Mendès gagne les coulisses, rentre en
scène, manque de tomber entre les banquettes des
choristes et, hors de lui, articule nettement : « Tas
de j...f... ! » Le commissaire de police apparaît, il
est hué; enfin, Mme Kutscherra, calme, mais pâle,
se présente au bras de M. Colonne; on les acclame
tous deux et le concert s'achève sans nouveaux
incidents. Depuis cette soirée, M. Mendès n'a plus
hasardé de conférences à Paris, que je sache, et
M. Colonne n'a plus demandé le concours d'un
conférencier.
Au lieu de cet intermède un peu ridicule qui
faillit tourner mal, nous en avons eu un autre,
cette année, d'un autre genre; mais celui-ci fut
charmant. Entre les deux parties du concert, un
enfant de treize ans, mais déjà un artiste de graud
talent, le jeune Mischa Elman, violoniste russe,
a exécuté le concerto de Mendelssohn et la trans-
cription d'un nocturne de Chopin. Comme notre
collaborateur qui a rendu compte dimanche der-
L2 GUIDE MUSICAL
357
nier du concert donné, salle d'Athènes, par ce
jeune virtuose, nous étions plein de défiance et
nous craignions qu'il ne méritât pas les éloges
dont on l'accablait de toutes parts. Ils ne sont
nullement exagérés. Ce n'est pas la virtuosité qui
me surprend, d'autres en ont acquis autant au
même âge que lui, — mais sa fermeté dans le coiip
d'archet, et surtout son expression artistique et
la pureté de son style. On répondra : Il ne fait
que répéter ce qu'on lui enseigne. Non, le senti-
ment musical haussé à ce degré n'est pas le résul-
tat d'une leçon apprise, mais d'un don inné,
original, si je puis dire, absolument personnel.
Julien Torchet.
CONCERTS COR TOT. — Avec un sens artis-
tique très fin, M. Cortot a compris que les œuvres
anciennes devaient nous être restituées avec
l'orchestre restreint pour lequel elles ont générale-
ment été écrites. Aussi, dans le concerto en fa
majeur de Bach, qui fait partie des Concertos
brandebourgcois, a-t-il confié l'accompagnement des
instruments concertants, violon, flûte, hautbois et
trompette, soutenus par le clavecin, à un groupe
de dix instruments à cordes Le résultat fut tout à
fait exquis. Sans doute, les deux allegro sont très
périlleux pour la trompette, mais Validante, où la
trompette se tait, est une incomparable merveille
et présente cette qualité supérieure de mélodie que
Bach est peui-être le seul à avoir atteinte, mélodie
infinie, renaissant pour ainsi dire d'elle-même,
montant d'un vol égal et soutenu, et remplissant
l'âme de l'auditeur de ce que l'on pourrait appeler
l'essence même de la musique. On voudrait, en
écoutant de pareilles inspirations, qu'elles ne
prissent jamais fin, tant elles correspondent à tout
un côté obscur et profond de notre être, tant elles
font vibrer en uous les fibres les plus pures et les
plus idéales.... Le succès fut formidable et le
public, enthousiasmé, réclama un bis que M. Cortot
lui accorda généreusement.
M. Vincent d'Indy conduisait lui-même la
Symphonie sur un chant montagnard français. J'admire
sans réserve cette œuvre franche, libre et vigou-
reuse, où la sience s'unit à l'inspiration sans la
voiler, où la joie succède à la mélancolie, et que sa
haute tenue artistique place au premier rang des
productions musicales contemporaines. Elle fut
littéralement acclamée, et c'est quatre ou cinq fois
que l'auteur dut revenir saluer un auditoire en
• délire. Ajoutons que M. Cortot avait tenu la partie
de piano avec une intelligence et un éclat admi-
rables et souhaitons que ce succès plus que com-
plet inspire à d'autres chefs d'orchestre l'idée de
nous faire réentendre l'hiver prochain la symphonie
de M. d'Indy.
L'esquisse symphonique de M. Albert Roussel,
Vendanges, a paru, il faut l'avouer, un peu pâle
après ce que nous venions d'ententre. Elle n'en
dénote pas moins de sérieuses qualités d'écriture,
et renferme des promesses pour l'avenir.
J'ose à peine dire que la Sulamite d'Emm. Cha-
brier m'a paru qiielque peu en baudruche, avec son
orientalisme déjà suranné et ses longues mélopées
amoureuses aussi dépourvue, d'accent que de vo-
lupté. Quelques phrases de chœur sont cependant
énergiques, et les dernières mesures, où la voix de
la Sulamite s'unit à celle de ses compagnes, ne
manquent pas de mouvement. Mais, en somme,
Chabrier a fait mieux, et je crois que l'on peut,
sans lui nuire, laisser dormir la Sulamite.
Il est des œuvres dont le mieux qu'on puisse en
dire est de n'en rien dire. Les Echos de l'Orient
judaïque de M. Ed. de Polignac sont de celles-là.
J. d'Offoël.
LA SOCIÉTÉ DES COMPOSITEURS a
terminé, le 18 avril, la série de ses soirées musi-
cales par un concert à grand orchestre. Le pro-
gramme mentionnait quatre premières auditions.
C'est de celles-là qu'avant tout il importe de
parler. Le Cortège nuptial, de Charles Lefebvre,
d'une blanche teinte orchestrale et d'un calme un
peu mystique, m'a semblé plutôt accompagner des
jeunes communiantes à l'autel que conduire des
époux triomphants à la sacristie pour recevoir les
félicitations d'usage ; le morceau n'en est pas
moins d'une jolie élégance.
Si l'air de ballet de Pénavaire ne rappelait avec
persistance le chœur des Contrebandiers de Carmen,
il passerait pour original ; pourtant, il reste très
agréable à entendre à cause de sa légèreté ryth-
mique et de sa grâce un peu surannée.
Il faut qu'il y ait eu erreur dans le programme,
car la Marche funèbre d'Anselme Vinée n'a rien de
lugubre ; elle a, au contraire, le caractère nette-
ment accusé d'une idylle ou d'une fête champêtre :
le thème pour hautbois, joué par M. Bleuzet, le
prouverait ; à moins que le compositeur n'ait eu
l'idée d'un nouvel Enterrement d'une marionnette,
à l'imitation de Gounod.
Une suite d'orchestre de Pierre Kunc, intitulée
Eté pastoral, serait une œuvre toute massenétique si
l'auteur n'avait eu, semble- t-il, la préoccupation
d'imiter, pâr-ci par-là, le coloris de Gustave Char-
353
LE GUIDE MUSICAL
pentier ; de cette double influence est résultée une
symphonie très pittoresque en quatre parties, dont
la première (A l'aube) est charmante et la dernière
(Danse aux lanternes) plus charmante encore et
bien digne d'être bissée.
Un fragment de la Symphonie vivaraise, de Geor-
ges Sporck, — œuvre mentionnée au concours de
la Société — aurait pu passer pour une première
audition : cette composition, exécutée récemment
à Monte-Carlo avec un vif succès, était une nou-
veauté pour nous. Il est regrettable qu'on n'ait fait
entendre que Yandante, et fâcheux aussi que ce
morceau, visiblement peu répété, ait donné l'im-
pression d'une première lecture. De là indécision
dans l'ensemble, flottement dans les parties en
imitation, et dégagement insuffisant du thème ini-
tial. A peine ai-je pu distinguer l'idée première ex-
posée par les violoncelles et reprise par le cor
anglais. La mélodie, triste et lente, est fort belle,
et, développée à la façon de Vincent d'Indy, elle
eût produit grand effet, si elle eût trouvé une inter-
prétation suffisante.
Des œuvres connues portées au programme, il
est superflu de signaler le divertissement des Erin-
nyes, le nom de Massenet n'ayant pas besoin d'être
célébré; inutile aussi, pour une raison différente,
d'insister sur une ballade pour deux voix de fem-
mes qui ne présentait pas d'intérêtvocal et orches-
tral; mais je me garderai d'oublier une Danse
grecque, de J. Mouquet, composition d'un tour
délicieux, beaucoup trop courte pour mon plaisir
et que je qualifierai de petit chef-d'œuvre de grâce
harmonieuse et d'esprit (le trille final, tel qu'il est
posé, est la trouvaille d'un musicien bien raffiné).
Pas raffinée, du tout V Adoration plaintive et quasi
douloureuse, pour orgue et orchestre, de Guilmaut ;
c'est néanmoins une œuvre écrite honnêtement
comme honnêtement elle a été conçue, en juste et
légitime mariage.
Les deux œuvres qui ont reçu le meilleur ac-
cueil ont été : Légende pour piano avec accompa-
gnement d'orchestre et d'orgue, par Georges
Pfeiffer, et une scène dramatique, Héro, d'Arthur
Coquard. Cette dernière date de 1881, et il n'y pa-
raît pas ; chantée d'abord chez Pasdeloup par Mme
Panchioni, puis au Châtelet en i883, par Mme Mon-
talba, elle vient de retrouver, salle Pleyel, tout
son succès d'antan, grâce à son expression dra-
matique très intense, grâce aussi à la voix géné-
reuse et pas:ionnéede Mme Mellot-Joubert.Je crois
que M. Colonne serait habile en faisant réentendre
cette belle composition à ses abonnés. Pour la
Légende de Pfeiffer. elle a produit une non moins
vive impression, à cause de son ample sonorité, de
ses justes proportions et de l'admirable interpréta-
tion qu'on a donnée notre pianiste «national», notre
Raoul Pugno.
Le concert était dirigé par Jules Danbé. Ah !'
qu'on était heureux de le revoir à la tête de son
orchestre ! Julien Torchet.
— M. Jan Kubelik est beaucoup plus qu'un vir-
tuose. Sans faire oublier M. Sarasate, M. Jacques
Thibaud et quelques autres, il a un réel tempéra-
ment d'artiste. Nous avons compris le grand suc-
cès qu'il a remporté, une fois de plus, au Châtelet,
le 18, devant une salle comble et enthousiaste. Il a
joué absolument bien l'intéressante Symphonie espa-
gnole de Lalo et le Rondo capriccioso de Saint-
Saëns, sans aucune recherche de l'effet. La
Romance en sol de Beethoven nous a paru un
peu froide. Pourquoi M. Jan Kubelik est-il si
fidèle à la musique de Paganini qu'il ait voulu en
donner deux morceaux ? Nous le savons capable
de rendre à la perfection ces œuvres de virtuosité
pure ; cela suffit, et mieux vaudrait passer à d'au-
tres... exercices.
Mlle Toutain a joué avec beaucoup de goût et de
variété une rapsodie de Liszt.
En somme, très beau concert, auquel M. Colonne
et son orchestre ont concouru. F. G.
— Le concert de M. Gustave Borde, donné à la
salle Pleyel le 17 avril, a pleinement réussi, si l'on
en juge par les applaudissements qui ont salué cha-
cun des artistes portés au programme indifférem-
ment — ce qui ne veut pas dire avec indifférence.
On a fait le même accueil à M. J. du Sautoy, pia-
niste, qu'à l'organiste M. Mignan,ce qui ne m'a pas
paru très juste; et M. Henri Saïller, dont le violon
a beaucoup de charme et qui a fort bien exécuté la
sonate en la mineur de Schumann ainsi qu'une ro-
mance de Mendelssohn, n'a pas été rappelé plus
souvent que ses partenaires, l'assistance ayant
montré plus de politesse égalitaire que de véritable
goût. M. Borde, qui sait son métier de chanteur, a
dit avec expression le Poème de mai de Théodore
Dubois, et une mélodie mystique de Widor. Le
plaisir qui j'ai à entendre ce baryton à la voix
chaude m'est toujours un peu gâté par les effets
d'oppositions de nuances dont, à mon avis, il abuse
un peu pour plaire aux auditeurs. Passer du forte
au pianissimo sans gradation n'est pas du meilleur
style. M. Borde a assez de talent pour se dispen-
ser de faire au public cette concession ; ce qui le
prouve, c'est qu'il a été ausû bien applaudi après
LE GUIDE MUSICAL
35g
avoir chanté très sobrement deux duos de Haendel,
avec Mme Maurice Gallet, et deux mélodies de
Fauré. Le maître, qui l'avait accompagné au piano,
a consenti à faire le même honneur à Mme Gallet,
et la musique de son Clair de lune et de ses Ber-
ceaux n'en a paru que plus délicieuse encore et tou-
jours. T.
— Lundi 17 avril a eu lieu la seconde séance de
musique Scandinave donnée par MM. Roth et Sven
Kjellstrom. Au programme figurait un quatuor à
cordes de Berwald, compositeur qui écrivit dans
une forme classique et mourut en 1S6S ; cette
œuvre posthume a été retrouvée l'année dernière
seulement et vient d'être exécutée pour la première
fois à Paris. Elle procède de la manière de Men-
delssohn et de Schubert et présente des qualités de
franchise et de légèreté, sans recherche de profon-
deur. Elle a été délicatement présentée par MM.
Kjellstrom, Szigeti, Derenaucourt et Choinet.
Un trio de G. Hàgg constituait une autre nou-
veauté. Couronné à Stockholm, cet ouvrage tout
moderne est d'une inspiration facile, élégante et
mélodique, encore que, par endroits, les dévelop-
pements en soient un peu torturée ; le scherzo, d'un
rythme valsé, m'a paru peu original, et Validante,
que termine l'apothéose d'un unisson, sent parfois
l'effort et l'affectation.
Outre la partie de piano de ce trio, M. Roth a
joué d'un bon style des pièces de Chopin et la so-
nate en mi de Scarlatti. M. Kjellstrom a exécuté
avec facilité la sonate {Trille du Diable) de Tartini.
Ch. C.
■ — M VI. Diémer, Van Waefelghem et Papin ont
donné le 18, à la salle Erard, une délicieuse soirée
de musique ancienne. Ce fut un ravissement.
Joue-t-on, a-t-on jamais mieux joué du clavecin
que M. Diémer? Les cinq pièces en trio qu'il a
jouées avec M. Van Waefelghem (viole d'amour)
et M. Papin (viole de gambe) étaient d'une sono-
rité idéale Quels charmants « petits riens » que
Sœur Monique de Couperin, pour viole de gambe, et
sa Musette, pour viole d'amour, et joués avec quel
sens artistique !
Il semble qu'on ne puisse se lasser d'entendre
M. Diémer jouant des pièces de Rameau, de
Dandrieu et de Couperin en grand artiste pénétré
des œuvres qu'il interprète, heureux de les jouer et
de les sentir comprises de son auditoire.
Mlle Lydia Eustis a chanté avec sa distinction et
son charme habituels des airs de Lulli, de Rameau
et de Haendel. Mlle Arbell, dont le contralto est
vraiment dramatique, a rendu avec beaucoup de
style l'air d'Orphée de Gluck et ces deux romances
éternellement jeunes : Plaisir d'amour de Martini et
Femme sensible de Méhul.
Cette soirée fut un repos après tant de récitals
et de concerts médiocres. F. G.
— Nous n'avons pas signalé en son temps, parce
qu'il n'y avait pas eu d'invitation, le concert de cha-
rité qui fut donné le 29 mars à la salle de la Société
d'Horticulture, rue de Grenelle. Son programme
avait fait entendre pourtant deux artistes de pre-
mier ordre, de passage à Paris, le guitariste espa-
gnol Miguel Llobet, qui fut acclamé dans des
pages de Sor et de Tarréga, et la cantatrice si
profondément artiste Mlle Palasara, qui interpréta
avec âme la Gallia de Gounod, les Enfants de
Massenet, le Nil de Xavier Leroux et la scène de
l'église de Faust, avec M. Delpouget. De M,le Pa-
lasara, nous avons déjà eu l'occasion de parler.
Deux autres concerts, beaucoup plus importants,
dont les échos nous parviennent, ont été donnés
par elle à Porto, les 4 et 5 avril dernier, et lui
ont valu des rappels sans nombre. Dans le premier,
elle a interprété tout Y Amour et la Vie d'une femme de
Schubert, quatre mélodies de Massenet encore
inconnues en Portugal et la Gallia de Gounod.
Dans le second, un choix de pages françaises,
l'une de la CUopàtre de Berlioz, une mélodie ita-
lienne de Denza, un Lied allemand de Hugo
Wolff, le Nil de Leroux et une mélodie inédite de
S. Riera, le remarquable pianiste qui exécuta
aussi plus d'un morceau au même concert.
— • Le troisième concert de Mischa Elman, cet
extraordinaire petit homme, au calme impertur-
bable, à l'air tout pénétré de sa musique, a eu lieu
le mardi 18 avril, à la salle de la rue d'Athènes,
avec un succès égal aux précédents. On est moins
surpris, et peut-être apprécie-t-on mieux. Il se
joignait à l'intérêt du programme de ce jour la
curiosité de la comparaison, car le même, à peu
près, avait été exécuté dans la journée par Jan
Kubelik, au Châtelet. C'était la Symphonie espagnole
de Lalo, cette page si élégante et si colorée ;
c'était Validante et V allegro de la troisième sonate de
Bach ; enfin, la romance en sol de Beethoven et le
Perpetuum mobile de Paganini. Mischa Elman n'a
pas l'autorité de Kubelik, c'est tout naturel ; mais il
a probablement plus de sentiment ; ses impressions
et le rendu de ses impressions sont plus vifs, plus
attachants. La symphonie surtout, et plus particu-
lièrement les parties mélodiques et lentes, ont été
dites par lui avec une grâce et une expression
charmantes et vraiment personnelles. De même la
36o
LE GUIDE MUSICAL
romance de Beethoven. La virtuosité pure me
laisse plus froid, mais il en est ainsi avec presque
tous les virtuoses du violon : c'est une affaire
d'impression. Comme intermède, Mlle Lucie Léon
a joué avec largeur, sur le piano, des pages de
C. Chevillard, G. Fauré et Raff. H. de C.
— M. Gailhard vient de suivre l'exemple donné,
depuis quelques années, par M. Albert Carré. De-
puis le mercredi 12 avril, date de la reprise d'Ar-
mide, le nom du chef d'orchestre qui dirige la
représentation du soir est imprimé en grosses let-
tres au bas de l'affiche de l'Opéra. C'est à M. Paul
Taffanel qu'on a fait cette grâce pour la première
fois depuis la fondation de l'Académie de musique.
Cette innovation est de toute justice : le public,
renseigné sur les noms des obscurs coryphées qui
chantent souvent plus ou moins faux, apprendra et
retiendra ainsi les noms des musiciens de grand
talent sur lesquels pèse la responsabilité des ouvra-
ges lyriques et de qui dépend toujours leur bonne
exécution.
— M. Lucien Wurmser vient de rentrer à Paris
après une tournée en province et à l'étranger, où,
depuis le mois d'octobre, il a donné plus de cin-
quante concerts. Il se fera entendre à la salle
Pleyel les n, 16 et 19 mai. Pour ces trois séances
il s'est assuré le concours du quatuor Firmin
Touche, de Mme Charlotte Lormont, de M. Phi-
lippe Gaubert et de M. Disraeli (de Vienne).
— La Société de musique de chambre pour in-
struments à vent (fondation Taffanel), qui a laissé
de si excellents souvenirs en Allemagne, vient
d'être engagée pour les fêtes de Beethoven qui
vont être célébrées à Bonn. Elle y interprétera,
avec Joachim et d'Albert, plusieurs œuvres du
grand maître allemand.
— Le conseil municipal, estimant qu'il serait
avantageux pour la ville d'avoir, au Conservatoire,
des bourses régulières attribuées après concours,
a proposé le projet de délibération suivant :
« L'administration est invitée à étudier, avec la
direction du Conservatoire de musique ou avec le
sous-secrétariat d'Etat des beaux-aits, et d'accord
avec la quatrième commission, la création de
bourses de la ville de Paris dans cet établissement
et les conditions de la mise au concours de ces
bourses. »
Les bourses ainsi instituées seraient réservées
essentiellement à des jeunes gens nés à Paris et
ayant fait leurs études primaires ou secondaires
dans les écoles de la ville.
Les conventions^ et règlements devront être
arrêtés de manière que les bourses en question
puissent être attribuées pour l'année scolaire igo5-
1906.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La rentrée dans la Walkyrie de Mme Félia Lit-
vinne, la plus impressionnante et la plus noble
des Brunnhilde, nous a donné l'occasion d'en-
tendre un jeune ténor, M. Demeyer, qui a fait
une excellente impression. Il a chanté le rôle de
Siegmund avec beaucoup de vaillance ; son inter-
prétation, sans être parfaite, avait été soigneuse-
ment étudiée, et le personnage était composé avec
une réelle habileté. La voix est souple, impression-
nante et belle, surtout dans les notes graves.
Jeudi dernier, la reprise du Crépuscule des Dieux
a obtenu un magnifique succès. Mme Félia Lit-
vinne y a été plus parfaite et plus admirable que
jamais, et on ne peut imaginer réalisation plus
merveilleusement belle du prologue, du deuxième
acte et du grandiose finale. M. Ch. Dalmorès a eu
des demi-teintes tout à fait jolies dans le récit de
l'oiseau ; mais en atténuant ainsi les éclats autre-
fois plus farouches de sa voix, il a peut-être
diminué un peu l'impression de grandeur des
scènes du premier acte.
Rarement le personnage de Gunther a été
mieux composé que par M. Decléry, et M. Vallier
a été saisissant dans le rôle de Hagen. On a
admiré le fini musical de Mme Dratz-Barat, qui
chantait Gutrune pour la première fois, et Mme
Dhasty, dont l'accent tragique donne au rôle
de Waltraute une belle grandeur.
La scène des N ornes et celle des Filles du
Rhin ont été tout à fait excellentes; mais il faut
surtout féliciter M. Sylvain Dupuis et son
orchestre, qui ont donné jeudi l'une des plus
parfaites exécutions du Crépuscule.
Le répertoire de la semaine, très chargé et par-
ticulièrement intéressant, comprenait en outre le
Trouvère, Carmen, Faust, Manon, Paillasse, admi-
rable avec VI. Thomas-Salignac, Martilh et Alccste
avec Mme Félia Litvinne.
Aujourd'hui dimanche, en matinée, pour les
représentations de M. Thomas-Salignac, Carmen, et
le soir, Hérodiade; demain lundi, le Postillon de L011-
jumeau et les Noces de Jeannette; mardi, Manon; mer-
credi, pour les représentations de Mme Litvinne,
LE GUIDE MUSICAL
36i
dernière du Crépuscule des Dieux; jeudi, spectacle
coupé pour les adieux des artistes. R. S.
— Le concert donné par M. Jan Kubelik à
l'Alhambra n'a pas obtenu tout le succès artis-
tique qu'on pouvait en espérer. Avec une technique
tout à fait étonnante, une facilité et une souplesse
incroyables dans les traits les plus difficiles, rémo-
tion de l'artiste pourrait-être rendue d'une manière
saisissante, qui ferait de M. Kubelik un des grands
violonistes du siècle. Malheureusement, cette
émotion fait assez généralement défaut et s'il a
interprété d'une manière charmante le Rêve d'enfant
de Schumann, l'exécution qu'il a donnée du con-
certo pour violon de Beethoven a été correcte,
mais froide surtout dans le finale; seules, les
cadences étaient remarquables.
La Ronde des Lutins de Bazzini, jouée en bis, a été
très finement enlevée, mais, par contre, le Carnaval
russe de Wieniawski a semblé manquer d'intérêt.
M. Louis-Fl. Delune dirigeait l'orchestre, qui a
fort correctement ouvert le concert par l'ouverture
de Léonore n° 3 de Beethoven, et M. Schwab tenait
le piano d'accompagnement avec un tact parfait.
C.
— Le troisième concert de l'Exposition des Pein-
tres et Sculpteurs de l'Enfant débutait par deux
charmants petits Lieder de Jan Blockx, Wieg en
muit et De Muis, et trois fragments de la Chambre
d'enfants de Moussorgski fort délicatement inter-
terprétés par Mlle Rosa Piers, qui a su en rendre
la poésie et l'intimité. Trois petites filles, élèves
de l'Ecole de musique d'Ixelles, ont joué à ravir
une Fughetta sur un thème obligé de Rimsky-
Korsakow et une Polka de Borodine.
Mlle Alice Cholet a interprété ensuite une
Berceuse de L. Delcroix, un Conte de Noël de Fré-
molle et une paraphrase de l'air de Grétry : Où
peut-on être mieux... par Vieuxtemps, avec un art
tout à fait délicat et une technique d'une jolie
assurance.
Les Berceaux de Fauré, Fais dodo de Radoux ont
ti'ouvé en M. D. Demest un interprète parfait;
Mme Demest a chanté avec beaucoup de grâce un
Schumann et Dors, mon enfant de Richard Wagner;
puis, ensemble, les deux excellents artistes ont
exécuté la Vierge à la crèche et Aux petits enfants,
deux chefs-d'œuvre de César Franck.
Le triomphe a été pour Mme Clotilde Kleeberg-
Samuel, qui a joué les Scènes d'enfants de Schu-
mann avec un art d'une perfection, un sentiment
d'une délicatesse, une compréhension d'une inti-
mité aussi admirable qu'émouvante. Elle a été lon-
guement ovationnée; ce fut d'ailleurs un charme
exquis de l'entendre interpréter dans ce maître
d'art enfantin, ces merveilleuses Kinder scenen
qu'elle fut la première, il y a quelque huit ans, à
remettre en honneur dans les grands concerts.
C.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le concert extraordinaire donné
par les Nouveaux Concerts pour clôturer
la saison a été particulièrement brillant. On y a
entendu la superbe cantatiice wagnérienne Mme
Litvinne, qui chanta « Divinités du Styx » d'Aïceste
et l'imposante scène finale du Crépuscule des Dieux.
De magnifiques ovations accueillirent la belle
artiste. Au même concert se faisait entendre le
célèbre violoniste Pablo de Sarasate, dont le jeu,
d'une vélocité encore surprenante pour son âge, et
le son idéalement pur émerveillèrent l'auditoire.
Un succès des plus chaleureux après le concerto
de Saint-Saëns, la romance en fa de Beethoven et
ses propres Danses russes l'obligèrent à nous
donner en bis un prélude pour violon seul de
Bach. La partie orchestrale était soignée. Sous
la direction attentive de M. L. Mortelmans,
nous entendîmes : La Mer de Gilson, le Waldwében
et la marche funèbre du Crépuscule de Wagner.
Au Théâtre lyrique flamand, la pimpante
opérette de J. Strauss La Chauve-Souris obtient un
grand succès, grâce à l'interprétation soignée
qu'en donnent Mmes Judels, Bierlée, Sohns et
MM. Moes, Engelen, Dognies, Tokkie, Steurbaut
et Rieter. Nous voudrions plus de légèreté cepen-
dant à l'orchestre, conduit par M. Schrey.
Au Théâtre royal, qui vient de fermer ses por-
tes, il nous faut signaler encore le début très
remarqué de Mme Jacobs dans Faust. Elève de
M. Duzas, elle possède une voix bien conduite.
M. Van Dooren, pianiste, et M. de Herdt, violo-
niste, ont donné à la salle Anthonis une soirée
charmante. G. P.
ATHÈNES. -- Notre saison de concerts a
été, jusqu'à présent, particulièrement bril-
lante et, quoique entièrement concentrée au Con-
servatoire, elle s'est composée de programmes de
nature à satisfaire les plus difficiles. Les concerts
du Conservatoire, qui se donnent chaque mois, ont
présenté dans quatre séances une série d'œuvres
non exécutées encore à Athènes : la symphonie en
ut mineur de Beethoven, celle en ré majeur de
Haydn, la symphonie dite « de la Reformations de
Mendelssohn, un poème symphonique de Glazou-
now, Slenha Rasine, de superbe structure, le Carua-
362
LE GUIDE MUSICAL
val à Paris de Svendsen, le prélude de Parsifal, la
charmante ouverture An printemps, de Goldmark,
etc., etc. Comme solistes, à côté du violoncelliste
M. Destombes, citons M. J. Bustinduy, violoniste,
ancien premier prix du Conservatoire de Bruxelles,
dont le succès augmente à chaque apparition. Son
répertoire est aussi vaste que brillant, et ce jeune
artiste, qui joint à une modestie rare l'amour de
son instrument, a récemment encore exécuté le
concerto si difficile de Goldmark, accompagné
par l'orchestre du Conservatoire. M. Bustinduy
avait joué peu avant le concerto de Wieniawsky,
des œuvres de Bach, Sarasate, etc.
Un des premiers concerts de la saison nous avait
révélé M.Wassenhoven, pianiste de Vienne. Sauer
fut son maitre, et la sobriété des moyens employés,
le classicisme parfois extrême de son interpréta-
tion, dénote un virtuose à la recherche de la sincé-
rité plutôt que de l'effet facile et superficiel. M.
Wassenhoven eut l'honneur d'inaugurer le splen-
dide Steinway qui n'a pas coûté moins de dix mille
francs au Conservatoire. Sous la direction attentive
de M. Nasos, les classes d'instrument à vent ne
sont pas moins bien partagées. M. Sermon, un
Bruxellois, est un excellent flûtiste, et on comprend
que son jeu au mécanisme parfait, tout de légèreté,
fasse les délices du public. Ce fut un triomphe qu'il
remporta au dernier concert symphonique après
Y Oiseau des bois de Doppler, accompagné de quatre
cors. Certains préférèrent le concerto de Mozart
pour flûte, harpe et orchestre. Excellemment se-
condé par Mme Cremer, aussi du Conservatoire de
Bruxelles, l'œuvre gracieuse produisit tout son
effet. Frank Choisy.
BORDEAUX. — La première du Tasse a. été
un très vif et très grand succès. Conçu d'après
la Vie de Torquato Tasso, de Lamartine, par Jules
Barbier, l'éminent collaborateur de nos plus illus-
tres compositeurs français, et achevé par son fils,
M. Pierre Barbier, l'un de nos meilleurs auteurs
dramatiques, le poème du Tasse est une œuvre de
belle littérature. Ecrit en vers élégants et sonores,
d'allure facile et mouvementée, il puise dans la
vérité historique de ses épisodes, que l'imagina-
tion du librettiste a su respecter avec beaucoup de
tact, un intérêt vivant.
Sur ce poème, M. d'Harcourt a écrit de main de
maître une musique pleine de vie et de mouvement,
très mélodique et cependant très nourrie, fort riche
en détails intéressants. M. d'Harcourt est de ceux
qui poussent très loin le souci de l'écriture et du
style. Bien que son idéal ne soit pas tout à fait l'idéal
moderne (il ne s'en cache point), il ne s'est pas
soustrait à cette influence moderne que ses harmo-
nies et son orchestration ne saurait renier. Il ne se
défend point du souci de plaire au public, mais il
faut lui rendre cette justice qu'il ne fait aucune
concession critiquable, et une heureuse atmosphère
de sincérité enveloppe toute son œuvre.
Si sa musique plait, il n'y a jamais lieu de lui
reprocher les moyens employés pour obtenir cet
agréable résultat.
Les dessins dont son orchestre accompagne les
chants sont plus souvent d'élégantes broderies que
des contrepoints sévèrement combinés, mais il sait
à volonté emplover toutes les ressources de la
technique polyphonique. C'est une œuvre sérieuse,
savamment écrite et heureusement inspirée.
Le joli duo de Léonore et Lucrèce, en partie
chanté dans la coulisse, et qui fait suite au dialo-
gue de Francesco et du Tasse a beaucoup plu par
son allure mélodique. Le second tableau, celui
du cortège nuptial et de la deuxième rencontre du
Tasse et de Léonore, a produit un excellent effet,
et c'est sur un double rappel que se termina le
premier acte.
A partir du deuxième acte, on sentit que
M. d'Harcourt commençait à gagner la partie.
Après la jolie introduction en sourdine, un duo
très mélodieux entre Léonore et Lucrèce, puis le
duo de Léonore et du Tasse, puis un trio très
chaleureux, et enfin la grande scène du duel
furent applaudis très spontanément et l'air de
Léonore obtint un beau succès.
C'est au troisième acte que se 'place le clou de
l'œuvre, le morceau à bisser qui décide vis-à-vis
du public du sort d'une pièce, et c'est à l'heureux
page Giulio qu'il est échu. Cette mélodie très
simple, mais construite avec une grande habileté
et discrètement accompagnée à l'orchestre, avec
une science parfaite de l'effet, très bien chantée,
d'une voix si séduisante, par Mme Magne, a énor-
mément porté. Le Us inévitable eut lieu, unanime-
ment demandé, et la glace étant définitivement
rompue, le duo très passionné de Léonore et du
Tasse fut salué d'un succès des plus francs.
Comme on peut le voir, le succès du Tasse s'est
affirmé d'acte en acte, pour devenir à la fin une
brillante victoire. Les auteurs réclamés avec
enthousiasme, ont dû venir sur la scène saluer le
public, qui les a acclamés.
Nous devons féliciter chaudement tous ceux
qui ont collaboré à la création du Tasse à Bor-
deaux, assurant ainsi le succès d'un acte de
.décentralisation que l'on ne saurait trop soutenir
et encourager. En premier lieu, nommons M.
Montagne, qui a dirigé les études et l'exécution
LE GUIDE MUSICAL
363
avec autant de zèle que de maîtrise ; Mme Baron
a chanté le rôle très lourd de Léonore avec beau-
coup de conscience et de talent. M. Granier a
montré de grandes qualités dans celui du Tasse.
M. Raynal a eu excellente tenue dans le person-
nage du comte Molza. On a regretté que Mme
Blancard n'ait pas eu un rôle plus important,
mais elle a su faire valoir les quelques phrases
qu'elle a chantées en remarquable artiste. M. Cla-
verie a donné une belle allure au rôle d'Alphonse.
Nous avons déjà cité Mme Magne. Mlle Marignan
est une charmante Thisbé. G. de M.
T A HAYE. — Le Wagner- Verein de La
J_J Haye a donné, sous la direction de M. Henri
Viotta, son concert annuel dans la grande salle du
Conservatoire des Arts et Sciences, avec les chœurs
du Wagner-Verein et le Residentie Orkest. Le
programme se composait du second acte de Tann-
hàaser et du troisième acte du Crépuscule des Dieux.
MmeFélicia Kaschowska (Elisabeth et Brunnhilde),
MM. Friedrich Carlen (Tannhâuser et Siegfiied),
Emil Holm (Landgraf et Hagen), Mme. Viotta- Wil-
son, Mlles Gronoman et van Linden van den Heu-
vell, de La Haye (les filles du Rhin), MM. Zals-
man (Wolfram et Gunther), Andreoli (Walther),
van der Stap (Biterolf), Renaud (Henri l'Ecrivain)
et Molenbroek (Reinmar).
L'exécution mérite les plus sincères éloges.
Au troisième et dernier concert populaire, dirigé
par le baron van Zuylen van Nijevelt, on nous a
donné la Sinfonia hevoïca de Beethoven, le poème
symphonique Orphée de Liszt (première exécution
à La Haye) et la Rhapsodie hollandaise de Van An-
rooy. Exécution en général fort consciencieuse.
Comme soliste, nous y avons entendu la jeune
violoniste Mlle Annie de Jong, qui a obtenu un très
grand succès. Elle a joué avec une véritable per-
fection, une crânerie toute masculine et un style
qui trahit la meilleure école la Symphonie espagnole
de Lalo, une romance de Procharka et une Scène
de bal de Mayseder Helmesberger.
Au Théâtre royal français, Mme Lalla Miranda
a été très acclamée pour son interprétation du rôle
d'Ophélie dans Hamlet, où elle a été supérieure-
ment secondée par le baryton M. Edwy, dans le
rôle de Hamlet.
La Société royale de chant d'ensemble Cecilia,
pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire
de sa fondation, vient de donner un concert avec
orchestre sous la direction de M. Henri Vôllmar,
où Ton a sxécuté l'ode symphonique La Mer de
Nicodé et la Cène des Apôtres de Richard Wagner,
deux ouvrages d'une grande difficulté vocale. Exé-
cution à louer, mais trahissant parfois l'effort.
Dimanche a eu lieu la dernière des matinées
symphoniques données par M. Viotta avec le
Residentie Orkest. Le programme se composait
de la septième symphonie de Beethoven, du
Concerto grosso avec solo de hautbois de Haendel et
de l'ouverture de Tannhâuser de Wagner. Comme
soliste, Mlle Harry Vander Harst.
A Amsterdam, la Société pour l'encouragement
de l'art musical a donné, le dimanche des Rameaux,
une exécution superbe de la Passion selon saint
Matthieu de J.-S. Bach, sous la direction de
M. Mengelberg et avec le précieux concours de
MM. Messchaert (le Christ), Urlus (l'Evangéliste)
et de M"^ de Haan-Manifarges et Oldenboom.
Nous avons eu à La Haye une séance fort inté-
ressante de chansons populaires russes, donnée
par un petit choral mixte dirigé avec beaucoup
de talent par Mme Nadina Slaviansky.
L'Opéra italien vient de finir. La saison a été
d'un intérêt bien médiocre, et les exécutions ont
laissé beaucoup à désirer. Ed. de H.
LILLE. — La dernière matinée de la Société
J des Concerts avait un double attrait, par
l'exécution d'importants fragments de Parsifal et
par la première exécution du Requiem de Johann es
Brahms.
Si le succès du Requiem de Brahms fut grand et
si l'auditoire n'a pas ménagé ses bravos, c'est que
ce public a été savamment préparé par une suite
ininterrompue d'œuvres belles et grandes, présen-
tées avec beaucoup de soin dans la gradation, et
surtout c'est que l'interprétation exceptionnel-
lement expressive de M. Maquet a mis complète-
ment en lumière cette œuvre grandiose.
Les fragments de P'arsifal ne furent pas moins
goûtés, et il nous faudrait signaler toute la poésie
et tout le charme de Y Enchantement du Vendredi-
Saint avant de juger comme il le mérite le merveil-
leux finale du premier acte, rendu avec un rare
fini et de splendides effets de nuances tant par
l'orchestre et les chœurs, très disciplinés, que par
M. Frolich, admirable de grand style et de talent.
Mlle Eléonore Blanc, après avoir chanté le
Requiem avec M. Frolich, s'est fait applaudir dans
Le Jeune Pâtre breton et l'Absence, de Berlioz.
Dans l'ouverture de Rosemonde, de Schubert,
l'orchestre avait montré toute ses qualités de
souplesse et de légèreté. P. C.
LONDRES. — La convalescence de M. Hans
Richter étant à peine terminée, il n'a pu diri-
ger son concert symphonique et il a été remplacé
au pupitre par M. Frantz Beidler, de l'Opéra im-
périal de Moscou, l'un des capellmeister de Bay-
3è+
LE GUIDÉ MUSICAI
reuth. En raison de l'anniversaire de Beethoven,
le programme comprenait la Symphonie héroïque, qui
a été remarquablement exécutée. Au Queen'sHalL
M. Henry J. Wood a conduit une nouvelle fois
la Symphonie pathétique de Tscha'ikowsky, qui est
l'une des œuvres les plus applaudies à Londres.
Aux deux concerts de la Société philharmonique,
nous avons entendu la symphonie n° 2, Antar de
Rimsky-Korsakow et la symphonie en ré de Dvo-
rak ; à cette dernière soirée, M. Hubermann faisait
sa réapparition depuis l'accident qui l'avait éloigné
des concerts et il a été très applaudi dans le con-
certo de Tscha'ikowsky.
M. Richard Strauss est venu lui-même conduire
sa Sinfonia domestica; peut-être cette exécution n'a-
t-elle pas été aussi parfaite dans les détails que
celle qu'en avait auparavant dirigée M. Wood;
mais, par contre, l'impression d'ensemble était sin-
gulièrement plus forte, l'œuvre a paru d'autant
plus claire et plus remarquable, et le concert s'est
terminé par une magnifique ovation au composi-
teur.
Signalons encore le concert dirigé par M. Geor-
ges Henschel, qui, depuis des années, n'était plus
venu à Londres, et ceux de M. Charles William, au
cours desquels nous avons entendu pour la pre-
mière fois le jeune violoniste russe Mischa Elman,
dont la technique est vraiment belle et intéres-
sante, mais auquel il manque encore, chose bien
excusable, la puissance de sonorité et d'expression.
Les deux concerts de M. Jacques Thibaud ont
été d'admirables succès, à côté desquels je ne puis
plus que mentionner les récitals de M. Wilhelm
Backhaus, Mme Anne Frickenhaus, M. Arthur
Friedheim, miss Dora Bright et miss Pepper corn.
Mme Sandi a été très applaudie à sa séance de
chant et on a fêté également MM. Charles Clark et
Plunket Greene. Enfin, le Quatuor Capet a donné
une série de très belles séances et il a été particu-
lièrement apprécié dans une interprétation magni-
fique du quatuor en fa, op. 5g, de Beethoven.
M. Hans Richter conduit en ce moment les ré-
pétitions de Y Anneau du Nibelung à Covent Garden ;
la régie a été confiée à M. Werk, des théâtres de
Munich et de Bayreuth. N. G.
ROUEN. — Il est facile de parler de l'utilité
de la décentralisation de l'art musical ; il est
aisé d'écrire sur ce sujet autant de pages qu'il sied.
De toute autre chose s'agit-il lorsqu'il faut passer
à l'action. On sait quelle persévérance il a fallu
aux Lamoureux et aux Colonne pour mettre au
point telle œuvre quelquefois plus "ou moins ap-
plaudie d'un public généralement instruit, et cela
avec le concours de musiciens professionnels ex-
périmentés; quelle intelligence artistique et quel
courage n'a-t-il pas fallu à ces quelques musiciens
d'élite qui n'ont pas craint de suivre leur exemple
en cherchant à faire connaître les chefs-d'œuvre
des maîtres en province, où les ressources sont infi-
niment moindres qu'à Paris ? Un jeune maître de
chapelle de notre ville, Albert Dupré, n'a pas
craint, il y a quelques années, de se lancer dans
cette voie, en fondant une société chorale avec le
concours d'amis et d'amateurs distingués. En peu
de temps, l'Accord parfait donnait des exécu-
tions remarquables d'œuvres trop peu connues et
trop peu appréciées du public, telles que Rttth de
César Franck ou la Passion selon saint Jean de J.-S.
Bach.
Ces jours-ci, l'Accord parfait nous conviait à en-
tendre le Requiem de Brahms en l'église Saint-Go-
dard.
L'exécution a été excellente. On sentait la
mise au point qui suit les nombreuses et fertiles
répétitions ; aussi, avec quelle aisance M. Albert
Dupré conduisait-il des masses chorales devenues
si souples sous sa main expérimentée! Une fois
de plis, il a fait œuvre utile et élevée et a bien
mérité de l'art et du public rouennais. On doit
adresser les meilleures félicitations aux solistes,
Mlle H., à laquelle un beau talent permettrait sans
crainte de déchirer le voile de l'anonymat, et
M. Saudegrain, le sympathique baryton. Un Tantum
ergo de Haydn a permis à Mlle Chauvière de faire
apprécier une méthode impeccable et une voix pé-
nétrante avec de belles qualités de charme. M.Mar-
cel Dupré tenait l'orgue et a interprété avec la
maturité et l'autorité qu'on lui connaît un Prélude
et une Fttgue de Mendelssohn.
La place manque pour parler comme il convien-
drait d'une bonne séance de musique ancienne ou
plutôt de chanson ancienne, à laquelle Mmes Si-
mone d'Arnaud, du Théâtre des Arts, et Roger-Mi-
clos, l'éminente pianiste, prêtaient leur concours,
et qui a obtenu le plus vif succès. P. P.
&
TOURNAI. — Les concerts de l'Académie
de musique se sont terminés dimanche par
la première audition intégrale d'une œuvre de
leur directeur, M. Nicolas Daneau : Linario,
drame lyrique en trois actes. Le jeune auteur
a été malheureusement desservi dans son intéres-
sant travail de composition par un poème mono-
tone, lugubre et presque ridicule. Ce livret n'a
LÉ GUIDE MUSICAL
365
en tous cas, rien de scénique et compromettra
toujours le succès au théâtre de cette œuvre musi-
cale qui, elle, n'est pas dénuée de tout mérite.
Certes, les réminiscences des grands composi-
teurs modernes sont assez sensibles dans l'œuvre
nouvelle de M. Nicolas Daneau, mais n'est-ce pas
un peu, pour lui, le cas de la grande majorité
des jeunes auteurs de l'école belge, de subir
l'influence de nos voisins allemands et français ?
Cette réserve faite, il est incontestable que M.
Daneau orchestre d'une façon très travaillée, très
touffue, peut-être même un peu tourmentée, et que,
de-ci, de-là, dans son œuvre, se découvrent quelques
charmantes pages mélodiques.
Une grande partie de son drame lyrique est
basée sur des voceri, les chants funèbres de la
Corse, où son librettiste a situé son action...
funèbre. Il convient de signaler tout spécialement
le vocero de l'entrée du deuxième acte et le chœur
des pleureuses (avec un bel accompagnement des
violoncelles) qui le suit immédiatement. Un
chœur de villageois et de villageoises, au premier
acte, est aussi assez intéressant musicalement par-
lant, mais il est regrettable qu'il soit déparé à
plusieurs reprises par l'emploi trissyllabique du
mot féerie, qui est incontestablement dissyllabique!
Dans son orchestration, M. Daneau n'abuse pas,
comme beaucoup de jeunes auteurs contem-
porains, des mirlitonesques cors bouchés, mais
il emploie peut-être encore un peu trop fréquem-
ment les cymbales. Par contre, il a confié un
grand rôle aux altos et aux cors anglais, deux
instruments sombres absolument dans la note de
ce drame lyrique.
Nous le répétons, l'œuvre du directeur de
l'Académie de musique de Tournai, si elle ne
dénote pas une originalité bien transcendante,
témoigne en tous cas du caractère sérieux de son
talent, de la valeur de ses connaissances orches-
trales et d'un travail opiniâtre qui aura sa récom-
pense le jour où M. Nicolas Daneau trouvera un
poème plus adéquat à son tempérament musical
et une interprétation un peu plus parfaite que celle
que lui ont donnée ses solistes féminins dimanche
dernier.
L'orchestre et les chœurs étaient bons, de même
que les deux solistes masculins : MVT. Swolfs et
Tondeur. Le premier a gentiment soupiré le rôle
de Linario, et le second a donné beaucoup d'auto-
rité à celui de Marc Anton. Leur mérite à tous
deux a été d'autant plus grand que les parties qui
leur étaient confiées étaient hérissées de difficultés
vocales et harmoniques.
J. DUPRÉ DE COURTRAY.
NOUVELLES
La saison de l'Opéra Métropolitain de New-
York a pris fin avant la semaine sainte. Elle a
duré quinze semaines, pendant lesquelles on a
donné vingt neuf opéras, une opérette et deux bal-
lets. Parmi les ouvrages joués, il faut mentionner
les Noces de Figaro de Mozart, Fidelio de Beethoven,
Lohengrin, Tanithàuser, Tristan, les Maîtres Chanteurs,
deux exécutions cycliques du Ring, enfin ParsifaI,
que M. Conried a introduit dans le répertoire cou-
rant. Comme lendemain à ParsifaI les Yankees ont
eu la bonne fortune de pouvoir applaudir la Chauve-
souris de J. Strauss! Les autres ouvrages joués
sont : Aïda, le Barbier, Rigoletto, la Bohème, Tosca,
Faust, Carmen, Paillasse, Cavalleria, les Huguenots. Il
y a eu en outre une série de représentations en
italien pour les deux étoiles de la troupe, Mme Mar-
cella Sembrich et M. Caruso. La troupe ita-
lienne a chanté Lucie, Lucrèce Borgia, Traviata,
Elisire d'amore, Don Pasquale, le Bal masqué, Roméo
et enfin Gioconda. Les deux ballets introduits à
New-York, par M. Conried, sont Coppélia et la
Fée des poupées.
Actuellement M. Conried parcourt la province
américaine avec sa troupe. ParsifaI est de la tour-
née avec Chauve-Souris !
Laciitique sérieuse accuse sévèrement l'infério-
rité de l'orchestre, que M. Conried a été forcé de
réduire à cause des ridicules exigences du Syndi-
cat des musiciens.
— On vient de découvrir un scénario jusqu'ici
inconnu de R. Wagner. C'est un projet de poème
d'opéra tiré d'un des contes de Hoffmann,
les Mines de Faloun qui fait partie de la série
des Frères de Serapion. Ce scénario dont Wagner
n'a jamais parlé dans ses mémoires, date de
l'époque de son premier séjour à Paris en 1842
et est immédiatement postérieur au Vaisseau
fantôme. La pièce devait comprendre trois actes.
Le scénario s'est retrouvé dans les papiers d'Au-
guste Rôckel, le démocrate et révolutionnaire
saxon avec lequel Wagner eut par la suite d'étroi-
tes relations d'amitié à Dresde et à qui il adressa
après 1849, une série de lettres d'un très haut
intérêt, pendant la captivité de Rockel dans les
prisons de Saxe.
— M. Adolphe Kohnt, auteur d'intéressantes
recherches biographiques, a publié, dans l'un des
derniers numéros de la Neue Musih-Zeitung, le récit
des relations qui existèrent entre Manuel Garcia et
346
LÉ GUIDE MUSICAL
trois de ses plus illustres élèves, Jenny Lind,
Johanna Wagner et Wilhelmine Schroder-De-
vrient.
Jenny Lind avait déjà chanté à Stockholm dans
des ouvrages importants, les Huguenots et le Frei-
schûtz, lorsqu'elle vint à Paris en 1841. Le comte
de Luxburg, ambassadeur de Bavière, la présenta
à Manuel Garcia, qui se montra peu enthousiaste de
la voix de la jeune femme, que l'on n'appelait
pas encore le a rossignol suédois » ; il trouva son
organe si fatigué, son émission si contrainte, qu'il
exigea, si elle voulait travailler sous sa direction,
qu'elle demeurât préalablement dans un complet
repos pendant deux mois entiers. Elle y consentit
et montra ensuite, par l'exécution pleine d'aisance
de l'air Casta Diva, de Norma, quel avantage lui
avait procuré la méthode et l'enseignement qu'elle
venaient de suivre, au point de vu de la respira-
tion. Chaque heure de leçon lui coûtait dix thalers
(environ fr. 37, 5o).
Elle obtint d'ailleurs des triomphes qui ajoutè-
rent tellement à la notoriété de Manuel Garcia,
que le roi de Saxe se décida, vers 1846, à envoyer
à ses frais auprès de lui, à Paris, Johanna Wagner,
la nièce de Richard Wagner, engagée alors au
théâtre de Dresde. Quand la jeune artiste revint
dans son pays, on admira beaucoup la solidité
qu'avait prise sa voix, qui paraissait auparavant
fragile, et l'aisance qu'elle avait acquise. Elle eut
bientôt après un engagement à Berlin ; sa grande
réputation comme chanteuse date de là.
Quant à Wilhelmine Schrôder-Devrient, elle
ne fut pas, à proprement parler, élève de Garcia.
Le chanteur Ferdinand de Strantz a raconté la
petite histoire suivante : Les succès de Johanna
Wagner empêchaient de dormir Wilhelmine
Schrôder-Devrient, qui, elle aussi, appartenait à
l'Opéra de Dresde. Elle vint à Paris avec son
admirateur, M. de Doring, qu'elle devait épouser
plus tard, et se présenta chez Manuel Garcia sous
le nom de Mme de Doring, disant qu'elle voulait
prendre des leçons. La cantatrice était alors pres-
que à la fin de sa carrière. Manuel Garcia, qui
l'avait prise pour un amateur, fut vite détrompé
après l'avoir entendue dans un air du Freyschiitz
et se mit en quatre pour savoir qui elle était.
L'ayant appris, il retint son élève Ferdinand de
Strantz et arrangea un petit complot. « Mme de
Doring va venir, lui dit-il; je vous prierai de
chanter d'abord en sa présence, après quoi, je lui
dirai : « A vous, madame Devrient! » Malheu-
reusement, la victime désignée de cet innocent
guet-apens ne vint pas. Elle envoya une lettre
d'excuses, disant qu'elle n'était plus assez jeune
pour changer sa méthode. Garcia chargea M. de
Strantz d'obtenir son adresse à l'ambassade de
Saxe, mais on répondit que l'artiste avait quitté
Paris.
— Mme Félia Litvinne vient d'être engagée au
théâtre de Covent Garden, à Londres, pour y
chanter le rôle de Brunnhilde dans la deuxième
série de V Anneau du Nibelung, que dirigera M. Hans
Richter à partir du 12 mai.
— Il y a huit jours, a eu lieu à l'Opéra royal de
Berlin la première représentation d'un nouvel
opéra en trois actes de M. Engelberg Humper-
dinck, le Mariage à contre-cœur. Le texte a été écrit
avec esprit, d'après la pièce d'Alexandre Dumas
les Demoiselles de Saint-Cyr, par Mme Hedwig Hum-
perdinck, la femme du compositeur. Les rôles
principaux étaient tenus par MM. Berger, Philipp,
Hoffmann, Mme Em. Herzog et Mlle Emmy Des-
tinn. M. R. Strauss a dirigé l'orchestre. Plusieurs
parties de l'œuvre dans les deux premiers actes ont
été jugées ravissantes, mais le troisième acte a di-
minué l'enthousiasme.
— Le Jongleur de Notre-Dame du maître Massenet
a obtenu le 9 avril dernier un grand succès au
théâtre de la Cour, à Carlsruhe. M. Bussard rem-
plissait le rôle du jongleur. Le public a, dans la
même soirée, acclamé la Navarraise, avec Mlle Fass-
bender dans le personnage principal. Le Jongleur
de Notre-Dame a reçu également le plus chaleureux
accueil au théâtre de Mayence, sous la direction
très artistique de M. Emile Steinbach.
— Les représentations de Parsifal organisées à
Amsterdam pour le Wagner- Verein auront lieu
vers la fin du mois de juin, sous la direction de
M. Henri Viotta. Mme Félia Litvinne interprétera
pour la première fois le rôle de Kundry, le seul
personnage wagnérien à la personnification duquel
elle n'ait point encore apporté la grandeur et la
perfection de son art admirable.
— Le théâtre de plein air de Béziers, continuant
la série de ses représentations, inaugurée en 1898,
donnera, les 27 et 29 août, les Hérétiques, un nouvel
opéra de MM. F. Hérold et Charles Levadé.
Voici la distribution de cet ouvrage :
Roger, comte de Béziers, M. V. Duc, de
l'Opéra; Simon de Montfort, M. Dufranne, de
l'Opéra-Comique ; Dominique, légat du pape,
M. Vallier, du théâtre royal de la Monnaie ; Aubry,
bourgeois de Béziers, M. Billot, de l'Opéra-
Comique; Lychas, chef des Jongleurs, M. Valette,
du théâtre de Lyon; Bellissende, femme de
LE GUIDE MUSICAL
367
Roger, MlleHarriet Strasy,du théâtre de Marseille;
Daphné. jeune Grecque, MUe Charles Mazarin, de
l'Opéra; Almelys, abbesse, sœur de Bellissende,
Mlle Charbonnel, des théâtres de Marseille-Tou-
louse.
Les décors seront l'œuvre de MM Jambon et
Bailly; la mise en scène sera due à M. Dherbilly,
le régisseur général du Théâtre National de
l'Odéon. .
— Le comité qui s'est chargé d'élever une statue
de Beethoven, à Paris, avait sollicité comme
emplacement la place du Trocadéro, mais le con-
seil municipal ne put y consentir.
Aujourd'hui, il revient à la charge en demandant
qu'on lui attribue un autre emplacement au
Ranelagh, en pendant de la statue de La Fontaine.
Le projet du monument est terminé ; Beethoven
est représenté étendu sur un socle de pierre posé
sous un dôme soutenu par quatre sujets ailés.
Chacun de ces sujets constitue une figure allé-
gorique représentant : le premier, la « Symphonie
héroïque»; le deuxième, la « Pathétique »; le
troisième, la « Symphonie avec chœurs » ; le qua-
trième, la sonate « Au clair de lune ».
— L'administration communale de la ville de
Spa vient d'engager Mme Litvinne et MM. Albers
et Ch. Dalmorès, du théâtre royal de la Monnaie,
pour créer les trois principaux rôles de l'œuvre
lyrique nationale qui sera couronnée au concours
ouvert cette année par cette ville.
Le jury chargé d'examiner les partitions sera
composé de MM. G. Hubert i, président ; L. Kéfer,
Sylvain Dupuis, Léon Dubois et Fr. Rasse,
membres.
Le résultat sera proclamé du 20 au 25 juin.
BIBLIOGRAPHIE
Nous avons reçu les ouvrages suivants, dont
nous rendrons compte au fur et à mesure, dès que
la place ne nous fera pas défaut :
Adelheid von Schorn. — Franz Liszt et la prin-
cesse de Sayn- Wittgensiein (souvenirs intimes et cor-
respondance), trad. de l'allemand par L. de Sampi-
gny, avec avant- propos de Hugues Imbert. Paris,
Dujarric; 1 vol. in-12.
Constant Pierre. — Les Hymnes et Chansons de la
Révolution. Aperçu général et catalogue. Paris, Impr.
nationale (public, de la ville de Paris); 1 vol.
pet. in-f°.
J.-G. Prodhomme. — Hector Berlioz, sa vie et ses
œuvres. Paris, Delagrave ; 1 vol. pet. in-8°.
L. V. Beethoven. — Lieder, trad. franc, de
Jacques d'Offoël. Paris, Fromont; 1 vol. gr. in-8.
Ipiauos et Ibarpes
Bruxelles : 6, rue ^Latérale
paris : rue ftu flfôail, 13
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Faust; Tristan et Isolde; Armide; Le
Prophète.
OPÉRA-COMIQUE. — Mignon; Les Noces de
Jeannette; Louise; Carmen; Manon; Le Vaisseau-
Fantôme ; Le Jongleur de Notre-Dame ; Le Légataire
universel ; La Vie de Bohène, Le Cor fleuri.
VARIÉTÉS. — Les Dragons de l'Impératrice.
THEATRE SARAH BERNHARDT. — Esther.
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE — Le
Trouvère; Carmen; Faust; Manon; La Walkyrie ;
Paillasse, Martille; Le Crépuscule des Dieux; Faust;
Alceste.
THÉÂTRE DES GALERIES SAINT-HUBERT. —
Madame Scherry.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
5, 7, 10 et 12 mai. — Au Nouveau-Théâtre, Festival
Beethoven sous la direction de M. Félix Weing'artner.
Au programme, les neuf Sj^mphonies, le concerto pour
violon et orchestre, le concerto en sol majeur pour
piano et orchestre et Ah! Perfido (air).
BRUXELLES
Mercredi 3 mai. — AS heures, à la Grande Harmonie :
Concert de charité et tableaux vivants, organisés au
bénéfice de l'Œuvre du Calvaire, avec le concours de
l'Ecole de musique et de déclamation d'Ixelles. Audi-
tion d'œuvres d'Henri Thiébaut.
Jeudi 4 mai. — A 8 ^ heures, à la salle Le Roy,
Récital de violon donné par M. Max Donner, avec le
concours de MUe Angélique Keyser, pianiste. Au pro-
gramme : Tomaso Vitali, Tor Aulin, J.-S. Bach, J.-F.
Hasndel, W.-A. Mozart, H. Vieuxtemps, E.-A. Arbos.
Vendredi 5 mai. — A 2^ L, à l'Exposition des
Peintres et Sculpteurs de l'Enfant, Musée moderne,
36S
LE GUIDE MUSICAL
Concert avec le concours de M'les Louisa Merck et
Marie Buisson, de M. Henri Merck de Mlles Carie et
Mills et des chœurs des écoles nos 1 1 et i de la Ville de
Bruxelles.
Samedi 6 mai. — A 8 1/4 h., à la salle de la Grande
Harmonie : Concert du Deutscher Gesangverein, sous
la direction de M. Félix Welcker, avec le concours de
Mme c. Rùsche-Endorf, d'Elberfeld, Mlle E. Bengell,
de Hambourg, M. R. Fischer, de Francfort, et M. A.
Heinemann, de Berlin. Orchestre des Nouveaux-
Concerts. Programme : Le Chant de la Cloche (Schiller)
de M. Bruch. Place chez Schott frères.
Dimanche 7 mai. — A 2 h., au théâtre de l'Alhambra,
sixième Concert Ysaye, sous la direction de M. Karl
Muck, chef d'orchestre de l'Opéra de Berlin et du Théâ-
tre de Bayreuth, avec le concours de M. L. Frôlich,
baryton. — Programme : 1. Symphonie en ré mineur,
C. Sinding (première audition); 2. Air de la Fête
d'Alexandre, Haendel (M. L. Frôlich); 3. Siegfried- Idyll,
R. Wagner ; 4. Introduction du troisième acte et mono-
loo-ue de Hans Sachs, des Maîtres Chanteurs de Nurem-
berg, R. Wagner (M. L. Frôlich); 5. Mazeppa, poème
symphonique, F. Liszt.
— A 2 y^ h., au théâtre royal de la Monnaie : Grand
concert avec orchestre donné par la Société royale
l'Orphéon de Bruxelles, sous la direction de M. Joseph
Duysburgh, avec le concours de Mme Eva Simony et
de M. Maurice Decléry, du théâtre royal de la Mon-
naie, de MM. Mora, violoniste et Marix Loevensohn,
violoncelliste, de MUes E. Desmaisons et E. Bitter, de
MM. Latour, ténor, Surlemont, baryton, Vanden Eyden
et Borkmanns, basses, et du Chœur des dames du
Cercle Cœcilia de Bruxelles. Au piano, M. Maurice
Geeraert.
DUSSELDORF
Festival rhénan
11, 12 et 13 juin. — Première journée : 1. Suite pour
deux orchestres, Gabrielli; 2. Israël en Egypte, Haendel..
— Deuxième journée : 1. Pièce pour orchestre, Fried-
man Bach; 2. Solo de violon par M. Kreisler; 3. Can-
tate de la Pentecôte : Also hat Gott die Welt, J.-S. Bach;
4. Concerto de piano n° 2, Brahms, par M. Dohnaty;
5. Symphonie n° 2 avec soli et chœur, Mahler. —
Troisième journée : 1. Appalachia, poème symphonique,
orchestre et chœur, Delius ; 2. Canzone di Ricordi, pour
alto, Martucci; 3. Concerto de violon, Mozart; 4. Eu-
lenspiegel, R. Strauss; 5. Morceaux de chant; 6. Fan-
taisie pour piano et chœur, Beethoven.
LOUVAIN
Mardi 16 mai. — A 8 h., Concert jubilaire de l'Ecole
de musique (vingt-cinquième anniversaire de la fonda-
tion des concerts), sous la direction de M. L. Du Bois.
Audition d' œuvres d'Emile Mathieu, avec le concours
de M. Arthur De Greef, de Mlles Wybauw et Latinis,
de MM. Vanderheyden et Bicquet. Au programme :
Freyhir, Concertstiick pour piano et orchestre (première
exécution), Sous bois pour orchestre, Noces féodales pour
orchestre, mélodies.
A. DURAND et fils, éditeurs, 4, place de la Madeleine, Paris
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Trois Chorals :
N° i .
N° 2 .
N° 3 .
Prélude, Fugue et Variation
Pastorale ....
Final
Pièce Héroïque .
Grande pièce Symphonique
Prière. ....
. Prix net :
4 —
• »
4 —
. »
4 —
. "
3 —
. "
3.5o
»
4 —
, 7)
3.5o
y>
5 —
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3.5o
LE GUIDE MUSICAL ■• 36g.
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M. UNSCHULD MELASFELD. — La Main du Pianiste.
(Instructions méthodiques) ....... » 6 a5
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violon . . . . . . . . . . . » 2 —
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flme Alida Oldenboom - Lûtkemann, fllle Tilly Kœnen
Mrs Johan = J. Rogmans et Jan Sol
PHOGHA|«l«E
Première Journée
Vendredi 5 Mai [à S h. du soir]
lre Symphonie en ut majeur.
2e Symphonie en ré.
3e Symphonie (Eroica).
Deuxième Journée
MATINÉE
Dimanche 7 Mai (à 2 h. 1/2]
4e Symphonie en s*' bémol.
Concerto pour violon et Orchestre.
Mr Lucien CAPET
5e Symphonie en «^mineur.
Troisième Journée
Mercredi 10 Mai [à 2 h. dusoirj
6e Symphonie (Pastorale).
Concerto en sol majeur
pour Piano et Orchestre,
M> Edouard RISLER
7e Symphonie en la.
Quatrième Journée
Vendredi 12 Mai [à S h. du soir]
8e Symphonie en fa.
Ah! Perfido [Air).
Chanté par M"e Lilly KŒNEN.
9e Symphonie (avec chœurs).
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Stalles d'orchestre : 8 fr. — Promenoir de rez-de-chaussée : 5 fr .
Promenoir de galerie : 3 fr.
5iae année. — Numéro 19.
7 Mai igo5.
L'ANCIEN THEATRE ITALIEN A PARIS
1789-1905
II. — Le Répertoire du Théâtre Italien
(Suite. — Voir le dernier numéro)
N fixant à 1789, date du premier
Opéra italien indépendant, la
vraie fondation de son réper-
toire, on ne peut guère se trom-
per. La Servante maîtresse de Pergolèse,
qui remonte à 1752, était si bien oubliée ou
méconnue, que c'est une autre partition
sur le même sujet, signée de Paisiello, qui
figure au répertoire du XIXe siècle.
Ce Paisiello, principal fournisseur de
cette première période, est d'ailleurs un
des grands noms de l'école italienne. Plus
d'une des œuvres qu'il donna alors ont
mérité de survivre. Son Barbier de Séville,
sa Molinara, sa Frascatana, sa Nina pazza
per amore ont longtemps fait le succès du
théâtre. De cette époque datent encore
Les Noces de Dorine, charmante œuvre de
Sarti. Le reste du répertoire était signé
Cimarosa, Guglielmi, Salieri, Tarchi, Mar-
tini, Cazzaniga, Cherubini, Bianchi, Paër,
Anfossi, Portogallo, Spontini, Farinelli,
Mayer, Rossi, Menacci... Entre toutes
leurs œuvres, il convient de citer le déli-
cieux Matrimonio segreto de Cimarosa, qui
parut en 1801 : une des grandes dates de
cette histoire et une œuvre dès lors restée
à jamais au répertoire, presque intradui-
sible malheureusement, et inexportable
sur une autre scène.
En 1802, notons encore les Astuzzie
feminili du même Cimarosa ; en 1806, les
Cantatrice villane de Fioravanti, et la Prova
d'un opéra séria de Mosca ; en 1807, les
Noces de Figaro de Mozart et son Cosifan
tntte Tannée suivante (à l'Odéon). Je ne cite
que les œuvres restées longtemps au réper-
toire. Comme curiosités, en 1809, 77 Poeta
calculista, ce monodrame du ténor Garcia,
où se trouve la chanson célèbre « Yo que
soy contrabandista », et en 1811, le Pirro
de Paisiello, à remarquer surtout parce
que ce Pyrrhus est le premier « opéra
séria » que compte ce répertoire italien,
qui en devait accueillir tant d'autres et
n'était jusqu'alors que « buffa ».
Cette même année voit éclore à Paris
Don Giovanni, troisième grande date, après
la Serva Padrona et le Matrimonio segreto,
troisième œuvre de tous les temps et de
tous les répertoires. 1812 nous apporte
Roméo et Juliette de Zingarelli; i8i3, Les
372
LEGUIDE MUSICAL
Horaces et les Curiaces de Cimarosa; 1816,
La Clémence de Titus de Mozart, et 18 17,
L'Italienne à A Iger.
Nous voici devant le nom le plus consi-
dérable de tout le Théâtre italien. L'Ita-
liana in Algeri est le début de Rossini à
Paris, et presque aussitôt la salle Louvois
s'ouvre à son glorieux répertoire, à peine
éclos au pays natal. Il y a bien quelques
autres compositeurs qui savent se faire
jour : Garcia encore, Guglielmi, Chélard,
Paër et son Agnese, Mayer et sa Medea,
Mercadante avec Elisa e Claudio... Mais
c'est avant tous Rossini qui règne : 1819,
le Barbier de Séville et YInganno fortunato ;
1821, Otello et La Gazza ladra (la Pie
voleuse); 1822, Tancredi, La Cenerentola
(Cendrillon) et Mose (Moïse); 1824, La
Donna del Lago; 1825, Semiramide ; 1826,
Zelmira; 1829 enfin, Matilda di Sabran...
telles sont les étapes essentielles de cette
période, les œuvres qui maintinrent, pour
la plupart, jusqu'au bout le nom de Rossini
sur l'affiche ; et je passe une dizaine d'œu-
vres secondaires, moins heureuses.
Avec cette date de i825, qui marque la
réouverture de la salle Favart, quelques
nouveaux noms apparaissent. C'est Meyer-
beer et son Crociato (i825), qui eut plus
d'une fois les honneurs de la reprise;
Vaccai et Giuletta e Romeo (1827), dont le
dernier acte fut joué seul si longtemps,
et le Dernier Jour de Pompéi (1828);
Halévy, avec Clari (1828); Morlacchi,
Niedermeyer, Carafa, Louise Bertin (un
Faust, en i83i)...
Mais, Rossini retiré, deux successeurs
pour un lui surgissent aussitôt, dont les
œuvres se mêlent aux siennes pour varier
un. répertoire dès lors sans rival : Bellini et
Donizetti. Bellini, c'est la Sonnanbu la (i83i),
le Pirate et la Straniera (i832), les Puri-
tains et Norma (i835) et plus tard encore
Béatrice di Tenda (1841), presque tous
succès durables, constamment aux pro-
grammes. Donizetti, c'est Anna Bolena
(i83i), Marino Faliero (i835), Lucie de
Lammermoor (1837), Roberto Devereux
(i838}5 VElisire d'amore (1839), Lucrèce
Borgia (1840), Linda di Chamouni, Don
Pasquale et Maria di Rohan (1843)... et,
pour lui comme pour Bellini, j'en passe.
Comme auteurs secondaires, il faut ajou-
ter, à ceux que j'ai notés tout à l'heure,
Fioravanti, Marliani, Gabussi, Costa, Mer-
cadante surtout, dont la Vestale est de 1841,
et Pacini, avec une Saffo, en 1842. Puis
voici, juste au moment où disparaît Doni-
zetti, poindre un nouveau nom, le cinquième
des astres du ciel italien de cette époque :
Verdi.
Nabuchodonosor, qui lui servit de début,
est de 1845. Son Ernani (mué momentané-
ment en II Proscritto) est de 1846, ainsi
que les Deux Toscari. Lïiisa Miller est de
i852 et le Trouvère de 1854. Puis viennent
la Traviata, en i856; Rigoletto, en i857;
Un ballo in maschera, en 1861 ; / Lombardi,
en i863. Verdi n'était pas seul sur l'affiche,
car la production de ces années est consi-
dérable, mais presque seules ses œuvres
sont obstinément restées dans un réper-
toire qui, de plus en plus, ne vivait qu'avec
son passé. Ni le Scaramuccia des frères
Ricci (1846), ni la Fille du régiment de
Donizetti, empruntée à la scène française
(i85o), ni la Tempesta de Halévy ou les Tre
Nozze de Berettoni (i85i), ni même l'admi-
rable Fidelio de Beethoven (i852), assez
peu compris, mais pourtant ramené une ou
deux fois sur les programmes, ne comptent
ici comme durables Pas plus que le Bravo
de Mercadante (i853), et plus tard son
Giuramento (i858), Don Desiderio du prince
Poniatowski (i858) ou Stradella de Flo-
tow (i863). Du moins ce dernier nom est-il
représenté par une brillante exception :
Marta, qui arriva en i858 au répertoire
italien, et ne le quitta plus. De même il
faut compter le Poliuto de Donizetti,
négligé jusqu'alors (185g) et introduit pour
des raisons d'interprètes, la Serva Padrona,
reprise enfin, après plus d'un siècle (i863),
et l'amusant Crispino e la Comara des
frères Ricci (i865).
Cependant, à cette date, le Théâtre italien
commençait réellement à lutter pour la vie,
à vivre sur ses provisions. Depuis vingt ans,
LE GUID2 MUSICAL
573
combien de nouveautés avaient réussi à
demeurer au répertoire? Cinq ou six, sur
j peut être quarante œuvres. Et dès lors,
c'est la règle. On essaie beaucoup, mais
on revient aussitôt au vieux fonds de
Mozart et Rossini, de Bellini et Donizetti,
renforcé seulement de celui de Verdi ; et
peu à peu, les vieux amateurs, qui ne
goûtent que ce répertoire-là, et qui n'ont
pas tort, disparaissent; et la foule, qui
veut du vrai neuf, et n'en trouve pas, va
ailleurs. Le vide, le non-renouvellement du
répertoire, telle est la cause essentielle de
la décadence de la scène italienne. En i865
et 1866, on essaya, mais sans succès, d'y
introduire des ballets (Don Zeffiro, Il Basi-
lico, Gli Elementi, La Fidenzatà) (1). Comme
opéras, les noms les plus saillants sont
encore le Don Buccfalo de Cagaoni (i865),
Leonora de Mercadante (1866), Giovanna
d'Arco de Verdi et II Templario de Nicolaï
(1868), Piccolino de Mme de Grandval(i86y),
la seule de ces œuvres qui fût nouvelle, en
somme, et Guido e Ginevra d'Halévy. Le
reste avait pour auteurs : Braga, Paccini,
Bottesini, Graffigna, Poniatowski, Mêla...
Et puis il faut franchir les années de fer-
meture, et les tentatives de 1872 et 1874
(cette année cependant, une jolie reprise
des Aztuzzie feminili est à noter), pour
trouver enfin, en 1876, l'Aida de Verdi et
sa Forza del destino; car ni Zilia de Villate
(1877), ni Aima l 'incantatrice de Flotow
(l878)ne peuvent compter. On sait d'ailleurs
la fin de cette chronique, et l'inutilité des
efforts successifs faits par différents direc-
teurs en vue de retrouver la vogue si
tentante d'autrefois. Le défaut d'œuvres
originales paralysait tous ces efforts, et la
(1) Sauf cette tentative éphémère, il ne semble pas
que les Italiens aient jamais pensé à varier leurs spec-
tacles à l'aide d'un corps de ballet proprement dit. Mais
ils ont pratiqué assez souvent, pendant longtemps, le
système des concerts, et ils ont fait entendre des ora-
torios, de grandes œuvres non scéniques. Un tableau
complet du répertoire de ce théâtre devrait tenir
compte, à mon avis, des principales exécutions de ce
genre, telles que le Stdbat de Rossini (1842), la Rédemp-
tion d'Alary (i855), Le Paradis et la Péri de Schu-
mann (1869J ou le Requiem de Verdi (1876).
seule tentative qui ait réussi un moment
est celle de M. Maurel, parce qu'il nous a
servi du nouveau : Hérodiade et Aben-
Hamet, sans compter le Simon Boccanegra
de Verdi (i883). C'est au moins un reproche
qu'on ne peut faire à M. Sonzogno, dans
sa seconde et nouvelle campagne : sauf
l'illustre et toujours jeune Barbier de Séville
(qu'à vrai- dire on ne connaît bien que si
on l'entend en italien), il ne nous apporte
qu'œuvres nouvelles. Bonnes ou mauvaises,
elles répondent du moins à notre curiosité,
en nous familiarisant avec une partie de la
jeune école italienne, qui fait tant parler
d'elle depuis quelques années Je voudrais,
si vraiment on voulait rétablir une vraie
scène lyrique italienne à Paris, que cette
jeune école (plus complètement repré-
sentée d'ailleurs) alternât sur l'affiche avec
quelques-unes des œuvres les plus justement
durables qui ont fait la gloire de l'ancien
répertoire; je voudrais que les Puccini ou
les Mascagni laissassent quelque place aux
Rossini ou aux Donizetti, sans compter
Verdi.... Mais commencer par du vrai
nouveau et une heureuse idée ; prenons-en
acte.
En résumé, et pour conclure sur le sujet
de ce chapitre, voici le tableau des œuvres
qui, pendant un siècle, ont constitué à
proprement parler le Répertoire du Théâtre
italien :
Pergolèse : La Serva Padrona (depuis
1863).
Cimarosa : // Matrimonio segreto.
Mozart : Le Nozze di Figaro (jusqu'en
1840) et Don Giovanni..
Rossini : // Barbiere di Siviglia, Otello,
La Gazza ladra, Cenerentola, Semiramida.
Bellini : La Sonnanbula, I Puritani,
Norma.
Donizetti : Lucia di Lammermoor, Y Eli-
sire d'amore, Lucrezia Borgia, Linda di
Chamouni, Don Pasqnale, Poliuto.
Verdi : Emani, Il Trovatore, La Tra-
viata, Rigoletto, Un ballo in maschera, Aida.
Flotow : Marta.
Ricci : Crispino e la Comara.
Il faut cependant ajouter à ces œuvres
374
LE GUIDE MUSICAL
fondamentales, et comme ayant été l'objet
de reprises diverses, mais non durables :
Cosifan tutte (Mozart); Fidelio (Beethoven);
Agnese (Paër); L'Italiana in Algeri, Tan-
credi, M ose, La Donna delLago, Matilde di
Sabrait (Rossini) ; Il Crociato (Meyerbeer);
Il Pirata, Béatrice di Tenda (Bellini); Anna
Bolena, Maria di Rohan (Donizetti); Don
. Desiderio (Poniatowski). ... ,
{A suivre.) H. de Curzon.
A PROPOS DE MARIE JAËLL
oila bientôt cinq ans que La Musique
et la Psychophysiologie (Alcan) de
Mme Marie Jaëll figure au premier
rang des travaux de la pianistique
française.
Jusqu'à ce jour, les théoriciens et les maîtres
qui utilisaient les livres de la grande artiste
pouvaient s'abstenir d'indiquer la source de leur
facile savoir.
La traduction allemande que vient de publier
chez Schultz et O (Strasbourg) Mme Franziska
Kromayer, née von Gruber, contient tout l'essen-
tiel du texte de La Musique et la Psychophysiologie.
D'innombrables études et articles en toutes
langues (en tête desquels nous plaçons la superbe
analyse portugaise du compositeur Henri Ruegger,
auteur de Les Gammes) nous dispensent de rappeler
aux lecteurs du Guide musical le contenu d'une
œuvre classique, même hors de France et de
Belgique.
Chacun a pu se convaincre que les brochuriers
qui tentèrent d'opposer leurs élucubrations aux
travaux scientifiques de Mme Jaëll ne parvinrent
à faire comprendre fugitivement leur méthode
sonore qu'au moyen de coupes silencieuses pra-
tiquées parmi les idées et le vocabulaire de
l'écrivain français.
Grâce aux mérites exceptionnels de la traduc-
trice qui sut, malgré les difficultés insoupçonnées
du profane, traduire sans trahir, ses compatriotes
pourront se rendre compte du fossé qui sépare
l'enseignement scientifique de l'empirisme musical.
Trop d'amateurs purent jusqu'ici s'improviser
théoriciens ou professeurs de piano à qui font
défaut la culture générale et le savoir technique.
Pour dissimuler ces lacunes, les uns s'attribuent
l'invention d'une méthode infaillible, les autres se
targuent d'être les seuls à connaître tel système
découvert par un Christophe Colomb du piano
qui n'eût pas affronté l'estrade d'un concert.
Un avantage non moins précieux de l'excellente
traduction de Mme Kromayer, c'est de vulgariser
une méthode esthétique qui, nous l'espérons,
permettra de juger à leur valeur le système auquel
recourent certains imprudents.
Personne ne saurait contester aujourd'hui qu'il
existe dans l'enseignement du piano des pratiques
destructives du sentiment musical et dangereuses
pour le système nerveux. Il faut avoir assisté au
dépérissement rapide et aux accidents qui attei-
gnent les victimes d'empiriques ayant usurpé le
titre de maître ou de maîtresse pour apprécier le
côté humain de la réforme sérieuse inaugurée par
l'enseignement de Mme Jaëll. Les magnifiques
études expérimentales sur le Toucher, le Mécanisme,
la Sensibilité des doigts, le Rythme et la Psychophysio-
logie musicale fourniront aux élèves les plus bornés
ou les plus timides des arguments difficiles à
rétorquer. Ces livres font justice de cet empirisme
redoutable qui masque son ignorance derrière une
phraséologie pédantesque et sous des effusions
sentimentales étrangères au sujet.
L'esprit net et précis de la traductrice s'apparie
bien avec celui de l'écrivain. Nous en trouvons
dès Tavant-propos une preuve instructive et néces-
saire. Admiratrice judicieuse de feu Ludwig
Deppe, Mme Kromayer met à néant la légende
d'un enseignement deppien constitué de toutes
pièces. L'ancien chef d'orchestre n'a laissé aucun
écrit, comme le donnèrent à entendre certains
intéressés. Dirons-nous que cet homme, certaine-
ment remarquable à titre de capellmeister, n'appa-
rut de son vivant ni comme auteur, ni comme
pianiste? Les quelques idées qu'il formula sur les
Douleurs du Iras furent-elles seulement rédigées par
lui? Nous croirions volontiers qu'un ami dévoué
lui prêta sa plume pour écrire ce mot. Il doit
souffrir parfois, cet ami, lorsqu'il entend ou lit les
choses excentriques qu'on attribue au modeste
théoricien de Lippe-Detmold.
Nous voici bien loin de l'œuvre substantielle et
féconde dont Mme Kromayer entend que son pays
profite. Souhaitons qu'elle y rencontre une sym-
pathie égale à celle que lui portent ces lignes trop
brèves. Alton.
LE GUIDE MUSICAL
375
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA ITALIEN. — La saison italienne
organisée par M. Ed. Sonzogno au théâtre Sarah
Bernhardt a commencé cette semaine avec deux
œuvres alternées : Adriana Leconvreur, de M. Ciléa,
et Siberia, de M. Umberto Giordano. Nous avons
déjà dit que les autres partitions qu'on se propose
de nous faire entendre pendant ce mois et une
partie du suivant sont : de M. Mascagni, L'Amico
Fritz; de M. Leoncavallo, Zaza; de M. Giordano,
Fedora et Andréa Chenier ; de M. Filasi, Menendez
Manocl; de M. Orefice, Chopin; enfin, l'immortel
Barbier e di Siviglia de Rossini.
Les deux premières sont d'un intérêt fort inégal,
et d'ailleurs très en contraste comme style. Adrienne
Lecouvreur, qui a été représentée pour la première
fois à Milan, le 6 novembre 1902, a eu, parait-il, un
brillant succès, que souligne la version française
dont M. Sonzogno s'est aussitôt fait l'éditeur et qu'a
rédigée la plume habile de M. Paul Milliet. Siberia,
qui a vu la rampe à Milan (toujours sur le Théâtre
lyrique international du grand éditeur), le 19 dé-
cembre igo3, a au contraire été froidement
accueilli, dit-on, et c'est presque la seule, parmi
les œuvres énumérées plus haut, dont il n'existe
pas de version française.
Et pourtant, voyez comme certaines œuvres
dépendent de certains publics. Notre Adrienne
Lecouvreur, dont le véritable intérêt est d'ailleurs
' assez peu traduisible en musique, nous ne la
retrouvons guère dans l'adaptation trop sommaire,
trop décousue, trop de surface qu'en a faite
l'auteur italien, et l'œuvre nous laisse froids, alors
que, par la curiosité de son milieu et la délicatesse
émue de ses situations, elle a pu charmer un public
étranger. Tandis que l'action sobre et puissante de
cette Siberia, la sincérité de son émotion, la vérité
de son drame, nous remuent et nous saisissent
profondément, même si le sujet, dans ses détails,
nous échappe.
C'est qu'aussi bien la partition de M. Gior-
dano est de beaucoup supérieure à celle de
M. Ciléa. Adriana Lecouvreur a pour elle de la
vivacité, une certaine légèreté piquante dans l'ex-
pression de la vie fébrile qu'on mène dans la
pièce, une certaine poésie en demi-teinte dans les
effets délicats d'orchestre (au second acte, par
exemple), une note émue et pénétrante dans ses
situations douloureuses (le quatrième acte surtout,
la mort d' Adrienne). C'est de Massenet, en somme,
.qu'elle se recommande, on le sent en maint endroit,
mais sans cette habileté infinie d'orchestre et'
d'écriture qui sauve et cache toujours, au besoin,
le décousu ou la pauvreté des idées.
Siberia a pour elle, avant tout, d'être l'œuvre
d'un musicien foncièrement de théâtre, qui procède
par larges touches, qui saisit à fond et va droit au
but, qui a le sentiment des effets dramatiques dans
leur liaison nécessaire. L'impression de la nature
y est heureusement rendue, le tragique des
douleurs humaines y est exprimé sans emphase, et
l'orchestre, la partie faible de la plupart des œuvres
de cette école, ne manque, à l'occasion, ni de mou-
vement, ni de pittoresque. C'est de Verdi qu'elle
peut être rapprochée, l'ancien Verdi surtout, mais
plus sobre.
Une courte analyse de la pièce permettra d'in-
sister un peu sur ces qualités, qui ont été très
chaudement appréciées. Pour Adrienne Lecouvreur,
fidèlement adaptée de la comédie tragique de
Scribe et Legouvé, qui n'a jamais quitté le réper-
toire de la Comédie-Française, je crois inutile dé
m'y arrêter. Siberia nous conte l'histoire tou-
chante de Stefana, la belle courtisane réhabilitée
par l'amour et le dévouement et trouvant la mort
dans cette homicide Sibérie, où elle a voulu suivre
le jeune condamné Vassili. Nous la voyons, au
premier acte, entourée d'hommages, mais aussi
essayant vainement d'échapper à son mauvais
génie, l'escroc Gléby, qui l'a lancée dans la galan-
terie pour exploiter ses succès. Comme la Favorite,
Stefana méprise les assiduités du prince Alexis et
se régénère à l'amour pur du jeune Vassili, qui
ignore ce qu'elle est. Celui-ci cependant va partir
pour la guerre, et des circonstances, que j'écarte,
l'amènent chez Stefana ; il ne devine rien, heureu-
sement, mais ses adieux passionnés sont surpris
par le prince, qui insulte Stefana. Vassili bondit,
dégaine; après une courte lutte, le prince tombe...
C'est la Sibérie pour le soldat affolé ! ... Et le second
acte nous montre la chaîne arrivant à pas épuisés
à la frontière, parmi la neige, devant le poste où
des femmes, des enfants, attendent pour faire leurs
derniers adieux. Stefana arrive à son tour, mais les
récits lamentables de Vassili ne la rebutent pas :
elle le suivra jusqu'au bout... Et la chaîne repart,
après un repos trop court.... Le troisième acte
enfin, c'est le camp des forçats, où le couple vit
tant mal que bien, uni du moins dans sa commune
misère. Et il serait heureux par l'amour, si la
tourbe qui l'entoure ne jalousait ce bonheur même,
si Stefana surtout n'était reconnue soudain par
un nouveau-venu, l'infernal Gléby, forçat à son
tour et qui brûle de se venger. Occasion facile : ne
sait-il pas tout du passé de la belle repentie? Ces
376
LE GUIDE MUSICAL
aventures, il les conte à la foule, il les chante aux
oreilles de Vassili, que pourtant la douleur et la
noblesse de langage de Stefana savent désarmer.
Et puis il épie ses ennemis, il devine leur tenta-
tive de fuite, favorisée par les fêtes de la veille de
Pâques, et il donne l'alarme.... Coups de feu...
Stefana est rapportée mourante, et Vassili replongé
dans la nuit des cachots...
Ce drame de l'amour dans la souffrance a été
traduit, comme je l'ai dit, avec une grande sincé-
rité et une expression sobre, vraiment puissante,
par M. U. Giordano. Les péripéties de l'action
sont rendues avec vie et couleur, les caractères des
personnages soulignés d'une façon attachante, les
détails accessoires de la vie ambiante heureuse-
ment mis en relief. On remarquera, au premier
acte, la légèreté élégante des chœurs de fête et de
l'aubade donnée à Stefana, l'heureux tour des
mélodies, l'âpreté du dialogue entre Gléby et la
jeune femme. Mais c'est le second, si impres-
sionnant, qui est l'essence même de toute l'œuvre,
avec son prélude de bise glacée et de marche
lourde dans la neige incessante; avec ses petits
chœurs à mi-voix de femmes grelottantes ; avec sa
scène de la jeune fille qui, auprès de son petit
frère, attend le père, dans la chaîne qui s'approche ;
avec le chant lointain, d'une mélancolie pénétrante
(motif populaire bien connu), de ces malheureux,
peu à peu enflé jusqu'au fortissimo; avec aussi
le récit du ténor, un peu long, mais intéressant;
avec la reprise du chœur enfin, dont le motif cette
fois se dégrade et s'estompe peu à peu dans le
steppe....
Et le troisième acte n'atténue par cette impres-
sion, ce qui est beaucoup. Il est d'ailleurs plus
varié de couleur et d'action rapide, avec ses chœurs
de forçats au repos, avec les propos haineux du
traître Gléby, la scène émouvante de Vassili et
Stefana, le contraste poétique des cloches de
Pâques en carillon et du baiser de paix dans la nuit
tombante, enfin le brouhaha fébrile de la fuite et
de la mort de Stefana... et le chant lointain d'une
nouvelle chaîne qui arrive, hélas !...
On ne saurait du reste trop louer la mise en
scène, ou mieux, la mise au point de l'œuvre, in-
terprétation, décors, orchestre. Comme M. Son-
zogno a amené ici non seulement la troupe de son
Théâtre lyrique, mais son orchestre et ses décors,
tout marche à merveille et sans hésitation aucune,
en dépit du changement de scène. Siberia surtout
est parfaitement rendue, car la même supériorité
se retrouve ici, comme dans la question de la musi-
que. Advienne Lecouvreur est bien chantée, mais en
demi-teinte un peu, et avec des variantes qui éton-
nent. L'Adrienne est trop gentille et gracieuse
pour être la tragédienne dont Rachel a incarné le
souvenir; le Michonnet est trop tragique, le Mau-
rice de Saxe amoureux trop quelconque. Louons
cependant la voix souple et de si bonne école des
trois artistes : Mme Sthele, MM. Sammarco (bary-
ton ample et bien disant) et Garbin. Joignons-y
aussi les noms de Mme Fassina-Peyra, princesse de
beauté hautaine et de fort belle voix, et de MM.
Pini-Corsi, abbé de Chazeuil vif et preste à sou-
hait, et Sottolana, prince d'esprit et de goût. —
Siberia met en œuvre des voix plus puissantes et
plus chaudes, de vrais tempéraments, avec M.
Bassi, ténor vibrant et sonore, dont l'émission
pleine et ferme, l'éclat sans effort, la méthode na-
turelle et pure, sont une vraie leçon de chant ;
avec Mme Pinto, Stefana passionnée, à voix moins
posée, mais prenante; avec M. Titto Ruffo (dans
Gléby), baryton mordant, dont la voix est bien
dans la gorge, mais porte loin tout de même et im-
pressionne, comme le jeu âpre et fouillé; avec
aussi M. Luppi et Mme Giussani et d'autres encore
dans les rôles secondaires, tous parfaitement
tenus. Leur succès a été considérable et spontané.
Il n'est que juste d'y associer l'orchestre, qui a
beaucoup d'animation et de précision, et surtout
son chef, M. Cl. Campanini, au geste entraînant,
à l'indiscutable autorité.
Henri de Curzon.
SOCIETE NATIONALE DE flUSIQUE- —
Quelle que soit la sympathie qu'on ressente pour
l'œuvre fondée en 1871 par Romain Bussine, on
ne peut nier l'influence qu'elle a eue sur la nou-
velle école. On l'a plaisantée, tournée en ridicule,
habitude chère à l'esprit français. Petite chapelle,
a dit l'un, pleine de dévots sans dieux. Académie
d'admiration mutuelle, a dit l'autre, où l'on se
brûle l'encens au nez après la fatigue de s'être
contemplé le nombril. Qui de nous peut se vanter
de n'avoir pas subi un mouvement de mauvaise
humeur à l'audition de certaines œuvres incom-
préhensibles et folles, ni cédé au désir de confier
son état d'âme à ses contemporains? J'en connais
qui n'en sont plus fiers comme autrefois et qui
regrettent aujourd'hui d'avoir méconnu une insti-
tution courageuse et d'avant-garde. La Nationale,
société nullement exclusive, comme on l'a pré-
tendu, s'est montrée, au contraire, très accueil-
lante : elle a ouvert ses portes toutes grandes aux
musiciens de bonne volonté, ne leur demandant
LE GUIDE MUSICAL
377
qu'un peu d'audace et quelque talent. On s'y est
rué, sans doute ; à la faveur d'une hospitalité si
généreusement offerte, il est arrivé que des intrus
s'y sont faufilés sans droit et qu'ils ont accaparé
parfois une trop large place, qu'ils ne méritaient
assurément pas. On s'est aperçu de l'abus et, en
se serrant les coudes, on a fini par se débarrasser
de ces parasites de l'art. Et alors la bonne besogne
a commencé.
La Société, plus sage que certains politiciens
dont l'effort consiste à tout renverser et à ne rien
construire, est partie non en guerre contre les
traditions, mais à la conquête d'un art nouveau.
Elle a demandé et utilisé tous les concours ; la
droite, le centre, la gauche, tous, bien unis, se
sont vaillamment battus, et il n'est pas téméraire
d"ajouter que c'est à leur parfaite entente qu'on
doit la fondation de la république des musiques
modernes. Je dis : les musiques, parce que la
Société, vraiment nationale, mariant ses trois
couleurs, a, sous son drapeau, accueilli tous les
genres et toutes les écoles. Les batailles ne vont
pas sans faire des victimes ; elles ont été nom-
breuses, principalement dans les rangs des
blancs, soit qu'ils fussent faibles de constitution,
soit moins habiles dans la lutte. Les bleus ont
tenté de les remplacer, mais ce sont les rouges —
on n'en saurait douter — qui, plus jeunes, plus
ardents, ont conquis et gardé leurs positions.
C'est l'honneur de la Société d'avoir donné
l'exemple du plus rare éclectisme, laissant au
temps le soin de choisir et de consacrer le talent
ou le génie. Parmi ceux qu'elle a encouragés, tous
n'ont pas vu leurs noms voltiger sur les lèvres des
hommes ; mais pas un seul compositeur n'est par-
venu à la gloire sans avoir, au moins pendant
quelques années, passé par ses rangs. Depuis 1871,
date de sa fondation, que de simples soldats
devenus généraux dans l'armée qu'elle a formée !
Bizet, Franck, Chabrier, Guiraud, morts au champ
d'honneur, Saint-Saëns, Massenet, Dubois, Pala-
dilhe, Fauré, d'Indy, Debussy et tant d'autres
maîtres illustres ou qui le deviendront.
Sont-ce les trois œuvres nouvelles entendues, le
29 avril, dans le 33ome concert de la Société
nationale qui enrichiront son répertoire et augmen-
teront beaucoup la réputation de leurs auteurs?
Je ne le crois pas, mais je n'en suis pas sûr, la
critique s'étant si souvent trompée dans ses juge-
ments ! Les trois mélodies de Charles Tournemire
me semblent avoir été composées pour son œuvre
le Sang de la Sirène, tant elles en ont l'accent et la
couleur, surtout la Berceuse d'Armorique, qui
rappelle le début de la deuxième partie de l'ou-
vrage couronné au dernier concours de la ville de
Paris : jolie grisaille monotone et triste. Les deux
autres, le Chant de ma mère et Cloches de Pâques, plus
nerveuses, mieux rythmées, méritaient plus de
succès; peut-être eussent-elles été applaudies
davantage si Mlle Geneviève Vix les eût chantées
avec moins de mollesse, ore rolundo et non du bout
des lèvres. L'interprétation chevrotante et non
dénuée de prétention de M. Stéphane Austin a un
peu nui également à deux mélodies de Charles
Bordes. La première, O mes morts, était assez
lugubre d'elle-même sans qu'il fût besoin de la
rendre plus funèbre encore; pour la Ronde des Pri-
sonniers, écrite sur une poésie de Verlaine, il aurait
fallu la fermeté de style d'un Gustave Charpentier
pour en traduire le caractère âpre et douloureux.
La sonate pour piano et violon de Woollett, com-
posée en 1896, a attendu neuf ans sa première
audition. Si elle n'a pas été comprise dans toutes
ses parties, ce n'est pas de la faute de MlleDuranton
ni de M. Lucien Capet, qui l'ont exécutée avec
une chaleur et une conviction des plus méritoires,
surtout le premier mouvement et V adagio, qui m'ont
paru d'un pathétique désordonné, mais vibrant.
Le seizième quatuor à cordes de Beethoven
ouvrait le concert, le deuxième quatuor pour piano
et cordes de Gabriel Fauré le fermait : on ne
pouvait mieux commencer ni mieux finir. L'œuvre
de Beethoven, interprétée en perfection par
MM. Capet, Tourret, Bailly et Hasselmans, a
produit une impression profonde dans l'âme des
auditeurs. Est-il rien de plus émouvant que le
sublime lento, la dernière pensée du maître, dit-on,
un chant suprême qui pleure la vie, monte et
s'achève dans les cisux?
Le quatuor de Gabriel Fauré, je l'entends
encore. Ses mélodies « harmoniques », si je puis
dire, sont si prenantes, qu'on en retrouve la déli-
cieuse obsession dans le souvenir qu'elles vous
ont laissé : quand elles ne chantent plus, elles
chantent toujours. Comme le coffret qui garde
l'odeur du parfum disparu, elles prolongent la
volupté longtemps après l'achèvement de la
caresse. Elles ne sont pas gaies, elles ne sont pas
tristes non plus. Poète du rêve et de la mélancolie,
il a le sourire ému et l'attendrissement paisible ;
artiste, il ne s'abaisse pas aux concessions ni aux
roueries du métier, il plaît sans chercher à plaire,
natuellement, sans le faire exprès. Son œuvre n'a
pas grande étendue en surface, mais elle s'élève
souvent très haut, lentement, sans secousses. Je ne
jurerais pas qu'elle ait des racines bien profondes.
Qu'importe ! pourvu que ses fleurs s'épanouissent
en une végétation perpétuelle,
378
LE GUIDE MUSICAL
J'aime Gabriel Fauré. Qui ne l'aimerait? Con-
courant à l'exécution de son quatuor en virtuose
consommé, il a été acclamé par l'assistance
entière. Je regrette qu'il n'ait pas un ennemi : il en
paraîtrait plus grand. Julien Torchet.
CONCERTS RISLER. — Le premier des
concerts donnés cette année dans la salle du
Nouveau-Théâtre par M. Edouard Risler a eu lieu
dimanche dernier 3o avril. Disons tout de suite que
les suivants seront donnés aux dates ci-après :
Lundi 8 mai (avec le concours de Mme Marie
Bréma), dimanche 14 (avec celui de M. Raymond
von Zur Mùhlen), dimanche 21 (avec ceux de
MM. Ernest Van Dyck et L. Diémer). Si nous en
devons juger par la première, à quels triomphes
ces séances-là n'aboutiront-elles pas! M. Risler,
dont le jeu d'une impeccabilité si pure, si cris-
talline (encore qu'un peu froide, à cause de ceci
même), et parfois d'une fantaisie si rêveuse,
transporte et séduit les auditeurs les plus résis-
tants, s'est presque effacé, dans son premier
concert, je ne dis pas seulement devant sa musique
(c'est ce que doit faire tout interprète vraiment
artiste), mais devant ses camarades d'exécution. Il
avait composé un programme exclusivement
. beethovénien (aussi bien le moment était-il tout
indiqué) et convié à l'interpréter avec lui le délicat
violoniste Mathieu Crickboom et le puissant et
chaud violoncelliste Jean Gérardy. Comme pro-
gramme : les trios en ut mineur (op. 1, n° 3) et en'
si bémol majeur (op. 97) ; les sonates en la majeur
(op. 69) pour piano et violoncelle, et en ut majeur
(op. 53) pour piano; enfin, les romances en sol et en
fa pour violon.
Le premier trio, d'une simplicité et d'une
largeur mélodiques si charmantes, a été rendu en
perfection selon son caractère même, c'est-à-diie
la délicatesse, le raffinement de pureté et de lim-
pidité qui en fait le prix. La sonate en la, plus
fantaisiste, plus originale, avec son motif central
de Lied populaire, a été peut-être le point culmi-
nant de la séance, tant les deux artistes ont rivalisé
de perfection, M. Risler, dans son jeu si perlé,
M. Gérardy, dans la puissance et l'onction de son
archet, la délicatesse de sa virtuosité. La sonate
en ut a permis à l'éminent pianiste de déployer un
instant son étourdissante vélocité dans tout son
éclat, et de lui donner ensuite comme contraste le
plus rêveur et pensif adagio. J'avoue préférer ce
dernier style, le feu d'artifice des notes ne m'ayant
jamais ému; mais il est beau de réussir autant l'un
et l'autre. Enfin, le grand trio « à l'archiduc Ro-
dolphe » a permis encore l'interprétation la plus
classique et la plus fondue qu'on put souhaiter, et
les phrases superbes que font alterner à la fin le
violon et le violoncelle ont été dites avec un
charme pénétrant. H. de C.
— M. Ed. Colonne a eu l'idée bienfaisante de
donner quatre festivals populaires, à très bas prix,
dans l'immense salle du Trocadéro, avec des pro-
grammes superbes et le concours de l'admirable
artiste Sarasate. Les dates sont fixées aux jeudis
4, 11, 18 et 25 mai. Les deux dernières séances
seront consacrées aux 146e et 147e auditions de la
Damnation de Faust; mais les premières seront
mêlées de classique et de moderne. Et quel choix,
si l'on en juge par la séance de jeudi dernier, qui
comprenait la symphonie en ut mineur de Saint-
Saëns et le troisième concerto de violon du même,
la suite pour flûte de Bach, la suite pour violon de
Raff, le prélude de Lohengrin, la romance en fa de
Beelhoven et les chansons russes de Sarasate.
Celui-ci a récolté des ovations sans fin et infini-
ment justifiées. M. Guilmant a fait apprécier au
grand orgue, pour la symphonie, sa puissante
maîtrise, et M. Barrère a brillé dans les broderies
de flûte de Bach. Je n'ai pas besoin de joindre
M. Colonne lui-même à ces différents noms.
H. de C.
— Le quatrième concert du jeune violoniste
Mischa Elman a eu lieu au Nouveau-Théâtre avec
un succès égal à celui des précédentes séances.
Le précoce artiste, que l'on peut qualifier
d'enfant prodige, à joué le concerto de Wie-
niawski, Othello-Fantaisie de Ernst, des pièces de
Tschaïkowsky et de Paganini. L'enthousiasme fut
tel : bravos, acclamations... qu'il fallut ajouter
plusieurs numéros au programme. C'est ainsi que
nous entendîmes le n° 1 des Quatre Pièces (op. i5)
de Tor Aulin et un Moment musical de Schubert.
Virtuosité, élégance, grâce et justesse, le jeune
virtuose les possède, mais son charme le plus
grand est dans l'interprétation personnelle qu'il
donne des divers auteurs. Il ne semble pas l'écho
d'une autre âme de musicien, mais se complaît lui-
même à ce que chante son archet ; il révèle ainsi
une sensibilité extrême qiii lui conquiert toutes les
sympathies, tandis que sa virtuosité lui assure
toutes les admirations.
Mischa Elman ne parait pas se douter qu'il est
une des merveilles auxquelles Paris s'intéresse —
actuellement; il porte légèrement sa gloire, et,
la dernière note expirée, landis que le public
applaudit et fait tapage, clamant d'inlassables bis,
il bondit dans la coulisse comme un jeune faon,
LE GUIDE MUSICAL
379
échappant à ses admirateurs et plus désireux,
semble-t-il, de faire une « bonne partie » que de
continuer à charmer un auditoire exigeant.
Mischa Elman fut accompagné avec une science
habile par M.Wagner, qu'il serait injuste d'oublier.
Mme Lily de Markus se fit entendre à ce même
concert comme pianiste. Elle est remarquable.
La clarté, la justesse, la netteté de son interpré-
tation de la Fugue en ré mineur de Bach, la grâce
et la poésie des pièces de Chopin qu'elle a jouées
sont dignes de tous éloges. M. D.
— La 128e audition de la Société de musique,
d'ensemble dirigée par M. René Lenormand à
l'Institut Rudy a eu lieu le 29 avril, avec des
pièces instrumentales de Corelli, Liszt, Haendel,
Moskowski, Sandre, des mélodies de Schumann et
Lenormand et un quintette vocal d'Alary. Comme
interprètes, Mmes Mellot-Joubert et G. Wagner,
Mlles Weingaertner et Grandin, MM. G. Wagner,
Grovlez, Dressen.
— M. Guilmant, l'éminent professeur d'orgue
au Conservatoire et à la Schola, a repris au Troca-
déro les séances complémentaires de ses cours,
auxquelles il convie les personnes qui lui en font
la demande. Nous avons dit souvent tout l'intérêt
de ces auditions, qui constituent une véritable
histoire de la musique d'orgue, et le merveilleux
talent de M. Guilmant. Ne renouvelons pas non
plus de trop justes doléances sur l'acoustique de
la salle. Il faut s'en contenter, car c'est la seule
vraie salle de concerts que nous ayons à Paris.
Les séances des 17 avril et Ier mai ont été
consacrées aux organistes allemands du xvme siè-
cle et aux organistes anglais du xixe. Parmi les
œuvres de ces derniers, nous signalerons une belle
sonate de Samuel-Sébastien Wesley. F. G.
— On peut, à propos de la harpe, rappeler l'a-
pologue d'Esope sur la langue, la meilleure et la
pire des choses. Employée dans l'orchestre avec
discrétion et adresse (quels charmants effets en a
tirés l'auteur de Pelléas !) ou jouée en solo avec
goût et avec style, la harpe est un instrument ex-
quis et plein de ressources. Autrement, elle est
obsédante, banale... Mme Robet-Aubert joue de la
harpe en grande virtuose et en vraie musicienne.
Son jeu a beaucoup de variété. Elle a, notamment,
i des effets de legaio très réussis. Le programme de
son concert du 28 avril, salle Erard, comprenait
une fantaisie de Th. Dubois, œuvre délicate et
bien écrite pour l'instrument, et le beau concerto
en ut mineur de Mlle Renié, dont on n'a pas oublié
le succès l'an dernier au Concert Lamoureux. L'exé-
cution a été parfaite, d'une belle sonorité, sans
sécheresse. Un double quatuor remplaçait l'or-
chestre. Mme Aubert a joué de même un prélude
du Clavecin bien tempéré, et la jolie Chanson de Guil-
lot-Martin, de M. Périlhou.
On a entendu avec plaisir une suite pour deux
pianos de M. Aubert, jouée par l'auteur et M. Lor-
tat-Jacob, trois pièces pour violoncelle fort bien
jouées par M. Feuillard et plusieurs mélodies
agréablement chantées par Mlle de Saint-Germier.
Programme varié et intéressant, ainsi qu'on voit,
et grand succès. F. G.
— Grande agilité, plus de force que de fermeté
dans les doigts, virtuosité indéniable, mais non
exempte d'un peu de sécheresse : tel m'est apparu
le talent de Mme Anna Laidlaw dans le récital
qu'elle a donné, salle Pleyel, le 28 avril. Les fem-
mes artistes ont en général cette faiblesse de vou-
loir faire oublier leur sexe en exagérant le son
et en virilisant le style ; elles n'y gagnent rien et
risquent de perdre un peu de leur grâce. La femme
doit rester femme dans le caractère, dans l'habille-
ment, comme tant le talent. Le public a beaucoup
applaudi la vélocité de l'artiste, notamment dans
trois études de Rubinstein, d'Henselt et de Liszt;
j'ai beaucoup goûté la façon dont elle a joué l'In-
quiétude de Pfeiffer et l' Impromptu- Valse de Pugno. Si
je fais des réserves sur l'interprétation d'une étude
de Chopin, c'est moins pour émettre une critique
qui touche particulièrement Mme Laidlaw que
pour constater une fois de plus que le culte rendu
à Chopin est rarement exercé selon les rites ; la
piété sans la foi est la marque d'une religion qui
s'en va. La musique de Schumann n'en est pas là,
heureusement. Mme Laidlaw a fort bien exécuté le
Carnaval, cette suite sans suite de courtes-pièces
d'un intérêt varié et variable. J'attends l'aimable
artiste, l'an prochain, dans un récital où elle ne
manquera pas de mettre sur son programme quel-
ques œuvres classiques, la pierre de touche du ta-
lent et du style. T.
— M. Lazare Lévy a tout le charme et la préci-
sion de son éminent maître, M. Diémer. Le pro-
gramme de son dernier concert (iermai) répondait
à merveille à son jeu sobre et doux. Il a joué
d'une façon exquise la jolie sonate op. 14, n° 2, de
Beethoven, Yandante et le scherzo — surtout Y att-
elante — de la sonate en si bémol de Schubert, les
Scènes d'enfants de Schumann et la fantaisie de Cho-
pin. Lorsqu'il faut de la puissance, comme dans la
fugue en la mineur de Bach ou les Légendes de
3So
LE GUIDE MUSICAL
Liszt, il sait en donner, mais sans excès. Une salle
très élégante et comble a fait un bel accueil au
jeune artiste, qui a su prendre rang parmi les pre-
miers pianistes actuels, alors que la technique du
piano s'est tellement développée.
Mme Litvinne qui se prodigue (car elle chantait
le même soir au Nouveau-Théâtre), a chanté deux
mélodies de Wagner [Rêves et le Rêve d'Eisa,
de Loliengrin). Sa belle voix, un peu fatiguée au
début, a bientôt repris sa souplesse et son ampleur.
Elle a triomphé, à son habitude. F. G.
— La dernière matinée du cours Sauvrezis était
consacrée à l'école russe moderne. Mlle Alice Sau-
vrezis, dans une étude très documentée, a exposé
les origines de la musique russe et en a retracé
l'histoire.
Des élèves, qui sont de véritables artistes, ont
exécuté des œuvres de cette brillante phalange
de compositeurs, depuis les miniatures de César
Cui jusqu'au concerto de Rimsky-Korsakoff et à
Ylllainey de Balakirew, morceau d'une difficulté
transcendante. Des chœurs et des mélodies de
Glinka, Borodine, Rimsky-Korsakoff complétaient
ce programme du plus haut intérêt.
— La Société des Musiciens de France a organisé
une sorte d'« exposition de la mélodie française »,
en six séances, à la salle /Eolian, aux dates des
28 avril, 2, 6, 11, i3 et 16 mai, sous la direction de
MM. A. Lavignac, Emile Engel, Cortot, de Ber-
tier, d'Offoël et Mangeot. Le mot « exposition »
est bizarre au premier abord, mais il tend à un
rapprochement des arts, en ce moment de salons
de peinture, sculpture, gravure et architecture, qui
se laisse aisément comprendre. Il ne s'agit pas, en
effet, d'une histoire du Lied ou d'une étude chrono-
logique de la mélodie française (à commencer par
celles que nous a mises en relief, il y a quelques
mois, M. Julien Tiersot, pour finir aux inspirations
d'un Fauré ou d'un Debussy). C'est bien une expo-
sition, un salon auditif de pages contemporaines
d'auteurs vivants. Gustave Charpentier et Gabriel
Dupont, Pierre de Bréville, Gabriel Fabre et
Alexandre Georges, Jean Nouguès, Charles René,
Louis Brisset et H. Février, ont été entendus ainsi
dans la première séance, par l'interprétation de
Mme Georgette Leblanc et de M. Jan Reder. (Celle
de Mlle Garden a été remplacée au dernier moment
par celle de Mlle Marié de Lisle : on n'y a pas
perdu, car l'exquise artiste est une diseuse de pre-
mier ordre ; seulement, elle a chanté du Gluck et
du Massenet, ce qui n'était pas précisément dans le
programme.) Les séances suivantes comprendront
des œuvres de Chausson, Bordes, Lefebvre, Bru-
neau, Hahn, Pierné, Erlanger, Lalo, Leroux, Do-
ret, Coquard, Lenormand, Dubois, Widor, Saint-
Saëns, Fauré, Debussy, etc., avec un choix varié et
différent d'interprètes. C.
— Mme Jane Arger, l'exquise chanteuse et l'ar-
tiste consommée, donnera mardi prochain, 9 mai,
à la salle Pleyel, un concert des plus attrayants,
consacré à Schumann et à Gabriel Fauré, au Prin-
temps d'amour et à la Bonne Chanson, auxquels Mme
Monteux-Barrière joindra l'exécution de diverses
pages importantes de l'œuvre de piano des deux
maîtres. Nous en reparlerons.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La dernière représentation du Crépuscule des Dieux
a été un triomphe magnifique pour Mme Félia
Litvinne qui jamais ne fut plus belle et plus im-
pressionnante, et faisait mercredi ses adieux au
public bruxellois. Longues ovations, rappels en-
thousiastes, fleurs et applaudissements, rien n'a
manqué à son succès auquel on a associé
M. Sylvain Dupuis, l'éœinent chef d'orchestre; et
c'est justice, car il peut à bon droit être fier de la
campagne qu'il a dirigée et des résultats qu'il a
obtenu de son excellent orchestre. MM. Ch. Dai- I
morès, Decléry et Vallier, Mmes Dratz-Barat,
Dhasty, Maubourg, Colbrant et Tourjane ont eu
leur belle part des applaudissements.
Jeudi, pour les adieux des artistes, spectacle
coupé : des fragments d'Hérodiade, de MartiUe, de
Hamlet, de Paillasse, du Légataire universel et Une
Aventure de la Guimard, tout a été l'occasion de
rappeds, de fleurs et d'applaudissements.
C'est le moment de jeter un coup d'œil rétro-
spectif sur la saison qui vient de se clôturer si
brillamment. Elle a comporté 42 ouvrages, soit 1 de
plus que Tannée précédente et 6 de plus que dans
la campagne de 1902-1903; en tout, 126 actes!
Six nouveautés :
Le Jongleur de Notre-Dame de J . Massenet. 3 actes.
Alceste de Gluck 4 actes.
Pépita Jimenez de I. Albéniz ... . . . 2 actes.
L'Ermitage fleuri de I. Albéniz .... 2 actes.
MartiUe d'Albert Dupuis 2 actes.
Une aventure de la Guimard d'André Messa-
ger (ballet) 1 acte.
Soit en tout 14 actes nouveaux.
La saison a été marquée, en outre, par la reprise
LE GUIDE MUSICAL
38i
de Faust dans des décors et des costumes entière-
ment renouvelés, de Paillasse, de Bonsoir, monsieur
Pantalon! de Galatêe, d'Hérodiade, de la Basoche, du
Postillon de Lonjumeau, du Trouvère, qui, depuis
longtemps, n'avaient plus figuré à l'affiche, soit en
tout 19 actes, dont l'étude a été tout à fait nouvelle.
L'œuvre de Wagner a été représentée par les
Maîtres Chanteurs, Lohengrin, Tannhàiiser, la Walky-
vie, Tristan et Isolde et le Crépuscule des Dieux. De
Verdi, on a donné Aïda, Rigoletto et le Trouvère; de
Bizet, Carmen et V Artésienne ; de Massenet, Werther,
la Navarraise, Manon, le Jongleur de Notre-Dame et
Hérodiade; de Puccini, la Tosca et la Bohème, etc.
L'école allemande a figuré au répertoire par 7 ou-
vrages, l'école française par 23, l'école italienne
par'9, l'école belge et l'école espagnole chacune
par 2. R. S.
— Dimanche dernier, au Conservatoire, a eu
lieu un très beau concert au profit de l'Avenir
artistique, l'œuvre si hautement recommandable,
fondée par Mme la baronne Lambert en faveur des
jeunes filles qui se destinent à la carrière drama-
tique et lyrique.
Au programme : La sonate en fa de Beethoven,
délicatement et classiquement comprise et rendue
par MM. Capet et Lauweryns ; un choix de mélo-
dies de ce dernier, de MM. Somers et Delune,
chantées par M. Altchewsky, qui a dit dans sa
langue, plus triomphalement encore, des Lieder
d'auteurs russes convenant tout particulièrement
au timbre de sa voix; une série de mélodies
très appréciées de M. Reynaldo Hahn, admi-
rablement mises en valeur par la belle voix de
MŒe Litvinne, qui a dit encore des fragments de la
Dichterliebe de Schumann, et pour finir, au lieu du
duo de Sigurd, que M. Altchewsky, partant pour la
Russie, a dû abandonner, la mort d'Iseult, un de
triomphes ; à citer, pour être complet, une romance
pour violon, très chantante et très savoureuse, de
M. Reynaldo Hahn, qui a accompagné M. Capet et
Mme Litvinne.
— Le récital donné jeudi dernier par M. Jan
Kubelik a été un très vif succès. Après ses con-
certs à Paris, à Bruxelles, à La Haye, il n'y a plus
lieu de caractériser à nouveau le talent de ce vir-
tuose extraordinaire qui a interprété avec ses
merveilleuses qualités de technique le concerto en
ré mineur de Wieniawski, la romance en 50/ de
Beethoven, le prélude de Bach, / Palpiti de Pa-
ganini et la Ronde des Lutins de Bazzini.
— Bien intéressant, le récital donné par M. Max
Donner, jeudi dernier, à la salle Le Roy.
Au programme, un concerto peu connu de
Tor Aulin, surtout remarquable par les difficul-
tés que le violoniste doit surmonter pour l'exé-
cuter convenablement; du concerto n° 2 de
Bach, Y adagio a valu à M. Donner une véritable
ovation ; jamais l'artiste n'a joué avec plus de sen-
timent cette admirable page. Une sarabande et
bourrée de Hsendel, un menuet de Mozart, inter-
prété d'une façon un peu trop fantaisiste, ce
n'était plus du Mozart, c'était presque du Max
Donner.
La séance se terminait par Tango, du violoniste
espagnol, E.-A. Arbos, œuvre d'une grande origi-
nalité, où M. Donner a fait merveille.
Mlle Angélique Keyser a tenu le piano, faisant
preuve de beaucoup de méthode et de talent.
J.T.
— Le quatrième concert de l'Exposition des
Peintres et Sculpteurs de l'Enfant s'ouvrait par
cinq charmantes petites pièces à quatre mains,
deux de Fauré, trois de Bizet, toutes délicieuses
et interprétées avec beaucoup de goût et de
rythme par Mlles Liliane Carie et Ellen Mills.
MUe Marie Buisson a chanté ensuite d'une voix
habilement conduite et pleine d'émotion du Schu-
mann, du Massenet, une berceuse de G. Hu-
berti, les Toutes Petites de Vidal et, en bis, une
berceuse de Georges Lauweryns.
U Adagio de Tartini, le Chant du soir de Schu-
mann et Bagatelle de Jaques-Dalcroze ont valu à
M. Henri Merck un très beau succès; peu de
violoncellistes ont un son aussi chaud, une expres-
sion aussi émue.
Le triomphe a été pour Mlle Louisa Merck; trois
petits préludes pour les commençants et une
Fughetta de Jean-Sébastien Bach ont trouvé en
elle une interprète parfaite; Pour Elise de Bee-
thoven et enfin la berceuse de Schumann, deux
œuvres d'une si belle inspiration ont été exécutées
par elle avec un sens délicat de l'intimité et de la
poésie qu'elles expriment.
La seconde partie du concert était assurée par
les élèves des Ecoles primaires nos 1 et n de la
ville de Bruxelles, sous la direction précise et
intelligente de M. Benoni Lagye et de Mlle M.
Couché qui les accompagnait au piano avec infini-
ment de tact. Des chœurs de Jouret, de Schumann
et de Blockx, deux chansons de Leoncavallo et de
Missa et un récit charmant dit avec crânerie par
une toute petite fille ont terminé la séance au
milieu des applaudissements. C.
382
LE GUIDE MUSICAL
— Samedi 29 avril, a eu lieu au Musée commu-
nal d'Ixelles la distribution des prix aux élèves de
l'Ecole de musique et de déclamation.
La partie musicale comportait, pour la première
partie, diverses œuvres de M. Henri Thiébaut,
d'inspiration et de recherches harmoniques cu-
rieuses. Citons surtout Impression du soir, exécutée
à rideau baissé ; Recueillement, chœur pour voix de
femmes; Noèl d'enfants, dont le succès a été si
grand l'an dernier à Paris, à l'un des concerts de
la salle Pleyel ; quatuors vocaux : Margot, Labourez
les vignes, Je veux mon ami Pierre, sur de vieilles
paroles françaises ; Le Temps passé, canon à trois
voix sur des paroles du xvne siècle, etc.
Un gros succès également pour un ravissant
tableau vivant, L'enfant rêve.
La deuxième partie était réservée à La Conjura-
tion des fleurs de M. Bourgault-Ducoudray, venu
pour diriger son œuvre, remarquablement inter-
prétée par M. Berton, baryton des Concerts
Colonne de Paris, les professeurs et élèves de
l'Ecole pour les soli et chœurs. Bref, exécution
très brillante.
— Le concours pour la place de flûte solo et
une place de violoncelle à l'orchestre du théâtre
royal de la Monnaie aura lieu au foyer du théâtre,
le samedi i3 mai, à 2 heures.
Pour l'inscription et les renseignements, s'adres-
ser à M. Goffin, régisseur de l'orchestre.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le Diesterweg nous a donné
dernièrement une excellente exécution de la
Rédemption de Gounod. Cet oratorio, qui n'est peut-
être pas au nombre des chefs-d'œuvre de l'auteur
de Faust, est assez monotone, et ce sujet mystique
ne semble pas l'avoir inspiré heureusement.
L'œuvre, cependant, fut enlevée avec beaucoup
de correction par les chœurs du vaillant Cercle,
stylés admirablement, ainsi que l'orchestre, par le
dévoué M. Joris de Bom. D'excellents solistes
prêtaient leur précieux concours à cette solennité
musicale ; c'étaient : Mmes Soetens-Flament,
Bernard et Broeckx ; MM. Judels et Fontaine.
G. P.
BADE. — Dans le but d'alimenter la caisse du
« Richard Wagner Stipendien Fonds », qui
s'est imposé, jusqu'à la date du centenaire de la
naissance de Richard Wagner (22 mai 1913), la
mission de faciliter, par des subventions accordées
à des musiciens dépourvus de moyens financiers,
la fréquentation des représentations de Bayreuth,
les principaux « Richard Wagner- Vereine » de
l'Allemagne ont organisé une propagande des
plus actives. Ils ont, entre autres, patroné une
entreprise des plus louable, à laquelle s'est voué
M. Henri Ernst, régisseur en chef au théâtre de
Géra-Reuss, qui lui-même appartient à l'adminis-
tration du théâtre de Bayreuth en qualité de répé-
titeur de chant. L'entreprise de M. H. Ernst con-
siste à populariser, par des conférences musicales,
l'attrait varié de projections lumineuses reprodui-
sant les scènes capitales de l'œuvre, le Parsifal de
Richard Wagner.
Après une conférence tenue la veille, à Carls-
ruhe, sous le patronage du prince Maximilien de
Bade, M. Henri Ernst, avec l'appui de sa parte-
naire habituelle, Mme Holze-Brômel, une pianiste
très distinguée, a remporté mardi dernier un succès
des plus vif à la séance qu'il avait organisée dans
la salle de la Conversation, à Bade. Analysant
l'œuvre de Parsifal, dont Mme Holze-Brômel a
détaillé au piano, avec un jeu très expressifs,
les chapitres les plus marquants, M. Ernst a com-
plété l'intérêt de ses explications du poème et de
la musique de Parsifal par le spectacle de projec-
tions lumineuses reproduisant, en tableaux fidèles,
les. maquettes de M. Joukowsky et de MM. M. et
G. Brùckner frères, décorateurs de la scène de
Bayreuth, d'après les jolis clichés de la maison
Hennin g, de Graz.
Cette conférence-propagande, également donnée
sous le patronage du prince Maximilien, qui a en-
gagé M. Ernst à la renouveler dans le courant de
la saison d'été, a été le gros événement de la pre-
mière semaine des vacances à Bade, où le mouve-
ment musical est, dès à présent, fort animé
déjà, grâce aux auditions, d'un caractère tout artis-
tique, données journellement par l'excellent or-
chestre de M. Paul Hein. A. O.
BARCELONE. — Le concours ouvert pour
la Fête annuelle de la musique catalane a
particulièrement réussi.
Le jury, composé des maîtres MM. Pedrell,
S. Gavagnach, Alio, Lamote, Millet et MM. Cabot
et Domenech, président et secrétaire de l'Orphéon
catalan, a dû travailler, car les concurrents ont été
très nombreux. Les thèmes qui ont valu des prix
LE GUIDE MUSICAL
3è3
aux concurrents sont : Chœur à voix d'hommes,
Messe Solennelle, recueil de chansons populaires,
recueil de mélodies pour chant et piano, recueil
de chants d'écoliers, recueil d'œuvres peu connues,
chansons populaires harmonisées. Bref, dix-neuf
compositions ont remporté des prix et des men-
tions, ce qui constitue un beau résultat.
Le savant maître M. Pedrell a été chargé de la
direction artistique de la Collection de musique
d'église qu'entreprend la maison Vidal et Huisona.
Cette publication est faite dans le sens de
l'épuration ordonnée par le pape. Des œuvres an-
ciennes et modernes sont mises au jour, et il faut
signaler les éditions des Cantigas du roi Al-
phonse X, le roi-poète du xnie siècle, véritable
monument d'art populaire et religieux, qui est pu-
blié avec le plus grand soin sous la direction de M.
Pedrell.
Le maître prépare une anthologie d'organistes
classiques espagnols. C'est une trouvaille, une
surprise que cette école d'organistes, dont le chef,
l'organiste Cabezon, est antérieur aux clavecinistes
anglais. C'est ainsi que cette école espagnole se
présente avec des caractères bien personnels, et
après Cabezon, organiste et claveciniste de cham-
bre des rois Charles V et Philippe II, jusqu'au
xvme siècle. E.
BUCAREST. — Les auditions annuelles du
Quatuor Carmen Sylva ont attiré un public
friand de musique pure. La troisième fut, sans
conteste, la plus attrayante, car M. Georges Bos-
coff y tint la partie de piano dans l'adorable trio
en sol majeur de Mozart, avec une personnalité
toute de grâce, d'esprit et de délicatesse.
Le célèbre Quatuor tchèque, dans son unique
audition de la salle de l'Athénée, interpréta avec
cette probité artistique, cette cohésion qui font de
la valeureuse phalange une des plus fameuses qui
soient : le quatuor en ja majeur de Dvorak, les
variations du quatuor en fa majeur de Mozart,
YAndante cantabile de Tschaïkowsky, le scherzo de
d'Albert et le quatuor en ut majeur (avec la fugue)
de Beethoven.
A cette même salle de l'Athénée, on a fêté comme
il convient le délicat pianiste Georges Boscoff. La
technique impeccable, le sentiment toujours noble,
le style élégant du jeune virtuose, ont soulevé d'en-
thousiastes applaudissements, et les nombreux
auditeurs qui l'acclamaient reportaient leur pen-
sée reconnaissante vers le maître Diémer, qui a su
former de tels élèves.
Ce fut une heure exquise que celle que nous pro-
cura à son concert, Mme Carlotta Léria, l'excellent
professeur au Conservatoire de Bucarest. Canta-
trice de la bonne école, Mme Léria est la déposi-
taire des traditions du chant français, où régnent
le goût, la mesure et la grâce.
Elle a détaillé, d'une belle voix toujours jeune et
avec de nobles accents, l'air du Roi de Laliore et des
Lieder de H. Wolff, R. Strauss, Schubert et Th.
Fuchs.
M. Ignace Friedmann vient de se révéler au pu-
plic de Bucarest. Ce jeune pianiste polonais de
vingt-trois ans à peine, hier encore un inconnu,
possède toutes les qualités qui font les grands vir-
tuoses : une sonorité orchestrale, une prodigieuse
technique, un toucher d'une délicatesse extrême.
Mme Nina Faliero-Dalcroze nous a fait le plus
grand plaisir à ses deux concerts de l'Athénée : sa
voix est petite, mais jeune, jolie, attrayante et
fraîche. Ces qualités naturelles sont rehaussées par
une articulation et une émission sans reproche, par
une pureté de style et un goût parfaits.
Mme Dalcroze excelle dans les pages des vieux
Italiens Tre giomi de Pergolèse et Amqrilli de Ca-
cini, et les œuvres de son mari, M. Jaques-Dal-
croze, le compositeur genevois bien connu, ne peu-
vent avoir d'interprète plus convaincu ni plus gra-
cieux qu'elle. Michel Margaritesco.
LA HAYE. — L'Opéra royal a fermé ses
portes le Ier mai, après une saison aussi
réussie que fructueuse. La composition de la
troupe a mérité, cette année, les plus sincères
éloges, et la direction a été heureusement
inspirée en rengageant une grande partie des
anciens pensionnaires, car notre public reverra
avec grand plaisir Mmes Scalar, Dalcia, Caux,
MM. Marcoux et Edwy. En fait de nouveautés
pour la saison prochaine, il est question des
Girondins de Le Borne, d'Hélène de Saint-Saëns, de
Chérubin de Massenet, des Femmes curieuses de
Wolff-Ferrari et d'un opéra de Frédéricque
d'Erlanger, l'auteur d'Inès Sandra, représenté en
Russie. Mais ce ne sont encore que des projets, et
rien n'est décidé.
Bien que la saison des concerts touche à sa fin,
j'ai encore à signaler celui qu'a donné le célèbre
violoniste Jan Kubelik avec l'orchestre et les
artistes de l'Opéra royal français, et la séance de
sonates donnée par la jeune pianiste Mlle Van
Lokhorst, élève de Reisenauer, avec le violoniste
Henri Hack. Kubelik nous a fait entendre le con-
certo de Beethoven, le concerto de Paganini et la
Ronde des Lutins de Bazzini.
3à+
LÉ GUIDE MUSICAL
A la séance de sonates, le programme se com-
posait de la sonate en ré majeur de Mozart, de la
sonate en sol majeur de Brahms et d'une sonate
fort intéressante du compositeur russe Paul Juon.
C'est cette dernière qui a eu le plus grand succès,
et c'est celle de Brahms dont l'exécution a laissé
le plus à désirer.
Un événement musical d'une grande importance
nous attend pour le mois de juin, à l'occasion des
fêtes de la Pentecôte. C'est un festival de deux
jours, qui sera donné le n et le i3 juin, sous la
direction de Félix Weingartner, avec les chœurs
de la société Toonkunst, de La Haye, et l'orchestre
communal d'Utrecht, la direction du Concert-
gebouw d'Amsterdam ayant refusé à l'orchestre
Mengelberg l'autorisation de prêter son concours.
Comme solistes : Mlles Marcella Pregi, Anna
Kappel, Mme de Haan-Manifarges, MM. Jos.
Tyssen, Orelio, Jan Sol et van Duinen. Le pro-
gramme de la première soirée se composera de la
première et de la neuvième symphonie et de l'ou-
verture Léonore n° 3 de Beethoven. A la seconde
soirée, on exécutera la Damnation de Faust d'Hector
Berlioz. Ce festival sera donné dans la grande
salle de concerts de la Société royale de Zoologie,
qui sera transformée pour la circonstance.
Ed. de H.
LIEGE. — L'ouverture solennelle de l'expo-
sition a été marquée par l'exécution de la
grande cantate que M. Th. Radoux, directeur du
Conservatoire, avait spécialement écrite pour cette
circonstance. Elle débute par un Lento grandioso,
original et caractéristique qui s'enfle par une habile
progression sur une pédale de soi; puis vient le
moderato et Yandante pour soprano -solo que
Mme Paquot-D'Assy, du Théâtre royal de la
Monnaie, a chanté avec flamme, d'une voix
généreuse et émouvante ; la partie de violon solo
était remarquablement tenue par M. Char lier.
Enfin la cantate s'achève par un grandioso pomposo
où se combinent le thème original du début, la
Brabançonne, le Valeureux Liégeois et Où peut-on être
mieux... Le succès a été très grand.
Le premier des grands concerts symphoniques a
eu lieu dans le Hall des Fêtes de l'Exposition sous
la direction de M. Oscar Dossin avec un très beau
programme. L'ouverture des Maîtres chanteurs, le
prélude du Déluge (violon solo : M. Charlier) et le
ballet à! Etienne Marcel de Saint-Saëns, Poème d'avril
de Th. Radoux, une fantaisie sur les Dragons de
Villars de Joseph Dupont et la Marche écrite pour
le couronnement du roi Edouard VII, par Saint-
Saëns. X. X.
PAU. — M. Henri Schidenhelm, le distingué
pianiste, dont les succès parisiens à la salle
Erard ou à la salle Pleyel, puis dans diverses
tournées de province ou hors de France, ont été
plusieurs fois signalés aux lecteurs du Guide, et qui
s'est établi dans notre ville depuis 1902, vient de
donner au Palais d'hiver (le 17 avril), à l'occasion
du vingt-cinquième anniversaire de ses débuts, un
récital qui lui a valu les plus chaleureuses ova-
tions. Comme d'habitude avec ce jeune virtuose
éminemment classique, le programme était com-
posé avec un soin qui fait le plus grand honneur à
son goût artistique, et la façon dont il l'a exécuté
a prouvé une fois de plus combien sa nature est
faite pour mettre en valeur les plus grands maîtres
du piano. Mozart était représenté par la fantaisie
en ut mineur, Beethoven par un Andante con varia-
zioni, Bach par deux préludes et fugues, Scarlatti,
Schumann par diverses pièces courtes, mais
choisies, Chopin par la fantaisie op. 49 et quatre
études, Saint-Saëns par une étude et des variations.
Modestement, l'artiste a glissé parmi ces belles
œuvres une seule petite « étude » en tierces de
lui-même, qui prouve une pleine possession de
l'esprit et des ressources de son instrument. Ce
beau succès méritait d'être souligné. C.
NOUVELLES
A la suite des récents désordres qui éclatèrent
parmi les élèves du Conservatoire de Saint-Pé-
tersbourg, un conflit s'est produit entre la direction
et quelques professeurs qui sympathisaient avec
les élèves. M. Rimsky-Korsakow prit position
contre la direction, composée de simples dilet-
tantes, se plaignant que le sort du Conservatoire
ne dépendit pas de vrais musiciens. Invité à se
démettre, il refusa et fut alors déposé d'office.
Immédiatement, en signe de protestation, plusieurs
professeurs démissionnèrent, parmi lesquels,
MM. Glazounow, Liadow, Arensky, Mme Essipow,
de sorte que le Conservatoire menaçait de rester
sans aucun maître de valeur.
A la suite de ces événements, la Société impé-
liale russe de musique, qui a le Conservatoire sous
sa dépendance, a tenu une séance sous la prési-
dence de M. P. N. Tcheremissinow. MM. Auer,
Petrow, Sacchetti, Lawrow et Malosemnovv,
professeurs au Conservatoire, avaient été convo-
LÉ GUIDE MUSICAL
385
qués. L'ordre du jour portait : La révocation de
M. Rimsky-Korsakow. La majorité des profes-
seurs ayant exprimé le vœu que M. Rimsky-
Korsakow fût réintégré dans ses fonctions, il ne
restait plus qu'à chercher les moyens de rendre
possible le rapprochement désiré entre le profes-
seur et la Société impériale. Après un échange
de vues sur ce point spécial, il a été décidé que les
professeurs présents s'interposeraient pour prépa-
rer la réconciliation, que tout le monde souhaite
vivement dans les milieux musicaux de Saint-
Pétersbourg. On ne saurait dire encore si les
efforts qui vont être tentés dans le sens d'un apai-
sement pourront aboutir; il semble toutefois
qu'une détente s'est produite, car, à la suite de
ces incidents le préfet de police, qui avait «ordonné
l'incarcération pendant un mois » de cent et un
élèves du Conservatoire, vingt-six jeunes gens et
soixante-quinze jeunes filles, a renoncé à pour-
suivre l'application de cette mesure répressive.
Après plusieurs jours de détention, les prisonniers
et les prisonnières ont été remis en liberté.
Depuis cette réunion, il s'est produit encore de
nouvelles protestations bien significatives. C'est
ainsi que plusieurs compositeurs ou artistes célè-
bres, parmi lesquels on cite MM. Joachim, Saint-
Saëns, Eugène Ysaye, etc.. auraient renvoyé les
diplômes d'honneur qu'ils ont reçus de la direc-
tion. On a commenté partout, dans les milieux
artistiques, l'immixtion inattendue de la police
venant prononcer au milieu d'une réunion pure-
ment musicale sa fameuse formule « Assez comme
ça! » et s'opposant à la continuation d'une mati-
née, parce que l'on y avait lu des lettres de féb>
citations adressées à M. Rimsky-Korsakow à
propos de son nouvel ouvrage lyrique, Kachtchei
l'immortel. Depuis, l'on avait espéré que M. Rimsky-
Korsakow, professeur révoqué du Conservatoire,
voudrait bien se prêter à une réconciliation et
reprendre un peu plus tard son enseignement ;
mais il a déclaré que, selon sa manière de voir,
M. Tcheremissinow, président de la section de
Saint-Pétersbourg de la Société impériale russe
de musique, en écrivant « que le professeur
M. Rimsky-Korsakow s'était mis à la tète des
élèves grévistes du Conservatoire », avait fait
contre lui une véritable « dénonciation publique »
et que, dans ces conditions, il ne consentirait pas à
reprendre ses fonctions tant que le régime intérieur
du Conservatoire n'aurait pas été modifié. Ainsi
que l'on pouvait s'y attendre, M. Tcheremissinow
a répondu qu'il n'avait eu nullement l'intention de
faire contre M. Rimsky-Korsakow une « dénon-
ciation » ; mais les choses n'eu sont pas moins très
envenimées et l'on ne sait quand l'apaisement
pourra se produire. L'agitation a gagné Moscou, et
une démonstration « politico-artistique » a eu lieu
à un concert dirigé par M. Chessin, un des artistes
qui ont rompu avec la Société impériale russe de
musique. Les journaux prêchent le calme en
rappelant en français la maxime d'école « l'Art
pour l'Art ».
— On nous écrit de Lausanne que le violoniste
Hugo Heerman y a remporté un succès admirable.
Son programme comportait le concerto de Bee-
thoven, magistralement interprété, et le concerto
de F. d'Erlanger, qui a évidemment souffert du
voisinage qu'on lui imposait, mais a néanmoins
fait grande impression. C'est une œuvre des plus
intéressantes de la littérature du violon.
— Mme Jane Arctowska a obtenu un très
brillant succès à Londres, dans le récital qu'elle a
donné à la salle Bechstein. Carissimi, Bach, Arne,
Schulz, Lekeu, Bordes, Dvorak, Chausson,
Holmes, Fauré, Berlioz, Grieg, d'Erlanger, Du-
parc, Molloy, Sinding, Henschel et Richard
Strauss, tels étaient les noms que réunissait le
programme dans lequel Mme Arctowska a été
vigoureusement applaudie.
— Une excellente violoniste française, Mme
Jeanne Diot, s'est fait très remarquer à Munich
dans un concert donné avec Mmes Sigrid Sund-
gréen-Schnéevoigt et Yolande de Stoecklin. Au
programme figuraient notamment la sonate en
fa majeur de Beethoven, la sonate en mi majeur
de Lekeu et la sonate en la majeur de César
Franck. Ces deux dernières œuvres, très rarement
exécutées en Allemagne, ont été accueillies avec
le plus vif enthousiasme par la critique et ont valu
aux interprètes de longs applaudissements.
Rappelons que trois jours auparavant, Mme
Jeanne Diot avait exécuté le premier concerto de
Max Bruch au concert Weingartner et y avait
obtenu un grand succès.
— Notre excellent correspondant à Bucarest,
M. M. Margaritesco, vient d'être nommé inspec-
teur général des musiques militaires de l'armée
royale de Roumanie. Lauréat du Conservatoire de
Genève et élève d'Antoine de Koutski, M. Marga-
ritesko s'est acquis une réelle réputation par plus
de quatre-vingts compositions pour piano, chant et
orchestre, dont un grand nombre ont été exécutées
à Vienne et à Paris.
— On prépare en Italie, par les soins du maestro
Vatielli, la publication exacte et intégrale de fa
336
LE GUIDE MUSICAL
Rappresentazione di anima e di corpo d'Emilio del
Cavalieri, qui fut exécuté en i5g9 et qui est con-
sidéré comme le premier oratorio connu. Emilio
del Cavalieri, qui était né à Rome et qui y vécut
d'abord, fut appelé ensuite à Florence par Fernand
de Médicis, en qualité d'inspecteur général des
arts et des artistes. Il fut contemporain de Giulio
Caccini, Jacopo Péri, Jacopo Corsi, Vincenzo
Galilei, Ottavio Rinuccini, promoteurs du mouve-
ment qui devait amener la création du style
dramatique et de l'opéra moderne; ces artistes
formaient un cénacle alors célèbre et se réunis-
saient chez le comte Bardi.
Vatielli avait commencé, lui aussi, à écrire en
sîilo osservato, c'est-à-dire en contrepoint serré, et
l'on connaît de lui plus de quatre-vingts madrigaux
écrits de la sorte. Mais il s'attacha bientôt à la
recherche d'une musique vocale moins scolastique
et plus libre, en même temps que plus expressive.
Il introduisit même dans le chant certains agré-
ments non usités avant lui et qu'il empruntait au
style du luth et du clavecin. Enfin, outre une
certaine importance qu'il accordait aux formes
mélodiques, il passe pour être le premier qui
écrivit une « basse continue », c'est-à-dire une
basse instrumentale différente de la basse vocale.
Cavalieri écrivit la musique de deux ouvrages
dramatiques : il Satiro et la Disperazione di Filene,
qui furent représentés tous deux à la cour de
Florence en 1590, et en fit exécuter un autre,
il Giuoco délia cieca, en i5g5. Il mourut en .1599, et
c'est seulement l'année suivante que fut exécuté
solennellement à Rome, à Santa Maria in Vallicella,
son oratorio de la Rappresentazione di anima e di corpo.
C'est le seul de ses ouvrages qui ait été publié, et
il le fut par les soins d'Alessandro Guidotti, qui le
fit précéder d'un « avertissement » dans lequel il
donne des instructions pour son exécution, en
même temps qu'il donne l'explication des orne-
ments employés par l'auteur, les accompagnant
d'une traduction notée. On ne connaît aujourd'hui
que deux exemplaires de cette édition, faite
en 1600, à Bologne, par Guidotti.
— C'est avec les plus vifs regrets que nous ap-
prenons la démission de M. Oscar Jùttner, chef
d'orchestre du Kursaal de Montreux.
Dans les quinze années de son activité, cet excel-
lent artiste a su donner un essor nouveau à la vie
musicale de Montreux, et les trente concerts sym-
phoniques annuels étaient devenus, par la richesse
de leur programme, la perfection de leur exécution
et le concours de solistes de premier ordre, des
modèles du genre en Suisse.
— Un amateur passionné de musique, M. Mie-
cislav de Wessel, a institué par testament, comme
héritière de ses biens, la Société philharmonique
de Varsovie, qui se trouve ainsi dotée d'un capital
de i,3oo,ooo roubles et devient une des plus riches
institutions de conceits du globe.
— Le programme des fêtes qui seront données
du 17 au 20 mai au théâtre de la Cour, à Wies-
baden, comprend : le Freischûtz, de Weber; la
Pucelle d'Orléans, de Schiller; la Folle Princesse, de
M. Chelius, et Coppélia, de Léo Delibes.
&
NECROLOGIE
Mme Anna de La Grange, une des grandes
cantatrices françaises du siècle dernier, est morte
à Paris, âgée de plus de quatre-vingts ans. Elle
était fille d'un facteur de pianos et fut d'aboid
l'élève du professeur Stamaty, le maître de
Saint-Saëns. Elle était déjà pianiste excellente
lorsque Bordogni l'entendit et conseilla de lui
faire abandonner le piano pour le chant.
Son début se fit d'une façon partilière, en 1840,
sur le théâtre que le comte de Castellane s'était
fait construire dans son superbe hôtel du Fau-
bourg-Saint-Honoré, dans un opéra inédit de
Flotow, la Duchesse de Guise, dont on avait organisé
la représentation au bénéfice des réfugiés polonais.
Le talent de la jeune cantatrice fut une révéla-
tion pour le public tout spécial qui assistait à ce
spectacle et qui l'accueillit avec un véritable
enthousiasme. Après s'être produite dans divers
concerts, à Paris et en province, elle partit
bientôt pour l'Italie, où, en 1844, elle commença
sa brillante carrière, obtenant des succès éclatants
à Novare, à Plaisance, à Parme, à Modène, à
Bologne, où elle connut Rossini, qui s'intéressa
vivement à elle, et se faisant ensuite applaudir
àTrieste, à Venise, à Rome, à Turin... Ces succès
la ramenèrent à Paris et la firent engager à
l'Opéra, où elle chanta en 184S, dans Othello et
dans Robert le Diable ; mais les événements politi-
ques ayant amené la fermeture de l'Opéra le
i5 juillet 1849, Mme de La Grange repiit sa liberté
et alla continuer sa carrière à l'étranger. Après
avoir retrouvé ses succès à Vienne, à Berlin,
à Saint-Pétersbourg, à Varsovie et jusqu'en
Amérique, elle revint à Paris, cette fois au
Théâtre-Italien (i853). Elle y joua entre autres
le Barbier et le Bravo de Mercadante, repartit de
nouveau pour l'étranger, puis reparut au Théâtre-
LE GUIDE MUSICAL
387
Italien en 1862, 63, 65 et 66. Ses succès y furent
éclatants dans la Traviata, Robevio Devereux, Don
Juan. Ermni, il Trovatore, Poliuto, mais surtout
dans Lucie de Lammermoor et dans Rigoletlo, où elle
était véritablement admirable, non seulement
comme cantatrice, mais comme tragédienne
lyrique d'une puissance dramatique incomparable.
Après cette brillante campagne sur la scène
italienne, elle retourna en Russie, où elle obtint
de nouveaux triomphes. — Mrae Anna de
La Grange avait épousé, fort jeune, le prince
Ghika, puis, devenue veuve, elle se remaria,
à Vienne, avec un grand seigneur russe, le comte
Stankowich, qui, peu après, la laissa veuve une
seconde fois. Sa fille a épousé le compositeur
Francis Thomé.
— De Florence, on annonce la mort du compo-
siteur et pianiste Ettore De Champs, qui était né
en cette ville le 8 août i835. Il avait étudié le
piano avec Gordoni, l'harmonie avec Colson et la
composition avec Mabellini,'puis il s'est livré à l'en-
seignement. Après avoir publié de nombreuses et
élégantes pièces de piano, il avait abordé le théâtre
en donnant à la Pergola deux opéras bouffes qui
furent bien accueillis, i Tutori e le Pupille (1860) et il
Càliffo (1870). Il écrivit ensuite quelques opérettes :
Gosto e Chora (1872), la Secchia rafiita (1873) et l'Idolo
Cinesse (1874), ces deux dernières en collaboration,
puis deux ballets représentés au théâtre Pagliano :
il Genio délie Colline et il Naufragio délia Fr égala La
Peyrouse. Plus récemment, il avait encore donné
deux autres opérettes : la Befenas et una Tazza di thé.
Enfin, on connaît encore de cet artiste plusieurs
messes avec orchestre ou a cafiella et un grand
nombre de morceaux détachés de tout genre.
— Une cantatrice qui obtint des succès sous le
nom de Frassini, Nathalie von Grùnhoff, créée
baronne après son mariage morganatique avec le
duc Alexandre de Wurtemberg, est morte à un âge
avancé, le 14 avril, à Charlottembourg (Berlin).
— Julius Kniese, chef des chœurs du théâtre des
fêtes de Bayreuth, est mort d'une attaque
d'apoplexie le 22 avril dernier, dans un hôtel de
Dresde où il se trouvait de passage. 11 était né le
21 décembre 1848, à Roda, avait été l'élève de <
Stade, de Brendel, de Riedel, en Saxe et avait
dirigé plusieurs sociétés de chant à Glogau, à ''
Francfort, à Aix-la-Chapelle et à Breslau, avant
de s'établir à Bayreuth, où il était fixé depuis 1882.
Il laisse plusieurs cahiers de mélodies, un poème
symphonique, Frithiof, inédit, croyons-nous, et
quelques autres compositions d'une importance
secondaire.
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RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Armide; Tristan et Isolde; Armide;
Tristan et Isolde.
OPÉRA-COMIQUE. — Lakmé, le Chalet; Le Bar-
bier de Séville, Cavalleria rusticana ; L'Enfant-Roi;
Carmen; Le Jongleur de Notre-Dame, le Légataire
universel ; Le Roi d'Ys ; La Cabrera (première repré-
sentation, vendredi), Philémon et Baucis.
VARIÉTÉS. — L'Age d'or (première représentation,
lundi).
OPÉRA-ITALIEN (théâtre Sarah Bernhardt). —
Adriana Lecouvreur (première représentation, mardi);
Siberia (première représentation, jeudi).
ERUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Car-
men; Hérodiade; Le Postillon de Lonjumeau, Les
Noces de Jeannette; Manon; Le Crépuscule des Dieux;
Spectacle coupé (clôture de la saison théâtrale).
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
5, 7, 10 et 12 mai. — Au Nouveau-Théâtre, Festival
Beethoven sous la direction de M. Félix Weingartner.
Au programme, les neuf symphonies, le concerto pour
violon et orchestre, le concerto en sol majeur pour
piano et orchestre et Ah! Perfido (air).
Mardi 9 mai. — A 9 heures, salle Erard, Concert par
Mme Clotilde Kleeberg-Samuel. Au programme, Bee-
thoven : Sonate (op. 10, n° 3) en ré majeur, sonate
(op. 14, n° 2) en sol majeur, sonate (op. 27, n° 1) en mi
bémol majeur, Thème et Variations (op. 34) en fa majeur,
sonate (op. 53) en ut majeur.
Lundi 15 mai. — A 9 heures, salle Erard, Concert par
Mme Clotilde Kleeberg-Samuel. Programme: Cinquième
suite française en sol majeur, J.-S. Bach; Impromptu et
Variations en si bémol majeur, Schubert; Presto (op. 7,
n° 7) Mendelssohn; Deuxième grande sonate (op. 39)
en la bémol majeur, Weber; Arabesque (op. iS) et Nove-
velette en fa dièse mineur (op. 21, n° 8), Schumann;
Nocturne en sol majeur (op. 37. n» 2), Mazurka en ut
dièse mineur (op. 41, n° 1) et Valse en la bémol majetftr
(op. 34, n° 1), Chopin,
BRUXELLES
Dimanche 7 mai. — A 2 h., au théâtre de l'Alhambra,
sixième Concert Ysaye, sous la direction de M. Karl
Muck, chef d'orchestre de l'Opéra de Berlin et du Théâ-
tre de Bayreuth, avec le concours de M. L. Frôlich,
388
LE GUIDE MUSICAL
baryton. — Programme : i. Symphonie en ré mineur,
C. Sinding (première audition); 2. Air de la Fête
d'Alexandre, Hsendel (M. L. Frôlich); 3. Siegfried-Idyll,
R. Wagner; 4. Introduction du troisième acte et mono-
logue de Hans Sachs, des Maîtres Chanteurs de Nurem-
berg, R. Wagner (M. L. Frôlich); 5. Mazeppa, poème
symphonique, F. Liszt.
— A 2 Yz h., au théâtre royal de la Monnaie : Grand
concert avec orchestre donné par la Société royale
l'Orphéon de Bruxelles, sous la direction de M. Joseph
Duysburgh, avec le concours de Mme Eva Simony et
de M. Maurice Decléry, du théâtre royal de la Mon-
naie, de MM. Mora, violoniste et Marix Loevensohn,
violoncelliste, de Mlles E. Desmaisons et E. Bitter, de
MM. Latour, ténor, Surlemont, baryton, Vanden Eyden
et Borkmanns, basses, et du Chœur des dames du
Cercle Cœcilia de Bruxelles. Au piano, M. Maurice
Geeraert.
Mardi 9 mai. — AS heures, à la Grande Harmonie :
Concert de charité et tableaux vivants, organisés au
bénéfice de l'Œuvre du Calvaire, avec le concours de
l'Ecole de musique et de déclamation d'Ixelles. Audi-
tion d'oeuvres d'Henri Thiébaut.
Mercredi 10 mai. — A8^ heures, à la Grande Har-
monie, récital de M. Jan van Oordt, violoniste, avec le
concours de M. L. Delune. Au programme, des œuvres
de Paganini, Bach, Corelli, Vivaldi, Nardini, Valentini
et les airs hongrois d'Ernst.
Samedi 13 mai. — A 2 J^ h., à Y Exposition des Peintres
et Sculpteurs de l'Enfant, Musée moderne, Conférence de
M. L.-A. du Chastain, Poètes et Musiciens de l'Enfant,
avec le concours de Mme Eva Simony, du théâtre royal
de la Monnaie.
DUSSELDORF
Festival rhénan
11, 12 et 13 juin. — Première journée : 1. Suite pour
deux orchestres, Gabrielli; 2. Israël en Egypte, Hsendel.
— Deuxième journée : 1. Pièce pour orchestre, Fried-
man Bach; 2. Solo de violon par M. Kreisler; 3. Can-
tate de la Pentecôte : Also liât Gott die Welt, J.-S. Bach;
4. Concerto de piano n° 2, Brahms, par M. Dohnaty;
5. Symphonie n° 2 avec soli et chœur, Mahler.
Troisième journée : 1. Appalachia , poème symphonique,
orchestre et chœur, Delius; 2. Canzone di Ricordi, pour
alto, Martucci; 3. Concerto de violon, Mozart; 4. Eu-
lenspiegel, R. Strauss; 5. Morceaux de chant; 6. Fan-
taisie pour piano et chœur, Beethoven.
LOUVAIN
Mardi 16 mai. — A 8 h., Concert jubilaire de l'Ecole
de musique (vingt-cinquième anniversaire de la fonda-
tion des concerts), sous la direction de M. L. Du Bois.
Audition d' œuvres d'Emile Mathieu, avec le concours
de M. Arthur De Greef, de Mlles Wybauw et Latinis,
de MM. Vanderheyden et Bicquet. Au programme :
Freyhir, Concertstiich pour piano et orchestre (première
exécution), Sous bois pour orchestre, Noces féodales pour
orchestre, mélodies.
&. DURAND et fils, éditeurs, 4, place de la Madeleine, Paris
Vient de Paraître :
ionato
POUR PIA
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ou avec accompag;
PAR
C. SAINT-SAËNS (op. 70)
Edition A. Piano seul (sans orchestre) ....
— B. Piano seul pour l'exécution avec orchestre
— C. Deux pianos . . .
Partition d'orchestre . . . . . . ...
Parties d'orchestre .
Chaque partie supplémentaire ......
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»
4 00
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8 00
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8 co
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10 00
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0 75
LE GUIDE MUSICAL
389
1 POUR LES FÊTES JUBILAIRES
DU
75me anniversaire de l'Indépendance nationale
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de Piano, de Symphonie ou d'Harmonie
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Trois Chorals :
4 —
N° 2 . . . .
4 -
N° 3 ..........
4 —
Prélude, Fugue et Variation . . . . . . »
3 —
Pastorale .......... »
3.5»
Final .......... *
4 —
Pièce Héroïque ..........
3.5o>
Grande pièce Symphonique ...... »
5 —
Prière. ......... •»
M«lMI»L«nimaM II iim linmgE^^mrarnMmiiiuiiii i»«i injimiuiiii. ■i^l«»»i —h m iu.M^»»ii«in»«ei i i mi i.u.Lii-jLiiLjm euiraio
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14 Mai igo5.
L'ANCIEN THEATRE ITALIEN A PARIS
1789-1905
III. — Les interprètes de l'ancien Théâtre italien
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
italienne
voudrait
enons maintenant aux artistes
illustres et aimés qui, si long-
temps, firent le succès et furent
l'honneur de la scène lyrique
à Paris. C'est ici surtout qu'on
pouvoir s'étendre : que d'anec-
dotes amusantes, que de traits caractéris-
tiques il y aurait à citer, et quelle impres-
sion d'art on évoquerait souvent ! Mais il
faut se contenter encore d'énumérer les
noms les plus connus, ceux qui ne périront
pas dans la mémoire des dilettantes, parce
qu'ils furent ceux d'artistes vraiment origi-
naux et créateurs.
Les premiers que nous rencontrions au
début du véritable Opéra italien sont ceux
de Braham, Raffanelli et Mlle Colbran, pour
la période de 1789-92. Mais l'artiste le plus
célèbre, car il est resté le type du chanteur
accompli, et celui dont l'influence a été le
plus décisive pour l'établissement définitif
des Italiens à Paris, c'est Garât. L'aube
du nouveau siècle, qui joint au répertoire
de Paisiello ceux de Cimarosa et de
Mozart, nous apporte alors les noms de
Tacchinardi, le créateur de Don Juan, fort
laid pourtant, mais dont la puissance
d'expression couvrait tout; de la Catalani,
la première des virtuoses de la vocalise,
d'une étendue de voix prodigieuse, qui
« jouait de la voix comme Paganini de son
violon » ; de Garcia, le père de cette famille
admirable dont il fut le maître et l'émule,
Garcia le Don Juan idéal, le créateur du
Barbier de Séville, YOtello farouche et
sublime... Puis c'est Mme Mainvielle-
Fodor, tour à tour Zerline, Donna Anna ou
Rosine, créatrice de la Gazza ladra,
d'Agnese, d'Elisabetta; Mme Ronzi de
Begnis, créatrice de la Rosine du Barbier
et aussi applaudie dans Donna Anna; les
barytons Bassi et Pellegrini, celui-ci créa-
teur du Figaro du Barbier et plus tard de la
Cenerentola, de la Gazza ladra, d'Agnese...;
la basse Barilli, créateur du Leporello de
Don Juan et du Figaro des Noces de
Figaro, puis d'Agnese, de la Gazza ladra...
Déjà s'est ouverte l'ère de Rossini, mais
une nouvelle génération d'artistes s'épa-
nouit autour de lui et vient rivaliser avec
les précédents. Du côté féminin, voici la
Pasta, un des plus grands noms du siècle,
artiste complète, belle et sublime; la Pasta,
« cette grande passion, cette âme toujours
débordée, ce lyrisme inépuisable » (comme
dit Théophile Gautier), apparue surtout
en 1821, dans Otello, et qui créa encore la
Sonnanbula dix ans plus tard, après Tan-
crède, Moïse, Le Croisé, Méde'e... Voici
Mmes Cinti, Mombelli, exquises dans la
392
LEGUIDE MUSICAL
Cenerentola ; Pisaroni, voix formidable,
créatrice de la Donna del Lago... Voici
surtout les deux rivales illustres, la Mali-
bran et la Sontag, l'une fauchée si vite,
l'autre triomphant encore après vingt- cinq
ans de carrière : la Malibran, à la fois Zer-
line et Desdémone, Rosine et Suzanne,
Arsace et Tancrède, tragédienne vibrante
et comédienne étourdissante (il faut s'ha-
bituer à ces contrastes avec les artistes de
cette école), la Malibran, « la grâce, l'au-
dace, l'originalité, la poésie, le génie,
fondus ensemble dans une organisation
passionnée »; la Sontag, charmante et
exquise d'autre façon, voix d'une idéale
flexibilité, créatrice de Matilde di Sabran,
ajoutant aux mêmes rôles que sa rivale,
encore en i85o, La Fille du Régiment et La
Somnambule, ces antipodes !
Du côté des hommes, notons d'abord
l'admirable ténor Rubini, qui tint la scène
entre i825 et i83g et créa tant de rôles où
personne ne put l'égaler : Anna Bolena, la
Sonnanbula, Norma, Lucia di Lammermoor,
I Puritani (où son contre-/a aigu resta
célèbre), YElisire d'amure, Il Pirata..., sans
compter, bien entendu, le répertoire des
Barbier ou des Don Juan. Acteur immo-
bile, il mettait toute son expression dans
son jeu, et Mme Viardot se souvient encore
d'avoir si bien pleuré, souvent, à l'entendre
chanter avec elle, qu'elle craignait pour sa
réplique et avait peur de ne plus retrouver
son sang-froid quand son tour viendrait.
Puis la basse Levasseur, plus connu encore
à l'Opéra, créateur ici de Moïse, Le Croisé,
Tancrède, la Donna del Lago...; le ténor
Bordogni, créateur d'Agnese, Tancrède,
Cenerentola, Elisabetta...; Zucchelli, Davide,
Galli, Donzelli, Santini, Graziani, celui-ci
créateur de Bartolo du Barbier de S éville...
Poussons plus loin : d'autres noms se
pressent sous la plume, contemporains,
puis successeurs des précédents. Voici les
sœurs Grisi.mais surtout Giulia, qui chanta
et enchanta plus de vingt ans de suite,
créatrice des Puritains et de Norma, de
Lucrèce Borgia, et de Don Pasquale, des
Capuletti et de Maria di Rohan, Giulia
Grisi « sublime marbre grec (disait Théo-
phile Gautier), qui réunit sur son front le
triple diadème de la beauté, du chant et
de la tragédie ». Voici Mmes Ungher,
Schrœder-Devrient,Tadolini, Schiassetti...
Voici la Persiani (fille de Tacchinardi), la
créatrice de Lucie de Lammermoor, de
YElisire, de Linda di Chamouni..., et Pau-
line Garcia, bientôt Mme Viardot, triom-
phant écho de sa sœur, qui fut, elle aussi,
Desdémone et Rosine, Tancrède et Arsace,
le rire et la terreur, la grâce et la passion.
Mais ici, je ne puis m'empêcher de m'ar-
rêter un instant et d'évoquer un souvenir
bien topique, découvert dans un feuilleton
de Fiorentino (A. de Rovray). C'est à pro-
pos d'une rentrée que fit en i855 Mine Viar-
dot pour donner à une reprise du Barbier de
Séville, ses traditions et son vrai caractère.
« ... Ce qui nous prouve que Mme Viardot
a beaucoup de sens et d'esprit, ce dont
nous n'avons jamais douté d'ailleurs, c'est
qu'elle a choisi pour ses débuts, ou, si vous
l'aimez mieux, pour sa rentrée, un rôle de
chant plutôt qu'un rôle de déclamation.
Elle a interprété avec une supériorité incon-
testable et un art consommé la musique du
maître des maîtres ; elle a dit cette cavatine
éblouissante, illustrée par tant de grandes
cantatrices, comme la Malibran, sa sœur,
aurait pu la dire... Mais elle s'est surpas-
sée, à notre avis, dans le duo de la Lettre.
Il est impossible de mettre plus d'intentions
fines et délicates, plus de gaîté et plus de
grâce dans ce charmant morceau, où Ros-
sini a eu toute sa verve italienne et tout
l'esprit de Beaumarchais. Mme Viardot ne
s'est pas montrée seulement, dans ce duo,
dans le finale et dans le rôle de Rosine,
cantatrice hors ligne et musicienne excel-
lente, mais elle a brûlé les planches, comme
on dit, elle a constamment animé la scène,
égayé la pièce et mis en train et en bonne
humeur ses camarades, par son jeu, par ses
répliques, par ses saillies. Elle n'a pas laissé
tomber une seule fois ce volant d'ironie, de
pétulance et d'esprit qu'il faut se jeter et se
renvoyer sans cesse dans cette étincelante
et pétillante comédie. »
LE GUID.! MUSICAL
393
Pour la même période, les ténors, les
basses, n'ont pas laissé un souvenir moins
brillant. C'est Tamburini, une des voix les
plus souples de baryton qu'on ait jamais
entendues, une carrière de vingt ans de
tragédie et de comédie, créateur de la
Straniera, de YElisire, de Lucie (rôle
d'Ahston), des Puritains, de Lucrèce Borgia,
de Don Pasquale... C'est Lablache, le
colossal, le splendide Lablache, voix
souple et tonnante, bouffe et majestueuse
tout ensemble, qui fut tantôt Figaro et
tantôt Bartolo, Leporello et Don Juan, qui
triompha dans Cenerentola et Semiramide,
créa Don Pasquale et Norma, les Puritains
et YElisire... C'est Ivanoff encore, dans le
Pirate...
Puis, avec le règne de Verdi, voici Ron-
coni, baryton merveilleux, vibrant de pas-
sion, créateur de Nabucco et de Maria di
Rohan; voici Mario, le ténor grand sei-
gneur, qui eut le tort de se survivre trop
longtemps, mais fut exquis de 1840 à i858,
de Lucrèce Borgia à Marta, en passant par
Linda di Chamouni, Don Pasquale, la Tra-
viata, Rigoletlo, pour ne nommer que ses
créations et oublier Don Juan, le Barbier,
bien d'autres... De nouveaux ténors encore :
Salvi, Moriani, Gardoni surtout, plus ré-
cent, qu'on entendit avec plaisir vingt ans
après son début (de la Cenerentola à Cris-
pino); Bettini aussi, et Baucardé, le créateur
du Trouvère... Des barytons ou des basses :
Belletti, Morelli, Tagliafico, Rossi..., et,
plus pi es de nous, Corsi, créateur de Rigo-
letlo, Everardi, Graziani, créateur de la
Traviata, Marta, Il Ghtramento, et du Bal
masqué encore, en 1861...; puis Dell'Aste,
Gassier, ainsi que les ténors Lucchesi et
Carrion.
Mais quelles cantatrices admirables ne
trouverons-nous pas en même temps?
Mme Alboni, d'abord, qui avait tous les
registres, mais surtout un contralto d'une
puissance et d'une rondeur sans égales,
une voix de deux octaves et demie,
égale, pleine, perlée... Elle aussi fut Zer-
line et Rosine, Arsace et Cendrillon;
depuis son début, en 1847, elle avait tenu
tout le répertoire des Gazza ladra ou
des Trovatore, des Lucrezia et des Matri-
monio segreto jusqu'en 1862, créé le Serment
et le Bal masqué, repris Cosi fan tutte.
Mais on la réentendit plus d'une fois
depuis. Près d'elle, voici la Brambilla,
créatrice de Linda, de Maria di Rohan, de
Nabucco; voici Sophie Cruvelli, créatrice
de Fidelio et de Luisa Miller et qui triom-
pha avec tant d'éclat un moment dans
Norma, Semiramide, Don Juan...; la Frez-
zolini, très brillante créatrice du Trouvère
et de Rigoletlo, si applaudie dans Lucia,
Ern an /, YElisire...; Mme Borghi-Mamo, qui
fut Azucena à côté d'elle dans Le Trouvère,
contralto superbe et soprano vibrant,
Arsace et Zerline, Rosine, Desdémone et
idéale Cenerentola... ; Anna de Lagrange,
Parodi, Ernesta Grisi, Maria Piccolomini
(créatrice de La Traviata), Cattinari, Fio-
rentini, Bosio, Saint-Urbain (créatrice de
Marta), Steffenone, Salvini, Donatelli,
Nantier-Didiée... Enfin, un grand nom que
je réservais et qu'on n'a pas oublié,
Mme Penco, encore une tragédienne de
race, doublée de la plus fine comédienne,
qui chanta aussi bien Sémiramis et Donna
Anna que la Servante maîtresse (i863), et
Desdémone ou La Traviata que Le Mariage
secret, créatrice de Poliuto et du Bal
masqué...
A ce moment, le groupe des ténors avait
fait une acquisition hors ligne, étourdis-
sante, Tamberlick, dont l'ut dièse, juste-
ment fameux (car il avait une ampleur et
une pureté naturelles, faciles, qui tenaient du
phénomène), n'était qu'un détail dans un
talent très noble de chanteur tragédien, au
geste large, au grand style. Il fut Otello,
Poliuto, Le Trouvère... Il faut lire dans les
journaux du temps l'effet prodigieux de
son apparition sous le ciel parisien. Je
recommande surtout l'article de Fioren-
tino dans le Moniteur (4 avril 58) : le spec-
tacle amusant de la salle haletante à la
pensée de la fameuse note, et cependant le
talent hors pair de l'artiste, plus préoccupé
de jouer son personnage que de l'effet
attendu. Il s'agit du grand duo avec Iago :
394
LE GUIDE MUSICAL
« Tamberlick a dit en grand tragédien
non moins qu'en chanteur accompli le
magnifique andante, et il était curieux de
suivre sur la figure des auditeurs les
impressions successives produites par la
voix de l'artiste. L'admiration presque
involontaire inspirée par l'accent passionné
du chanteur, par sa sombre expression de
colère et de jalousie, par sa voix brisée de
sanglots, a fait place à un mouvement
imperceptible de regret, de dépit, de désap-
pointement. C'est bien, paraissait dire le
public, mais sa note, où est sa note? Il n'a
point donné sa note !
» Attendez, disaient les plus savants,
attendez donc la strette! On respirait à
peine, de peur que le bruit de la respira-
tion n'ait couvert cette note miraculeuse.
Silence! nous y voilà... Tamberlick dit
pour la première fois, avec une douleur
navrante et une volupté de vengeance où
perce la férocité du sang africain :
Morrô, ma vendicato,
Si dopo lei morro!
)) Le public est ému malgré lui jusqu'aux
larmes, mais on se regarde avec une indi-
cible stupéfaction. Point de do! pas de
note! J'ai vu le moment où on allait faire
une émeute. La moitié de la salle se croyait
volée. Mais l'artiste, absorbé dans son rôle,
sûr de lui-même, et n'obéissant qu'aux
impulsions de son âme, reprenant sa phrase
avec un redoublement d'énergie et de
fureur, lance un ut dièse incomparable, tel
qu'il n'en est jamais sorti d'une poitrine
humaine. Ce n'est pas un cri, ce n'est pas
un son douteux, strident, forcé, comme on
nous en a parfois déchiré les oreilles, ce
n'est point la vibration momentanée d'une
corde ébranlée à peine et aussitôt couverte
par le bruit des claqueurs ; c'est une note
pleine, égale, ronde, d'un timbre argentin,
d'une justesse irréprochable et d'une puis-
sance inouïe... »
A côté de Tamberlick, mais dans un
répertoire bien autrement vaste, c'est la
savoureuse basse bouffe Zucchini, Lepo-
rello et Bartolo parfaits, qui triompha dans
Cenereniola et VElisirè, créa Stradella et
recréa La Serva padronc ainsi que Crispino
e la Comara. C'est encore : Badiali et
Merly, deux basses aussi; Bélart et Nau-
din, celui-ci créateur des Lombardi et de
Stradella; Roger, un instant, et surtout
Délie Sedie, dont la carrière fut si heureu-
sement longue et la méthode parfaite, si
justement applaudi dans Don Juan, le
Barbier, Marta, le Bal masqué..., de 1861
à 1870 et même plus tard. Voici Fraschini,
dans Lucie, Ernani, le Trouvère; Nicolini,
dont la brillante carrière débute en i863,
par la Traviata, et qui, près de vingt ans
après, chantait tout le répertoire de la
Patti, avec Aida en plus. A ces divers
ténors, il faut joindre les noms de Scalese,
Selva, Verger, Mongini, Ciampi, Agnesi,
Steller, Palermi, Bonnehée, transfuge de
l'Opéra, où il avait eu tant de succès...
Nous sommes ici parmi les derniers
défenseurs de l'Opéra italien expirant, qui
dut au reste surtout à sa troupe féminine
ses derniers triomphes. Les dix années
avant la guerre de. 1870 nous apportent en
effet les noms de : Marie Battu, créatrice
du Bal masqué et de Siradella, Lucie et
Zerline, Marta et la Somnambule, à vo-
lonté... ; Mme Charton-Demeur {Otello,
Ernani, Maria di Rohau...); les sœurs
Marchisio, Vitali, Grossi, Lagrua, Minnie
Hauck, de Murska, Sessi, Harris... Mais
ce sont, avant toutes, deux artistes toujours
applaudies, toujours fêtées, aussi diffé-
rentes que possible, dernières étoiles de
l'ancienne scène italienne traditionnelle :
Adelina Patti et Gabrielle Krauss.
C'est en 1862 que débuta la Patti, dans
la Sonnanbula, au milieu d'un éblouisse-
ment général dont témoignent encore les
feuilletons de l'époque; et Don- Pasquale,
Don Juan, YElisire, Linda, le Barbier,
la Traviata, Lucie... s'égrènent ensuite
comme un collier de perles, développant
la maturité et la sincérité d'un talent et de
dons étourdissants. Ici, je cite un passage
peu connu et très intéressant de Théophile
Gautier (dans le Moniteur du 27 décembre
1864, à propos de Linda di Chamouni), qui
LE GUIDE MUSICAL
3g5
prouve bien le travail de la toute jeune
artiste :
« On sait jusqu'à présent quelle enfant
espiègle et mutine, quelle mignonne, rieuse
et insouciante diva c'était qu'Adeline, et
comme en se jouant elle faisait vibrer ses
; timbres de cristal, d'argent et d'or! Avec
une gaîté d'oiseau, elle sautillait, gazouil-
lait, pépiait, battait ses trilles, filait ses
roulades et ses points d'orgue, à travers la
musique bouffe, d'une façon si gentille, si
innocente, si détachée, qu'il était bien diffi-
cile de ne pas en être charmé et de ne pas
l'applaudir à tout rompre.
» Mais l'autre soir, nous avons assisté
au plus charmant spectacle qu'il soit donné
de voir : l'éclosion d'une âme ! Le papillon
de lumière s'est posé sur le front de
Psyché. Le bouton s'est épanoui en fleur;
l'enfant prodige est devenue sous les yeux,
délicieuse métamorphose, une jeune fille,
rêveuse, émue, passionnée, dramatique,
grande actrice en un mot. A sa voix si
jeune, si fraîche, si pure, si argentine, se
mêlaient, sans l'altérer, une vibration
humaine, une note du cœur, un accent de
l'âme ; il y avait dans ce chant, d'une
pureté si exquise, le tremblement sympa-
thique d'un soupir. Le public a senti que
c'était là une soirée décisive... »
C'est en 1867 que parut à son tour
Mme Krauss, discutée d'abord, mais puis-
sante et bientôt dominatrice par la grâce
de son style magnifique, dans le Trouvère,
Donna Anna de Don Juan, Otello,Rigoletto,
la Servante maîtresse même (!), Lucrezia,
Semiramide..., plus tard Fidelio, sans
compter ses créations du Templario, de
Piccolino et de Guido. Quels souvenirs
l'admirable tragédienne a laissés là, qu'heu-
reusement la scène française nous a rendus
en partie !
L'épilogue de cette chronique trop
rapide, on le connaît (1) : il est encore dans
(1) On le suivra surtout avec intérêt, dans ses détails
et ses péripéties variées, en consultant, pour les années
1874 et suivantes, les Annales du théâtre et de la musique
et .les copieux articles de M. Edmond Stoullig.
toutes les mémoires. Chaque tentative de
renouveau amena quelques artistes de
grand talent, mais trop isolés, dont la pré-
sence n'attirait qu'à certains jours le public
sceptique (si elle ne le décevait). La force
de l'ancienne scène italienne n'était pas
seulement dans son répertoire, mais dans la
perfection d'ensemble de sa troupe. Le
régime des étoiles est insuffisant, quand il
n'est pas funeste. Et je ne parle pas des
deux saisons que la Patti donna en 1880
et 1881, entreprises particulières qui ne
montrèrent qu'elle-même et Nicolini. Mais,
après la réouverture trop éphémère de 1872
(où le ténor Verger avait pu réunir encore
autour de lui Mmes Alboni et Penco, avec
Mongini, et révéler l'Albani et Capoul), la
curiosité va à de grands noms qu'on eût
pu croire disparus (Délie Sedie et Zucchini
en 1874, Tamberlick en 1877...) et s'attache
moins à des artistes de passage qui n'ont
même plus les traditions de leur vieux
répertoire.
Voici cependant les noms qui surtout
frappèrent au cours de ces diverses saisons,
dont plusieurs, après tout, furent vraiment
fécondes. En 1874 : Mmes Brambilla,de Be-
locca et Pozzoni... En 1876-78 : Mmes Stolz
(créatrice d'Aïda), Borghi-Mamo (fille),
Sanz, Albani (dans tout le répertoire de la
Patti)..., avec Capoul (dans la Sonnanbula,
Lucia, le Barbier, la Traviata...), Masini
(créateur d'Aïda), Pandolfini, Verger, Nou-
velli, Edouard et Jean de Reszké (celui-ci
baryton encore, dans Figaro du Barbier ou
Germont de la Traviata //)... En 1883-84,
autour de Victor Maurel, qui se prodigua:
jyjmes Fidès-Devries, Emma Calvé (créa-
trice d'Aben-Hamet, avec Maurel), José-
phine de Reszké, Nevada, Sembrich...,
avec Jean de Reszké (dans Hérodiade),
Gayarre, Nouvelli, Ed. de Reszké... En
1889 enfin, première entreprise de M. Son-
zogno : Mmes Hastreiter (Orfeo), Calvé (Les
Pêcheurs de perles, avec Talazac) et Sem-
brich... Henri de Curzon.
396
LE GUIDE MUSICAL
LA CABRERA
Drame lyrique en deux parties de M. Henri Cain,
musique de M. Gabriel Dupont
L'œuvre que l'Opéra-Comique vient de
représenter nous arrive en droite ligne
d'Italie, où elle a remporté le prix au
concours international organisé par
l'éditeur Sonzogno. Sans m'attarder à raconter de
nouveau quelles étaient les conditions et quelles
furent les péripéties de cette joute musicale, dont
l'enjeu atteignait la jolie somme de 5o,ooo fr. (i),
je rappellerai combien fut unanime, auprès du
jury, de la critique italienne et du grand public,
le succès du jeune compositeur français et de son
librettiste.
C'était la première fois que notre école triom-
phait ainsi à l'un de ces concours imaginés par le
grand éditeur milanais, et, chose à remarquer, le
jury (M. Massenet ayant été empêché au dernier
moment) ne comprenait aucun membre français.
À la suite des décisions de ce jury, les trois œuvres
réservées devaient être offertes aux impressions
spontanées du public. Le sort voulut que La
Cabrera passât la dernière, et elle s'en trouva
d'autant mieux que la faiblesse des livrets des
deux premières œuvres, II Domino azurro de
M. Franco da Venezia et Manuel Menendez de
M. Lorenzo Filiasi, avait, malgré les mérites des
partitions, laissé les auditeurs sous une très médio-
cre impression. Devant l'action sommaire mais
vivante de La Cabrera, une détente surprise et
charmée fut tout de suite visible, et le succès
s'affirma de scène en scène.
Moins pittoresque que Cavalleria rusticana (encore
une lauréate des concours Sonzogno), moins
vigoureux que la Navarraise (cet essai de concur-
rence aussitôt lancé par M. Massenet), le sujet de
La Cabrera n'est cependant qu'une assez banale
histoire, celle d'une pauvre chevrière espagnole
(chaque village a sa cabrera qui mène paître toutes
les chèvres), aimée d'enfance par le pêcheur
Pedrito, puis, en son absence, séduite et aban-
donnée par le bellâtre Juan Cheppa. Repoussée
brutalement par Pedrito quand celui-ci revient de
la guerre de Cuba, où il a servi comme matelot, la
malheureuse quilte le village pour la montagne,
son petit enfant dans ses bras ; et quand — celui-
ci mort de misère et de froid — elle reviendra
pâle, glacée, ce sera pour mourir pardonnée,
(i) Voir notre correspondance de Milan dans le Guide
de l'année 1904, p. 489 (5-12 juin),
aimée, dans les bras du pauvre Pedrito, navré de
sa dureté et éperdu de douleur.
M. Gabriel Dupont, second prix de Rome
de 1901, élève de M. Widor, en est à son coup
d'essai. Si ce n'est pas un coup de maître, s'il est
douteux même qu'il retrouve à l'Opéra-Comique
le succès éclatant du Théâtre-Lyrique de Milan —
question de milieu, — il n'en reste pas moins que
son œuvre est de vraie valeur, réellement atta-
chante. Si nous en dégageons la part d'irrespon-
sabilité, si nous faisons abstraction du fatras
obligatoire à une pièce de ce genre, présentée à un
jury spécial, nous ne pouvons que constater une
rare habileté dans les concessions faites aux deux
arts qui fleurissent de chaque côté des Alpes, dans
une œuvre qui révèle un musicien de généreux
tempérament, dont la symphonie souligne toujours
heureusement les intentions du texte et qui vibre
passionnément aux situations pathétiques.
C'est d'abord l'arrivée de Pedrito et la scène
avec sa mère, où celle-ci dit ses longues angoisses
pour le fils bien-aimé ; puis le monologue de la
Cabrera, bafouée par les filles : « Que le monde
est méchant ! », d'une tenue sombre et discrète,
plein de regrets et de larmes contenues. La ren-
contre des deux amants débute avec un enthou-
siasme auquel succèdent bientôt les deux épanche-
ments de deux cœurs heureux de se revoir, et le
beau récit de Pedrito : « Quand le soir, pour
songer aux absents, » est déclamé sur une noble et
large symphonie toute d'expressive mélodie.
Bientôt la scène tourne au tragique, quand la
Cabrera avoue sa faute, et devant tous ces éclats,
toutes ces violences, je me sépare absolument du
compositeur. Combien je leur préfère ces quelques
paroles où la chevrière, brisée, anéantie, considère
l'abîme ouvert devant elle et essaie en vain de
rappeler Pedrito ! C'en est fait, elle quittera le pays ;
et dans une scène muette, nous la voyons rentrer
chez elle, puis en sortir, emportant ses hardes
d'un bras, son enfant de l'autre, pendant qu'une
symphonie abondante, généreuse appuie cette
résolution et commente ce départ. Il y a là une
attaque subite de trombones qui est un vrai trait
de génie.
Le second acte est moins personnel, et les chants
et les danses, renouvelées de Carmen, sont quel-
conques. De même, le compositeur n'a rien trouvé
de poignant dans la scène finale où meurt la
Cabrera, et le chant et l'orchestre y marchent côte
à côte sans jamais se rencontrer en un élan géné-
reux, en une expression forte. C'est de la jolie
facture, élégante, distinguée, mais d'où rien n'é-
merge qui relève l'intérêt. Et c'est dommage.
LE GUIDE MUSICAL
397
. , Il faut tirer hors de pair M,le Gemma Bellincioni,
qui joue la Cabrera en artiste supérieure. Elle fut
toute la pièce à elle seule là-bas, en Italie ; elle sera
toute la pièce ici, en dépit des efforts de- M. .Clé-
ment pour s'élever à cette hauteur d'expression,
à ce choix d'attitudes. Sans être jolie, Mlle Bellin-
cioni a des yeux superbes, qui prêtent à sa mi-
mique la plus grande variété, naturellement, sans
recherche, sans effort. C'est du grand art. L'arti-
culation est nette, sans trop d'accent, et la canta-
trice a retrouvé auprès des Parisiens un succès
auquel' elle fut de tout temps habituée.
De petits rôles sont convenablement tenus par
Mmes Cocyte, Vautrin et MM. Simard et Hfiber-
deau, celui-ci criant de vérité sobre en vieux
pêcheur que le vin rend tendre. A. Goullet.
%
LE
FESTIVAL BEETHOVEN
A PARIS
La semaine qui vient de finir a vu
s'achever, d'ovations en ovations, le
Festival Beethoven et ces quatre
séances que M. Weingartner est venu
si magistralement diriger. Il n'est guère besoin d'y
revenir longuement. On sait assez quel était le pro-
gramme, et l'on se doute bien de la façon dont il a
été exécuté. Je me rappelle cependant les dates des
œuvres, qui donnaient une idée assez complète de
la musique d'orchestre de Beethoven, et, sauf le
grand air de concert : « Ah! perfido ! » (op. 65,
1796), par lequel on ne pouvait vraiment com-
mencer, étaient disposées dans l'ordre le plus
strictement chronologique.
On a ainsi exécuté : la première symphonie, en
ut majeur (op. 21, 1800); la seconde symphonie,
en ré (op. 36, i8o3); la troisième symphonie, en
mi bémol majeur (Héroïque, op. 55, i8o5); la qua-
trième symphonie, en si bémol (op. 60, 1806) ; le
concerto de violon, en ré (op. 61, 1806); la cin-
quième symphonie, en ut mineur (op. 67, 1808); la
sixième symphonie, en fa (Pastorale, op. 68, 1808);
le concerto de piano, en sol majeur (op. 58, 1807-
1808) ; la septième symphonie, en la (op. 92, i8i3) ;
la huitième symphonie, en fa (op. g3, 1814); l'air
de Florestan, dans Fidelio (op. 72, 1805-1814); la
neuvième symphonie, en ré mineur (avec chœurs,
op. 125, 1824).
Si ce fut une belle manifestation d'art en l'hon-
neur de Beethoven, ce fut peut-être surtout, aussi,
un grand . triomphe pour le virtuose de la direc-
tion orchestrale qui l'avait prise en main. Pensez
que M. Weingartner se trouvait à la tête de
l'orchestre de M. Colonne, en partie démantelé
de ses chefs de pupitre, et jouant dans la
salle de M. Chevillard, au Nouveau-Théâtre...
Evidemment, obtenir la perfection absolue,
dans ces conditions, pour des œuvres où tant
d'instruments isolés ont à mettre en valeur
à découvert, le talent le plus consommé dans la
sonorité la plus exquise, c'eût été vraiment un
miracle. Sur ce chapitre-là, on ne dépassera
jamais, on n'atteindra que difficilement l'orchestre
de notre Conservatoire, dont les mouvements
traditionnels sont d'ailleurs confirmés par des
exécutions réfléchies et étudiées comme celles de
M. Weingartner. Mais l'action extraordinaire de
ce dernier, sa puissance compréhensive et évoca-
trice, n'en sont mises que plus en relief lorsqu'il
obtient, par sa seule présence, par son geste précis
et éloquent, par son regard seul, de ces effets qui
illuminent toute une œuvre en transportant à la-
fois l'auditeur et l'exécutant. Quand il ne peut
pas faire rendre à son orchestre toute la beauté
pure de l'œuvre, comme il lui en fait du moins
souligner l'esprit, la pensée maîtresse, l'évolution!
C'est en ceci que sa présence est si précieuse et
intéresse aux œuvres les plus connues d'ailleurs.
On sait d'ailleurs que plusieurs artistes émérites
le secondèrent pour les concertos et les airs.
M. Lucien Capet exécuta le concerto de violon,
M. Edouard Risler celui de piano; et ce furent
des moments de vraie perfection. M. Arens chanta
l'air de Fidelio, et Mlle Tilly Koenen cette page
si dramatique que Beethoven semble avoir destinée
à quelque grand-opéra italien, jamais réalisé, et
dont Léonore, plus tard, ne dépassera guère la
puissance d'accent : «Ah! perfido, spërgiurô \.'.. »
H. deC.
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA ITALIEN. — Aux deux œuvres dé
la semaine dernière, une troisième est venue se
joindre, au début de celle-ci, et même une qua-
trième, à la fin. C'est Amico Fritz et Fedora.
Laissons celle-ci pour la prochaine fois, et
bornons-nous à un mot assez bref sur cet Ami Fritz,
3g8
LE GUIDE MUSICAL
que M. Mascagni emprunta jadis (Dieu sait
pourquoi!) au répertoire delà Comédie-Française,
où il n'a vécu si longtemps que par la perfection
du détail et du jeu d'artistes exquis, et à l'œuvre
d'Erckmann-Chatrian, et qu'il fit représenter à
Rome, sur le théâtre Costanzi, le 3i octobre 1891.
Il parait que cette comédie lyrique remporta le
plus éclatant succès d'origine; je ne crois pourtant
pas qu'il se soit maintenu partout à la même
hauteur; ici, en tous cas, sauf, bien entendu,
l'attrait de l'interprétation, qui est toujours des
plus appréciable avec ces artistes italiens, je
doute fort qu'elle exerce une séduction quelconque.
Nous n'aimons pas beaucoup que le musicien ait
l'air d'avoir bâclé son œuvre, de s'être contenté
de transcrire, sans autre examen, les improvisa-
tions que ses doigts égrenaient sur le piano, que sa
bouche chantonnait, la cigarette aux lèvres. Et il
est impossible de n'avoir pas cette impression-là
avec M. Mascagni et son Amico Frits. La partition
n'a même pas cette suite des idées, cette tenue qui
relève Cavallevia rusticana, et elle ne se garde pas
davantage de la vulgarité de certaines inspirations
et de certaines sonorités. Elle est surtout vide et
quelconque, sauf la grâce de divers passages pure-
ment lyriques et indépendants de l'action, sauf le
pittoresque de divers effets de chœurs lointains ou
d'épanouissement de la nature. C'est surtout le
premier acte qui impose cette impression de vide ;
le second se relève, pas bien haut d'ailleurs, avec
le duo des cerises et les phrases alternées de Fritz
et de Suzel, et surtout la scène biblique entre
Suzel et le rabbin ; le troisième est le plus intéres-
sant, parce que l'âme troublée de Fritz et ses aspi-
rations nouvelles y sont exprimées avec une cer-
taine largeur de souffle, et que le duo qui suit n'est
pas sans épanouissement mélodique : on sort du
moins avec une impression plus heureuse.
Et c'est ce qui explique, l'interprétation aidant,
la faveur de l'œuvre auprès des auditeurs épris de
musique facile et souriante. Cette interprétation
peut faire beaucoup, on le sent. Ici, elle a été
intéressante en effet. Ce n'est pas sans curiosité,
par exemple, que nous suivions le jeu toujours
juste et expressif de M. Kaschmann (dans le rebb
Davidj, chanteur wagnérien qui se souvient de
Bayreuth tout en faisant campagne en Italie.
M. de Lucia, dont les succès de ténor ne sont pas
d'hier, a toujours une voix chaude et étoffée qui,
bien qu'un peu fatiguée, a gardé beaucoup de
grâce et d'éclat. Mme Berlendi est douée d'une
jolie voix et d'un non moins charmant visage,
auquel elle n'a aucun besoin d'ajouter tant de
minauderie, et Mme Fassini-Peyra, dans le jeune
tsigane (un travesti^ a beaucoup de. bonne grâce
avec cette belle voix de mezzo que j'ai déjà signa-
lée dans la princesse de Bouillon. En somme, tout
était parfaitement chanté, et l'orchesire n'était pas
moins excellent, sous la main agitée de M. Ro-
dolfo Ferrari. Il est impossible de mettre avec
plus de soins en valeur les œuvres que ces Italiens
nous apportent là. Henri de Curzon.
OPÉRA-COMIQUE. — La Cabrera était pré-
cédée de Philémon et Baucis,- partition délicieuse
de Gounod qu'on ne fait pas entendre assez
souvent et qui serait un petit chef-d'œuvre si les
deux derniers actes valaient le premier. Amputée
du deuxième acte — qui, comme on le sait, avait
été ajouté primitivement sans beaucoup de raison,
— elle a. conservé tout son charme mélodique.
Mile Korsoff a chanté le rôle de Baucis avec un
peu de froideur, mais beaucoup de virtuosité,
mérite qui n'est pas mince par le temps qui court.
M. Cazeneuve, si adroit chanteur et si intelligent
comédien, a personnifié Philémon de façon fort
habile. M. Vieulle a fait bisser les couplets de
Vulcain, et la belle voix de M. Dufranne a donné
à Jupiter l'ampleur qui convient au maître des
dieux. L'entr'acte symphonique aurait pu être
mieux gradué par M. Picheron et exécuté avec plus
de netteté par l'orchestre. T.
— On parle beaucoup en ce moment de toute
une série de départs, à l'Opéra-Comique, départs
volontaires ou non, et l'on ne parle guère d'arri-
vées. Il parait que c'est une question d'économie,
mais le public, qui n'entre pas dans ce détail, n'en
revient pas d'étonnement. Car ce qu'il y a de plus
clair et de plus déplorable, c'est de voir notre
belle scène lyrique, aux représentations modèles,
privée pour la saison prochaine de plusieurs de
ses artistes les plus remarquables. Deux surtout :
Mlle Garden, à qui nous devons, dans le réper-
toire nouveau, tant d'impressions originales que
nulle ne fera oublier, et Mlle Marié de l'Isle, dont
les interprétations de Carmen et de Werther ont
justement, pendant ces derniers mois, fait le
maximum des recettes du théâtre (on l'a relevé :
g, 475, 9,63o, 9,740 h. — On sait déjà que
Mlle Korsoff s'en va également, mais au profit des
habitués du théâtre de la Monnaie, qui ne sont
pas à plaindre.
CONCERTS DU CONSERVATOIRE. —
La Société des Concerts, désireuse de coopérer à
l'érection du monument qui doit être construit pro-
LE GUIDE MUSICAL
39g
chainement à Paris en l'honneur de Beethoven, a
donné, le 4 mai, une excellente et fructueuse soirée
au profit de cette œuvre. Le programme ne com-
portait, naturellement, que les compositions du
grand maître. L'ouverture de Léonore commençait
le concert, la symphonie avec chœurs le terminait,
avec le concours, dans ce chef-d'œuvre, de
Mlle Mastio à la voix argentine, de Mme Georges
Marty au beau timbre grave, de M. Cazeneuve,
meilleur musicien que chanteur, et de M. Frôlich,
dont nous ferons l'éloge plus loin.
Je ne suis pas de ceux qui sont las d'appeler
Aristide « le juste ». La Société des Concerts n'a
perdu aucune des qualités qui lui ont valu une
réputation sans égale; l'habitude de la perfection
lui a donné la stabilité dans le beau absolu, et cette
eurythmie qu'on n'acquiert pas et qui est en
quelque sorte un don de naissance. Le bonheur
est le plaisir fixé, a dit le gentil chevalier de
BoufHers : le plaisir est pareil à la goutte d'eau, le
bonheur au diamant. Ne vous semble-t-il pas
qu'ailleurs on éprouve du plaisir, un plais- ir très vif
sans doute, mais qu'au Conservatoire seul on
goûte le vrai bonheur artistique, parce qu'on le
sent immuable? De phis, cette perfection atteinte
par la Société, sans qu'elle paraisse l'avoir « fait
exprès», ajoute au charme de l'impression quelque
chose que n'ont pas les autres orchestres, l'ai-
sance, la grâce et la sérénité. Il faut l'avoir en-
tendue dans le scherzo et l'adagio de la neuvième
symphonie pour se rendre compte de la plénitude
de son mérite : la délicatesse la plus subtile dans
les nuances jointe à la puissance de l'expression
obtenue sans efforts et par les moyens les plus
simples.
Cette simplicité, M. Frôlich a tenté de s'en
approcher. Il n'y a pas toujours réussi ; pourtant, il
a chanté avec onction et parfois non sans ampleur
six mélodies religieuses de Beethoven, et fait
bisser la quatrième Louange à Dieu, parce qu'il en
a bien compris le caractère. M. Sarasate a joué la
romance en fa avec une négligence tout aristocra-
tique ; c'était très pur, très distingué et très gentil.
Il a été fort applaudi, moins respectueusement
toutefois que M. Saint-Saëns, qui avait bien voulu
exécuter le concerto en mi bémol. Il ne faut jamais
revoir, dit-on, les paysages qui ont charmé votre
jeunesse. Je ne sache pas que le souvenir d'un
grand talent laisse au cœur autant de tristesse
qu'on le prétend ; tout au plus un peu de regret de
ce qui a été, avec quelque chose de doux et d'har-
monieux qui ressemble à de la mélancolie.
Julien Torchet.
CONCERTS RISLER. — Le second des
concerts organisés par M. Edouard Risler a eu
lieu lundi soir, 8 mai, et a valu un triomphe
inoubliable à Mme Marie Bréma. A M. Risler
lui-même aussi, bien entendu ; mais nous avons
si rarement, ici, l'occasion d'apprécier le talent
superbe de la cantatrice, que la joie qu'elle nous
a causée passe la première. Aussi bien M. Risler
est-il toujours extrêmement discret, comme on
l'a déjà remarqué, dans la composition de ses
programmes, pour la mise en relief de sa propre
virtuosité. Il aimera mettre toute sa grâce et tout
son style dans un accompagnement, toute son
intelligence artistique dans une magistrale trans-
cription d'orchestre. Cependant, nous avons
entendu avec lui, cette fois, la sonate en mi
mineur (op. 90) de Beethoven, un nocturne, deux
mazurkas et le quatrième scherzo de Chopin, et
les variations de Liszt sur un motif de Bach.
Quant à Mme Bréma, elle a été délicate dans deux
vieux chants allemands [Alléluia et Chanson de
Noël), variée et expressive au possible dans la
Vie et l'Amour d'une femme, de Schumann (égale-
ment dit en allemand, et sans arrêt entre les huit
mélodies du cycle), admirable enfin d'énergie, de
puissance dramatique et d'éclat dans la scène
finale du Crépuscule des Dieux, jouée véritablement
comme au théâtre. Mme Marie Bréma, avec sa
haute taille, sa beauté mâle, son visage rayonnant
d'enthousiasme, sa voix chaude et prenante,
donne toujours, avec des interprétations de ce
genre, des jouissances artistiques de premier
ordre à l'auditeur. H. de C.
&
— M. Delaborde est, je crois, le premier pia-
niste français qui ait osé occuper seul tous les
numéros d'un programme de concert. Liszt l'avait
fait avant lui, mais le virtuose hongrois était une
exception. M. Delaborde est donc, semble-t-il,
sinon le véritable inventeur du récital, du moins
celui qui l'a acclimaté à Paris. Si Liszt était une
exception, M. Delaborde en- est une autre. Il l'a
prouvé encore le 6 mai chez Ple3'el, en exécutant
vingt morceaux de piano de suite, avec une seule
interruption de cinq minutes. Ce qui est prodi-
gieux, c'est que ce grand artiste, âgé de soixante-
six ans, ait conservé sa pleine et entière virtuosité
et que, deux heures durant, il n'ait pas eu la
moindre défaillance de jeu ni de mémoire. Ses
doigts sont toujours aussi agiles, sa sonorité aussi
puissante qu'en 1873, date de sa nomination de
professeur au Conservatoire.
4oo
LE GUIDE MUSICAL
Cette fois, il n'a exécuté qu'une œuvre classique,
les quinze Variations et Fugues de Beethoven ; le
reste du programme était consacré à des fantaisies
plus ou moins romantiques. A mesure qu'il les
jouait, son talent semblait grandir, et le public,
entraîné par l'artiste au tempérament resté si
jeune et si vigoureux, n'était plus maître de son
admiration ni de son enthousiasme. Il tentait de
l'interrompre par ses applaudissements, mais
M. Delaborde, ne se laissant pas distraire, conti-
nuait à jouer, imperturbable, et imposait le silence.
Des œuvres qu'il a fait entendre, je signalerai
quatre impromptus de Chopin, celui en fa dièse et
surtout celui en ut dièse, qu'il a joués comme per-
sonne, je veux dire comme personne ne les a exé-
cutés depuis plus d'un quart de siècle, suivant la
vraie tradition de Chopin. J'ai enfin retrouvé dans
l'interprétation de M. Delaborde la façon qu'on
enseignait dans ma jeunesse pour traduire le
tempo rubato, et qui a été rappelée ici même par
M. Maurice Kufferath d'après une explication
laissée par Liszt. Comme un de ses élèves exagé-
rait les nuances rythmiques du rubato, Liszt se
leva, alla à la fenêtre, l'ouvrit et, montrant un
grand arbre dans la campagne voisine : « Voyez-
vous cet arbre? lui dit-il. Le vent se joue dans les
feuilles, il les anime, mais le tronc ne bouge pas.
Voilà le rubato de Chopin, »
Bien que M. Delaborde ait admirablement exé-
cuté des Lieder de Schubert et l'ouverture du
Freyschïtz avec les transcriptions de Liszt, j'avoue
goûter médiocrement les arrangements de ce genre,
qui me paraissent diminuer et trahir quelque peu
la pensée des maîtres. Quatre études, dites et trans-
cendantes », de Liszt ont été chaleureusement
accueillies, moins pour leur valeur peut-être que
pour l'excellence de l'interprétation; celle qui
porte le titre de Ricordauza, dédiée à Mme Récamier
ou écrite en souvenir de cette femme adorable et
frigide, a été exécutée avec une grâce et une sou-
plesse incomparables. Si j'osais avouer les mor-
ceaux qui m'ont fait le plus de plaisir, je dirais que
ce sont Hymne et Alla soldatesca, de C.-V. Alkan.
Mais qui connaît aujourd'hui les compositions
d' Alkan? Je sais gré à M. Delaborde de les avoir
remises en honneur; il se peut que des virtuoses
« à la mode » imitent son exemple ; alors, tout le
monde voudra jouer ses œuvres, et l'on finira par
s'apercevoir qu'Alkan était un musicien de grand
talent et vraiment digne de mémoire. T.
— A l'exemple de son maître Delaborde,
Mlle Adeline Bailet a donné, le 2 mai, un récital
de piano chez Pleyel. Il n'est pas permis à tous les
virtuoses de faire supporter une heure et demie de
piano. Loin de fatiguer ses auditeurs, Mlle Bailet
les a intéressés d'abord et ensuite charmés, à tel
point qu'on désirait l'entendre encore après Mé-
plvisto-V alzer , qui terminait le concert. Premier prix
de piano en 1893, à l'âge de treize ans, cette jeune
artiste n'a pas pensé que son succès précoce la
dispensât de travailler. Merveilleusement douée
et très intelligente, elle a compris qu'elle avait
encore beaucoup à apprendre, et, toujours guidée
par son maître, elle a recommencé ses études et
les a perfectionnées. Aujourd'hui, elle est en
pleine possession de son talent. Mlle Bailet a
exécuté la sonate en ut mineur (op. m) de Bee-
thoven avec une grande autorité (je ne trouve pas
d'expression pour mieux caractériser la belle
allure qu'elle a donnée au premier mouvement),
les Etudes symphoniques de Schumann, quatre mor-
ceaux de Chopin, pour lesquels j'aurais désiré un
peu plus de morbidesse, une ballade de Brahms
d'une adorable fantaisie ; deux transcriptions de
Schubert par Liszt, qu'il ne me paraît pas utile de
propager; la fameuse Ricordanza, de Liszt, imitée
de Chopin et si propre à développer la virtuosité,
et enfin la sonate en sol mineur de Scarlatti, une
œuvre exquise et reposante, que l'artiste a su
interpréter avec une infinie délicatesse, tout en lui
laissant sa précision rythmique, qualité qu'on
n'apprécie pas toujours suffisamment. Très applau-
die par le public, Mlle Bailet a reçu les félicitations
de M. Delaborde; les éloges d'un tel maître, si peu
flatteur d'habitude, sont la plus douce des récom-
penses. T.
— Mme Berthe Marx-Goldschmidt a depuis
longtemps pris une des premières places parmi les
pianistes actuels. Son concert du 3 mai — le
premier d'une série de trois — a été une fête pour
les vrais musiciens. Il ne comprenait que des
« fantaisies », et l'on sait quelles charmantes
compositions ont été écrites sous ce titre par les
classiques et quelques modernes.
Mme Goldschmidt a une remarquable qualité de
son; sa souplesse d'attaque donne par moments
l'illusion des instruments à archet. Donc, rien de
la sécheresse tant reprochée au piano. A cela, elle
joint un style parfait et un sens exquis du classique.
Elle a joué d'une façon absolument parfaite la
fantaisie de Schubert et celle de Chopin et a
montré une virtuosité merveilleuse dans le La ci
darem la mano de Mozart, transcrit par Liszt, Succès
LE GUIDE MUSICAL
401
très grand et très mérité, qui se continuera certai-
nement aux prochains concerts (œuvres de Saint-
Saëns et de Chopin). F. G.
— Obligé d'assister à deux concerts lundi dernier,
nous avons regretté de n'entendre qu'une partie du
récital de piano donné, salle Erard, par M. Théo-
dor Szanto. Cet artiste a une belle virtuosité, bien
qu'un peu de sécheresse dans les passages de force,
Il a bien joué la sonate op. no de Beethoven, une
ballade et un nocturne de Chopin. Quant à la
fantaisie de Liszt sur Lucrezia Borgia, de Doni-
zetti, c'est — comme la plupart de ces soi-disant
arrangements — une œuvre vieillie où beaucoup
de mécanisme et d'ingéniosité n'arrivent qu'à un
mince résultat musical. Le reste du programme
était consacré à des œuvres de M. Szanto, que
nous n'avons pas entendues. F. G.
— Nous avons éprouvé, à entendre M. Frédéric
Lamond, le 4, salle Erard, encore plus de plaisir
que l'an dernier à la Société philharmonique.
Louer l'éminent pianiste de son mécanisme serait
un éloge insuffisant. C'est par le style, par la com-
préhension des œuvres, par le don de les faire
pleinement comprendre qu'un artiste de cette
valeur conquiert son auditoire. Ce sont les qualités
de M. Lamond, surtout lorsqu'il interprète les
œuvres de Chopin (sonate op. 35, polonaise op. 53,
nocturne op. 48, etc.). Il a joué d'une manière
parfaite la sonate op. 101 de Beethoven, cette
admirable page que la puissance de la conception
et la géniale liberté de la forme égalent aux der-
niers quatuors. L'interprétation a été à la hauteur
de l'œuvre, par la sobriété du style, le phrasé, la
précision sans sécheresse, la discrétion des
nuances.
Nous avons reconnu dans une assistance qu'on
aurait voulue plus nombreuse, plusieurs de nos
grands pianistes venus pour applaudir un maître.
F. G.
— M. Robert Lortat-Jacob a donné, rue
d'Athènes, le vendredi 5 de ce mois, avec le con-
cours de son maître, L. Diémer, et de Mme Réja
Bauer, un concert qui marque tout à fait un
artiste de grand avenir. Un peu trop de Chopin
au programme (sonate en si bémol mineur, polo-
naise en mi bémol et cinq pièces encore), mais
il est vrai que M. Lortat-Jacob l'interprète mer-
veilleusement, surtout quand il ne s'agit que
de doigts. On pourrait lui reprocher un peu trop
de brusquerie et aussi, par contraste, dans les
mouvements lents, de rester presque toujours au-
dessous du temps (notamment dans la marche
funèbre, le nocturne en fa dièse et l'étude en mi).
Mais le presto de la sonate, le prélude en sol (bissé),
la valse en mi bémol, ont été parfaits et non sans
fantaisie. C'est la rêverie de la Suite algérienne et
le scherzo de Saint-Saëns qui avaient amené
M. Diémer à prêter son concours sur un second
piano ; il a eu, comme d'habitude, un succès fou de
délicatesse et de facilité.
Mme Réja Bauer a chanté d'une voix chaude,
légère, bien timbrée, charmante en somme, quel-
ques Lieder exquis de Schubert, Schumann,
Lassen et d'autres de Léon Moreau. C. T.
— Mme Charles Cahier (Mrs Morris-Black en pre-
mières noces, née Walker), de New- York, qui
s'est fait connaître l'an dernier à Nice, dans Orphée,
a donné le vendredi 5 mai, rue d'Athènes, un inté^
ressant petit récital vocal d'airs et de Lieder en
trois langues : Marcello, Caldara, pour l'italien;
Mozart {Das Veilchen), Wagner (Trâume), Brahms
(trois Lieder pénétrants), pour l'allemand; Pala-
dilhe, Tschaïkowski, Gounod (Stances de Sapho),
pour le français, figuraient tour à tour sur le pro-
gramme, et mirent heureusement en relief les
qualités de diction délicate et réfléchie, un peu
raffinée peut-être, de la cantatrice, dont la voix
chaude a des accents très attachants, très sincères.
Un meilleur choix dans les morceaux eût cepen-
dant été d'autant plus appréciable : c'est le défaut
de ces récitals d'accorder trop large mesure à des
compositions d'amateurs ou de musiciens secon-
daires; et ce n'est jamais un bon. calcul pour
l'artiste, qui a tout profit à n'interpréter que des
chefs-d'œuvre. H. de C.
— Le concert donné le 3 mai à la salle Pleyel
par Mlle Jeanne d'Herbécourt a obtenu un plein
succès; rarement on a applaudi avec autant de
spontanéité et d'aussi bon cœur. D'abord, le concert
n'était pas un récital (que maudit soit celui qui a
inventé le mot et la chose!); ensuite, Mlle d'Herbé-
court a beaucoup de talent, un jeu sobre et clair,
un style très pur, exempt de « manières » et de ces
nuances affadissantes qui font se pâmer trop d'au-
ditrices et dont s'affligent tant les délicats; enfin,
M. A. Parent et son quatuor, en prêtant leur con-
cours, augmentaient singulièrement l'intérêt artis-
tique de la soirée. Mlle d'Herbécourt. pour montrer
sa virtuosité, a exécuté un prélude en ré mineur
dans le style ancien, du regretté A. de Castillon,
mort, comme Chauvet, à l'heure où il allait com-
mencer à recueillir le bénéfice de ses longs travaux
et à gagner peut-être l'estime de sa propre famille,
qui, le jour de la mort du compositeur, disait
402
LE GUIDE MUSICAL
naïvement : « Nous ne connaissons pas les gens de
la musique »; Thème et Variations, de Camille
Chevillard, pages traitées avec une verve savam-
ment préparée et une liberté de rythme fort
curieuse ; Jardins sous la pluie, de Claude Debussy,
délicieuse fantaisie remplie d'harmonies imprévues
enveloppant la berceuse « L'enfant dormira tantôt »;
enfin, Valse-Caprice, de Fauré, le maître le plus
aimé en cette saison et qui le mérite à tant
d'égards. Non seulement Mlle d'Herbécourt a été
fort appréciée dans l'exécution de ces quatre
morceaux, mais encore et surtout elle a interprété
en excellente musicienne la sonate en la de
Brahms, si élégante et si vraiment aimable pour un
maître qui passe pour un génie constamment
austère, puis le quintette de Franck, dont le
thème principal développé dans les trois mouve-
ments se retrouve dans une œuvre où vous n'au-
riez pas la pensée de le chercher, dans la Vie du
Poète de Gustave Charpentier : rencontre toute
fortuite assurément, mais qui vaut d'être signalée.
J'ai honte d'offrir à M. Parent le cliché si usé à
force d'avoir servi : « Votre éloge n'est plus à
faire. » Pour un pareil artiste, il est difficile de
trouver l'expression juste qui caractérise son
talent. Dire qu'il a toutes les qualités qui font le
parfait virtuose et le parfait musicien, ce n'est
rien dire du tout. Il est plus et mieux, ce qui ne
signifie pas encore grand'chose. Allez l'entendre le
plus souvent possible, c'est la plus grande grâce
que je vous souhaite. T.
— A un public très chaleureux, le flûtiste Louis
Fleury a donné, le ier mai, dans la salle des
Agriculteurs, un programme des mieux choisi et
d'un vif attrait de curiosité. La séance s'ouvrait
par le concerto en ut de Mozart, pour flûte, harpe
et piano. Les qualités de style et de finesse de
M. Fleury y étaient bien en valeur. Ses deux par-
tenaires, Mlle Sarah Pestre et M. Decreus, n'ont
peut-être pas exprimé cependant toute la valeur
de cette œuvre si pleine de charme.
En citant la sonate de Marcello (1686-1739) et
une suite très intéressante de Enesco, avec l'auteur
au piano, nous donnerons une idée de la variété
de ce programme. M. Fleury a surtout fait
applaudir le vivace si verveux de la sonate et le
presto très coloré, sorte de danse des gnomes, de la
suite d'Enesco.
Quand nous aurons dit le succès remporté par
les doigts fins et délicats de MUe Pestre, et les
rappels réitérés qu'a valus à M. Decreus le pré-
lude de Rachmaninoff, non prévu par le pro-
gramme, quand nous aurons cité Mlle Gerda
Heyman, qui chanta, en allemand, des mélodies
très poétiques de Curschmann, nous n'aurons pas
épuisé l'intérêt de cette belle soirée. M. D.
— Le samedi 6 mai, à la salle des Agriculteurs,
un très intéressant programme réunissait les deux
noms de même nationalité : Mlle Minnie Tracey et
M. Arthur Shattuck, et un public très chaud leur
a fait un brillant accueil à tous deux. Mlle Minnie
Tracey, dont nous n'en sommes pas à parler ici
pour la première fois, possède un beau soprano,
fort agile et capable des plus délicates caresses
comme de l'éclat le plus vibrant; elle possède
aussi une intelligence d'artiste, qui met une pensée
derrière son exécution vocale. Elle s'était d'ailleurs
ingéniée à chercher des morceaux peu connus et
qui méritent de l'être, tel un air de Mozart : Non
temer, amato hene, qu'on n'avait jamais exécuté à
Paris. Composé en 1786, à Vienne, sur les paroles
d'un air ôUdoménèe, pour Mlle de Storace, ce grand
morceau à effet semble tout à fait une scène du
rôle de Dona Elvire, dans Don Juan, une scène
qui aurait été coupée ; c'est tout à fait le même
style, mais avec accompagnement de piano. Au
piano également, Mlle Tracey a chanté des airs ou
chants de Glinka, Zielinski, Chopin. Mais elle
s'était assuré aussi le concours de l'orchestre, et de
M. Chevillard, ce qui donnait un singulier relief à
des pages comme l'air de Fidelio, celui de Paris (de
Gluck), YHerbstabend de Sibelius ou l'air de l'ar-
change de César Franck. Cet orchestre était
d'ailleurs surtout là pour M. Shattuck, dont la
part d'exécution a consisté en deux concertos, l'un
de Tschaïkowsky, l'autre de Rubinstein. Ce jeune
homme a des doigts de fer et une netteté vibrante
de jeu. J'aurais aimé à constater s'il y joignait du
charme, de la grâce, de la pensée enfin; mais le
pittoresque bruyant et les grands effets sommaires
de cette musique ne laissaient d'ailleurs aucune
place à ces qualités-là. H. de C.
— Le récital de piano donné lundi 8 mai par
M. Edouard Bernard a obtenu un vif et légitime
succès. On connaît la technique et le goût délicat
de cet excellent musicien, qui fit valoir toutes les
ressources de son talent dans le Concerto italien de
Bach, la sonate en ut majeur de Beethoven,
Prélude, Aria et Final de Franck et la polonaise en
fa dièse de Chopin. Outre ces œuvres classiques et
de haut style, M. Bernard exprima d'une fantaisie
intéressante l'impromptu en la bémol de Fauré
et deux pièces de Liszt.
LE GUIDE MUSICAL
4b3
— M Charles Bordes, qui a étudié la musique
des pays basques, a voulu ouvrir les portes de la
Schola Cantorum à la musique espagnole, et spé-
cialement à la musique catalane. Cela nous a valu,
le 6, une charmante séance. Les œuvres de
M. Albeniz, le Grieg de l'Espagne, qui s'est
identifié avec les mélodies nationales et y a
apporté toute la science harmonique moderne,
étaient la base du programme, interprétées de
façon exquise par M. Ricardo Vinès, dont nous
avons tant de fois fait l'éloge, et par Mlle Blanche
Selva, aussi parfaite dans ces œuvres modernes
que dans des pièces de Bach ou de Franck. La
rapsodie pour deux pianos, les Chants d'Espagne,
la Vega, la Tour vermeille, d' Albeniz, les danses
de Granados, ainsi interprétés, sont des pages
d'une couleur et d'un rythme merveilleux.
Mme Maria Gay, dont la belle voix de contralto
a été souvent applaudie à la Société philharmo-
nique, a chanté avec: un sentiment très intense
plusieurs mélodies catalanes. Elle sent et vit ces
airs si variés d'expression. On l'a beaucoup
applaudie.
M. Llobet, guitariste très connu en Espagne, a
été le triomphateur de la soirée. Par sa virtuosité,
son goût et le sens de la musique qu'il joue,
M. Llobet obtient des prodiges de son instrument.
Certainement, ce fut une révélation pour l'audi-
toire. Ajoutons que les morceaux qu'il a joués
étaient charmants. On ne se lasserait pas d'enten-
dre M. Llobet, et de grands succès l'attendent à
Paris, s'il le veut. F. G.
— Le second festival populaire de M. Ed.
Colonne au Trocadéro n'a pas eu moins de succès
que le précédent (jeudi n mai). Aussi bien, le
public qui comblait la vaste salle était-il vraiment
gâté. Celui des dimanches du Châtelet n'est pas
toujours à pareille fête. La Symphonie espagnole
de Lalo, un des triomphes les plus inoubliables de
M. Sarasate et une musique si pittoresque; le
concerlo de Max Bruch; des airs de Lohengrin et
de Tannhàuser chantés par Mme Kutscherra, ainsi
que le Roi des Aulnes, orchestré par Berlioz;
Y Aria de Bach encore et la fantaisie sur Don Juan
que M. Sarasate s'est écrite lui-même et qu'il rend
avec bien de la fantaisie ; enfin, l'ouverture des
Maîtres Chanteurs. Tout cela était connu, archi-
connu, mais on n'est pas fâché quelquefois de ne
réentendre que des chefs-d'œuvre.
H. de C.
— Le concert donné par Mlle C. Oberlé, salle
des Agriculteurs, comportait une éclectique sélec-
tion de petites œuvres pour piano : gavotte de
Bach, nocturne de Schumann, Arabesques de De-
bussy, Etincelles de Moszkowski, voire la sonate
en si bémol de Chopin avec son inévitable
marche funèbre. Cette jeune pianiste n'ignore rien
du mécanisme ni du clavier ; lorsque avec un peu
de chaleur communicative, d'élévation dans l'ex-
pression, elle se préoccupera moins du doigté qui
est parfait, que de l'interprétation de l'idée domi-
nante et du caractère de l'œuvre, Mlle Oberlé aura
sa place marquée parmi les meilleures virtuoses.
A côté d?elle s'est fait entendre, pour la première
fois à Paris, une charmante et délicieuse canta-
trice, Mlle Madeleine Sube, dans des mélodies de
Schumann — Volksliedchen (air national) et Marien-
wiirmchen (Petite Bête à bon Dieu), — de Schubert et
dans une agréable bluette de Loewe, Niemand
hat's gesehen (Personne ne l'a vu). Cette jeune artiste
de l'Opéra de Leipzig, qui vient de signer un enga-
gement à l'Opéra de Dresde, possède une voix
agréablement timbrée en même temps que puis-
sante, un art exquis des nuances et, ce qui ne nuit
jamais, beaucoup de charme expressif. Ch. C.
— Mme Marie Mockel annonce, en sa salle
d'études de la rue Fourcroy, cinq « petites réu-
nions musicales », où seront passées en revue les
différentes périodes de la chanson et du Lied :
Chanson populaire (causerie de M. Julien Tiersot,
naturellement), Canzonetta italienne des xvne et
xvnie siècles, Lied allemand classique et de Schubert,
Lied allemand moderne et de Schumann, enfin Mélodie
française contemporaine. Les dates sont fixées' aux
mardis 9, 16, 23 et 3o mai, et 6 juin. Il n'est pas
difficile, quand on connaît le délicat et si artistique
talent de Mme Mockel, de présager à son entre-
prise le plus rare succès de dilettante.
— Les concerts Cortot annoncent pour le jeudi
iS mai, à 9 heures du soir, au Nouveau-Théâtre, la
première audition intégrale du Requiem allemand. Ce
chef-d'œuvre de J. Brahms sera chanté par Mlle
Eléonore Blanc en M. Frolich, les mêmes artistes
qui l'ont interprété il y a quelques semaines à
Lille, aux concerts de M. Maquet.
Le programme comporte également deux pre-
mières auditions. Illuminations de L. Abbiate,
Erntelied pour chœur d'hommes et orchestre de
Oskar Fried et enfin le Concerto brandebourgeois
de J.-S. Bach, dont l'audition a été redemandée
après la brillante exécution du dernier concert.
— M. Reynaldo Hahn, dont nous avons signalé
l'an passé la si intéressante exécution, « en concert^
404
LE GUIDE MUSICAI
mais intégral et dans sa langue originale, du Don
Giovanni de Mozart, annonce pour les 17 et 24 mai
(au théâtre de l'Athénée) deux concerts rétrospec-
tifs consacrés, l'un à Lulli, l'autre à Rameau.
D'autant plus malaisées à préparer que les bonnes
éditions font plus défaut à ces œuvres, du moins à
celles de Lulli (celles de Rameau ont maintenant
la grande collection Durand, en cours d'exécution ï,
ces sélections comprendront, pour le premier, des
fragments d'Atys, Idis, Cadnms et Hermione, Proser-
pine, Armide, Amadis, Thésée et Phaéton, et c'est
dire que toute l'œuvre de Lulli sera ainsi caracté-
risée. Pour le second, des morceaux de Castor et
Poïïux, Hippolyte et Avide, les Indes galantes, les Fêtes
d'Hebé (et Dardanus?) seront coupés de pièces de
clavecin, etc. L'interprétation sera confiée à MM.
L. Diémer, Delmas, Jean Périer, à Mmes Raunay,
Lindsay, à des artistes de la Société des Instru-
ments anciens... Nous reparlerons sans doute de
cette belle manifestation d'art classique français.
— M. et Mlle Boucherit se feront entendre dans
trois concerts, à la salle de la rue d'Athènes, les
16, 24 et 3o mai, avec des programmes extrême-
ment intéressants comme composition et qui com-
portent de plus, chacun, une attraction de premier
ordre : Mme Rose Caron pour le premier,
M. Renaud pour le second et M. Delmas pour le
troisième. Comme œuvres musicales : Sonates
pour piano de Beethoven ; pages de piano de
Bach, Rameau, Haydn, Schumann, Chopin,
Debussy, Chabrier; pages de violon de Rimsky-
Korsakow, Wieniawski, Bach, Saint-Saëns, Schu-
bert... On ne saurait rêver choix plus attrayant.
— M. Paul Braud, l'excellent pianiste, donnera
à la salle Erard, le vendredi 19 de ce mois, une
audition de ses élèves hommes où l'on entendra
du Mozart et du Schumann, du Liszt et du Cho-
pin, du Fauré et du Chausson, du Schubert et du
Beethoven, avec MM. Ed. Gendron, R. Schmitz,
A. Laporte, Yves Nat, J. Verd, Ed. Schweitzer,
Ed. Garés et René Vanzande. M. Braud lui-même
tiendra le second piano dans une toccata de Th.
Dubois et des variations de R. Fischhof. MM.
Duttenhofer, Bailly, de Bruyn, prêteront leur
concours pour les morceaux de piano avec instru-
ments à cordes.
BRUXELLES
CONCERTS YSAYE. — M. Karl Muck, des
théâtres de Berlin et de Bayreuth, dirigeait pour
la première fois un concert à Bruxelles; c'est une
physionomie intéressante ; on sent en lui un tem-
pérament nerveux, volontaire, très sûr de lui-même
et sobre de gestes, mais sachant d'un mouvement
déchaîner tout l'orchestre ou le contenir avec
autorité.
La symphonie en ré mineur de Sinding avait
déjà été dirigée par M. Willem Kes, à l'Alhambra,
il y a quelque douze ans. L'œuvre est extrêmement
touffue, les idées abondent, la couleur est cha-
toyante et les contrastes sont parfois très vifs, en
dépit d'une certaine monotonie résultant de
l'emploi presque constant de l'orchestre complet.
M. L. Frôlich, le célèbre baryton allemand, a
chanté, dans un style excellent et avec une voix
généreuse, l'air de la Fête d'Alexandre de Hasndel et
le monologue de Hans Sachs au troisième acte des
Maîtres Chanteurs.
Le poème symphonique de Liszt, Mazeppa, a été
dirigé avec fougue par M. Karl Muck, qui a été
vraiment admirable dans le Wagner, Siegfried-Idyll
et le prélude symphonique du troisième acte des
Maîtres Chanteurs. R.
— Le concert organisé par le cercle sympho-
nique « Crescendo » a reçu l'accueil le plus flatteur.
La symphonie n° 7, en vit, de Haydn, Siegfried-Idyll
de Richard Wagner, le prélude du cinquième acte
du Roi Manfred de C. Reinecke, l'ouverture de
Prométhée de Beethoven, ont été exécutés, sinon avec
perfection, du moins avec beaucoup d'intelligence,
de goût et de tempérament, et il faut féliciter
l'orchestre et son excellent chef, M. Léon Poliet.
M. David Davidian a exécuté le concerto en sol de
Max Bruch et des airs russes de H. Wieniawski,
pour violon et orchestre ; M. Louis Huj'gh a
chanté d'une jolie voix de ténor l'air de Joseph de
Méhul. R.
— Le récital du jeudi n mai, donné à la Grande
Harmonie par M. Jan van Oordt, a obtenu un très
gros succès.
Avec son jeu énergique et souple, il nous a
donné une exécution vibrante des concertos de
Max Bruch et de Paganini (ré majeur). Il a inter-
prété avec une pureté de ligne vraiment remar-
quable le prélude et fugue en sol mineur de Bach.
Une Sarabande de Corelli, Corrente de E. Vivaldi,
un Allegretto erazioso de H. Nardini et une Tarentelle
LE GUIDE MUSICAL
40 5
de E. Valentini ont valu à M. Jan van Oordt de
vifs applaudissements.
La séance se terminait par les Airs hongrois de
Ernst, enlevés avec brio.
M. Louis-Fl. Delune a tenu la partie de piano
avec talent. J . T.
— - La Société royale l'Orphéon a donné di-
manche 7 mai, au théâtre royal de la Monnaie,
son concert annuel. Programme copieux, et d'un
grand intérêt : Jeunesse d'Alfred Tilman, le Chant
des matelots de Th. Radoux, deux chœurs qui ont été
très bien interprétés par la société organisatrice.
L'intérêt choral se portait sur le Soir d'une bataille
de M. Florestan Duysburgh, fils de l'excellent
directeur de l'Orphéon. Ce chœur est d'une belle
inspiration et peut être considéré comme une page
sérieuse, qui fait honneur au jeune compositeur.
Ce choral a été magistralement chanté sous
l'habile direction de M. Joseph Duysburgh.
Au programme de ce concert figuraient égale-
ment des œuvres du compositeur Ricardo Castro,
un menuet pour quatuor d'orchestre, une romance
pour violon et orchestre, bien détaillée par
M. Mora, un adagio du concerto pour violoncelle,
enlevé avec maestria par M. Loevensohn, qui a
joué ensuite les Variations symphoniqnes de Boëll-
mann avec une grande justesse et une belle sono-
rité. M. Maurice Geeraert dirigeait l'orchestre.
Enfin, Mme Simony, dans l'air du Barbier de Séville,
Mlle Ritter, dans le largo de Xerxès de HsendeL
M. Maurice Decléry, dans l'air du Roi de Lahore de
Massenet et la Jolie Fille de Perth de Bizet, ont
obtenu un magnifique succès.
On termina par la scène finale du drame lyrique
Atzimba, de Ricardo Castro, qui réunissait plusieurs
chanteurs parmi lesquels il ne faut pas oublier de
citer Mlle E. Desmaisons, sous la direction de
M. Loevensohn. Th. L.
CORRESPONDANCES
CETTE. — Le concert du 3o avril, encadré
dans les fêtes de la kermesse, a remporté un
succès inoubliable. Il est vrai que le programme,
composé de vieilles chansons françaises et de
pièces de clavecin, lui donnait l'attrait puissant de
l'inédit.
Un amateur distingué, passionnément épris d'art
musical, M. Charles Dugrip, à qui nous devons la
création des Concerts symphoniques, avait réuni
sous sa baguette une trentaine d'exécutants pour
interpréter ces charmantes chansons du xvie siècle,
que la Schola a remises en honneur. Grâce à une
admirable ténacité et à un sens parfait du caractère
de ces délicieuses pièces, il nous a donné une
audition d'une saveur exquise.
Les voix, habilement choisies parmi des ama-
teurs, tous musiciens, et merveilleusement con-
duites, nuancèrent avec un sentiment des plus déli-
cat les airs de Costeley (Allons, gay, gay, bergères),
de Lassus {Quand mon mari vient de dehors) et autres
auteurs peu connus, si attrayants : Voici la Saint- Jean,
C'est le vent Jrivolant, C'est le Mai, mois de Mai, etc.
Comme intermède, des chansons de Mozart et de
Mendelssohn, par un chœur de fillettes, soulevè-
rent un véritable enthousiasme, tant leur exécution
fut remarquable.
Mlle Marguerite Delcourt prêtait à cette séance
le concours de son beau talent de claveciniste.
Elle recueillit les plus vifs applaudissements avec
des pièces de Couperin, Lulli, Bach, etc. Son
interprétation si sincère, si attrayante, son admi-
rable mécanisme, tout de grâce et de délicatesse,
font revivre sous les doigts de cette artiste si dis-
tinguée bien des souvenirs d'antan et rendent au
vieil instrument, trop oublié, un peu de son
ancienne gloire. Arco.
T~ A HAYE. — Le choral mixte « Gemengd
I J Koor » de Rotterdam, vient de donner, sous la
direction de M. Georges Ryken, une première
exécution de la Fille de Roland, opéra spirituel de
Rabaud sur un poème de Henri de Bornier.
M. Rabaud est un compositeur français d'un incon-
testable mérite, mais le poème de la Fille de
Roland ne semble pas lui avoir communiqué une
grande chaleur d'inspiration, l'ouvrage pèche
par une certaine monotonie de couleur et
n'est point parvenu à émouvoir le public. L'exé-
cution, cependant, mérite en général de sincères
louanges. Les chœurs se sont vaillamment com-
portés, et l'Orchestre communal d'Utrecht a donné
là une fort bonne soirée. Parmi les solistes, c'est
M. Cazeneuve, qui a été le héros de la soirée ;
il n'a cessé d'enchanter le public autant par sa
belle voix, par sa diction superbe que par le
charme qu'il a mis dans le rôle de Gérald.
Mme Gaëtana Vicq-Challet, malgré sa voix sympa-
thique, n'a pas été à la hauteur de sa tâche dans le
personnage de Berthe. M. Challet (Charlemagne),
pris d'un enrouement subit, n'a pu donner ce
qu'il aurait voulu. Les autres artistes ont fait ce
qu'ils ont pu, et M. Denys s'est signalé dans le duo
du dernier acte avec M. Cazeneuve.
406
LE GUIDE MUSICAL
Les 19, ao et 21 mai aura lieu, au Concertgebouw
d'Amsterdam, un festival de trois jours au profit
de la caisse de pensions de l'orchestre. Ce festival
sera donné avec le concours du chœur de la
Société pour l'encouragement de l'art musical,
de MUe Anna Kappel, de Mme de Haan-Mani-
farges, de MM. Messchaert, Dr Ludwig Wùllner
et du ténor M. Ludwig Hess. Le premier et le
troisième concert de ce festival seront dirigés par
M. Mengelberg et entièrement consacrés à Bee-
thoven; le second sera dirigé par le compositeur
Max Schilling, et se composera exclusivement de
ses œuvres. Au programme : Prologue sympho-
nique pour Œdipe roi de Sophocle ; Seemorgen, fan-
taisie maritime pour orchestre; le Chant des Sor-
cières, poème de von Wildenbruch, avec accompa-
gnement d'orchestre (le récitant, M. Wùllner) ;
deuxième partie : Prologue du troisième acte pour
l'opéra Der Pfeifertag, et pour finir Dem Verkldrten,
poème de Schiller, pour baryton, chœur et or-
chestre (la partie de baryton chantée par M. Mes-
schaert.)
La Société pour l'encouragement de l'art
musical nous promet à La Haye, pour l'hiver
prochain, l'oratorio La Vita nnova de Wolff-Ferrari,
le Requiem de Georg Henschsl, les Sept Paroles du
Christ de Gustave Doré et peut-être aussi un
ouvrage du compositeur espagnol Pedrell.
Ed. de H.
LISBONNE. — Des auditions musicales des
dernières semaines, à Lisbonne, nous ne
pouvons que donner une indication sommaire.
Le théâtre San Carlos a fermé ses portes à la fin
de mars. Un opéra nouveau, Manoel Menendez, y est
tombé à plat. Un .autre, La Cabrera de Dupont, a
été très favorablement accueilli par la critique.
A la Schola Cantorum, le Requiem de Mozart,
sous la direction de M. Sarti, a remarquablement
réussi.
Au théâtre Dona Amelia ont eu lieu quatre
concerts de l'orchestre Lamoureux, sous la direc-
tion de M. Chevillard. Nous avons heureusement
pu assister à ces belles séances et au grand succès
remporté par les artistes français. M. Chevillard
doit en être fier, car ce n'est ni par des sacrifices
au goût d'une partie du public, ni par des frivo-
lités, ni par des effets faciles qu'il a conquis l'en-
thousiasme. Son tempérament, pour un public
méridional, n'est pas de ceux qui emballent aveu-
glément. Il s'impose et il transmet l'émotion de sa
direction réfléchie tout en laissant le temps d'en
apprécier les détails. Inutile de dire qu'une exé-
cution toujours bonne, et souvent admirable, a
servi les magnifiques programmes. De l'orchestre,
ce sont les cordes que nous avons le plus admi-
rées. S'il nous fallait signaler quelques-unes des
plus belles interprétations, nous citerions eelle,
vraiment superbe, de la symphonie en ut mineur,
les fragments de Wagner, Mort et Transfiguration
de Strauss, Y Apprenti sorcier de Dukas. Il faudrait
citer à peu près tous les numéros des programmes.
M. Chevillard a eu la délicatesse de jouer à son
dernier concert le prélude de la Mort d'Orphée du
compositeur portugais M. le comte d'Azevedo,
œuvre connue à Paris avant de l'être à Lisbonne
et où l'on trouve un mérite et des connaissances
musicales qu'on ne soupçonnerait guère chez un
amateur. Ce prélude, remarquablement écrit et
d'un beau sentiment a obtenu un vif succès.
T. de S.
LYON. — Le Grand-Théâtre a fermé ses
portes à l'opéra en donnant, pour sa repré-
sentation de clôture, un spectacle coupé composé
de fragments d'Hamlet, de Sigurd, d" Armide et du
Jongleur de Notre-Dame.
La saison lyrique qui vient de finir s'est étendue
sur une période de 182 jouis, pendant lesquels il a
été donné 154 représentations, dont i3o le soir et
24 en matinée.
Il y a eu 52 relâches.
Le répertoire s'est composé de 23 ouvrages, dont
quatre nouveaux à Lyon, et de trois ballets, dont
un nouveau.
Voici l'énumération de ces ouvrages, classés
d'après le nombre de représentations qu'ils ont
obtenu :
Le Jongleur de Notre-Dame, 16; Faust, 14; Armide,
i3; l'Etranger, i3; l'Africaine, i3; Carmen, 9; les
Huguenots, 8 ; les Girondins, 8 ; Tannhàuser, 6 ;
Sainsou et Dalila, 6 ; Louise, 6 ; Hamlet, 6 ; la Favorite,
9; Lohengrin,S; Guillaume-Tell, 5 ; le Maître de Chapelle,
5; Rigelotto, 5; Salammbô, 4; Werther, 4; Sigurd, 4;
Hérodiade, 3 ; le Trouvère, 2 ; le Prophète, 1 .
Ballets : Gretna-Green, n; ballet à'Aïda, 6;
Myosotis, 2.
La lecture de ce tableau permet de se rendre
compte que ce sont les œuvres nouvelles qui ont
été les plus favorisées.
Il est intéressant de constater notamment que
Y Etranger et Armide, tiennent presque la première
place dans cette énumération, après Faust et le
Jongleur, de M. Massenet.
La direction serait bien avisée, à notre avis, de
tenir compte de cette indication dans le choix du !
répertoire pour la prochaine saison. Et les amateurs
seraient heureux de leur voir mettre à l'étude
YAlcesie de Gluck qui compléterait avec à-propos
la série des grandes tragédies lyriques de l'immortel
LE GUIDE MUSICAL
407
révolutionnaire musical déjà représentées à notre
Grand-Théâtre.
Comme œuvre véritablement nouvelle et inédite,
nous verrions avec plaisir le choix de l'administra-
tion se fixer sur Pelléas et Mélisande, d'un caractère si
curieux et si original. A condition de lui donner
une mise en scène et un cadre vraiment soignés et
dignes de sa haute valeur musicale, nous ne
doutons pas que la délicate partition de M.
Debussy ne rencontre un accueil favorable auprès
des amateurs de notre ville. Ce serait là, en même
temps, une tentative artistique qui ferait honneur à
notre première scène municipale. X. X.
MADRID. — L'orchestre Lamoureux a été
accueilli à Madrid avec le même succès
qu'à Barcelone et à Lisbonne. Les programmes
étant identiques, il n'y a qu'à constater le très réel
succès de M. Chevillard et de son orchestre.
L'orchestre symphonique qui vient remplacer
l'ancienne société des concerts qui s'est dissoute
dernièrement, est dirigé par le violoniste, M. F.
Arbos. Quoique cet éminent virtuose n'ait pas tout
à fait l'habitude de la direction, néanmoins il
mérite de grands éloges. Il lui faudrait aussi le sens
supérieur des œuvres; Beethoven et Wagner, par
exemple, sont rendus sans grand caractère. Mais
tout viendra avec le temps et l'étude.
Ed. C. Ch.
MONTREUX. — Nous venons d'assister
au dernier concert symphonique dirigé par
M. Jûttner. Le programme contenait la Symphonie
■pastorale de Beethoven, le Songe d'une nuit d'été de
Mendelssohn, le Voyage au Rhin de Siegfried, du
Crépuscule des Dieux de Wagner, et, pour terminer,
l'ouverture de Léonore n° 3 de Beethoven. L'exécu-
tion de ces œuvres a été bonne, celle du Voyage
au Rhin et surtout celle de l'ouverture de Léonore
ont atteint la perfection.
M. Jûttner a eu la bonne idée de reproduire sur
le dernier programme la liste complète des œuvres
qu'il a fait exécuter durant la saison qu'il vient de
clore. Nous y relevons trente symphonies an-
ciennes et modernes, dix poèmes symphoniques,
trente-sept ouvertures, vingt-huit morceaux divers,
sans compter les concertos, romances, fantai-
sies, etc., pour des solistes, parmi lesquels on peut
citer les violonistes Sarasate, Burmester, Marsick,
Stevens, Kiss ; les violoncellistes Casais, Grùtz-
macher ; les pianistes Bauer, Horszowski.
A partir du Ier juin prochain, M. Jûttner quitte
définitivement l'orchestre du Kursaal de Montreux,
que, depuis le Ier août 1889, il dirigeait avec la
plus grande distinction; cet orchestre que M.
Jûttner a mis à la tête du mouvement musical en
faisant revivre les belles pages des maîtres clas-
siques et modernes et en faisant œuvre de régéné-
ration et de propagande artistique.
M. Jûttner sera vivement regretté non seulement
par les artistes de l'orchestre, mais aussi par les
nombreux habitués des concerts symphoniques,
qui tous rendent hommage à son travail persévé-
rant. H. Kling.
NOUVELLES
M. Weingartner, le fameux chef d'orchestre,
qui partageait avec M. Raab la direction des con-
certs de l'orchestre Kaim, à Munich vient de rési-
gner ces fonctions. M. Weingartner, obligé, par
un traité antérieur, de conserver pendant quelques
années la direction des concerts de l'Opéra de
Berlin, abandonne sa tâche à Munich pour se
livrer sans réserve à la composition. C'est une
perte sensible pour la métropole musicale de
l'Allemagne du Sud, où la vie artistique est si
active et si intense. On espère pourtant que l' émi-
nent chef d'orchestre, qui ne cessera pas d'habiter
Munich, consentira, au moins accidentellement,
à reparaître parfois à la tête de la belle phalange
sonore qu'il a si souvent conduite à la victoire.
Son successeur est déjà désigné. C'est un
Finlandais, M. Georges Schneevoigt, un jeune
artiste qui est né en 1872 à Wiborg, violoncelliste
d'un rare talent, qui, après avoir commencé son
éducation musicale à Helsingfors, est allé la
terminer à Sondershausen, à Leipzig et à Bru-
xelles, et qui a fait à travers l'Europe des tournées
de virtuose extrêmement brillantes. Le hasard
voulut que lors d'un passage à Helsingfors de la
troupe de l'Opéra de Stockholm, en 1899, celle-ci
se trouvât subitement sans chef d'orchestre et que,
sans préparation, le jeune Schneevoigt fût appelé
à remplacer l'artiste absent. Il s'acquitta aussitôt
de cette fonction d'une façon remarquable, et
bientôt fut engagé à Riga pour y diriger les con-
certs symphoniques, ce qu'il a fait avec succès
pendant quatre années. C'est M. Weingartner
lui-même qui l'a signalé à M. Kaim et qui le lui
à fait choisir pour son successeur. On augure
beaucoup du talent du nouveau chef d'orchestre,
dont la jeune femme est, parait-il, une pianiste
de premier ordre.
— L'acoustique des orchestres d'opéra.
Depuis plusieurs années, l'orchestre tout entier
408
LE GUIDE MUSICAL
avait été placé en contre-bas, à l'Opéra impérial
de Vienne. Cette disposition n'a pas donné d'heu-
reux résultats. Conséquemment, les estrades réser-
vées aux premiers et seconds violons, aux altos et
aux violoncelles, ont été surélevées. Les basses
et les instruments à vent conservent leur empla-
cement actuel. L'orchestre de Bayreuth est disposé
d'ailleurs d'une façon analogue.
— On vient de donner pour la première fois,
au théâtre municipal de Coblence, un mystère en
cinq actes de M.Wilhelm Heuzen, intitulé Parsival.
— A Erfurt a eu lieu la première représentation
de l'opéra Sakountala, texte de M. Schmilinsky.
musique de M. Balduin Zimmermann.
— Le théâtre municipal de Coblence a joué le
Crépuscule des Dieux pour la clôture de la saison.
Le capellmeister Sauer dirigeait l'orchestre.
— On nous écrit de Berlin :
La direction du Théâtre national a passé avec
la maison Sonzogno de Milan un traité aux termes
duquel une troupe italienne d'opéra jouera au
Théâtre national pendant le mois de juin. La
troupe sera dirigée par le Dr Morlini, directeur
des Opéras de Venise et de Milan. M. Tango rem-
plira les fonctions de capellmeister.
Voici les nouveautés qui seront exécutées : La
Tosca, Advienne Lecouvreur, la Bohème de Puccini,
Chérubin et Cendrillon de Massenet, etc.
— Un Festival Beethoven aura lieu à Bonn
cette année, du 28 mai au Ier juin, avec le concours
de M. Joseph Joachim et du Quatuor Joachim,
de la Société des Instruments, à vent de Paris, de
la Société des Instruments anciens, de Paris, de
M. F. Busoniet MM. Ernest de Dohnanyi.
Au programme : Les quatuors op. 5g, 54, g5,
i3i, le septuor, le quintette avec clarinette de
Mozart, des œuvres de Mouret, Bruni, Monteclair
et d'autres compositeurs français du xvme siècle,
le quatuor de Saint-Saëns pour piano et instru-
ments à vent, etc.
— A la suite d'une démarche personnelle faite
par S. A. S. Monseigneur le prince Albert de
Monaco auprès du martre Camille Saint-Saëns,
l'éminent compositeur a promis de réserver au
théâtre de Monte-Carlo la première de l'ouvrage
qu'il achève en ce moment et qui sera donc inscrit
au programme de 1906.
— La Maison des musiciens à Reims.
Le monde des archéologues était ces jours-ci en
émoi à l'annonce que la Maison des musiciens allait
être vendue, pour roo,ooo francs, à un Américain
qui prétendait en emporter les sculptures dans son
pays.
Cette maison, située rue de Tambour, est une
des curiosités locales qui attirent le plus les étran-
gers. La description en figure dans tous les guides.
Elle appartient à deux propriétaires. Sa façade
est ornée de cinq statues de musiciens qui sont des
chefs-d'œuvre. C'est la partie principale, celle de
droite, qui comprend trois des statues, qui devait
être vendue.
L'Américain amateur prétendait réédifier dans
son pays cette maison historique, dont la façade
gothique et les statues font seules la valeur.
Cette maison, attribuée aux comtes de Cham-
pagne, est le seul exemplaire pour le Nord-Est de
l'architecture civile du treizième siècle. Sa valeur
et son intérêt sont donc très grands ; aussi
s'était-on ému, dans les milieux artistiques rémois,
de la mesure qui se préparait. La Maison des
musiciens, en effet, n'étant point classée comme
monument historique, le propriétaire est libre de
l'aliéner ou de la détruire.
Mais la municipalité, elle aussi, s'est émue de
cette situation. M. Pozzi, maire, s'est rendu à
Paris, où il a conféré avec le sous-secrétaire d'Etat
aux beaux-arts. La maison sera sauvée.
BIBLIOGRAPHIE
— La Bibliothèque des Clavecinistes français, publiée
par MM. A. Durand et fils, vient de s'enrichir de
trois charmants morceaux de J. de Chambonnières.
La pavane intitulée L'Entretien des Dieux, une gail-
larde et une gigue (La Verdinguette). Ces compo-
sitions délicates remontent à l'année 1670.
A signaler encore, chez les mêmes éditeurs, une
pittoresque suite pour piano, d'Albéric Magnard.
intitulée Promenades (au Bois de Boulogne, à Vil-
lebon, à Saint-Cloud, Saint-Germain, Trianon,
Rambouillet), et la petite partition de poche du
quatuor de C. Saint-Saëns (op. 112). On ne saurait
trop apprécier ce mode de publication, si répandu
aujourd'hui en Allemagne, des œuvres d'orchestre
ou de musique de chambre. C'est l'éducation de
l'œil et de l'oreille à la fois qu'il réalise.
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Siflie année. — Numéro ai.
21 Mai 190S.
PETER CORNELIUS - SES LIEDER
n i853, le petit cercle d'élite que
Liszt et la princesse von Sayn-
Wittgenstein avaient groupé autour
d'eux fut un jour en grande fête, car
il recevait parmi ses « adeptes » un nouvel initié,
fervent et enthousiaste admirateur du génie
encore si discuté de Richard Wagner. C'était
Peter Cornélius (i). Venu de Berlin à Weimar
pour assister aux représentations wagnériennes
que Liszt y donnait, et pour essayer d'obtenir
par l'ardent apôtre du wagnérisme quelques
éclaircissements, Cornélius comptait bien
retourner aussitôt à Berlin ; il en fut tout
autrement. Fasciné par la personnalité de Liszt
et, d'autre part, retenu par le maître lui-même,
qui avait aussitôt reconnu les belles qualités
musicales du jeune artiste et son caractère sym-
pathique, Peter Cornélius se fixa définitivement
à Weimar, et c'est dans cette atmosphère
artistique que se développa, dans toute sa
puissance, le génie si personnel, si exquis que
révèle une séiie de compositions, de Lieder
surtout, où son inspiration s'épanche en iné-
puisables trésors.
Pour comprendre entièrement le' musicien,
(i) Ed. œuvres musicales : Breitkopf et Hsertel,
Leipzig (cinq volumes).
Œuvres littéraires : Poésies, avec introd. biogra-
phique par Adolf Stern (Kahnt, Leipzig) ; Lettres choisies,
deux volumes, publiées par son fils C. M. Cornélius
(Breitkopf, Leipzig); Aufsàtze iiber Musik uni Kunst,
publié par Edg. Istel (Breitkopf, Leipzig); Autobio-
graphie, 1874 (Ed. Kahnt, Leipzig).
Bibliographie : Leben uni Werke ies Dichtersmusikers
Peter Cornélius, von Ad. Sandberger (Kahnt, Leipzig).
il faut avant tout connaître l'homme, car,
chez Cornélius plus que chez tout autre,
« le style, c'est l'homme ». Ses aspirations, ses
sentiments, ses rêves, ses dispositions natu-
relles, ses admirations mêmes, tout cela est
fidèlement reflété dans ses œuvres, particuliè-
rement dans ses Lieder, où nous le retrouverons
tout entier.
Né à Mayence en 1824, Peter Cornélius
appartenait à une famille d'artistes : son
oncle (1) et parrain (qui portait le même nom
que lui) fut le grand peintre des épisodes de
Faust et de Y Odyssée, celui que la princesse
Wittgenstein appelait « le second Michel-Ange
de la peinture ». Son père était acteur et auteur
comiques en même temps; d'une culture univer-
selle et profonde, il voulut donner à son fils une
instruction au moins égale à la sienne, et s'en
chargea lui-même, la complétant par des études
musicales (piano, violon, chant et théorie)
pour lesquelles l'enfant témoignait de dispo-
sitions excellentes, rapidement développées par
la sympathie encourageante d'un cercle d'amis
artistes qui fréquentaient la maison paternelle.
En même temps, le père, qui désirait lui
voir faire sa carrière au théâtre, l'amenait
avec lui sur la scène, où le jeune Peter jouait
consciencieusement les rôles d'enfant. A seize
ans pourtant, il s'embarqua avec l'orchestre du
théâtre de Mayence pour l'Angleterre et, en
qualité de second violon, fit une saison à
(1) En vérité, cousin du père de Cornélius, familière-
ment appelé « oncle ».
4ià
LÉ GUIDE MUSICAL
l'Opéra allemand de Londres. A son retour, le
voilà engagé au théâtre de Wiesbaden; il y fit
son premier début sérieux, mais il fut si
mal accueilli et tant sifflé, que le pauvre pas-
sionné de théâtre en devint dangereusement
malade, d'une fièvre nerveuse qui l'obligea à
renoncer pour jamais à la carrière dramatique
et à se consacrer uniquement à la musique. A
cette époque malheureuse 1843, Cornélius
perdit aussi son père ; il fut recueilli par son
oncle, qui eut une grande joie à voir son neveu
suivre cette nouvelle direction. Il l'envoya étu-
dier la composition à la célèbre école de Dehn,
à Berlin, où Cornélius resta trois ans, travaillant
exclusivement les classiques. Enseignement
fécond, bien que sévère et un peu étroit; dans
l'école de Dehn, les règles rigoureusement
appliquées ne souffraient aucune exception.
Cornélius sentait pourtant qu'il fallait briser les
anciennes barrières, devenues trop étroites; le
libre et vrai génie devait-il connaître des
limites? Aussi, quittant ce maître trop sévère,
il se porta avec ardeur vers le mouvement
novateur, y prend part, s'assimile les nouveaux
procédés et s'en sert pour lui-même au grand
désespoir de son oncle, pour qui l'école « clas-
sique », et surtout « Mozart », représentait
l'unique et splendide modèle. Il avait certes
bon goût, mais il n'en fallait pas moins évoluer
avec le temps, ce que n'admettait pas le peintre.
N'aurait-il pas dit un jour, dans la chaleur
d'une discussion à ce sujet avec son neveu :
« Ecoute, Peter, je te le dis, si tu me jettes la
Flûte enchantée et le Don Juan sous la table, alors
moi, je te casserai les os ! » Ce qui n'empêchait
pas le grand peintre d'aimer et d'apprécier
hautement le jeune Peter Cornélius, ce qui
ressort clairement de ses nombreuses lettres, où
toujours il parle de « son très cher neveu, jeune
homme excellent et des mieux doués ».
Ayant quitté Beilin pour Dessau, Peter
Cornélius enseigna, étudia surtout et composa
des œuvres, peu impoi tantes encore et dans
tous les genres, qui lui servaient plutôt d'exer-
cices. Mais il revint rapidement à Berlin, où
la vraie et belle inspiration vient avec le
premier amour, et il aimait d'un cœur si
ardent, si passionné, si heureux aussi, que son
sentiment avait besoin de toutes les voix pour
libérer une âme débordante d'une si impérieuse
passion : voix de l'amoureux adolescent, voix
du poète et voix du musicien résonnaient tour
à tour, ou plutôt en même temps, pour chanter
une seule et divine mélodie ! La jeune fille
écoutait, répondait, inspirait; Cornélius chan-
tait toujours, jusqu'à ce qu'un jour, la mère
de la jeune « muse aimée » renvoya brusque-
ment l'ardent amoureux. Elle ne voulait pas
de « ce malheureux petit musicien, sans argent,
sans avenir (!) ». Désormais en Cornélius vibra
une nouvelle corde, car l'amour et la douleur
eurent à présent leurs chants, et si, à la suite
de cette aventure, l'homme fut moins heureux,
au moins l'artiste, lui, n'en fut que plus com-
plet. De cette époque il nous est resté une
exquise collection de poésies d'un charme et
d'une fraîcheur vraiment admirables, qui suffi-
raient à classer Peter Cornélius parmi les
beaux poètes lyriques de l'Allemagne au
xixe siècle-. Jusqu'à présent, le poète a dépassé
le musicien, mais la musique va bientôt défi-
nitivement prendre le pas sur tout le reste.
Dès son retour à Berlin, Cornélius s'est mis
avec ardeur à l'étude des premières partitions
wagnériennes. Son enthousiasme, pour Lohen-
gvin surtout, le conduit à Weimar où il veut
voir enfin une représentation modèle du
chef-d'œuvre tant admiré, sous la direction
de Franz Liszt. J'ai indiqué au début de cette
étude la conséquence inattendue de cet événe-
ment, qui décida Cornélius à rester à Weimar.
Dans le rayonnement de ce foyer d'art,
qu'était alors la petite ville saxonne, Cornélius
se sentit baigné d'une atmosphère vivifiante qui
excite et stimule en lui le compositeur. Les
œuvres se succèdent sans répit : c'est l'époque
de la création de la plupart des Lieder, très
nombreux, des chœurs pour voix d'hommes et
pour voix mixtes (1), des poèmes encore, des
critiques, des traductions aux textes de Liszt
et de Berlioz et enfin de son spirituel opéra-
comique, la plus connue de ses œuvres, le
Barbier de Bagdad. Achevé en i858, Liszt
monta cet ouvrage immédiatement à Weimar.
(1) L'op. 10 est écrit en l'honneur de Beethoven sur
le premier thème de l'Héroïque ; l'op. i3 est écrit sur
trois thèmes de Bach; l'op. 17 sur un thème de marche
de Schubert.
LE GXJIÏ)2 MUSICAL
41$
Il n'est point nécessaire d'insister sur les soins
minutieux dont l'œuvre nouvelle fut entourée;
une grande affection, une belle admiration sou-
tenaient Liszt dans sa conviction ; il espérait un
premier et franc succès pour Cornélius, mais il
avait compté sans les ennemis personnels, sans
les antiwagnériens surtout, qui trouvèrent l'oc-
casion favorable pour témoigner leur hostilité à
Wagner et Liszt en exécutant un jeune partisan
de la nouvelle école. Malgré les qualités de l'œu-
vre et sa parfaite exécution, le Barbier de Bagdad
fut sifflé et tomba sous les coups d'une misérable
cabale. Peu après, justement écœuré, Liszt
quitta pour jamais le théâtre de Weimar, suivi
de Cornélius, qui raconta en une lettre tou-
chante à sa sœur Suzanne (i) le triste événe-
ment; dans la bonté de son cœur, il a fait
une bien plus grande place au récit de toutes
les attentions, de tous les soins, de tout le
génie que Liszt prodigua à son œuvre qu'à la
chute même de l'opéra. Et la vie de Cornélius
est pleine de ces preuves de noble caractère,
où le moindre égoïsme n'eut jamais la plus
petite place.
Tour à tour, nous trouvons alors Cornélius à
Mayence, à Dresde, à Salzbourg, à Vienne
enfin, d'où il adressa à Mme Rosa von Milde (2),
son amie et l'une de celles aussi qui se dévouè-
rent entièrement à l'œuvre du compositeur, une
suite de douze sonnets achevés à Vienne
en i85g. L'échec, d'ailleurs, ne l'a pas décou-
ragé : il travaille plus que jamais, écrit beau-
coup et commence un nouvel opéra, Le Cid. A
Vienne aussi, il revoit Wagner, qui revenait de
Paris après la chute de son Tannhœuser. Les
deux compositeurs se rencontrèrent fréquem-
ment et leurs rapports furent de la plus grande
cordialité malgré quelques « orages » inévi-
tables et passagers. Cornélius soumettait à
Wagner ses nouvelles compositions, et à ce su-
jet, il est peut-être intéressant de noter ici que
si le maître de Bayreuth finit par exercer, dans
une assez large mesure, sa puissante influence
sur son jeune ami, celui ci, de son côté, n'en
eut pas moins l'honneur de lui fournir le
(1) Lettre citée par Sandberger dans sa biographie
de Cornélius.
(2) Rosa von Milde- Agthe créa à Weimar la pre-
mière Eisa de Lohengvin (28 août i85o).
thème du prélude à la sérénade de Beckmesser,
des Maîtres Chanteurs, auxquels Wagner tra-
vaillait précisément (1). Wagner conserva à
Cornélius une fidèle et chaude amitié et, revenu
à Munich en 1864, il eut comme premier soin
d'y appeler l'auteur du Barbier en la faisant
nommer professeur d'harmonie à l'Ecole royale
de musique de la ville. Excellent professeur,
Cornélius se consacra presque tout entier à
l'enseignement. En i865, le Cid fut repré-
senté à Weimar et eut quelque succès, auquel
Feodor et Rosa von Milde, merveilleux pro-
tagonistes de l'œuvre, aimés du public, ne
furent certes pas étrangers, le Cid n'avait
pourtant pas la valeur de l'opéra-comique
précédent; autant celui-ci brillait par l'hu-
mour, l'esprit léger et facile qui faisaient
presque oublier la longueur de certaines tirades
mélodiques où le « lyrique v Cornélius se
prélassait avec délices, autant l'autre manquait
d'envolée, de souffle héroïque ; c'est ce qu'on
ne trouva pas davantage dans son opéra ina-
chevé Ganlôd, la moins personnelle et la moins
intéressante de ses compositions : l'influence
wagnérienne y est aussi prépondérante dans la
musique que dans le poème (légende odinique).
Cornélius, très affaibli par de continuelles
souffrances physiques et par un travail trop
fort pour sa santé délicate, dut se décider à
prendre quelque repos. Mayence, sa ville
natale, l'attirait; il espérait y retrouver la santé,
mais il n'y vint que pour mourir (octobre 1874).
(A suivre.) May de Rudder.
WAGNERIANA
M Etienne Destranges, l'excellent directeur
1 de Y Ouest- Artiste, a découvert récem-
ment dans un numéro de Y Illustration de
l'année 1857 Une lettre sur Tannhauser signée du
(1) Voir l'explication relative à ce détail dans l'étude
sur les Lieder.
4H
LE GUIDE MUSICAL
nom ou du pseudonyme aujourd'hui complètement
oublié de Valleyres.
Cet article prophétique n'a, croyons-nous
jamais été reproduit et pourtant il mérite d'être
retenu par l'impression qu'il donne de l'œflvre
et la fermeté catégorique du jugement :
« Votre charmante revue à plus d'une fois
parlé du Tannliàuser, Monsieur, et avec quelque
défiance. Il y a des moments où le plus pauvre
témoignage a sa valeur, où le silence n'est pas
permis; ce sont ces moments où le public, mal
informé, s'apprête à juger quelque grande œuvre.
» Je crois que le génie a toujours son heure de
victoire ; certain, comme la vérité, de régner
un jour, le succès n'est pour lui qu'affaire de
temps. Mais derrière le génie abstrait, il y a
d'ordinaire un homme qui souffre de nos hési-
tations qui tuent parfois nos méprises; ne pas
témoigner pour lui lorsqu'on a foi dans son
avenir, se taire quand s'instruit son procès, ce
serait forfaire à un devoir de loyauté.
» Je ne sais si Richard Wagner a un système,
je ne sais s'il s'est donné pour tâche de boule-
verser les habitudes de l'orchestre, de la scène,
de donner la mélodie à l'instrumentation, de
donner l'accompagnement à la voix. Tout cela
m'est, je l'avoue, très indifférent. Mais ce que je
sais, c'est qu'ayant naguère entendu quelques
fragments de Wagner, exécutés dans une petite
ville d'Allemagne, par la musique d'un régi-
ment prussien, j'ai été du coup, saisi, envahi,
empoigné, pardonnez-moi la brutalité du mot, par
ces effets d'une puissance étrange et souveraine.
» Je ne connaissais ni Wagner ni ses œuvres.
Lorsque je vis son nom sur le programme, son
nom à côté de celui de Mozart, de Beethoven,
•l'ouverture du Tannliàuser à côté de l'ouverture
du Don Juan, d'Egmont, je me promis peu de
plaisir.
» L'orchestre était composé d'instruments de
cuivre; précis, passionné, avec des émotions
soudaines, toujours gouvernées, qui enflaient
l'onde sonore sans la laisser jamais s'emporter
en tapage, le chef, tenue militaire, figure pâle,
tournait le dos à son orchestre, ne le regardait
pas, le menait sans gestes avec un petit bâton
court qui dépassait à peine le pupitre. Physio-
nomie ineffable que celle-là; rien de très beau
dans les traits, mais le règne absolu de l'âme,
un front lisse où, dans les grandes tourmentes
de l'harmonie, se creusait seulement le fer à
cheval de Red Gaimtlet.
» C'était donc le Tannliàuser, l'ouverture. D'a-
bord ce chant magistral qui vous dit net à qui il
vous avez à faire ; et puis cette phrase satanique ,
qui glisse et siffle comme un serpent au travers I
de l'harmonie, et puis cette fanfare éclatant i
joyeuse du haut des tours de quelque vieux j
burg du temps de Barberousse, et puis cette •
sourde bataille des instruments, des effets, des I
idées, cette mêlée où chaque escadron reste dis-
tinct et se reconnaît à ses couleurs, puis ce I
travail d'enfantement où la puissance déborde, J ;
où la sagesse du génie prédomine; enfin, ce i
couronnement de l'œuvre, le chant des pèle- I
rins, ce chant qui vient d'autre part que de la
terre, proclamé à voix grave, à voix lente, à I
voix immense par les chœurs, tandis que monte, et !
se gonfle, et déferle en vagues toujours grossis- j
santés, la plainte désespérée d'une âme pour \i
laquelle il n'y a plus de pardon.
» A ce moment, le cœur se brise; le cœur de i
ceux qui en ont, bien entendu; là, sous les I
étreintes de ce chant lumineux, si triste dans sa
sérénité, géant, immuable, avec ces pleurs qui I
éclatent sous toutes les notes, à toutes les tran- I
sitions ! Et lorsque le chant, les pleurs, la plainte I
éternelle, tout sombre par un retour pénétré de j
tendresse dans la plénitude d'une harmonie |
calme, irrévocable comme la pleine mer où des-
cend le soleil qui vient d'éclairer un naufrage, i
— on reste muet, baigné de larmes, éperdu I
devant cette révélation.
» Cette révélation désormais vous hantera,
c'est un des caractères de la musique de Wagner.
On ne rompt ni avec ses mélodies, ni avec ses
allures, ni avec sa pensée; on reste sous une j
pression qui ressemble à l'étreinte de l'aigle.
» On la reconnaît aussi; elle a je ne sais quel
parfum sauvage, je ne sais quelle individualité
très simple, d'une étrangeté loyale, quelque
chose d'une lumière dérobée à d'autres planètes,
et qui la trahit d'emblée.
» Vous souvient-il, Monsieur, de cette parole
de Victor Hugo, dans Notre-Dame de Paris :
« Le cœur humain ne peut contenir qu'une
certaine quantité de désespoir. Quand l'éponge
est imbibée, la mer peut passer dessus, sans y
faire entrer une larme de plus ». Elle me reve-
nait à mesure que chantait le Tannhàuser. La
musique de Wagner est plus puissante que
l'Océan de Victor Hugo. Les régions de la dou-
leur sont ses royaumes : elle en sait des accents
que nul n'avait trouvés; elle en sait des profon-
deurs que nul n'avait sondées; elle vous tient
immobile, le cœur pressé sous les mains ; vous
ne pouvez sentir au-delà, non, vous ne le pou-
LE GUIDE MUSICAL
4i5
vez pas ! Vous vous trompez, la souffrance sera
pire, la joie plus intense; j'entends cette félicité
mystérieuse, éclose au fond de grandes peines
pour les âmes d'élite, pour ces âmes qui
mesurent le bonheur par l'infini, pour qui
l'abîme est un ciel, parce qu'on y peut large-
ment ouvrir ses ailes.
» Voilà pourquoi, Monsieur, Wagner n'aura
pas im succès de vogue emporté à la pointe de
l'archet ; voilà pourquoi un jour je ne sais
lequel, Wagner régnera souverainement sur
l' Allemagne et sur la France. Nous ne verrons
cette aurore ni vous ni moi peut-être; qu'im-
porte, si de loin nous l'avons saluée?
» Les éphémères disparaissent en musique
comme aux champs.
» Il y a quelque chose qui ne meurt ni en
musique, ni en vers, ni en prose ; ce sont les
paroles qui viennent droit de l'âme, qui en
sortent avec cette ampleur, avec ce Jîato, avec
ce caractère royal, je dirai presque despotique,
vrai sceau du génie.
» Ces paroles-là, ces oeuvres-là, sont toujours
contredites. Le médiocre porte son laisser-pas-
ser avec lui; le sublime, qui ne peut marcher
qu'en maître, dès qu'il se présente, rencontre
un : Halte-là ! Tu veux régner, établis tes droits !
» Il les établit en les exerçant.
Je vous dis que l'on passe et le prouve en passant.
» Quant à moi, je ne voulais qu'entrebâiller la
porte; c'est fait. Adieu. Valleyres. »
LA SEMAINE
PARIS
OPERA. — Petite reprise du Cid, au commen-
cement de la semaine dernière, pour les débuts
dé Mlle Mérentié dans le rôle de Chimène. Cette
jeune fille, dont nous avons parlé au moment des
derniers concours du Conservatoire, où elle a
vaillamment ealevé ses premiers prix de chant et
d'opéra, par un beau style et une voix déjà mûrie
par l'étude, était depuis longtemps désignée pour
paraître dans ce rôle si intéressant, à l'occasion
de la reprise projetée. Et ce serait déjà beaucoup
de constater qu'elle. n'a pas trompé les espérances
qu'on fondait sur elle; mais, en réalité, elle les
a un peu dépassées plutôt, et sa voix généreuse,
sa brune beauté, à l'expression facilement tragique,
font d'elle une des meilleures recrues de notre
grande scène lyrique. Les scènes de passion dou-
loureuse et fière ont été parfaitement rendues, et
avec une distinction pleine de goût. Et l'on sait
s'il est essentiel que l'interprète du personnage de
Chimène donne cette impression, car c'est de
beaucoup le rôle le mieux venu de cette partition
que son inégalité et la disproportion de ses inspi-
rations, trop souvent, avec son modèle cornélien,
ne placent qu'au second rang de l'œuvre de
M. Massenet.
La dernière reprise du Cid datait de 1900, et
avait déjà mis en ligne presque tous les mêmes
interprètes, MM. Alvarez et Delmas en tête, dans
Rodiigue et Don Diègue, dont je n'ai pas besoin
de dire combien ces rôles servent leurs voix géné-
reuses. Mlle Bréval s'était alors montrée pour la
première fois dans Chimène, Mme Bosman pour la
dernière dans le charmant personnage de l'Infaïite,
qu'elle avait créé en i885. C'est Mme Alice Verlet
qui l'a incarné cette fois, avec sa grâce habituelle,
relevée d'une pointe d'émotion. M. Gilly, très en
progrès aussi depuis quelque temps, a eu une fort
bonne allure dans le rôle du Roi. Au surplus,
voici, pour les curieux, un petit tableau des prin-
cipaux interprètes de l'œuvre depuis ces vingt
années qu'elle achève en ce moment. Ils ne sont
pas très nombreux, parce que, si le Cid a été très
souvent l'objet d'une petite remise à la scène de
trois ou quatre soirées, ses vraies reprises se
bornent en somme à quatre ou cinq.
Rodrigue : Jean de Reszké (i885...), Duc (1886),
Saléza (1893), Alvarez (1900).
Don Diègue : Edouard de Reszké (i885), Gresse
et Plançon (1886), Plançon et Edouard de Reszké
(1893), Delmas (1900...).
Le Roi : Melchissédech (i885...), Lambert (1889),
Beyle (1893), Noté (1900), Gilly (i.go5).
' Chimène : Fidès Devriès, Bosman (188S), Rose
Caron (1S86), Adiny (18S7, début), R. Caron et
Bosman (1893), Bréval et Grandjean (1900),
Mérentié (1905, début).
L'Infante : Bosman et d'Hervilly (i885...\ Ploux
(1886), Bosman et Marcy 11893), Bosman (1900),
Alice Verlet (1905). H. de C.
OPÉRA ITALIEN. — La Fedora de M. Um-
berto Giordano prouve deux choses : d'abord, et
une fois de plus, le tort des compositeurs de la
nouvelle école italienne de se laisser attirer par
des sujets aussi peu musicaux que les drames,
d'ailleurs si habilement charpentés, de M. Victo-
4i6
LE GUIDE MUSICAL
rien Sardou; en second lieu, quels progrès sensi-
bles lui-même a faits depuis, lorsqu'il a conçu et
écrit sa Siberia. Ce rapprochement, qui s'impose,
est, au bout du compte, tout à l'honneur de M. Gior-
dano; car s'il nous faut constater l'extrême
faiblesse de la partition de Fedora, nous pouvons
garder l'espoir qu'il comprend à quoi elle tient en
partie. Ces drames d'action rapide, sommaire, tiès
en dehors, ces passions fortes, ces coups de
théâtre, plaisent évidemment à la nature italienne,
et les musiciens qui s'en emparent se nattent, en
les serrant de près, en en soulignant avec soin les
moindres péripéties, d'être plus vrais, plus réels,
moins convenus, de faire, eux aussi, des drames
lyriques. Mais il leur faudrait, pour atteindre cet
idéal, être autrement symphonistes qu'ils ne le
sont, et plus patients aussi à ne pas devancer l'ins-
piration par leur extraordinaire facilité, par ce don
d'improvisation qui est de race. Aussi ceux qui
ont le mieux réussi ont-ils cherché la vérité de
l'émotion et la vivacité de l'expression sans renier
la mélodie pure, triomphe de l'école italienne. Il
me semble que, même dans Fedora (encore moins
propice que la Tosca, par exemple, et ce n'est pas
peu dire), M. Giordano aurait dû trouver moyen
de développer le côté purement lyrique, et que
son œuvre y aurait gagné...
C'est à Milan, le 17 novembre 1898, que l'œuvre
a été représentée pour la première fois. Comme il
y avait déjà quelque quinze ans que le drame de
Sardou courait le monde, il peut paraître superflu
d'en donner encore l'analyse aujourd'hui. J'en
rappellerai pourtant les traits essentiels, dans
l'adaptation assez adroite qu'en a faite M. Colautti,
en trois actes.
Le premier de ces actes nous introduit dans
l'hôtel du comte Vladimir, à Saint-Pétersbourg.
C'est le soir. La princesse Fedora, sa fiancée,
l'attend et s'étonne de son retard. Soudain, un traî-
neau s'arrête. Un policier entre, demande la
chambre du comte et retient du geste la princesse,
tandis que des hommes portent quelque chose
qu'on ne voit pas. Le comte a été assassiné, il se
meurt ; une enquête immédiate s'impose, à laquelle
Fedora, fébrile, se mêle ardemment. C'est l'inter-
rogatoire des domestiques, du cocher, du portier,
du diplomate français Siriex, qui a trouvé le
corps, etc. Et la conclusion arrête tous les soup-
çons sur la personne du comte Loris Ipanov, dont
on apprend d'ailleurs la fuite. Fedora jure de
venger le meurtre, et la police ne perdra plus de
vue ni Loris, ni sa famille.
Le second acte nous mène à Paris, chez la prin-
cesse, à une fête où elle a su attirer des exilés
politiques, parmi lesquels Loris, qu'elle séduit
même sans contrainte pour mieux surprendre sa
confiance. Jeu dangereux, auquel est souvent pris
qui croyait prendre. Déjà Fedora souhaiterait que
Loris fût innocent du meurtre qui pèse sur son
nom. Il est pourtant coupable, il l'avoue, mais
comme un devoir qu'il a rempli et dont il prou-
vera la justice. Plus de doute! Loris n'est qu'un
vulgaire nihiliste : Fedora lui donne rendez-vous
après la fête, mais ce n'est qu'un piège, et le poli-
cier russe qu'elle avertit guettera la sortie du
coupable. C'est la grande scène du troisième acte
de la pièce française, jointe ici au second, ce qui
vaut mieux; c'est le coup de théâtre inattendu qui
retourne soudain la princesse contre ce mort même
qu'elle voulait venger. Si Loris a tué le comte,
c'est après l'avoir surpris dans les bras de sa femme
à lui; et la lettre qu'il tend à Fedora, lettre toute
pleine de mépris pour sa fiancée, dont il n'aimait
que la fortune, est la preuve de sa trahison. La
princesse, outrée, hors d'elle, applaudit au meur-
tre... et retient dans ses bras Loris, car s'il part,
c'est la mort ; et elle l'aime.
Le troisième acte, c'est le coin de Suisse où
Loris et Fedora ont caché leur bonheur. Pas assez
cependant pour que leurs amis ne sachent où les
trouver. Aussi, voilà Siriex qui vient avertir Fedora.
que la justice russe a suivi son cours, que le frère
de Loris est mort en prison, que sa mère a suc-
combé de douleur. Voici des lettres qui apprennent
à Loris la double catastrophe, mais qu'on est sur
la piste de la femme qui l'a causée par ses dénon-
ciations ; un ami va même arriver pour lui en révé-
ler le nom Et Fedora, affolée entre l'indignation
de son amant et la terreur de l'arrivée de cet ami,
qui en précisera aussitôt l'objet, s'empoisonne,
avoue son crime et meurt dans les bras de Loris,
maudite d'abord, puis pardonnée.
Cet aperçu sommaire du drame était nécessaire,
même comme compte-rendu de la partition qu'il a
inspirée; car celle-ci s'est bornée à le suivre tel
quel, pas à pas, et comment dès lors s'étonner de
sa pauvreté musicale? Sans doute, M. Giordano a
tenté, en plus d'un endroit, de donner musicale-
ment quelqu'une des impressions qu'évoque l'ac-
tion, par exemple cette tension d'esprit qu'éprouve
le spectateur au cours du premier acte, de l'inter-
rogatoire et de la mort cachée du comte; par
exemple, au second, les chuchotements des invités
ou la fièvre d'attente de Fedora pendant les révé-
lations de Loris; au troisième enfin, les premières
terreurs de la princesse au milieu de son rêve
d'amour, ou la lecture haletante de la lettre reçue
par Loris.... Mais, en somme, quand on analyse
LE GUIDE MUSICAL
4i7
l'intérêt qu'on prend à ce spectacle, on s'aperçoit
que c'est au drame qu'il s'attache, non à la mu-
sique; ou bien alors, c'est que cette musique com-
porte par hasard quelques phrases mélodiques
éparses, soit dans la bouche de Fédora (au début
du premier acte ou dans le troisième), soit dans
celle de Loris (son aveu d'amour du second acte,
qui revient plus d'une fois), soit encore dans celle
de Siriex (une chanson au second acte, ajoutée à la
partition)..., et que ces phrases sont admirablement
chantées.
Et voilà en effet le secret du succès d'une œuvre
comme Fedora. Et c'est pourquoi je prétends que
les compositeurs italiens, sûrs d'avance de dispo-
ser d'une interprétation aussi essentiellement
lyrique, sûrs de leurs effets pour peu que les
chanteurs trouvent la moindre phrase mélodique à
mettre en valeur, auraient tout à gagner à rester
surtout des mélodistes. Mlle Lina Cavalieri (comme
naguère Mme Gemma Bellincioni, qui a créé le
rôle), MM. Caruso et Titta Ruffo ont été acclamés,
rappelés à outrance, mais je ne suis pas sûr que
la part du musicien soit bien grande dans ce
triomphe... La voix de M. Caruso n'est pas préci-
sément ce qu'on peut appeler enchanteresse, mais
elle est si pure, si homogène, si parfaitement
posée, si admirablement conduite, qu'elle fait
infiniment plus d'effet que telle voix de notre
connaissance qui a bien plus de puissance et même
de "richesse. Quelle école pour nos chanteurs, s'ils
voulaient apprendre à chanter, et comme ils
seraient les premiers à profiter de leurs peines!
Mlle Cavalieri n'est pas seulement d'une éclatante
beauté, sa voix est fort belle aussi, vibrante même
et très ample dnns le haut; de plus, son jeu
expressif et attachant, son émotion sincère, sont
bien plus intéressants que ceux de son partenaire,
vraiment trop gauches. M. Titta Ruffo, dont nous
avions déjà apprécié dans Siberia la voix mordante
et le jeu très sûr, donne beaucoup de relief au
rôle secondaire de Siriex. Enfin, M. Campanini
conduit avec une vraie flamme son excellent
orchestre. Mais quand on pense à ce que seraient
tant de talents réunis au profit d'un vrai chef-
d'œuvre!... Henri de Curzon.
Promenade en Fauré. — Les amateurs qui
ont, cet hiver, suivi les concerts Pleyel et
Erard ont dû certainement y entendre la majeure
partie des œuvres de Gabriel Fauré. En effet,
ses quatuors, sonates, mélodies, pièces pour piano,
ont figuré sur les programmes de chaque soirée ; en
sorte que, exception faite de ses compositions
symphoniques, on a eu presque toute l'œuvre ou,
du moins, la fleur de ce maître « exquis », épithète
prise dans son sens étymologique, qui s'applique si
bien à ce musicien « de choix » et d'une nature si
différente de celle des autres.
C'est ainsi que le 8 mai, au concert donné salle
Pleyel par le violoniste Georges Catherine, on
exécutait son quatuor en ni mineur pour piano et
cordes (le scherzo est comme une fine dentelle
brodée par Mendelssohn, et Y adagio a parfois la
largeur de style de Beethoven], et le ténor Mau-
guière chantait Après un rêve, une de ses premières
mélodies, encore tout imprégnées de la substance
de Schumann. Le lendemain, toujours chez
Pleyel, Mme Monteux- Barrière, pianiste au jeu
très pur, exécutait un nocturne et un impromptu,
et Mme Jane Arger faisait bisser le Poème d'un jour
et deux mélodies de la Bonne Chanson.
Ce n'est pas la lumière crue d'une grande salle
blanc et or qui convient à l'audition des œuvres de
Gabriel Fauré, mais le demi-jour d'un oratoire
silencieux ou d'un boudoir tiède et parfumé. Pour
entendre cette musique subtile, je rêve quelques
amis; pour l'interpréter, des artistes invisibles.
Là, pas d'applaudissements, pas de bis; on écou-
terait les yeux fermés, afin de mieux suivre la
pensée du maître et de s'en pénétrer plus intime-
ment.
Isolé et caché dans l'ombre du couloir attenant
au foyer, loin du public et du piano, n'apercevant
ni le compositeur qui accompagnait ses œuvres,
ni son interprète, j'ai goûté presque entière la joie
désirée. On m'a dit pourtant que voir la physio-
nomie expressive de Mme Arger double le plaisir
de l'entendre; mais, quand je crois avoir trouvé le
bien, je m'en tiens là et ne cherche jamais le
mieux. La voix douce et tendre de la cantatrice
me parvenait lointaine, le sens des mots parfois
m'échappait ; mais, à l'accent de la mélodie ému,
passionné ou mélancolique, j'avais la vision de
l'aimée rencontrée un matin de printemps et
comme l'écho des promesses éternelles et de la
plainte du dernier adieu : Poème d'un jour, amours
éphémères des jeunes années. Puis c'était la
Bonne Chanson, toute jolie avec son mystère et sa
grâce, où les cœurs se frôlent, se quittent dans les
larmes et se reprennent dans un baiser. La voix
qui berçait ma rêverie avait le timbre frêle et tout
prêt, semble-t-il, à se briser; ce n'était pas la voix
d'une professionnelle; on le devinait à l'émotion
instinctivemenl traduite et non apprise : c'était
une âme qui chantait. Sans doute, il y avait beau-
4i8
LE GUIDE MUSICAL
coup d'art dans l'interprétation, mais cet art,
Mme Nicot Bilbaut-Vauchelet avait enseigné à
Mme Arger comment on peut partout le faire
sentir sans qu'il apparaisse nulle part ; et quand
elle a dit le Printemps d'amour de Schumann, har-
monieusement accompagné par Mme Monteux-
Barrière — une artiste qui comprend bien, elle
aussi, cette musique parce qu'elle l'aime, — le
sentiment était si juste, si discret, nuancé avec si
peu d'apprêts, qu'elle a donné une expression
toute nouvelle à ce délicieux dizain mélodique.
C'est encore la musique de Gabriel Fauré qui
charmait quelques instants les auditeurs du pre-
mier concert de M. Lucien Wurmser, concert
d'attente et plein de promesses pour les deux
autres qu'il va donner la semaine prochaine.
M. Disraeli, une basse chantante au beau timbre
sonore, a été vivement applaudi dans les Berceaux
du maître charmeur, malgré le voisinage des mélo-
dies de Schubert, de Schumann, de Brahms et de
Wagner, qu'il a, d'ailleurs, fort bien chantées.
M. Wurmser, ce soir-là, n'a pas voulu exercer sa
virtuosité; il a préféré,, et nous lui en savons gré,
montrer la pureté de son style dans le trio (à
l'Archiduc) de Beethoven, et dans les deux quin-
tettes de Schumann et de César Franck, avec le
concours de l'excellent Quatuor Firmin Touche.
Mlles Zielinska, elles non plus, n'avaient pas
omis le nom de Fauré sur le programme du con-
cert qu'elles donnaient, le 12 mai, à la salle
Pleyel, soirée qui avait attiré une foule d'audi-
teurs. En exécutant sur la harpe chromatique un
impromptu de Gabriel Fauré, Mlle Hélène Zie-
linska ne donnait pas seulement la preuve de son
habileté technique, elle confirmait encore l'utilité
et l'importance du système Lyon, qui facilite
l'étude de cet instrument et le rend accessible à
l'exécution de tous les morceaux de piano, quels
qu'ils soient. Ce perfectionnement était aussi beau-
coup remarqué dans un Lied de Mendelssohn, dans
une valse élégante de Vincent d'Indv, et enfin
dans les Danses sacrées et profanes de Claude De-
bussy, que la charmante harpiste jouait avec grand
talent, sans me faire oublier Mme Wurmser-
Delcourt, qui avait donné, cet hiver, aux abonnés
de M. Colonne la primeur de cette œuvre étrange
écrite spécialement pour cet instrument. A ce
même concert, on entendait l'Elégie pour violon-
celle de Fauré, interprétée par Mlle Hélène
Zielinska, artiste au jeu inégal et nerveux. Les
deux sœurs étaient accompagnées par l'orchestre
avec adjonction de l'orgue. Malgré l'intérêt et la
variété de coloris qu'apporte la symphonie, j'en
regrette l'emploi dans ces sortes de concerts.
Quel que soit le mérite individuel des instrumen-
tistes et du chef qui les dirige (M. de Lacerda les
conduisait fort bien), l'ensemble reste toujours
indécis; ce défaut n'était pas apparent dans les
œuvres anciennes, comme celles de Haendel et de
Rameau, mais le concerto pour violoncelle de
Lalo faisait un peu trop ressortir l'insuffisance de
cet orchestre improvisé.
Ainsi donc, les œuvres de Gabriel Fauré triom-
phent dans tous les concerts; elles sont bien
proches d'obtenir,' sinon encore la popularité, du
moins l'admiration générale des gens de goût.
En tête de l'étude si fine qu'a consacrée au maître
aimé notre cher Hugues Imbert, le regretté
rédacteur en chef de notre journal a mis l'épigra-
phe suivante : « Souvienne-vous de celuy à qui,
comme on demanda à quoy faire il se peinoit si fort
en un art qui ne pouvoit venir à la cognoissance de
guère de gens, — J'en ai assez de peu, répondict-il.
J'en ai assez d'un. J'en ai assez de pas un. »
Cette pensée de Montaigne, reproduite dans les
Profils de musiciens, résumait exactement la nature
et le caractère de Gabriel Fauré. Mais le profil
tracé par notre ami date de 1888; que de chemin
parcouru depuis dix-sept ans! De bonne foi, un
compositeur peut croire qu'il écrit seulement pour
soi-même ; en réalité, il ne « se peine si fort » que
pour « venir à la cognoissance » de tout le monde.
Ce jour est arrivé pour Fauré. Réjouissons-nous de
voir enfin consacrée la gloire du plus discret fet du
plus séduisant des musiciens. Julien Torchet.
CONCERTS RISLER. — Un peu trop de
Liszt, vraiment, au troisième concert, du dimanche
14 mai : il ne faut pas abuser des meilleures
choses. La sonate en si mineur, dont la curiosité
et l'importance technique ne vont pas sans
quelque impression de fatigue, la polonaise en
mi, le prélude et fugue en la mineur (pour orgue)
de Bach, transcrit pour piano par le même
Liszt, ainsi que le chœur des fileuses du Vaisseau
fantôme, tel était le programme. Il est vrai que
M. Risler joue toute cette musique, plutôt difficile,
avec une aisance admirable, et que sa finesse légère
dans la dernière transcription est proprement
exquise. Cependant, peut-être son succès a-t-il été
plus complet encore pour ses accompagnements.
Il a joué en effet le cycle de quinze Lieder de
Schumann qui a nom l'Amour du poète (Dichter-
liebe), avec une délicatesse et un goût vraiment
enchanteurs. Le cycle était d'ailleurs interprété
LE GUIDE MUSICAL
419
de la façon la plus remarquable (en allemand) par
M. Raimond von Zur Miihlen, ténor à la voix un
peu fatiguée, mais capable de chauds élans et de
jolies sonorités, mais surtout diseur d'une vérité
et d'une émotion pénétrantes, avec une sobriété
de bon goût qui a fait le plus heureux contraste
avec certaines interprétations échevelées (pour ne
pas dire hystériques) que je pourrais nommer.
Je n'ai jamais entendu mieux rendre le fameux
Ich groïïe uicht. Notez d'ailleurs que la Dichterticbe ne
devrait jamais être chantée autrement que par une
voix d'homme. Il a tout à y gagner. H. de C.
— Les derniers échos du festival Beethoven
vibrent encore : ils ont été si chauds, si retentis-
sants pour saluer le merveilleux évocateur qu'est
M. F. Weingartner ! Même en dépit de ce malaise
continuel que donnait, sous sa main puissante et
comme fascinatrice, un orchestre manifestement
inférieur à une tâche aussi exceptionnelle, ou a eu
la commotion du génie même de Beethoven, on a
senti un peu passer le coup d'aile de cette grande
âme. Au bout du compte, l'esprit de l'œuvre du
maître est d'un prix plus rare encore que la per-
fection, le fini du détail., et sur ce point-là, la satis-
faction a été pleine et entière. Un seul petit accroc
au programme, à la fin. M. A. Rens, au dernier
moment, s'est trouvé malade, et M. Laffitte a dû
le remplacer dans la neuvième symphonie, mais
non dans l'air de Florestan, qui a dû disparaître
avec son prélude, si impressionnant. H. de C.
— C'est un délice d'entendre Mme Lula Mysz-
Gmeiner : on supporterait six soirées de suite
l'audition des plus médiocres récitals, si, à la fin
de la semaine, on avait en récompense ou en
dédommagement la joie d'écouter une artiste de
pareil talent. Parfois il m'est arrivé d'oser dire
que rarement chanteurs et cantataices égalaient
les virtuoses instrumentistes. Je maintiens mon
opinion. Mais. Mme Mysz-Gmeiner est une excep-
tion, qui confirme mon jugement. Sa voix a la
douceur prenante d'une flûte chantant dans les
sons graves, et un superbe éclat dans le registre
élevé. Soit instinct ou connaissance de l'harmonie,
elle appuie sur les notes étrangères à l'accord, ce
qui est la marque du style classique ; elle sait
donner aux sons la variété de coloris qui convient
à la phrase mélodique, son expression est simple
et juste, et la régularité du rythme et de la mesure
gardée dans les passages les plus passionnés n'est
pas la moindre des qualités de cette musicienne
admirable.
Il n'y a pas de degrés dans la perfection; je ne
puis donc que citer, parmi les mélodies chantées
par IV! me Mysz-Gmeiner, celles qui ont paru le
plus émouvoir le public : Plaisir d'amour, de Mar-
tini, Chanson du Papillon, de Campra, dites en
français; Berceuse et Barcarolle, de Schubert,
Chant de la Sorcière, de Mendelssohn, trois Lieder
de Schumann, dont la Nuit de Printemps a été rede-
mandée, même par un critique de ma connais-
sance, ennemi des bis et fier de son inconséquence.
Comme, après quatre mélodies de Weingartner et
de Strauss, qui clôturaient la séance, on criait
«Encore, encore!», la généreuse cantatrice a
chanté la spirituelle Sérénade inutile de Brahms.
M. Alfred Casella, qui l'accompagnait au piano,
a été, lui aussi, acclamé à plusieurs reprises. Il
n'était pas possible qu'on ne fît pas attention à un
musicien de ce mérite, bien digne, en vérité, de
collaborer avec une des plus grandes artistes de
ce temps.
— La Société de chant classique (fondation
Beaulieu) a donné le 10 mai son concert annuel
au théâtre de l'Ambigu. Pour justifier à peu près
son titre, elle a mis sur son programme la troisième
partie (l'Automne) des Saisons d'Haydn. Le reste
était réservé à des compositions essentiellement
modernes. L'œuvre du père de la symphonie est
trop connue pour qu'il soit besoin de s'y arrêter,
Elle a été très convenablement exécutée sous la
direction de M. Danbé. Une ouverture verveuse
d'Edouard Lassen ne l'a pas été moins bien, non
plus que l'Epithalame de Givendoline.
L'intérêt de la séance n'était pas là. L'accueil
chaleureux fait au Ludus pro patria, d'Augusta
Holmes, l'a prouvé d'une façon significative. Cette
ode-symphonie a eu l'honneur d'être exécutée au
Conservatoire en 188S, et je crois bien qu'on ne l'a
plus entendue depuis à Paris. La superbe toile de
Puvis de Chavannes paraît avoir inspiré le poète
et le compositeur, car on sait qu'Augusta Holmes
était l'un et l'autre. « Aimez, jeunes gens; hommes,
forgez les armes, et toi. France, bénis les jeux des
enfants. » C'est sur ce thème, développé en strophes
ardentes, que l'œuvre a été bâtie. Après un prélude
assez insignifiant et un appel des voix, l'ouvrage
débute pas un grand chœur sonore, coupé par une
phrase heureuse : « Souvenez-vous de votre
France ». Je regrette que la mélodie n'ait pas été
laissée à découvert; les harpes et les violoncelles
qui doublent les voix enlacent le chant et l'étouf-
fent. La seconde partie, La Nuit et l'Amour, est un
420
LE GUIDE MUSICAL
morceau sympbonique vibrant et passionné; le
chœur suivant est inspiré directement du chœur des
Anges de la Vierge : « Le messager du Roi des Rois »,
et il n'en vaut que mieux. La Chanson des Forgerons
est vigoureuse, bien rythmée, un peu brutale, mais
d'un brillant effet. L'ouvrage s'achève dans un
beau choral, auquel le compositeur a eu le tort
de ne pas conserver son caractère sévère, en le
surchargeant; vers la fin, des détails d'orchestration
superflus. Comment se fait-il que cette œuvre soit
de pure essence massenétique, tandis qu'Augusta
Holmes n'a jamais eu d'autre maitre que César
Franck? La paternité des œuvres féminines reste
toujours bien mystérieuse. T.
— Le premier des trois concerts donnés, rue
d'Athènes, par M. et Mlle Boucherit a eu lieu
mardi dernier, 16 mai, avec un très vif succès.
M. Jules Boucherit a fait apprécier les sonorités si
séduisantes de son violon et son style étoffé, plein
de pensée, dans la Fantaisie russe de Rimsky-
Korsakow, Y Aria de Bach, V Abeille de Schubert et
une mazurka de Zarzicki. Mlle Magdeleine Bou-
cherit, trop discrète, n'a paru seule au piano
que pour une gavotte de Rameau, la sonate en sol
de Haydn et les trente-deux variations de Bee-
thoven : choix classique qu'elle a rendu dans un
esprit très classique aussi, simple et délicat, sans
effets hors de propos. Comme intermède transcen-
dant, nous avons eu la joie, de plus en plus rare,
d'entendre Mme Rose Caron dans deux grandes
pages de haut style : la prière, de la Vesiale et le
songe à'Iphigénie en Tauride, qu'elle dit avec tant
d'âme et de noblesse. C'est Mlle Caron qui l'ac-
compagnait. H. de C.
— La séance consacrée par Mme Clotilde Klee-
berg-Samuel, le 9 mai, à la salle Erard, aux œuvres
de Beethoven, a été un long succès pour la char-
mante artiste. On l'a louée ici même bien souvent,
mais ce nous est un plaisir de signaler une fois de
plus ses admirables qualités.
Virtuosité impeccable, conscience parfaite, mé-
moire sûre, connaissance approfondie de l'emploi
de la pédale, font de Mme Kleeberg-Samuel une des
rares artistes femmes de tout premier ordre.
Après la sonate en ré majeur (op. 10), elle a joué
la délicieuse sonate en sol (op. 14), où elle a su
trouver d'exquises demi-teintes, des tons dégradés,
fondus, qui étaient, pour l'oreille, d'une jouissance
infiniment délicate. La sonate en mi bémol majeur,
exécutée avec une netteté, une précision, une
sûreté merveilleuses, valut de longs bravos à l'ex-
cellente virtuose.
Faut-il dire que nous aimons moins l'exécution
de la sonate en ut majeur (op. 53), désignée sous le
nom de L'Aurore. Il y eut là des altérations de mou-
vement, un peu de maniérisme qui ne laissèrent pas
que de surprendre. Mais nous n'insisterons pas sur
ce point. Nous voulons seulement citer une
réflexion entendue au départ : « Pour du Beetho-
ven, disait quelqu'un, c'est une interprétation très
féminine ! » Si le critique improvisé qui parlait
ainsi voulait dire que Beethoven n'est pas un auteur
féminin, nous en demeurons d'accord; le maitre
demande une puissance, une prise de clavier, une
profondeur d'exécution rarement féminines ; mais
s'il voulait dire que Mme Kleeberg-Samuel a su
rester femme et interpréter Beethoven comme elle
l'aime et veut nous le faire aimer, c'est un éloge
que nous joignons bien volontiers à ceux que nous
adressions tout à l'heure à cette grande artiste,
M. Daubresse.
— Le sixième concert de la Schola Cantorum,
donné le 14 mai, débutait par le Couronnement de
Poppée de Cl. Monteverdi (1642). Certes, ces résur-
rections du passé présentent un véritable intérêt
rétrospectif, mais elles ne présentent guère que
celui-là, et au bout d'un quart d'heure, le retour
des mêmes formules et des mêmes moyens d'ex-
pression n'est pas sans engendrer quelque mono-
tonie. Or, le Couronnement dure une heure. Une
sélection nous eût paru préférable. Venait ensuite
la cantate Weinen, Klagen, Sorgen, de Bach. Les
trois airs de contralto, de ténor et de basse ne
m'ont paru ni inférieurs ni supérieurs aux autres
airs de contralto, de ténor et de basse du maître
de Leipsig. Par contre, le choral de la fin est
vraiment beau. Parmi les solistes, citons Mme Le-
grand, M. Cornubert, qui fit preuve d'un art con-
sommé dans les terribles vocalises de Bach, et
M. Gibelin, à la voix profonde. Le concert se
terminait par les scènes IV et V du cinquième
acte à'Armide, chantées par Mlle Bréval et
M. David. M.
— La première séance donnée par Mme Mockel
à l'école d'art de la rue Fourcroy, le 9 mai, était
consacrée à la mélodie populaire française. Notre
excellent confrère M. Julien Tiersot, en une
conférence aussi captivante que documentée, nous
initia à cette forme d'art, qu'il a plus que tout
autre contribué à mettre en lumière et en honneur.
Non content de parler, il nous chanta lui-même
quelques-uns de ces airs nés de la terre, comme la
compTainte du Pauvre Laboureur, si grande et si
LE GUIDE MUSICAL
421
poignante. A côté de lui, Mme Mockel, avec sa
diction fine et pénétrante, fit merveille en ces
petits poèmes où l'intérêt des paroles l'emporte
souvent sur celui de la musique. Signalons notam-
ment le Roi Loys, Pernette, les Réponses de Marion,
deux cramignons wallons, et surtout l'admirable
Roi Renaud, qui valurent à Mme Mockel et aux
dames de son cours d'ensemble d'unanimes applau-
dissements. J. d'Offoël.
— Mme Van Goens. que nous avons souvent
appréciée sous le nom de Vllle Germaine Polack,
donne une série de trois séances de piano, salle
Pleyel. Celles du 9 et du 18 mai (la troisième aura
lieu le 27) nous a confirmé dans l'excellent souvenir
que nous avions de son talent. Dans l'une, elle a
joué avec beaucoup de charme la jolie sonate op. 10,
numéro 3, de Beethoven, tout particulièrement le
largo; la onzième sonate (en fa) de Mozart et quatre
romances sans paroles de Mendelssohn, dont la
treizième et la dix-septième, d'exécution assez
difficile et moins connues que les autres. Dans
la seconde séance, elle a exécuté une autre
sonate de Beethoven, la dix-neuvième (op. 90), et
une de Mozart, précédée d'une exquise fantaisie.
De plus, six pièces de Scarlatti, caprices, sonates,
etc. Chacun des deux programmes comprenait
encore deux œuvres de M. Daniel Van Goens, qui
ont été foit applaudies. F. A.
— M. Clark, on le sait, est un des plus délicieux
chanteurs de mélodies qui se puissent rencontrer.
Aussi n'est-ce pas sans surprise que nous l'avons
entendu à la salle des Agriculteurs, le i3 mai,
interpréter d'une manière très ordinaire quatre des
plus beaux Lieder de Schumann.M.Clark,il est vrai,
chantait en allemand, et nous sommes heureux
d'ajouter qu'il prit dans les mélodies françaises une
éclatante revanche. C'est avec un arl profond du
chant, des nuances et de la diction, qu'il nous
présenta Y Invitation an voyage de Duparc, le Plongeur
de Widor, le Passé qui file de Hillier — tous deux
bissés — et la Cloche de Saint-Saëns. En vérité,
M. Clark ne devrait chanter qu'en français, car,
quand il se sert de l'allemand, ses intentions les
plus fines et les plus justes sont perdues pour la très
grande majorité du public. Ceci apparut surtout
dans Tlilaiid, cycle de dix Lieder de von Fielitz, assez
ternes d'ailleurs, et dans quatre morceaux de
Richard Strauss, dont un cependant, Traum durai
die Dàmmerung, s'imposa par la puissante beauté de
sa ligne mélodique. J. d'O.
— Le i5 mai, à la salle des Mathurins, M.
Ricardo Vinès et Mme Camille Fourrier donnaient
une séance fort intéressante, consacrée à des
œuvres modernes françaises et russes. M. Vinès
fit applaudir son beau talent en de nombreux
morceaux, et notamment dans les Jeux d'eau de
M. Ravel, d'une évocation si fluide et si caressante,
.dans Slopacli, de Moussorgsky, qui fut bissé, ainsi
que dans plusieurs pièces précieuses de M. De-
bussy. Quant à Mme Fourrier, diverses mélodies
de Bouwens van der Boijen, Marguerite Debrie et
Ravel, d'une intonation plutôt difficile, et surtout
le magnifique Rêve de Balakirew, lui valurent un
légitime succès. J. d'O.
— Mlle Yvonne Péan, pianiste, a donné une
séance le n mai avec le concours de M. ten
Hâve. Au programme : La sonate en mi mineur
pour violon, celle en ut majeur pour piano, de
Mozart ; une transcription du Prélude, Fugue et
Variations de Franck par Mlle Péan, la sonate de
Franck pour violon. Cette jeune pianiste possède
un j^ délicat, un peu mince et sans grand éclat,
d'une sonorité un peu timide, un sentiment correct
des nuances. Mlle Kahn a chanté trois mélodies
de M. Moret, où domine la manière de Gustave
Charpentier .
— Le i3 mai, Mme Ingeborg-Malkine, MM.
Jacques et Joseph Malkine donnaient un concert
d'un goût parfaitement artistique, où les nombreux
auditeurs purent apprécier, en certains passages,
une exécution très personnellement vivante.
Mme Malkine exécuta avec correction et d'un
archet sûr le concerto de violon en la mineur de
Bach; il faut savoir gré à l'artiste de présenter
une œuvre d'une telle tenue, dont la forme
classique et la haute élévation d'idée permettent à
l'interprète un développement de tous ses moyens.
Dans un genre différent — romance de Sjôgren et
scherzo de Lalo — Mme Molkine a fait apprécier
de jolies qualités de brio et de souplesse. M. Jo-
seph Molkine est un violoncelliste russe de beau-
coup de talent, qui a exécuté Yadagio et Yallegro du
concerto de Haydn avec une finesse et une justesse
remarquables ; tout au plus peut-on critiquer une
insuffisante opposition d'allure entre le motif
majeur et le motif mineur du finale; la cadence a
été posée de main de maître, dans la complexité
périlleuse des doubles cordes et des traits dans
l'aigu. Cette œuvre, d'une simplicité exquise de
facture et en même temps d'une grande difficulté
de style et de sonorité, est un véritable régal, trop
rarement servi dans les concerts. M. Malkine a
422
LE GUIDE MUSICAL
été l'objet d'une ovation méritée. Il convient aussi
de féliciter ces excellents musiciens d'avoir rem-
placé l'accompagnement au piano par le double
quatuor sous la conduite de M. Bourgeois.
Ch. C.
— MM. Charles Bouvet et Joseph Jemain ont
organisé deux séances consacrées exclusivement
à la musique de chambre et au Lied de Robert
Schumann.
La première soirée, donnée le vendredi 12 mai, a
de tout point réussi. M. Bouvet fit apprécier son
coup d'archet souple et léger, son style pur et
ferme, son jeu net et précis, auquel manque
parfois un peu d'ampleur et de puissance. M.
Jemain, accompagnateur délicat et discret, donna
la réplique à M. Bouvet dans la sonate op. 21, en
ré mineur, affirmant ses élégantes qualités techni-
ques et sa très pénétrante intelligence artistique.
Le quatuor à cordes en la majeur, le trio en fa
majeur et cinq morceaux pour piano et violon-
celle, op 112, auxquels M VI. Gravrand, Migard et
Marthe prêtaient leur concours très cohérent et
discipliné, complétaient le programme instrumen-
tal.
M. Frolich, de sa voix chaude et généreuse,
chanta quelques-unes des mélodies les plus pre-
nantes du maître et remporta un succès per-
sonnel très vif et très mérité.
Seconde séance le samedi 27 mai, salle Erard.
G. R.
— La température a fait tort à V « Heure de
musique » promise par M. Engel et Mme Bathori :
la petite salle des Mathurins était, le i3 mai, à
moitié pleine ou à moitié vide, ce qui n'est pas
tout à fait la même chose. Et pourtant d'intéres-
santes auditions étaient annoncées. Entre les
meilleures musiques et une première journée de
mai, la lutte est inégale. En vain se sont mises en
ligne les mélodies de MM. Vuillemin, Diot, Paul
Lacombe, presque toutes ont succombé. Celles de
M. A. Wieniawsky ont résisté plus longuement,
soutenues qu'elles et aient par l'accompagnateur
Grovlez; mais que voulez-vous qu'elles fissent
contre le soleil? Seules, les compositions de
M. Gabriel Dupont, l'heureux auteur de la Cabrera,
ont fait, un moment, oublier l'ennui de rester
enfermé. On a fort goûté la Mort des Marjolaines,
Si j'ai aimé, le Silence de l'eau et surtout la Douceur
du soir. Puis, les chants s'étant tus, le combat a
cessé : la victoire restait acquise au printemps.
T.
— Le vendredi 19 mai, une audition de quelques
élèves de l'école d'orgue et de .composition de
M. Eugène Gigout (fondée en iSS5) a été donnée
chez M. et Mme Edm. de Lahendrie, boulevard
Montparnasse. On a entendu, avec ces élèves des
deux sexes, qui font honneur à leur éminent
professeur, MVT. Nucelly et J. Hollman, ainsi que
Mlle Eléonore Blanc. Au programme, nombre
d'oeuvres de Bach, Mendelssohn, Saint-Saëns,
Boëllmann, Franck, Gigout, de Montrichard....
— Mlle Lucienne Bréval vient d'accepter la
proposition que lui avait faite le compositeur
hongrois M. Max Vogrich de créer à l'Opéra, le
rôle de Yasothara dans son opéra Bouddha. On se
souvient du succès que cette œuvre a remporté en
Allemagne; M. Gailhard l'a inscrite à son pro-
gramme de l'hiver prochain.
A l'Opéra- Comique. — Mme Gemma Bellincioni,
qui est engagée pour une série de représentations,
chantera, outre la Cabrera de MM. Henri Cain et
Gabriel Dupont, la Tosca de MM. Sardou et
Puccini.
Les répétitions de Chérubin, de M. Massenet,
se poursuivent activement, et la première repré-
sentation pourra probablement être donnée la
semaine prochaine.
&
— L'épreuve éliminatoire du concours de
Rome (section musicale; a donné le résultat sui-
vant :
Sur dix-neuf candidats, six ont été admis à subir
la dernière épreuve. Ce sont, par ordre de classe-
ment : MM. Dumas (Louis-Charles), vingt-huit
ans, premier prix d'harmonie en 1901 ; Rousseau
(Marcel), vingt-trois ans, premier d'harmonie et
prix Rossini en igo3; Gaubert (Philippe1*, vingt-six
ans, premier prix de flûte en 1894, premier prix
de contrepoint et fugue en 1904, second chef d'or-
chestre de la Société des Concerts (a déjà concouru
en 1904); Motte-Lacroix (Louis-Ferdinand1, vingt-
cinq ans, deuxième prix de piano en 1S94, premier
prix d'harmonie en 1900, premier accessit de con-
trepoint et fugue en 1904; Gallois (Victor-Léon),
vingt-cinq ans, deuxième prix d'harmonie en 1898,
premier prix de contrepoint et fugue en 1902 (a
déjà concouru en 1904); Estyle (Abel-César),
vingt-huit ans, premier acecessit de piano en 1896,
premier prix d'harmonie en 1S94, premier prix de
contrepoint et fugue en 1S97, deuxième accessit
d'accompagnement en 1900.
Le jury était composé de MM. Théodore Du-
bois, Lenepveu, Massenet, Paladilhe, Reyer,
Roujon, membres de l'Institut, Duvernoy, Hille-
macher et X. Leroux.
LE GUIDE MUSICAL
423
Les six candidats favorisés sont élèves de
M. Caussade (classe Lenepveu). L'éminent pro-
fesseur titulaire de composition au Conservatoire
a, par délicatesse, refusé de voter; par modestie,
M. Roujon en a fait autant. T.
— Les examens de fin d'année, pour l'admission
aux concours, au Conservatoire, sont fixés aux
dates suivantes :
Mardi 23 mai, g h. du matin : solfège instru-
mentistes, dictée, théorie.
Mercredi 24 mai, 9 h. du matin : solfège chan-
teurs, dictée, théorie.
Jeudi 25 mai, 9 h. du matin : solfège, — classes
de MM. Rougnon, Schwartz, Kaiser, Cuignache,
Sujol, Mlle Hardouin, Mmes Renart, Marcou, Roy,
Sautereau, Massart, Vizentini.
Vendredi 26 mai, 1 h. : solfège chanteurs, —
classes de MM. Vernaelde, Auzende, Mangin,
Mme Vinot.
Samedi 27 mai, de 4 h. à minuit : mise en loge,
fugue.
Lundi 29 mai, midi: classes de MM. Lenepveu,
Widor, Fauré ; de 4 à 8 h. : mise en loge,
harmonie.
Mardi 3o mai, midi : harmonie, — classes de
MM. Pessard, Ta.udou, Lavignac, Leroux, Cha-
puis, Marly.
Mercredi 3i mai, 9 h. du matin : classes de
MM. Charpentier (contrebasse), Laforge (alto),
Loeb, Cros-Saint-Ange (violoncelle).
Vendredi 2 juin, midi : orgue, — classe de
M. Guilmant.
Samedi 3 juin, 9 h. du matin : classes de MM.
-Hasselmans (harpe). Falkenberg (solfège), Mmes
Tassu-Spencer (harpe chromatique), Chêne, Tar-
pet, Trouillebert (piano préparatoire).
Lundi 5 juin, 1 h : chant, classes de MM.
Warot, Ed. Duvernoy, Dubulle, Lassalle.
Mardi 6 juin, 1 h. : chant, — classes de MM.
Masson, de Martini, Manoury, Mme Rose Caron.
Mercredi 7 juin, 1 h. : accompagnement, —
classe de M. Vidal.
Jeudi 8 juin, midi : piano, — classes de MM.
Diémer, Philipp, Delaborde, Alph. Duvernoy,
Marmontel.
Vendredi 9 juin, 1 h. 1/2 : opéia-comique, —
classes de MM. Isnardon, Bertin.
Samedi 10 juin : violon préparatoire, — classes
de MM. Desjardins, Brun.
Mercredi 14 juin, 1 h. 1/2 : opéra, — classes de
MM. Melchissédec, Lhérie.
Jeudi i5 juin, midi : violon. — classes de MM.
Lefort, Berthelier, Remy, Nadaud.
Vendredi 16 juin, 10 h. du matin : déclamation,
— classes de MM. Silvain, de Féraudy, Leloir, Le
Bargy.
Samedi 17 juin, 1 h : déclamation, — classes
de MM. Paul Mounet, Berr.
Lundi 19 juin, i.h. : classes de MM. Taffanel
(flûte), Gdlet (hautbois), Turban (clarinette), Bour-
deau .basson).
Mardi 20 juin, 1 h. : classes de MM. Brémond
(cor), Mallet (cornet à pistons), Fransquin (trom-
pette), Allard (trombone).
Mercredi ai juin, 1 h. : classe de M. Charles
Lefebvre (ensemble instrumental).
Nous cro3rons pouvoir annoncer que, selon le
vœu général, les concours publics auront lieu,
cette année, dans la salle de TOpéra-Comique.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Rarement représentation de gala fut plus brillante
que celle qu'avaient organisée, mardi dernier,
MM. Kufferath et Guidé sur la demande de la
Société royale hippique. LL. AA. RR. Mme la
comtesse de Flandre, le prince et la princesse
Albert de Belgique y assistaient dans la grande
loge royale.
■ Le programme comportait Paillasse, qui a été
un triomphe pour M. Thomas-Salignac, excellem-
ment entouré par MM. Bourbon et Forgeur,
Mlle Brozia, M. Crabbé; l'admirable scène du
Temple d'Alceste, qui a valu à Mme Félia Litvinne
de magnifiques ovations et à M. Bourbon, superbe
dans le rôle du grand prêtre, de longs applaudis-
sements ; des danses du xvme siècle, exécutées
à ravir par M'"es Zambelli et Salles de l'Opéra de
Paris, et la Fête du Printemps de Hamlet avec
ces deux mêmes artistes comme gracieuses prota-
gonistes. R. S.
CORRESPONDANCES
DRESDE. — La Norma, reprise l'an dernier
après un long intervalle, a été exécutée le
26 avril à l'Opéra royal devant une salle comble.
Près de nous, un ancien violoniste de passage, qui
a pu l'applaudir dans nombre de théâtres d'Italie,
s'extasiait sur la magistrale direction de M. von
Schuch. Quelques réserves seraient à faire cepen-
424
LE GUIDE MUSICAL
dant, pour l'éclat, rude parfois, de certains cuivres
et pour la lourdeur de plusieurs effets rythmiques.
L'opinion de ce dilettante expérimenté se trouve
confirmée par le jugement d'un éminent critique
d'art, Mme Karchow-Lindner. Pour l'éditrice de
Y Internationale Kunst und Theater Zeitung (n° 18, VII.
Jalirgang), comme pour nous-même, il est néces-
saire que les interprètes de l'œuvre de Bellini
(Mme Abendrotli exceptée) s'appliquent à ressus-
citer les mouvements si caractéristiques des
opéras de i83o. La musique de cette époque exige
dans l'attaque, l'inflexion et la terminaison des
rythmes une spéciale virtuosité. Quiconque a
beaucoup pratiqué les écoles italiennes sait qu'elles
se distinguent des autres surtout par l'interpréta-
tion rythmique. Une apparence continuelle d'im-
provisation, de création instantanée, où prédo-
minent les mouvements passionnés, un départ
mordant, une allure ondulante, des crescendo ner-
veux qui contrastent avec l'ampleur des rallentando,
le tout bien soutenu et comme drapé dans un
mouvement général sans défaillance, telle appa-
raît la dominante de l'interprétation italienne.
L'événement du jour est le départ de Mme Nast,
qui, mariée récemment, va se fixer en Finlande.
C'est une perte pour Dresde. Depuis à peu près
huit ans que Minnie Nast avait débuté à l'Opéra
royal, son succès était toujours allé grandissant.
La voix fraîche et sympathique qui convenait si
bien au rôle du berger dans T annhàuser était
devenue assez ample pour la partie d'Eva des
Maîtres Chanteurs et assez impressionnante pour
réaliser une jolie création de Mimi dans la Bohème
de Puccini. Lundi dernier, la salle de l'Opéra
était remplie d'un public venu tout exprès pour
acclamer sa chanteuse favorite. Plus de trente fois
on l'a fait revenir sur la scène, jusqu'à ce que,
épuisée, elle a jeté ses mots : « Je reviendrai ». Le
naturel était sa qualité dominante; c'est celle que
nous souhaitons rencontrer chez l'artiste qui la
remplacera, souhait que les comédiens d'Allemagne
réalisent assez fréquemment.
Un autre départ prochain est celui de M. Bur-
rian, dont la santé délicate oblige, à la dernière
heure, à des changements de spectacle ou à la
recherche de suppléants. Doué d'une très jolie
voix de ténor, M. Burrian charme son public dans
les Maîtres Chanteurs, dans Siegfried, mais il réussit
moins complètement avec des opéras véristes tels
que la Bohème.
Aussi a-t-on chaleureusement applaudi, à la
représentation d'adieux de Mme Nast, M.Schrôdter
du Théâtre impérial et royal de Vienne, qui nous
a donné un Rodolfo en tous points excellent.
La question sera maintenant d'obtenir un bon
ténor lyrique. La scène de Dresde possède heu-
reusement un « Heldentenor » de première marque,
M. von Bary, dont le répertoire s'accroît sensi-
blement. Par exemple, les Folkunger de Kretschmer,
qu'il a chantés le jour de Pâques avec Mmes Wit-
tich et von Chavanne, M. Scheidemantel, ont eu
un renouveau de succès. Quelle voix chaude et
sûre que celle de M. Scheidemantel! A quelle
excellente école seront formés les élèves privilé-
giés qu'il consent à préparer au théâtre ! Son
distingué collègue M. Perron a été ces jours
derniers 1res applaudi dans le Démon de Rubin-
stein, un de ses triomphes, mais sa voix est quel-
quefois un peu lasse ; du moins faut-il attribuer à
cela les notes qui ont déparé samedi l'exquise
romance à l'Etoile du Tannhâuser.
Le 3o avril, centième de Hcensel et Gretel avec
Mmes Wedekind et von der Osten. Applaudisse-
ments, rappels, rien n'a manqué pour honorer le
talent de l'auteur et des interprètes.
A l'Opéra, le concert annuel du dimanche des
Rameaux a clôturé solennellement la saison des
concet-ts. Plus de cent musiciens d'orchestre et
quatre cents choristes, avec MM. von Bary et
Rains comme solistes, ont exécuté la scène finale
du premier acte de Parsifal et la neuvième sym-
phonie de Beethoven. Cette œuvre magistrale est
de tradition à Dresde pour le dimanche des
Rameaux. Reissiger la conduisit en i838; Richard
Wagner, en 1846, 1847 et 1849. La direction était
échue cette année à M. Hagen, maître de chapelle
de la Cour, qui a mené l'orchestre avec sa science
et sa conscience habituelles. La manière supé-
rieure dont, le 12 mai, ce chef expérimenté dirigea
l'exécution de Faust constitue un précieux hom-
mage à la mémoire de Gounod. Faust, admi-
rablement chanté par M. von Bary, qui incarne
toute noblesse, a été joué en héros de tragédie.
Dans Valentin, une fois de plus, M. Scheidemantel
a réalisé la perfection du jeu et du chant. Noblesse
oblige et, en compagnie de tels partenaires,
Mlle Schenker s'est surpassée dans le rôle de
Marguerite, qu'elle interprète avec une douceur
pénétrante; sa voix et sa composition, très en
progrès, n'ont rien laissé perdre de la touchanfe
poésie dtupersonnage. Par le charme de son con-
tralto et la vigueur de son tempérament d'artiste,
Mlle Schâfer (Siebel) atténue la contradiction entre
l'interprète et son rôle masculin. Le bel organe de
M. Rains, l'incomparable justesse de sa concep-
tion et l'intensité vivante de sa technique nous ont
valu un splendide Méphisto. Les chœurs? Admi-
rables. Il serait peu équitable de ne pas men-
LE GUIDE MUSICAL
42B
tionner la collaboration efficace dà, M. Morris,
j un régisseur français hors ligne. Alton.
G AND. — Après s'être fait entendre à Bru-
xelles, où son récital de piano obtint un si
grand succès, Mlle Palmyre Buyst vient de faire
apprécier son talent par le public gantois, en un
concert organisé dans la salle du Cercle artistique.
Cette virtuose possède des qualités techniques
remarquables, et en exécutant un programme très
varié quant au caractère des œuvres qui le compo-
saient, elle a fait valoir la souplesse, la sûreté et la
simplicité de son jeu.
Le public a acclamé Mlle Buyst surtout après la
sonate de Chopin op. 58 et la pastorale de Scar-
latti. Elle avait pourtant rendu de façon très bril-
lante la sonate en ré mineur de Beethoven. A
signaler aussi la délicatesse de son toucher dans
le Coucou de Daquin. Le programme comprenait
encore des pièces de Schumann, Brahms, Grieg,
Czerny et Liszt.
Les applaudissements et les rappels n'ont pas
manqué au succès remporté par la vaillante
artiste. M.
NOUVELLES
On avait eu de Boston, où il se trouvait en ce
moment, d'assez mauvaises nouvelles de la santé de
Paderewski, en proie à des troubles nerveux; mais
on apprend avec plaisir que l'état du célèbre artiste
s'est depuis beaucoup amélioré et qu'il a même pu
partir de New-York pour l'Angleterre, où il était
attendu. Il ne tardera pas à rentrer à Paris, où il
compte séjourner quelques semaines.
— Lundi dernier s'est terminée à Londres, au
théâtre de Covent Garden, la seconde série de
Y Anneau du Nibelung, donnée par les artistes alle-
mands, sous la direction de Hans Richter. Cette
fois encore, ces deux séries du Ring ont eu un
succès énorme et ont fait salle comble. Dans la
première série, le rôle de Brunnhilde avait été tenu
par Mme Wittich; dans la seconde, c'était Mme
Félia Litvinne, dont le succès a été considérable.
Pendant la représentation du Crépuscule, il n'y a pas
eu moins de quatorze rappels. Le ténor von
Krauss a vaillamment chanté Siegfried. Parmi les
artistes les plus remarqués, il faut citer Mme
Kirkby-Lann, admirable dans Erda et Waltraute,
et le baryton Wetchill, qui a passé par la Monnaie
de Bruxelles et l'Opéra-Comique de Paris.
— Au théâtre municipal d'Aix-la-Chapelle, le
Vœu, opéra nouveau en un acte, paroles de
M. G. Weinberg, musique de M. Ant. Eberhardt,
a été donné pour la première fois.
— Le théâtre de la Fenice, à Venise, vient de
donner une exécution de la Vita nuova de Wolf
Ferrari.
— Sous la direction de M. Rottenberg, l'Opéra
de Francfort a repris YOtello de Verdi, après une
interruption de douze ans.
— Le compositeur Armas Jàrnefelt a fait exécu-
ter pour la première fois à Helsingfors la Walkyrie
de R. Wagner. Mme Jàrnefelt et Ellen Gulbranson
interprétaient les rôles de Sieglinde et de la
Walkyrie.
— Aussitôt la première représentation de
Y Enfant-Roi à Paris, M. Alfred Bruneau s'est remis
au travail sur un nouveau poème d'Emile Zola.,
intitulé : Lazare.
— Les programmes des six concerts qui seront
donnés à Londres dans la belle salle du Queen's
Hall à l'occasion du festival musical belge, les
1, 2, 3, 6, 7 et 8 juin prochain, viennent d'être
publiés. On sait qu'ils seront exécutés par l'excel-
lent orchestre du Kursaal d'Ostende, conduit par
M. Léon Rinskopf, directeur de l'Académie de
musique et directeur artistique au Kursaal d'Os-
tende.
Ils comprennent les noms des compositeurs les
plus réputés de toutes les époques et de toutes
les écoles, depuis Bach, Corelli et Haendel jusque
Saint-Saëns, Wagner et Richard Strauss, et la
Belgique y est représentée par Psyché de César
Franck, La Mer de Paul Gilson et la symphonie
en fa de Théo Ysaye.
On sait que l'orchestre d'Ostende, qui comprend
cent vingt-cinq musiciens, est exclusivement com-
posé d'éléments belges et, dans le but de faire du
festival une manifestation nationale, M. Rinskopf
n'a engagé que des solistes belges, parmi lesquels
citons Mme Hélène Feltesse, MM. Ernest Van
Dyck, Arthur De Greef, Jean Gérardy, Edouard
Jacobs, César Thomson. Quelques solistes de
l'orchestre : M>'e Stroobants, MM. Ed. Deru,
J. Jansens, Strauwen et J. Petit, se produiront
également.
Ajoutons que le festival est sous le patronage
du ministre de Belgique en Angleterre, et que son
4'iê
LE GUIDE MUSICAL
organisation est confiée à un autre de nos artistes
établi à Londres : M. Louis Hillier.
— Voici le programme exact du festival de
trois jours qui sera donné au Concertgebouw
d'Amsterdam au profit de la caisse des pensions
de l'orchestre, les 19, 20 et 21 mai : Le 19, sous la
direction de M. Mengelberg, la Messe solennelle de
Beethoven; le 20, concert sous la direction de
M. Max Schillings pour l'audition de ses œuvres;
le 21, la cinquième et la neuvième symphonie
(avec chœurs) de Beethoven, sous la direction de
M. Mengelberg. Les solistes qui prêteront leur
concours seront Mn,e' Belhvidt et de Haan-Mani-
farges; M. Ludwig Hess. Il est à craindre que
M. Messchaert, qui vient de tomber malade, ne
doive être remplacé.
— Les concerts du Kursaal de Scheveningue
reprendront le Ier juin, avec le concours de l'Or-
chestre philharmonique de Berlin. Quatorze
grands concerts seront donnés le mercredi, du
14 juin au i3 septembre, avec le concours de
Mmes Halle (Norman Neruda) et Renée Chemet,
violonistes, Eisa Rùegger, violoncelliste ; de
Mmes Julia Culp, Scalar, Rosa Ettinger, canta-
trices; de MM. Urlus, Raoul Pugno, Frédéric
Lamond, Heinemann, Sinowjef, Zalsman, etc.
Tous les vendredis, concerts symphoniques.
■ — D'un article assez étendu, paru dans le Nieuwe
Rotterdamsche Courant et consacré par C. Hol à
Ymnis et Numaine, le nouveau poème symphonique
de Cari Smulders, de Liège, nons détachons le
passage qui suit :
« La structure harmonique et mélodique d' Ymnis
et Numaine se distingue avant tout par les qualités
d'intimité et par l'absence d'excès dynamiques, et
aussi par sa grande clarté, obtenue par l'absolue
fermeté d'écriture du compositeur. Celui-ci ne perd
jamais de vue l'effet qu'il désire atteindre et il
n'emploie que les moyens les plus sobres pour y
arriver. Jamais il n'hésite, jamais il ne surcharge,
jamais il ne fait usage de détails inutiles qui, du
reste, n'atteignent pas l'auditeur et diminuent
généralement la fluidité sonore de l'orchestre.
L'inspiration n'a d'ailleurs pas souffert de cette
imperturbable volonté de dominer la technique. La
conception est claire, les contrastes sont actifs, le
point culminant est atteint sans difficulté. Rien n'est
cependant écrit dans cette œuvre, sincère et
musicale avant tout. »
BIBLIOGRAPHIE
— Les Maîtres Musiciens de la Renaissance
française, éditions publiées par M. Henry Expert.
— iSe et 19e livraisons : Guillaume Costeley,
Musique, 2e et 3e fascicules. — Paris, Alph. Leduc.
Depuis la seizième livraison de sa grande
collection, M. Expert a adopté non pas un plan
différent, mais un système nouveau d'édition, que
la substitution de nos deux clefs les plus usuelles
(clefs de sol 2e ligne et de fa ^ ligne) à la multipli-
cité des clefs anciennes, rapproche de la pratique
moderne, sans altérer le sens des textes. La dispo-
sition des parties originales est indiquée en tête de
chaque morceau par un fac-similé des premièi es
mesures de chaque voix. Au point de vue de la
diffusion, très désirable, des œuvres rééditées, on
ne saurait contester les avantages de la nouvelle
méthode à laquelle s'est arrêté M. Expert, et qui
a eu encore pour conséquence d'alléger les livrai-
sons du poids de la réduction sur deux portées,
jointe précédemment à la partition vocale. La
haute érudition et l'admirable conscience artistique
de M. Expert nous garantissent l'exactitude de ses
tiaductions, et nous devons avec empressement
nous fier à lui pour une étude que ses soins tendent
sans cesse à nous rendre plus attrayante et plus
aisée.
Avec les deux dernières livraisons, — 18e et
19e, — M. Expert est revenu au recueil de Guil-
laume Costeley, dont il nous offre, en deux fasci-
cules, trente-trois pièces à quatre voix, toutes fort
intéressantes, et entre lesquelles scintillent de
véritables pierres fines. C'en est une, que cette
première chanson du 19e volume, « Las, je n'iray
plus, je n'iray pas jouer au bois », petit chef-
d'œuvre de vivacité et de grâce, où le souvenir
de quelque chanson populaire apparaît sous
l'entrelacs léger et coquet des réponses. Au
même ordre de sentiment et d'agrément appar-
tient la jolie chanson à danser « Allons au vert
bocage ». A ce genre, comme à celui des chan-
sons amoureuses, soit sentimentales, soit légères,
et gauloises quelquefois, Costeley, autant qu'Or-
lando de Lassus, excelle. Aussi ces pièces
sont-elles en majorité dans son recueil; mais
M. Expert en a détaché aussi quelques morceaux
plus graves : deux chansons spirituelles, l'une sur
la vanité des richesses, « J'aime mon Dieu et sa
saincte parole », longue composition avec épisode
central à trois voix et conclusion à quatre, — la
seconde sur la fidélité conjugale, « Puisque la loy
très pure et saincte », sérieuse, brève et solennelle,
sorte de serment d'épousée, qui peut-être a retenti
LE GUIDE MUSICAL
427
pendant la célébration d'un mariage royal. D'au-
tres pièces contenues dans la 19e livraison sont
des morceaux de circonstance, que leur texte
rattache à des événements publics, et qui par
conséquent n'intéressent pas seulement l'histoire
de la musique, mais bien en même temps et d'aussi
près l'histoire des mœurs et l'histoire de la
nation. La chanson « Herbes et fleurs qu'on voit
renaistre » fait allusion à la jeunesse, et celle
« O mignonnes de Jupiter » à une maladie du
roi. Celle sur la « Prise de Calais » célèbre la
victoire du duc de Guise sur les Anglais, en i558,
et celle sur la « Prise du Havre » se rapporte au
succès des armes royales en 1564. L'une de ces
compositions date donc du règne de Henri II, et
la seconde, du règne de Charles IX. Mais toutes
deux présentent une similitude de plan et de
formes littéraires et musicales qui leur donne
évidemment une même destination. Tandis que
la « Bataille » de Jannequin et les œuvres venues à
aa suite développaient surtout le côté descriptif et
pittoresque du sujet, la « Prise de Calais » et la
« Prise du Havre » de Costeley se présentent à nous
comme les échantillons d'une forme nouvelle de
divertissements « par personnages », où se tradui-
sent successivement, en des morceaux distincts,
quoique rattachés les uns aux autres, les bruits du
combat, l'acte de soumission de la ville con-
quise, les supplications de ses habitants, et,
comme « suitte dernière », la glorification du
souverain vainqueur. Ne devons-nous pas croire
ces deux ouvrages destinés à une fête de cour,
à un cortège triomphal, à l'un de ces specta-
cles mêlés de figuration, de danse, de poésie
et de musique qu'affectionnait la société polie au
temps des Valois déjà, et qui, sous des aspects
dispersés et disproportionnés, renfermaient le
germe de l'opéra? Il serait infiniment intéressant
de retrouver quelque description des fêtes pour
lesquelles Costeley dut les écrire, et de les com-
parer aux pièces que composaient, en des cir-
constances analogues, les madrigalistes fameux de
l'Italie et de l'Angleterre. M. Brknet.
Chants de la vieille France. — Vingt mélo-
dies et chansons du xme au xvme siècle, transcrites
et harmonisées par Julien Tiersot. Paris, Heugel ;
in-40.
Dans une conférence qu'il a faite récemment à
l'Ecole des Hautes Etudes sociales sur « l'ancienne
chanson monodique française », et dont il a été
rendu compte ici même, notre érudit confrère Ju-
lien Tiersot avait annoncé une nouvelle série de
chants répondant à ces conditions spéciales ; Non
plus des chansons populaires, mais de véritables
mélodies ou, en tout cas, des chansons spéciale-
ment créées par des musiciens, d'ailleurs anonymes,
entre les xme et xvne siècles de notre histoire. C'est
le cahier qui vient de paraître. Nombreuses ont
été, en somme, les rééditions de séries diverses de
ces airs de jadis, dont généralement le nom du
poète seul a survécu; je n'en rappellerai qu'une
collection, qui mériterait d'être plus connue, les
Quarante vieilles chansons publiées jadis par Ernest
Reyer. Mais il y a toujours à glaner dans ce champ
si vaste, et M. Tiersot a su le prouver, car plu-
sieurs de ses trouvailles sont de vraies révélations,
d'un modernisme parfois inattendu, d'une origina-
lité et d'une force des plus attachantes. Bien en-
tendu, l'accompagnement est de lui, puisque ce
sont des chansons monodiques; mais, comme il
s'empresse de l'ajouter, il reste loisible à chacun
de n'en tenir aucun compte.
Sur ces vingt morceaux, au bout desquels on
s'étonne un peu de trouver deux romances de Jean-
Jacques Rousseau et une de Grétry, ce sont les
plus anciens qui l'emportent, incontestablement,
en valeur musicale inventive, sur les plus moder-
nes ; c'est du moins mon impression. La Belle au
rossignol (xme siècle), Le Joli Mois de mai (xve siè-
cle), la franche et gaie chanson En venant de Lyon
(xve siècle), ou cette autre, avec reprises de chœur,
légère et gaie, Margot, labourez les vignes (xvie siè-
cle); mais surtout L'Amour de moi (xve siècle), sim-
ple, délicate, charmante et, mieux encore, le ron-
deau Plainte de celle qui n'est pas aimée (xive siècle),
d'un grand caractère, vrai « Marguerite au rouet »
de l'époque,— autant de pages de choix, qui font le
plus grand honneur au goût de leurs compositeurs
inconnus. Citons encore Y Avril de Remy Belleau,
qui est original, et, comme curiosité, pour le xvne
siècle, la chanson de Nicolas va voir Jeanne, à la-
quelle La Fontaine fit allusion dans sa fable du
« Meunier, son fils et l'âne ». H. de C.
— En même temps que l'admirable sonate pour
piano et violon de M. Vincent d'Indy, si librement
expansive, animée d'un souffle si généreux et si
juvénile MM. A. Durand et fils, les actifs éditeurs
de la place de la Madeleine, viennent de publier un
Tantum ergo d'un sentiment pénétrant et recueilli,
récemment écrit par M. Gabriel Fauré pour so-
prano, chœur et orgue; puis, dans l'utile Biblio-
thèque des classiques français, le troisième livre des
pièces de clavecin de Couperin, judicieusement
mises au point par un de leurs interprètes les plus
accomplis, M. Louis Diémer, et restant, comme
leurs devancières, par la variété de leurs accents
42S
LE GUIDE MUSICAL
et de leurs rythmes, de l'agrément le plus délicat
et de la lecture la plus divertissante pour les musi-
ciens. L'extrême ingéniosité de leur écriture pia-
nistique en impose l'étude à tous les pianistes
soucieux de la littérature de leur instrument.
Il faut vous signaler aussi l'apparition, grâce
aux soins de l'Edition mutuelle, en dépôt à la Schola
Cantorum, 269, rue St-Jacques, d'une curieuse et
significative cantate à voix seule avec symphonie
de Nicolas Clérembault, (>j£/z^,réalisée par M.Char-
les Bordes. Enfin, et surtout, il convient d'attirer
votre attention sur la mise en vente, dans la même
collection, de la partition des importants fragments
de YOrfeo de Claude Monteverdi, reconstitués par
la main pieuse de M. d'Indy et déjà plusieurs fois
acclamés par le public des auditions de la Schola.
Ce n'est pas ici le lieu de célébrer à loisir la cou-
leur intense, l'éloquence intime de cette musique,
non plus que cette déclamation toujours juste et
émouvante, ces intermèdes orchestraux d'expres-
sion sobre et profonde qui, vieux de trois siècles,
suggèrent étrangement, néanmoins, les comparai-
sons les plus modernes, tant il est vrai qu'en art,
la beauté seule subsiste à travers les temps et les
modes ! UOrfeo doit naturellement trouver sa place
dans les bibliothèques de tous les musiciens éclai-
rés dont la reconnaissance reste acquise au dévoue-
ment opportun de M. d'Indy, qui a sauvé de l'oubli
et remis en pleine lumière le haut monument de
l'art dramatique primitif qu'est l'opéra de Monte-
verdi. G. S.
— Parmi les livres parus depuis peu sur la
musique, il me faut vous signaler, chez les éditeurs
Delagrave et Cie, une très intéressante et instruc-
tive biographie de M. J.-G. Prodhomme sur
Hector Berlioz, qui, à l'aide de nombreux et at-
trayants documents, évoque de frappante manière
l'existence de luttes et de déboires, la carrière
musicale mouvementée et féconde de l'auteur de
la Damnation de Faust. De même, la nouvelle traduc-
tion, publiée par Mme de Sampigny, des Souvenirs
intimes et de la Correspondance de Franz Liszt et de
la Princesse de Sayn-Witfgenstein, recueillis par
Mlle A.delheid von Schorn (Dujarric, éditeur),
contribuera certainement à faire connaître sous
son vrai jour l'heureuse influence qu'eut une
femme supérieure sur des génies tels que Berlioz,
Wagner et Liszt. Une excellente préface de
notre regretté rédacteur en chef Hugues Imbert
conciliera du reste mieux que tous mes commen-
taires à ce volume les sympathies des lecteurs du
Guide musical G. S.
pianos et Ibarpes
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NÉCROLOGIE
Fritz Sennewald qui fut longtemps chef d'or-
chestre de l'Harmonie communale et des bals du
théâtre royal de la Monnaie de Bruxelles, vient de
mourir à Bruxelles, des sirites de la pénible maladie
qui le minait depuis des années et l'avait obligé à
prendre une retraite prématurée. C'était une des
personnalités sympatiques du monde musical
bruxellois et il laissera de sincères regrets à tous
ceux qui ont pu apprécier son caractère.
— Max Steuer, un des critiques musicaux alle-
mands les plus réputés, vient de mourir à Charlot-
tenbourg, à l'âge de cinquante-sept ans. Il avait
débuté à Berlin comme employé de librairie, puis
avait pris la rédaction en chef de l'Echo, journal
musical et théâtral édité par la maison Schlesinger.
Plus tard il devint le critique attitré du National-
zeitung, des Berliner Neueslen N achrichten et du Ber-
liner Bôrsenzeitung, où il succéda à Henri Dorn.
Enfin, il collabora longtemps aux Signale qu'il
dirigea même pendant quelques années après la
mort de Richard Kleinmichel en 1901. Tout en
combattant l'esthétique de Hanslick il avait pris
position dans le camp des antiwagnériens ; Schu-
mann avait sa plus grande admiration. Il laisse
une Histoire de la musique et un volume d'essais
esthétiques et musicaux intitulé Pour la musique.
S.
— On annonce de Vienne la mort de Mme
Kupfer-Berger, qui fut longtemps attachée à
l'Opéra de Vienne, où elle brilla à côté de la
Materna dans les grands rôles du répertoire et des
œuvres de Wagner : Eisa, Elisabeth, Senta, Oberon,
Agathe du Freyschiitz. En i885, elle avait passé les
Alpes et s'était consacrée avec succès à la carrière
italienne. Depuis 1897, retirée de la scène, elle
donnait des leçons de chant à Vienne.
— A Darmstadt est mort, au début de ce mois,
le pianiste Ernst Pauer, longtemps établi à
Londres, où il jouissait d'une grande et légitime
considération. Viennois d'origine, élève de Simon
Sechter et de Franz Lachner, il s'établit à
Londres en i85i et ne tarda pas à être attaché à la
Royal Academy of Music, où il professa avec
succès jusqu'en 1896. Il rentra alors en Allemagne,
où il vient de mourir à l'âsre soixante-dix-neuf ans.
LE GUIDE MUSICAL 429
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Numoros 22-25.
2& Mai et 4 juin içoS.
ES LIEDER
(Suite. — Voir le dernier numéro)
cinquante ans s'était donc éteinte
la vie, toute de labeur si mal
récompensé, de Peter Cornélius,
regretté pour son caractère, pour sa
belle intelligence qu'une instruction solide avait
encore largement développée.
■ Combien se comprend l'immédiate et pro-
fonde affection du grand Franz Liszt pour cet
inconnu d'hier, dont toute l'âme expansive et
enthousiaste se révélait en un instant! Car
Peter Cornélius était tout spontanéité, tout
sincérité! Il aimait avec ardeur, il admirait
avec feu, il comprenait avec sympathie !
De lui-même, il ne s'occupait guère, au point
de négliger sa situation matérielle. Il ne vivait
que lorsqu'il pouvait se dépenser pour les
autres en travail, en dévouement, en amitié,
en amour! Une tendresse extrême sans la
moindre trace de sensiblerie, une humeur
facile, gaie, spirituelle sans ironie mauvaise,
un profond et sincère penchant à la religiosité
sans le moindre fanatisme, vojlà les traits
essentiels de ce caractère exquis, traits que
nous retrouverons fidèlement reflétés dans toute
son œuvre, mais surtout dans ses Lieder, qui
seront peut être la gloire la plus pure du com-
positeur. Peter Cornélius, en effet, est avant
tout un tempérament lyrique, en poésie comme
en musique, et nous aurons souvent la joie de
retrouver en une seule composition Cornélius
poète et musicien. Il est essentiellement lyrique
parce qu'en lui, constamment, le cœur domine
la raisen et l'imagination, la réflexion. Sa sen-
sibilité extrême et délicate fait vibrer son âme
d'artiste aux moindres impressions, et aussitôt
cette âme se met à chanter. Ses trois thèmes
favoris sont la nature, V amour et la religion, que
nous verrons sans cesse célébrés dans ses nom-
breux Lieder d'une variété et d'une fantaisie
inépuisables; et souvent, chez Cornélius, l'im-
pression est si forte et l'inspiration si abon-
dante, qu'un seul Lied ne lui suffit pas à
l'expression d'un sentiment ; sa féconde imagi-
nation et sa sensibilité raffinée lui en découvrent
en même temps toutes les faces : de là ces
nombreux cycles de Lieder, qui sont une carac-
téristique particulière du génie de Cornélius, et
presque une nécessité qui s'affirme depuis son
op. i (i 853) jusqu'aux derniers chants de i865.
Cette prédilection pour le Liederkreis lui a
d'ailleurs inspiré de puis chefs-d'œuvre, et Cor-
nélius restera, certes, après les a grands
inégalés » Schubert et Schumann, parfois
pourtant bien près d'eux, l'un des maîtres
incontestés du genre. Comme eux, il a compris
la nécessaire et mutuelle pénétration du chant
432
LE GUIDE MUSICAL
et du texte, leur fusion indispensable, à laquelle
il arrivait d'autant plus facilement que son
inspiration personnelle guidait et dictait les
deux voix. Comme eux aussi, il a reconnu
l'importance de Y accompagnement, souvent très
pittoresque, très évocateur, complément subtil
et profond de la parole chantée. Souvent
pourtant, il se contente d'envelopper la mélodie,
au dessin généralement très pur, bien défini,
presque classique, d'un tissu d'harmonies tour
à tour chatoyantes ou discrètes, suivant le
caractère du Lied, et, chose curieuse, cette har-
monie est d'une écriture beaucoup plus hardie
dans ses modulations et dans ses rythmes, d'une
allure presque moderne, particulièrement dans
les dernières compositions. Mais si la forme est
devenue plus savante, l'inspiration est en géné-
ral toujours simple et spontanée; l'interpré-
tation de ces chants exige par là même des
musiciens aguerris en même temps que des
chanteurs à l'expression toujours naturelle et
convaincue.
Les premiers en date des Lieder de Cornélius
furent composés à Berlin en 1848 et font partie
des œuvres posthumes ; l'un d'eux, Die Heim-
kehr (Le Retour) s'appuie sur un texte de
Henri Heine et est accompagné d'une traduc-
tion française (plus ou moins correcte) de Cor-
nélius lui-même. Il faut bien le dire, le beau et
passionné petit poème de Heine n'a rien gagné
à cette transposition musicale. Mais ce n'est
qu'un début; combien déjà les cinq Lieder de
la même année sur des poèmes de Paul
Heyse (1) sont intéressants et pleins de charme!
Quelques-uns sont de vraies merveilles de
grâce, de couleur, de belle et franche inspi-
ration ; ils sont tous à citer : le délicieux
Morgenwind (Brise matinale) avec son accompa-
gnement si expressif et léger soulignant l'aé-
rienne mélodie; In dev Mondnacht (Au clair de
lune), tour à tour subtil comme les esprits de
la nuit qu'il évoque, ou passionné comme
l'amour qui l'inspire; le Lied est d'une telle
grâce, d'une telle délicatesse qu'involontaire-
ment, on retrouve l'impression des pages
exquises du Songe d'une nuit d'été de Mendels-
sohn; les deux chansons alertes, vives et
(1) Tous avec traduction française de Peter Cornélius.
simples comme un Lied populaire, îm Lenz (Au
printemps) et Musje Morgenrotslied (Aubade)
viennent compléter la série des quatre déli-
cieuses chansons de printemps où Paul Heyse
semble avoir heureusement inspiré le composi-
teur. Le cinquième poème du même auteur,
Schàfers Nachilied (Chant nocturne du berger), a
été traduit par Cornélius dans la note mélanco-
lique et résignée que le texte indiquait.
Enfin, de 1848 encore date le pathétique Am
See (A la mer. Cornélius intitule sa traduction :
Le Sapin), sur l'un de ses petits poèmes. En
i853, Cornélius publia une suite de six chants
(dédiés à Mlle Léonie Schlinker); un même
sentiment les relie ; ce n'est pourtant pas encore
un « cycle » proprement dit, mais l'achemine-
ment est certain. L'amour lui sert de thème et
Cornélius le chante en poète et en musicien
vraiment inspirés ; on y retrouve toujours la
simplicité, la fraîcheur d'une spontanée et juvé-
nile inspiration, où cependant, comme le fait
remarquer le biographe Sandberger,le musicien
n'est pas encore arrivé à la hauteur du poète ;
j'en excepterai pourtant les deux premiers
Untreu (Infidèle) et Veilchen (La Violette), d'un
sentiment extrêmement délicat qui pénètre
également le poème, la mélodie et l'accompa-
gnement de la plus grande simplicité.
Le grand lyrique ne tarde d'ailleurs pas à se
manifester d'une manière éclatante. Aussi nous
arrivons à cette période si féconde de Weimar
(1854). Voici d'abord un cycle de neuf chants
religieux : Vaterunser, op. 2 (Le Pater, dédié à
Théodor Btùggemann) (1) et dont Cornélius a
écrit le texte sur chacune des divisions de la
prière, sauf pour la sixième, qui compte deux
poèmes chantés (2). Avec quelle profondeur et
quelle conviction chante et prie ce croyant sin-
cère, avec quelle pure et inébranlable foi il
s'adresse à Dieu ! A travers les neuf chants, ce
n'est qu'une longue et admirable prière; le texte,
par lui-même, donne l'unité au poème, et quant
à l'unité de la musique, elle est établie par ce
fait que Cornélius s'est servi comme thème
d'accompagnement, dans chacun des Lieder, au
« ton » (tonus festivus) correspondant du Pater de
(1) Il avait épousé la sœur du peintre Cornélius.
(2) Poème et musique furent remaniés en i856 pour
l'arrangement du Pater pour soli et chœurs.
Le ùuïbz MUSICAL
433
la liturgie catholique, inscrit en tête de chaque
partie. Parmi les plus beaux sont les numéros
VI (avec son accompagnement si descriptif et
en si parfaite harmonie avec le texte qu'il sou-
ligne), VII, VIII, enfin IX, si plein de profonde
et infinie piété.
Suit alors, dans une note toute différente, un
autre Liederkreis de six mélodies, Trauer und
Trost, op. 3 (Douleur et Consolation, dédié à
Cari Hestermann) (i). Cornélius est encore ici le
poète et le musicien de chants d'amour, profon-
dément tristes d'abord, peu à peu plus résignés.
Tous les élans et l'extrême délicatesse d'une
âme aimante s'y retrouvent au suprême degré.
Sur une sorte de thème de marche assez lente
à l'accompagnement, qui s'explique par le
texte qu'elle souligne, s'élève la première mé-
lodie Tvauer (Douleur) d'une tristesse contenue,
mais d'un sentiment prenant, à laquelle fait
suite, encore dans le même caractère, l'Ange-
denken (Souvenir). Mais alors vient un Lied
peut-être unique comme composition de ce
genre et qui sert de transition entre les chants
douloureux et les chants résignés. Son titre
Ein Ton (Un ton) se justifie à la lettre; la voix
ne chante qu'une seule et même note, si,
pendant tout le Lied; un seul motif, un seul
« ton » aussi, résonne dans l'âme de cette
fiancée esseulée dont la mort a ravi l'aimé : c'est
le motif du souvenir de sa dernière parole
d'amour, une et éternelle comme la pensée
qu'elle lui garde. La déclamation de ce chant
« monotone » exige dans l'interprétation une
expression très poussée. Tout le lyrisme de la
situation s'exprime dans l'émouvante et belle
phrase de l'accompagnement, qui chante libre-
ment, tandis que la partie confiée à la voix
semble évoquer dans son « immobilité musi-
cale », la fixité d'un regard triste perdu dans les
souvenirs lointains. Dans le Lied suivant, An
den Traum (Au rêve), c'est au contraire la voix
seule, pour ainsi dire, qui se fait entendre, à
peine soulignée de quelques accords; c'est le
premier des chants de l'amour résigné dont les
deux derniers, Treue (Fidélité) et Trost (Consola-
tion),sont, dans leur note plus passionnée, d'un
lyrisme aussi émouvant que sincère.
(A suivre.) May de Rudder.
(i) Négociant de Mayence, ami dévoué de la famille.
CHÉRUBIN
Comédie chantée en trois actes, poème de
M VI. de F. de Croisset et Henri Cain, musique
de J. Massenet. Première représentation à
l'Opéra-Comique de Paris.
Albert Carré, comme pour célé-
brer son retour à la santé, a
voulu terminer la saison en une
> fête de lumière et de vie étince-
lantes : il a monté, sans plus attendre, le Chérubin
de M. Massenet (i). Plus d'une œuvre était sur le
chantier des études, voire des répétitions, plus
d'une même prête à passer. Mais on voulait un
coup d'éclat pour finir, on souhaitait le pendant
de ce triomphal Jongleur de Notre-Dame qui conclut
la dernière saison et n'a pas quitté l'affiche de
toute cette année-ci. Chérubin s'imposait donc,
dans son impertinence de talon rouge, dans son
élégance parfumée de jeunesse, dans sa couleur
poétique, dans son agitation débordante de rêve.
Souhaitons-lui de lancer au vent sa folie de Don
Juan en herbe avec un succès aussi durable que
Frère Jean, le jongleur, a chanté et dansé en l'hon-
neur de la Vierge. Et admirons une fois de plus
l'extraordinaire souplesse de talent qui a conçu
et exécuté ces deux oeuvres si disparates entre
elles et d'ailleurs si différentes de toute l'œuvre
de Massenet.
Après l'étude développée qui en a été publiée ici
au lendemain de sa première représentation sur la
scène de Monte-Carlo, voici quelques mois à
peine (2), il ne me paraît pas utile de revenir sur
une appréciation de la partition ; tout au plus con-
vient-il de confirmer, après cette épreuve nouvelle,
la justesse de celle de M. Julien Torchet, et de dire
l'impression générale du public parisien et ce qui
a paru porter davantage. Cette impression a été
surtout la surprise amusée, suivie d'ailleurs d'assez
près par la sincère admiration qui s'imposait à
goûter le charme de certaines pages du second et
du troisième acte. Car ce sont à coup sûr ces
actes-là qui ont frappé le plus, et l'intérêt pour
l'œuvre a suivi comme une marche ascendante
du début à la fin. Le personnage de Chérubin, en
lui-même, s'est pourtant imposé, dès son entrée,
comme une des créations les plus jeunes et les
plus pimpantes du maître, — et aussi de l'inter-
prète extraordinaire de verve et de fantaisie qui
(1) Partition piano et chant, Heugel et Cie, rue
Vivienne, à Paris.
(2) Voir le numéro 9 du 26 février 1905.
434
LE GUIDE MUSICAL
l'a incarné, Mlle Garden. Celui de Nina a plu
également tout de suite, par sa fraîche simplicité.
Il faudrait d'ailleurs noter bien des pages dont la
verve ou la grâce ont charmé dès le début.
Cependant, au point de vue le plus vraiment
musical et inspiré, c'est surtout à parlir de la scène
nocturne du second acte, des allées et venues
furtives de Chérubin sous la lune et au balcon
de l'Ensoleillad, que l'on s'est senti tout à fait
conquis. Le fait est qu'elle est d'une harmonie
exquise. La délicatesse des dessins mélodiques du
dialogue ou des couplets qui l'émaillent, et dont
plus d'un, dans cet acte et dans le précédent, ont
déjà un joli tour, s'affirme d'ailleurs plus heureu-
sement encore au troisième, avec le testament
de Chérubin et la scène exquise où le Philosophe
le console, après la série de ses déconvenues, les
railleries de ses belles dames et le départ de
l'Ensoleillad, avec encore les adieux de Nina et
cette fin, d'une ironie secrète
Je ne puis mieux comparer le Chérubin de
M. Massenet, en somme, qu'aux Romanesques
d'Edouard Rostand : j'entends comme genre et
comme impression.
Des costumes clairs, des rimes légères,
L'Amour dans un parc, jouant du rlùteau...
Un florianesque et fol quintetto...
Des coups de soleil, des rayons lunaires...
Un repos naïf, des pièces amères,
Un peu de musique, un peu de Watteau,
Un spectacle honnête et qui finit tôt...
Des costumes ciairs, des rimes légères!...
Remplacez rimes par musique, car tout est
musique ici, c'est assez bien cela même : une
griserie mousseuse de Champagne et un décor
de rêve.
En fait de décors, rien de nouveau, car ils
viennent de Monte-Carlo, peut-être avec une
pointe de fantaisie en plus, comme dans la mise
en scène et les costumes, fort artistiques. L'or-
chestre était fort bon là-bas; il ne l'est pas moins
ici, avec plus de souplesse toutefois : on y sent
la main sans rivale d'un maître. Quel orchestre de
théâtre peut rivaliser comme nuancé et comme
coloris avec celui qui a M. Luigini à sa tête?
L'interprétation encore est en partie la même.
Mlle Garden est toujours ce mince, agile, gamin
et fantasque Chérubin qu'on a tant applaudi sur
la rive d'azur. L'imprévu de son jeu et aussi de
son accent, la désinvolture de son geste ou sa
façon de jeter les mots, l'éclat pétillant de sa
voix, son incontestable originalité en somme,
lui ont valu un succès qui peut-être a dépassé son
attente. Mme Marguerite Carré, ici comme là-bas, fut
le délicat, jeune et gracieux contraste de la timide
Nina, qui saura doucement retenir le volage quand
il rentrera, les ailes meurtries, au logis. Elle n'a
guère que deux scènes, mais délicieusement dites.
M. Fugère a remplacé M. Renaud dans le Philo-
sophe : ne comparons pas les deux artistes, qui,
pas plus que dans le frère Boniface du Jongleur,
n'ont rien de comparable dans leur style et tous
deux savent rendre un rôle dans toute sa valeur
et selon son vrai caractère. Sa bonhomie comi-
que, mais tendre, autant que sa diction si fine ont
été applaudies à outrance. Une nouvelle Enso-
leillad paraissait aussi, dans la grâce distinguée
et la beauté dorée de Mrae Vallandri, dont la voix
claire a été également fort appréciée. Mm°s Cocyte
et Guionie personnifiaient la baronne et la com-
tesse, MM. Cazeneuve, Allard et Chalmin, le duc,
le comte et le baron. Ce sont tous d'excellents
comédiens, doublés de chanteurs sûrs, et rien n'a
manqué à la parfaite exécution de l'ensemble.
Henri de Curzon.
A partir du 28 fiai jusqu'au 28 Sep-
tembre, le GUIDE riUSICAL ne paraît
que tous les quinze jours.
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA ITALIEN. — Cette semaine nous a
apporté, comme cinquième ouvrage nouveau pour
Paris, la Zaza de M. Leoncavallo, comédie
lyrique en quatre actes, tirée par lui de la pièce
de MM. Pierre Berton et Ch. Simon, où triompha
naguère Mme Réjane, au Vaudeville. C'est le
10 novembre 1900 que l'ouvrage a été représenté
pour la première fois sur la scène du Théâtre
lyrique de Milan. Le succès avait été très mince,
malgré la curiosité que pouvait exciter la pièce
même et qui a sauvé la partition partout où elle a
été exécutée ; en sorte que l'on ne comprend pas
trop que le choix de M. Sonzogno se soit porté sur
cette œuvre-là de M. Leoncavallo pour cette
saison de Paris où la comédie originale est telle-
ment connue déjà. Toute autre, il me semble, soit
les Médicis, soit surtout Chatterton ou cette Vie de
LE GUIDE MUSICAL
435
Bohème que nous avons vue au Théâtre lyrique
des frères Millaud et qui ne manquait pas de
qualités, eût fait meilleur effet ici que cette bien
pâle et peu caractéristique Zaza. La variété un peu
ahurissante des scènes de la comédie n'a en effet
que médiocrement servi le musicien, qui se relève
parfois, un instant, dans les scènes d'émotion et de
passion, mais sans qu'il résulte une impression
bien profonde et suivie des inspirations trop
faciles et trop peu appuyées sur un orchestre
existant par lui-même.
Et puis la même objection se présente toujours :
comment un musicien a-t-il pu avoir l'idée de faire
de la musique sur un livret aussi peu musical?
Tout peut se mettre en musique évidemment, mais
pas quand on veut faire une ceuvve. Les allées et
venues de coulisse, les bribes de numéros de café-
concert qui composent surtout le premier acte de
Zaza, puisqu'il se passe pendant une représenta-
tion de music-hall, sont peut-être de l'opérette,
mais pas de la comédie lyrique dans le sens relevé
du mot. M. Leoncavallo avait mieux choisi pour
ses autres partitions, et c'est pourquoi, encore un
coup, je regrette que ce soit avec Zaza qu'il nous
soit donné de le juger.
La pièce du Vaudeville avait quelques très
bonnes scènes, qui contrastaient, par la vérité de
leur accent et l'émotion de leur situation, avec le
décousu et la vulgarité de l'ensemble. Cette Zaza,
chanteuse de music-hall à Saint-Etienne, s'est fol-
lement éprise d'un beau garçon qui passait, nommé
Dufresne, et, comme il faisait mine de ne pas la
voir, l'a grisé de ses plus savantes séductions et
complètement subjugué : c'est le sujet du premier
acte, qui nous la montre dans sa loge, sur la scène,
parmi les coulisses du café-concert en question.
Le second nous introduit dans le ménage des deux
amants, dont l'un, c'est Zaza, ne songe qu'à fixer à
jamais sa vie auprès de celui qu'elle aime, fût-ce
au prix de sa carrière d'artiste, et dont l'autre,
c'est Dufresne, prétexte des affaires à Paris pour
s'éclipser de temps à autre, en attendant mieux.
Cependant, le fidèle camarade de Zaza, Cascart,
qui l'a tirée de la misère et faite ce qu'elle est,
s'efforce à lui démontrer l'incertitude de son avenir
et l'ignorance où elle est des faits et gestes de son
bel ami. Que fait-il, en somme, à Paris?... Pour
s'en assurer, Zaza saute dans le train, tombe chez
Dufresne... et s'aperçoit que celui-ci est bel et bien
marié. Bien plus, à défaut de la maîtresse de
céans, qui est sortie, elle rencontre une petite
fille, image vivante de Dufresne, et elle pleure, et
elle câline l'enfant, et quand Mme Dufresne re-
vient, elle prétexte une erreur d'étage et sort sans
bruit — Tout est fini de ses rêves d'avenir!... Une
dernière épreuve pourtant : elle est revenue à
Saint-Etienne tout juste pour y recevoir Dufresne
de retour; à lui de décider entre son foyer et sa
maîtresse. Mais au seul mot de Zaza sur le foyer
qu'il déserte, au seul soupçon de Dufresne que
Zaza est au courant de ses mensonges, et surtout,
lorsque celle-ci lui déclare qu'elle a vue de ses
yeux sa femme, sa fille, qu'elle a tout dit, tout
dévoilé, le mari, l'homme posé, reparaît aussitôt,
furieux d'avoir été démasqué, indigné contre celle
qu'il a préférée, lui prodiguant l'injure et l'outrage.
Zaza est désormais instruite : « Tu peux retourner
en paix auprès des tiens, dit-elle à Dufresne;
je n'ai rien dit! »
La scène est belle, et elle a servi M. Leonca-
vallo mieux qu'une autre, au moins comme mou-
vement, comme vie, ce qui est toujours le principal
mérite des œuvres de la nouvelle école italienne.
On ne peut nier que, dans cette œuvre disparate, il
ait su au moins tirer un parti vraiment intéressant
de ce qui en faisait surtout la valeur. Ici, l'émotion
fiévreuse du dialogue est rendue avec expression et
vérité, — ici et dans la scène du troisième acte, chez
Dufresne, où l'impression de paix et d'amour pai-
sible que donne à Zaza l'aspect de ce foyer régulier
est d'ailleurs soulignée non sans adresse par
l'orchestre, ni sans charme par la mélodie. La
désespérance profonde qui envahit son âme est
également exprimée avec quelque bonheur, soit
dans les stances pleines de larmes qu'elle chante
tandis que la petite fille lui joue au piano VAve
Maria de Ch'erubini (mélange bizarre), soit dans le
trouble de ses phrases adressées à l'enfant ou à sa
mère.
Il y a peu à glaner dans le reste de l'œuvre. Le
personnage grotesque de la mère de Zaza est sou-
ligné avec quelque drôlerie par l'orchestre; Cascart
a pour son compte quelques morceaux assez
larges, au second ou au quatrième acte; l'entr'acte
avec chœur de lavandières, par quoi débute le
troisième, n'est pas sans grâce. C'est à peu près
tout.
L'interprétation est bonne en général. Elle est
remarquable tout à fait avec Mme Berlendi, beau-
coup plus à son avantage dans le rôle passionné et
nerveux de Zaza que dans la sentimentalité de
celui de Suzel. Son accent est sincère et juste, sa
voix chaude, et elle est fort belle. M. Garbin (le
Maurice de Saxe à! Advienne Lecouvreur), moins
intéressant comme jeu, a pour lui de belles notes
d'éclat et d'ailleurs une méthode qui rachète un
peu l'extrême nasalité de sa voix. M. Sammarco
prête au joyeux Cascart le robuste et sonore timbre
436
LE GUIDE MUSICAL
de baryton que nous avions déjà apprécié et
applaudi dans Michonnet. Mme Salgado est plai-
sante dans la mère de Zaza, et M. Wigley tout à
fait original dans le petit rôle du vieux régisseur au
premier acte. Orchestre dirigé par M. Ferrari.
Henri de Curzon.
S/
FESTIVAL LULLI-RAMEAU. — Le pre-
mier des deux concerts de musique dramatique
ancienne organisés par M. Reynaldo Hahn a eu
lieu le mercredi 17 de ce mois, au théâtre de
l'Athénée ; il était consacré à Lulli. Nous parle-
rons la prochaine fois du second, qui était con-
sacré à Rameau. Le programme lulliste compre-
nait la sélection suivante : Thésée, ouverture,
fragments du prologue, duo des vieillards, scène
champêtre; Proserpine, chœurs de l'écho; Atys,
ouverture, scène du sommeil, air de Sangaride,
métamorphose d'Atys ; Isis, chœur des divi-
nités infernales, trio des Parques, trio des frileux;
Armide, air de Renaud; Cadmus et Hermione, scène
guerrière, trio et chœurs, air de Cadmus, chaconne
et trio; Phaéton, scène de Protée; Amadis, air
d'Arcabonne, chanson et chœur. Comme inter-
prètes, entourés d'un petit orchestre et de chœurs
que dirigeait d'une main pleine de nuances
M. Reynaldo Hahn, Mmes Jeanne Raunay,
Mathieu d'Ancy, Brolhy, MM. Jean Périer,
Daraux, Fragson, Plamondon...
Cette séance a été extrêmement intéressante, et,
à part quelques défaillances, bien difficiles à éviter
avec une musique difficile et qui demande une
mise au point particulièrement minutieuse, les
divers fragments ont été fort bien exécutés. Les
scènes, ensembles ou chœurs, de demi-caractère,
ont surtout été bien rendues et unanimement appré-
ciées. Ainsi la scène champêtre de Thésée, où deux
nymphes et un berger dialoguent; le chœur de
nymphes et sylvains qui appellent en vain Proser-
pine (après son enlèvement) et auxquels l'écho
seul répond, d'une façon aussi élégante qu'origi-
nale ; la scène du sommeil, d'Atys, d'une poésie
pénétrante et comme vaporeuse, et l'air bien connu
de Sangaride « Atys est trop heureux » ; le célèbre
trio des Parques, d'Isis, qui n'a rien de terrible et
de tragique, comme on pourrait le croire, mais
séduit par les plus harmonieux et les plus doux
accents ; le trio des frileux, un des succès de la
scène, et le plus imprévu, où trois génies gre-
lottent et bégaient de froid, en chantant de la plus
divertissante, mais en même temps délicate façon ;
l'air de Renaud dans les jardins d' Armide, au
charme mystérieux ; les chants d'amour agreste de
Cadmus et Hermione et le trio « Suivons l'amour... ».
Dans une note plus austère, il faut noter l'air de
Cadmus, du même opéra, ainsi que la scène guer-
rière qui ouvre le premier acte, curieuse par son
emploi des trompettes, et encore l'air d'Arcabonne,
« Amour, que veux-tu de moi ? »
Mme J. Raunay a rendu avec beaucoup d'âme
l'air de Sangaride, surtout, et celui d'Arcabonne ;
M. Jean Périer a eu un vrai succès avec le bel air
de Cadmus, dit d'un style pénétrant ; mais il avait
été fort apprécié déjà dans le duo des vieillards et
la scène du sommeil; M. Daraux a fait sonner sa
belle voix grave dans cette même scène, et dans
d'autres d'Isis, de Cadmus et d' Amadis, surtout la
scène guerrière et le rôle du sacrificateur; M. Pla-
mondon a mis une voix de ténor très douce au
service de la scène du sommeil, de la mort d'Atys,
du trio des Parques et de celui des frileux, enfin
de l'entrée de Renaud,, d' Armide; Mmes Mathieu
d'Ancy et Brolhy, soprano et contralto, ont chanté
avec grâce la scène champêtre de Thésée, le trio des
Parques et celui de Cadmus, enfin la scène de
Phaéton; quant à M. Fragson, qu'on n'attendait
pas précisément dans un concert de musique
ancienne et sérieuse, il s'est taillé un succès des
plus flatteur avec son articulation parfaite et son
adresse de ténor aigu, dans le berger de la scène
champêtre, le trio des frileux, le dieu champêtre
des scènes agrestes de Cadmus, enfin le triton de
Phaéton.
Un intermède symphonique avait trouvé place
également dans le programme : le Ballet-Divertisse-
ment de Monteclair (1680), recueilli et reconstitué
par M. Henri Casadesus, et exécuté par lui et ses
collègues de la Société des Instruments anciens
(Mme H. Casadesus MM. H. et M. Casadesus,
Nanny, Mlle Delcourt...). Le tambourin, le carillon
et la farandole, surtout, ont infiniment plu.
Je ne puis finir sans une petite chicane au sujet
de la composition de ce programme Lulli.
M. Reynaldo Hahn, qui s'est donné beaucoup de
peine pour choisir, transcrire au besoin, rendre
jouables ou chantables ces divers morceaux, et
les mener enfin jusqu'à l'exécution publique, sem-
ble avoir fait ce raisonnement, naturel à quiconque
travaille dans l'ancien et le rétrospectif : c'est
qu'à tant faire, il convient surtout d'exhumer les
œuvres moins connues, moins accessibles, dont
les partitions sont moins répandues parmi les
amateurs. Pourtant, c'est en puisant dans celles
qui nous sont le plus familières (et jusqu'à quel
point encore, et à combien de personnes?) et qui
sont aussi le plus célèbres, qu'il aurait servi au.
LE GUIDE MUSICAL
437
mieux la gloire de Lulli. Par exemple, voici juste-
ment Alceste et Armide qui viennent, coup sur coup,
de' nous être rendues, avec la musique de Gluck.
N'était-ce pas bien le cas de nous faire entendre
les plus importantes pages des deux partitions de
Lulli, jusqu'alors si célèbres qu'elles ont pu
encore, en face de Gluck même, trouver des
défenseurs? Dans Armide, n'y avait-il pas, après
le sommeil de Renaud, d'exquis airs de nymphes
et de bergères, et l'air d'Armide : « Venez, haine
implacable », et tout le finale surtout, depuis la
passacaille et le choeur jusqu'au grand air d'Ar-
mide, n'étaient-ils pas du meilleur Lulli et du plus
puissant? Dans Alceste, tout le prologue (depuis
l'air « Le héros que j'attends »), puis la pompe
funèbre du troisième acte, l'air de Caron : « Il faut
passer tôt ou tard » et ce qui suit, enfin le finale,
avec l'air des pâtres et celui de Céphyse : « C'est la
saison d'aimer... » eussent, même à côté du chef-
d'œuvre de Gluck, défendu le style et l'originalité
de Lulli autant et plus que bien d'autres pages, et
peut-être impressionné davantage...
Henri de Curzon.
CONCERTS RISLER. — Le quatrième
concert de M. Edouard Risler, dimanche dernier,
21 mai, a été probablement le plus remarquable
de la série, soit par le choix des morceaux exécutés,
soit par le mérite transcendant de cette exécution.
Le programme débutait par la superbe, mais si
difficile sonate de Beethoven en si bémol majeur
(op. 106), que M. Risler a jouée avec une puissance
extrême dans les allegro, une légèreté charmante
dans le scherzo et une intime et pénétrante délica-
tesse dans l'adagio et le largo du milieu. Mais
quels éloges trouver pour la grâce et la finesse de
l'exécution à deux pianos, avec M. L. Diémer, des
variations de Schumann, du scherzo (du grand duo
op. 8bis) de Saint-Saëns et des variations sur un
thème de Beethoven du même ? On a bissé le
scherzo, mais on aurait tout bissé, tant cette inter-
prétation étincelante paraissait rare et inaccoutu-
mée. Deux intermèdes, de premier ordre aussi,
l'avaient d'ailleurs encadrée. M. Ernest Van Dyck a
chanté, en allemand, La Poste de Schubert et L'Hi-
dalgo de Schumann, et, en français, Les Berceaux et
Les Roses d'Ispahan de M. G. Fauré. Mordante et
vibrante ici, délicate et expressive là, jamais sa
voix n'a paru plus pleine et plus émouvante, son
style d'un plus beau caractère... Et quelle articu-
lation, qui ne laisse rien dans l'ombre, avec l'une
comme avec l'autre langue; quelle diction poétique
et sincère! — Pour finir, M. Ed. Risler a encore
enthousiasmé les auditeurs avec trois petits tours
de force pianistiques, d'une verve perlée et d'une
couleur chatoyante au possible : la Rapsodie
d'Auvergne de Saint-Saëns, la Mauresque de Chabrier
et son Espana, dans la transcription de M. C. Che-
villard — Rappels et ovations sans fin.
H. de C.
CONCERTS CORTOT. — Le Requiem allemand
de Brahms est une œuvre austère et où règne
l'esprit biblique bien plutôt que l'esprit évangé-
Jique. Les pages les mieux venues sont celles où
l'auteur a exprimé la fragilité de la condition
humaine, par exemple le chœur puissant : Toute
chair est comme l'herbe. Brahms s'est trouvé moins à
l'aise pour chanter la joie, et il ne faudrait pas
presser beaucoup le mouvement du chœur : Com-
bien tes demeures sont agréables! pour obtenir une
véritable valse lente. On doit cependant signaler
l'émotion pénétrante qui se dégage du solo de
soprano : Vous avez maintenant de la tristesse, ainsi
que la belle tenue du chœur final : Bienheureux ceux
qui meurent dans le Seigneur, où l'on respire comme
un vague parfum de Franck.
A vrai dire, le génie ne paraît avoir soufflé nulle
part dans cette œuvre, mais elle ne s'en impose pas
moins par sa probité consciencieuse ainsi que par
l'habileté technique qu'elle révèle. Si le coup
d'aile est un peu lourd, il est du moins fort et régu-
lier.
M. Cor tôt nous a donné du Requiem une inter- "
prétation des plus remarquable. Les chœurs et
l'orchestre ont été excellents. M. Frôlich a prêté
sa voix vigoureuse au baryton solo, mais on peut
regretter que ce chanteur, si bien doué par la
nature, ignore l'art des nuances et du piano. A côté
de lui se fit applaudir Mlle Eléonore Blanc.
Le concert se complétait par le concerto en fa
majeur de Bach, dont l'admirable andante retrouva
son succès du concert précédent, et par la fantaisie
en ré majeur de Guy Ropartz, fort habilement
traitée et qui obtint un franc succès.
J. d'Offoël.
— Mme Lula Mysz-Gmeiner a donné mardi der-
nier, 23 mai, à la salle Pleyel (pourquoi choisir
toujours une si petite salle?), un nouveau concert,
de jour cette fois, qui n'a pas soulevé moins d'en-
thousiasme que le premier, avec un programme
peut-être supérieur encore : le Chant de la Pentecôte de
Bach, l'air de Xerxès « Ombra mai fu », de Hœndel,
l'air Caro mio ben de Giordani, les huit LicderdeLa
Vie et V Amour d'une femme de Schumann, enfin, de
43S
LE GUIDE MUSICAL
Schubert, Nachtstûck, Liebe schi&ârmt..., Haiden-
roslein, Stdndchen, le Roi des Aulnes et la Chanson du
Printemps. Pour les trois premiers morceaux,
M. Pierre Sechiari jouait la partie de violon, qui
donne tant de prix au motif mélodique, notamment
à l'air de Xerxès, et il s'en est acquitté avec un
goût et un style parfaits. C'est M. Alfred Casella
qui tenait le piano pour toute la séance, et l'on ne
peut que louer sa correction, mais ce genre de mé-
rite est bien insuffisant quand il sagit des PÀeder de
Schumann ou de Schubert : il y faut quelque chose
de plus, que le jeune artiste n'a pas encore et qu'il
doit chercher à acquérir. N'oublions pas que, dans
ces compositions-là, la partie de piano ne doit
jamais tomber au rang d'accompagnement du
chant : elle est au même plan... Il est vrai que
quand on a encore dans l'oreille le jeu de
M. Ed. Risler en pareil cas!... Mais aussi est-ce
un de ses mérites les plus rares que ses accompa-
gnements exquis. Justement, à l'un de ses derniers
concerts, il a joué ainsi le Frattenliebe und Leben,
avec Mme Marie Bréma. Je me garderai de toute
comparaison entre cette admirable artiste et la
cantatrice non moins admirable qu'est Mme Mysz-
Gmeiner : les différences d'interprétation sont
toujours celles inhérentes au tempérament d'une
chanteuse de concert ou d'une chanteuse de théâ-
tre. Mme Mysz-Gmeiner est la perfection même.
J'aurais beau chercher, je ne trouverais pas mieux
à dire que M. J. Torchet dimanche dernier. C'est
la perfection du chant et c'est la perfection du
style; la pureté et le sentiment le plus achevés.
Les seules objections, je ne dis pas critiques, que
je serais tenté de formuler porteraient sur la
lenteur parfois extrême de certains mouvements et
le raffinement de délicatesse et de légèreté de
certains effets de douceur. Il y a des moments où le
son est à peine perceptible. C'est ravissant, mais
à condition d'être près, d'abord, et puis que le con-
traste ne soit pas trop fort avec le reste du mor-
ceau. Je parle ici surtout de certaines pages du
petit cycle de Schumann, où Mme Mysz-Gmeiner a
d'ailleurs su incroyablement nous rendre sensible
1' « évolution » de la jeune fille en épouse et en
mère. Dans le Roi des Axdnes, elle a aussi produit un
effet extrêmement particulier avec ce chuchotement
glissant comme un bruit de feuilles, des paroles
du Roi à l'enfant : c'est terrible d'une autre
façon. L'enjouement délicieux des autres Schubert,
la Petite rose des haies, la Chanson du Printemps, Y Au-
bade..., a été rendu dans la dernière perfection. Et
que dire de cette page pénétrante et si pure le
Nachtstûck, ou les derniers adieux du vieillard à la
forêt, et les voix des arbres et des oiseaux qui
bercent son dernier sommeil? Ce sont de tels mor-
ceaux (celui-ci est de 1S19 et fut donc écrit à vingt-
deux ans), qui, entendus après -Schumann,
confirment dans cette conviction qu'il y avait tout
de même quelque chose de plus haut, de plus pur et
de plus divin dans l'inspiration de Franz Schubert.
IL de C.
— La Société Bach, fondée et dirigée par
M. Gustave Bret, continue son œuvre et obtient
d'excellents résultats. A chaque séance, le public
se montre plus empressé, les uns curieux de con-
naître des cantates qu'ils n'ont pas l'occasion
d'entendre ailleurs, les autres venant là parce qu'il
est de bon ton de se mêler au monde « sélect »,
dût-on s'y ennuyer avec respect et considération.
Et puis les concerts se donnent rue de Trévise. à
deux pas des Folies-Bergère ; pour quelques-uns,
c'est peut-être l'occasion de faire succéder le
profane au sacré. « Je ne m'étendrai pas, dit
Giboyer, sur ce contraste philosophique. » Quoi
qu'il en soit, l'entreprise mérite de réussir, et elle
réussit. Le troisième concert, donné le 17 mai, avec
orchestre, chœurs et orgue, présentait un vif
intérêt. Sans insister sur le concerto pour violon
en mi majeur, non plus que sur celui pour deux
violons en ré mineur, œuvres exécutées un peu
partout, je louerai Mme Jeanne Diot et M. Danier-
Herrmann de leurs efforts à les jouer convenable-
ment, l'étude de Bach étant le meilleur des rensei-
gnements, parce que le vieux maître contient
toutes les musiques. La cantate Ich habe genug
(littéralement : J'en ai assez) traduit la nostalgie
de la mort qui, dit-on, emplit l'âme de Bach toute
sa vie. M. Frôlich en a chanté la première partie
avec une onction et une sérénité qui m'ont surpris ;
j'attendais un sentiment douloureux; mais c'est
l'artiste qui a eu raison : ce chant est, en effet,
une sorte de berceuse qui semble exprimer la rési-
gnation plus que le dégoût de la vie. La cantate
Die Elenden sollen essen (Les misérables mangeront)
se rapporte à l'évangile du mauvais riche et du
pauvre Lazare. C'est une grande et belle œuvre,
d'une tenue admirable et d'une inspiration abon-
dante et variée, qui vaudrait d'être analysée. Elle
comprend deux chorals et quatre airs pour ténor,
soprano, alto et basse, de caractère très différent,
mais d'égale valeur. Deux airs, l'un pour soprano,
J'accepte ma peine la joie dans le cœur, l'autre pour
basse (avec trompette obligée^, Mon cœur attend et
croit, chantent l'enthousiasme et la foi, et les deux
autres : Jésus enrichit mon caur et En mon Jésus sera
LE GUIDE MUSICAL
439
mon tout, sont des hymnes d'ardente reconnaissance
envers le divin Sauveur. A part le ténor, qui ne
semblait pas avoir bien compris le style qui con-
vient à cette musique, les autres solistes, M;ie Mary
Pironnay, Mme Georges Marty, M. Frôlich et le
trompettiste, dont je regrette de ne pas connaître
le nom, l'ont interprétée avec un art tout à fait
supérieur, sous la ferme direction de M. Gustave
Bret. T.
— M. Lucien Wurmser aurait pu, comme tant
de virtuoses qui ne le valent pas, réserver l'un de
ses trois concerts pour un récital de piano. Il a eu
la modestie de ne le point faire, et il a eu raison.
Sans doute, il a assez de talent pour retenir
à lui seul l'attention du public; mais, pour
varier l'intérêt et le plaisir de ses auditeurs,
il s'est adjoint le concours de Mme Charlotte
Lormont et de M. Philippe Gaubert. Dans les
deux séances des 16 et 19 mai, il a exécuté : la
sonate en si mineur de Chopin, œuvre hybride
formée de pièces et de morceaux disparates, et cinq
pièces du même maître (un prélude, une berceuse,
une polonaise et deux valses) en lesquelles rayonne,
cette fois, tout le génie de Chopin; les Variations en
fa de Mozart, composition charmante dont l'inter-
prète a su exprimer l'élégance et la grâce; la
sonate de Beethoven connue sous le nom de Quasi
una fantasia, titre injustifié qui me semble avoir été
ajouté par le premier éditeur allemand; enfin,
une transcription de Liszt sur le Don Juan de
Mozart, une fantaisie « vieux jeu » affirmant le
mauvais goût qui régnait vers 184.0 et dénaturant
les plus belles inspirations mélodiques du maître.
Je sais gré pourtant à M. Wurmser, qui a joué ce
pitoyable morceau avec une courageuse virtuosité,
de nous l'avoir fait entendre : il est nécessaire de
connaître les pires choses, afin d'apprendre à les
éviter.
Vingt-quatre mélodies ont été chantées par
Mme Lormont. Elle les a dites avec une intelli-
gence musicale et une intensité d'expression qu'on
ne saurait trop louer. Les classiques, les roman-
tiques, les modernes, ont été passés tour à tour
en revue, et comme, à une voix jolie, elle joint un
style très souple, l'aimable cantatrice a remporté
un très vif succès, notamment clans Y Invitation au
voyage de Duparc, V Extase langoureuse de C. De-
bussy, Y Ane blanc de Georges Hue, Lever d'aube de
Guy Ropartz, Apaisement de Chausson, Soyons amis
de Boëllmann et la fine Pavane de Bruneau.
Pour M. Philippe Gaubert, je ne dirai qu'un
mot : il remplit déjà presque tout son mérite et il
n'a que vingt-six ans. Il est de ceux, extrêmement
rares, qui excellent dans leur art : flûtiste, il n'a
aucune comparaison à redouter; musicien, il a eu
l'honneur d'être nommé récemment second chef
de la Société des Concerts ; compositeur, il vient
d'entrer en loge pour le concours de Rome. Le
public, qui sait ce qu'il vaut, l'a acclamé après
chacune des œuvres qu'il a interprétées avec
M. Wurmser : une romance de Saint-Saëns, un
scherzo de Widor, une sonate de Reinecke, et sur-
tout après la sonate en si mineur de Bach. On a
plaisir à gâter M. Gaubert, parce qu'on a la certi-
tude qu'il ne se laissera jamais gâter. T.
— Chaque année, au retour des beaux jours,
M. Eugène Gigout fait admirer les fleurs d'art qu'il
cultive en son école d'orgue de l'avenue de
Villiers, sub invocatione Bachi.
L'épanouissement de tant de talents, dont quel-
ques-uns allient à la maîtrise du clavier une
dextérité d'écriture peu commune, nous suggère
une jouissance délicate et la considération qui
s'attache tout naturellement à l'enseignement qui
produit de tels résultats. Citons plus spécialement,
parmi les numéros d'un programme surchargé,
M. W. Bastard, dont le style, de belle tenue, s'est
donné carrière dans la sonate IV de l'op. 65 de
Mendelssohn pour orgue, où le célèbre allegretto 6/8
caractérise si fidèlement l'inspiration du maître.
M. Bastard a, de plus, affirmé sa domination un
peu trop tyrannique du clavier dans une sonate
pour piano et violoncelle, œuvre fort distinguée
de M. A. de Montrichard, un des meilleurs élèves
de M. Gigout. J'en apprécie surtout les deux
premiers mouvements. Le mérite de la facture y
rehausse l'originalité des rythmes, la franchise de
l'inspiration et la délicieuse intensité de poésie des
chants. Le dernier mouvement procure l'agrément
d'ouïr le compositeur triturer un thème qui rappelle
à la fois le motif initial des Hébrides de Mendels-
sohn et le dessin canonique du finale de la sonate
pour piano et violon de Franck. M. Hollmann,
vétéran talentueux du violoncelle, a prêté au jeune
maître l'appui de son enthousiasme et de son
expérience.
Bach a permis à Mlle Ziegler, dans la Toccata et
Fuga en ut pour orgue, livre III, de nous faire
admirer l'agilité de ses petits pieds dans le fameux
thème du début, confié aux pédales; de même que
M. Gigout a fait valoir les doigts et l'intelligence
de son élève, artiste au talent méditatif, dans une
sonate à quatre parties qui est, à proprement parler,
440
LE GUIDE MUSICAL
une suite brillante et pittoresque. Mlle Ziegler a,
de plus, interprété à l'orgue une fantaisie inédite
du regretté Boëllmann.
M. Paul Pilot, dont la mémoire est sans défail-
lance et le jeu net et limpide, nous a joué deux
pièces d'orgue : i° la sonate en mi bémol de Bach ;
2° la fantaisie op. 101 de Saint-Saëns, œuvre de
premier ordre, où la clarté de l'écriture polypho-
nique s'allie, Dieu merci, à une euphonie dont le
besoin se fait de plus en plus sentir à notre époque.
Lorsque j'aurai dit que des artistes comme
Mlle Eléonore Blanc et M. Nucelly ont prêté leur
concours à l'exécution de plusieurs pages de
valeur, telles que le Calme, duo de Boëllmann, un
autre duo fort applaudi, La vie est un rêve, de
M. Bastard, et deux Lieder expressifs de Mlle Ar-
mande de Polignac, accompagnés par elle au
piano, j'aurai donné un résumé tout à fait sommaire
d'une séance ayant présenté à tous égards un
intérêt sérieux. Félix Grenier.
— Vous souvenez-vous du Petit Chose, d'Al-
phonse Daudet, de l'arrivée du pauvre petit pion
dans ce Paris si plein, et si vide pour lui, des
soins attentifs et maternels dont l'entoure son
grand frère, « Ma mère Jacques », comme il l'ap-
pelle? Ce roman, presque une autobiographie, un
chef-d'œuvre d'émotion, me revient à la mémoire
chaque fois que j'arrive à un concert donné par
les frères Thibaud. Mêmes prévenances du grand
frère pour le petit, mêmes soucis, même admira-
tion. Le prénom seul de l'aîné a passé sur le ben-
jamin : ici, c'est Joseph qui est « ma mère
Jacques » pour le jeune Jacques. Et, de voir cette
famille si tendrement unie, vivant d'une commune
vie, père, frères, belles-sœurs, c'est bien le spec-
tacle le plus rare et le plus touchant qui s'offre en
ce temps de jalousie, d'égoïsme et de rivalité. Le
mérite de chacun n'est pas tout à fait égal; mais,
quand les frères jouent ensemble, la différence
disparaît, et leur talent, en s'associant, se mêle si
étroitement, que la correction un peu froide de
l'un adoucie parle charme enveloppant de l'autre,
et l'élégance féminine de Jacques virilisée par la
rectitude de Joseph forment le plus harmonieux
des ensembles.
Cette alliance de la savante technique du pia-
niste avec la grâce et la fantaisie du violoniste
vous repose des exécutions un peu lourdes que
l'on entend parfois dans les œuvres ai Bach. Je
ne sais si les fervents du vieux maître s'accom-
modent de cette façon nouvelle d'interpréter la
sonate en mi majeur ; pour mon compte, j'en ai
été ravi, et le public aussi. Même succès pour la
sonate de Hans Huber. Jacques a été particuliè-
rement applaudi après Vallegro, qui semble avoir
été composé pour faire ressortir ses qualités de
son, de finesse et de virtuosité; on a bissé le
scherzo, moins original pourtant que Validante et
surtout que le finale, le meilleur morceau, à mon
avis, bien qu'il n'ait pas produit entièrement l'effet
désiré. La sonate en ré mineur de Saint-Saëns,
faite avec presque pas d'idées, est d'un si joli tour
et développée avec tant d'art, qu'exécutée en
toute perfection, elle a valu aux deux frères des
rappels et des applaudissements sans fin. Cepen-
dant tombait une pluie torrentielle et grondait le
tonnerre, l'après-midi du 18 mai. Mais au ciel de
l'art règne un éternel beau temps, comme dans la
famille des Thibaud une affection et une tendresse
éternelles. Julien Torchet.
%"
— Si un artiste peut être mis à part, dans ce
quatuor admirable que M. Joachim a su consti-
tuer depuis de si longues années et qui nous a ravis
une fois de plus, il y a quelques semaines, C'est
bien M. Robert Hausmann, le violoncelliste. Le
velouté de son jeu, son absence complète d'effet
de virtuose, son goût parfait dans le phrasé, son
style pur enfin, ont toujours été appréciés comme
de premier ordre. Voici que, uni à M. Ed. Risler,
il vient de donner deux séances pour dilet-
tantes de choix, consacrées à l'œuvre de Bee-
thoven pour piano et violoncelle (salle des
Agriculteurs). Cette œuvre n'est pas considérable,
on le sait : elle consiste en cinq sonates, mettons
six, en y joignant celle dont la partie de cor a été
arrangée par Beelhoven lui-même pour violon-
celle ; mettons sept, en y joignant le trio où la
clarinette prend rang à côté du piano et du violon-
celle. Plus quelques séries de variations. Le mardi
23 mai les deux éminents artistes, rivalisant de
légèreté et de profondeur, ont exécuté ainsi les
deux sonates en sol mineur et en fa majeur (op. 5,
1796, dédiées au roi de Prusse\ la sonate en ut
majeur (op. 102, n° 1, i8i5, dédiée à la comtesse
Marie Erdody) et les sept variations en mi bémol
majeur, sur le duo de la Flûte enchantée (1802). Le
jeudi 25, ils ont joué le trio en si bémol majeur
(op. 17, 1797), la sonate en ré majeur (op. 102,
n° 2, i8i5), les douze variations en ja majeur sur
une chanson de la Flûte enchantée (op. 66, 1798),
enfin la sonate en la majeur (op. 69, 1809), la
plus belle peut-être parmi ces œuvres, toutes
intéressantes à des degrés différents. C'est M. Le-
LE GUIDE MUSICAL
441
febvre qui a tenu la partie de clarinette. Ces
soirées, un peu sévères de ligne, ont été cou-
ronnées d'un succès très vif. H. de C.
— M. et Mme Chevallier, qui depuis quelques
années ont affiné maint talent cher au public, tels
Mlle Garden, de l'Opéra-Comique, et Lindsay et
Margyll, de l'Opéra, ont fait excellemment inter-
préter par leurs élèves le Magnificat de J.-S. Bach
dans l'atelier de M. Flameng.
Cette partition tant admirée et sur laquelle
l'exégèse s'est si souvent exercée, avant et depuis
Robert Franz, reflète dans les chœurs une reli-
gieuse allégresse et, dans les autres parties, ainsi
qu'on Fa dit, la chastelé maternelle de la Madone
col Bambino telle que les grands maîtres de la
peinture l'ont rêvée et parfois réalisée. C'est dans
cet esprit que l'œuvre a été dirigée. Il en faut
féliciter M. Chevallier.
Le parfum mystique de l'inspiration du grand
cantor apparaît singulièrement émouvant dans le
dans le verset : Suscefit Israël puerum sniim, où, sur
le contrepoint des trois voix de femme qui en
tissent la trame, vient se poser et planer, angélique,
le chant liturgique du Magnificat. Disons que ces
voix étaient celles de Mmes Château, Chevallier
et Rodier, charmantes interprètes qui ont été l'objet
d'ovations méritées. F. Grenier.
— Comme nous l'avons annoncé déjà, les deux
derniers festivals du Trocadéro, des jeudi 18 et
25 mai, ont été consacrés par M. Ed. Colonne à la
Damnation de Faust, dont il possède si bien les
moindres finesses. Interprétation coutumière de
Mlle Marcella Pregi, MM. Cazeneuve et Daraux
(décidément, un peu trop brave homme, ce Mé-
phisto-là), et succès coutumier aussi. Mais quels
diables d'échos dans cette immense salle, même
bondée de monde ! C.
— M. Siegmund Bùrger, professeur au Conser-
vatoire et violoncelle solo de l'Opéra de Budapest,
a fait applaudir le 18, rue d'Athènes, son beau
talent et sa remarquable sonorité. Il sera, nous
l'espérons, satisfait de l'accueil qu'il a reçu à
Paris et nous reviendra l'hiver prochain. Des
nombreux morceaux qu'il a joués, nous avons
apprécié surtout des pièces de Pergolèse, Corelli,
Boccherini et Max Bruch. La sonate de Chopin,
pour piano ^M. Ch. Foerster) et violoncelle, n'est
pas une des meilleures pages du maître, mais elle
a été rendue à la perfection par M. Bùrger.
M. Carlos Salzedo a agréablement joué de la
harpe et Mme Etty-Plattz a chanté avec beaucoup
de goût l'air connu de la Reine de Saba, de Gounod,
et la prière de La Tosca, de Puccini. En résumé,
concert intéressant, nombreux et élégant audi-
toire. F. G.
— Nous avons eu grand plaisir à applaudir,
le 20, salle Erard, le talent distingué de Mme Ga-
brielle Ferrari. Elle est des pianistes au jeu fin et
discret qu'on aime toujours à entendre. Après deux
pièces de Bach, elle a joué quelques-unes de ses
dernières compositions, jolies œuvrettes qui ont
été vivement appréciées des nombreux artistes
présents.
On n'a pas assez d'occasions d'entendre M. Pol
Plançon, dont le trop court passage à l'Opéra a
laissé d'excellents souvenirs. De sa belle voix, il a
remarquablement chanté des Lieder de Schumann,
de Widor, de Godard et une œuvre très réussie de
Mme Ferrari, le Lazzaronc, qui a été redemandée
d'acclamations. Mme Kutscherra a chanté avec son
style et son sentimsnt habituels la Mondnacht de
Schumann et YErlkônig de Schubert. Le quatuor
vocal Battaille, dont on connaît le merveilleux
ensemble et le goût parfait, a donné des chansons
anciennes, un cantique de Fauré et une chanson
galante de L. Moreau. On a regretté de ne pas
entendre comme soliste la soprano du quatuor,
Mme Astruc-Doria, dont la voix est charmante et
la méthode remarquable.
Nous n'avons pas encore parlé de MUe Graziella
Ferrari, dont c'était, croyons-nous, le début. Sa
voix très fraîche et d'un timbre très sympathique a
beaucoup plu. Grâce à l'éducation artistique
qu'elle est à même de recevoir, ces dons naturels
se développeront et nous l'applaudirons encore
bientôt, c'est certain. F. G.
— Mme Mockel avait consacré sa seconde
séance à l'école primitive italienne et à l'école
allemande jusqu'à Schubert. Elle put ainsi mettre
en lumière les faces diverses de son fin talent. Sur
un programme composé avec infiniment de goût
et qui ne comprenait que des œuvres de premier
ordre, nous avons particulièrement noté la Gelosia
de Rossi, le Lamento d'Ariane de Monteverdi,
l'admirable Bist du bei mir de Bach, la Violette de
Mozart, le grandiose In questa tomba et le Désir de
Beethoven, le Petit Fritz de Weber, Lied tout à
fait exquis, et enfin neuf mélodies de Schubert,
dont plusieurs, presque inconnues, comme Le Roi
de Thulé, Litanie, n'en sont pas moins des mer-
veilles. En tous ces morceaux si différents,
Mme Mockel fit preuve d'une souplesse et d'un .
442
LE GUIDE MUSICAL
sentiment artistique parfaits, que soulignèrent de
nombreux applaudissements.
Ajoutons qu'une jeune pianiste, Mlle Madeleine
Stévart, se fit entendre avec un succès complet
dans diverses pièces de Scarlatti, Bach, Beethoven
et Schubert. J. d'Otfoël.
— Mlle Ethel Hirschbein, qui a chanté avec
succès dans plusieurs grands concerts de Londres,
nous a fait apprécier lundi dernier, à la salle
yEolian, une belle voix de contralto, bien posée et
nuancée avec goût. Elle a dit avec expression des
pièces françaises, anglaises et allemandes, dans la
langue originale. La musique anglaise nous a paru
sans originalité. Mais Mlle Hirschbein a très bien
chanté des œuvres connues de Gluck, Schubert,
Saint-Saëns, etc., et on lui a fait un succès mérité.
Il en a été de même pour M. Hardy-Jackson,
baryton dont la voix est bonne et la diction nette.
Le programme était complété par deux jeunes
artistes, M. Borschke, pianiste de Vienne, et
M. Ed. Bastide, violoniste, dont on a applaudi la
belle technique et l'autorité. Nous espérons les
entendre encore. F. G.
— M. Clarence von Amelungen qui a obtenu
un prix du concours Rubinstein a donné le i5 un
concert avec orchestre où figurait au programme
le conceito en la mineur pour piano de Schumann;
quelques défaillances de mémoire justifient une
fois de plus cette remarque qu'il n'y a point de
déshonneur à jouer en public avec la musique
sous les yeux. Les brillantes qualités, de l'artiste
se sont révélées plus sûres et plus modelées dans
la rapsodie en si mineur de Brahms, la Polonaise
en la bémol de Chopin et le Concerstûch de Weber.
Mlle De Brauneker qui chante des romances
d'Holmes, possède une voix de contralto insuffi-
samment assouplie et mûrie par l'étude. Ch. C.
— Le 20 mai, cours Sauvrezis, M. Arthur
Coquard a fait une causerie courte, mais substan-
tielle, sur les maîtres du piano, Schubert, Schu-
mann, Liszt et Chopin. Il a plaidé la cause des
interprètes, regrettant un peu que les amateurs
attachent plus de prix à l'exp: ession qu'à la
virtuosité ou, du moins, qu'ils semblent trop sacri-
fier celle-ci à celle-là, l'artiste n'étant parfait que
s'il réunit ces deux qualités. A l'appui de sa ihèse,
MUe Geneviève Dehelly, l'élève préférée de M.
Delaborde, cette jeune artiste qui. à huit ans,
d'après les souvenirs de Gevaert, jouait déjà tout
le Clavecin bien tempéré par cœur et, d'instinct, le
transposait, est venue exécuter les Papillons de
Schumann, l'impromptu en si bémol de Schubert,
le nocturne en ré bémol de Chopin, une délicieuse
pièce d'Alkan et la dixième rapsodie de Liszt. Ce
qui fait de Mlle Dehelly une artiste presque excep-
tionnelle, c'est qu'à l'encontre de beaucoup
d'autres, elle comprend si bien la pensée des
maîtres, qu'elle les interprète chacun dans un
style différent, celui, d'ailleurs, qui leur est propre.
Sa virtuosité étant impeccable, les raisons de
M. Coquard devaient triompher : comment résister
à 1' « éloquence » d'une telle artiste? T.
— A sa dernière audition intime du Trocadéro,
M. Guilmant a interprété des œuvres françaises, à
commencer par un curieux thème varié de du
Caurroy, l'organiste d'Henri IV, thème repris
plus tard par J.-S. Bach dans un de ses chorals
d'orgue. Il a joué également des œuvres de Louis
Marchand, de Daquin — un charmant Noël — et
de Nicolas de Grigny. Comme compositeurs mo-
dernes, il a fait entendre une Rapsodie provençale de
M. Mezeray, un allegro de Boély et enfin une Médi-
tation de sa composition, datant de 1 861, la pre-
mière œuvre sortie de sa plume savante et féconde.
Ces séances présentent toujours un réel intérêt à
ceux qui aiment et comprennent la musique
sérieuse. L'éminent professeur les « illustre » de
commentaires pleins de bonhomie et de justesse.
F. G.
— L' « heure de musique » de samedi dernier
20 mai, aux Mathurins, a été consacrée, par
M. Engel et Mme Bathori, à une série de Lieder de
M. Camille Erlanger, accompagnés par l'auteur.
Ces petites pages ne sont pas toujours d'une inspi-
ration très riche, mais elles ont leur signification
propre et leur caractère personnel; parfois, l'accom-
pagnement est à lui seul un morceau très original
(par exemple Mon clocher et Fédia). C'est surtout le
maniérisme qu'on peut souvent leur reprocher. Le
petit cycle des Poèmes russes a surtout été apprécié,
comme d'habitude, et, comme écriture, comme
style, c'est bien ce que le musicien a le mieux
réussi dans ce genre (Aubade, Les larmes humaines,
Les seuls pleurs, Fédia...). Les Caresses, de Richepin,
sont moins caractéristiques. Citons encore Si tu
veux m aimer (du même poète), Laisse-les dire, Séré-
nade et surtout Mon clocher. M. Engel donne
toujours à ses interprétations un accent vibrant et
chaud qui convient surtout à merveille aux mor-
ceaux dramatiques et de sentiment profond.
Mme Bathori brille surtout par la grâce et l'élé-
gance de la diction. Ils ont été fort applaudis tous
deux. H. de C.
Le guipe musical.
A^
— Le collège Stanislas a célébré son centenaire
dimanche dernier, 21 mai, par une fête solennelle
dans laquelle la musique et la poésie avaient pris
une place d'autant plus importante que plusieurs
des anciens élèves sont des poètes ou des musi-
ciens réputés. L'orchestre (de la Schola Canto-
nna) était dirigé par M. Pierre de Bréville, qui a
fait entendre, avec les chœurs du collège, (classe
de M. Pirro, maître de chapelle), une cantate iné-
dite, La Chanson des années (sur des paroles de
M. A.. Mithouard), qui a obtenu un très vif succès.
Une ballade inédite de M. Edmond Rostand
(ancien élève) a été dite par M. Coquelin aîné,
ainsi qu'une poésie de M. Emile Trolliet, par
M. Ed. Céalis. Enfin, M. Imbart de la Tour (égale-
ment un ancien élève) a chanté à l'orchestre le
récit du Graal de Lohengrin.
— Vingt-quatre préludes et vingt-quatre études
de Chopin, voilà un programme qu'on n'eût guère
osé donner il y a quelques années. Aujourd'hui, on
l'admet, et on l'admire quand il est réalisé par une
artiste de la valeur de Mme Berthe Marx-Goldsch-
midt. C'est là une des marques d'un grand progrès
accompli par le goût du public et par le sens artis-
tique des interprètes. Combien cette manière de
présenter un auteur et de le faire comprendre
est intelligente et supérieure aux programmes
.« panachés » où une fugue de Bach est encadrée
d'une fantaisie sur Faust et de variations sur le
Carnaval de Venise !
Les préludes sont de petites pages très variées
'; et d'un sentiment exquis. On n'a jamais mieux
écrit pour le piano. Quant aux études, Berlioz
(cependant peu fanatique de piano) les a qualifiées
.de « chefs-d'œuvre où se trouvent concentrées les
qualités éminentes de la manière de Chopin ».
Ces œuvres exigent une technique impeccable,
mais la virtuosité ne doit pas y dominer la justesse
.des nuances et du. sentiment. Aussi sont-elles
rarement interprétées comme elles doivent l'être,
.sans recherche de l'effet, sans préoccupation de
briller aux dépens de l'auteur. Nous n'hésitons
pas à dire que nous ne les avons jamais entendu
mieux jouer que par Mme Goldschmidt. C'est d'une
absolue perfection. Et quelle mémoire ! F. G.
— Le jury du douzième concours Cressent, pour
la composition d'un ouvrage lyrique, s'est réuni
au Conservatoire. -
Après examen des diverses partitions déposées,
le jury a décidé d'accorder une mention à la par-
tition écrite par M, Ph. Bellenot, maître de cha-
pelle de Saint-Sulpice, sur un poème de M. d'Al-
ban de Polhes.
— Le musée de l'Opéra, vient de s'enrichir
d'une curieuse miniature représentant un ancien
directeur de l'Académie de musique, F.-J. de
Mirbeck, qui occupa ce poste important sous le
Directoire. La miniature n'est pas signée, mais
elle est exécutée avec une grande finesse. C'est
une curieuse figure, peu connue, que celle de ce
gentilhomme lorrain, tour à tour avocat, conseiller
du Roi, commissaire aux armées et directeur de
l'Opéra. La miniature, qui date de la dernière
année de sa vie, le représente avec l?habit de
cour, le chapeau et la perruque poudrée qui étaient
de rigueur à Versailles sous Louis XVI. Par une
coquetterie, qui ne fut pas sans courage à une
certaine époque, l'ancien conseiller du Roi avait
tenu à conserver le costume de l'ancien régirne.
Notons que le musée de l'Opéra possède très peu
de portraits des directeurs de l'Académie de musi-
que au dix-huitième siècle. Le nouveau document
n'en est que plus précieux.
— Le conseil supérieur du Conservatoire s'est
réuni et a décidé : i° qu'au commencement' de
l'année scolaire, on dresserait, s'il y a lieu, une
liste d'élèves suppléants et que ces suppléants
pourraient être admis comme titulaires dans les
classes, au cas où un élève quitterait l'école;
2° que l'exercice public qui a été donné, il y a
quinze jours, au Conservatoire, sera- donné dans
la même salle, le soir, entre le 5 et leTojuin;
3° que non seulement les concours de théâtre,
mais aussi ceux d'instruments auraient lieu, en
juillet, à TOpéra-Comique, et que les élèves
pourraient répéter, salle Favart, quelques jours
avant le concours. - ï „
BRUXELLES
L'abondance des matières nous a empêché
de parler dans notre dernier numéro du concert
donné à la Grande. Harmonie par le Deutscher
Gesang-Verein, à l'occasion du centenaire de
Schiller. L'œuvre choisie était le Chant de lu
Cloche de Max Bruch, que l'on donnait pour la
première fois à Bruxelles. Dans les deux parties
qui la composent, il y a une abondance de mélodies
larges et soutenues, de beaux récitatifs, des
chœurs particulièrement bien traités, des airs et
trios fort bien écrits pour les voix et avec cela une
orchestration remplie et brillante. L'exécution en
a été fort belle.
Les solistes étaient M; Heinemann, de Berlin,
possédant une jolie voix de basse et surtout un
444
le guide Musical
grand talent; M. Fischer, ténor de Francfort, à la
voix terriblement gutturale, mais chantant avec
conviction, Mme Rùsche-Endorf, soprano de
Hanovre, possédant un organe merveilleux de
beauté et de puissance, avec peu de tempérament,
et enfin M,le Else Bengell, mezzo-soprano de
Francfort, chanteuse expressive avec une jolie
voix, mais paraissant peu musicienne. Les chœurs
et l'orchestre se sont comportés très honorable-
ment, et le tout se trouvait sous la direction de
M.Welcker, cet artiste si modeste et pourtant d'un
beau talent et auquel le public a manifesté son
enthousiasme en le rappelant plusieurs fois.
E. B.
— Nous n'avons pu parler, faute de place dans
notre précédent numéro, du dernier concert de
l'Exposition des Peintres et Sculpteurs de l'Enfant,
qui a été précédé d'une conférence charmante de
M. L.-A. du Chastain sur les « Poètes de l'Enfant »
et de récitation d'œuvres de Ratisbonne, Manuel,
Pailleron, Aicard, Richepin, Victor Hugo par de
petites filles et de petits garçons des écoles pri-
maires de la ville de Bruxelles. Cette séance musi-
cale a eu lieu avec le concours de Mme Eva
Simony, du théâtre royal de la Monnaie, qui s'est
fait applaudir suitout dans la Berceuse de Mozart,
le Petit Enfant de Le Borne et la Vierge à la Crèche
de Périlhou, et de M. Georges Surlemont, qui a
fort bien chanté la Marmotte de Beethoven, la
Berceuse et le Petit Fritz de Weber, la Farandole de
Jaques-Dalcroze et Les Enfants de Massenet. Le
piano d'accompagnement était tenu avec tact et
avec goût par M. Strony.
— La dernière audition de harpe chromatique
des élèves de M. Risler a obtenu grand succès. On
a remarqué surtout le talent, le jeu souple, la
sonorité expressive de MUe J. Cornélis qui a inter-
prété avec ait et avec une réelle virtuosité des
pièces de Wallner, Pierné, Schumann. Mlles Del-
corde et Levy méritent aussi des éloges.
Mme Stevens, une aimable cantatrice, collaborait
à cette séance et elle a fait preuve de bien jolies
qualités vocales dans des mélodies de Grieg, Bem-
berg, R. Hahn, etc., dites avec goût et sentiment.
L. D.
— Mlle Jeanne Latinis, l'excellente professeur de
chant, a eu la bonne idée de grouper en un pro-
gramme, à sa dernière soirée particulière, des
œuvres vocales et instrumentales de l'école belge;
les auteurs y assistaient, ainsi que quelques invités
de marque.
. La variété des styles offrait une difficulté que
Mlle Latinis a surmonté avec le talent qu'on lui
connaît ; elle a su s'inspirer de la personnalité de
chaque auteur, et elle a fait applaudir longuement
des pages superbes de Gilson, Huberti, Tinel et
L. Dubois, Tes yeux bleus de De Greef, Y Enamourée
de Lunssens, deux intéressants Lieder de Mathieu,
Fragilité de Michotte, un poème très coloré,
Epilogue de Van Cromphout, un charmant J'avais
un cœur de De Boeck, deux ravissantes mélodies
de Léon Delcroix : Au Jardin de mélancolie et
Renouveau, le Chant de l'Océan de Dujardin ainsi
que d'autres encore de Rasse, Somers, Agniez,
Flon, Lauweryns, Van Dam, etc.
La séance s'ouvrait par l'intéressant trio en si
mineur de Rasse, excellemment exécuté par
M Vf. Dujardin, Somers et Liégeois, ainsi que
l'admirable et passionnant trio de Jos. Jongen,
avec l'auteur au piano. R. V.
— La Société des Concerts du Waux-Hall, dési-
rant participer aux fêtes nationales qui célébrerc nt
cette année le soixante-quinzième anniversaire de
notre indépendance, a donné, sous les auspices
du conseil communal de Bruxelles, le premier
des six grands concerts extraordinaires à entrée
gratuite qu'elle annonçait dernièrement.
Le mauvais temps, qui semble affectionner tout
particulièrement les soirées du Waux-Hall, n'a pas
voulu compromettre le succès de cette attrayante
séance, qui avait attiré un public nombreux.
Sous la direction magistrale de M. S. Dupuis,
l'orchestre s'est montré digne des œuvres qu'il nous
a fait entendre. Ce concert était entièrement con-
sacré à l'école belge, et la splendide exécution de
La Mer, les esquisses symphoniques d'après un
poème d'Eddy Levis, esquisses si profondément
senties et notées d'une façon si émouvante parle
compositeur Paul Gilson, a soulevé de chaleureux
applaudissements.
M. Vermandele a récité le poème avec le talent
qu'on lui connait, et M. Lambert, un jeune et très
talentueux violoniste, a recueilli un grand et légi-
time succès après une très vibrante exécution d'un
concerto de Vieuxtemps et d'une élégie de Th.
Radoux.
Félicitons donc la Société des Concerts du
Waux-Hall de cette belle soirée et souhaitons que
la prochaine audition populaire amène encore
plus de monde, si c'est possible.
— Une intéressante audition de musique mo-
derne a eu lieu à l'Extension populaire d'Uccle,
organisée par M. Edouard Barat, pianiste.
Au programme : Le trio de Smetana, super bernent
exécutée par MM. Barat, Kûhner, violoncelliste,
Doehaerd, violoniste. Ces trois artistes nous en ont
donné une interprétation vibrante, avec un ensem-
ble remarquable.
LE GUIDE MUSICAL
44§
MM. Doehard et Barat ont ensuite joué la nou-
velle sonate pour violon et piano de L. Thuille,
avec un réel souci artistique.
M. Kùhner a fait apprécier une technique impec-
cable, en même temps qu'une sonorité expressive
dans le concerto de Lalo. Quant à Mlle E. Delhez,
elle a chanté à ravir deux mélodies de Miry, l'inté-
ressant poème de Léon Delcroix, Rêve au crépuscule
et le charmant Stàndchen de Strauss, ainsi que
deux Lieder de P. Benoit. M. Léon Delcroix l'a
accompagnée au piano.
Enfin, le pianiste M. E. Barat a obtenu un succès
de plus par son jeu vivant, sa technique impec-
cable et ses qualités expressives d'interprétation
dans des pièces de P, Benoit, une Barcarolle de
J. Jemain, et la Valse chromatique de L. Delcroix,
une œuvre nouvelle, très pianistique et de bel
effet. R. V.
CORRESPONDANCES
JA HAYE. — Le festival de trois jours
J donné au Concertgebouw d'Amsterdam au
profit de la caisse de pensions de l'orchestre, a
pleinement réussi.
Le premier concert, se composant de l'admirable
Messe solennelle de Beethoven, sous la direction de
M. Mengelberg, a vivement impressionné le nom-
breux auditoire. Les choeurs et l'orchestre méritent
tout d'abord les plus sincères éloges. Parmi les
solistes, c'est Mme de Haan-Manifarges qui a été
absolument hors pair. lVlme Emma Belwidt a été
moins à louer, et dans le registre élevé, sa voix a un
caractère strident et peu sympathique. Le ténor
Ludwig Hess, de Berlin, a une voix superbe, mais
il est regrettable qu'il abuse d'une exagération de
sentiment. M. Van Oort est un chanteur de beau-
coup de talent, mais sa voix manque de sonorité.
Le second concert qui se composait d'oeuvres
de M. Schillings, sous la direction du com-
positeur, a été le véritable clou du festival. Il
a provoqué un enthousiasme exceptionnel de la
part de notre public et nous a fait faire la con-
naissance d'un compositeur d'un talent sérieux et
d'une grande érudition ; comme chez la plupart
des compositeurs modernes, la partie mélodique
est reléguée au second plan, mais la forme, le
style, le travail polyphonique et l'instrumentation
trahissent la main du maitre. Le prologue pour la
tragédie Œdipe, de Sophocle, est d'une conception
grandiose et sévère; le Chmt des Sorcières, poème
de von Wildenbruch, est une oeuvre des plus inté-
ressante ; la partie déclamatoire, admirablement
récitée par le Dr Wûllner, a vivement impres-
sionné l'auditoire, et la musique discrète et intelli-
gente qui souligne le poème est d'un grand effet,
si grand que le compositeur et le récitant ont été
rappelés cinq fois. Avec ces deux ouvrages, il y a
encore à signaler Dent Verhlàrten, poème de
Schiller, pour baryton, chœur et orchestre, une
œuvre de grande valeur et à grand effet, dont le
solo a été chanté avec talent par le baryton
M. Loritz, de Munich.
Au troisième et dernier concert de ce festival,
exécution magistrale, sous la direction de M. Men-
gelberg, de la cinquième et de la neuvième sym-
phonie avec chœurs de Beethoven.
Le prochain festival annuel de la Nederlandsche
Toonkunstenaars Vereeniging, un festival de trois
jours, sera donné à Deventer les 3o juin, Ier et
2 juillet, sous la direction de M. Jan Ryken, avec
l'orchestre d'Arnbem renforcé et le concours de
M mes (je Haan- VTanifarges, Anna Kappel, Kruyt-
Denys, Litzinger et MM. Paul Hasse et Thomas
Denys. Comme programme, entre autres, un opéra
en forme de concert, Der Falsche Czar, de Jan
Ryken, un air de concert de Cor Kuiler, un frag-
ment d'un oratorio de Heinze, une ouverture de
Vanden Beig, une ballade de Coster, sérénade
pour instruments à vent de van Petterode, Décora
lux de Averkamp et des Lieder. C'est M. Henri
Viotta, l'émiment directeur de notre Conservatoire
royal et du Wagner- Verein néerlandais, qui prési-
dera ce festival.
Pendant la prochaine saison, l'Opéra italien,
sous la direction de M. de Hondt, établira son
siège principal à Amsterdam, où il donnera trois
représentations par semaine au théâtre du Palais
de l'Industrie. Ed. de H.
LONDRES. — La saison d'opéra au théâtre
de Covent Garden s'ouvre brillamment. Les
deux séries de l'Anneau du Nibelung ont été admi-
rables. Mme Marie Wittich a chanté successive-
ment Brunnhilde et Sieglinde, puis s'est fait ova-
tionner dans le rôle d'Isolde. Tristan était chanté
par M. Burrian et Kurwenal, par M. Van Rooy.
Dans la seconde série de l'Anneau du Nibelung,
Mme Litvinne a chanté merveilleusement Brunn-
hilde et a produit une grande impression. Cette
année, toutes les œuvres de Wagner ont été
conduites par M. Hans Richter, complètement
remis de sa récente maladie. Lohengrin a été donné
avec le ténor M. Herold et Mme Kirkby Lunn,
admirable dans le rôle d'Ortrude.
Mme Melba a fait sa rentrée le 17 dans la
4+b
LE GUIDE MUSICAL
Traviata, avec M. Constantino. Mme Norina et le
-ténor Maurel ont remporté de magnifiques succès
dans Don Pasquale et le Barbier de Séville.
. Le nouveau théâtre de Waldorf vient de s'ou-
vrir; on y donnera alternativement l'opéra italien
et le drame avec Mme Eleonora Duse.
Les récitals, particulièrement nombreux, ont
donné l'occasion d'applaudir les violonistes Ku-
belik, Mme Marie Hall, Hegediis, Hubermann,
Aldo Antonietti, Miscka Elman, et un jeune
prodige anglais, Vivien Chartres, qui est tout aussi
remarquable que ses jeunes concurrents. Parmi
les pianistes, il faut signaler Mark Hambourg,
-Ignace Friedman, Frédéric Lamond, Hans Ri-
chard, !Ville Peppercorn et M. Raoul Pugno, qui a
'merveilleusement exécuté les Variations sympho-
niques pour piano et orchestre de César Franck au
dernier concert de la Société philharmonique. Le
programme comportait en outre la. Symphonie pathé-
tique de Tschaïkowsky.
- Les concerts du Quatuor Joachim à la salle
Bechstcin ont été admirables et comprenaient en
majeure partie des œuvres de Beethoven et de
Brahms.
: Un excellent musicien, M. Lionel Tertis, qui
joue parfaitement de la viole, a présenté des
■œuvres fort intéressantes et nouvelles pour cet
instrument et le piano. N. Gatty.
I POITIERS. — Une assistance nombreuse et
: élégante remplissait le i5 mai le théâtre de
Poitiers, attirée par cet événement rare en pro-
vince, la représentation d'un opéra inédit.
M. Prunet, l'intelligent et courageux directeur
"du théâtre, conviait le public à l'audition des Noces
' d'Attila^ opéra- en quatre actes, poème et musique
du comte F. de Beaufrauchet, qui s'est fait con-
naître par d'intéressants oratorios exécutés en
province : Saint Louis, Sainte Radegonde, Saint Vincent
de Paul.
Le sujet est celui du drame bien connu d'Henri
"de Bornier. M. de Beaufrauchet en a tiré une
"œuvre musicale bien vivante, d'une parfaite unité
de style, et qui s'élève dans quelques scènes à un
très haut degré d'expression dramatique. Il a cru
'devoir conserver la forme traditionnelle et clas-
sique de l'opéra. Sa mélodie, toujours d'une exquise
' distinction, est bien de l'école française : les airs,
-duos et ensembles sont habilement réunis aux
récitatifs, toujours intéressants et soutenus par un
orchestre dont la discrétion n'exclut pas le coloris;
l'action, dramatique n'est jamais ralentie par des
hors-d'eeuvre de pure virtuosité.
- Le premier et le quatrième acte nous ont paru
les mieux venus. Les chœurs sont particulièrement
soignés et les grands ensembles qui terminent les
tiois premiers actes sont d'une grande puissance
d'effet.
Nous avons remarqué spécialement, au premier
acte, le prélude construit avec trois des motifs les
plus caractéristiques de l'œuvre : la scène épiso-
dique de Gérontia, l'entrée et le récit de Wahher
et son dialogue avec Attila.
Au second acte : une mélodie douce et rêveuse
d'Hildiga, un trio et un duo d'amour très déve-
loppé et enfin la vigoureuse malédiction lancée
par Herrick à sa fille Hildiga.
Au troisième acte : une brillante marche et le
Chant de guerre des Hnns, d'un beau caractère.
Mais c'est, sans contredit, au quatrième acte,
dans la scène entre Attila et Hildiga, que M. de
Beaufrauchet a été le mieux inspiré. L'émotion
est vraiment humaine, le mouvement dramatique
et musical très entraînant, et ce morceau obtiendra
toujours un très grand succès.
L'interprétation a été aussi bonne qu'on pouvait
le désirer. Mlle=* Clara et Grâce Carol, Mlle Gehman,
MM. Gorius, Dubois et Rysoor, qui remplissaient
les principaux rôles, ont été remarquables aussi
bien comme acteurs que comme chanteurs ;
MM. Zeger, Bucken et Chacou, très corrects dans
les rôles secondaires.
L'orchestre et les chœurs, dirigés par M. Berga-
lonne, l'éminent chef du Théâtre des Arts, à Rouen,
ont vaillamment rempli leur tâche. G. V.
VERVIERS. — Le Cercle musical d'ama-
teurs vient de terminer sa série de concerts
annuels. Le 2 décembre 1904, le jeune et déjà
célèbre violoniste Kochanski s'est fait beaucoup
applaudir dans le Trille du diable de Tartini, les
Danses espagnoles et le Streghe de Paganini. Au même
concert, le Choral mixte verviétois que dirige
M. Duyzings, a exécuté correctement diverses
pièces de vieux maîtres français et les chansons
des Bois d'Amaranthe, de Massenet.
Au deuxième concert (8 février 1905), tout le
succès a été pour M. E. Mawet, professeur de
violoncelle au Conservatoire de Strasbourg, qui a
exécuté admirablement un Andanie de son frère,
M. F. Mawet, et les intéressantes variations de
Boëllmann. L'orchestre à cordes donnait la pre-
mière partie du troisième quatuor de Mendelssohn,
un Adagio admirable de Nardini, avec M. N. Fau-
connier comme violon solo, la célèbre sarabande
de Saint-Saëns et le quatuor en sol de Haydn.
LE GUIDE MUSICAL
447
Le troisième concert (18 avril) est le plus beau
qu'on ait eu cet hiver à Verviers. L'orchestre,
impeccable dans le cinquième Concerto grosso de
HaendeL très brillant dans la sérénade de R.
Strauss, a rendu à la perfection le sextuor de
Beethoven pour deux cors et archets, une pièce
inédite, Mer calme, de M. Jodin, et un menuet
solidement charpenté de M. Massau.
Comme solistes, Mlle J. Delforterie a été exquise
dans des airs de Grétry, le Nil de Leroux et Si
j'étais papillon de M. Massau.
M. Schmit, flûtiste, professeur au Conservatoire
royal de Liège, a charmé son auditoire dans le
concerto en ré de Mozart et les accompagnements
des airs de Grétry.
Signalons enfin la belle exécution que MM. Fau-
connier, Bonjean (violonistes) et Schwiller (violon-
celliste) ont donnée de la Golden-Sonate de Purcell.
Ces trois séances font le plus grand honneur au
dévoué et modeste directeur, M. A. Massau.
j.
NOUVELLES
Le théâtre de la Cour de Munich vient de
jouer le Barbier de Bagdad de Peter Cornélius
(adaptation de Mottl) et un ballet de M. Félix
Mottl, Pan au bois, déjà donné à Carlsruhe et qui a
été très applaudie.
A peu près en même temps, le théâtre de Mag-
debourg montait aussi le Barbier de Bagdad, mais
dans la version originale. Plus récemment, il a
donné la Dame blanche dans une nouvelle adapta-
tion allemande de M. Hans Lowenfeld, sous le
titre de La Dame blanche d'Avelan.
— Le théâtre allemand de Prague a monté
Marivara, opéra de MM. Cosmovici et Schmeidler,
paroles de Carmen Sylva (la reine de Roumanie),
qui a obtenu un certain succès en dépit du manque
d'originalité de la musique.
— Signalons d'intéressantes auditions qui ont
eu lieu récemment en Allemagne : la Serva padrona
de Pergolèse au Conservatoire Raff, de Francfort;
la Fiancée de Messine de Schumann au Conser-
vatoire de Cologne; la Cloche engloutie, suite pour
orchestre de M. Charles Kleemann, et Prométhée,
poème symphonique de Liszt aux concerts de la
chapelle de la cour de Dessau.
— A Osnabriick, on a inauguré il y a une
quinzaine de jours un monument en l'honneur du
compositeur de Lieder Justus Wilhelm Lyra (1822-
1882^ qui est connu en Allemagne principalement
par la chanson populaire Le mois de mai est revenu.
On disait volontiers de lui qu'un Lied lui a valu la
célébrité. Pourtant, une autre chanson de sa façon,
Entre la France et la forêt de Bohème, et quelques
autres encore, ont été beaucoup chantées.
— M. Camille Saint-Saëns a demandé à
M. Auge de Lassus, qui fut déjà son collaborateur
pour Phryné, le livret d'une pièce en deux actes et
trois tableaux. Cet ouvrage, intitulé L' Ancêtre, sera
représenté l'hiver prochain à Monte-Carlo, avec la
musique du maitre, puis sans doute joué à l'Opéra.
— Un comité composé d'admirateurs de Wagner,
à la tête duquel se trouve le prince Gabrielli, vient
de faire poser et d'inaugurer solennellement à
Rome, une plaque commémorative rappelant le
séjour que fit Richard Wagner dans la maison de
la Via del Babinno, 79, à quelques pas de l'admi-
rable Porta del Popolo. Cette plaque porte
l'inscription suivante : « In questa casa abitô
— Riccardo Wagner — nel 1877 — Alcimi
ammiratori dell' arte sua posera in memoria —
Roma 1905. »
— Le compositeur Charles Goldmark vient de
fêter son soixante-quinzième anniversaire.
— L'Exposition de Liège. — On a dit et redit
que l'Exposition de Liège n'est pas terminée, que
l'on se promène à travers des jardins déserts ou
des halles remplies de caisses, bref, qu'il n'y a
rien à voir.
Il faut en revenir, de cette exagération, et s'il est
vrai que la Bulgarie et la Roumanie n'ont pas
encore entièrement terminé leur pavillon, s'il est
exact que quelques classes de la section belge ne
sont pas complètement en ordre, il n'est pas
moins vrai que tant dans les halls que dans les
jardins, tant au point de vue attractions qu'au
point de vue exposition, il y a suffisamment de
choses à voir pour occuper les plus difficiles.
Le visiteur a le choix entre les sections ita-
lienne, suisse, perse, hollandaise, autrichienne,
suédoise, hongroise, française, allemande, prus-
sienne, internationale, le stand de la ville de
Paris, la halle internationale des machines, où dès
maintenant déjà la plupart des appareils sont en
mouvement, le compartiment international de l'art
militaire et les pavillons du Maroc, de la Serbie,
du Monténégro, le palais des Beaux- Arts, celui de
la ville de Liège, les pavillons de l'Algérie, des
colonies françaises d'Asie et d'Afrique, de la
Tunisie, etc., etc., sans compter toutes les bras-
series, les restaurants et les nombreuses « attrac-
tions » de l'Exposition de Liège.
44§
LE GUIDE MUSICAL
BIBLIOGRAPHIE
Symphonies de Beethoven, réduites pour piano à quatre
mains par Otto Dresel. (Réimpression. Leipzig,
Leuckardt.) Aujourd'hui qu'avec l'épuration gra-
duelle du goût et la diffusion croissante des grands
ouvrages symphoniques, la lecture à quatre mains
sur le piano, entre de plus en plus dans les mœurs,
cette réimpression de l'excellent travail de Dresel
vient à son heure. Ses réductions, dont Liszt,
Buknv, Clara Schumann, Kirchner signalèrent
jadis les éminentes qualités, surpassent de loin,
en effet, les autres arrangements. Au prix, il est
vrai, d'une difficulté d'exécution un peu plus
considérable en certains endroits, Dresel a su
« tout » mettre dans ses réductions, inspirées des
fameux arrangements à deux mains de Liszt. On
remarquera, entre autres choses, son application
à conserver toujours au même exécutant les passa-
ges confiés à un même groupe instrumental (mais
généralement divisé au piano, pour plus de faci-
lité) : d'où des oppositions d'un effet réellement
orchestral.
Par la même occasion, signalons (chez le même
éditeur), comme symptôme du succès croissant
des œuvres de Berlioz en Allemagne, de bons
arrangements pour deux pianos à quatre mains
des pages les plus célèbres du maître : Benvenuto,
le Carnaval romain, les pièces symphoniques de
Roméo. C'est fait par Otto Singer, un spécialiste
en la matière. E. C.
— La librairie musicale Rosso y Montero,
26, Jacometrezo, à Madrid, vient de publier un très
intéressant cahier de chansons populaires de la
province de Léon, Cancionas Leonesas, arrangées
pour piano avec beaucoup de tact, d'érudition et
de sens musical par M. R. Villar.
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NÉCROLOGIE
Mma Caroline Rosati, l'une des plus célèbres et
des plus artistes des danseuses du xixe siècle,
vient de mourir dans sa villa du Golfe Juan, à
l'âge de quatre-vingt-deux ans.
Elle était née à Bologne en 1827. A l'âge de
neuf ans, elle débuta à Florence dans le rôle de
l'Amour enfant; à Venise, elle eut, en 1842, ses
premiers succès. Elle eut ensuite d'éclatants
triomphes sur les scènes de Rome, de Turin, de
Gênes, à la Scala de Milan; puis elle parut à
Londres, où elle créa avec un grand succès le
rôle de Coralie dans un ballet écrit pour elle par
Paul Taglioni.
Son apparition au Grand-Opéra de Paris causa
une véritable sensation. Elle y connut tous les
triomphes dans des ballets écrits pour elle et où
son talent de mime vigoureux et impressionnant
enthousiasma le public et les critiques. Voici
quelles furent ses principales créations : Jovita de
Sainte-Claire (i855); le Corsaire (i856); Marco Spada
(1857). Elle reprit avec le plus grand succès la
] Esmeralda, Paqtàta, le Cheval de bronze, Giselle, la
Somnambule, etc.
Son portrait figure au foyer de la danse à
l'Opéra, dans l'un des médaillons peints par Paul
Baudry au plafond ; il occupe le coin à droite en
entrant dans le foyer. C'est une figure expressive,
aux yeux noirs, d'une singulière intensité d'expres-
sion.
jyime Rosati avait quitté le théâtre il y a une
quarantaine d'années, en pleine gloire. Elle était
la mère de notre confrère, M. Jules Rosati,
secrétaire de l'Echo de Paris.
— A Bade est mort d'une façon malheureuse le
compositeur et chef d'orchestre Cari Komzak,
auteur de plusieurs opérettes et de chansons
devenues très populaires. Il eut la fâcheuse idée
de vouloir sauter dans un train déjà en marche; il
tomba, fut pris entre deux wagons et horriblemeut
mutilé.
— De Francfort-sur-le-Mein on annonce la mort
d'un violoniste distingué, Johann-Joseph-David
Noret-Koning, qui était né à Amsterdam le 25
février i838 et qui fut élève, à Leipzig, du célèbre
Ferdinand David, l'ami de Mendelssohn. Fixé
pendant quelques années à Mannhein, il était
depuis longtemps premier Concertmeister au théâtre
municipal de Francfort. On connaît de lui des
Lieder et quelques autres compositions.
— Un ténor comique connu et très apprécié,
Enrico Giordani, âgé de quarante-cinq ans, s'est
suicidé dans le cimetière de Bologne en se tirant
un coup de revolver à la tempe, du chagrin, dit-on,
de la perte récente de sa sœur, qu'il avait vue
mourir dans ses bras. Artiste recherché, il avait
établi, entre autres rôles, ceux de l'abbé dans
Adriana Lecouvreur, de l'Incroyable dans André Ché-
nier, et de Spoletta dans La Tosca.
Le guide musical 44$
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5ime année. — Numéros 24-25.
11 et 18 Juin 1905.
PETER CORNELIUS - SES LIEDER
(Suite.
Voir le dernier numéro)
Toujours en 1854, parus comme op. 4,
voici les trois chants dédiés à la
princesse Marie von Sayn-Wittgen-
stein ; aucun lien apparent ne les
réunit, mais un même sentiment, une passion,
d'ailleuis partagée, pour la princesse, mais
secrète, contenue et condamnée d'avance à n'a-
boutir à rien, les avait inspirés. Le poète
Cornélius y avait épanché toute son âme, et ses
poèmes si passionnés tentèrent encore plus
d'un musicien après lui. Musicalement, ils ont
peut-être moins d'intérêt que les précédents et
leur développement peut paraître un peu long
pour un chant et un accompagnement en
somme peu variés. Le premier pourtant, In Lnst
und Schmerzen (Dans les joies et les douleurs), est
d'une belle envolée et ne donne pas cette im-
pression de longueur, qu'une interprétation
parfaite et nuancée peut d'ailleurs facilement
atténuer, vu la seule valeur des poèmes.
Une fois encore, en cette même année, Cor-
nélius retourna à Paul Heyse dont il transposa
délicieusement la spirituelle chanson espagnole
(d'après Cervantes) de Preciosa : « Contre les
maux de tête » ! L'auteur du futur Barbier de
Bagdad la rendit avec tout l'humour et toute la
fine raillerie qui lui étaient si naturels. Ainsi se
termine la belle série de Liedev qu'une seule
année a vu éclore sous l'impulsion de la vivi-
fiante et aitistique société de Weimar, que
Cornélius fréquentait. Il semble après cela
qu'il voulut se reposer un peu, mais ce repos
n'est qu'apparent; l'auteur préparait en silence
de nouveaux chefs-d'œuvre, et nous devons
attendre i856 pour retrouver le compositeur de
tant de beaux et inappréciables chants. Ce sont
d'abord les quatre Rheinische Liedev (1) (Chan-
sons rhénanes), dédiés à Feodor von Milde,
cycle exquis où la nature et l'amour ont une
égale place, mais que domine par-dessus tout
un véritable culte pour le « Rhin, le fleuve
sacré » sur les rives duquel chantent toutes les
voix de l'Allemagne légendaire et historique,
mystique et sentimentale.
Sur les accords martelés de l'accompagne-
ment se détache le premier chant In der Ferne
(Au loin). Un chanteur portant sa harpe,
pareil au minnesinger d'autrefois, retourne au
Rhin, où son amie et le printemps l'attendent.
L'élan du chant, tantôt soutenu par des accords
sur un rythme de marche décidé, héroïque,
tantôt par de longs et caressants arpèges
imitant la harpe, est vraiment incomparable.
C'est d'un lyiisme si abondant, si soutenu,
qu'on dirait parfois y retrouver quelque chose
de l'intarissable veine de Schubert.
Dans le Lied suivant, Botschaft (Message),
l'élan est un moment suspendu, le charme
intime domine, mais dans le troisième chant
A m Rhein (Au Rhin), le lyrisme passionné
reprend le dessus : c'est un hymne éperdu
(1) L'œuvre est posthume, à l'exception du n° 2,
publié en 1862, avec l'op. 5.
453
LE GUIDE MUSICAL
« aux rives palriales, au Rhin ondoyant »,
hymne qui s'achève enfin apaisé dans le Lied
suivant, Gedanhen (Pensées), sur le rythme ber-
ceur et tranquille de l'accompagnement, évo-
quant le fleuve radieux et aussi les chants et les
amours éclos sur ses bords enchantés. Tout
dans ce petit cycle de quatre chants est pure
merveille, poème et musique, tous deux de
Cornélius encore, également admirables, égale-
ment inspirés.
Dans les Weihnachtslieder, op. 8 (Chansons de
Noël (i), le « Tondichter » se révèle sous l'un
de ses aspects les plus aimables : sa tendresse
extrême pour les enfants lui a inspiré ce cycle
exquis de six mélodies dédiées à sa sœur,
Mme Elisabeth Schily-Cornelius. Sa religiosité
a pénétré ces chants de la profondeur du senti-
ment de grande piété qui était en son âme,
mais, célébrant la fête de 1' « Enfant divin » en
songeant aux enfants de la terre qu'il adorait,
Cornélius semble avoir voulu se mettre à leur
niveau et chante avec leur âme naïve, candide
et pure ! Aussi le charme est incomparable de
ces mélodies si simples, si heureuses, dans une
forme pourtant bien moderne. Voici d'abord
la joyeuse et vive chanson Christbaum (L'Arbre
de Noël), sorte de ronde animée en 6/8 « écrite
d'un seul jet » et la seule du cycle qui
resta éternellement invariable (2) »; puis le
chant des « Bergers », Die Hirten, avec le déli-
cieux interlude pastoral de la première
version (posthume), remaniée en i85g (3);
Cornélius lui a certes conservé le même
charme, mais sa première inspiration reste la
meilleure, surtout au point de vue de l'accom-
pagnement. La Chansons des Rois, Die Kônige,
compte également deux versions, l'une de i856,
l'autre de i85g, et ici, la deuxième composition
est incontestablement la plus intéressante, bien
que la première mélodie plaise peut-être plus
par sa simplicité naïve, nireux en harmonie
avec les autres chants du cycle. Mais la seconde
se développe si librement, avec tant de facilité
sur son accompagnement tout différent, qu'elle
(1) A. Bruxelles, la première, unique et exquise audi-
tion par M-^e Henriette Mottl-Standhartner eut lieu au
Cercle artistique et littéraire, le 8 mars 1901.
(2) Lettre à Cari Riedel, Bogenhausen, 1870.
(3) Toutes les nouvelles versions ne parurent qu'en
1870.
est au plus haut point curieuse et intéressante; la
base de cet accompagnement est le thème du
choral U'ie scliôn leuchte der Morgenstern (De quel
éclat brille l'étoile du matin), et c'est Franz
Liszt lui-même qui donna à Cornélius l'idée de
cette curieuse association de thèmes en mainte-
nant malgré tout leur indépendance respective.
Voici, après, la chanson simplement narrative
de Siméon, remaniée également en i85g? comme
celles qui suivent, et dont nous n'avons que les
versions définitives peu différentes des primi-
tives, les thèmes ayant été conservés, la forme
seule s'est trouvée modifiée. Les deux derniers
Lieder du cycle reviennent à la note si naïve-
ment touchante du premier; nous y retrouvons
le tendre poète, le délicat musicien du « Chiist,
ami des Enfants », Christus, der Kinderfreund,
enfin du « Christ enfant » lui-même, Christ'
hind, célébré dans la dernière chanson, qui,
dans son mouvement animé et joyeux, vient
rappeler le premier Lied du cycle et semble
nouer avec lui la ronde exquise au rythme de
laquelle les enfants tournent et dansent autour
de l'arbre étincelant. Certes, dans ce charmant
Liederkveis, Cornélius nous apparaît sous un des
côtés les plus séduisants de son génie : sa ten-
dresse, sa religiosité aimable et vraie et sa
simplicité exquise, voilà tout son art dans ces
purs petits chefs-d'œuvre qui comptent et
lesteront parmi les plus précieux joyaux du
trésor lyrique si considérable de l'Allemagne(i).
De i856 à i85g, plus de Lieder, mais des
compositions à plusieurs voix, duos et chœurs,
et le Barbier de Bagdad, dont nous avons rappelé
plus haut le triste sort. Suivant Cornélius dans
son exil volontaire, nous le retrouvons à
Mayence d'ab <rd, où s'achève le cycle le plus
parfait, les Brautlieder (Chants de fiancée,
œuvre posthume), suite de six chants dont
Cornélius est toujours encore le poète (2) et le
(1) Cornélius lui-même les estimait comme une de
ses meilleures compositions : « Ces chansons de Noël
sont un bon numéro dans la loterie de ma vie, écrit-il à
son ami Cari Riedel. D'ailleurs, tu sais bien que je suis
un enfant de Noël! » (il était ré le 24 décembre).
(2) Les poèmes sont de i855, et la composition musi-
cale l'occupa déjà dès i856. Le manuscrit original des
Lieder n'a pas encore été retrouvé. Ils ont été publiés
après la mort de Cornélius d'après des copies et des
fragments retrouvés.
LE GUID2 MUSICAL
4§3
compositeur. Par le sujet même, le nom de
Schumann et le souvenir de son sublime
Frauen Liebe und Leben viennent aussitôt à la
mémoire. C'est peut-être en le comparant à ce
chef-d'œuvre, certes inégalé, que nous pourrons
cependant le mieux indiquer la grande valeur
du Liederkreis de Cornélius. Celui-ci n'a ni la
passion, ni la profondeur, ni la formidable
tension, ni l'exaltation dans la joie, dans
la douleur, voire dans le rêve, ni l'ardeur
enthousiaste des chants de Schumann, mais il a
pour lui au suprême degré une infinie ten-
dresse souriant dans la plénitude d'un bonheur
pur et calme, un charme intense, une naïveté
exquise dans l'expression de l'épanouissement
de cette âme de jeune fille au premier et idéal
amour; dans sa note et dans sa réalisation
toutes différentes, ce cycle peut hardiment,
avec moins d'éclat peut-être, prendre place à
côté du cycle schumannien. Comme une fleur
encore timide éclot au premier soleil de prin-
temps, ainsi la jeune âme s'ouvre à son premier
amour. Ecoutez les premiers vers du poème et
vous connaîtrez le caractère intime, délicat et
tranquille de cette passion :
In meinem Herzen regte
Der Liebe W anse h sich leis,
Da pflanzt' ich ein und pflegte
Ein zartes myrtenreis .
Dans mon cœur s'est éveillé
Doucement le désir d'amour,
Lors j'ai planté et tant soigné
D'un myrthe un doux rameau.
Doux est le myrthe parfumé, doux le chant
d'oiseaux et le murmure des flots, doux les
rêves, l'espoir et la prière aussi, car l'amour et
une tendre piété ne se séparent que rarement
chez Cornélius : ils s'éclairent et se pénètrent
sans cesse.
Comme le parfum discret d'une âme pure,
s'exhale le premier chant, Ein Myrtenreis
(Rameau de myrthe), auquel s'unit et répond
sans cesse, comme la voix de l'ami même, la
mélodie identique de l'accompagnement. Une
atmosphère heureuse et calme enveloppe le
second Lied, Der Liebe Lohn (La Récompense de
l'amour), qui a une succession ininterrompue de
triolets liés dont les notes initiales accentuées
dessinent une suave mélodie se développant
parallèlement à celle que la voix chante. Tran-
quille comme cet amour est aussi la séparation,
la dernière. C'est la veille des noces, Vorabend;
à peine soutenu de quelques accords se
dessine le simple chant de cet « Au revoir »
prochain, auquel répond par deux fois, répété à
la fin de chaque strophe comme dans une
calme aspiration, cet heureux mot d'espoir,
« Demain ». Et déjà voici demain arrivé, le
jour de la grande fête d'amour, qui seul va
régner à présent. Pourtant, non : au réveil heu-
reux, ce n'est pas encore un hymne d'amour
éperdu et victorieux qui s'échappe de ce cœur
de jeune fiancée ; c'est d'abord une profonde
et exquise prière au Dieu puissant, un appel à
sa bénédiction, à sa protection : A m Morgen
(Au matin); tandis qu'au ciel monte la prière
sur de lumineux et harmonieux accords, une
petite cloche semble obstinément faire sonner
dans l'accompagnement ses deux notes claires
et argentines, do-ré, do-ré, comme une première
et gaie chanson nuptiale. Enfin, voici l'hymne
d'amour si longtemps contenu : c'est le puissant
cantique de Salomon même, Ans dem hohen
Liede (Le Cantique des Cantiques), retentissant
dans son allure énergique et triomphale sur
des accords sonores et pleins d'éclat. C'est le
seul chant vraiment passionné du cycle, et le
dernier Màvchenwunder (i). (Le Conte mer-
veilleux), revient à la note plus tranquille, dans
la sérénité de ce bonheur d'amour idéal et pur,
beau et lumineux comme un « conte merveil-
leux » d'autrefois, rêve de jeunesse, insaisissable
et pourtant réel, accompli à présent.
Tout l'accompagnement, très doux dans un
mouvement rapide et frémissant, donne la sen-
sation d'une joie infinie qui peut à peine
croire à la réalité de son rêve et chante douce-
ment son bonheur ! Sous cette impression déli-
cieusement apaisante se termine ce délicat
poème musical d'une forme vraiment parfaite,
unique, en tous points admirable, et qui restera,
avec les Chansons de Noël et les Chansons rhénanes,
la plus pure, la plus émouvante et la plus
caractéristique des inspirations lyriques du
maître.
(A suivre.) May de Rudder.
(i) Le titre primitif était Erfiilliing (Accomplissement).
24-25
4^4
LE GUIDE MUSICAL
LA SEMAINE
PARIS
OPÉRA ITALIEN. — Depuis notre dernier
article sur la saison italienne de M. Ed. Sonzogno
au théâtre Sarah-Bernhardt, deux œuvres de plus
ont été montées et achèvent presque le cycle qu'on
s'était proposé de parcourir : l'immortel Barbiere
di Siviglia de Rossini et Y Andréa Chcnier, qui est
l'œuvre de début de M. Umberto Giordano. —
L'exécution du Barbier de Séville, sur laquelle je
comptais beaucoup, m'a causé, je l'avoue une
vive déception. Je n'avais pas lieu de m'étonner
des excès de bouffonnerie qui choquent davan-
tage dans le pays de Beaumarchais, mais sont
bien dans la tradition italienne, non plus que de la
substitution du récitatif au parlé. On ne saurait
rien imaginer de plus lourd et de plus lent que ce
récitatif, au prix du preste, fringant et rapide
dialogue original, mais c'est encore de tradition
dans les exécutions italiennes du Barbier, et les
essais qui ont été faits, soit à Paris, soit en Italie,
pour s'en passer n'ont jamais réussi devant le
public. Cependant, est-il de tradition de jouer
l'ensemble, même avec ses récits, dans ce mouve-
ment de lenteur insupportable, dans cette pesan-
teur de diction et de jeu? Est-il surtout de tradi-
tion, sur des scènes qui se respectent et qui
respectent l'œuvre de Rossini, de traiter sa par-
tition avec cette désinvolture ? d'ajouter un air
de ténor au premier acte, ou de remplacer au
second l'air capital, l'air essentiel de Bartolo :
A un dottor délia mia sorte (le « Pensez-vous qu'il
soit bien facile » de la version française), par un
autre air où le chant peut être remplacé par la
diction? Sans parler des fioritures insensées qui
déparent, qui détruisent les airs de Rosine et en
font quelque chose d'extra ou d'anti-musical, est-il
supportable que l'air qu'il est de tradition encore
(mais justifiée) d'intercaler dans la leçon de chant,
soit aussi disparate comme style avec ce qui
. l'entoure, et au lieu d'être emprunté, comme
jadis, à quelqu'une des plus gracieuses partitions de
Rossini, impose à l'auditeur le plus plat des airs de
virtuose qu'ait pu imaginer fabricant de boîtes à
musique ?
Autre déception : L'interprétation non seulement
trop lente et trop lourde, mais vocalement insuffi-
sante. Sans doute, de grands noms s'y rencontrent,
et qui furent, qui sont encore accompagnés de
grands talents; mais avec une partition et une
comédie comme celles du Barbier, il faut payer
comptant, il n'y a pas d'illusion possible, et la
meilleure volonté n'y peut rien. Nous avons revu
M. Masini dans le comte Almaviva; mais quoi?
M. Masini importait à Paris Aida en 1876; il n'y a
rien à faire à cela ! Et il est pénible de l'entendre
aujourd'hui, quelque respect qu'impose son adresse.
M. Baldelli, de même, est un Bartolo de premier
ordre comme jeu, comme esprit, comme nuances,
comme diction aussi (et je rappelle ici que notre
collaborateur M. Fierens-Gevaert l'a signalé aux
lecteurs du Guide dans le numéro du 17 mars 1901,
au moment où, cherchant le repos après une longue
carrière, il commençait à se faire connaître à
Paris). Mais il faut à Bartolo une voix sonore
et mordante, et M. Baldelli supprime le grand air
du second acte, faute de pouvoir le chanter...
Heureusement que nous avons eu M. Titta Ruffo
dans Figaro. Cet excellent comédien, ce parfait
chanteur, a justement les qualités qu'il faut à cette
musîqiie : voix puissante et mordante à la fois,
souple et ne laissant rien tomber dans le détail de
la diction. Son succès a été considérable et des
plus mérité. Celui de Mme Pacini n'a pas été
moindre dans Rosine, mais pour d'autres raisons,
où Rossini n'a certainement que fort peu de chose
à voir. Les « cocottes » et les notes piquées ont fait
pâmer d'aise par leur perfection ceux que ravissent
ces sortes d'exercices ; les autres eussent préféré le
texte pur, ou tout au moins plus de grâce et de
musicalité dans la broderie. L'air de la leçon de
chant était d'ailleurs des plus médiocre, mais
encore tolérable à côté de celui qui lui a succédé
quand les ovations et les bis ont persuadé à la
chanteuse de poursuivre cette interminable leçon.
C'est M. Luppi qui chantait Basile, avec une voix
énorme comme sa personne et une foule d'inten-
tions très bouffes ; rien de comique comme le con-
traste de son jeu avec celui de M. Baldelli,
Bartolo tout en finesse. M. Ferrari dirigeait
l'orchestre.
André Chénier est la plus ancienne des partitions
que nous connaissons de M. Umberto Giordano.
Elle date du 18 mars 1896 (Scala de Milan) et est
donc antérieure à Fedora. Elle n'est cependant pas
la première de ce musicien au tempérament essen-
tiellement théâtral, mais c'est celle qui le fit déci-
dément connaître, et dont le succès fut le plus
incontesté sur toutes les scènes où l'œuvre parut.
Rappelons qu'elle fut aussitôt traduite et repré-
sentée à Lyon, dès 1897, par les soins de M. Vi-
zentini. Le sujet (dû à M. Illica) a d'ailleurs de
quoi nous intéresser très particulièrement. Il
représente au vif, et avec une réalité qui serait des
plus émouvante si la musique l'était aussi par
elle-même, quelques-unes des pires horreurs de
LÉ GUIDE MUSICAL
455
notre Révolution, convergeant autour de la per-
sonnalité de l'infortuné poète André Chénier. Seu-
lement, il a le défaut commun à tous ces livrets :
il a beau, par exemple, n'être tiré ni d'une pièce
française, ni d'un roman (mais l'histoire n'est-elle
pas le plus romanesque des romans?], il est aussi
décousu que s'il en provenait en effet. C'est
toujours une juxtaposition de scènes et un défilé
de personnages, dont la part à l'action résulte
surtout de l'effet théâtral qu'on attend d'eux, mais
dont on s'inquiète peu de justifier les allées et
venues, encore moins l'état d'âme.
Le premier acte nous mène dans un château,
pendant une soirée de fête, où le laquais Gérard
s'élève avec grandiloquence contre la frivolité et
l'arrogance des seigneurs et finit par insulter ses
maîtres au nom du prolétariat ; où Chénier chante
l'amour et la pitié à des oreilles sourdes ou insou-
ciantes; où la jeune Madeleine de Coigny, surprise
d'abord, est touchée de ces accents nouveaux et
regarde en rêvant le poète qui s'éloigne. — Le
second nous porte tout de suite sur la place de la
Révolution, à Paris, entre la Seine et la terrasse
des Feuillants. Gérard est devenu président de
section ou quelque chose d'approchant, parmi
les pourvoyeurs de guillotine, et il fait rechercher
Madeleine par ses espions, car, naturellement,
tout son désir est de l'humilier et aussi d'en faire
sa maîtresse. Celle-ci, de son côté, cherche Ché-
nier pour trouver un appui auprès de celui qu'elle
aime depuis la soirée du premier acte. Chénier,
malgré les avis de son ami Roucher, brave les
espions, revoit Madeleine, échange avec elle d'en-
thousiastes propos et perce de son épée Gérard, qui
s'en vient les déranger.
Au troisième acte, Gérard est guéri et, en
attendant la séance du tribunal révolutionnaire,
il dénonce le poète, par quelques-unes de ces
calomnies faciles qui envoyaient à la mort, sans
phrases, tous ceux dont on voulait se débarrasser.
Cependant Madeleine reparaît, et la brute s'élance
sur sa proie, lui dit ses longs désirs, ses convoi-
tises de jadis, aujourd'hui réalisables... Mais
Madeleine est venue pour sauver Chénier : elle se
livrera plutôt à Gérard, comme victime de son
salut. Et Gérard se laisse toucher par tant d'amour
et la misère de cette fille de race qu'il vient d'in-
sulter. Et quand Chénier arrêté, paraît à la barre,
il le défend lui-même, en vain d'ailleurs. — Le
dernier acte nous introduit dans la prison, où
Chénier chante à son ami Roucher ses derniers
vers (La Jeune captive), où Madeleine a obtenu de
le revoir et, décidée à mourir avec lui, prend la
place d'une autre condamnée, à l'appel de mort
du geôlier, où enfin tous deux, pleins d'enthou-
siasme, montent sur la fatale charrette, au cri
de « vive la mort ! »
Avec la partition d' André Chénier , nous achevons
de connaître l'ensemble des œuvres de M. Gior-
dano, dont on nous aura donné ainsi à juger révo-
lution à rebours. Siberia nous a prouvé que, s'il
rencontrait un motif populaire, original, fécond
(comme le chant des bateliers du Volga, qui a tant
de saveur^ il était capable d'en tirer un heureux
parti, et, son instinct théâtral aidant, d'y puiser
des effets saisissants. Restons sur cette impression,
qui permet de fonder de véritables espérances sur
ses productions à venir. André Chénier, qui ne
vaut pas Siberia, affirme surtout des aspirations de
toute sorte, méritoires et intéressantes par leur
élan, leur belle confiance, mais extrêmement
inexpertes à une réalisation vraiment musicale,
faute de savoir-faire, faute de métier, décousues
d'ailleurs et heurtées, avec des idées parfois, mais
trop noyées dans ce dialogue lyrique continu, que
nos Italiens actuels tiennent tant à substituer aux
mélodies où leurs pères triomphèrent.
Ces aspirations sont tantôt un essai d'expression
de vie bruyante, de brouhaha de foule, de réalisme
brutal, comme ici au second acte, sur le Cours-
la-Reine, ou au troisième, pendant la séance du
tribunal révolutionnaire ; tantôt une recherche
d'impressions plus intimes, plus saisissantes,
comme la petite marche des patrouilles dans la
nuit tombante du second acte (mais ceci est sur-
tout réussi dans Siberia); tantôt un effort plus
élargi vers le lyrisme pur, comme les phrases de
Chénier à Madeleine soit au premier acte (sur
l'amour), soit au second (au début, qui semble
émané en droite ligne de Werther, ainsi d'ailleurs
que tout ce rôle de Chénier), soit au dernier, pour
ces vers qu'accompagne la harpe. On peut signa-
ler encore, dans la demi-teinte, le prélude de
l'églogue du premier acte, et le petit chœur, avec
orchestre très fin, ou quelques jolies phrases de
Madeleine en face de Gérard au troisième acte;
et dans le dramatique, la scène de Gérard écrivant
son accusation, qui précède cette même page, ou
encore les phrases qu'il jette à la foule, à la fin de
l'acte...
L'interprétation est bonne sans éclat. Insuffi-
sante vocalement avec Mme Tetrazzini, qu'on
entend à peine, elle se relève vigoureusement
avec M. Bassi (moins à son avantage pourtant que
dans Siberia) et M. Sammarco, Gérard de beau-
coup d'ampleur. Mme Fassini-Peyra, fort belle
dans la comtesse et émouvante dans une mère
patriote; M. Luppi, dans le personnage de Rou-
456
LE GUIDE MUSICAL
cher; M. Wigley, étonnant de réalisme dans le
sans-culotte Populus, Mme Giussani, dans la
mulâtresse... et M. Campanini, chef d'orchestre de
premier ordre, complètent un ensemble très
soigné. Henri de Curzon.
— L'Opéra-Comique a donné samedi dernier,
3 juin, une matinée extraordinaire au profit de la
caisse des retraites du petit personnel du théâtre,
et les principaux artistes de la maison y ont con-
couru de leur mieux. Jamais le second acte
d'Alceste, avec Mme Litvinne et M. Dufranne, n'a
été rendu avec plus d'ampleur; jamais l'acte des
Champs-Elysées d'Orphée ne fut plus poétique et
plus saisissant avec Mme Rose Caron. Une surprise
toute particulière fut aussi le premier tableau du
quatrième acte de Roméo et Juliette (le duo de
l'alouette) avec Mme Marie Thiéry, exquise comme
personnage et vibrante comme voix, et M. Rous-
selière, Roméo plein d'éclat. Quelques intermèdes
d'un ordre rare furent aussi infiniment goûtés :
M. Renaud a chanté l'air d'Hérodiade avec une
ampleur extrême, Mlle Marié de l'Isle l'air de
Suzanne, des Noces de Figaro, avec une perfection
et un style incomparables, etc., etc. M. Luigini
triompha plus d'une fois à l'orchestre, M. Busser
aussi
Mais, hélas ! il y eut aussi une forte déception.
On nous avait promis le troisième acte de La
Tosca, en italien, avec Mme Gemma Bellincioni et
Renaud et les artistes de l'Opéra italien, M. Gar-
bin en tête. Et Mme Bellincioni, souffrante depuis
quelques jours, a été retenue de force par son
médecin au dernier moment. Le désappointement
a été d'autant plus vif que, vraiment, un peu de
Puccini n'eût pas été mauvais en ce moment, pour
relever le niveau de l'art italien contemporain,
dont les représentations du théâtre Sarah-Bern-
hardt nous donnent une bien pauvre idée, et puis
que le rôle de la Tosca est un des triomphes de
cette artiste si admirable qu'est la Bellincioni,
comme celui de Scarpia l'a été à Milan pour
l'acteur mordant et d'extraordinaire composition
qu'est M. Renaud. Est-ce qu'on ne pourrait pas
trouver un moyen quelconque de nous rendre
ce régal d'art, un jour ou l'autre?
H. de C.
FESTIVAL LULLI-RAMEAU.- La seconde
séance consacrée par M. Reynaldo Hahn à l'an-
cienne musique dramatique française comportait
ua choix d'oeuvres de Rameau. Quel que fût l'inté-
rêt de la première, et de la sélection de Lulli qu'on
y avait entendue, celui de ce concert l'emportait
de beaucoup, et il ne faut pas hésiter à dire qu'il a |
été vraiment de premier ordre. L'exécution, au
surplus, a semblé plus sûre, mieux fondue, plus à
l'aise aussi ; ce dont on ne saurait s'étonner, tant
certains morceaux, pour les voix ou pour l'orches-
tre seul, portent une marque moderne, un caractère
actuel et familier. Et je ne parle pas ici des pages
dont le style, digne de Gluck, est coutumier à nos
oreilles par suite des dernières reprises de ce maître
admirable. Mais plus d'un mouvement, plus d'une
combinaison harmonique, surprennent par leur
couleur, qu'on n'est guère habitué à trouver si vive
et si audacieuse dans la musique du xvme siècle.
Voici quelles étaient les œuvres de ce pro-
gramme pour lequel l'érudit compositeur-chef
d'orchestre n'a eu positivement que l'embarras du
choix, au prix de bien des sacrifices. De Castor et
Poïhtx (1737), on a joué des fragments du prologue
et quelques scènes du second acte. Le prologue
comporte entre autres motifs ce délicieux menuet
chanté par Vénus et repris en chœur, qu'on exécu-
tait souvent, autrefois, au Conservatoire, avec ces
paroles : « Dans ces doux asyles... » C'est
Mlle Leclerc, avec sa voix si pure et son style si
classique, qui l'a chanté. Mlle Lindsay prêtait sa
belle flamme au personnage de Minerve, et M. Pla-
mondon représentait l'Amour. Un air de Pollux, la
scène avec Jupiter et une exquise gavotte com-
posaient les fragments du second acte, interprétés
par M. Delmas et M. Daraux. Mais le triomphe de
M. Delmas — et de Rameau aussi — a été la page
magnifique choisie dans Hippolyte et Aride (i733) :
le retour de Thésée, son indignation aux accusa-
tions d'Œnone contre Hippolyte et son invocation
fatale à Neptune son père. M. Reynaldo Hahn a
raison de le dire, ici Rameau n'est pas dépassé
par Gluck, et c'est une gloire qu'on n'enlèvera
jamais à celui qu'on doit sans hésiter appeler le
plus grand musicien de l'école française, que
Gluck ait pu trouver dans ses œuvres des modèles
absolus et définitifs de la tragédie lyrique. Et je
parle ici aussi bien de l'orchestre que de la décla-
mation. D'autres morceaux, dans un autre genre,
ne sont pas moins curieux : les danses de matelots
par exemple, et le petit air si joliment chanté par
Mlle Leclerc, qu'il a été bissé d'enthousiasme.
Dar daims ne figurait pas ici, non plus qu'aucun
autre opéra de Rameau : ils sont trop. Mais deux
ballets héroïques représentaient le genre mixte
affectionné par les amateurs de l'époque : Les Indes
galantes (1735) et Les Fêtes d'Hébé (1739). Du pre-
mier, M. R. Hahn a fait exécuter l'ouverture,
i
LE GUIDE MUSICAL
457
d'une vie tout à fait surprenante, le gracieux air
léger du papillon (dit par Mlle Lindsay), celui de
Zima : « Sur nos bords l'amour vole », plus char-
mant encore (dit par Mlle Leclerc) et un harmo-
nieux quatuor. Dans le second, il a choisi l'air de
Sapho (chanté avec ampleur et feu par Mlle Lind-
say) et divers chœurs et morceaux d'orchestre :
tambourins, rigaudons, menuet, etc. Le dernier
tambourin, en mi mineur, est bien connu, et d'un
tour plein de verve et de finesse tout ensemble.
Comme intermède, M. Diémer est venu exécuter
quelques-uns de ces morceaux de clavecin dans
lesquels il montre une virtuosité si étourdissante
de légèreté : la Gavotte pour les heures et les zéphyrs,
le Rappel des oiseaux et la Gavotte variée, en la mineur.
Ainsi l'œuvre de Rameau pour clavier aura été
aussi quelque peu représentée.
Nous ne saurions adresser trop de félicitations à
M. Raynaldo Hahn pour l'idée qu'il a eue cette
année de cette double manifestation en l'honneur
de Lulli et de Rameau, et pour le soin minutieux
avec lequel il en a réglé l'exécution lyrique et
orchestrale. Henri de Curzon.
SCHOLA CANTORUfl. — Audition d'œu-
vres de M. Déodat de Séverac. — L'un des der-
niers numéros des Tablettes de la Schola engageait
les élèves à ne pas lire les comptes-rendus des
journaux, afin de n'être ni découragés ni grisés
par le blâme ou la louange. Ah! que l'extension
de ce principe des élèves aux maîtres rendrait
aisée la tâche des critiques ! Affranchis de la
préoccupation de « faire plaisir » et de la crainte
de « faire de la peine », ils n'auraient plus qu'à
renseigner le public et à dire librement tout ce
qu'ils pensent. Essayons de cette méthode, puisque
nous avons à parler d'un compositeur qui était
hier encore élève de la Schola et qui, donc, ne
nous lira pas.
L'audition des œuvres de M. de Séverac donnée
le 25 mai comprenait trois suites pour le piano, le
Chant de la terre, le Soldat de plomb, Eu Languedoc,
une suite pour orgue et quatre mélodies. Les
interprètes étaient Mlle Selva, Mme Legrand, Mlle
Pironay, M VF. Guilmant et Vinès. Nos lecteurs
savent ce que ces noms signifient.
Disons tout de suite que nous préférons les
œuvres instrumentales de M. de Séverac à ses
mélodies. Il connaît toutes les ressources d'un
Erard ou d'un Pleyel et s'en sert non seulement
en habile pianiste, ce qui serait très secondaire,
mais en musicien et en coloriste. Plus incertain
quand il emploie la voix, ou plus gêné par le lien
du texte, il nous parle dans ses mélodies, hormis
celle intitulée L'Eveil de Pâques, un langage moins
aisé.
Les trois suites pour piano que nous avons
entendues ont chacune leur programme : musique
descriptive, qui recueille, par-dessus les traditions
de Schumann, celles des clavecinistes français, en
les transportant dans un sens et un style très
modernes ; — par ce mot, nous exprimons un
éloge, nullement une critique; — l'influence franc-
kiste se fait apercevoir dans le plan et dans le
dessin des thèmes; celle de Debussy, parfois, dans
la couleur qui les enveloppe. Le Chant de la terre
n'a rien des « pastorales » et des « idylles » dont
nous ont gratifiés des centaines de pianistes. Un
thème très noble et presque religieux, exposé au
début et qui parcourt l'œuvre tout entière, ouvre
à notre pensée les larges horizons que, dans les
morceaux successifs, le labour, les semailles, les
moissons, vont animer de la robuste et saine vie
des champs, avec, pour intermède, un charmant
« Conte de la veillée » et pour épilogue un cortège
nuptial. En Languedoc, nous courons, par des
rythmes appropriés à toutes les allures du cheval,
« Vers le Mas en fête », et les chauds paysages du
Midi, blancs de soleil, cessent un instant de pa-
raître devant nous, pour nous laisser méditer,
aux sons d'un grave et très bel adagio,da.ns un « Coin
de cimetière ». L'histoire du Soldat de plomb, pour
le piano à quatre mains, est un délicieux conte
à la façon d'Andersen, avec, en plus, la pimpante
jovialité du conscrit français, qu'expriment les
plus amusants, les plus ingénieux, les plus jolis
mélanges de rythmes vifs et imprévus, de thèmes
nets et spirituels et de coups de langue emprun-
tés à toutes les sonneries de clairon de notre
armée.
M. de Séverac est un très jeune musicien qui a
dès à présent beaucoup de choses à nous dire.
Quelles que soient les œuvres qu'il nous donnera
plus tard, nous ne pourrons plus oublier le Chant
de la terre et le Soldat de plomb. Michel Brenet.
CONCERTS RISLER. — Le cinquième
concert, le concert supplémentaire du dimanche
28 mai, n'a pas été moins brillant que les autres,
bien que M. Edouard Risler s'y soit peut-être un
peu plus effacé (comme virtuose, sinon comme
artiste). Il comportait, comme musique de cham-
bre, les deux sonates pour piano et violon de
M. C. Saint-Saëns (eu ré mineur) et de César
Franck, où M. Risler avait choisi M. Maurice
45S
LE GUIDE MUSICAL
Hayot pour son partenaire. Celui-ci n'a pas un son
précisément puissant, mais combien pénétrant,
expressif, éloquent!... L'admirable sonate de
Franck a été parfaitement mise en valeur par les
deux artistes, rivalisant de grâce et de poésie.
M. Hayot a eu d'ailleurs une autre occasion de
montrer son style pur et son goût délicat, en
accompagnant l'air de Xerxès de Haendel : « Ombra
mai fu », que chantait Mme Mysz Gmeiner.
Car cette charmante et vibrante artiste était de la
séance, et son triomphe a été éclatant. Je pense
qu'elle aura eu là une preuve de plus que c'est
décourager le public et se priver elle-même de bien
des auditeurs, que de se contenter de la salle
Pleyel pour ses propres récitals. Elle a chanté, au
Nouveau-Théâtre, l'air de la Pentecôte de Bach,
aussi avec violon comme celui de Xerxès, et les
Chansons tziganes de Brahms (6). Elles sont plus
curieuses que belles, ces chansons, mais ne man-
quent pas de saveur et d'originalité, et dites avec
cette intelligence vive, ce feu, cet esprit, comme
mimées parfois, elles prennent un relief extraordi-
naire. Les nos 3, 5 et 6 en particulier ont plu infi-
niment.
Au piano, il faut encore signaler trois valses
romantiques de Chabrier, délicieusement exécutées
sur deux pianos par M. Ed. Risler et Mlle Blanche
Selva, et comme une sorte d'intermède, cette
piquante et pittoresque suite Le Bal de Béatrice
d'Esté (xvie siècle), si adroitement combinée et
orchestrée avec un si amusant coloris par \ï . Ray-
naldo Hahn pour harpes, flûtes, hautbois, clari-
nettes, trompette, cors, bassons, timbale et piano.
Presque tous les morceaux en ont été soulignés par
les plus chauds applaudissements, et plusieurs
bissés. La pavane, dite a Les Quercades », la roma-
nesque (avec la flûte de M. L. Fleuryi, libérienne
(avec la trompette de M. Al. Petitj, la courante...
sont tout à fait originales et d'un tour exquis.
Henri de Curzon.
— Mardi dernier, 6 juin, au Conservatoire, a eu
lieu un intéressant exercice-concert des élèves des
classes d'instruments et de chant, sous la direction
de M. Taffanel. Programme sévère, surtout clas-
sique et pas précisément commode pour des élèves,
des enfants la plupart, qui s'en sont vraiment bien
tirés. Les instrumentistes surtout ont prouvé dans
certains morceaux qu'il n'est pas toujours indispen-
sable qu'un orchestre soit composé d'unités trans-
cendantes, si d'ailleurs chacun de ses membres
met toute son application à concourir à la perfec-
tion de l'ensemble, pour obtenir d'excellents
résultats. \J Ouverture, Scherzo et Finale (op. 52) de
Schumann a été exécutée d'une façon vraiment
remarquable par ces soixante-quinze artistes en
herbe. Le Magnificat (1725, de Bach était le morceau
principal (douze numéros), auquel tout l'ensemble
a concouru. Comme voix, il faut surtout louer
Mlles Lamare et Lapeyrette, deux mezzos, dont la
dernière est considérée comme la plus belle voix
de Tannée (on Tavait déjà remarquée aux derniers
concours); comme instruments soli, M. Henri,
hautbois d'amour, MM. Grhard et Joffroy, flûtes, et
Mlle Boulanger, orgue. Des Pièces en concert de
Rameau, le final du trio en sol mineur de Schu-
mann et la Fantaisie pour piano, chœur et orchestre
de Beethoven ont mis encore en relief Mlles Weiss
et Antoinette Lamy et M. Amour, au piano,
M. Saury comme violon et M vl. Rosoor et Doucet
comme violoncelles, ainsi que divers jeunes chan-
teurs; et les chœurs ont dit sans accompagnement
trois vieux morceaux de Costeley (1570).
H. de C.
— Mlle Marthe Dron, une des meilleures élèves
de Delaborde, a voué son talent presque exclusi-
vement à la musique moderne. Il en va de même
de M. Armand Parent, un des maîtres du violon, à
qui on doit la propagation de la musique de cham-
bre de Brahms, de César Franck et de toute la
jeune école. Ceux qui ont les mêmes goûts ne
peuvent manquer de se rencontrer ; c'est ce qui est
arrivé à ces deux artistes. Leurs noms réunis sur
un même piogramme indiquent déjà le genre des
œuvres qui vont être exécutées et leur assurent une
interprétation de premier ordre.
Quoi qu'on pense de la vocalise et de la fugue,
j'estime — et je ne suis pas le seul — que le chan-
teur et le musicien sont incomplets s'ils en ont
négligé Tétude ; on aurait tort aussi de croire que
la virtuosité est inutile parce que les compositions
instrumentales modernes en comportent peu
l'emploi. Dès qu'une œuvre ne contient pas des
traits acrobatiques, l'auditeur inexpérimenté pense
qu'elle est d'une exécution facile et qu'il n'est pas
besoin d'une grande virtuosité pour la bien inter-
préter. En sortant, le 26 mai, de la salle iEolian,
j'entendais quelqu'un dire : « Sans doute, Mlle Dron
et M. Parent ont beaucoup de talent, mais ils ne
sont pas des virtuoses ». Ce quelqu'un-là ne s'était
pas aperçu que la musique de Franck et de d'Indy
est d'une extrême difficulté d'exécution, et n'avait
pas senti la virtuosité cachée par le talent en appa-
LE GUIDE MUSICAL
45q
rence aisé des interprètes. Le métier qui se voit
n'est plus de l'art.
La sonate pour piano et violon de Vincent
d'Indy, a fait récemment l'objet d'une subtile ana-
lyse écrite par notre callaborateur M. Calvocoressi.
Cette étude m'a été d'un grand secours; plus d'une
fois, pendant l'exécution, je l'ai consultée, afin de
mieux comprendre et les relations qui existent
entre les thèmes, et u l'unité cyclique de l'œuvre ».
Une composition d'une telle envergure et aussi
compliquée ne se juge pas après une audition
unique. Tout ce que je puis dire de raisonnable,
c'est que j'ai le plus vif désir de la réentendre, à la
condition qu'elle soit encore jouée par Mlle Dron
et M. Parent, parce que, l'interprétant avec reli-
gion, ces artistes me feront sans doute partager le
culte qu'ils ont pour elle.
La sonate de Franck est si connue, que je. ne
risquerai pas le ridicule de la découvrir admirable
après tout le monde. A peine oserai-je ajouter que
le charme des harmonies l'emporte sur l'originalité
mélodique ; mais je n'en suis pas assez sûr pour le
dire. Par exemple, ce dont je suis certain, c'est
qu'elle a été supérieurement interprétée par
M. Parent, et que M,le Dron a su traduire toute
l'expression sincère, quoique tourmentée, qu'a
ressentie M. Vincent d'Indy dans le Poème des mon-
tagnes. Cette oeuvre date, je crois, de 1881; elle n'a
pas la beauté marmoréenne ni la maîtrise des
ouvrages qui l'ont suivie ; mais elle est plus impres-
sionniste, si je puis dire, et de composition plus
spontanée : c'est peut-être pour cela qu'elle me
plaît davantage. Ce ne sont pas les plus belles
femmes qui ont le plus d'adorateurs.
A son second concert du 2 juin, Mlle Dron
s'est fait encore beaucoup applaudir dans Prélude,
Aria, Final, du même maître, pour lequel elle
semble avoir un goût particulier, ce qui est tout à
son honneur. Ce qui est plus méritoire, la tâche
paraissant assez ardue, c'est d'essayer d'imposer
les sonates de Vreuls et d'Albéric Magnard. S'il
suffit d'avoir beaucoup de talent pour les faire
triompher, Mlle Dron et M. Parent sont assurés du
succès de leurs efforts. Peut-être la première
oeuvre a-t-elle quelque chance d'être adoptée
bientôt par les virtuoses, à cause de la grâce mé-
lancolique de Validante et de la franchise rythmique
àufinale. Quant à la sonate de Magnard, il faudra,
je le crains, plus de temps pour la rendre acces-
sible au public. On la trouve belle en certaines
parties, notamment dans le troisième mouvement
(très vif), mais c'est un peu à la sueur de son front
qu'on l'admire. L'accoutumance facilitant la com-
préhension, j'espère que plus tard on finira par
découvrir en cette œuvre des qualités qui nous
échappent encore et au service desquelles M1,e Dron
et M. Parent se dévouent avec tant de talent, de
persévérance et de conviction. Julien Torçhet.
— M. Arthur Nikisch est venu donner un
unique concert, au Nouveau-Théâtre, le lundi
29 mai, avec le même orchestre qui a joué le
festival Beethoven. A peine est-il besoin d'ajouter
qu'une salle comble l'a salué ■ de nombreuses
ovations. Son style de chef d'orchestre chercheur,
inventif, à la main souple comme une caresse,
tantôt pointant le ciel comme avec une épée
flamboyante, tantôt se bornant à des indications
imperceptibles de nuances et de demi-teintes, est
toujours extrêmement intéressant à. suivre et sou-
vent entraînant au possible. Son succès, escompté
d'avance, n'aurait pu être plus grand, même s'il
n'avait pas eu l'idée, plutôt malencontreuse, de
soumettre à notre attention une symphonie du
pianiste russe Scriabine. Cette œuvre, en trois
parties, jouée sans arrêts, dure près d'une heure,
et l'ennui qui bientôt résulte de ces efforts conti-
nuels pour beaucoup parler sans rien dire, en
dépit de quelques éclaircies légères et chatoyantes,
de quelques sonorités pittoresques et originales,
se change en fatigue et en énervement avant la fin
de l'exécution. Une froideur polie et de discrets
applaudissements pour les interprètes et leur chef
eussent été dans la vraie note. Mais, les applaudis-
sements se prolongeant un peu trop, une bordée
de sifflets les a bientôt combattus, et si bien per-
sistants, qu'on a fini par leur laisser le dernier mot.
Mais quelle revanche pour M. Nikisch après
les exécutions qui suivirent (l'ouverture du Frei-
schùtz avait débuté) : Siegfried-Idyll, le prélude de
Tristan avec son annexe coutumière, la mort
d'Iseult, enfin l'ouverture des Maîtres Chanteurs!
Le rendu de Siegfried-Idyll surtout a paru curieux
et attachant, dans ses recherches, peut-être un peu
raffinées, d'effets délicats et caressés, dans ses
mouvements alanguis, dans ses reprises triom-
phales
M. Nikisch a encore dirigé le lendemain soir, au
Chàtelet, le troisième concert de Kubelik.
H. de C.
— Jan Kubelik peut se féliciter d'être revenu à
Paris donner une vraie série de concerts. Depuis
bien longtemps, pareil enthousiasme, et aussi
progressif, n'avait accueilli un virtuose. Le succès
de la séance que nous avons signalée il y a
quelque temps n'est rien ou peu de chose à côté
460
LE GUIDE MUSICAL
de celui qui a marqué les deux matinées et les
deux soirées (22 et 26 mai, 3o mai et 5 juin) qu'il
vient coup sur coup de donner. La grande salle
du Châtelet était trop petite pour la foule, que
semblait peu toucher l'effroyable chaleur et qui
augmentait celle-ci à plaisir par la frénésie de ses
ovations. Non que cet artiste à la fois étourdissant
de brio et maître de lui jusqu'à la froideur n'ait
ses détracteurs. C'est peut-être aussi parce qu'il
est discuté qu'il est d'autre part tellement loué.
En réalité, si l'on peut trouver plus de profondeur,
plus d'âme même et d'intime personnalité dans
tel ou tel violoniste qu'il serait aisé de nommer,
il est difficile de nier l'autorité de son st}de et sa
correction absolue, la perfection de son méca-
nisme, qui parfois tourne au prodige, la pureté et
la couleur de son jeu... Sans compter sa complai-
sance extrême à satisfaire le public, car chaque
fois, trois et quatre morceaux imprévus ont remer-
cié la fureur des rappels et des bis.
Il est peu utile de donner ici le détail de tous
ces programmes et de leurs suppléments. Tout ce
qu'il y a de plus beau, à la fois, et de plus diffi-
cile dans la littérature violoniste a été égrené,
pages de style et de sobriété, comme feux d'artifice
aux fusées diaboliques : concertos de Mozart et
de Mendelssohn, variations ou fantaisies de Paga-
nini, concerto ou Faust-Fantaisie de Wieniawski,
Danse hongroise de Brahms- Joachim ou Andante de
Saint-Saëns, concerto de Max Bruch... Un pia-
niste,, à chaque concert, vint cueillir à son tour
sa part d'applaudissements, comme intermède.
M.Edouard Bernard d'abord [V Alouette de Glinka-
Balakirew, du Bach et du Liszt) ; puis Mlle Lucie
Léon (du Chopin, du Raff, du Bach), M. Edward
Coll, un nouveau venu à Paris (concerto de Liszt),
enfin M. Georges de Lausnay, dont nous avons
déjà eu plus d'une fois l'occasion de souligner le
beau talent et qui fut tout à fait remarquable.
II. de C.
— Il est malaisé de nuancer l'éloge. Souvent
on dépasse sa pensée par politesse, indulgence et
nécessité; souvent aussi on ne rencontre pas
l'expression juste qui caractérise un talent, et le
lecteur conclut que nous manquons de conscience
ou de goût. S'il se donnait pourtant la peine de
lire entre les lignes, il distinguerait les compli-
ments obligés des louanges sincères. Pour lu lui
épargner, je dirai nettement et tout de suite que
le deuxième concert de Mlle et M. Boucherit était
charmant du commencement à la, fin. Ces deux
artistes se complètent l'un l'autre. La sœur, avec
sa chevelure blonde et son regard un peu triste,
reflète toute la mélancolie des landes bretonnes;
le frère, brun, l'œil vif, quoique né à Morlaix,
semble être un fils du Midi. Le caractère physique
ne s'accuse nullement dans le talent; l'une a le
jeu plutôt nerveux, l'autre le style mesuré. Quand
Mlle et M. Boucherit jouent ensemble, les deux
natures se fondent, et nous avons eu une interpré-
tation vraiment harmonieuse et simple de la sonate
en ut majeur de Mozart, œuvre claire, mélodique,
où l'on module à peine dans les tons voisins.
Mlle Boucherit a exécuté seule : la sonate en
sol (op. 79) de Beethoven, où la main gauche a
fait merveille dans le ftresto, et la dextre montré une
grande légèreté dans le finale; un caprice assez
banal signé, je ne sais pourquoi, des deux noms
de Paganini et de Schumann ; la polonaise en la
bémol de Chopin, morceau trop lourd pour des
doigts féminins; deux arabesques de Debussy,
Ronde française de Boëllmann et le Scherzo-Valse
de Chabrier.
M. Boucherit a donné beaucoup d'expression
à Yandante du concerto en sol mineur de Max
Bruch, qui en a si peu, et une fantaisie tout
élégante au Rondo capriccioso de Saint-Saëns, qui
en a peut-être trop. Sans avoir une prédilection
pour les morceaux de violon sans accompagne-
ment ■ — qui ressemblent souvent à des exercices,
- j'avoue que la gavotte de Jean-Marie Leclair
a ravi tout le monde, sans doute à cause de sa
grâce et de la parfaite exécution de l'artiste.
Rappelé et bissé, M. Boucherit n'a pas craint de
nous donnner une sorte de berceuse eu sourdine
suivie d'un allegro acrobatique, le tout bien
mauvais.
M. Renaud, dont on avait obtenu le concours,
a chanté la romance de l'Etoile, la sérénade de la
Damnation et deux mélodies de Schubert. Inutile
d'ajouter qu'il les a dites supérieurement; devant
l'ovation qui lui a été faite, il a recommencé tout
simplement la sérénade et la page de Wagner.
C'est d'un bon exemple.
M. Catherine, dont le nom ne figurait même pas
au programme, accompagnait M. Renaud et « con-
certait » avec M. Boucherit. Je vous assure qu'il
n'a pas moins de talent que ces deux grands
artistes. T.
— On ne peut imaginer talents plus fraternelle-
ment semblables que ceux de M. et Mlle Boucherit.
Leur jeu est tout de charme et de douceur. Le
programme de la troisième séance, rue d'Athènes,
le 3o mai, était, à ce point de vue, fort bien
compris : des sonates de Fauré et de Grieg, pour
LE GUIDE MUSICAL
461
piano et violon, des pièces de Chopin pour piano,
de Bach et de Leclair pour violon. Interprétées
par Mlle Magdeleine Boucherit, les valses de
Chopin — surtout la valse posthume en la
bémol — sont exquises de rêverie vaporeuse
et de sentiment. M. Boucherit a joué avec une
netteté et une justesse parfaites la gavotte delà
sixième sonate de Bach et le bel allegro de la sonate
Le Tombeau de Leclair. On a rappelé bien des fois
les artistes.
Nous ne parlerons pas de M. Renaud. L'émi-
nent baryton a eu un de ces triomphes auxquels il
est accontumé. Il a été merveilleux dans un air
à'Hérodiade et dans l'air de concours de Wolfram
de Tannhàuser; moins bon peut-être dans la
sérénade de Don Juan, dont il ralentit trop le
mouvement.
La belle musique, bien jouée, trouve tou-
jours un public pour l'accueillir. La salle était
pleine, élégante et enthousiaste, malgré la saison,
la chaleur et... l'arrivée d'Alphonse XIII.
F. G.
— Il vient d'être donné à Paris, à la salle
Trévise, le 27 mai 1905 — et de passer presque
inaperçue — une audition d'une qualité unique ;
c'est celle de M. Scholander, chanteur suédois.
Dans une salle à demi pleine, où, presque seuls,
des membres de la colonie suédoise étaient venus
fêter leur compatriote, il y eut une heure exquise
et d'un art parfait. M. Scholander chante, ou
plutôt « joue » les « airs » nationaux et les « vieilles
chansons françaises ». Il les joue avec une inten-
sité d'émotion, avec une justesse d'accent, avec
une science qui touche à la perfection du naturel ;
il en fait de petits drames délicieusement ciselés :
la voix, le geste, le jeu — vous ai-je dit qu'il
s'accompagnait sur le théorbe? — sont d'une har-
monie si sobre, si fine, si nuancée, qu'il en résulte
un ensemble ravissant à la fois l'œil et l'oreille de
l'auditeur.
M. Scholander a chanté — comme nul ne les
chante — toutes ces pages charmantes du recueil
des vieilles chansons : Compère Guilleri, Le roi a
fait battre tambour, le Brav' Marin, la Jolie Fille de
Partenay. En suédois, il a interprété une chanson
bachique : le los funèbre d'un buveur mort de ses
exploits La chanson est accompagnée du glas de
la cloche, et cette cloche, c'est tout simplement le
théorbe que l'artiste lance d'un mouvement pendu-
laire au-dessus de sa tête pour le ramener ensuite
à la verticale tout en faisant vibrer fortement les
cordes. L'effet est des plus curieux. Citons encore
les Trois Etudiants qui font peur aux fillettes. En
français, le Roi d'Yvetot, Le Charbonnier et leFarinier.
L'auditoire, restreint, était suspendu aux lèvres
de l'artiste, et dans cette salle demi-vide, il y avait
une atmosphère de sympathie, de chaude cor-
dialité, une sorte de communication avec l'inter-
prète absolument saisissante.
M. Scholander parle constamment au public, il
commente les morceaux qu'il va chanter; il fait
cela simplement, avec goût et discrétion. Pour
terminer le concert, il eut une idée infiniment
touchante : il interpréta un chant à la patrie — la
patrie suédoise, que rappelaient les couleurs natio-
nales mêlées aux couleurs françaises en un même
trophée — « Celui-là, dit-il, nous le chanterons
ensemble, n'est-ce pas?... » Quelques timides
réponses furent murmurées. Douces et comme
craintives d'abord, les voix s'élevèrent, puis s'as-
surèrent peu à peu, et ces femmes en grande toi-
lette, ces hommes en tenue de soirée, dans une
filiale et harmonieuse communion, envoyèrent, en
un même cantique, leur salut à la patrie absente.
Nous avons voulu fixer ici cette minute pré-
cieuse avant que, comme un parfum subtil, le
charme en fût évaporé. M. Daubresse.
— Mme Edouard Colonne a donné, le 25 mai, sa
dernière matinée musicale; aussi ses grands salons
étaient-ils trop petits pour contenir ses nombreux
invités. Au programme, très copieux : des mélodies
de la jeune école, qui m'a paru bien vieillie (d'au-
tres disent qu'elle est vieille de naissance). Cette
impression, toute personnelle, n'a pas été partagée
par le brillant auditoire. On a vivement applaudi
les compositions de M. Léo Sachs, bissé même sa
chanson II pleut, bergère, joliment chantée par
Mlle Richebourg ; celles de L. de Serres, du prince
de Polignac, de P. de Bréville, de H. Deutsch (de
la Meurthe) et de Gabriel Dupont. Les élèves de
Mme Colonne ont fait tout ce qu'elles ont pu pour
rendre un peu de santé à ces musiques maladives,
et, grâce à leur talent et à l'excellent enseignement
qu'elles ont reçu, elles ont donné, un moment,
l'illusion que ces mélodies avaient quelque chance
de survivre à leurs auteurs. Malheureusement, des
airs très simples, très mélodiques, bien rythmés, de
Lotti, Martini, Gluck et Campra, figuraient à la fin
du programme. Cette musique bien portante,
chantée dans le plus pur style classique par
Mlles d'Espinoy, Demellier, Richebourg et Mathieu
d'Ancy, n'a pas eu de pitié pour les pauvres rachi-
tiques : elle les a avalés d'une seule bouchée.
Toujours les forts mangent les faibles. T.
462
LE GUIDE MUSICAL
— L'œuvre du Point-du-Jour, qui a pour but de
venir en aide aux mères et aux nourrissons du
XVIme arrondissement, a donné, le 25 mai, au
théâtre de l'Ambigu, un concert de bienfaisance,
sous la direction de M. Jules Danbé et avec le con-
cours des chœurs de l'Euterpe, fondée par M. Du-
teil d'Ozanne. Après une courte, éloquente et
substantielle conférence faite par M. Léo Claretie,
on a exécuté intégralement Eve, de Massenet.
Rarement, depuis la première audition (1875), il
nous a été offert une interprétation satisfaisante de
cette belle composition. Cette fois, elle a été excel-
lente en toutes ses parties. Les solistes se sont
particulièrement fait applaudir. Mme A. Gandrey,
vice-présidente de l'œuvre, la femme du très sym-
pathique administrateur de TOpéra-Comique, a
chanté le rôle passionné d'Eve non en amateur,
mais en véritable artiste, d'une voix prenante et
jolie. M. Gauthier s'est montré expert chanteur
dans l'ingrate partie du récitant, notamment dans
l'air final, qu'il a dit avec grande émotion. M. Lu-
cien Berton, un baryton de la bonne école — je
veux dire celle qui enseigne le bel canto... hors du
Conservatoire, — un des meilleurs professeurs de
chant qu'il y ait à Paris, a fait preuve, dans le rôle
d'Adam, d'une diction admirable et d'un art con-
sommé. Les chœurs (les voix de femmes surtout) et
l'orchestre ont été dignes du maître. M. Danbé, qui
avait promis son concours sans se douter que, la
veille du concert, un deuil le frapperait dans ses
plus chères affections, n'a pas voulu que la mort
fit tort à la vie : avec un dévouement égal à son
talent, il a conduit l'ouvrage de Massenet d'une
façon magistrale et contribué, une fois de plus, à la
pleine réussite d'une bonne œuvre. T.
— Mme Levasseur, professeur de chant, élève
de Barbot, a donné le 22 mai, à la salle Pleyel,
un intéressant concert, où la longueur du pro-
gramme le disputait au talent des artistes qui y
prenaient part. Dieu me garde de médire des
soirées de ce genre! Elles laissent l'auditeur dans
le calme le plus complet et font passer près de
trois heures pas très passionnantes, mais fort
agréables. Le programme préparé par Mme Levas-
seur devait contenter tous les goûts, même le
médiocre : à côté d'œuvres excellentes, on a
entendu le prologue boursouflé de Paillasse et une
platitude de Ciro Pinsuti (?) intitulée Le Livre
saint, qui ont obtenu un aimable succès.
Deux cantatrices, Mme« Coryn-Levasseur et
Ronserail-Levasseur, se sont fait applaudir, la
première, douée d'une voix bien timbrée, dans
Canzonetta, d'Haydn, Non credo, de Widor; la
seconde, soprano agile, dans l'air de la naïade
d'Artnide et dans la valse de Roméo. M. Coryn,
baryton de belle prestance et chanteur adroit, a
beaucoup plu, non seulement, hélas ! dans le pro-
logue de Paillasse, mais aussi dans deux mélodies
de Lalo et de Reynaldo Hahn, et surtout dans le
duo ajouté par Massenet pour la reprise de Thaïs.
M. Raoul Pommier a diverti l'auditoire avec deux
monologues. Comme d'habitude, ce sont les instru-
mentistes qui ont apporté à ce concert un vérita-
ble intérêt artistique. Mne Corinne Coryn, premier
prix de violon au Conservatoire de Bruxelles,
élève de Joachim, a le jeu sûr, l'archet ferme et
expressif, aucune mièvrerie dans le style, ce qui
est assez rare chez les femmes virtuoses, de la
précision et une belle sonorité. Ces qualités se
sont fait remarquer dans une sonate confuse, à
idées courtes ou avortées, de Sjôgren, dans les
Airs hongrois d'Ernst et dans un Aria de Bach,
accompagné timidement au piano. Il y avait pour-
tant là, à ce concert, une musicienne accomplie
qui n'aurait pas refusé d'accompagner les élèves
de Mme Levasseur. Je veux parler de Mlle Jeanne
Blancard, une jeune ariiste de grand talent, qui
a joué avec une belle fougue la sonate dont je
viens de parler et une rare fantaisie Arabesque,
de Debussy, un impromptu de Chopin et un mor-
ceau de Moszkowski. T.
&
— Une société musicale qui porte bien son
ancienneté sur sa façade, c'est la Société aca-
démique des Enfants d'Apollon. Que voilà bien
un nom qui fleure le xvme siècle! Aussi est-ce
la cent-soixante-quatrième année de son existence
qu'elle vient d'affirmer en sa séance publique
annuelle du jour de l'Ascension, à la salle Erard,
par un concert avec orchestre où ont été exécutées
diverses œuvres de quelques-uns de ses membres.
De M. H. Pouget de Saint-André, un duo chaleu-
reux tiré de l'opéra Eveline (poème de P. Collin,
histoire du temps des croisades) a été chanté par
M. Cazeneuve et Mlle Sirbain ; de M. G. de Saint-
Quentin, des mélodies ont été dites par M. Caze-
neuve, et une petite suite pour hautbois par
M. Gillet; de M. Louis Hasselmans, quatre pièces
de G. Fauré (op. 84), pittoresquement trans-
crites pour orchestre; de M. R. Torre-Alfina,
deux sur quatre de ses Visions musicales où « har-
monies colorées » (paysages d'hiver et d'été),
ont été exécutées par l'orchestre; enfin, de M. G.
R. Simia (un pseudonyme) une Légende bre-
tonne pour chant et orchestre a été parfaitement
LE GUIDE MUSICAL
463
rendue par l'orchestre et par Mlle Minnie Tracey,
qui en a détaillé avec son style et son expression
si vivante les attachantes péripéties. Cette page
me paraît l'œuvre capitale de ce concert, et j'en-
gage positivement M. Colonne à lui donner l'hos-
pitalité de ses programmes : elle est puissante
et d'une très intéressante couleur instrumentale.
C'est M. A. Hasselmans qui diiigeait l'orches-
tre, lequel a joué aussi quelques pièces clas-
siques. J'allais oublier un fragment de con-
certo de Saint-Saëns où Mlle Bernard- Vérel a
tenu le piano, et surtout la romance en fa de
Beethoven, dite par le violon de M. Charles
Bouvet. H. de C.
— Pour éviter le mal, il arrive qu'on tombe
dans le pire. Désireuse d'épargner à ses auditeurs
la fatigue d'un récital de piano, Mlle Hedwige de
Wierzbicka, virtuose d'un talent très sûr, s'est
adjoint le concours d'une cantatrice et a cru bien
faire. Je ne suppose pas qu'elle l'ait choisie, mais
admise sur recommandation sans la connaître. La
chanteuse en question ayant, paraît-il, reçu quel-
ques leçons de M. Jean de Reszké, Mlle de Wierz-
bicka n'a vu que le professeur, dont la réputation
couvrait l'élève. C'était une imprudence. On s'en
est aperçu trop tard en entendant cette personne,
une superbe Anglaise, massacrer un air d'Héro-
diade, un autre de Lohengrin. et, sans qu'on l'en
priât, ajouter l'Eté, de Chaminade, et une chanson
digne tout au plus du café-concert.
Mlle de Wierzbicka méritait mieux. Elève de
Raoul Pugno, elle fait chanter le piano et sait lui
donner des sonorités fluides et charmantes, sur-
tout dans les œuvres de Chopin. De ce maître,
son compatriote, elle a exécuté l'impromptu et le
nocturne en/a dièse, une étude et la fantaisie en
fa mineur avec une expression non apprise, mais
toute personnelle, qualité qui n'est pas commune.
J'aime peu les transcriptions et les arrangements ;
ce qui a été écrit pour un instrument ne devrait
jamais être joué sur un instrument d'autre nature.
La chaconne de la quatrième sonate pour violon,
de Bach, perd beaucoup à être exécutée au piano,
le fùt-elle par M1,e de Wierzbicka. Cette excellente
artiste, au talent très souple, avait encore mis sur
son programme une sonate de Lekeu, œuvre inté-
ressante qui senrble avoir été écrite pour l'orgue;
la rapsodie en si mineur de Brahms, Chant d'au-
tomne de Tscha'ikowsky, du faux Chopin et
Caprice espagnol, de Mozskowski, un petit maître
polonais assez habile pour réussir dans tous les
genres sans être original dans aucun, un Francis
Thomé, la gloire des pensionnats français. T.
— C'est à Schumann et à l'école allemande
moderne que Mme Mockel avait consacré sa troi-
sième séance. Mme Mockel est l'interprète rêvée
de Schumann, et elle le fit bien voir dans. les neuf
mélodies du maître qu'elle nous présenta. Signa-
lons particulièrement Messages, d'un charme si sé-
duisant, et le Pauvre Pierre, qui fut chanté avec
une émotion aussi profonde que communicative.
Mais l'intérêt du programme résidait surtout dans
les Allemands modernes, parmi lesquels Mme
Mockel avait fait un choix qui démontre une fois
de plus combien de belles choses demeurent
inconnues. Sans parler de Brahms, représenté
par un magnifique Chant grave, où trouver une plus
jolie ligne mélodique que dans Bonne nuit et Amours
printanières de Robert Franz ou dans Laisse en paix
rêver mon âme, de Jensen, — plus de profondeur
que dans Je cache mon amour de R. Strauss, — plus
d'élégance que dans la Berceuse de Humperdinck?
Et comment ne pas citer quatre l ieder de Hugo
Wolf, absolument remarquables, II était un vieux
monarque, Où que faille, L'Avril est austère, et surtout
cette exquise Souricière, où Mme Mockel fut déli-
cieuse de verve et de finesse? On sait aujourd'hui
que Hvigo Wolf est un grand musicien, mais je
crois bien que Mme Mockel a été la première à le
démontrer... en français. J. d'O.
— Grand succès pour l'audition d'élèves donnée
le 26 mai par Mme Mockel, en une séance consa-
crée aux œuvres de Chausson et de MM. de
Bréville et Reynaldo Hahn. A signaler en premier
lieu Mme Cécile Max- Soulier, dont le talent est
aujourd'hui complet et dont l'autorité, le style
et la voix se firent applaudir aussi bien dans la
Belle au bois que dans Nocturne, V Enamourée ou le
Printemps. Citons à côté d'elle M. Maurice Trem-
blay, baryton à la voix chaude, timbrée et sachant
admirablement chanter, Mlle de Lavez, applaudie
dans Bernadette, MUe Lucette Bourgogne, Mme
Mâche, Mlle Audouin, Mlle Yelh, dont le beau
contralto fit merveille dans Y Oraison de Chausson.
En somme, résultats excellents pour le professeur
comme pour les élèves. J.
— C'est une œuvre artistique digne de toute
sympathie que la Société J.-S. Bach, fondée par
M. Gustave Bret. Nous ne saurions trop le dire.
Le goût de la musique sérieuse a fait assez de
progrès à Paris pour que le succès de cette belle
entreprise soit assuré et qu'elle puisse remplir
fructueusement son programme. Il faut que le vieux
464
LE GUIDE MUSICAL
maître de Leipsig devienne accessible au grand
public. La voie est ouverte, on doit y persister et
la victoire est certaine.
Le troisième concert d'orgue et de musique de
chambre comprenait les préludes et fugue en mi
bémol majeur et en mi mineur et deux chorals
pour orgue, que M. Guilmant, toujours infatigable,
a joués avec sa précision et son style parfaits. Ce
sont des œuvres qu'on ne peut trop entendre, car
on y découvre chaque fois de nouvelles beautés.
M. Lazare Lévy a exécuté quatre pièces du Cla-
vecin bien tempéré. La charmante sonate pour flûte et
piano et la sonate en trio (flûte, violon et piano)
tirée de V Offrande musicale — dont Vandante et le
finale sont des merveilles — ont été rendues comme
elles doivent l'être par MM. L. Lévy, Hennebains
et Daniel Hermann. Œuvres toujours jeunes et
toujours belles! F. G.
— M. Engel et Mme Bathori ont donné samedi
dernier, au théâtre des Mathurins, leur dernière
matinée de la saison. On sait avec quelle foi et
quelle persévérance ils se consacrent aux œuvres
des jeunes, et nous ne saurions trop les en féliciter.
Mme Bathori a chanté un cycle de mélodies de
M. Gabriel Grovlez, que nous connaissions surtout
comme bon pianiste. La Chambre blanche est une
douzaine de Lieder, sur un poème un peu...
amorphe de M. Henry Bataille. M. Grovlez est
sous l'influence évidente de M. Debussy. Il a de
jolies intentions, une réelle distinction, mais il
n'est pas exempt d'une certaine monotonie. On a
justement applaudi les pièces intitulées Berceuse,
Songe et Les Yeux.
M. Emile Vuillermoz a présenté quelques mé-
lodies accompagnées d'une façon intéressante.
Le Désir a plu. Mais le succès a été surtout pour
trois chansons populaires françaises du xvne siècle
émigrées alors au Canada, d'où M. Vuillermoz les
a rapportées, et qu'il a harmonisées. Elles ont
beaucoup de saveur.
Enfin, M. Paul Bergon a accompagné une série
de mélodies dont plusieurs n'ont guère d'impor-
tance; mais sa Chanson provençale, qu'a chantée avec
beaucoup de goût Mme Bathori, est d'un très joli
tour mélodique. Il en est de même de Nerto que
M. Engel a dite avec son talent habituel.
F. G.
— Une erreur d'envoi nous a empêché de parler
plus tôt du remarquable concert qu'a donné le
i5 mai, à la salle Erard, Mme Clotilde Kleeberg
(Charles Samuel). A peine est-il besoin d'ailleurs
d'insister sur l'intérêt qu'il pouvait offrir aux ama-
teurs d'exécutions parfaites. Les qualités si clas-
siques, si pures, si ennemies de l'acrobatis et de
la virtuosité fatigante de certains pianistes, de
l'éminente artiste ont été depuis longtemps appré-
ciées ici, et vantées à qui mieux mieux. Une fois
de plus, il nous a été donné d'en goûter le prix si
rare et exquis, avec un programme admirablement
choisi. La cinquième suite française, en sol majeur,
de Bach; l'impromptu et les variations en si bémol
majeur de Schubert (op. 142, n° 3j ; le presto de
Mendelssohn (op. 7, n° 7) ; la deuxième grande
sonate en la bémol majeur de Weber (op. 3g);
l'arabesque et la novelette en fa dièse mineur de
Schumann (op. 18 et 21, n° 8); enfin, le nocturne
en sol majeur, la mazurka en ut dièse mineur et la
valse en la bémol majeur de Chopin (op. 37, n° 2;
41, n°ï, et 34, n° 1), en formaient les éléments.
Nous avons particulièrement trouvé délicieuses au
possible l'exécution du presto, celle de l'arabesque
et celles du nocturne et de la valse. La sonate a
été dite en perfection et avec une puissance
extrême. On se souvient que la première de ces
deux séances comportait uniquement des œuvres
de Beethoven. H. de C.
— Les chansons populaires ont plus de saveur
lorsqu'elles sont dites dans la langue du pays où
elles sont nées. M. Sven Scholander, barde de la
Scandinavie, est venu, le 27 mai, apporter aux Pari-
siens, dans la salle de l'Union de la rue de Trévise,
les meilleurs échantillons de la mélodie suédoise.
Ignorants de la langue en laquelle elle était
exprimée, nous en saisissions néanmoins le carac-
tère et devinions le goût, parce que le chansonnier
y mettait l'accent qui lui est propre; j'ajoute aussi
que nous étions beaucoup influencés par les
joyeux éclats de rire des compatriotes de M. Sven
Scholander, qui remplissaient les trois quarts de la
salle. Désireux de nous être agréable, l'aimable
artiste nous a chanté des airs populaires français
et des chansonnettes de Loïsa Puget, Collin et
Planquette. Il y a mis beaucoup de finesse assuré-
ment, et même de l'invention ; il sait notre langue
à merveille et la parle comme un Méridional de
chez nous ; nous l'avons sincèremement applaudi et
remercié de sa courtoisie. Je reste convaincu que
la chanson suédoise doit être chantée par un
Suédois en langue suédoise, comme la chanson
française doit être dite en français par un Français
— qui serait de Paris. T.
— MM. Ch. Bouvet et J. Jemain ont retrouvé à
leur second concert, du samedi 27 mai, le succès
qui avait accueilli leur première interprétation
d'oeuvres de Schumann.
LE GUIDE MUSICAL
465
En particulier, la sonate op. io5, en la mineur, fut
enlevée avec une verve et une vigueur remarquées.
Notons aussi la très bonne exécution des Màrchen-
bilder, pour piano et alto, par MM. Jemain et
Migard.
Mlle Marie Lasne, supérieurement accompagnée
par M. Jemain, fit oublier par son interprétation
très vibrante ou très tendre les banales formules
que trop souvent le traducteur des Lieder de
Schumann est obligé de substituer aux vers de
Heine ou de Goethe. G. R.
— Mlle Stella Dyer et M. Roderich Bass
donnaient le lundi 29 mai un concert au profit des
écoles anglaises. Mlle Stella Dyer est une violo-
niste distinguée, au jeu nerveux et passionné,
mais souvent son poignet trop crispé étrangle
le son ou le rend trop saccadé. Elle fut applaudie
dans une sonate de César Franck et une chaconne
de Bach. Mais pourquoi avoir mis au programme
cette horrible chose « amusicale » qu'est la Fée
d'amour de Raff ?
M. Roderich Bass interpréta avec force et
aussi avec émotion un nocturne de Chopin et le
Feueyaubt de Wagner (Brassin).
Mme Hayot chanta avec goût quelques pièces
d'Alex. Georges, Schumann et X. Leroux.
G. R.
— M. Auguste de Radwan vient de donner, le
24 mai (salle Erard), un récital de piano qui sera
suivi de deux autres les 3i mai et 7 juin. Dépro-
gramme de cette première séance comprenait,
avec diverses pièces de Brahms et de Chopin,
une chaconne de Bach, les jolies valses nobles de
Schubert et la fantaisie en fa mineur de Mozart.
On a beaucoup applaudi la technique et le style
de M. de Radwan. Le deuxième concert est pres-
que entièrement consacré à Chopin, que M. de
Radwan interprète avec beaucoup de goût. Bien
que la saison devienne défavorable aux concerts,
nous ne doutons pas qu'il obtienne le succès dû à
son beau talent. F. G.
— Da matinée de musique de chambre donnée
le 24 mai par M. Paul Brand, pianiste, avait un
intéressant programme. Il a joué avec MM. De
Bruyn et Duttenhofer un trio de Th. Dubois,
œuvre bien écrite, mais manquant un peu de per-
sonnalité, et les pièces en trio de Rameau, char-
mantes, comme on sait, mais composées pour le
clavecin et non pour le piano Erard. La belle sonate
pour violoncelle de Boëllmann et une suite pour
violon d'Emile Bernard ont été rendues avec
précision et avec goût. Il y eut enfin plusieurs
morceaux pour deux pianos fort bien joués par
MM. Brand et Garés : des réductions de Léiwre
de Duparc et des Djinns de C. Franck, œuvres
que nos concerts symphoniques négligent trop de
reprendre ; le CafoHce héroïque de Saint-Saëns et
une originale Fantaisie- Scherzo de M. Raymond
Saurat. L'exécution très brillante de ces œuvres
de piano aurait gagné à une salle plus vaste que
celle de l'Institut Rudy. Il y avait un peu trop de
sonorité. F. G.
— L'audition des élèves femmes de M. Paul
Brand a eu lieu le mardi 6 juin, à la salle Erard,
toujours avec le concours de quelques artistes pour
compléter les exécutions : MM. L. Duttenhofer,
L. Bailly, E. de Bruyn. On a joué du Schumann
et du Chopin, du Fauré et du Pierné, du Marmon-
tel et du Liszt. Mme Dargier-Peltier, Mlles Sée,
Lévêque, Mallaivre, Canal, Jacquin, Férant,
Saint-Amand, Beaulavon, Mollard, Millet et
Courso étaient inscrites au programme de ces
intéressants morceaux.
— La troisième séance de piano de Mme Van
Goens (Germaine Polack), le 27 mai, à la salle
Pleyel, comportait les danses des Davidsbûndler,
de Schumann et la quatrième sonate de Mozart, ces
deux chefs-d'œuvre encadrant trois gracieuses
pièces de M. Daniel Van Goens. Un beau talent,
qu'on a applaudi avec une vive sympathie.
— M. Ernesto Consolo, pianiste de talent, a
donné le 27 mai un concert d'une belle tenue
musicale. Avec le concours de MM. Hayot,
André, Denayer et Salmon, dont la réunion s'inti-
tule avec quelque pompe Quatuor de Paris,
M. Consolo a interprété le magistral quintette de
Brahms et le délicieux quintette de Dvorak.
J'aurais souhaité dans l'exécution de ce dernier
un peu moins de correction et plus de libre fan-
taisie — mais le Quatuor de Paris n'est pas
tchèque. M. Consolo a joué seul, avec ampleur
et sonorité, la ballade (variations) de Grieg,
une fantaisie de Chopin, le prélude et fugue en
la mineur de Bach. Ch. C.
— Les Chanteurs de Saint-Gervais, sous la
direction de leur chef, M. Charles Bordes, ont
chanté a capella, le jour de l'Ascension, en l'église
de la Sorbonne, la messe Ascendo ad Patrem (à cinq
voix mixtes) de Palestrina, avec des motets du
même musicien à l'Offertoire et à la sortie.
— « Musica » me jtivat.
Dans son numéro de juin, notre excellent con-
frère rend compte de Chérubin à l'Opéra-Comique.
466
LE GUIDE MUSICAL
Il le fait en bons termes et distribue des éloges
mérités aux interprètes. « Mlle Claire Friche,
dit-il, remplace M1Ie Lina Cavalieri dans le rôle
de la danseuse l'Ensoleillad : elle y apporte sa
grande conscience artistique et son irrésistible
charme personnel. »
Comment notre confrère, familier de la salle
Favart, a-t-il pu voir, en la blonde et gracile
Mme Vallandri, créatrice à ce théâtre de l'Enso-
leillad, une brune superbe, qui se cabre et piaffe
(ainsi s'exprime l'Annuaire des Artistes sur le compte
de MUe Friche, qui s'est laissé mettre dedans)?
La belle transfuge de la Monnaie ne dira rien,
mais c'est Mme Vallandri qui ne sera pas contente.
« Musica » me deledat. T.
— Au Conservatoire.
Voici une modification au règlement qu'il
importe de signaler aux aspirants aux classes de
violon :
Les concours d'admission aux classes de violon
comprendront, à partir d'octobre 1905, deux
épreuves.
En se faisant inscrire, chaque aspirant devra
indiquer, sur sa formule de demande d'inscription,
une liste de trois morceaux qu'il propose pour son
audition.
Pour la première épreuve, l'aspirant exécutera à
son choix l'un des trois morceaux désignés lors de
1 inscription, et un "morceau imposé, inédit, à exé-
cuter à première vue.
Les aspirants désignés par le jury sont seuls
appelés à passer la seconde épreuve ; ils sont
convoqués par lettre.
A cette seconde épreuve, le jury décide, d'après
la liste présentée par l'aspirant, dans quel morceau
il sera entendu à nouveau.
— La Société des Compositeurs de musique met
au concours, réservé aux seuls musiciens français,
pour l'année 1905, les œuvres ci-après :
i° Quatuor pour piano, violon, alto et violon-
celle.
Prix de 5oo francs offert par M. le ministre
des Beaux-Arts.
2° Fantaisie pour piano et orchestre.
Prix de 5 00 francs (fondation Pleyel-Wolf-
Lyon).
3° Ave Maria pour baryton solo et chœur à
trois voix.
Prix Samuel Rousseau, 3oo francs, offert par
Mme Samuel Rousseau.
40 Musique de scène pour Y Amphitryon de
Molière.
Prix de 5 00 francs offert par M. Albert Glandaz.
5° Histoire de la sonate.
Prix de 200 francs offert par la Société.
Les manuscrits devront être parvenus le 3i
décembre 1905, au plus tard, à l'archiviste, au
siège de la Société, 22, rue Rochechouart (9e), où
le règlement et tous renseignements peuvent être
demandés à M. Lefébure ou au secrétaire général.
BRUXELLES
Le monde musical bruxellois a été doulou-
reusement ému en apprenant la mort de Léon
Jouret, titulaire des classes de chant d'ensemble
au Conservatoire de Bruxelles.
Excellent musicien, esprit curieux et lettré,
épris du grand art, causeur plein de verve et
d'esprit, ironiste charmant et plein de bonhomie,
Léon Jouret avait été depuis plus de quarante ans
mêlé à toute la vie artistique de Bruxelles, avec
Joseph et Auguste Dupont, Louis Brassin, Adol-
phe Samuel et, après 1871, avec Gevaert, qui le fit
nommer au Conservatoire en 1873. Son œuvre mu-
sicale n'est pas de très haute portée, mais plusieurs
de ses chœurs sont devenus populaires et demeu-
rent au répertoire de nos sociétés chorales. Il
avait aussi tàté du théâtre, mais dans un cercle
restreint et plutôt en amateur, en composant pour
le Cercle artistique et littéraire le Tricorne enchanté,
d'après la comédie de Théophile Gautier, dont le
succès est resté légendaire dans les annales de
cette société bruxelloise.
Au Conservatoire, son passage aura été marqué
par l'admirable tenue donnée aux chœurs mixtes
de la maison, qu'il stylait avec une maîtrise remar-
quable. Il avait des attentions charmantes pour
les jeunes artistes de talent, et plus d'un se sou-
viendra de ses remontrances affectueuses, de ses
encouragements paternels, de ses conseils pleins
de cœur et d'esprit. Car Léon Jouret avait autant
de goût que d'érudition.
C'est une figure populaire et éminemment sym-
pathique qui disparaît.
— L'audition des élèves de Mme Labarre au
théâtre du Parc a obtenu, la semaine dernière, un
succès flatteur pour l'enseignement de l'excellent
professeur. Des chœurs de Franck et de Brahms,
i
LE GUIDE MUSICAL
467
chantés avec beaucoup d'ensemble par un groupe
de jolies voix sous la direction de M. F. Labarre,
ont ouvert et clôturé la séance, au cours de laquelle
se sont fait entendre, dans un répertoire classique
et moderne embrassant toute l'histoire de la
musique vocale depuis Lulli jusqu'à Fauré et
Pierre Bréville, une quinzaine d'élèves dont
quelques-unes, telles Mlles De Bolle et Plumât,
sont déjà des cantatrices aguerries. On a particu-
lièrement applaudi Mlle De Bolle pour la façon
charmante dont elle a chanté l'air du Saule
d'Othello, et Mlle Plumât pour son interprétation
expressive de la mélodie de Brahms : Amours
éternelles.
Citons aussi, parmi les élèves les mieux douées
de Mme Labarre, Mmes Rézette et de Croës, Mlles
Cassart et Rollet.
— Une autre audition d'élèves, et des plus inté-
ressantes, a été donnée la semaine dernière par
Mme Paul Miry- Merck. Nous en rendrons compte
dans notre prochain numéro; dès à présent,
constatons-en le succès qui fait grand honneur à
l'excellent professeur.
— Les concours publics du Conservatoire royal
de musique de Bruxelles s'ouvriront le jeudi i5
juin, à 10 heures du matin, par une audition des
classes d'ensemble.
Ils auront lieu dans l'ordre suivant :
Samedi 17 juin, à 9 heures et demie, instruments
à embouchure.
Lundi 19 juin, à 9 heures et demie, instruments
à anche et flûte.
Mercredi 21 juin, à 9 heures et demie, contre-
basse-alto; à 3 heures, violoncelle.
Vendredi 23 juin, à 9 heures et demie, musique
de chambre et harpe.
Samedi 24 juin, à 3 heures, orgue.
Mercredi 28 juin, à 9 heures et demie et à
3 heures, piano pour demoiselles.
Vendredi 3o juin, à 9 heures et demie, piano
(jeunes gens), prix Van Cutsem.
Lundi 3 juillet, à 9 heures et demie et à 3 heures,
violon.
Mardi 4 juillet, à 9 heures et demie et à 3 heures,
violon.
Vendredi 7 juillet, à 4 heures, chant (hommes).
Samedi 8 juillet, à 10 et à 3 heures, chant
(demoiselles).
Vendredi 14 juillet, à 3 heures, tragédie et
comédie.
— Une section chorale de garçons (soprani-alti)
vient d'être annexée au choral mixte « A Capella
bruxellois », directeur M. Bauvais.
Soixante de ces jeunes gens, recrutés parmi les
plus jolies voix des écoles de l'agglomération,
s'ajouteront à la masse chorale qui interprétera le
Te Deum de M. Tinel, à la collégiale de Sainte-
Gudule, le 21 juillet, à l'occasion de soixante-quin-
zième anniversaire de l'indépendance nationale.
La même société organise pour le dimanche
18 juin, à 8 heures du soir, dans la salle de specta-
cle de la Brasserie flamande, rue Auguste Orts,
une fête artistique par invitation pour clôturer les
cours scolaires de 1904.-1905.
Au programme, des œuvres de Delibes, Rubin-
stein, Lalo, Fauré et des fragments importants de
Mireille et de Lakiné.
CORRESPONDANCES
T~ A HAYE. — Depuis le Ier juin, l'admirable
j| J Orchestre philharmonique de Berlin est
revenu au Kursaal de Scheveningue. De même
que l'année dernière, l'orchestre est dirigé par
M. August Scharrer, qui, sans égaler ses prédé-
cesseurs, le professeur Mannstàdt et Rebicek, est
un capellmeister très appréciable. Le premier
concert symphonique hebdomadaire du vendredi
a eu lieu le 2 juin. Le programme se composait de
la première symphonie de Brahms, de l'ouverture
Léonore n° 3 de Beethoven et du célèbre concerto
pour deux violons de J.-S. Bach, joué par les deux
concertmeister MM. Anton Witek et Gesterkamp.
Ce concerto a été le clou du concert er, remar-
quablement joué par les deux violonistes, il a
provoqué un grand enthousiasme. La symphonie
de Brahms a été bien exécutée, mais les mouve-
ments ont été parfois trop lents.
Le baron van Zuylen van N)^evelt, président de
la direction du Residentie-Orkest de La Haye,
vient de recevoir un don très important de la
reine mère des Pays-Bas, pour subvenir aux
frais de cet orchestre, qui va être renforcé par des
artistes de premier ordre et qui va reprendre ses
matinées symphoniques à partir du mois d'oc-
tobre prochain.
468
LE GUIDE MUSICAL
M. Félix Weingartner vient d'arriver à La Haye
pour présider aux dernières répétitions du festival
qu'il va diriger, et dont le premier concert aura
lieu le dimanche n juin et se composera de la
première symphonie, de l'ouverture Léonore n° 3
et de la neuvième symphonie avec chœurs de
Beethoven. Comme solistes prêteront leur con-
cours : Anna Kappel, Mme de Haan-Manifarges,
MM. Jos. Tyssen et Jan Sol, le chœur de la
Société pour l'encouragement de l'art musical et
l'Orchestre communal d'Utrecht.
Il me reste à signaler un intéressant concert
religieux, donné par l'organiste A.-W. Ryp,
récemment couronné au concours pour la place
d'organiste au Nieuwe Kerk d'Amsterdam, et
donné avec le concours de notre sympathique
concitoyenne Nicoline van Eyken, avec sa jolie
voix de mezzo-soprano, et de l'éminent violon-
celliste Ch. Van Isterdael, professeur au Conser-
vatoire royal de La Haye.
A Amsterdam, les répétitions de Parsifal se
poursuivent avec autant de zèle que de conviction,
et on a le droit de s'attendre à une exécution hors
ligne sous tous les rapports. Ed. de H.
LIEGE. — Une curiosité légèrement mali-
cieuse attendait la première du Sanglier des
Ar demies, le drame que M. Jules Sauvenière va
faire représenter durant l'Exposition, dans un
théâtre ad hoc dressant au bord de la Meuse sa
silhouette de castel moyen-âgeux.
On connaît la personnalité un peu bruyante du
poète. Ses enthousiasmes, son lyrisme exalté, son
imperturbable confiance en soi lui ont valu
nombre de détracteurs dont les critiques n'ont pas
toujours été exemptes de parti-pris.
Pour notre part, nous applaudissons à l'effort
considérable d'où est sorti ce Sanglier des Ar demies ;
la pièce, malgré d'indiscutables défauts, a son
originalité et son intérêt, empruntés à une recon-
stitution très saisissante de la vie liégoise au xve
siècle; l'action dramatique évoquant des épisodes
caractéristiques de ces temps troublés ne manque
ni d'allure ni de force ; elle constitue, dans un
cadre parfaitement homogène, un spectacle intéres-
sant, instructif, et le but semble atteint.
C'est donc un succès dont il convient de féliciter
M. Jules Sauvenière et ses collaborateurs. Parmi
ceux-ci, M. Charles Radoux a composé une
musique de scène qui révèle du tact et du savoir.
M. Koister est intervenu habilement dans la
partie décorative du théâtre, et les costumes des-
sinés par lui ont été justement admirés. Enfin,
l'architecture extérieure des Arènes liégeoises,
avec ses tours crénelées et tout Tappareil formi-
dable de l'antique château de Franchimont, que
le staff a merveilleusement restitués, est le fruit
de recherches archéologiques savantes, auxquelles
M. Kuppferschlaeger a présidé avec autant de zèle
que d'érudition. P. D.
LONDRES. — Le nouveau Théâtre Wal-
dorf, dirigé par M. Henry Russel, a ouvert
sa campagne par le Maître de Chapelle de Paër avec
Mme Ferrari, MM. Pini-Corsi et Massa. En raison
de ses faibles dimensions, la scène de ce théâtre
convient mieux à ce genre d'œuvres que celle de
Covent-Garden. Pendant la season, l'opéra et le
drame italiens (avec Mme Eleonora Duse) alterne-
ront tous les soirs. Le programme annonce
Pagliacci, Traviata (Mme Corsini), Cavalleria rusticana
et Amico Fritz avec Mme Nielsen (Suzel) et Mme de
Cisneros (Beppe). L'orchestre est dirigé par le
maestro Conti.
A Covent-Garden, M. Hans Richter a dirigé
d'admirables représentations des Maîtres Chanteurs
avec Mffie Alten (Eva), M. Herold (Walther) et
M. Van Rooy (Sachs), et de Tannhàuser avec Mme
Wittich, merveilleuse dans le rôle d'Elisabeth.
Signalons encore la Bohème avec Mme Melba et
M. Caruso; Faust avec Mme Melba et M. Charles
Dalmorès,quia donné une excellente interprétation
du premier rôle; Carmen, remarquable avec
M. Dalmorès, pour les débuts à Londres de
Mme Destinn dans ce rôle; Gli Ugonetti, admirable
avec MM. Caruso et Dalmorès et Mme Selma
Kurz.
M. Henry J. Wood a conduit deux grands con-
certs exclusivement consacrés aux œuvres de
Wagner et de Tschaïkowsky. La Société philhar-
monique a obtenu un très grand succès avec la
symphonie de César Franck et le concerto de
violon de Stanford (soliste : M. Achille Rivarde).
Enfin les concerts donnés par l'orchestre du
Kursaal d'Ostende sous la direction de M. Léon
Rinskopf ont fait sensation; les programmes
comprenaient La Mer de Paul Gilson, Benvemito
Cellini, la septième symphonie de Beethoven et des
variations de M. Joseph Holbrook, un jeune com-
positeur anglais. M. César Thomson y a obtenu un
vif succès.
Les récitals les plus applaudis ont été ceux de
MM. Joseph Joachim et Léonard Borwick (sonates
pour violon et piano), Mischa Elman, Huberman
et Kreisler, M^ Marchesi et M. Maurel, M. Ha-
rold Bauer et M. Pablo Casais. N. Gatty.
LE GUIDE MUSICAL
469
LOUVAIN. — Le concert jubilaire du
16 mai avait pour but de commémorer
l'institution de nos concerts de l'Ecole de musique
et d'honorer M. Emile Mathieu, à qui nous en
sommes redevables. Cette soirée a été ce qu'elle
devait être, une éclatante manifestation de sympa-
thie et d'admiration envers un de nos compositeurs
belges les plus grands. Les œuvres de Mathieu,
c'est notre conviction, acquerront et conserveront
l'estime des musiciens futurs. Son inspiration ne se
distingue point par la puissance, la largeur, par
cette émotion simple et profonde que nous
appelons sublime sans pouvoir en définir la nature;
ou du moins, dans cet ordre d'idées, elle ne se
soutient guère; elle n'est pas apte à nous donner
l'impression de l'infini, de l'au-delà. L'artiste,
d'ailleurs, par un sentiment de probité qu'il faut
estimer en lui par-dessus tout, se tient à l'écart des
idéals qui ne régnent point dans son cœur et n'a
jamais essayé, en vue de succès faciles, d'exprimer
autre chose que ce qu'il sent vivement et profon-
dément. De là cette impression de sincérité cor-
diale et fine qui plaît dès l'abord dans son œuvre
Comme dans sa personne. Deux caractères, nous
semble-t-il, peuvent être notés en lui : d'une part,
un sens du pittoresque absolument rare, un amour
de la nature que très peu de compositeurs ont senti
et rendu à ce degré de perfection ; d'autre part, un
souci exlrême de l'expression passionnelle qui se
manifeste par la musique la moins formelle, la plus
nuancée, la plus impressionniste, si je puis dire
ainsi. De là une écriture véritablement originale,
ondoyante, inattendue, diverse, qui, dans l'orches-
tre, affectionne singulièrement les registres élevés
et qui se manifeste peut-être la plus parfaite dans
ses mélodies pour chant et piano.
Le programme, très bien constitué, donnait l'in-
tuition complète de l'art de Mathieu, en dehors de
ses compositions théâtrales. (On eût pu cependant
faire entendre un extrait de sa Richilde, la légende
de Lyderic, par exemple, qui re serait fort bien
prêtée à cette exécution au concert.) Voici Freyhir
d'abord, l'ouvrage qui restera son chef-d'œuvre, où
presque toutes les pages forcent l'admiration, mais
surtout le début et le finale. L'idée poétique, sans
doute, n'a pas la largeur et la hauteur qu'on
voudrait, et ces considérations utilitaires sur la
sylviculture ne sont guère à leur place; mais
qu'importe, si les détails exquis abondent, retien-
nent l'attention, provoquent le plaisir d'un bout à
l'autre de cette partition charmante, si la beauté et
la mélancolie de la forêt y sont exprimées d'intense
façon ?
Puis trois morceaux symphoniques où l'idée
pittoresque aussi est absolument dominante : le
brillant morceau en forme de marche intitulé Noces
féodales; une œuvre également ancienne, titrée
Sous bois, que j'ai peu goûtée, et, en première exé-
cution, un Paysage d'automne pour piano et orchestre
qui, par contre, m'a plu extrêmement. Celui-ci se
compose de deux parties : Paisible matinée, — Jeux
d'aquilon, et constitue une des compositions les
plus originales et les mieux venues de M. Emile
Mathieu. Il a été admirablement joué par M. Kx-
thur De Greef, notre grand pianiste belge, qui a
mis en relief toute la couleur et toute la vie de cette
belle composition. Souhaitons que prochainement
il la fasse entendre au public bruxellois.
Le programme était complété par six mélodies
absolument exquises : De Eerste Kus, la Cigale, le Roi
des Aulnes, le Pêcheur, le Barde, Mignon (les quatre
dernières sur des ballades de Gœthe). Il faut mettre
hors de pair la Cigale, le PécJwur et Mignon. La
Mignon de Mathieu ne pâlit pas à côté des mélodies
que ce célèbre et charmant poème a inspirées aux
plus grands maîtres.
L'exécution de ce beau programme fut tout à
fait remarquable. Sous la direction de M. Léon
Du Bois, le dévoué et talentueux successeur de
Mathieu à la tête de notre Ecole de musique, les
chœurs et l'orchestre, les chœurs surtout, ont fait
merveille et nous ont donné de Freyhir une audi-
tion superbe ; nous aurions cependant désiré un
peu plus d'animation en certains endroits, nous
semble-t-il. Les solistes du chant qui se firent
entendre dans Freyhir et qui ensuite dirent chacun
de façon parfaite une ou deux des mélodies signa-
lées étaient M11^ Wybauw et Latinis, MM. Van-
derheyden et Bicquet. C'est dire qu'ils furent à la
hauteur de leur tâche. Mlle Wybauw et M1Ie Lati-
nis en particulier chantent à ravir.
Nous avons reconnu parmi les musiciens des
artistes tels que le violoniste Zimmer, qui avaient
tenu à honneur de participer spontanément à cette
manifestation envers l'auteur de Freyhir.
Au milieu de la soirée, après l'exécution de son
œuvre la plus aimée, M. Mathieu a été l'objet
d'une ovation enthousiaste qui s'adressait à la
fois à l'artiste original et fin, à l'homme modeste
et très bon qui a laissé parmi nous un souvenir
si vivace. Raro.
STRASBOURG. — La séance d'inaugura-
tion du premier grand festival alsacien-
lorrain, organisé à l'instar des solennités musicales
périodiquement instituées à Cologne, à Dussel-
dorf, à Aix-la-Chapelle, à Bonn, et qui comprend
47°
LE GUIDE MUSICAL
trois importants concerts, s'est traduite samedi
dernier, dans la salle du Sœngerhaus, par un gros
succès pour l'ouverture d'Obéron de C.-M. Weber,
dirigée admirablement par M. Richard Strauss ;
pour les Impressions d'Italie, ce rayonnant poème
symphonique, en quatre tableaux, de Gustave
Charpentier, dont les détails, si variés et si claire-
ment exposés par le compositeur, ont été merveil-
leusement rendus sous la direction sobre et ferme
de M. Camille Chevillard ; pour la scène finale du
troisième acte des Maîtres Chanteurs de Richard
Wagner, dirigée par Richard Strauss, et pour la
ballade Fàhrmanns Bràute, du jeune compositeur
finlandais Jean Sibelius, chantée par Mme Jàrne-
felt, avec accompagnement d'orchestre.
Mais la part principale du retentissant succès
de ce. premier concert du festival alsacien-lor-
rain est incontestablement échue aux Béatitudes
de César Franck. *
Savamment préparés d'abord par M. Stock-
hausen, puis par M. Ernest Miinck, qui s'est voué
de cœur et d'âme à la réussite de cette exécution
des Béatitudes, les chœurs, guidés par la direction
précise de M. Camille Chevillard, ont été irrépro-
chables, superbes d'effet dans les phrases à grand
éclat comme aussi dans les passages à nuances
expressives et fines. L'orchestre, de son côté, a
marché de pair avec l'association vocale, et quant
aux solistes, on n'en pouvait désirer de meilleurs
que Mmes Jàrnefelt, Kiauss-Osborne et Weber,
MM. Cazeneuve et Paul Daraux.
L'enthousiasme du public s'est transformé, au
second concert, et plus vivement encore au troi-
sième et dernier concert, en une véritable frénésie.
Certainement, les auditions de dimanche et lundi
derniers ont offert, à la foule élégante accourue
à la salle du Saengerhaus, la perfection même
quant à l'ensemble de l'exécution. Bien des détails,
par contre, ont pu fournir matière à discussion, et
c'est pourquoi le délire qui s'est emparé d'une
partie du public, et plus notoirement d'une fraction
des exécutants, qui a ovationné M. Gustave
Mahler à l'égal d'une divinité, échappe à tout
jugement raisonné. Pourquoi M. Gustave Mahler
seul, et pas, en même temps que lui, M . Richard
Strauss, cette autre illustration de l'art musical
allemand? Et pourquoi aussi cette réserve vis-à-
vis de M. Camille Chevillard, auquel avait été
dévolue la plus ingrate des besognes en matière de
direction chorale et orchestrale? Simples caprices
de la foule, assurément !
Le second concert a débuté par l'exécution de
la cinquième symphonie, pour orchestre, de M.
Gustave Mahler, sous la direction du compositeur
lui-même. Le réputé chef d'orchestre de l'Opéra
de Vienne laisse aux auditeurs de sa nouvelle
symphonie le soin de deviner eux-mêmes ses J
pensées préexistantes à propos des tableaux sym-
phoniques qu'il offre à leurs appréciations.
Si, dans la marche funèbre qui ouvre la cin-
quième symphonie de Mahler, le musicien n'af-
firme point un juste sentiment des proportions,
il se montre, par contre, plus assuré dans l'exposé
de son scherzo, un sujet de kermesse traité avec
un esprit plein d'humour, dans son adagietto. dont
l'expression subjugue par son profond sentiment,
et dans son rondo final, dont les piquants épisodes
tiennent l'attention en éveil jusqu'à la dernière
mesure de la partition. Cette symphonie de Mahler,
des plus intéressantes dans son ensemble, est de
celles qui sont appelées à plaire de plus en plus à
chaque audition nouvelle.
Dans ce même ordre d'idées s'impose la Domes-
tica de M. Richard Strauss, une œuvre des plus
originales, qui n'a peut-être pas été admirée autant
qu'elle méritait de l'être, ayant été présentée,
l'autre soir, à la fin d'un programme des plus char-
gés et, en raison de cela, passablement fatigant.
La rapsodie pour voix d'alto et chœur d'hommes,
op. 53, avec orchestre, de Brahms, date de 1870.
Par son ordonnance harmonique bien claire et
par son attrait mélodique elle a, dimanche dernier
reposé l'auditoire. Il est vrai qu'elle a été on ne
peut plus expressivement chantée par Mme Kraus-
Osborne, avec répliques bien nuancées par le
chœur d'hommes, sous la direction de M. Ernest
Mùnch. Celui-ci a contribué, comme on sait, pour
la part la plus large à la réussite de ce premier
festival alsacien-lorrain, en instruisant à fond, et
d'une manière si éloquente et si énergique, la
masse vocale qui avait tout obligeamment répondu
à l'appel du comité d'organisation.
On aurait voulu entendre une seconde fois aussi
M. Henri Marteau, l'illustre violoniste, qui a
merveilleusement joué le concerto en sol majeur j.
de Mozart; mais malgré six rappels consécutifs,
l'incomparable soliste n'a point cru devoir ré-
pondre aux désirs de son auditoire charmé par la
finesse et la pureté de style de son analyse mu-
sicale.
M. Ferrucio Busoni était du troisième concert.
C'est dire qu'il a présenté, lundi dernier, à l'admi-
lation des pianistes en particulier, et à celle de
l'assistance en général, une traduction modèle du
concerto en sol majeur, pour piano avec orchestre,
de Beethoven. Remplaçant M. Anthes, empêché,
M. Louis Hess, ténor, de Berlin, a chanté des
mélodies de Beethoven. Tâche ingrate pour un
LE GUIDE MUSICAL
4>ï
soliste en quelque sorte débutant au concert, mais
dont M. Hess s'est néanmoins acquitté avec
quelque mérite. La neuvième symphonie, avec
chœurs et quatuor solo, de Beethoven, exécutée
sous la direction de M. Gustave Mahler, avec le
concours de Mmes Dietz, Kraus-Osborne, MM.
Hess et Kraus, et dont l'ensemble final a surpris
par son tempo par trop précipité, et l'ouverture de
Coriolan de Beethoven, comme premier numéro,
ont complété le programme de la séance de clôture
de ces fêtes tout artistiques, qui ont été marquées
par le succè» le plus retentissant et le plus en-
gageant. A. Oberdœrffer.
\0
NOUVELLES
— Il vient de se fonder à Lyon une société artis-
tique qui a pour objet la création de grands
concerts symphoniques. Un syndicat de garantie
s'est fondé sur l'initiative de M. Witkowski, qui
assure à ces concerts un revenu annuel de 10,000
francs pendant quinze ans. Cette somme impor-
tante est versée chaque année par les membres
fondateurs de la société. Ce syndicat de garantie a
pour président d'honneur M. Edouard Aynard,
député du Rhône, pour président effectif M. le
docteur Maurice Vallas, professeur à la Faculté de
médecine, et pour vice-présidents MM. Maurice
Isaac et le docteur Jamain. La société ainsi formée
a choisi pour administrateur et directeur artistique
M. Witkowski, qui dirigera les concerts et qui, dès
la saison prochaine, se consacrera entièrement à
sa nouvelle tâche. Avec un orchestre permanent
formé de musiciens professionnels, il organisera
d'abord une série de concerts purement sympho-
niques, puis, en s'adjoignant les chœurs mixtes de
la Schola Cantorum, il donnera des auditions de
grandes œuvres telles que cantates, oratorios, etc.
L'entreprise prendra le titre de Société des Grands
Concerts de Lyon.
— La National Zeitung de Berlin, à l'occasion du
centenaire de Louis Schneider, qui fut un artiste
célèbre en son temps, publie une série de lettres
inédites adressées par lui, il y a cinquante ou
soixante ans, à différentes personnalités du monde
artistique allemand. L'une de ces lettres est parti-
culièrement curieuse; elle est datée de Potsdam,
11 juin i858; son destinataire est inconnu, mais on
croit voir en lui un directeur du théâtre de Posen,
nommé Wallner, qui brigua à cette époque la
direction d'une grande scène berlinoise. Schneider,
dans sa lettre, rapporte cet incident : « On m'a
demandé, dit-il, s'il est vrai qu'au théâtre de
Posen, sous votre direction, on a représenté des
œuvres de Wagner, et notamment Tannhàuser. Je
n'ai pu répondre à cette question' parce que,
depuis cinq ans, je vis absolument en dehors du
monde des théâtres. Cette question m'a cependant
surpris, car je sais qu'ici, à Berlin, les représenta-
tions des œuvres de Wagner ont été définitivement
et une fois pour toutes absolument interdites. Je
ne veux, continue Schneider, tirer aucune conclu-
sion de ce fait, mais il est peut-être utile que vous
en ayez connaissance. »
— Le 24 mai dernier, l'Ecole royale de musique
de Wurtzbourg a terminé la saison de ses concerts
par une audition du nouvel oratorio la Cène, texte
extrait de la Bible et de la liturgie catholique par
un évêque, Msr G. A. Ghezi, musique du père
Hartmann, de l'ordre des Franciscains. L'œuvre
fut commencée en 1902 et terminée au mois de
janvier 1904. L'empereur d'Allemagne en avait
agréé la dédicace. Elle a été exécutée par un chœur
de 400 personnes et un orchestre de 80 musiciens.
Les soli ont été chantés par Mmes Marie Berg,
Agnès Leydhecker, MM. Hans Thomascheck-et
Eugelhardt. M. Kliebert dirigeait l'ensemble. Le
père Harlmann est l'auteur de deux autres orato-
rios, Saint François et Petrus, qui ont eu des audi-
tions à Naples, à Rome, à Saint-Pétersbourg, à
Munich, etc. ; il a composé aussi un Miserere à six
voix, qu'il a dédié à la reine Marguerite d'Italie.
— On a célébré à Copenhague, le 14 mai dernier,
le centième anniversaire de la naissance de l'un
des plus remarquables musiciens danois, Emile
Hartmann. Après avoir travaillé sous la direction
de Spohr, il avait fait entendre sa première
symphonie à Cassel, en i838, et il s'était produit
depuis, avec plus ou moins de succès, dans toutes
les branches de l'art. On a de lui des opéras, des
ballets, des intermèdes, un mélodrame, des: ouver-
tures, des symphonies, des cantates, des chœurs,
une sonate de violon, des mélodies et des mor-
ceaux de piano. Il devint, à l'âge de trente-cinq
ans, directeur du Conservatoire de Copenhague,
et son pays l'a comblé de distinctions pendant les
années d'activité de sa longue vie de près d'un
siècle. Il mourut le 10 mars 1900. Il était le beau-
père de Niels Gade, qui fut le successeur de
Mendelssohn aux concerts du Gewandhaus de
Leipzig. Son fils, Emile Hartmann, qui le précéda
tf*
LE GUIDE MUSICAL
de deux ans dans la tombe, s'était fait aussi une
réputation comme compositeur.
— Le troisième Congrès international de F « Art
public », qui aura lieu à Liège, est définitivement
fixé aux 16-21 septembre. Présidé, comme on le
sait, par M. Beernaert, ministre d'Etat, il com-
prend cinq sections respectivement présidées par
MM. Ch. Buis (l'Ecole); Thomas Vinçotte (l'Aca-
démie); H. Hymans (les Musées); F. Gevaert et
Edm. Picard (Art lyrique, art dramatique) ; Jules
Le Jeune, ministre d'État (Aspect et administration
du domaine public).
BIBLIOGRAPHIE
.. — M. Durand est infatigable quand il s'agit de
rééditer les anciens classiques de notre école fran-
çaise. Voici un choix de cantates françaises du
xvme siècle qui vient de paraître dans cette Biblio-
thèque des classiques français (in-40). Ce sont deux airs
d'Orphée, de Clérambault, et quatre de Rameau :
Les Amants trahis, Apollon et Orithie, L'Impatience,
Diane et Action. Ces morceaux, assez courts et
simples, sont munis d'un accompagnement au
piano dû à MM. C. Saint-Saëns et Jacques Durand.
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NÉCROLOGIE
- A Bruxelles est mort, le 7 juin, M. Léon
Jouret, compositeur et professeur des classes de
chant d'ensemble au Conservatoire royal. Il était
né à Ath le 17 octobre 1828.
- Dans sa jeunesse, il avait écrit un Quentin Metsys
et le Tricorne enchanté, d'après la comédie de Théo-
phile Gautier, représentés avec un grand succès
au Cercle artistique de Bruxelles ; des volumes de
mélodies. Parmi lesquelles, Ma Mie Annette,
paroles de Murger, est restée populaire; des
chœurs orphéoniques, dont Les Blancs Bonnets
de Sambre-et-Meuse, paroles de Charles De Coster' !
une cantate pour l'inauguration de la statue de
Defacqz à Ath, sa ville natale ; des mélodrames et
chœurs pour YEsther de Racine ; enfin, un recueil '
curieux de chansons du pays d'Ath, habile-
ment harmonisées par lui. Le 14 janvier 1S73,
il fut nommé professeur au Conservatoire, où il
a formé toute une pléiade d'artistes. Chevalier de
l'Ordre de Léopold depuis 188 1, il avait été promu
officier en 1903.
— Le compositeur Emile Jonasf est mort le
22 mai dans la villa qu'il possédait à Saint-Germain
et où il vivait depuis longtemps retiré. Il avait fait
de bonnes études au Conservatoire, comme élève
de Le Couppey et de Carafa, et après avoir obtenu
un second puis un premier prix d'harmonie (1847)
et un accessit de fugue (1848), il concourait à
l'Institut en 1849 et se voyait décerner le deu-
xième second prix de Rome. Dès 1847, il était
nommé professeur d'une classe de solfège qu'il
conserva jusqu'en i865, et en 1859 il était devenu
professeur d'une classe d'harmonie pour les élèves
militaires, en même temps qu'il était chef de
musique d'une des subdivisions de la garde natio-
nale et directeur de musique à la synagogue du
rite portugais. Tout cela ne l'empêchait pas de se
livrer activement à la composition, et d'écrire un
nombre considérable d'opérettes, représentées
pour la plupart aux Bouffes-Parisiens : le Duel de
Benjamin (i855), la Parade (18S6), le Roi boit (1857),
les Petits Prodiges (i85y), Job et son chien (i863), le
Manoir des La Renardière (1864), Avant la noce (i865),
les Deux Arlequins (Fantaisies-Parisiennes, i865),
le Canard à trois becs (Folies-Dramatiques, 1869),
Désiré, sire de Champigny (Bouffes, 1869), Javotte
(Athénée, 1871), le Chignon d'or (Bruxelles, 1874),
sans compter deux ou trois petits ouvrages écrits
en collaboration. Jonas avait publié en 1854 un
remarquable Recueil de chants hébraïques, dont 24
étaient de sa composition et les autres pris à des
sources différentes.
— M. Richard Strauss vient de perdre son père,
qui avait été pendant de longues années premier
cor solo de la chapelle royale de Bavière.
— M"'e Jessie Hillebrand, née Taylor, veuve de
l'historien Charles Hillebrand, est morte le 8 mai
à Florence, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Elle
avait fondé dans cette ville une association
musicale sous le nom de Société Cherubini, et s'y
faisait entendre, car elle était bonne pianiste. Elle
eut d'amicales relations avec Liszt et avec Bulow,
qui l'appelait « une excellente femme et une amie-
virtuose ».
LE GUIDE MUSICAL 473
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5iïùe année. — Numéros 26-2?.
2§ Juin et 2 juillet igo5.
GABRIEL FAURÉ
Directeur du Conservatoire de Paris
mbroise Thomas, directeur du j
Conservatoire, étant mort le
12 février 1896, on mit près de
trois mois à lui choisir un suc-
cesseur. Un maître s'imposait, Massenet :
par l'abondance et la valeur de ses œuvres,
par la célébrité qu'elles avaient acquise,
c'était bien lui, et lui seul, le compositeur
désigné pour diriger notre première école
musicale. Un nom aussi glorieux effrayait
la jalousie des rivaux. La presse se mêla
de l'affaire, on plaida pour ou contre avec
une passion souvent outrageante ; le mi-
nistre d'alors, ne sachant quel parti
prendre, attendit que la campagne s'apaisât
et, quand elle fut calmée, se décida à offrir
la place à Massenet. Justement froissé des
hésitations gouvernementales, Massenet
refusa la direction du Conservatoire, et
Théodore Dubois fut nommé à ce haut
emploi le 6 mai 1896, quatre-vingt-trois
jours après la mort d'Ambroise Thomas.
Reyer et Saint-Saëns n'étant pas can-
didats et Massenet se retirant, nul autre
n'était plus digne que Théodore Dubois
de la mission qui lui était confiée. Per-
sonne ne songea à protester. Il semblait
tout porté à diriger le Conservatoire, où il
était professeur depuis vingt-cinq ans.
Droit, franc, loyal, aimé de ses élèves non
pas seulement pour l'excellence de son
enseignement, mais encore pour les qua-
lités, je dirai même les vertus de l'homme
privé, compositeur de grand talent, il
devait être un directeur excellent. Et il le
fut. On Ta vu à l'œuvre pendant neuf ans :
affable sans empressement, très bon et
très ferme, soucieux de l'honneur de
l'illustre institution qu'il présidait, il en
défendit pied à pied, affirme-t-on, les
règlements et les traditions, subit plutôt
qu'il n'accepta de bon gré les changements
qu'on voulait y apporter, et montra dans
l'accomplissement de ses devoirs autant
de courage et de dévouement que de
savoir et de dignité. Quand, au mois de
mars dernier, on apprit qu'il désirait
prendre sa retraite, ce fut une vive surprise
dans le monde musical. Rien n'avait fait
prévoir cette détermination. Théodore
Dubois, malgré son âge — il va atteindre
soixante-huit ans au mois d'août prochain,
— n'a nullement l'apparence d'un vieil-
lard : grand, sec, il porte la tête, allongée
et fine, toujours aussi droite; à peine si
sa chevelure et sa barbe sont devenues un
peu plus grises ; ses yeux, abrités sous
l'immuable lorgnon, ont gardé toute leur
acuité et toute leur expression; sa dé-
marche, restée vive et régulière, n'accuse
aucune lassitude. On pensait que, comme
ses prédécesseurs, il conserverait ses
fonctions toute sa vie. Il a volontairement
changé l'ordre des choses et, pour la pre-
mière fois, rompu avec les traditions : il
se retire avant que les années aient affaibli
476
LE GUIDE MUSICAL
sa verte vieillesse, suprême coquetterie
qui augmente les regrets que laisse ce
remarquable musicien, cet homme de bien,
ce cœur généreux.
La porte aux convoitises n'est pas restée
longtemps ouverte. Je ne serais pas surpris
que la fermeture en eût été précipitée par
le petit scandale survenu, le mois dernier,
à l'occasion du concours préparatoire du
prix de Rome. On se souvient que les six
élèves admis sortent de la classe de
M. Lenepveu, et que les concurrents
malheureux, appartenant aux classes de
MM. Widor et Fauré, ont protesté contre
ce jugement, qui ne leur a pas semblé
équitable; ils ont allégué que M. Lenep-
veu, membre de l'Institut et, en cette
qualité, juré de droit, aurait dû s'abs-
tenir de voter, alors que MM. Widor
et Fauré, également intéressés à cette
épreuve, n'avaient pas eu voix délibérative,
parce que, d'une part, ils n'étaient pas
membres de l'Institut et que, de l'autre, ils
n'ont pas été nommés jurés supplémen-
taires. M. Lenepveu étant juge et partie, il
surgissait,, par cela même, un véritable
motif de cassation. Dans l'intervalle, les
six candidats élus étaient rentrés en loge à
Compiègne pour l'épreuve définitive : il
devenait bien difficile de les en faire
revenir, d'annuler et de recommencer le
concours.
•.; Pour contenter à peu près tout le monde,
iyr. Dujardfn-Beaumetz, sous -secrétaire
des beaux-arts, a trouvé la plus élégante des
solutions. Par le fait de la non-abstention
de M. Lenepveu, l'autorité morale de
celui ci se trouvait un peu affaiblie; sa
candidature à la succession de Théodore
Dubois, mise en avant à tort ou à raison,
devait dès lors être écartée, sans que pût
s'en froisser la section musicale de l'Insti-
tut. Puisque l'Institut n'avait plus ainsi,
parmi ses membres, un seul aspirant à la
direction du Conservatoire, M. Dujardin-
Beaumetz, devenu libre dans ses mouve-
ments, dégagé de tout embarras, se hâta
de prendre une décision ; et il se trouva
que son choix, rendu nécessaire par l'im-
prudence de M. Lenepveu (felix culpal) et I
considéré peut-être comme Une sorte de
réparation, fut unanimement approuvé : il
vient de nommer directeur du Conserva-
toire un parfait artiste, un grand musicien,
Gabriel Fauré.
Le Guide musical n'a pas attendu que le
compositeur reçût les honneurs officiels
pour reconnaître le haut mérite du maître.
Chacune de ses œuvres, dès son apparition,
a été analysée ici même avec le soin, le
respect et l'admiration dont elle était
digne. Notre regretté rédacteur en chef,
Hugues Imbert, avait deviné son génie
bien avant qu'il fût consacré. Dès 1888, il
publiait, ainsi que je l'ai rappelé dernière-
ment, dans ses Profils de musiciens, une
étude si exacte, si subtile sur les premières
compositions de Gabriel Fauré, qu'elle
fait autorité aujourd'hui et qu'on ne peut
rien écrire sur le maître français, aimé par
lui entre tous, sans y avoir recours et sans
lui emprunter le meilleur de ses jugements.
C'est ce que je vais faire pour la partie
biographique.
Gabriel Fauré, né à Pamiers CAriège) le
i3 mai 1845, quitta cette ville à l'âge de
trois ans pour venir à Poix, où son père
venait d'être nommé directeur de l'Ecole
normale. C'est en écoutant les cours de
plain-chant faits aux futurs instituteurs
qu'il prit le goût de la musique. Sans pro-
fesseur, sans autre guide que les leçons
données aux élèves, il se mit à étudier le
piano, à essayer de composer de petits
airs et à leur trouver des accompagne-
ments. Frappés de ses heureuses disposi-
tions, des amis de son père l'engagèrent à
lui faire développer sa vocation pour la
musique. Le hasard ayant mis entre ses
mains un rapport sur l'Ecole de musique
religieuse, fondée en 1853 par Nieder-
meyer, il fit admettre son fils dans cet
établissement. Le jeune Fauré y entra
en 1854 et en sortit en i865, à l'âge de
vingt ans. Ses deux maîtres furent Dietsch,
d'abord maître de chapelle à Saint-
Eustache et ensuite chef d'orchestre à
l'Opéra, et Saint- Saëns, qui eut sur sa
LÉ GUIDE MUSICAL
m
nature artistique une influence considé-
rable et auquel il a gardé une vive recon-
naissance et une profonde admiration. En
sortant de l'école de Niedermeyer, il
obtint une place d'organiste à Rennes, où
il résida trois ans.
De retour à Paris, il fut nommé organiste
à Notre-Dame de Clignancourt, fonctions
qu'il fut obligé de quitter au bout de
quelques mois : la guerre venait d'être
déclarée. Il s'engagea dans les voltigeurs
de la garde, dont le dépôt était resté à
Paris, puis, les dépôts des régiments
s'étant fondus dans le 28me de marche, il fut
envoyé aux avant-postes pendant toute la
durée du siège et assista aux combats du
Bourget, de Créteil, etc. Après l'armistice,
il remplit la place d'organiste à Saint-
Honoré d'Eylau, puis à la maîtrise de
Saint-Sulpice. Il occupa ce dernier emploi
pendant trois ans, jusqu'au moment où
Saint-Saëns, tenant le grand orgue de
la Madeleine, l'appela pour le suppléer
pendant ses longues absences et ses fré-
quentes tournées à l'étranger. Saint-Saëns
ayant donné sa démission en 1877, Théo-
dore Dubois, qui dirigeait la maîtrise
de la Madeleine, le remplaça au grand
orgue, et Fauré succéda à Dubois. Enfin,
quand Dubois, nommé directeur du Con-
servatoire, abandonna l'orgue de la Made-
leine, ce fut encore Fauré qui lui succéda.
A la même époque (i8q6), Massenet ayant
donné sa démission de professeur de com-
position, il obtint sa classe, qu'il quittera à
la fin de cette année scolaire pour se mettre
à la tête de notre grande institution musi-
cale.
Fauré est le premier directeur qui n'ait
pas suivi les cours du Conservatoire et qui
ne soit ni prix de Rome, ni compositeur
d'opéras, ni membre de l'Institut. Il s'était
déjà présenté à l'Académie des Beaux-
Arts pour occuper le fauteuil d'Ambroise
Thomas. La section de musique avait
classé ainsi les candidats : En première
ligne, Joncières et Widor ; en seconde
ligne, Bourgault-Ducoudray et Fauré, et
Lenepveu seulement en troisième ligne.
\J Académie, après huit tours de scrutin,
renversant les propositions de la section
musicale, élut, à la majorité de dix-neuf
voix sur trente-six votants, M. Charles
Lenepveu. « Comment ! dit Anatole à Gar-
notelle, dans Manette Salomon, tu n'as rien
qui te fasse remarquer, rien dans ta per-
sonne qui soit voyant... tu ressembles à
tout le monde, des pieds à la tète... tu es
arrivé à n'avoir pas de personnalité du
tout... et tu viens nous dire que l'Institut
ne voudra pas de toi!... mais tu es l'idéal
de l'Institut : ils te rêvent! » Gabriel Fauré,
gendre du grand sculpteur Frémiet, ne
réussit, à conquérir que cinq voix.
Les œuvres de Fauré sont assez célèbres
pour qu'il ne soit pas besoin de les énu-
mérer. Quoiqu'il n'ait pas fait représenter
des opéras ni des drames lyriques, il a
écrit cependant pour le théâtre : il a com-
posé la musique de scène pour Prométhée,
une partition de grande allure, pour Pelléas
et Mélisande, pour Caligula, pour Shylock.
Mais sa réputation, sa gloire, si vous
voulez, s'est fondée bien plutôt sur sa mu-
sique de chambre, sur ses pièces pour
piano, et principalement sur ses mélodies
vocales.
Il est malaisé de définir sa musique,
difficile aussi d'expliquer pourquoi et
comment on l'aime. Il faut être M. Brune-
tière, homme de principes, pour oser dire,
avec le plus grand sérieux : « Je ne loue
jamais ce qui me plaît ». Critique subjectif
— j'ai la faiblesse d'être ainsi, — je ne puis
que dire : « Je loue la musique de Fauré,
parce qu'elle me plaît », sans trouver une
explication autre que celle que je vous
donne.
Si, las d'une existence agitée et fébrile,
vous voulez fuir les plaisirs mondains ; si,
après des déceptions sans nombre, vous
cherchez, comme l'oiseau blessé, un asile
pour mourir ; ou bien encore si la connais-
sance de la vie vous a enseigné la douce
philosophie de Montaigue exempte de
haine et de« trop folastre fiance en la bonté
humaine », et que vous, musiciens, vous
désiriez, pour finir doucement vos jours,
vous livrer à l'étude d'un maître unique, je
sais un compositeur exquis et rare qui
478
LE GUIDE MUSICAL
deviendra, à mesure que vous serez entré
dans l'intimité de ses œuvres, un consola-
teur et un ami.
Vous chercheriez une contrée éloignée
dont la civilisation moderne n'aurait pas
troublé les antiques usages et dans laquelle
on verrait encore des vieillards n'ayant
pas voyagé au delà de la cité voisine ; un
petit hameau inconnu qui vous offrirait un
sûr abri contre les curiosités. La maison
que vous choisiriez serait isolée, entourée
d'un vaste parc plein d'ombre et de
mystère, et là, dans la tranquillité et la paix,
vous liriez et reliriez sans cesse, auprès
d'un cœur aimé, aimant, les partitions de
ce maître adorable et charmeur. Par lui,
la vie vous serait douce et douce serait la
mort, puisque c'est à vous qu'il pensait en
écrivant son Requiem, une musique com-
posée pour exprimer non la terrible ven-
geance céleste, mais la bonté de Dieu et
son ineffable indulgence.
Car sa musique, toute de tendresse, de
raffinement et de grâce, est bonne, essen-
tiellement bonne, odorante, si je puis dire,
de parfums subtils, un peu mélancolique,
mais non pas triste, et qui fait pleurer de
douces larmes, vite séchées dans un
baiser.
Ce maître est Gabriel Fauré. Je l'aime
parce que je l'aime. Julien Torchet.
PETER CORNELIUS
SES LIEDER
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
Suivons maintenant Cornélius à Vienne,
où il travaille plus que jamais;
toujours cette même année i85g voit
éclore trois compositions sur des
poésies de Bùrger, dédiées à Friedrich Cas-
■pary(i) (œuvres posthumes) : Der Entfemten (A
l'absente), Liebe ohne Heimat (Amour sans asile)
(i) Ténor à l'Opéra de Weimar, ami de Cornélius.
et deux versions à peu près identiques de
Ver lus t (Deuil), toutes d'un sentiment assez dra-
matique, mais d une ligne mélodique plus con-
tournée, plus recherchée, semble-t-il. Dans les
Lieder sur les quatre poèmes d'Emile Kuh,
nous retrouvons heureusement la simplicité et
l'inspiration prime-sautière d'autrefois, dans la
gracieuse, aleite et spirituelle chanson de
l'Abeille, Die Heine Biene, et surtout dans le
Lied à l'allure si simple, presque populaire
du faon qui allait au bois, Hirschiein ging im
Wald spazieren. Les deux autres, à l'harmonie
beaucoup plus savante, aux rythmes plus variés,
n'ont pourtant ni le charme, ni la fraîche
inspiration des deux premiers.
Comme op. 5, dédié à son ami le Dr Joseph
Standhartner, Cornélius avait publié six Lieder
pour baryton, de 1861 et de 1862, les uns
achevés à Vienne, les autres à Salzbourg. Ils
n'ont aucun lien entre eux et sont composés sur
des textes de différents auteurs. Parmi les plus
beaux sont encore ceux qu'a inspirés la ten-
dresse naturelle si grande du maître pour
l'enfant : c'est la tranquille berceuse en 3/2 Auf
ein schlummemdes Kind (Hebbel), chanson heu-
reuse de la mère penchée sur la couche où dort
l'insouciant bébé. Mais c'est aussi la douleur
maternelle qu'il a comprise et rendue avec une
simplicité émouvante, pleine de grandeur, dans
le chant de détresse inconsolable à la mort de
l'enfant aimé : Unerhôrt (Inentendu. Texte
dAnnette von Droste-Hùlsoff). Quelle plainte
infinie dans cette simple phrase, sans accom-
pagnement, que joue la main droite au début
du Lied et qui sans cesse se répète et retombe
comme anéantie par la douleur !
Parmi les autres Lieder de l'op. 5, citons en-
core Y Ode (von Platen), Aufeine Unbekannte(A une
inconnue, Hebbel), enfin Auftrag (Demande,
Hôlty), intéressante surtout par son petit motif
imitant le luth à l'accompagnement (les six
notes à vide de la guitare) et que Wagner
trouva si réussi, l'ayant entendu, qu'il le retint
et en fit l'amusant prélude à la sérénade de
Beckmesser (1). Notons une simple petite diffé-
rence dans la note initiale :
(1) Voir Ein Guitarren-Effekt bei Wagner, Cornélius und
Jensen, par Erich Ernst (N'eue Musik ZeUung. Beilage,
1901, n° 3. XX lime année).
LE GUIDE MUSICAL
479
Auftrag (Cornélius)
Richard Wagner {chanteurs )
/Les Màitres\
Le Lied tout entier est d'ailleurs fort beau,
et l'honneur que Wagner lui fit prouve assez
en sa faveur.
Des mêmes années 1861 et 1862, nous avons
encore quelques belles inspirations : Dàmme-
vempfindung (Impressions au crépuscule), sombre
et dramatique, et les deux versions assez sem-
blables de l'Abendgefuhl (Au soir), sur textes de
Hebbel, et dans la même note toujours, le
Sonnemtntergang (Coucher du soleil) de Hôl-
derlin.
Sur deux poésies orientales d'Annette von
Droste-Hùlsoff, voici encore deux charmantes
mélodies : Das Kind (L'Enfant) et Gesegnet
(Bénie); enfin, sur le passionné Lied de Heine
Warum sind demi die Roscn so blass (Pourquoi les
roses sont-elles si pâles?), une lente et profonde
plainte, émouvante de simplicité et de senti-
ment.
Nous arrivons alors aux dernières années de
Cornelms, celles de sa vie si active et heureuse
de Munich; mais dans le domaine du Lied,
nous ne cueillerons plus grand'chose. En i865
parut le beau chant Vision, avec son accompa-
gnement si descriptif, publié par le Musikalisches
Wocheublatt dans un de ses suppléments de
1876, puis encore un dernier cycle de quatre
chants d'amour : An Bertha, op. i5 (texte de
Cornélius), où la mélodie, généralement d'un
caractère plutôt contenu chez Cornélius, semble
avoir beaucoup plus d'élan, surtout dans le
premier Lied, Sei Mein (Sois à moi), où le chant
s'élève et s'accentue en une admirable période
musicale que l'accompagnement double de ses
harmonies si pleines et si enveloppantes.
L'exaltation semble revenir vers le charme
intime ordinaire au maître avec le second Lied,
Wie Ueb ich dich hab' (Combien tu m'es chère), et
le suivant, In der Feme (Au loin), où cependant,
à la fin, le caractère passionné domine encore
une fois, mais pour s'apaiser définitivement
dans le dernier chant, Dein Bildniss (Ton image),
d'une singulière indécision tonale, voulue sans
doute, pour rendre l'impression du sujet même,
évocation de l'image aimée dans la lumière
incertaine du demi-crépuscule, au travers du
rêve de la veillée. Peut-être qu'ici une recherché
un peu excessive de l'effet enlève au Lied ce
charme exquis de l'inspiration première, spon-
tanée, bien plus certaine de produire l'impres-
sion voulue par la force même de sa sincérité.
Mais en général, les « Chants à Bertha » sont
encore l'un des cycles les mieux venus de Cor-
nélius, et ses Lieder dédiés à sa fiancée nous
montrent tout autant les trésors infinis de son
cœur aimant que ceux de son âme de poète et
de compositeur.
A mesure que Cornélius avançait dans sa
carrière, sans doute sous la constante influence
de Wagner (1), nous le voyons de plus en plus
se porter vers les sujets épiques, légendaires.
Certes, son goût l'y poussait naturellement,
mais son génie n'était pas de ceux qui peuvent
les exprimer (témoin sa réalisation de Gunlôd).
Cette nouvelle tendance se manifesta jusque
dans le domaine du Lied, et pour la première
fois en 1868, Cornélius mit en musique une
ballade : Die Ràitberbruder (Les Frères brigands),
d'Eichendorff, et il est vraiment curieux de
constater combien admirablement il a réussi ;
il semble qu'il ait concentré et exprimé en un
seul Lied tout ce que sa « compréhension
épique a pu exiger et obtenir, par une sorte
de contrainte morale, de son génie si essentielle-
ment lyrique. Sa ballade est admirable de
couleur, de force et de cet accent héroïque si
indispensable à la légende épique. Le senti-
ment délicat n'en est pas absent non plus et
accentue d'autant mieux, par le contraste, le
caractère de la ballade, qui restera parmi les
plus beaux chants du maître. Ce fut aussi le
dernier!
Cet examen, bien superficiel et trop rapide,
(1) Il faut remarquer pourtant, tout à l'honneur de
Cornélius, que, conscient de cette influence si puissante,
le maître « lutta » vraiment, mais en vain, pour s'en
affranchir.
4S0
LE GUIDE MUSICAL
de la plupart des Lieder de Cornélius n'aura pu
découvrir que peu de chose des beautés sans
nombre qu'ils renferment, mais peut-être
conduira-t-il au but qu'on s'est proposé, celui de
gagner à ce compositeur, presque inconnu en
dehors de l'Allemagne, l'intérêt et la sympathie
dus à ces beaux maîtres du Lied qui viennent
immédiatement après Schubert et Schumann,
les deux plus grands. Cornélius prendra rang,
dans ce domaine du Lied, à côté de Brahms, de
Mendelssohn, de Loewe, de Rob. Franz, de
Jensen, de Grieg, pour n'en citer que quelques-
uns. Et son œuvre lyrique a peut-être d'autant
plus de prix, que chez lui, poésie et musique cou-
lent ensemble d'une même source généreuse,
d'une même inspiration intarissable. Elle ne
chante sans doute pas avec la passion et l'éclat
de maintes compositions qui, par là même, trou-
vèrent plus facilement le succès et le renom.
Le charme intime, l'infinie tendresse, l'émotion
douce, l'esprit subtil et délicat qui se dégagent
de l'ensemble de l'œuvre lyrique de Cornélius
n'ont pas toujours cet effet immédiat. Elle
semble demander pour elle l'atmosphère simple
et intime aussi d'un auditoire délicat et raffiné,
profondément artiste lui-même. Combien d'ail-
leurs, dans cette « note contenue et calme », elle
répond à l'idée que Cornélius aimait à se faire
de la musique : génie de l'harmonie, de l'équi-
libre parfait, elle venait atténuer tout ce qu'il y
avait de désordonné, de violent; génie de
lumière aussi, elle élevait, idéalisait, éclairait
tout de sa pure clarté(i).Une tranquille douceur
l'animait tout entière, transfigurant pour ainsi
dire les passions qu'elle chantait. Evidemment,
tout dans l'œuvre de Cornélius ne répond pas
à cette caractéristique très particulière de son
génie et si profondément liée à son tempéra-
ment; plus d'une fois, et dans un superbe
essor, son inspiration même l'a transporté bien
au delà; mais en dehors de cet élan, plutôt
extraordinaire chez lui, Cornélius nous a donné
dans ses Lieder de purs chefs-d'œuvre dont le
charme, la grâce, la tendresse, la douce mélan-
colie laissent une impression d'indéfinissable
(i) Cette idéalisation des passions par l'art se retrouve
au suprême degré dans toutes les conceptions de
Schiller : comme Cornélius, le grand poète, voulait,
non la passion, mais la fyau.té.
sérénité, d'une enveloppante et irrésistible
séduction. Et puis ce génie est si personnel, si
profondément vrai, si libre, et il aime tant à
chanter, qu'il fait aimer ce qu'il chante! Cette
sincérité et cette sympathie sont à la base du
génie de Cornélius et l'animent de leur noble
et grand souffle. Indestructibles par elles-
mêmes, elles assurent de leur durée les œuvres
qu'elles inspirent ; les Lieder de Cornélius sont
de ces œuvres-là.
Modestement écloses à l'ombre des grandes
compositions musicales du xixe siècle, elles
n'ont point encore assez attiré l'attention des
chanteurs et du public à qui elles sont desti-
nées ; elles sont pareilles à ces petites plantes
délicates et parfumées, aux mille fleurs timides
et séduisantes, qui reçoivent la lumière et le
soleil au pied des grands arbres majestueux et
sont perdues dans la grande nature, dans les
espaces infinis. Mais pour l'observateur sympa-
thique et attentif, elles ont un parfum discret
et exquis qui révèle pourtant leur existence ; il
se penchera vers celles qui si doucement l'atti-
rent et trouvera dans leur charme incomparable
un repos aux grands spectacles de la nature,
aux paysages grandioses.
Les Lieder de Cornélius ont ce même charme
apaisant et captivant, la fraîcheur et le parfum
de ces petites fleurs délicates qui ont eu leur
part de soleil. Un beau rayon de l'art divin a
lui aussi dans l'âme simple et sensible du com-
positeur, y laissant s'épanouir en une floraison
exquise et abondante ces Lieder pleins d'un
charme aimable et pénétrant, qui semblent
indiquer un nouveau et splendide réveil de la
double inspiration poétique et musicale des
vieux et grands poètes-chanteurs, des « Minne-
sânger » de l'Allemagne au moyen-âge.
May de Rudder.
Errata. — Page 411. Note bibliog. : L'Autobiographie
ne parut qu'à l'état d'esquisse, dans le Musikalisches
Wochenblatt, 6 novembre 1874, n° 45, mais ne fut jamais
imprimée séparément. Elle est réimprimée et placée
en premier lieu dans les Aufsdtze Hier Musik uni Kunst,
publiés par Dr E. Istel.
LE GUIDE MUSICAL
LA SEMAINE
PARIS
OPERA ITALIEN. — La saison italienne
organisée par M. Sonzogno est terminée. Elle aura
duré un mois et demi et obtenu tout au moins un
grand succès de curiosité et d'estime. Il est hors
de doute, à mon avis, que s'il était possible de
renouer chaque année, fût-ce pour six semaines
seulement, la tradition plus que centenaire de
cette scène italienne, à qui nos pères ont dû tant
de jouissances artistiques, le résultat pourrait être
fécond et du plus sérieux intérêt. Je le disais avant
l'ouverture de cette saison passagère, je le répète
après sa clôture, quelques déceptions qu'elle
nous ait apportées.
C'est par une surprise qu'elle a terminé : sur-
prise, car le Chopin de M. Giacomo Orefice n'avait
pas été annoncé ; surprise pour tous ceux qui n'en
avaient pas encore entendu parler (bien que
l'œuvre date du 25 novembre 1901, à Milan), car
cette partition est l'une des plus originales que
nous ait jamais,, apportées l'école italienne. —
J'entends originale par l'idée qui l'a dictée au
compositeur.
Cette idée semble avoir son origine et son appui
dans l'épigraphe, tirée des mémoires de George
Sand, qui a été placée en tête du livret et dont je
me reprocherais de ne pas faire profiter nos
lecteurs, car c'est une vraie perle :
« Un jour viendra où l'on orchestrera la mu-
sique de Chopin sans rien changer à sa par-
tition de piano, et où tout le monde saura que ce
génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que
celui des plus grands maîtres qu'il s'était assimilés,
a gardé une individualité encore plus exquise que
celle de Sébastien Bach, encore plus puissante
que celle de Beethoven, encore plus dramatique
que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble,
et il est encore lui-même, c'est-à-dire plus délié
dans le goût, plus austère dans le grand, plus
déchirant dans la douleur. »
Si nous ne savions d'autre part que George
Sand n'entendait rien à la musique, ce passage,
que l'on s'étonne vraiment de voir sérieusement
reproduire, suffirait à nous renseigner pleinement.
Mais il reste à plaindre une fois de plus le pauvre
Chopin des amis qui entourèrent trop souvent sa
frêle existence. Il est des cas où « mieux vaudrait
un franc ennemi ». Quoi qu'il en soit, le paragraphe
était à citer pour expliquer l'œuvre de M. Orefice.
Elle a consisté, pour mettre en musique quelques-
uns des épisodes caractéristiques de la vie de
Chopin, de sa jeunesse à sa mort, à puiser à
pleines mains dans son œuvre même, à transposer
dans le chant des interprètes ou dans la sonorité
variée des instruments un certain nombre des
morceaux de piano égrenés par le maître aux
heures joyeuses ou aux heures sombres de sa
carrière, à les souder, à les orchestrer, à en faire
un tout à peu près homogène, où peut en quelque
sorte revivre dans son milieu, dans ses ambiances,'
l'âme même du poète-musicien.
Rendons justice à cet Orfèvre (il est des noms
prédestinés!) : son travail a été conduit avec
adresse, légèreté et discrétion ; et si folle que soit
l'idée, elle n'a pas laissé de produire des résultats
parfois exquis et charmants. On ne saurait s'en
étonner; mais quoi! faut-il aussi s'étonner que
l'effet d'ensemble soit aussi éloigné que possible
de celui qu'imaginait bonnement George Sand?
Si légère et respectueuse que puisse être cette
adaptation d'orchestre, elle alourdit et dénature
la mélodie de Chopin, qui est bien autrement fine,
et légère, et pénétrante, et profonde aussi, quand
elle reste à sa place, quand elle n'emprunte, pour
nous aller à l'âme, pour nous emporter dans ses
rêves, que les seuls moyens du piano. Encore
faut- il que l'interprète ait vraiment saisi au passage
l'esprit du poète créateur, car c'est un secret qui
se perd de plus en plus, hélàs ! et une fois perdu,
je me demande ce qui restera du vrai Chopin.
En sorte que s'il y a de bien jolies pages dans
ce Chopin, des motifs originaux, des inspirations
brûlantes, des mélodies délicates, au tour élégant,
— ■ chœurs d'un rythme amusant, chansons émues,
improvisations poétiques, effets de nuit ou de
tempête pittoresques et colorés, solos de flûte,
de violon ou de cor anglais..., il y a aussi bien du-
vide, du décousu, une impression continuelle de
surface, sans fond musical proprement dit. Quant
aux morceaux de Chopin adaptés, transposés,.:
sertis dans la trame musicale de M. Orefice, ils
sont nombreux et variés. Notre confrère Henri
Gauthier- Villars, qui les a cités à peu près dans t
un article vraiment original, en compte au moins
40 : fantaisies, sonates, nocturnes (n), mazurkas,
polonaises, études, berceuses, impromptus, bal-
lades, préludes (6)...
Quant au poème, il sera bientôt conté. Le pre-
mier acte, premier épisode, c'est la Noël, en
Pologne, en 1826 : scène de patinage, angélus,
chants de fête, nocturne, rêverie de Chopin au
clair de lune et près de sa Stella, de sa muse de
l'harmonie. Le second, c'est V Avril, aux environs
de Paris, dans un parc en fleurs, en 1837 : chants
d'enfants rieurs, souvenirs de la patrie polonaise,
482
LE GUIDE MUSICAL
improvisations de Chopin sur le piano, doux
propos de sa nouvelle muse, Flora, l'ardente et la
sensuelle. Le troisième, c'est la Tempête, à Ma-
jorque, en 1839 : maladie, solitude, tristesse du
musicien déjà à bout de forces et de courage, que
réconforte à grand'peine le dernier moine du
couvent abandonné où s'abritent les amants,
tempête en mer, dont échappe à peine Flora,
mais qui ramène morte une petite fille amie,
chants funèbres autour de l'enfant et pressenti-
ments angoissés de Chopin. Le quatrième enfin,
c'est l'Automne, à Paris, en 1849, dans une pauvre
chambre de la maison de Chopin : angélus ma-
tinal, rêves de l'agonisant qui revoit son enfance,
sa patrie, Flora qui l'a abandonné, et cette Stella
qui eut le plus pur de son âme d'enfant ; retour ou
apparition de Stella devant les yeux éblouis et
déjà vitreux de Chopin; chants lointains de gloire
et d'avenir nimbant d'apothéose le musicien qui
s'éteint
Bien que le poète italien (Angeolo Orvieto) ait
voulu symboliser les divers personnages qui
passent dans cette action autour de Chopin, il est
facile d'y reconnaître : dans la Stella du premier
acte, la jeune sœur de Chopin, cette Emilie qui
était bien en effet comme sa muse et son inspira-
trice et qui fut fauchée si jeune (ne l'appelle-t-il
pas d'ailleurs, ici, « mia dolce sorella »?j; dans la
Stella du dernier acte, son autre sœur, Mme
Jedrzejewicz, accourue à son chevet et qui en-
toura sa mort, avec la comtesse Potocka, la
princesse Czartoryska et Mlle Gavard; dans Flora
enfin, la très humaine George Sand. Quant à l'ami
qu'on voit à chaque acte, Elio, c'est tantôt l'un,
tantôt l'autre : Franchomme, au moment de la
mort, ou Guttmann.
M. Bassi a trouvé l'un de ses meilleurs rôles à
coup sûr dans ce persannage de Chopin, qu'il
joue avec émotion, avec force même, et chante
dans tout l'éclat de sa belle voix. Mme Sthele a
beaucoup de charme également dans Flora, dont
elle rend bien la passion épanouie. Mme Simeoli,
MM. Wulmann et Costa sont plus pâles dans les
rôles de Stella, le moine et Elio.
* * *
Faut-il conclure, et peut-on conclure, sur l'en-
semble de l'école italienne actuelle à propos de
cette saison d'un mois et demi qui vient de finir ? Je
ne le pense pas; car nous n'avons là qu'une partie
de l'œuvre de quelques-uns seulement des repré-
sentants de cette école, et s'il était question de
juger celle-ci, il faudrait commencer par déclarer
que cette série d'œuvres, riouvelles pour nous, a
prouvé, par exemple, l'inconlestable et éclatante
supériorité de M. Puccini, qui justement n'entrait
pas en ligne de compte ici. Cependant, il est une
impression générale qui s'impose et qu'il n'est pas
sans intérêt de noter, car elle se retrouve dans
toute cette musique dramatique, indifféremment.
C'est cette impression qu'on éprouve dans ces palais
splendides de l'Italie moderne, où, à les examiner de
près, les marbres éclatants se trouvent n'être que
du carton ou du stuc peint, et les pierres de taille
du torchis ; où la sculpture semble de la stéarine
travaillée au scalpel. C'est un art de surface. Cette
musique peut être chatoyante, colorée, pittoresque,
elle peut même témoigner d'intentions hautement
louables et d'efforts véritablement intelligents, il
lui manque toujours le fond, la puissance d'inven-
tion, la fécondité des idées, et même le simple
métier... au contraire de l'école française, où la
science et le métier étouffent si souvent ce qui
pourrait peut-être devenir de l'inspiration.
Pour en rester aux sept œuvres qui nous ont
été présentées (je laisse naturellement de côté le
Barbier de Séville, qu'il eût mieux valu ne pas affi-
cher du tout, si c'était pour Yexécuter ainsi), elles
nous ont surtout appris à connaître la personnalité
de M. Umberto Giordano, qui est vraiment intéres-
sante, et dont on est en droit d'augurer beaucoup,
puisque, après le décousu inexpérimenté mais non
sans vie d'André Chénier, et la banalité élégante
mais dramatique de Fedora, il a su montrer, dans
Siieria, une intelligente dextérité à mettre en
œuvre, au profit d'une action vraiment puissante
et variée, les motifs que lui fournissaient les
chants populaires. M. Cilea nous a montré, dans
Adrienne Leconvreur, qu'avec de l'adresse et de la
légèreté de main, on peut du moins atteindre ce
résultat de ne jamais ennuyer. Mais ce secret, qui
est aussi celui de leurs succès faciles sur les scènes
des deux mondes, il appartient à tous ces compo-
siteurs en général. Leur musique est superficielle
et pauvre, mais elle n'ennuie pas. Tel a été l'effet
produit par Zaza encore, qui pourtant ne suffit
guère à recommander la valeur de M. Leonca-
vallo, et par Y Ami Fritz également, qui n'est pas
du meilleur Mascagni. Ici pourtant, je note une
impression en passant. La pièce d'Erckmann-
Chatrian nous est trop familière pour que son
adaptation musicale, pour ne pas dire sa déforma-
tion, ne nous ait déplu; et cependant, n'a-t-on pas
été un peu injuste? Cette partition comparée aux
autres, il se pourrait qu'il y eût plus de musicalité,
plus de personnalité vraie dans l'œuvre de
M. Mascagni que dans la plupart de celles qui
nous ont été soumises.,,
LE GUIDE MUSICAL
483
Voici, sauf erreur, le tableau des représentations
qui ont eu lieu du Ier mai au i5 juin :
Adriana Lecotivreur iCilea) a été joué 4 fois;
Sïberia (Giordano) 8 fois; Amico Fritz (Mascagni)
2 fois; Fedora (Giordano) 7 fois; Zaza (Leonca-
vallo) 4 fois; II Barbier e di Siviglia (Rossinij 3 fois;
Andréa Chênier (Giordano) 4 fois; Chopin (Orefice)
2 fois.
Le reproche que Ton peut, je crois, adresser à
la musique, les interprètes le méritent également.
Eux aussi sont de surface. Combien en est-il qui
soient des artistes de « composition »? Pas un,
peut-être. Eux aussi, je parle des meilleurs,
ont des intentions, des dehors brillants, —
d'abord parce qu'ils savent chanter et qu'ils ne
manquent pas de moyens ; mais ils n'ont pas
pénétré leurs personnages, ils n'en connaissent
que l'extérieur. Si ces personnages sont eux-mêmes
en baudruche, comme il n'arrive que trop souvent
sur la scène lyrique, cela peut aller; s'ils sont
vraiment vivants et souffrants... ,que deviennent-ils,
hélas !
Parmi les artistes dont nous avons eu le plus de
plaisir à faire la connaissance, il faut compter
M. Titta Ruffo, qui a p^aru dans Sïberia (Gléby),
Fedora (Sirieyx) et le Barbier (Figaro^ baryton
souple et vibrant, comédien attentif, nerveux,
expressif; M. Bassi, qui a chanté Siberia, André
Chênier et Chopin, ténor à la voix éclatante et bien
posée, acteur vraiment dramatique; M.Sammarco,
qiri dans Advienne Lecoiivrenr, Zaza et André Chênier
a déployé une voix sonore, sinon très souple, de
baryton; M. Garbin, ténor très nasal, mais fin et
même puissant, dans Advienne et Zaza; M. Luppi,
basse lourde, mais non sans autorité dans Sibevia,
Fedora, Le Barbier, André Chênier... D'autre part,
Mme Berlendi, un peu pâle dans VA mi Fritz (Suzel),
passionnée et attachante dans Zaza, voix très
souple et non sans puissance ; Mme Pinto, puissante
aussi, sans assez de sûreté, dans Sibevia; Mme Sthele,
fine et expressive dans Advienne et Chopin;
Mme Fassini-Peyra, dont la beauté s'allie à une
voix chaude de mezzo, dans Advienne (la Mar-
quise), VAmi Fritz et André Chênier
D'autres sont également à noter, mais qui n'ont
fait que passer et qui ne venaient que pour une
pièce et un rôle : M. Caruso tout d'abord, le
créateur de Fedora, la plus jolie, la plus parfaite
voix de ténor, mais si piètre artiste ; M. de Lucia,
autre ténor, fatigué, mais souple et délicat, qui n'a
paru que dans VAmi Fritz, avec M. Kaschmann.
dont on aurait aimé à apprécier ailleurs encore le
style sûr et intelligent; MM. Masini et Baldelli,
beaucoup trop « émérites » dans Almaviva et
Bartolo du Barbier; enfin, Mme Pacini, Rosine
banale mais vocalisatrice rare, et surtout Mme Lina
Cavallieri, la plus intéressante de toutes, à coup
sûr, qui, dans Fedora, nous révéla un style, une
qualité de voix et une vérité d'expression presque
dignes de sa beauté, qui est hors de pair.
N'oublions pas les deux chefs d'orchestre, dont
la belle fougue et la verve attentive furent si
remarquées, M. Campanini, qui dirigea avec tant
de succès personnel A drienne, Sibevia, Fedora. Zaza
et André Chênier, et M. Ferrari, qui eut en partage
VAmi Fri'z, Le Barbier et Chopin.
Et cette petite revue m'impose encore cette
constatation qu'en somme, ces six semaines n'ont
manqué ni de variété, ni d'attraits de toute sorte,
qu'on ne s'est jamais ennuyé, qu'il en faut rendre
grâces à M. Sonzogno et qu'une nouvelle cam-
pagne l'année prochaine serait la très bien venue.
Henri de Curzon.
— Entre tant de violonistes plus ou moins
prodiges que nous avons été appelés à applaudir
en cette fin de saison, il faut retenir le nom de
M. Albert Spalding, dont le concert eut lieu le
6 juin au Nouveau-Théâtre.
Ce jeune violoniste américain se présentait
sous le patronage du professeur A. Lefort, son
maître, qui dirigeait l'orchestre pour la circon-
stance et a eu sa bonne part d'applaudissements
sympathiques.
Evidemment, M. Albert Spalding est un artiste
d'avenir. Pour le moment, ses seize printemps
militent en sa faveur et font excuser une certaine
gaucherie d'attitude et un manque absolu d'auto-
rité. Mais la sonorité est exquise, le jeu correct et
d'une grande égalité. L'artiste a fait preuve, dans
la Chaconne de Bach, d'un fort beau mécanisme, et
dans le concerto en si mineur de Saint-Saëns,
d'une grande précision. Les notes harmoniques
de la fin, en sixtes avec la clarinette, sont bien
sorties. La romance en fa de Beethoven et les
étincelantes Zigeunevweisen de Sarasate lui valurent
aussi de justes ovations. Il manque cependant, à
toute cette exécution, un peu de maturité. La
flamme ne luit pas encore. Que l'enfant devienne
homme, et nous compterons en M. Spalding un
sérieux artiste de plus.
M. Charles Clark prêtait à cette séance le con-
cours de sa jolie voix de baryton et de son beau
talent. Tout ce qu'il fait est bien fait : le style est
impeccable, mais pourquoi cette froideur et cette
4B4
LE GUIDE MUSICAL
réserve dont il ne se départ jamais? 11 a chanté
des Lieder de Schumann, Saint-Saëns et Schle-
singer. A. G.
— Le concert donné salle Erard par M. Joseph
Szule, pianiste-compositeur polonais de beaucoup
de talent, a clôturé dignement la série plus que
complète des séances musicales de la saison. Cet
artiste, doué d'une sensibilité communicative, qui
a écrit des mélodies fort goûtées en Allemagne, a
exécuté, avec le concours de M. Firmin Touche,
l'excellent violoniste solo des Concerts Colonne,
une sonate pour piano et violon dont il est l'au-
teur. Cette œuvre, conçue en quatre parties,
donne plutôt l'impression d'une suite que celle
d'une sonate. Après un premier mouvement en la
mineur à 6/8 d'un exposé un peu banal, j'ai parti-
culièrement apprécié Mandante, en fa, d'une gra-
cieuse facture et d'un joli motif, et surtout
le. scherzo, en ré, dont le dessin classique se
rehausse d'un coloris très sobre. Le finale est bâti
sur des rythmes polonais et sur des thèmes origi-
naux, qui couronnent l'ouvrage d'ornements iné-
gaux et brillants. Le morceau, d'une exécution
périlleuse en maints endroits, a été rendu d'une
façon charmante. Il faut également noter l'exécu-
tion, par M. Szule, d'un nocturne inédit de Chopin,
intitulé Réminiscence. Cette composition a été
découverte récemment parmi des archives polo-
naises; d'un court développement, elle rappelle
certaines phrases de l'œuvre féconde de l'illustre
pianiste, notamment un motif de son concerto.
Quoique empreinte du ton sentimental propre à
Chopin, cette page, qui nous arrive de Varsovie,
n'est point destinée à ajouter à la gloire de
l'auteur.
M. Fery Lulek, chanteur viennois, a chanté
d'une voix profonde et sonore des mélodies de
Schubert et de Schumann. Ch. C.
— Pour arriver bon dernier, le concert de
Mme Elise Kutscherra n'en aura pas moins été
l'un des plus intéressants parmi les concerts lyri-
ques de la saison. C'est le 8 juin, à la salle des
Agriculteurs, que nous avons entendu cette par-
faite chanteuse et cette charmante femme. Son pro-
gramme, très varié de styles, comportait du
Chopin et du Schumann, du Schubert et du Brahms,
du Wagner et même du Rossini. C'est bien
dommage que sa voix ne soit pas belle en elle-
même, quoique vibrante et assez étoffée à l'occa-
sion, ni même le timbre bien agréable, car elle
la manie avec une souplesse, une sûreté et un
fini incomparables. Son style lyrique est d'ailleurs
d'une grâce et d'une délicatesse extrêmes, et l'ex-
pression de son visage, constamment dans l'action
du petit poème qu'elle chante, est toujours des
plus intéressante. Enfin, je n'ai jamais entendu
dire l'allemand avec autant de légèreté et même...
oui, même de charme. A noter particulièrement,
au programme, le Lythanesches Lied de Chopin, le
Stàndchen de Robert Franz, une petite fantaisie
de Cari Lœwe : « Niemand hat's gesehen! », le
Mondnaclit et le Marcemourmchen de Schumann,
YErlkônig de Schubert, les cinq petits poèmes de
Wagner, enfin le duo d'Eisa et d'Ortrude de
Lohengrin, Mlle Grandjean chantant la partie
d'Eisa. C'est M. Staub qui accompagnait au
piano cette dernière partie, de Schumann-Schu-
bert-Wagner. H. de C.
— D'habitude, les auditions d'élèves offrent peu
d'intérêt, et les professeurs, qui le savent, se
gardent d'y inviter la critique. Pourtant, il y a des
exceptions : les matinées de Mme Colonne, où
règne l'art de bien dire, et celles de Mme Nicot-
Bilbaut-Vauchelet, où l'on voit que l'enseignement
a pour but, non de préparer des artistes, mais
d'apprendre aux jeunes femmes et aux jeunes
filles du monde à poser la voix et à chanter avec
simplicité. Celle qui fut, avec Mme Carvalho, la
cantatrice la plus parfaite qu'il m'ait été donné
d'entendre à l'Opéra-Comique, Mme Bilbàût-
Vauchelet, n'avait convié à sa matinée que les
parents de ses élèves. Me pardonnera-t-elle si j'ai
forcé la porte de la salle Lemoine et bravé la
consigne? Je ne regrette pas l'indiscrétion que j'ai
commise : le programme était varié et les inter-
prètes charmantes. Je n'en nommerai aucune,
mais il me sera bien permis d'exprimer le vif
plaisir que j'ai éprouvé en écoutant l'air de la
Reine des Huguenots, deux airs de Cherubini et le
duetto des Noces de Figaro. Toute cette musique
était chantée à ravir les juges les plus difficiles, et
Ton sait que les œuvres classiques ne rencontrent
plus guère d'interprètes dignes d'elles. La canta-
trice qui nous a donné cette joie artistique dans sa
plénitude n'a pas seulement le style le plus pur,
mais aussi la plus remarquable virtuosité; Tes
traits, les vocalises, les trilles, sont faits avec la
précision et la netteté d'un instrument, et avec
cette grâce aisée qui ajoute tant de prix à une
exécution sans défauts. L'artiste dont je parle et
qui se dérobe aux applaudissements du grand
public est Mlle Nicot-Bilbaut-Vauchelet. T.
— Mlle Zudie Harris a donné le mercredi 14 juin,
à la salle des Agriculteurs, un concert avec
LE GUIDE MUSICAL
485
orchestre, pour l'exécution spécialement de ses
œuvres, instrumentales ou lyriques, où elle-même
tenait le piano, et Mme Rose Stelle-Pourtet chan-
tait. On a entendu ainsi un concerto en sol mineur,
pour piano, diverses mélodies au piano ou à l'or-
chestre (notamment la Chanson de Moivgli, inspirée
du célèbre Livre de la Jungle de Kipling), enfin une
gavotte et une danse espagnole pour orchestre.
Celui-ci, qui était dirigé par M. Pierre Monteux, a
encore exécuté le concerto en ré mineur de
Hsendel, pour cordes, et l'ouverture d'Egmont.
— Le programme des deux concerts donnés par
les sœurs Hébert portait cette mention : « Les
œuvres seront jouées par cœur ». En effet, elles
l'ont été, et il ne pouvait en aller autrement. Les
deux sœurs ont, l'une cinq ans et l'autre sept : à
cet âge, à moins d'être un phénomène, on exécute
tout de mémoire, et plutôt mal que bien. Si une
séance de piano donnée dans ces conditions
manque d'intérêt, elle excite pourtant une certaine
curiosité. A part quelques accrocs, ces gamines
ne se sont pas trop mal tirées d'affaire Je n'insiste
pas sur la façon dont l'aînée a joué la musique de
Beethoven et de Chopin, mais l'interprétation de
quelques morceaux de Mozart et d'Haydn n'était
pas sans agrément; j'en dirai autant de la fillette
de cinq ans, que les mamans auditrices ont vive-
ment applaudie. Nos parents nous exhibaient
parfois dans notre enfance; mais cela se passait
en famille, et nous savions à peu près notre sol-
fège. Mlles Hébert paraissent l'ignorer totalement ;
elles sont bien douées sous le rapport mnémo-
mique : peut-être feraient-elles bien de commencer
par le commencement. T.
— La série des concerts est achevée. Cette
année, elle s'est prolongée fort avant dans la
saison ; on assure que, l'an prochain, elle se pour-
suivra jusqu'au Quatorze-Juillet. Qitod dî omen
avertant! Le dernier concert auquel nous avons
assisté est celui de M. J. Dumas. On pouvait plus
mal finir. M. Dumas est violoniste de talent; son
nom est ignoré, de nous du moins, mais j'en
connais que ne le valent pas. Il a joué très conve-
nablement la huitième sonate de Beethoven, deux
pièces sans accompagnement de Bach et deux
morceaux non désagréables de sa composition.
Mlle Adeline d'Albas a fait tout son possible pour
mériter les applaudissements du public en exécu-
tant quelques pages de Schumann, de Rameau et
de Dandrieu; et Mlle Marie-Thérèse Dumas a
montré qu'elle possédait quelques belles notes
graves, à défaut d'autres qualités vocales. Clandite
jam rivas, fitieri, T.
— Le violoncelliste Pierre Destombes, qui n'a
pu, par raison de santé, se faire entendre plus tôt
à Paris depuis son retour d'Athènes, a obtenu un
magnifique succès au dernier concert de l'Auto-
mobile Club. Il a excellemment interprété la
sonate de Saint-Saëns et le Kol Nidrei de Max
Bruch.
— L'Académie des Beaux-Arts a procédé à l'at-
tribution de plusieurs prix importants.
Les deux prix Trémont ont été décernés, l'un à
deux jeunes peintres, anciens prix de Rome,
MM. Gibert et Roger, l'autre à deux jeunes com-
positeurs, MM. Mouquet et Brisset.
Le prix Buchère, 700 francs, destiné aux élèves
femmes du Conservatoire, a été partagé entre
Mlle Laperette, de la classe de chant, et Mlle Berge,
de la classe de déclamation.
Le prix Maillet-Latour-Landry, de 1,200 francs,
a été partagé entre MM. Bertolletti et Barthalot.
Enfin, M. Planchet a obtenu le prix Chartier, de
5oo francs, destiné au développement de la mu-
sique de chambre.
— M.Justin Cléiice met en ce moment la dernière
main à un opéra-comique intitulé M. de Boursoufle
et tiré du Paon, la jolie pièce de M. Francis de
Croisset.
— Charles Turban, professeur de clarinette au
Conservatoire, étant décédé le 11 mai dernier, le
conseil supérieur s'est réuni, sous la présidence
de M. Théodore Dubois, à l'effet de présenter au
choix du ministre des beaux-arts les candidats qui'
lui paraissaient devoir le mieux remplir cette
importante fonction. Il a désigné, en première
ligne, M. Mimart et, en seconde ligne, M. Le-
febvre.
M. Lefebvre, premier prix de clarinette en 1887,
appartenant à l'orchestre de l'Opéra depuis huit
ans, est né en 1867.
M. Prosper Mimart, né à Paris le 8 août i85g,
premier prix en 1878, occupe l'emploi de soliste à
l'Opéra-Comique et à la Société des Concerts. Il
semble certain que M. Mimart succédera à
Charles Turban : confiée à cet éminent artiste, la
classe de clarinette ne périclitera pas, au con-
traire.
— Les dates des concours à huis clos, au Con-
servatoire, viennent d'être fixées ainsi qu'il suit ;
Lundi 26 juin, à 9 h. — Solfège (instrumentistes),
dictée et théorie,
4S6
LE GUIDE MUSICAL
Mardi 27 juin, à 9 h." — Solfège (instrumen-
tistes), lecture.
Mercredi 28 juin, à 9 h. — Solfège (chanteurs),
dictée et théorie.
Jeudi 29 juin, à 1 h. — Solfège (chanteurs), lec-
ture.
Dimanche 2 juillet. — Harmonie (hommes),
mise en loge.
Lundi 3 juillet, à midi. — Harmonie (hommes),
jugement.
Mardi 4 juillet, à midi. — Piano (classes prépa-
ratoires).
Mercredi 5 juillet, à 1 h. — Violon (classes pré-
paratoires).
Jeudi 6 juillet, à 1 h. — Accompagnement au
piano.
Vendredi 7 juillet, à 1 h. — Orgue.
Dimanche 9 juillet. — Harmonie (femmes), mise
en loge.
Même jour. — Fugue, mise en loge.
Lundi 10 juillet. — Harmonie (femmes), juge-
ment.
Mardi n juillet. — Fugue, jugement.
— Les concours publics du Conservatoire com-
menceront le 17 juillet prochain, dans la salle de
l'Opéra-Comique.
Voici la liste des élèves admis à concourir aux
examens du Conservatoire, classes de chant,
d'opéra et d'opéra-comique :
Chant (élèves hommes)
Classe de M. Worms. — MM. Corpait, Engel,
Ziegler, Gilles.
Classe de M. Duvernoy. — MM. Baldous,
Meurisse.
Classe de M. Masson. — MM. Perol, Lucazeau.
Classe de M. Dubulle. — MM. Petit (G.),
Saraillé, Cazaux, Mansen.
Classe de M. Martini. — MM. Eymond, Payan,
Carbelly.
Classe de Mme Rose Caron. — MM. Dupouy,
Francell.
Classe de M. Manoury. — M. Dommier.
Classe de M. J. Lassalle. — MVT. Torrent,
Clamer, Vaurs.
Elèves femmes
Classe de M. Worms. — Mlles Lassalle, Mirai,
Lamare.
Classe de M. Duvernoy. — Mlles Allard, Bailac.
Classe de M. Masson. — Mlles Gozategui, Man-
cini, Comesalice, Lapeyrolle,
Classe de M. Dubulle. — M1Ies Mathieu, Deli-
moges.
Classe de M. Martini. — Mlles Chenal, Delabu-
zière, Kerjean.
Classe de Mme Rose Caron. — Mlles Blanche
Bloch, Vieu, Madeski.
Classe de M. Manoury. — Mlle Duprez.
Classe de M. J. Lassalle. — Mlles Ennerie,
Tasso, Faye.
Opéra
Classe de M. Melchissédec. — MM. Corpait,
Meurisse, Lucazeau, Carbelly, Mlles Mancini,
Chenal, Delalozière.
Classe de M. Lhérie. — MM. Dupouy, Ziegler,
Perol, G. Petit, M1Ies Lamare, Lapeyrolle, Bailac.
Opéra-comi que
Classe de M. Isnardon. — MM. Lucazeau,
Payan, G. Petit, Francell, Mlles Lamare, Delimo-
ges, Jeanne Bloch, Mirai.
Classe de M. Bertin. — MM. Dommier, Saraillé,
Nansen, Cazaux, Mlles Lassalle, Ennerie, Tasso,
Mathieu, Alice Comès.
Elèves admis aux concours définitifs (classes
de piano) :
Elèves hommes. — Classe de M. Diémer :
MM. de Francmesni), Boscoff, Claveau. Dupré,
Lattes, Toulmouche, Etlin, Pierfitte, Florian,
Ehrahrd, Verd; classe de M. Philipp : MM.
Dumesnil, Dorival, Théroine, Pollen, Poillot,
Coye, Gayraud.
Elèves femmes. — Classe de M. Delaborde :
Miles Vendeur, Willemin, Fagel, Jacquard, Ordner,
Thévenet, Chardard, Marx ; classe de M. Duver-
noy : Mlles Aussenac, Morillon, Antoinette Lamy,
Weil, Arnaud, Clapisson, Beuzon, Pennequin,
Caffaret; classe de M. Marmontel : Mlles Kastler,
Vizentini, de Laulerie, Landrin, Léa Lefebvre,
Henriette Debrie, Hélène Léon, Le Son, Porte-
haut, Véluard.
— Une Société des Auditions modernes vient
d'être fondée par MM. Jean Canivet et Paul Ober-
doerffer, dont nous avons eu plus d'une fois l'occa-
sion d'apprécier le talent d'artistes. Elle a pour
but « de faciliter aux auteurs de musique de cham-
bre l'exécution, sans frais, de leurs œuvres nou-
velles et d'aider ainsi à la vulgarisation de la
sonate moderne, et de la musique de chambre ».
Les compositeurs sont invités à envoyer au siège
social (maison Pleyel, 22, rue Rochechouart) les
manuscrits qu'ils pourraient avoir en portefeuille
dans ce genre de musique pour piano et instru-
ments à cordes. La date de clôture pour cette
réception est fixée au ier septembre,
LE GUIDE MUSICAL
4^7
« Les manuscrits ne devront pas porter de
nom d'auteur, mais une épigraphe reproduite sur
une enveloppe scellée jointe à l'envoi et renfer-
mant le nom et l'adresse du compositeur. »
Un comité, composé de M VI. Chevillard, Dukas,
Lazzari, Vidal, Canivet et Oberdoerffer, désignera
les ouvrages à exécuter publiquement à la salle
Pleyel.
BRUXELLES
Voici les résultats acquis jusqu'à ce jour des
concours du Conservatoire :
Trombone : Premier prix, M. Vandevoorde ;
deuxième prix avec distinction, M. Alloo; deu-
xième prix, M. Valnier; premier accessit, M. Dax.
Cor : Premier prix, MM. Schram et Robbeets;
deuxième prix, M. Tuerlings.
Trompette : Premier prix, M. Dechamps; deu-
xième prix avec distinction, M. Duménil; deu-
xième prix, M. Van den Abeele.
Ensuite ont eu lieu les concours d'instruments
à anche (basson, clarinette, hautbois) et de flûte.
Les élèves de M. Boogaerts, professeur de la
classe de basson, ont eu à exécuter Yandante et le
finale du premier concerto de Jancourt, et M. Bou-
chât, aspirant au premier prix, a joué comme mor-
ceau supplémentaire le Dono nobis pacem de la
messe en si mineur de J.-S. Bach.
M. Hannon, professeur de clarinette, présentait
six élèves, auxquels était imposé, comme mor-
ceau de concours, le concerto de Weber. M. Bris-
mée, aspirant au premier prix, a exécuté supplé-
mentairement une transcription d'un air d'Etearco
de Bononcini.
L'a classe de M. Guidé, peu nombreuse, mais
d'excellente qualité, a concouru dans Yandante et le
finale du Con-certstiick de Rietz et l'air de « O Gol go-
tha, funeste Golgotha », de la Passion selon saint
Matthieu de J.-S. Bach, transcrit pour trois cors
anglais et orgue ; ce fragment a été supérieurement
exécuté par la classe de l'éminent professeur.
M. Anthoni, professeur de flûte, présentait huit
élèves, qui se sont fait entendre dans le quator-
zième solo de Tulon.
Le jury était composé de MM. Gevaert, prési-
dent; Herman, Lecail, Strauwen et Tinel.
Premiers prix avec distinction : M. Bouchât
(basson); M. Beaumez (hautbois).
Premier prix : M. Brismée (clarinette); M. Ver-
hulst (hautbois); MM. Staatje et Van Hamme
(flûte).
Deuxième prix avec distinction : M. Bernard
(basson).
Deuxième prix : M. Vcrbruggen (basson); MU.
Stevens et Andriessens (clarinette) ; MM. Culot et
Demaeg (flûte).
Premier accessit : M. d'Heurs (basson); MM.
Charlier, Biot et Trausch (clarinette; ; MM. Van
Branteghem, Sarly el Bastin ( flûte). -
Deuxième accessit : MM. Ottermans et Jenet
(flûte).
M. Eekhoutte, professeur de contrebasse, a
présenté deux excellents élèves, MM. Leclercq et
Fruy, qui ont obtenu le premier un premier prix
avec distinction, le second un premier prix.
Six concurrents pour l'excellente classe de
M. Van Hout, le talentueux professeur d'alto,
auxquels le jury, composé de MM. Gevaert, pré-
sident; De Munck, Massau, Leenders et Beyer, a
décerné les mentions suivantes : Premier prix
avec distinction, MM.Jadot et De Clerckx ; deu-
xième prix, M. Dyserinckx; premier accessit,
MM. Pancken, Outers et Philippe.
A trois heures, le jury, composé de MM. Ge-
vaert, prince Pierre de Caraman, De Munck,
Leenders et Massau, se réunissait de nouveau
dans la salle du Conservatoire pour entendre et
juger les élèves du cours de violoncelle.
Les distinctions suivantes ont été accordées :
Premier prix, MM. Trowel et Crouzé; deuxième
prix avec distinction, M, Zeelander ; deuxième
prix, MM. Absalon, Disclez; premier accessit,
M. Van Paesschen. . .
— Nous n'avons pu, faute de place, rendre
compte dans notre dernier numéro, de la remar-
quable audition d'élèves que Mme Miry-Merck a
dirigée à la salle Gaveau. En toute première ligne,
il faut signaler le succès de M11? Van Bavel, qui a
une belle nature d'artiste et vocalise, avec une
facilité et un art charmant ; elle a chanté l'air de la
fauvette de Zémire et Azor de Grétry, Un soir et Ten-
dresse de Paul Miry et la valse de Mireille de
Gounod.
Mlle Quinaux avait abordé deux airs A'Alceste :
« Où suis-je » et « Divinités du Styx », qu'elle a
interprété en artiste servie par un sentiment dra-
matique impressionnant; dans la deuxième partie,
elle a chanté avec beaucoup d'art les Berceaux de
Fauré, Rêves de Wagner . et D'Amours éternelles de
J. Brahms.
Mlle L. Dam a obtenu de très vifs et très mérités
488
Le guide musical
applaudissements dans l'air de la folie d'Hamlet
et dans « Oui, devant toi » de la Flûte enchantée;
Mlle Boulvin a fait preuve d'excellentes qualités
dans deux fragments du Roi d? Ys (le second chanté
avec Mlle Van Bavel), et il convient encore de
féliciter Mlles Lebrun, Henriette Merck, Cuisinier,
Cox, Phlippeau.
Le poème lyrique écrit par M. Armand Merck
sur des paroles de Georges Eekhoud, a été très
vivement apprécié; il révèle les plus précieuses
qualités de compositeur et, dans son originalité,
garde une tenue et un style excellents.
Un chœur de Brahms, Les Bohémiennes, terminait
cette séance qui fait le plus grand honneur à
Mme Miry-Merck, au professeur et à l'artiste.
R. S.
— L'Ecole de musique d'Ixelles a donné une
excellente séance consacrée entièrement aux
œuvres d'Erasme Raway. On y a entendu dans une
interprétation remarquable la dernière partie des
Scènes hindoues, l'Ode symphonique pour piano à quatre
mains et trois Lieder. Les interprètes, Mme Cousin,
polies Rosa Piers et Hemeleers, M. Goffin, ont
remarquablement surmonté toutes les difficultés de
ces partitions compliquées et ils méritent les plus
sincères éloges.
Ce concert était précédé d'une excellente confé-
rence dans laquelle M. Georges Dwelshauvers a
caractérisé l'art de Raway et analysé ses œuvres
principales. R.
— La sixième séance donnée par l'Ecole de mu-
sique et de déclamation d'Ixelles a eu lieu mer-
credi dernier. Dans cette audition, nous avons eu
le plaisir d'entendre M.m" Miry, qui a délicieuse-
ment chanté différentes œuvres de Red. -A. Smare-
glia, Biago Marini, Monteverde, Hœndel et Haydn.
Le récitatif et l'air de la Création de Haydn a
surtout été remarquablement interprété et a valu
de vifs applaudissements à la charmante artiste.
M. Charles Vanden Borren avait ouvert cette
audition par une petite causerie très intéressante
sur Le sentiment de la nature en musique. J. T.
— Le prix de Rome sera attribué cette année à
la musique.
Les aspirants au concours doivent se faire
inscrire au ministère de l'agriculture avant le
16 juillet. Ceux qui n'habitent pas Bruxelles peu-
vent adresser par écrit leur demande d'inscription.
A. cet effet, ils déposeront, avant le 10 juillet, leur
lettre, avec les pièces à l'appui, à l'administration
communale de leur localité, qui la transmettra
immédiatement audit ministère.
Les aspirants sont tenus de justifier de leur
qualité de Belge et de prouver qu'ils n'auront pas
atteint l'âge de trente et un ans le 3i décembre de
l'année pendant laquelle le concours aura lieu.
CORRESPONDANCES
BONN. — Le Festival Beethoven a présenté
un intérêt exceptionnel en raison de la par-
ticipation de M. Joseph Joachim et de son admi-
rable quatuor, de deux sociétés parisiennes, la
Société des Instruments à vent et la Société des
Instruments anciens, de M. VI. Ferrucio Busoni
et Ernest von Dohnanyi.
La Société des Instruments anciens, composée
de Mmes Casadesus-Dellerba (quinton) et Margue-
guerite Delcourt (clavecin), de MM. Henri Casa-
desus (viole d'amour), Marcel Casadesus (viole de
gambe) et Edouard Nanny (contrebasse) a rem-
porté un magnifique succès artistique dans le
divertissement en ré majeur de Mourey (1862), la
symphonie n° 3, en mi majeur, de Bruni (1759), la
chaconne en ré majeur de Destouches (1774), la
gavotte en ut majeur de Cupis de Camargo (171-9),'
Chiméne, ré majeur de Jacchini (1788), menuet et
gavotte de Lorenziti (1760), le Coucou de Brunni
(1760), le ballet-divertissement de Montclair (1666),
le ballet des Plaisirs (i655) et enfin, en supplé-
ment, le dernier jour, le concerto en ré majeur de
Mozart.
La Société des Instruments à vent (MM.Mimart,
Bleuzet, Letellier, Hennebains, Jacot, Bourbon,
Lebailly, Penable et Vuillermoz) n'a pas été
moins applaudie, et on a vivement admiré la per-
fection et la souplesse de son interprétation, sa
belle sonorité et l'homogénéité de ses exécutions
du quintette de Mozart en mi majeur, de l'octuor
de Gouvy, du caprice de Saint-Saëns, de l'octuor
en fa majeur de Haydn et du septuor de Beetho-
ven.
On a vivement apprécié enfin MM. Casadesus
et Nanny dans une sonate pour viole d'amour et
contrebasse de Borghis, et M. Hennebains, qui a
interprété brillamment la pâle sonate pour flûte
de Frédéric II.
Que peut-on dire encore de l'admirable Joseph
Joachim et de ses collaborateurs, MM. Haliz,
Wirth et Hausman, sinon qu'il n'est pas possible
d'exprimer avec plus de porfecti^n et de grandeur
tÈ GUIDE MUSICAL
l'art et la pensée de Beethoven? Ils ont interprété
les quatuors en mi, en fa, en 50/, en ut, le quatuor
op.54,n° 2, de Haydn, le quatuor en la de Brahms,
le quatuor en ut de Mozart et le septuor en mi de
Beethoven. Enfin, M. Joseph Joachim a interprété
avec M. Ernest von Dohnanyi la sonate en sol (Le
Printemps) de Beethoven, admirablement. Peut-être
M. Dohnanyi a-t-il été moins parfait dans la
sonate en fa de Beethoven, tandis que M. Busoni
a été vraiment étonnant dans la sonate en la.
R". C.
&
/~^\ RAZ. — Le quarante-et-unième festival de
\J~ l'Association générale des Musiciens Alle-
mands a réuni moins de monde que les années
précédentes, en raison de la longueur du voyage et
du changement de date décidé presque au dernier
moment.
Il a débuté le 3i mai par une représentation de
la tragicomédie en trois actes de Wilhelm KienzL
Don Quichotte. L'œuvre avait été donnée pour la
première fois à Berlin, le 18 novembre 1898 et on
comprend vraiment qu'elle n'ait pu se maintenir
au répertoire; sur un livret maladroit, plein de
banalités, sans aucun caractère, M. Kienzl a écrit
une partition fade, sans esprit, auprès de laquelle
son Evangelimann pourrait passer pour un chef-
d'œuvre.
Le premier concert comprenait deux fragments
d'une fantaisie romantique pour orgue de Rode-
rich von Mojsisovics, deux fragments de la sym-
phonie en mi mineur de Guido Peters, treize
Lieder tout à fait remarquables de Gustave Mahler,
interprétés par MM. Weidemann, Moser, Schrôtter
et Erik Schmedes, enfin un poème symphonique
de Paul Ertel, fort intéressant de métier.
Le deuxième concert était consacré à la musique
de chambre. Nous y avons entendu un pianiste de
Munich, M. Schmidt-Lindner, jouer les variations
sur un thème de Bach de Max Reger, et, avec le
compositeur lui-même, des variations sur un
thème de Beethoven. Le Quatuor Rosé, de Vienne,
a interprété une sérénade en six parties de Jaques-
Dalcroze, tout à fait charmante, pleine d'esprit et
d'un tour piquant. Trois Lieder intéressants et
pleins d'harmonies subtiles, de Otto Taubmann,
ont valu à M. Joseph Loritz de vifs applaudisse-
ments et pour finir deux chœurs de Rud. Buck,
ont mis en valeur les grandes qualités de la Société
chorale de Graz. Le deuxième concert sympho-
nique était presque exclusivement pris par une
œuvre que les dimensions inusitées écarteront
fréquemment des programmes de concerts, la
Mort et la Mère d'Otto Naumann, sur un poème de
Mme Dora Naumann, d'après l'Histoire d'une mère
d'Andersen. L'influence wagnérienne est presque
partout sensible, aussi bien dans l'orchestre que
dans l'emploi du chant. A beaucoup étudier son
maître préféré, M. Naumann a évidemment beau-
coup appris et son œuvre est remplie de détails
intéressants et de pages bien venues; il manque
toutefois la proportion, le lien entre les parties,
l'unité pour en faire un chef-d'œuvre.
A la fin de la séance, M. Ferdinand Lœwe
a dirigé la huitième symphonie en ut mineur de
Bruckner.
Pour remplacer le concert spirituel qui devait
ouvrir le festival et qui n'a pu avoir lieu, on avait
organisé un concert supplémentaire dans lequel
M. Lœwe a dirigé la Vie d'un héros de Richard
Strauss, avec tant de vie et de couleur que l'œuvre
nous est apparue transfigurée et radieuse, d'une
beauté nouvelle, et Dem Verklàrten, chœur de Max
Schillings, composé pour les fêtes Schiller.
Le troisième concert a été plutôt une désillu-
sion. M. Ferdinand Lœwe -qui avait conduit d'une
manière si remarquable les œuvres de Bruckner et
de Strauss, a été vraiment inférieur dans les Idéals
de Liszt et dans la Marche impériale de ._ Richard
Wagner; c'était petit comme conception et, à:
aucun moment, on n'a pu se laisser aller à l'émo-
tion.
Le Retour d'Ulysse, poème symphonique d'Ernest
Boehe, est l'œuvre idéale d'un bon élève; on sent
en l'auteur le riche héritier de Liszt, de Wagner
et de Richard Strauss; le capital est beau, mais il
est placé sans risques et il semble douteux que
M. Boehe puisse l'augmenter autrement que par
de sages économies.
Les Lieder avec orchestre de Siegmund von
Hausegger ont eu d'autant plus de succès que.
l'auteur se retrouvait dans son pays natal et, que
ses amis et ses compatriotes tenaient à l'acclamer
et à le couvrir de fleurs. Ils sont d'ailleurs remplis
de choses intéressantes, si même on est forcé de
reconnaître que dans l'emploi coordonné de l'or-
chestre et de la voix, M. von Hausegger n'atteint
pas à la maîtrise de Gustave Mahler.
L'épilogue du festival a eu lieu à l'Opéra de
Vienne, où M. Mahler a dirigé trois exécutions
excellentes, Feuersnot de Richard Strauss et H ans,
le paresseux d'Oscar Nedbal; la Rose du Jardin
d'amour de Hans Pfitzner; la Légende de sainte-
Elisabeth de Liszt. Cantel. '
490
LE GUIDE MUSICAL
]A HAYE. — L'agence de concerts Nieuwe
J Musiekhandel d'Amsterdam vient de donner,
à La Haye, Rotterdam et Amsterdam, cinq con-
certs, dirigés par M. Félix Weingartner, avec
l'Orchestre communal d'Amsterdam. A La Haye
et à Rotterdam, un concert Beethoven, la pre-
mière symphonie, l'ouverture de Léonore n° 3 et la
neuvième symphonie avec chœur, et un concert
Berlioz, avec la Damnation de Faust. A Amsterdam,
le programme comportait la première et la neu-
vième symphonie de Beethoven et la symphonie
Harold en Italie de Berlioz. L'exécution a dépassé
de beaucoup ce qu'on était en droit d'attendre de
l'éminent Weingartner, avec les moyens relati-
vement médiocres dont il disposait. Aussi le succès
a été d'un enthousiasme indescriptible.
Aux deux derniers concerts symphoniques du
Kursaal de Scheveningue, le capellmeister M.
Scharrer nous a fait entendre deux nouveautés, la
quatrième symphonie en ré majeur de Dvorak et
l'ouverture En Italie, de Goldmark, deux œuvres
fort intéressantes, dont il nous a donné une excel-
lente exécution ; M. Witek a remarquablement
interprété le concerto pour violon de Tschaï-
kowsky. Au premier des concerts hebdomadaires,
nous avons applaudi une jeune violoniste française
de beaucoup de talent, Mlle Renée Chemet, élève
du Conservatoire de Paris, qui a joué avec une
crânerie toute masculine la Symphonie espagnole de
Lalo, un andante de Max Bruch et un scherzo de
Tschaïkowsky. Ed. de H.
LONDRES. — Les dernières représentations
wagnériennes ont eu lieu à Covent-Garden
les 12 et 14 juin avec Tannhauser et les Maîtres
Chanteurs. Un nouveau venu à Londres, M. Men-
zinsky, a chanté les rôles de ténor dans ces deux
opéras et dans Lohengrin et y a produit une bonne
impression. On a repris Aïda avec M. Caruso et
Mme Kirkby Lunn (Amneris), puis Roméo et Juliette,
qui a été un triomphe pour M. Dalmorès.
Au théâtre Waldorf, la soirée la plus intéres-
sante a été la première de l'opéra en un acte
Fiorella, de M. Amherst Webber. En dépit d'un li-
vret déplorable, l'œuvre a été très bien accueillie,
en raison surtout de quelques passages de la par-
tition, écrits délicieusement. Cet opéra a été chanté
en italien par Mmes de Cisneros et Ferraris,
MM. Pezutti, Angelini-Fornari et Pini-Corsi. Ce
même théâtre a monté en outre la Somnambule, Don
Pasquale et la Traviata avec Mme Emma Nevada,
qui a été chaleureusement accueillie après une
absence de plusieurs années.
Les concerts donnés par l'orchestre du Kursaal
d'Ostende ont été très intéressants. La symphonie
en fa de Théo Ysaye, le Concertstùck de Gabriel
Pierné pour harpe et orchestre, la symphonie en
ut mineur avec orgue de Saint-Saëns, les Impres-
sions d'Italie de Charpentier, données intégralement
pour la première fois à Londres, ont été particuliè-
rement applaudis.
La Société philharmonique a exécuté à ses
concerts la symphonie en la de Juon, le Prélude à
l'après-midi d'un faune de Claude Debussy, et le
merveilleux violoncelliste Pablo Casais y a été
acclamé avec enthousiasme. M. Arthur Nikisch a
dirigé un des concerts de l'Orchestre symphonique
de Londres, comprenant la Symphonie pathétique et
le concerto de violon de Tschaïkowsky (soliste
miss Maud Mac-Carthy).
Hegediis, Kubelik, Sametini et le jeune von
Vecsey ont donné des récitals de violon.
Mentionnons au théâtre de Haymarket les
séances de la Société de Concerts d'instruments
anciens (Mlle Delcourt, MM. Nanny et Marcel Ca-
sadesus). N. Gatty.
\(>
NOUVELLES
De Munich, nous arrive une nouvelle qui sur-
prendra le monde musical : M. Ernest von Possart,
intendant général des théâtres royaux, vient de
donner sa démission. Il présidera encore cependant
aux festivals Wagner et Mozart qui auront lieu cet
été et ne quittera ses fonctions qu'au mois d'octo-
bre. Les bruits les plus divers courent au sujet de
cette démission ; on reprocherait, parait-il, à
M. von Possart d'avoir géré les théâtres avec
plus de souci artistique que d'économie ; il semble
d'ailleurs que de regrettables questions politiques
soient venues envenimer cette affaire.
Parmi les successeurs éventuels à l'intendance
générale des théâtres, on cite les noms du baron
von Berger, directeur du théâtre de Hambourg et
du Dr Schleuther, directeur du Hofburgtheater, de
Vienne.
— Nous avons annoncé il y a quelques mois
que la ville de Spa organisait un grand concours
d'opéra, auquel, seules, des partitions inédites
pouvaient être présentées. Le jury, composé de
MM. G. Huberti, président ; Sylvain Dupuis,
Léon Dubois, Kéfer et Rasse, a décidé à l'unani-
LE GUIDE MUSICAL
491
mité d'accorder le second prix à M. Paul Lagye,
pour son opéra en deux actes Francliimont. L'au-
teur, un tout jeune homme encore, avait déjà vu
cet hiver plusieurs de ses œuvres accueillies avec
faveur dans les concerts de Bruxelles
Le premier et le troisième prix n'ont pas été
décernés.
— Les Fesispiele Mozart auront lieu cette année
aux dates suivantes, au Residenz Theater de
Munich : n septembre, le Mariage de Figaro;
i3 septembre, Cosi -fan tutte; i5 septembre, Don
Juan; 17 septembre, Cosi fan tutte; 19 septembre,
le Mariage de Figaro ; 21 septembre, Don Juan.
— La Société de photographie de Berlin vient
de publier un portrait de Mendelssohn qui, jusqu'à
présent, n'avait guère été reproduit. Il remonte à
l'année 1861, pendant laquelle Félix Mendelssohn
résidait à Rome. S'étant trouvé un jour en compa-
gnie de quelques amis chez Horace Vernet, celui-
ci fut charmé par les improvisations de Mendels-
sohn sur des airs de Don Juan. En souvenir de
cette soirée, il le pria de poser pour lui et lui
offrit le portrait que l'on vient de reproduire.
— A Londres, dans la salle Puttick et Simpson,
a eu lieu une vente aux enchères d'un certain
nombre d'instruments, entre autres plusieurs vio-
lons de choix. Un Stradivarius daté de 1723, c'est-
à-dire de la belle époque du maître, a été vendu
iS,75o francs; un Nicolas Amati, 2,450; un Fran-
cesco Ruggeri (qui fut élève d' Amati), 3,coo; un
Pierre Guarneri, 2,400. Ces prix sembleront
faibles pour des instruments authentiques.
— M. Félix Mottl a dirigé au Théâtre de la
Cour, à Munich, la Prise de Troie de Berlioz.
— L'année prochaine, l'Opéra de la Cour et
l'Opéra populaire de Vienne célébreront le cent-
cinquantième anniversaire de la naissance de
Mozart. A cet effet, d'importantes représentations
théâtrales auront lieu. Pendant l'été 1906, de
grandes fêtes en l'honneur de Mozart seront
données à Salzburg, avec le concours d'éminents
interprètes allemands, italiens et français. La
Philharmonie de Vienne participera également à
ces solennités. Les représentations auront lieu au !
Théâtre de l'Opéra de la Cour et au Théâtre
municipal.
— Une fête assourdissante.
A la fête fédérale de chant organisée pour la
mi-juillet à Zurich, plus de 10,000 chanteurs
prendront part. Un chœur de 1,200 chanteurs et
chanteuses, accompagnés de 160 instrumentistes,
donnera, le soir du i3, un concert de réception qui
sera donné derechef le 16 après midi; les solistes
seront Mme Emilie Welti-Herzog, MM. Ludwig
Hess et Thodor Bertram ; les principaux numé-
ros du programme : le Tuba mirum et le Sanctus
tirés de la Messe des morts de Berlioz, et le Taillefer
de M.Richard Strauss. Un autre jour, 6, 000 hommes
chanteront d'une seule voix devant les 9,600 audi-
teurs que peut contenir le hall des fêtes.
— A l'occasion du vingt-cinquième anniversaire
de la mort de Jacques Offenbach, le Théâtre an
der Wien, à Vienne, donnera en octobre une série
de représentations de Jacques Offenbach. Une
opérette du maître, inédite en Allemagne et en
Autriche, Robinson Crusoé, sera mise à la scène
pour cette circonstance.
— Le Théâtre de la Cour de Vienne vient de
mettre à l'étude Manon de M. Jules Massenet
(avec Mme Gutheil-Schoder).
— L'Opéra royal de Berlin organise un cycle
complet de représentations wagnériennes, de
Rienzi au Crépuscule des Dieux. C'est Mme Aïno
Akté, de l'Opéra de Paris, qui chantera le rôle
d'Eisa.
— Une fantaisie pour piano, en fa dièse mineur,
œuvre de jeunesse de Wagner, vient d'être gravée
en Allemagne. L'auteur avait seize ans, paraît-il,
lorsqu'il l'écrivit ; il étudiait alors le contrepoint à
Leipzig.
— Les sociétés musicales qui voudraient parti-
ciper au concours international d'orphéons et
musiques d'harmonie de Bilbao, les 9 et 10 sep-
tembre, doivent se faire inscrire et adresser leur
demande à M. Nicolas Bengoa, secrétaire général
du concours international, à Bilbao (Espagne).
Voici la liste des récompenses accordées aux
lauréats du concours :
Pour les musiques d'harmonie. — Premier prix,
une couronne de vermeil et 10,000 pesetas; deu-
xième prix, une palme de vermeil et 6,000 pesetas.
Pour les orphéons. — Premier prix, une cou-
ronne de vermeil et 7,5oo pesetas; deuxième prix,
une palme de vermeil et 3, 000 pesetas.
Grande réduction sur les lignes de chemins de
fer espagnoles et françaises.
pianos et Ifoarpes
€rarù
Bruxelles : 6, rue ^latérale
paris : rue ou flfcail, 13
492
LE GUIDE MUSICAL
NECROLOGIE
Nous apprenons la mort à Paris, à l'âge de
quarante-neuf ans, d'une artiste belge, Mlle Eva
Dufrane, qui fit partie pendant près de vingt ans
de la troupe de l'Opéra, où elle tint l'emploi de
soprano dramatique et rendit les plus grands
services.
Mlle Dufrane, qui avait fait ses études au Conser-
vatoire de Bruxelles et travailla ensuite à Paris
avec Duprez et Obin, débuta en 1880 à l'Opéra,
sous la direction de M. Vaucorbeil, par le rôle de
Rachel, dans la Juive, où elle montra tout de suite
de belles qualités scéniques et vocales. Elle aborda
tour à tour tous les rôles de falcon et chanta Alice
de Robert le Diable, Valentine des Huguenots, Sélika
de YAfricaine. Elle doubla Mme Krauss dans
presque tous ses rôles, avant de prendre à son
tour quelques-uns des rôles principaux du réper-
toire wagnérien ; puis, en 1894, sa voix ayant
baissé, elle aborda résolument le répertoire plus
effacé des mezzo-sopranos. C'était une artiste
modeste et des plus consciencieuses, très sûre et
précieuse, bien que toujours un peu de second
plan. Voici la liste à peu près complète, croyons-
nous, de ses rôles à l'Opéra :
1880. — La Juive (Rachel), début.
1881. — Les Huguenots (Valentine).
Le Prophète (Berthe).
Robert le Diable (Alice).
Le Tribut de Zamora (Xaïma).
i883. — Le Freyschuts (Agathe).
L'Africaine (Sélika).
1884. — Sapho (Sapho).
Don Juan (Dona Elvire).
i885. — Tabarin (Francisquine), création.
Le Tribut de Zamora (Hormosa).
1886. — Patrie (Dolorès).
Aida (Aïda).
Don Juan (Dona Anna).
1887. — Henry VIII (Catherine).
1S92. — Lohengrin (Eisa).
Lohengrin (Ortrude).
1893. — La Walkyrie (Brùnnhilde).
1894. — Sigurd (Hilda).
La Walkyrie (Fricka).
i8g5. — La Montagne noire (Dara).
Aïda (Amnéris).
1896. — La Favorite (Léonore).
. Hamlet (La Reine).
1897. — Sigurd (Uta).
1898. — La Cloche du Rhin (Liba).
H. DE C.
— Albert Loschhorn, célèbre par ses études et
ses compositions pour piano, vient de mourir à
Berlin, à l'âge de quatre-vingt-six ans. Elève de
L. Berger (1837-1839), puis de Grell, A.-W. Bach
et Killitschgy, à l'Institut royal de musique
d'église, il succéda à ce dernier en i85i et reçut
en i858 le titre de professeur. Pendant les cin-
quante années de son professorat, il forma un
nombre considérable d'élèves. Il a publié des
études, des sonates, des sonatines, des suites, des
quatuors pour piano et toute une série d'œuvres
brillantes. En 1862, il fit paraître, en collaboration
avec J. Weiss, un Wegweiser in die Pianofortelitie~
ratur, auquel il donna une deuxième édition
en i885, sous sa seule signature et en modifiant le
titre : Fùhrer durch die Klavierlitteralur .
— On annonce de Coblence la mort de Conrad
Heubner, directeur du Conservatoire. Né à Dresde
en 1860, élève du Conservatoire de Leipzig, il
suivit les leçons de Wùllner, de Nicodé et de
Blassman; directeur de l'Académie de chant de
Liegnitz en i832; second directeur de l'Académie
de chant de Berlin en 1884 ; nommé à Coblence
en 1890. On connaît de lui plusieurs ouvertures,
des Lieder et des œuvres de musique de chambre.
— De Florence, on annonce la mort d'une can-
tatrice, Marietta Biancolini, dont la carrière fut
naguère fertile en succès. Elle s'était montrée au
public dès l'âge de seize ans, et depuis lors, soit
à l'étranger, soit en Amérique, elle s'était fait
applaudir en compagnie de nombre de grands
artistes : Cotogni, Tamagno, Masini, Teresina
Stolz, etc., etc. Depuis vingt ans, elle était retirée
de la scène, et elle est morte après quatre années
de souffrances terribles.
— A Milan est mort subitement, dans un âge
avancé, un danseur fameux en son temps, Leo-
poldo Cucchi, qui, avec Borri, avec Donzelli,
avec Vienna, avait, l'un des derniers, conservé
les belles traditions classiques de son art, telles
qu'on les enseignait à l'école de danse de la Scala
de Milan. Il s'était fait aussi une réputation comme
compositeur de ballets. Il est mort auprès de sa
sœur, Mme Claudina Cucchi, qui fut elle-même une
danseuse de premier ordre et qui se fit applaudir
à Londres, à Vienne, à Madrid, et, de i855 à
i858, à l'Opéra de Paris, où on la vit, entre autres,
dans un ballet de M. Reyer, Çacountala, dans les
Elfes, le Corsaire, etc. Elle avait alors francisé
l'orthographe de son nom, et sur l'affiche s'appelait
M;ie Couqui.
LE GUIDE MUSICAL
493
Fêtes du 75me Anniversaire de l'Indépendance Nationale
TE^EUM
Pour chœur à six voix mixtes, orgue et orchestre, composé pour les fêtes jubilaires
PAR
EDGAR TINEL
Cette œuvre sera exécutée à l'Eglise Sainte-Gudule, le 21 Juillet 1905
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Pour les Fêtes Nationales de 1 905
LA BRABANÇONNE
Transcrite pour Chœur Mixte et Orchestre
PAR
PAUL GILSON
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'Sitfrè année. — Numéros 28-2§.
9 et 16 Juillet igoS.
HARPE DIATONIQUE & HARPE CHROMATIQUE
n des résultats, aussi piquant
qu'inattendu, du concours de
harpe qui vient d'avoir lieu au
Conservatoire de Bruxelles et
qui a de nouveau mis en présence la harpe
diatonique à pédales d'Erard et la harpe chro-
matique sans pédales, système Lyon, a été de
nous révéler l'extrême facilité avec laquelle la
harpe diatonique se joue des difficultés chro-
matiques.
Il n'est pas un seul assistant à ce concours
qui n'en ait été frappé en constatant la parfaite
aisance et la souplesse avec laquelle les deux
élèves présentées par M. Meerloo, Mlles De
Sloovere et Keating, ont interprété le délicieux
Impromptu de Gabriel Fauré, tout émaillé de
passages chromatiques et la Fantaisie de
Th. Dubois, alors qu'il semblait que ce fût
surtout dans les phrases tonales que M1Ie Del-
corde, seul champion cette année de la harpe
chromatique, se trouvait le plus à l'aise.
N'aurait-on pu prévoir l'insuccès qui va
marquant de plus en plus la carrière de la
harpe chromatique en jetant un coup d'œil
rétrospectif sur l'histoire de la harpe ordinaire,
dont nous allons dire quelques mots ?
A l'origine, toutes les harpes étaient diato-
niques et sans pédales; chaque corde ne
pouvant donner qu'un son unique, elles ne
rendaient que de rares et faibles services à la
musique, puisqu'elles ne pouvaient jouer que
dans le ton de leur accord et qu'elles se trou-
vaient réduites à l'impuissance lorsque surve-
nait le moindre accident. Aussi chercha-t-on
de bonne heure à leur donner les notes et les
intervalles qui leur manquaient ; d'abord on
augmenta le nombre de cordes et c'est ainsi
que nous voyons apparaître au xvne siècle le
premier essai de harpe chromatique; mais cette
tentative fut marquée par un insuccès.
On songea alors à augmenter l'échelle des
sons en raccourcissant à volonté les cordes au
moyen de « crochets » et de « fourchettes »
actionnés par des pédales. Ce fut Sébastien
Erard qui réalisa cet important perfectionne-
ment en construisant l'instrument qui a con-
servé son nom et qui est aujourd'hui univer-
sellement répandu.
Mais on a fait certaines critiques de la harpe
diatonique. On lui a reproché notamment de
ne pouvoir être employée en solo pour exécuter
des œuvres comme les fugues de Bach ou les
nocturnes de Chopin, de ne pouvoir, dans
l'orchestre, exécuter certain passage de la
49e
LÉ GUIDE MUSICAL
Walhyrie exactement comme il est écrit, et cela
en raison de l'insuffisance de rapidité dans le
maniement des pédales.
Ce sont ces insuffisances que la harpe chro-
matique, construite il y a quelques années,
prétend avoir corrigées. Les pédales ont été
supprimées; pour donner à l'instrument
l'échelle complète de la gamme chromatique,
on a créé autant de cordes qu'il y a de sons.
S'il se fût vérifié que la harpe chromatique pût
réaliser, comme l'espéraient ses auteurs, des
effets de virtuosité difficiles, voire impos-
sibles sur la harpe diatonique, on aperçoit
de quelles conséquences importantes eût été
marquée la réforme réalisée Le rôle de la
harpe dans l'orchestre se transformait et, par-
tant, les compositeurs se trouvaient amenés à
modifier leur manière d'écrire pour cet instru-
ment.
L'intérêt du problème était considérable, et
l'on comprend que devant son importance, non
seulement les Conservatoires de Paris et de
Bruxelles n'aient pas hésité à faire un essai
de l'instrument nouveau en créant à son inten-
tion une classe spéciale, mais que re même essai
ait été fait longuement et consciencieusement
par les théâtres et les grands concerts.
Actuellement, l'Opéra et l'Opéra-Comique de
Paris, le Théâtre Ro\'al de la Monnaie, les Asso-
ciations des Concerts Colonne et Lamoureux,
les Concerts Populaires et Ysaye en sont revenus
à l'emploi exclusif de la harpe diatonique; ils
ont donc, après mûre expérience, renoncé au
système nouveau, estimant que ses quelques
avantages ne compensaient pas les inconvé-
nients sans nombre résultant de son emploi.
Le défaut capital de la harpe chromatique,
c'est son manque de sonorité, et cela a été
particulièrement sensible au concours de cette
année. Toute question de talent mise à part,
car les deux classes de harpe étaient repré-
sentées par des élèves consciencieuses et
habiles, des artistes intelligentes et parfaites
musiciennes, le public a été frappé par le
contraste entre le son ample, large, moelleux
et robuste de la harpe diatonique et la sonorité
faible, maigre, petite, sèche de la ïtarpe chro-
matique. Pour que cette dernière égalât sa
rivale tn volume sonore, il faudrait qu'elle lût
doublée, et encore n'aurait-elle point cette
pureté, cette plénitude, ce timbre de cristal et
d'argent qui caractérisent la harpe diatonique.
Cela tient il au nombre des cordes? On sait
en effet que plus il y a de cordes chargeant une
même table d'harmonie, moins cette table
vibre. Cela tient-il à l'impossibilité d'attacher
directement toutes les cordes à la table d'har-
monie ? car la traction considérable qui eût été
exercée par des cordes aussi nombreuses a
obligé les constructeurs à les attacher sur une
pièce de renfort indépendante de la table. Cela
tient-il à la combinaison de ces deux causes?
Quoi qu'il en soit, le fait est tangible. La harpe
chromatique ne peut, dans un orchestre,
remplacer la harpe diatonique parce qu'elle
n'en a la sonorité ni en puissance, ni en qua-
lité.
L'instrument nouveau présente-t-il de grands
avantages dans l'emploi de la harpe en solo ?
Est-il intéressant de pouvoir exécuter sur la
harpe telle œuvre de Bach ou de Schumann
qui, n'ayant pas été écrite pour cet instrument,
n'y trouvera jamais son expression complète?
C'est ce qui semblera assez contestable,
Par contre, ce qui est important, c'est que la
harpe puisse exécuter les morceaux qui lui
sont propres, lesquels contiennent toujours
des gammes, des arpèges, des traits glissés, des
notes répétées. Or, ce sont précisément ces
caractéristiques essentielles de la littérature de
la harpe que l'instrument nouveau ne réalise
qu'au prix de grandes difficultés : les arpèges
majeurs et les gammes sont presque irréali-
sables, sauf en ut, les traits glissés lui sont
impossibles.
Il en résulte que, si la harpe chromatique
permet de faire avec aisance beaucoup de
choses inutiles, elle n'est guère capable de
rendre ce qui est le propre de la harpe et qui
a été écrit pour elle.
Quant à la soi-disant difficulté de l'emploi
des pédales, Y Impromptu de Gabriel Fauré en a
fait justice au Conservatoire, où l'on a pu
entendre les passages chromatiques exécutés
par la harpe diatonique avec une perfection
inégalée. Robert Sand.
LÉ GUÏDË MUélCAL
\<fi
L'HISTOIRE DU PIAN0(I)
Le piano est la chambre obscure où se
reflètent, concentrées et réduites, les
représentations du monde sonore. Au-
trefois, c'était le clavecin, l'ancêtre à
la voix grêle, aux chansons dansantes enluminées
de souvenirs. Faire leur histoire, leur double
histoire en sa suite liée comme celle des géné-
rations, c'est évoquer l'évolution de la musique
depuis l'origine obscure des temps modernes
jusqu'au plein jour de ce siècle. L'orgue d'abord
fut au clavecin ce qu'aujourd'hui l'orchestre est
au piano. L'âme de la foule et l'âme de l'individu
sont solidaires; elles s'aiment et communient
comme Pan et Psyché ; elles se tiennent et réa-
gissent l'une sur l'autre comme l'arbre et le noyau.
Elles ne peuvent pas s'exclure. Au xixe siècle,
une magnifique expansion de la vie collective
dans la musique orchestrale a réduit pendant
quelque temps le piano à un rôle secondaire.
Mais, aussitôt, par une réaction nécessaire à
l'économie de l'être, la musique de Psyché, je
veux dire la musique de chambre, à qui le piano
commande, a eu sa renaissance et s'est épanouie
en formes nouvelles. Musique de réflexion et de
méditation, musique de vie intérieure : les fugues
de Bach, les sonates de Beethoven ont donné à la
littérature du piano toute la pensée et toute la
passion, c'est-à-dire de quoi vivre éternellement.
Rappelons-nous qu'une symphonie n'est qu'une
sonate pour orchestre. Cette forme première de la
musique instrumentale, cette forme qui contient
virtuellement toutes les autres, la sonate, c'est le
piano qui l'a produite, de sorte que le pianiste
assis devant le clavier peut dire qu'il possède
toutes les clefs du domaine où s'est exercé le
génie des musiciens les plus profonds et les plus
purs.
Un ironiste ajouterait qu'il y a, parmi ces clefs,
des passe-partout. Je n'en disconviens pas. Ils
servent à mettre à jour ces épreuves textuelles et
rapides, où la composition faite pour une masse
d'instruments apparaît décolorée, dépouillée, sim-
plifiée mais exacte en ses valeurs, telle qu'une
fresque dans les photographies qui la vulgarisent.
Ici encore, il dépend de l'intelligence et de l'habi-
leté de l'exécutant que l'œuvre garde ou perde, en
cette reproduction, son sens esthétique.
(i) Histoire au piano et des pianistes, par Eugène Rapin,
privat-docent à l'Université de Lausanne. — Paris.
Librairie ancienne et moderne, 1904.
Le pianiste ne cesse jamais d'être un interprète,
et c'est pourquoi il importe d'éclairer sa technique.
Le sait-on? Le sait-on assez?... J'en doute en
voyant que dans tant d'écoles on s'abstient d'en-
seigner aux pianistes l'histoire de leur art.
M. Eugène Rapin, s'inspirant du livre allemand
de Weitzmann, a tenté d'écrire en français
l'histoire des instruments et des œuvres par quoi
l'art du piano existe. Avec plus de perspicacité
critique et de talent littéraire, il eût fait œuvre
d'historien. Il suffit, provisoirement, qu'il ait
accompli, selon son dessein sans doute, un excel-
lent travail de pédagogue en distribuant logique-
ment la matière et en l'exposant clairement. Un
homme érudit apporte d'utiles et très urgentes
notions. C'est beaucoup apporter déjà où il n'y
avait rien.
Du reste, la matière est attachante par elle-
même. On lit des pages sur le clavecin, sa
naissance, ses maîtres, sa littérature et les types
caractéristiques de cette littérature ; et puis c'est
le piano-forte de Haydn à Mendelssohn, en passant
par Mozart, Beethoven, Schubert ; enfin, l'esprit
nouveau, les romantiques : Schumann. Chopin, .
Liszt..., et l'évolution se dessine d'un art qui est
lui-même une histoire plus directe, plus immé-
diate que celle qu'on écrit; tradition d'états
moraux, d'attitudes et de gestes, témoignage
émouvant de la sensibilité des époques où vécurent
des artistes dont l'âme immortelle touche la nôtre.
Un cycle donc, une synthèse et des lois
lumineuses pour éclairer l'esprit des pianistes qui
veulent comprendre ce qu'ils sentent confusément.
Après cela, si je dis qu'il y a, dans la dernière
partie du livre, quelques erreurs, quelques lacunes
et des jugements de qualité médiocre, ce n'est pas
assurément dans le but de découvrir des tares;
elles se découvrent d'elles-mêmes et, à vrai dire,
elles résultent de la composition hâtive et négligée
des cinquante dernières pages, où l'auteur semble
avoir perdu toute ligne de conduite. Ces pages
consacrées — « sacrifiées » serait plus juste — aux
pianistes et compositeurs contemporains qui s'y
bousculent pêle-mêle, ne sont plus qu'une nomen-
clature, un catalogue de personnes célèbres,
renommées, notoires... ou quelconques; dans cette
foule, M. Rapin fait place à des musiciens qui
n'ont rien ou presque rien écrit pour le piano, tels
que Berlioz, Gounod, Massenet, sous ce prétexte
qu'ils jouèrent un grand rôle dans le mouvement
musical. C'est de l'égarement.
Il semble qu'au delà de Liszt et de Saint-Saëns,
l'auteur de V Histoire du piano et des pianistes n'ait
plus rien trouvé à dire et qu'il ait pris le parti
49
LE GUIDE MUSICAL
déplorable de nous offrir, en manière de petit
dictionnaire de poche mal fait, son carnet de notes.
Il y avait pourtant à la page quatre-cent-quatre-
vingt-quatre, section russe, une note de vingt lignes
sur Antoine Rubinstein. En méditant sur cette
note, en s'hynoptisant sur ce nom, le savant musi-
cographe eût aisément conçu le thème d'un
chapitre final réservé aux pianistes. Au lieu d'une
confusion d'individualités, des talents groupés et
classés, des hommes mis en lumière selon leur
valeur et leur tendance ; et, sur le terrain ainsi
déblayé, serait venu se poser tout naturellement et
se proposer au lecteur le problème du style dans
l'interprétation des œuvres écrites pour le piano.
Maubel.
« PARSIFAL » A AMSTERDAM
Les deux représentations organisées par
le Wagner-Verein, le 20 et le 22 juin,
ont été un admirable triomphe. Devant
une telle réalisation, les critiques les
plus prévenus seront forcés de reconnaître que les
prétentions de la camarilla de Bayreuth, déclarant
que Parsifal ne peut être exécuté avec piété que
sur le théâtre construit par Wagner, sont dénuées
de tout fondement, de toute vérité.
La mise en scène, la décoration, les costumes
ont été aussi beaux qu'à Bayreuth et conçus avec
un souci constant du respect de la pensée du
maître. L'interprétation musicale a été admirable,
et jamais, pour ma part, je n'ai entendu les chœurs
du premier acte aussi parfaits. MmeFélia Litvinne,
qui abordait pour la première fois le rôle de
Kundry, y a réalisé l'une de ses plus émouvantes
et de ses plus belles créations; elle est, il faut le
proclamer, la plus grande et la plus parfaite canta-
trice de notre époque, et l'on comprend la joie
qu'elle éprouvait d'ajouter le rôle de Kundry à ses
immortelles créations d'Alceste et d'Armide,
d'Eisa, de Vénus, d'Isolde, de Brunnhilde.
M. Forchammer a été un Parsifal très suffisant,
MM. Breitenfeld et' Blass ont compris et réalisé
d'une manière intéressante les personnages d'Am-
fortas et de Gurnemanz; M. Kromer (Klingsor) et
Holm (Titurel) méritent de grands éloges. Enfin,
les quatre chevaliers et les Filles-Fleurs ont
interprété leurs rôles avec un souci d'art et une
préoccupation de l'effet d'ensemble que l'on ren-
contre rarement au théâtre et qui, avec la perfec-
tion de l'exécution orchestrale, font le plus grand
honneur à M. Henri Viotta. Tous ceux qui connais-
saient l'éminent capellmeister et avaient apprécié
ses belles qualités musicales, sa grande valeur
artistique savaient qu'il serait à la hauteur de sa
tâche, qu'il réaliserait complètement le projet qu'il
avait conçu ; reconnaissons qu'il a dépassé toutes
les espérances.
Il est heureux de constater que M. Henri Viotta
avait su trouver les appuis les plus précieux ; ces
deux représentations ont coûté 200,000 francs,
pour la plus grande partie souscrits par un amateur
d'art bien connu; le Wagner-Verein d'Amsterdam
a fait le reste et, par un scrupule qu'il convient
d'honorer, il avait refusé d'admettre de nouveaux
membres depuis le début de cette année, écartant
ainsi toute idée de spéculation sur les recettes.
Une conclusion s'impose devant les injustes
protestations et les vaines menaces qu'on avait
élevées outre-Rhin : c'est que rarement la cause
wagnérienne a été servie avec autant de désinté-
ressement, de piété et de préoccupation d'art.
Cantel.
QUELQUES NOTES
SUR LES
FESTSPIELE DE COLOGNE
'est un frappant exemple de l'esprit de
discipline et d'intelligente organisa-
tion qu'apporte le peuple allemand
dans les manifestations musicales que
l'institution des Festspiele de Cologne. Il a suffi
de l'initiative d'un homme animé à la fois d'un
profond amour de son art et d'une énergique
volonté — M. Fritz Steinbach — pour que, en un
court espace de temps, fût mis sur pied l'organisme
qui achèvera de faire de Cologne un centre
musical de premier ordre. Le « Verein zur Veran-
LE GUIDE MUSICAL
499
staltung von Festspielen zu Koln » s'est trouvé
bientôt constitué : les autorités de la ville et de la
province n'ont pas ménagé à M. Steinbach leur
efficace appui; les adhésions des patrons et des
membres souscripteurs du Verein ont été réunies
avec une promptitude qui montre à quel point
l'amour de la musique — et non point un amour
vaguement platonique — est inné dans toutes les
classes sociales en Allemagne Si bien qu'après
quelques mois, le premier cycle de représentations
modèles a pu être donné avec les plus brillants
résultats.
On sait que Cologne dispose d'un théâtre
construit il y a trois ans dans les meilleures con-
ditions; salle riante et fraiche, dépendances
confortablement pratiques, installations de la
scène tout à fait perfectionnées. Dans ce cadre
sympalhique, la direction des Festspiele a réuni
un groupe de chanteurs choisis pour que chaque
personnage soit représenté par un interprète
adéquat, que tous les rôles de second plan soient
remplis par des artistes de valeur. La régie
même est confiée tantôt au directeur de Cologne,
M. Martersteig, tantôt à M. Fuchs de Munich ou
à M. Drcescher de Berlin. Et pour la direction de
l'orchestre, le capellmeister du théâtre, M. Otto
Lohse, s'est fort gracieusement effacé devant MM.
Steinbach et Richard Strauss, ne se réservant que
les M eistcr singer. Cet esprit d'abnégation, ce con-
cours de toutes les volontés pour atteindre au
summum de perfection reste bien caractéristique
de ce peuple de vrais musiciens, qui pensent à
l'œuvre qu'il s'agit de faire valoir avant de songer
à eux-mêmes.
Aussi le résultat de cette première tentative a-t-il
été remarquable. Sans doute, il y eut quelques
imperfections (Bayreuth même en est-il exempt?);
elles n'ont pas détruit la beauté et l'unité de l'en-
semble ; les interprétations des Noces de Figaro et
du Feuersiiot furent absolument belles. Et dans
Fidelio et les M eister singer, l'impression des grandes
pages chorales fut vraiment unique, grâce à la
collaboration des élèves du Conservatoire de
Cologne et des chanteurs du Mânnergesangverein
et du Kolner-Liederkranz ; dans nul théâtre, on
ne pourrait atteindre à plus belle qualité sonore, à
une plus grande délicatesse de nuances, à une
telle chaleur d'expression : le sublime chœur des
prisonniers et le finale de Fidelio, la scène de la
dispute (un prodige de clarté et de rythme) et le
choral de Sachs dans les Maîtres Chanteurs, furent
des moments de profonde joie d'art et de bien-
faisante émotion.
L'orchestre aussi fut excellent au cours de oes
soirées (i); la sonorité du quatuor est superbe de
plénitude et de moelleux, les cuivres ont une dou-
ceur et une netteté d'attaque idéales ; seuls, les tim-
bres des bois ont plus d'âpreté que les nôtres. Mais
quelle expression toujours dans la phrase, quelle
justesse et quelle précision d'accent, et combien,
là aussi, on a la sensation d'une forte discipline
unie au maximum de la bonne volonté et de l'effort
individuel ! Avec Steinbach (Fidelio et les Noces) ,
ce fut le triomphe de la mesure, du colons, du
détail expressif ou pittoresque; avec Strauss
(Tristan et Feuersnoi), la fantaisie souple et fluc-
tuante; avec Lohse, la netteté rythmique et la
grande limpidité d'exposition, laissant désirer tou-
tefois un peu plus de délicatesse sonore et d'aban-
don poétique.
Je n'ai pas à insister sur les œuvres dont se
composait le premier cycle colon ais : leur choix
témoigne de la tendance judicieuse des organisa-
teurs à faire la part égale aux classiques, à
Wagner et aux modernistes : Fidelio, les Noces,
Tristan, les Maîtres Chanteurs, le Barbier de Bagdad,
Feuersnoi. Il y avait de quoi satisfaire toutes les
préférences. Nous entendions pour la première
fois l'œuvre de Strauss, dont la pittoresque donnée
scénique est empruntée à une savoureuse légende
flamande : le Guide musical l'a exposée en détail
après la première de Dresde (21 octobre 1901).
C'est une partition vraiment exquise, surabon-
dante de vie, de couleur, de franche gaîté; em-
preinte aussi, dans les épisodes d'amour, d'un
magnifique souffle d'enthousiasme, de jeune et
lumineuse passion. La génialité d'écriture de
Strauss s'y affirme dans le traitement des voix
comme dans l'orchestre, où la variété, la pro-
priété des timbres, la qualité savoureuse de la
sonorité sont admirables. Entendrons-nous quelque
(1) On avait adopté une disposition nouvelle qui met
admirablement en valeur les instruments à cordes et
qui réalise bien la fusion de tous les éléments sonores;
en voici le schéma :
Scène
bois
Ui
V
m
en
cors tuben
2es violons
jers violons
CD
u
fi
altos trombones
trompettes
violoncelles
harpes
u
timbales
X
chef
L'orchestre comportait 24 violons, S altos, 8 celli,
6 contrebasses, 4 flûtes, 4 hautbois, 4 clarinettes,
4 bassons, 8 cors, 4 trompettes, 4 trombones, 2 harpes,
les gros tuben et la percussion; total, 86 musiciens.
5oo
LE GUIDE MUSICAL
jour Feuersnot en traduction française? L'œuvre le
mérite assurément, et le seul obstacle serait peut-
être dans sa grande difficulté d'exécution... Nous
l'avons dit, à Cologne, ce fut parfait : la meilleure
de toutes les interprétations, au dire de l'auteur.
On avait fait venir les chœurs de Berlin ; la créa-
trice du rôle de Diemeet à Dresde, Mlle Krûll ; le
baryton de Vienne, M. Demuth, dont la voix pre-
nante et souple et la belle diction ont mis en
pleine valeur le rôle de Conrad.
J'avoue avoir éprouvé quelque déception au
sujet du Barbier de Bagdad, si populaire en Alle-
magne; la partition abonde en jolis détails, en
pages de finesse et de charme ; elle comporte même
un finale de belle allure. Mais — sans compter
l'enfantine banalité du sujet — elle est peu scé-
nique. Cornélius fut un merveilleux compositeur
de Lieder ; il l'est trop resté dans son Barbier, dont
la musique ferait en somme meilleure figure au
concert qu'au théâtre. Cela fut bien chanté —
chœurs délicieux, — mais dans une note un peu
trop « sérieuse »; grand succès pour une jeune
basse de Berlin, M. Knùpfer — retenez ce nom —
magnifique organe, chaleureux et pénétrant, style
excellent.
Dans Fidelio (version en deux actes avec récit
parlé) nous entendîmes la « prima » de Vienne,
Mlle von Mildenburg : masque expressif, voix
sonore, de la noblesse, de la flamme, une plastique
intelligemment stylée. Il paraît qu'elle fait une
Isolde admirable (je n'ai pu assister au Tristan de
Cologne) et que, en dépit d'une légère indisposi-
tion, son premier acte à la représentation du
25 juin a été de tous points splendide. On m'a dit
le plus grand bien de la Brangsene, Mlle Kittel, de
Vienne ; M. Schmedes chantait Tristan.
MM. Bertram et Demuth ont personnifié Sachs
aux deux représentations des Meistersingcr : le pre-
mier avec plus de familier abandon, de naturel, de
fine ironie. L'Eva de Mlle Kernic (Francfort) man-
quait de simplicité; le Beckmesser(Nebe, de Berlin)
„et le David (Reiss, de New-York) furent excellents,
comme voix et comme composition, et le Walter
de M. Jorn (Berlin), s'il n'a pas encore grande
autorité, a du moins séduit par son organe char-
mant de fraîcheur et de jeunesse.
Mais le vrai triomphe des Festspiele fut pour
les Noces de Figaro; ici, point de trous ni de défail-
lances ; l'esprit de Mozart ressuscite dans toute
sa grâce fine et tendre ; un orchestre (réduit à une
quarantaine de musiciens) merveilleux de souplesse
aérienne; un ensemble de solistes exceptionnel,
avec, comme chef de file, MmeGadski et M. Bertram.
Cette fois, l'idéal dç la « représentation modèle »
était atteint, et Steinbach fut acclamé et fêté plus
encore qu'après Fidelio.
On voit qu'en résumé, cette tentative présente
un intérêt d'art considérable. Le résultat financier
en est également fort satisfaisant; ce détail a son
importance, puisqu'il assure la vitalité de l'institu-
tion. Pour nous, Belges, le pèlerinage de Cologne
est infiniment plus aisé que celui de Munich ou de
Bayreuth ; et quand l'expérience aura corrigé les
imperfections inséparables d'un premier essai, les
Festspiele rhénans nous intéresseront au même
titre que leurs congénères bavarois. G. S.
LA SEMAINE
PARIS
AU CONSERVATOIRE. — Voici les dates
des prochains concours publics, qui auront lieu
cette année à l'Opéra-Comique, comme on l'avait
réclamé depuis si longtemps :
Lundi 17 juillet, à 9 1/2 heures, contrebasse,
alto, violoncelle.
Mardi 18 juillet, à 1 1/2 heure, chant (hommes).
Mercredi 19 juillet, à 1 heure, chant (femmes).
Jeudi 20 juillet, à midi, violon.
Vendredi 21 juillet, à 9 heures, harpe, piano
(hommes^.
Samedi 22 juillet, à 1 heure, opéra-comique.
Lundi 24 juillet, à midi, piano (femmes).
Mardi 25 juillet, à 1 heure, opéra.
Mercredi 26 juillet, à 9 heures, tragédie, comédie.
Jeudi 27 juillet, à midi, flûte, hautbois, clarinette,
basson.
Vendredi 28 juillet, à midi, cor, cornet à pistons,
trompette, trombone.
Nous publierons l'ensemble du compte- rendu de
tous ces concours dans le numéro qui paraîtra le
dimanche 6 août; les dates fixées pour nos numé-
ros ne nous permettraient de parler que des toutes
premières journées, et on préférera sans doute ne
pas attendre la suite quinze jours.
Les premiers concours à huis clos ont donné les
résultats suivants, toujours sous la présidence de
M. Théodore Dubois :
Solfège des instrumentistes. — Jury : MM.
Théodore Dubois, directeur-président ; Gastinel,
Ed. Mangin, Paul Vidal, Auzende, Mouquet,
Caussade, Catherine,
LE GUIDE MUSICAL
5oi
Hommes. — Premières médailles : MM. Tin-
lot (classe de M. Sujol), Yvain (Cuignache), Bailly
(Rougnon), Truc (Schwartz), Nat (Rougnon),
Mayeux (Schwartz), Brettly (Rougnon), Guilbert
(Rougnon).
Deuxièmes médailles : MM. Deswarte (classe de
M. Sujol), Chagnon (Cuignache), Imand (Schwartz),
Magniez (Cuignache).
Troisièmes médailles : MVT. Girard (classe de
M. Schwartz), Gareau (Cuignache), Bourdon (Cui-
gnache), Allard (Rougnon), Bonville (Cuignache),
Tesson (Cuignache), Gilles (Schwartz).
Femmes. — Premières médailles : M'les Lewin-
sohn (classe de Mme Renart), Van Lysebeth (Roy),
Verdier (Sauterau), Sandrini (Marcou), Cadot
(Marcou), Schwitz-Guebel (Sauterau), Landsmann
(Roy), Janet (Sauterau), Petit (Hardouin), Santori
(Vizentini), Soyer (Renart), Léon (Roy), Cavoret
(Marcou).
Deuxièmes médailles : Mlles Fougueuse (classe
de Mme Hardouin), Ganne (Marcou), Malvoisin
(Roy), Ravaisse (Roy), Steff (Hardouin), Valluel
(Sauterau), Cousin (Renart), Filon (Massart),
Rougnon (Hardouin), Touzé (Vizentini).
Troisièmes médailles : Mlles Bonniol (classe de
Mme Marcou), Déroche (Roy), Geoffroy (Vizentini),
Capelle (Vizentini), Dienne (Hardouin), Soulage
(Marcon), Mathé (Massart), Deschamps (Roy),
Bouffard (Roy), Cuignache (Vizentini), Meyers
(Massart), Meymieu (Vizentini), Roussel (Renart),
Royé (Vizentini), Samson (Vizentini), Birman
(Sauterau), Largillière (Massart), Verbonwens
(Renart), Taillefeue (Sauterau'».
Solfège des chanteurs. — Jury : MM. Théo-
dore Dubois, président ; Schwartz, Paul Rougnon,
Vizentini, Canoby, Catherine, Caussade, H. Ey-
mieu.
Hommes. — Première médaille : M. Dommier
(élève de M. Auzende).
Deuxièmes médailles : MM. Lucazeau (Ver-
naelde), Sarraillé, (Auzendei.
Troisièmes médailles : MM. Nansen (Auzende),
Gilles (Vernaelde), Corpait (Vernaelde), Carbelly
(Vernaelde).
Femmes. — Premières médailles : Mlles Bardot
et Tasso (élèves de M. Mangin).
Deuxièmes médailles : Mlles Rosetsky (Mme Vi-
not), Bailac (M. Mangin), Jeanne Bloch (Mme Vi-
not).
Troisièmes médailles : Mlles Martyl (Mme Vinot),
Mirai (M. Mangin), Garchery (V!™- Vinot), Hou-
douin (M. Mangin), Lucette Toselli (M. Mangin),
Gustin (M. Mangin).
Harmonie (hommes). — Jury : M. Th Dubois,
président; MM. Gabriel Fauré, Marty, Hille-
macher, Mangin, Dallier, Charles René, Louis
Ganne, Piffaretti, membres, et M. Ferdinand
Bourgeat, secrétaire.
Premiers prix : MM. Chevaillier (élève de M.
Lavignac), Krieger (Lavignac). Albert Wolff
(Leroux). Deuxième prix : M. Emile Bourdon
(Lavignac). Premier accessit : M. Defay (Taudou).
Deuxièmes accessits : MM. Roussel (Leroux),
Adrien Lévy (Taudou).
Piano (classes préparatoires). — Jury : MM.
Théodore Dubois, président-directeur; MM. Alph.
Duvernoy, Diémer, Marmontel, Anatole Bernar-
del, Joseph Thibaud, Morpain, Lazare Lévy,
Ferté de Lausnay, membres, et M. Fernand
Bourgeat, secrétaire.
Elèves femmes. — Première médaille. — Mlles
Landsmann, élève de M. Tarpet ; Déroche, élève
de M. Tarpet; Brazillier, élève de M. Chené ;
RufHn, élève de M. Trouillebert.
Deuxième médaille. — Mlles Bergez-Cazalon,
élève de M. Tarpet; Raye, élève de M. Tarpet;
Esteoule, élève de M. Tarpet; Suzanne Canale,
élève de Mme Trouillebert; Goetz, élève de
M. Tarpet.
Troisième médaille. — Mlles Macpherson, élève
de Mme Trouillebert; Renelle, élève de Mlle Chené;
Vagner, élève de Mlle Chené; Dubois (Germaine),
élève de MUe Chené.
Elèves hommes. — Première médaille. —
MM. Trilliat et Ciampi.
Pas de deuxième médaille.
Troisième médaille. — MM. Dieschlbourg,
Moreau (Pierre) et Naudin.
&
CONCERT DE MUSIQUE RUSSE —
Mme Félia Litvinne a bien mérité de la patrie
russe et de l'art en général en organisant comme
elle l'a fait le concert du 27 juin, à la salle du
Nouveau-Théâtre, au profit du train-hôpital
patronné par la grande-duchesse Wladimir. Rare-
ment, pour ces sortes de fêtes, programme aussi
réussi aura été combiné et exécuté, et positivement,
aucun de ses numéros n'était indifférent ou même
secondaire. Le choix des œuvres, toutes russes,
était aussi instructif pour nous que charmant au
point de vue musical, et celui des exécutants était
des plus rares et exquis, sous la direction très
souple et attentive de M. Pierre Carolus-Duran.
L'orchestre seul a exécuté un tableau sympho-
nique de Glazounow intitulé Le Printemps, qui est
5o2
LE GUIDE MUSICAL
d'une originale sonorité et d'une charmante fraî-
cheur, un peu à l'école des Murmures de la forêt
de Siegfried, avec plus d'oiseaux, et pour finir, une
ouverture de Rimsky-Korsakow sur des thèmes de
l'Eglise russe, La Grande Pdque russe, page magis-
trale et fort intéressante, mais un peu longue
cependant, car elle donne trop souvent l'impression
qu'elle va finir... pour recommencer de plus belle,
et ces rebondissements déroutent. Mme Litvinne a
chanté, avec son art si poétique, une berceuse
à'Harold (opéra de Naprawnick) et la Nuit de
Rubinstein. MM. Diémer et G. Grovlez ont joué,
sur deux pianos, une Fantaisie russe du même
Naprawnick, sorte de variations sur le thème des
Bateliers du Volga, qui a fait le succès du second
acte de Siberia, aux Italiens, voici quelques
semaines. M. Jacques Thibaud a exécuté — avec
quel art et quelles ovations! — une romance
délicate et pénétrante de Wieniawsky, et la polo-
naise du même, étourdissante de virtuosité, mais
non sans de charmants passages. Enfin, et ce fut
la grande curiosité de la séance, nous avons fait la
connaissance du ténor de Saint-Pétersbourg
M. Altchevsky, dont le st}-le et la méthode vocale,
autant que la voix vibrante, au timbre sonore et
puissant capable d'exquises douceurs, nous ont
tout à fait ravis. Il a chanté, à l'orchestre, une
cavatine, avec récit, du Prince Igor de Borodine,
puis, au piano, et en s'accompagnant lui-même,
une Chanson hindoue de Rimsky-Korsakow, page
aux tonalités toutà fait ravissantes, une romance de
César Cui, en demi-teinte, et une vibrante et fière
sérénade de Rachmaninoff.
La seconde partie du concert comportait un
acte de la Judith de Seroff, le second, en costumes
et en décors, avec Mme Litvinne comme protago-
niste (aussi bien, l'acte, où Judith décide son expé-
dition contre Holopherne, est-il presque un simple
monologue). La curiosité de cette nouveauté,
l'acte étant joué réellement ainsi pour la première
fois en France, avait sans doute tenté Mn'e Lit-
vinne; il n'aurait pourtant guère perdu, étant
données les scènes qu'il représente, à être simple-
ment chanté en concert. A part la grande artiste,
qui y mettait toute son âme, avec la richesse de sa
voix magnifique, les autres interprètes, MM. Da-
raux et Challet et Mlle Lapeyrette (remplaçant au
pied levé Mme Gerville-Réache empêchée), lisaient
leurs rôles... Ils n'auraient pas été plus froids sans
costumes. L'œuvre musicale est d'ailleurs assez
inégale, mais avec de fiers élans, des motifs très
caractéristiques et une tenue générale d'un bel
accent, dans la mélodie ou à Torchestre. Elle
remonte à i863, et Seroff vient après Glinka dans
la chronologie du théâtre lyrique russe. Albert
Soubies, dans son Histoire de la musique en Russie, en
rapproche le style de celui de Lohengrin ; c'est assez
cela en effet. Le texte français est dû à M. J d'Of-
foël ; il a paru sonore et ferme. H. de Curzon.
A L'ACADEMIE DES BEAUX-ARTS. —
Le concours de Rome pour la musique, jugé le
samedi Ier juillet, a donné les résultats suivants :
Premier grand prix : M. Gallois ;
Deuxième premier grand prix : M. Marcel
Rousseau ;
Premier second grand prix : M. Gaubert;
Deuxième second grand prix : M. Dumas.
Le sujet était un acte intitulé Maia, tiré du
du Roman d'un Spahi de Pierre Loti, par M. Fernand
Bessier. Les interprètes des deux vainqueurs ont
été, pour M. Gallois : Mme Auguez de Montalant,
MM. Cazeneuve et Riddez ; pour M. Rousseau :
Mlle Demougeot, MM. Devriès et Dufranne.
On sait que les six candidats logistes étaient
élèves de M. Lenepveu et qu'aucun d'eux n'avait
encore été mentionné au concours de Rome. Les
deux qui n'ont pas été nommés cette fois sont
MM. Estyle et Motte. Quant aux deux titulaires
du grand prix (la démission de M. Pech, le prix de
l'an passé, avait laissé une place de plus à la Villa
Médicis), cette victoire d'emblée, pour n'être pas
anormale, est encore assez rare dans les annales
des prix de Rome.
Ce qui est plus rare encore, et même sans pré-
cédent, c'est la réalisation de ce rêve qu'avait dès
longtemps formé notre ami si regretté Samuel
Rousseau : un fils camarade de son père. Ce succès
de Marcel Rousseau, nous l'escomptions tous;
nous le savions extraordinairement doué, et déjà
deux concours où il triompha, si jeune (le prix
Rossini, avec cette partition, Le Roi Arthus, dont
nous avons rendu compte ici, et cet autre prix qui
lui a ouvert, pour un petit opéra-comique déjà en
répétitions, les portes de l'Opéra- Comique) avaient
assuré son père qu'il pouvait avoir toute confiance
dans son avenir. Que n'est-il encore parmi nous
pour l'applaudir et l'introduire dans ce même
palais et cette chambre même qui furent jadis les
siens! C'est en 187S que Samuel Rousseau avait
eu son prix, et, coïncidence curieuse, dans les
mêmes conditions que Marcel : il y avait deux
grands prix à la fois à nommer. La seule nuance,
c'est que Marcel n'avait jamais concouru encore
LE GUIDE MUSICAL
5o3
et qu'il n'a que vingt-deux ans. Nous lui adressons
nos plus chaudes félicitations.
M. Léon Gallois est né à Douai le 16 mars 1S80 ;
M. Marcel Rousseau est né à Paris le 18 août 1882 ;
M. Philippe Gaubert est né à Cahors le 4 juillet
187g; on connaît déjà ce remarquable artiste, qui,
non content de son talent de flûtiste (premier prix
en 1894, à quinze ans, et comme tel à l'Opéra puis
au Conservatoire), a voulu faire toutes ses classes
de compositeur et emportait récemment, au con-
cours le plus difficile, la place de second chef
d'orchestre de la Société des Concerts.
— M. Guilmant a terminé, pour cette année, ses
auditions intimes d'orgue par une séance consacrée
à J.-S. Bach. L'éminent professeur a joué, avec sa
perfection habituelle et sa technique merveilleuse
d'organiste, la célèbre Passacaille, la deuxième
sonate, en ut mineur, dont l'adagio est d'une déli-
catesse et d'une intimité exquises, puis six chorals.
On ne se lasse pas de ces œuvres si profondes et si
variées.
Le 26 juin, M. Guilmant avait donné des œuvres
françaises modernes (Niedermeyer, Benoit, le pre-
mier professeur d'orgue au Conservatoire, Salomé,
Georges Deslandres, Saint-Saëns, Ch. Valentin
Alkan). Ces pièces ne sont pas toutes de grande
valeur, plusieurs paraissent un peu vides à côté
des œuvres contemporaines où les organistes ont
de grandes recherches de contrepoint el de
registration. Cependant, on entend avec intérêt la
Prière d' Alkan, transcrite du piano pédalier par
Franck. Alkan fut un artiste savant et sincère, qui
eut avec Franck beaucoup d'analogie de caractère
et de talent. On aurait tort de le laisser tomber
dans l'oubli.
La troisième sonate de M. Guilmant est une
œuvre intéressante et d'exécution difficile. Le
prélude est d'une belle venue et d'une puissante
sonorité ; Y adagio est tout de charme et de douceur.
F. G.
— Le concert Rouge, qui depuis de longues
années déjà présente aux mélomanes de la rive
gauche les chefs-d'œuvre du répertoire classique
vient de clore ses intéressantes soirées jusqu'en
septembre. Au milieu des œuvres classiques qui
forment le fond de ses programmes, à côté de
Beethoven, de Schumann, de Mendelssohn et
parfois même Wagner, figurent quelquefois de
curieuses productions modernes. C'est ainsi qu'à
la dernière séance, nous avons pu applaudir
une sérénade très expressive, pour violon solo
et quatuor à cordes, de M. de Souza-Meïral,
parfaitement interprétée par M. Dorson, le Lied
pour violoncelle et orchestre de d'Indy et la
sonate de Boëllmann exécutés avec sa sûreté et sa
sonorité habituelles par M. Touche. Il faut souhai-
ter à ces réunions bien artistiques, pour la saison
prochaine, un succès égal à celui qui accueillit les
exécutions passées. Ch. C.
BRUXELLES
CONSERVATOIRE. — Les concours se sont
poursuivis dans l'ordre suivant :
Jury : MM.. Gevaert, Dubois, Ermel, Leenders
et Wallner.
Harpe chromatique, professeur M. Risler. — Deu-
xième prix avec distinction à Mlle Delcorde, qui a
exécuté Validante du concerto de Van Overeem,
une romance de Ch. Lefebvre et une gigue de
J.-S. Bach.
Harpe diatonique, professeur M. Meerloo. —
Premier prix avec distinction, Mlle De Sloovere;
deuxième prix, Mlle Keating, qui ont exécuté la
fantaisie de Th. Dubois et des morceaux de
Godefroid et de Fauré.
Mme de Zarembska, professeur de musique de
chambre, avait présenté six élèves qui ont exécuté
des fragments de sonates et de trios pour violon,
violoncelle et piano. Premier prix avec distinction,
Mile Verheyden ; premiers prix, Mlles Declercq et
Deulle ; deuxième prix, Mlle Vanhoren ; premiers
accessits, M. Verheyden et Mne Mantin.
Les concours de piano ont commencé par les
classes de MM. Gurickx et Wouters, qui ont pré-
senté des élèves intéressantes, MUe Etien notam-
ment, qui a remarquablement interprété le mor-
ceau imposé, Y allegro du concerto en la mineur de
Hummel.
Premiers prix avec distinction : MUes Roerelle et
Simonon, élèves de M. Wouters; Mlle Coryn,
élève de M. Gurickx.
Premiers prix : Mlles Maes et Etien, élèves de
M. Gurickx; Mlle Taboux, élève de M. Wouters.
Deuxièmes prix avec distinction : Mlles Godenne
et Recke, élèves de M. Wouters; Mllf?s Gilbert et
L'Hoir, élèves de M. Gurickx.
Deuxièmes prix : Mlles Mercier,, élève de M.
Wouters; Defois, élève de M. Gurickx.
Premier accessit : Mlle Heylen, élève de M. Gu-
rickx.
M. Arthur Degreef ne présentait cette année
que deux élèves, mais de véritables artistes et de
5c>4
LE GUIDE MUSICAL
beaux virtuoses, qui font honneur à l'enseignement
admirable de leur éminent maître.
Ils ont exécuté le larghetto et rondo du concerto
en la mineur de Hummel, six préludes et fugues du
Clavecin de J.-S. Bach; en outre, M. Laoureux a
interprété la barcarolle en fa dièse majeur de
Chopin, et M. Richards, les Variations et Fugue sur
tm thème de Hœndel, de Brahms.
Le premier prix avec la plus grande distinction
a été décerné à M. Laoureux, et le premier prix
avec distinction à M. Richards.
Mlle Wouters, élève de son père, a obtenu le
prix Laure Van Cutsem en jouant la sonate en fa
dièse mineur de Schumann.
Les concours de violon, débutent toujours, on le
sait, par un choix d'études à présenter par chaque
concurrent dans les répertoires de Fiorillo,
Kreutzer et Rode. Puis, c'est le morceau imposé,
le premier solo du septième concerto de de Bériot,
un fort joli morceau de concours réunissant les diffi-
cultés et les ressources de l'instrument. Enfin, la
dernière journée, divisée en deux séances, est toute
consacrée à l'audition des morceaux au choix où
se donne carrière la virtuosité spéciale à chaque
concurrent.
Voici les résultats :
Elèves de M. Thomson : Mlle Jean, premier prix
avec la plus grande distinction ; Mlles Bues et
Rosa, premiers prix avec distinction ; premier prix,
M. Lecomte; seconds prix, MM. De Barincourt,
Chiolo, L'hoir et Janssens ; premiers accessits,
MM. Baehy et Leleu.
Elèves de M. Cornélis : premier prix avec dis-
tinction, Mlle West ; premiers prix, MUe Schorns-
tein, MM. Déifiasse et Bonjean; second prix avec
distinction, MIle Laidlaw; second prix, M. Hen-
drickx.
Elèves de M. Marchot : premier prix avec
distinction, M. Van Neste; deuxièmes prix avec
distinction, MM. Massia y Pratz, L'Homme;
deuxièmes prix, MM. Putzeis, Craen et Pellaert.
— M. Sylvain Dupuis a dirigé aux Waux-Hall
quelques très beaux concerts, auxquels d'excellents
artistes ont prêté leur concours. Le violoniste
M. Henry Merck s'est fait applaudir longuement
dans le concerto de Saint-Saëns et deux œuvres
de V. Herbert, Légende et Pensée amoureuse; M.
François, du théâtre de la Monnaie, a chanté un
air de Breydel et De Coninck de Léon Dubois et la
Procession de César Franck.
Cette semaine, nous avons eu l'occasion
d'entendre le ténor russe M, Altchevsky, qui fit
une courte apparition l'hiver au théâtre de la
Monnaie.
L'excellent artiste possède un talent vraiment
remarquable, il a chanté l'air du Prince Igor de
Borodine, avec orchestre, des mélodies de Gla-
zounow, Rimski, C. Cui, s'accompagnant lui-
même au piano ; enfin, après de nombreux rappels,
le Preislied des Maîtres Chanteurs.
— La Grande Marche jubilaire de M. Paul Lebrun,
composée pour la manifestation patriotique qui
a eu lieu dimanche dernier à Tervueren, a obtenu
un grand et vif succès. L'œuvre a fait grande
impression sur le public.
— M. Charles Vanden Borren a continué, le
mercredi 28 juin, à l'Ecole de musique et de
déclamation d'Ixelles, sa conférence sur le Senti-
ment de la nature en musique, conférence qui a obtenu
un grand succès. — Comme exemple, Mlle Evers
a joué avec beaucoup de sentiment la Sonate
pastorale de Beethoven et le prélude du troisième
acte à'Euryanthe de Weber ; Mlle Rosa Piers a
chanté avec grâce des mélodies de Schubert et de
Schumann
Le programme comprenait en outre l'entr'acte
du troisième acte de Hutiade C. Franck, la Cène
(fragment), deuxième tableau de la Passion du
Christ, drame sacré, de M. Henri Thiebaut. Cette
intéressante séance se terminait par le trio des
filles du Rhin du Crépuscide des- Dieux, fort bien
chanté par Mmes Miry-Merck, Boulvin et R. Piers.
\o
J-T.
CORRESPONDANCES
BUCAREST. — Aux six concerts sympho-
niques de l'année dirigés par M. Ed. Wach-
mann, il nous a été donné d'entendre, en dehors
de pages connues et aimées de Mozart, de Haydn,
de Beethoven, de Schubert et de Wagner, de l'ou-
verture du Roi d'Y s de Lalo et des Impressions
d'Italie de Charpentier, plusieurs œuvres en pre-
mière audition : trois rapsodies de Dvorak, la
troisième symphonie de Bruckner, d'une noble
inspiration, d'où se dégage une puissante et origi-
nale personnalité; l'intermède du Jongleur de
Notre-Dame et une suite d'orchestre du Grillon
de Massenet, pages de charme et d'élégance;
la suite symphonique Schéhérazadc de Rimsky-Kor^
LE GUIDE MUSICAL
5o5
sakoff, traitée d'une main habile, et enfin Mort
et Transfiguration de Richard Strauss, d'un souffle si
grandiose et d'une conception si hardie, si élevée
et toujours si musicale.
M. I. Friedmann, le pianiste dont j'ai loué dans
une précédente correspondance le jeu mâle et la
belle technique, exécuta au deuxième concert sym-
phonique le premier concerto de Liszt ainsi que
la pastorale de Scarlatti, un prélude de Chopin et
la fantaisie sur Don Juan de Liszt.
Au cinquième concert, M. R. Malcher, profes-
seur de violon au Conservatoire de musique, joua
le deuxième concerto de Wieniawsky.
Citons, parmi les meilleurs concerts, celui de
Mme Elodie Coanda, une gracieuse harpiste au jeu
poétique; celui du violoniste berlinois M. Arthur
Hartmann, virtuose brillant, au mécanisme parfait;
celui de M. Diran Alexanian, le jeune violon-
celliste bien connu des Parisiens, qui obtint un
très vif succès dans la sonate de L. Boëllmann,
dans celle de Boccherini, dans l'allemande, la
gavotte, la sarabande et la gigue de Bach exécutées
par le violoncelle seul, dans la romance de
Svendsen, Danse tzigane de Jéral, Menuet et Varia-
tions de Locatelli et dans le madrigal de Simonetti.
Jeu noble, sonorité pleine et souple, ce sympa-
thique virtuose, doublé d'un excellent musicien,
possède en plus un coup d'archet d'une subtilité
et d'un esprit qui en font un des violoncellistes les
plus attrayants que l'on puisse entendre.
Citons enfin le concert de M. D. Popovici,
directeur du Conservatoire de musique de Buca-
rest. Dans des pages de Haendel, Mozart, Beetho-
ven, Schumann. Schubert, Wagner, Weingartner
et des musiciens roumains Caudella, Stepbanesco
et Dima, ce remarquable baryton nous a enchanté
par sa voix au timbre prenant, par sa diction
parfaite, par ce don qu'il possède de « vivre » ce
qu'il exprime.
Et pour clore l'année musicale, si féconde en
manifestations intéressantes, M. -G. Kiriak et ses
excellents chœurs ont remporté, devant une salle
absolument comble, un succès sans précédent
dans des œuvres chorales signées des noms les
plus aines parmi les musiciens étrangers et rou-
mains. Michel Margaritesco.
DUSSELDORF. — Le quatre-vingt-deu-
xième festival rhénan est loin d'avoir obtenu
le succès qui semblait être devenu une tradition à
Aix-la-Chapelle, à Cologne et à Dusseldorf. Le
programme, déjà, n'avait pas l'attrait de celui de
l'année dernière, par exemple; la direction, d'autre
part, avait été assumée entièrement par M. Julius
Buth, de Dusseldorf, un excellent chef d'ailleurs,
mais qui n'a pas encore la renommée des grands
capellmeisters que l'on est habitué à acclamer aux
festivals rhénans.
Est-ce pour ces raisons que le nombre des visi-
teurs nous a paru moins considérable que précé-
demment, impression que nous confirmait un ami
bien informé, nous assurant qu'il y avait cette
année un déficit important, qui avait été comblé
par quelques mécènes de Dusseldorf?
Par contre, le nombre des musiciens était
énorme : i36 instrumentistes et 400 chanteurs.
Le premier concert débutait par une œuvre aussi
intéressante au point de vue musical qu'au point
de vue historique, la Sonata pian e forte (alla quarto
bassa) de Giovanni Gabrielli, et se continuait par
l'oratorio de Haendel, Israël en Egypte. L'orchestre
fut somptueusement sonore, les chœurs, admira-
bles de discipline et de perfection, les soli remar-
quables. Il faut rendre hommage au talent de miss
Muriel Foster, qui a été excellente (surtout dans
Yarioso), à Mme Irène Abendroth, qui possède une
belle voix de soprano, à M. Jacques Urlus, très
beau dans le personnage du Récitant, à MM. Paul
Knùpfer (basse) et G. Warschow (baryton);
l'orgue était tenu par M. Franke, de Cologne,
dont le talent égale la grande réputation.
Au second concert, la cantate de Bach « Ainsi
Dieu a aimé le monde », médiocrement comprise
et insuffisamment rendue, une symphonie à deux
travers, deux violons, alto et basse de Wilhelm
Fiiedmann, le Bach de Halle, très intéressante; la
sonate pour violon de Tartini (soliste M. Fritz
Kreisler); le concerto pour piano, en si, de Brahms
(M. Ernest von Dohnanyi), et enfin la deuxième
symphonie, en ut mineur, de Gustave Mahler.
Le poème symphonique Appalachia de Fred.
Delius est une œuvre descriptive dans laquelle le
compositeur a voulu rendre les grandes impres-
sions de la vie errante dans les savanes américaines
et de la vie des planteurs des bords du Mississipi.
C'est d'un impressionnisme curieux à bien des
égards et intéressant comme combinaison de
thèmes ; l'exécution en a été soignée et M. Gustave
Virchow a tenu avec beaucoup de mérite la partie
de baryton solo.
Mais le programme de ce dernier concert était
vraiment trop chargé. On a goûté encore un cycle
de Lieder orchestrés avec infiniment d'esprit, La
Canzone dei Ricordi de Giuseppe Martucci ; mais le
concerto de violon, en la, de Mozart (M. Fritz
Kreisler), le Tiïï Eidenspiegel et Dos Tal (M. Paul
I
5o6
LE GUIDE MUSICAL
Knùpfer) de Richard Strauss, deux œuvres de
Cornélius et enfin la fantaisie pour chœur de
Beethoven, avec M. von Dohnanyi au piano, ont
passé à moitié inaperçus en raison de la fatigue
causée par un programme aussi lourdement chargé.
Nous avons vu rarement un festival rhénan se
terminer sur cette impression pénible, et il est à
espérer que l'expérience de cette année nous
ramènera aux traditions qui firent jusqu'à présent
la gloire et le charme de ces grandes solennités
musicales. Cantel.
LA HAYE. — Au dernier concert hebdo-
madaire des solistes au Kursaal de Scheve-
ningue, nous avons eu la bonne fortune d'applaudir
M. Anton Van Rooy, qui a chanté un fragment du
second acte de Tannhàuser, le monologue de
Sachs au troisième acte des Maîtres Chanteurs et
les Adieux de Wotan de la Wàlkyrie.
Au dernier concert symphonique du vendredi,
M. Scharrer nous a donné une première exécution
très remarquable de la cinquième symphonie de
Gustave Mahler, qui a obtenu un très grand
succès.
Le conseil échevinal de La Haye vient de
renouveler pour cinq années le bail de MM. Van
Bylevelt et Lefèvre, directeurs du Théâtre royal
français.
Au festival annuel de la Nederlandsche Toon-
kunstenaars Veneeniging, qui a eu lieu à Deventer,
on a exécuté le premier, jour sous forme de con-
cert, un opéra, Der Falsche Zar, de M. Jan Ryken,
sous sa direction, avec le concours de M!le Anna
Rappel, Mmes de Haan-Manifarges, Kruyt-de Nys,
de MM. Thomas de Nys et Litzinger. L'ouvrage,
qui contient des pages intéressantes, n'a pas
répondu à ce que l'on semblait en droit d'attendre
du compositeur. Ed. de H.
LONDRES. — Le théâtre de Covent-Garden
a repris Don Juan avec MM. Scotti et
Caruso, Mmes Destinn et Agnès Nicholls. Deux
représentations à! Orphée ont été un vrai triomphe,
l'une pour Mme Kirkby Lunn, l'autre pour
Mme Gerville-Réache ; Mrae Jeanne Raunay, qui
avait débuté quelques jours auparavant dans le
Bal masqué, a été très applaudie dans le rôle d'Eu-
rydice. La première de YOracoïo, opéra en un acte
tiré d'une comédie qui eut un grand succès il y a
quelques années, Le Chat et Je Chérubin, une histoire
de la vie chinoise à San-Francisco, a été favora-
blement accueillie ; très italienne, la musique de
M. Franco Leoni est sobre, claire; MM. Sutti,
Dalmorès et Mlle Donalda y ont remporté un grand
succès.
Parmi les œuvres les plus remarquées au théâtre
Waldorf, il faut citer en première ligne VAdriemie
Lecouvrcur de Cilea.
Les concerts tirent à leur fin; nous avons
entendu successivement Kubelik, Vecsey, Mischa
Elman, Frances Macmillen, miss Muriel Foster
avec Mme Chaminade, Mlles Rosa Olitzka, Esther
Palliser, Mme Albani, MM. Louis Arens et Boris
Hambourg.
Le concert d'œuvres de jeunes compositeurs
anglais a révélé des talents intéressants; on y a
apprécié surtout une scène pour chant et orchestre
de M. G. von Holst, qui, en dépit d'influences
wagnériennes très sensibles, a été vivement
applaudie. N. Gatty.
OSTENDE. — Le Kursaal a ouvert ses
portes plus tôt que de coutume, cette année ;
les concerts ont, en effet, commencé le 10 juin.
L'orchestre, déjà aguerri par le travail prélimi-
naire à sa brillante campagne de concerts donnés
à Londres du Ier au S juin, nous est revenu ayant
déjà acquis la cohésion voulue. C'est ainsi que,
dès le début, nous avons eu des exécutions soi-
gnées des ouvertures de Berlioz, Wagner, Weber,
des suites d'orchestre de Grieg. Bizet, Massenet
— ce nom surtout domine dans nos programmes,
— des ballets de Delibes, Gounod, Paladilhe,
Saint-Saëns ainsi que de toute la musique de
genre qui fait le fond du répertoire des casinos
belges et français.
L'orchestre du Kursaal a gardé sa composition
habituelle de cent vingt-cinq artistes ; presque tous
les chefs de file sont revenus, MM. Deru (violon),
Strauwen (flûte), Dejean (hautbois), Heylbroeck
(cor), Mlle Stroobants (harpe), M. E. Jacobs (violon-
celle solo), etc. Avec des chefs de pupitre de cette
trempe, superbement entourés et conduits par le
chef plein d'expérience, d'énergie et d'aiitorité,
l'on peut prédire pour cet été une saison musi-
cale aussi brillante que ses devancières.
De même que l'année passée, il y a chaque soir
un soliste du chant. M. Duc, ancien fort ténor de
l'Opéra, a ouvert le feu ; puis on a entendu suc-
cessivement Mme Feltesse, toujours également
applaudie, MIles Gillard et Vauthrin, de l'Opéra-
Le guide musical
507
Comique, Mlles Miranda, Simony, Foreau, de la
Monnaie, MUes Pacary, Rozanne, Julliaa, Daffetye,
Coëlho, Mme Fournier de Noce, de Paris, les ténors
Swolfs, Nuibo, Audouins, Gaston Dupuis, Louis
Girod, les barytons Bourbon, Decléry, de la
Monnaie, Gilly, de l'Opéra, Roselli, Seguin, etc.
Depuis le 2 juillet, même, il y a une cantatrice
chaque après-midi; ajoutez à cela les séances
d'orgue données par le remarquable virtuose
M. Léandre Vilain, et l'on voit que la musique ne
chôme guère à Ostende.
Les concerts artistiques spécialement consacrés
à l'audition de virtuoses, et au cours desquels nous
entendrons les Ysaye, Pugno, Risler, De Greef,
Rebner, Kubelik, etc., se donnent cette année le
vendredi soir. Au premier, nous avons eu une
remarquable exécution de La Mer de Paul Gilson,
que M. Léon Rinskopf fut le premier à exécuter,
en 1902, après la création de l'œuvre aux Popu-
laires, puis des fragments symphoniques du Cré-
puscule; le soliste, M. Jacobs, a interprété sur la
« viola di gamba » quelques pièces de Marais,
Bach, Hsendel et Boccherini.
Au prochain vendredi artistique, M. Théo Ysaye
donnera les Variations symphoniques de C. Franck
et le concerto en mi bémol de Liszt.
Le nouveau théâtre s'ouvrira le i5 de ce mois,
pour une campagne d'opéra-comique et d'opérette;
les soirées sensationnelles seront, sans doute, les
représentations de la Duse et celle du fameux
ténor Caruso, pour lesquelles la direction des
Bains de mer a fait des sacrifices énormes.
L. L.
NOUVELLES
Parmi les candidats qui auraient le plus de
chances de succéder à M. Ernest von Possart
comme intendant des théâtres de la cour de Ba-
vière, on cite en première ligne le colonel baron
von Speidel, chef de division au ministère de la
guerre. Si étrange que soit cette nouvelle,
elle paraît être considérée comme certaine par les
organes les mieux informés de la presse allemande.
11 semble en effet qu'on veuille faire de l'inten-
dance une des dignités honorifiques de la cour. Le
baron de Speidel, simple amateur de musique,
semble tout désigné pour occuper à merveille cette
situation nouvelle. Il est d'ailleurs fort bien en
cour, son père ayant été l'un des compagnons
d'armes du prince régent depuis leurs études à
l'école militaire.
Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'en Alle-
magne, les intendants de théâtre sont souvent
d'anciens officiers. Le journal la Poste en cite
douze : à Berlin, M. Georges von Hùlsen, un cui-
rassier de la garde; à Wiesbaden, M. Kurt von
Mutzenbecher, un hussard; à Cassel, le baron de
Gilsa, un artilleur; à Dresde, le comte Nicolas von
Seebach, de la cavalerie de la garde ; à Stuttgart,
M. Joachim Gans, noble seigneur de Putlitz, un
grenadier; à Schwerin, le lieutenant baron Charles
de Ledebur; à Strelitz, M. Paul von Baerenfels-
Warnow, un grenadier de la garde; à Weimar, le
major Hippolyte von Vignau, un grenadier; à
Brunswick, le baron Jules von Wangenheim, un
fantassin; à Gotha, M. Fritz von Rùxleben, un
marin; à Oldenbourg, M. von Radetzky-Mikulicz,
un grenadier; à Altenbourg, le baron von Kage-
neck, un chasseur badois.
— L'Opéra royal de Berlin vient de publier la
statistique de ses représentations :
Trois nouveautés : Mariage contre volonté de
Humperdinck, Riibezahl de Sommer et Roland de
Berlin de Leoncavallo.
Reprises nouvelles : Euryanthe, Lucie de Lammer-
moor, le Cheval de bronze, Cosifan tutte, etc.
Il y a eu soixante-dix -huit représentations wagné-
riennes, vingt-sept du Roland de Berlin, quinze des
Joyeuses Commères, treize de Mignon, onze de
Carmen, dix de Htensel et Gretel et de Manon, deux
ou trois de Cosi fan tutte, d' 'Euryanthe, de Robert le
Diable, une d'Orphée, à!Aïda, de la Muette, de
Lucie, etc.
— On vient d'inaugurer à Vienne le monument
élevé dans un des angles du square, devant l'hôtel
de ville, à la mémoire de Johann Strauss et de son
émule et ami Joseph Lanner qui, il y a un siècle,
ont créé et systématisé le genre de la valse vien-
noise. Le monument a été donné à la ville par un
comité qui en a réuni les frais par souscription.
Les deux premiers « rois de la valse » sont repré-
sentés debout, Lanner le violon et l'archet à la
main, Strauss semblant diriger un orchestre. Un
bas-relief figure des danseurs de tout âge entraînés
par la musique des deux maîtres populaires. Une
foule considérable de Viennois qui ont le culte de
leur cité et de ses souvenirs ont assisté à l'inaugu-
ration. Le ministre de l'instruction, M. de Hartel,
le bourgmestre docteur Lueger, l'archiduc Fré-
5o8
LE GUIDE MUSICAL
déric, représentant l'Empereur, ont prononcé des
allocutions.
— Le musée de l'Opéra de Paris vient de s'en-
richir d'un buste de Louis Gallet, par Paul Grat,
don de Mlle Marguerite Gallet, fille du célèbre
librettiste.
Ce marbre a pris place dans la galerie latérale.
M. Malherbe, le sympathique archiviste, vient
de trouver, dans une succession, soixante maquet-
tes, reconstitution de scènes du xvme siècle avec
perspective de huit et dix plans d'Engelbach.
— Une plaque destinée à perpétuer la mémoire
de Hugo Wolf a été inaugurée à Perchtolsdorf
(Autriche).
— Deux chefs-d'œuvre du théâtre d'Alfred
de Musset vont être mis en musique, On ne badine
$as avec l'amour par M. Gabriel Pierné et André del
Sarlo par MM. Paul et Lucien Hillemacher.
— Rappelons que c'est le 3 août qu'aura lieu à
Paris le concours Rubinstein.
— M. Joseph Joachim vient de recevoir du
gouvernement britannique la grande médaille d'or
pour les arts et les sciences.
— Feu Donizetti contre la Société des Auteurs :
En 1S97, M. Malherbe, l'excellent bibliothé-
caire de l'Opéra de Paris, se Tendit à Bayonne à
l'occasion du centenaire de Donizetti et y fit la
connaissance de Giuseppe Donizetti, le petit-
neveu et l'héritier de l'auteur de la Favorite. Au
cours de leurs entrevues, ils en vinrent à parler
des droits d'auteur et M. Malherbe apprit avec
stupeur que jamais les héritiers n'en avaient
touché un centime. La somme en valait la peine et
M. Giuseppe Donizetti vint à Paris pour faire
valoir ses droits. A la Société des Auteurs,
M. Roger lui expliqua avec embarras que Doni-
zetti étant étranger, les règles habituelles ne pou-
vaient être appliquées, que d'ailleurs ce qui s'était
passé était de la faute des héritiers, mais qu'enfin,
on ferait ce qu'on pourrait.
M. Giuseppe Donizetti refusa cette proposition
qui ressemblait à une aumône et délégua M.
Malherbe pour défendre ses droits.
C'est alors qu'on découvrit que les héritiers des
librettistes avaient régulièrement touchés leurs
tantièmes et que ceux du compositeur avaient été
payés à un X quelconque bien que M. Roger eût
commencé par affirmer que, depuis longtemps, il
n'y avait plus de compte Donizetti dans les livres.
Pour établir les preuves, M. Malherbe usa d'un
excellent stratagème. Il engagea M. Giuseppe
Donizetti à faire abandon de ses droits sur une
représentation de gala de la Favorite, en faveur de
la caisse de secours de la Société des Musiciens de
France. La société toucha 5oo francs; c'était bien
la preuve qu'il y avait un compte Donizetti et que
les tantièmes en étaient régulièrement payés.
Les héritiers de Donizetti n'ayant rien touché
depuis 1870, la somme à leur restittuer doit être
belle et il se pourrait, comme on l'annonce, qu'il
fût question de plusieurs centaines de mille francs.
— A propos du centenaire de la mort de
Boccherini, récemment célébré à Lucques, sa
ville natale, des nouvelles de Madrid parvenues
en Italie font savoir que la tombe du grand artiste
en cette ville est dans un état de délabrement
lamentable. En apprenant ce fait, le comité qui
s'était constitué à Lucques pour le centenaire a
adressé une requête au gouvernement espagnol,
à l'effet d'obtenir que les restes mortels de l'il-
lustre compositeur soient transportés dans sa
patrie.
— Les journaux italiens annoncent que M. Um-
berto Giordano, l'auteur applaudi d'André Chénier
et de Siberia, se prépare à écrire un opéra français
en quatre actes dont le livret lui serait fourni par
MM. Victorien Sardou et Moreau. Cet ouvrage,
dont l'action se passerait en Egypte, à l'époque
de l'expédition de Bonaparte, serait joué à l'Opéra.
— M. Boyer, directeur du théâtre du Capitole
de Toulouse, vient d'engager Mlle Bady comme
première chanteuse d'opéra et d'opéra-comique;
elle débutera dans les Huguenots (la Reine de
Navarre), H amlet (Ophélie) et Rigoletto (Gilda).
Mlle Bady est la sœur de M1Ie Berthe Bady-, de
l'Odéon, et l'élève de Mme Coppine-Armand. .
— On annonce que M. Glasenapp, l'excellent
biographe de Richard Wagner, va publier prochai-
nement l'ensemble des poésies du maître. Parmi
celles-ci, il en est d'humoristiques. En voici une
écrite par Wagner en 1861, après la chute
de Tannhàuser à Paris, et dont le premier vers est
emprunté à Y Intermezzo de Henri Heine. Rappelons
enfin que Wagner est né le 22 mai iSi3.
Dans le merveilleux mois de mai,
Richard Wagner sortit en rampant de son œuf;
Tous ceux qui l'aiment lui souhaiteraient volontiers
D'y être éternellement resté.
— La revue N'eue Musik-Zeitung de Stuttgart a
recueilli, dans un numéro consacré spécialement
à Schubert, la petite anecdote suivante. Un matin,
Franz Schubert se promenait en compagnie de
son ami Franz Lachner à travers les rues de la
LE GUIDE MUSICAL
5og
ville. Ils étaient plongés dans une conversation
très animée lorsque tout à coup Joseph Lanner,
le compositeur de laendler et l'ami de Johann
Strauss père, vint à passer en courant et se heurta
presque à eux. « Ah ! bonjour, monsieur Schubert,
dit-il, que nous direz-vous de nouveau? » « Il y
a de nouveau, répondit Schubert, qu'un certain
Franz Lachner, un tout jeune homme de dix-huit
. ans venu de Munich, va obtenir l'emploi d'orga-
niste à l'église protestante. Vingt-sept candidats
ont pris part au concours ; il a préludé d'une
façon magistrale. » Et Schubert se mit à rire avec
bonne humeur et ajouta, en prononçant à la vien-
noise le prénom de Franz : « Oui, oui, tous ces
Franzl ont certainement quelque chose dans la
tête », et se tournant vers Lanner : Monsieur
Lanner, j'ai l'honneur de vous présenter le jeune
organiste en question; vous pouvez saluer M.
Franzl Lachner, de Munich. » Joseph Lanner
semblait tomber des nues ; il souhaita cordiale-
ment beaucoup de succès à Lachner, qui s'em-
pressa de conduire ses deux compagnons dans une
brasserie du voisinage pour fêter le verre en main
cette heureuse rencontre. Schubert, enchanté de
sa plaisanterie, se montra d'une gaîté folle.
C'est peut-être l'occasion de rappeler que le
compositeur du Roi des Aulnes et de tant d'autres
chefs-d'œuvre a écrit quelques poésies et des
aphorismes d'où n'est pas absent parfois un grain
de philosophie. A la date du 27 mars 1824, il a
écrit sur son livre journalier : « Il n'y a personne
qui comprenne la douleur des autres, et personne
qui comprenne leurs joies. On croit toujours
marcher d'accord avec quelqu'un et l'on marche
à côté de lui sans se rapprocher. Oh! quel tour-
ment pour qui sait s'en apercevoir ! » On peut
lire un peu plus loin : « L'homme vient au monde
avec la foi ; le raisonnement et les connaissances
interviennent ensuite, car, pour comprendre
quelque chose, il faut d'abord croire quelque
chose ; c'est là la base la plus ferme sur laquelle
notre raison peut établir ses premières assises.
La raison n'est pas autre chose que la foi
analysée. »
— On se rappelle qu'il y a une dizaine d'années,
le professeur Kuhacz publia une mélodie croate
originale qui renferme, placées dans un ordre
identique et avec des valeurs pareilles, les treize
notes par lesquelles débute l'hymne autrichien de
Haydn. Comme il arrive toujours en pareil cas,
des polémiques s'ensuivirent, qui d'ailleurs ne
pouvaient aboutir à rien. Aujourd'hui, l'érudit
musicographe M. Wilhelm Tappert, ayant eu
l'attention attirée sur cette minuscule question de
priorité par un article publié il y a six mois dans
la revue Die Musik, a donné, dans la même revue,
le résultat de ses propres recherches sur le même
sujet. Il a fait remarquer assez judicieusement
que la famille d'Haydn était d'origine croate,
mais que le futur auteur de la Création fut conduit
à Vienne dès l'âge de huit ans et a composé ses
oeuvres, y compris son hymne, sous l'influence
d'une culture musicale qui n'était pas celle des
pays du sud de l'Autriche. De plus, cinquante-
sept ans s'étaient écoulés entre l'arrivée à Vienne
du maître encore enfant et la composition de
l'hymne. Il y a mieux. Le dessin mélodique formé
par les treize notes de début du chant national se
retrouve avec le même rythme clans un rondeau
pour clavecin de Telemann, publié à Hambourg
en 1728. La liste ainsi commencée des prototypes
du fameux thème pourra s'allonger indéfiniment
si les chercheurs y mettent quelque bonne volonté.
On peut citer un chant de procession du xvie
siècle sur les paroles Ubi est sfies mea? , Qu'est
devenue mon espérance?]; nous avons aussi l'into-
nation liturgique du Pater noster qui se chante
encore aux messes solennelles ; une seule note
intercalée empêche de reconnaître immédiatement
le motif d'Haydn. Une mélodie populaire, O Stras-
bourg, présente comme ossature musicale les notes
caractéristiques de l'irymne. Il doit y en avoir bien
d'autres dans ce cas. En somme, on avait laissé
jusqu'ici à Joseph Haydn 43 notes sur les 56 qui
composent l'hymne autrichien ; mais M. Wilhelm
Tappert a découvert un album de danses publié
en 17SS, 1789 et 1790 sous le titre : Terftsichore,
recueil d'anglaises, d'allemandes, de françaises,
de quadrilles et de menuets (Leipzig, Breitkopf),
et cet album renferme une anglaise dans laquelle
se rencontrent 17 notes de l'hymne. Treize et
dix-sept font trente; il reste donc seulement vingt-
six notes dont la paternité n'est pas contestée au
vieux maître. Cela n'empêche pas Haydn d'avoir
écrit un chef-d'œuvre, tandis que ses devanciers
ont balbutié quelques éphémères phrases musi-
cales avec ces notes que lui seul a su présenter
dans toute la noblesse et l'élévation qu'elles
étaient susceptibles d'acquérir.
— Un dîner de Mozart.
Mozart eut occasion de venir à Paris à l'époque
où il s'occupait de son opéra de Don Juan. Un
jour, après avoir travaillé plusieurs heures, il
jeta un coup d'œil sur sa montre. — Déjà cinq
heures! C'est l'heure à laquelle il dinait habi-
tuellement. 11 se hâte donc de s'habiller et se
g]
LE GUIDE MUSICAL
dirige vers un restaurant du Palais-Royal, mais,
pendant le trajet, une nouvelle idée germe, se
développe, grandit dans son cerveau; elle le
préoccupe, l'obsède, et c'est machinalement, par
habitude, qu'il parcourt la carte qu'on lui présente.
— Garçon ! un potage au vermicelle !
Le potage est servi, mais Mozart n'y touche
pas. Dix minutes, un quart d'heure s'écoulent sans
qu'il s'aperçoive que son potage se refroidit. Enfin,
après une demi-heure de méditation, il se décide
à rompre encore le silence :
— Garçon ! une sole frite !
Le potage est remplacé par une sole bien fraîche,
bien cuite à point, bien appétissante, et qui cepen-
dant ne peut attirer l'attention ni exciter la sensua-
lité du musicien rêveur.
Six mets sont successivement demandés, servis
et traités par Mozart avec une égale indifférence.
Le garçon est stupéfait des manières, des procédés,
des allures de ce singulier consommateur ; mais il
pense que se serait peine perdue de lui adresser
des observations, car, se dit-il, c'est un maniaque
ou un fou.
Deux heures se sont écoulées depuis l'arrivée de
l'artiste, et, la tête appuyée sur ses mains, il n'est
pas sorti une seconde de son état de méditation et
de rêverie ; mais voilà que tout à coup son front se
relève avec fierté, ses joues se colorent, ses yeux
lancent un éclair de satisfaction et de bonheur, et,
après avoir versé sa bourse entre les mains du
garçon, il fait un bond, quitte la salle en s'écriant :
« Enfin, je l'ai trouvé!... »
Mozart venait de trouver, en effet, le finale du
troisième acte de Don Juan.
— La première représentation du Freischûtz de
Weber fut donnée, on le sait, à Berlin, le
18 juin i8ai, avec un immense succès. En souvenir
de cette date importante, M. Oswald Feis a
publié, dans la Gazette de Francfort du 18 juin
dernier, une lettre inédite que Weber écrivait à
l'un de ses amis, Roth, musicien à Dresde, pour
lui annoncer l'heureux sort de son chef-d'œuvre :
« Mon cher ami,
» A cause de votre affectueuse sympathie, je me
réjouis doublement de pouvoir vous annoncer le
triomphe le plus complet qu'un compositeur ait
jamais remporté. La première représentation a
soulevé l'enthousiasme. L'ouverture et l'hymne
populaire ont été redemandés da cafio; d'ailleurs,
sur dix-sept morceaux, quatorze ont été applaudis,
quelques-uns jusqu'à trois fois; à la fin, j'ai été
rappelé et couvert de fleurs, de couronnes de
laurier et de pièces de vers. La deuxième représen-
tation hier a été également parfaite. Ma reconnais-
sance ne sera jamais assez grande; l'ardeur avec
laquelle tous jouèrent et chantèrent était extrême...
Demain, c'est la troisième représentation de mon
opéra, pour laquelle il ne reste plus une seule place
à louer. Mes salutations à l'orchestre tout entier
et croyez-moi votre ami affectionné.
» C.-M. v. Weber.
» Berlin, le 21 juin 182 1. »
Les rôles principaux du Freischûtz étaient tenus
par Stiimer (Max), Blume (Gaspard), Mme Seidler
(Agathe) et une toute charmante jeune fille,
Mlle Eunike (Annette) ; la ronde populaire du troi-
sième acte était chantée par Mme Reinwald. Les
chœurs avaient été stylés par Seidler, les décors
étaient de Gropius, les costumes de Sturmer, et
Weber en personne conduisait l'orchestre. Il
s'agissait, pour lui, pour son œuvre et pour ses
partisans, de lutter contre YOlympie de Spontini,
tout-puissant à Berlin, ayant pour lui la cour et le
monde officiel, et qui, comme directeur général de
la musique à l'Opéra, avait naturellement mis tout
en œuvre pour assurer le succès d'OIympie, donnée
quelques jours à peine avant le Freischiïtz, avec un
éclat extraordinaire. Mais cet éclat ne se soutint
pas, et le succès du Freischûtz, au contraire, grandit
de jour en jour, si bien qu'avant la fin de l'année
1 821, l'ouvrage était joué triomphalement à Dresde,
à Leipzig, Breslau, Prague, Carlsruhe, Pesth,
Hanovre, Vienne, et jusqu'à Copenhague.
— On nous écrit d'Athènes :
« Les programmes des derniers concerts du Con-
servatoire contenaient, en fait de nouveautés, la
Symphonie pathétique n° 6 de Tschaïkowsky et la
dernière composition du chef d'orchestre, M. F.
Choisy, De la source à l'océan, poème symphonique
en deux parties. Les journaux d'Athènes consa-
crent de nombreux articles à louer la direction par
cœur du jeune chef, et Y Astrapi publie en première
colonne un article de fond sur l'œuvre pathétique
de Tschaïkowsky. Quant au poème symphonique
de M. F. Choisy, les grands quotidiens sont
unanimes à en reconnaître le sentiment d'intense
inspiration admirablement maintenu jusqu'au
bout de l'ouvrage. La direction du Conservatoire
avait fait remettre au compositeur une splendide
couronne de laurier, ornée de larges rubans aux
couleurs helléniques. M. F. Choisy a été nommé
éphore du Conservatoire et membre du comité ,
pour la réforme du chant dans l'Eglise orthodoxe
grecque. »
LE GUIDE MUSICAL
5n
— La commission municipale des fêtes de
Boulogne-sur-Mer organise cette année, pour
remplacer son festival permanent, des concerts
pour l'exécution desquels elle fait appel aux
musiques et harmonies de division supérieure
et d'excellence. Une allocation très importante
(5oo francs, croyons-nous) sera accordée pour
chaque concert.
Nous avisons les sociétés intéressées que leurs
offres doivent être adressées le plus rapidement
possible à M. le président de la commission muni-
cipale des fêtes, mairie de Boulogne-sur-Mer. Elles
devront faire connaître le nombre des exécutants,
la date possible du concert et la composition du
programme.
BIBLIOGRAPHIE
Jean-Philippe Rameau. Pièces de clavecin,
avec une préface de C. Saint-Saëns. (Nouvelle
édition.) — Paris, A. Durand et fils, in-folio de iv-
n3 pages.
MM. A. Durand et fils viennent de mettre en
vente une nouvelle édition des Pièces de clavecin de
Rameau. Personne n'en sera surpris, et beaucoup
en seront enchantés, premièrement parce que l'on
y verra la preuve du goût que le public prend aux
chefs-d'œuvre des anciennes écoles, et seconde-
ment parce que, en y regardant bien, l'on s'aper-
cevra très vite que cette édition diffère considéra-
blement de la précédente. Au début de leur
magnifique publication des Œuvres complètes de
Rameau, MM. Durand, encouragés ou entraînés
par M. Saint-Saëns, qui en assumait avec désin-
volture la responsabilité, nous avaient présenté
les pièces de clavecin du vieux maître sous une
forme rajeunie et appropriée, par la suppression
de la plupart des « agréments », à la sonorité du
piano moderne. C'était Rameau dépouillé de sa
perruque, Rameau avec les cheveux coupés en
brosse ; l'on ne pouvait pas décider si cette coiffure
inaccoutumée lui seyait ou , si elle rendait plus
durs et plus anguleux les conteurs de son maigre
visage, mais on était certain d'une chose, c'est
qu'on le trouvait fort changé, et que même, au
premier abord, on ne le reconnaissait plus.
Il a fallu peu d'efforts pour nous le rendre tel
qu'il était. Sur les mêmes planches gravées, les
agréments supprimés ont été rétablis, et une page
restée vacante dans le premier tirage a suffi, dans
le second, à contenir la table nécessaire à l'expli-
cation des signes conventionnels. Désormais,
chacun peut donc, dans une très belle et commode
impression, lire et jouer, au clavecin ou au piano,
sans les défigurer, ces délicieuses petites composi-
tions qui s'appellent Les Tendres Plaintes, Les Tourbil-
lons, La Joyeuse, Les Cyclopes, Les Niais de Sologne,
L'Indifférente, La Gavotte variée en la mineur, les
Sauvages, les Triolets, etc. Et si d'aventure il se
trouve des exécutants sans habileté ni scrupules,
que déconcertent ces cadences, ces pinces, ces
ornements variés de la mélodie, ils emploieront,
pour s'en délivrer, la recette de l'innocente pia-
niste dont parle Berlioz dans Les Grotesques de la
musique, qui a grattait » les bémols à la clef, quand
leur nombre dépassait ses habitudes ou ses capa-
cités. Du moins le grattage des agréments, chez
Rameau, ne pourra plus être entièrement imputé
aux éditeurs, ni à M. Saint-Saëns.
De la nouvelle édition ont disparu les pièces que
la première contenait en appendice, et qui, attri-
buées alors à Rameau, — heureusement sous
toutes réserves, — ont été reconnues ne point lui
appartenir. Ces petits morceaux, qui sont de
Duphly et de Royer, n'en sont pas moins intéres-
sants, pour se couvrir de noms moins glorieux
que celui de Rameau. MM. Durand, qui montrent
un si intelligent souci de notre ancien art national,
seraient bien inspirés s'ils exhumaient, par séries
plus réellement nouvelles et plus nombreuses
qu'on ne l'a fait jusqu'ici, les compositions instru-
mentales des maîtres français secondaires. Les
matériaux abondent pour une entreprise au succès
de laquelle les progrès de l'éducation musicale
permettent de croire. M. Brenet.
— Tandis que les éditeurs Durand et fils pour-
suivent utilement la constitution de leur belle
Bibliothèque des clavecinistes français en pu-
bliant, judicieusement revues, de charmantes
pièces de clavecin de Jacques De Chambonnières
et des airs extraits des cantates de Rameau
ou de Clérembault (sans négliger pour cela
M. Saint-Saëns, dont le quatuor à cordes vient
d'être gravé dans un pratique format de poche), la
Société musicale, dirigée par M. Gabriel Astruc, a
fait paraître diverses nouveautés dignes d'intérêt :
une spirituelle petite suite pour piano à quatre
mains, d'écriture volontairement simple, de M.Ro-
ger Ducasse ; d'agréables et douces chansons de
M. Rhené-Baton, un recueil de Poèmes d'automne,
d'un sentiment ému et sincère, dus à M. Gabriel
Dupont, l'auteur de Cabrera; enfin, le quatuor à
512
LE GUIDE MUSICAL
cordes et les trois mélodies de M. M. Ravel sur la
Schéhérazade de Tristan Klingsor, dont je goûte fort
la libre fantaisie, la délicieuse atmosphère instru-
mentale et le subtil raffinement harmonique. Du
même M. Ravel, MM. Bellon et Ponscarme (an-
cienne maison Baudoux) nous offrent une brève
pièce vocale, le Noël des Jouets, fort divertissante et
témoignant de la plus adroite musicalité. Chez les
mêmes éditeurs, d'expressives mélodies de M.
Pierre Coindreau et quatre poèmes d'Henri de
Régnier, mis en musique par M. Albert Roussel
avec un bonheur particulier, une poésie intense et
une rare justesse d'accents, séduiront à coup sûr
tous les interprètes intelligents des Lieder moder-
nes, au même titre d'ailleurs, sinon pour les mêmes
raisons,, que le pénétrant Rondeau et l'harmonieux
Paysage de M. Guy-Ropartz, mis récemment en
vente par MM. Pfister frères. G. S.
— Louis Lombard. — Observations d'un musicien
américain, trad. de l'anglais par R. de Lagenar-
dière. Paris, Theuveny, i vol. in-12.
Quelle vie singulière, au moins pour nos yeux
européens, que celle de ce jeune Français débar-
qué jadis en Amérique, avec son violon pour toute
richesse, devenu ensuite brasseur d'affaires, archi-
milHonnaire, citoyen des Etats-Unis, et toujours
compositeur et chef d'orchestre, voyageant partout
et partout Mécène d'une inépuisable bienfaisance,
— à condition surtout de pouvoir aider des travail-
leurs acharnés, comme lui-même, — enfin châte-
lain du magnifique palais de Trevano, près de
Lugano, en Suisse ! Ses œuvres musicales ou
littéi aires, pour ne parler que d'elles, remplissent
toute une page, et c'est l'une des moindres qu'on
a pris la peine de traduire aujourd'hui. (Eh quoi!
ce Français ne sait-il plus notre langue, et faut-il
qu'un traducteur transpose pour nous ses idées ?).
Ces Observations d'un musicien américain (que
précède une courte lettre de J. Massenet « à son
illustre confrère et ami) » ont surtout une qualité :
c'est le bon sens et l'absence de prétention ou
de recherche. Les phrases vont droit au but, les
critiques sont nettes, et il ne craint pas d'en
adresser plus d'une à ses compatriotes d'élection,
qui en ont bien besoin; sans doute, peu d'idées
très neuves ou très profondes, mais des conseils
pratiques, pratiques et expéditifs comme l'auteur,
dont on sent constamment l'animation et le
besoin d'agir. Bref, un livre qui a sa personnalité
et sa saveur.
— La maison Léopold Muraille vient de publier
de charmantes compositions de M. Lucien Ver-
tongen, parmi lesquelles il faut signaler Chanson
puérile et J'avais rêvé, deux œuvrettes d'une allure
élégante et jolie.
— La librairie Fischbacher a publié une
élégante plaquette en l'honneur de notre ami
regretté Hugues Imbert. On y trouvera réunis les
principaux articles qui lui ont été consacrés, les
discours prononcés à ses funérailles, un excellent
portrait et le catalogue complet de ses ouvrages.
ACCUSÉS DE RÉCEPTION
— Georg Mùnzer, Wunibald Teinert, eine tragi-
komische Mtisikanten und Kritikgeschichte. — Bartholf
Senff, éditeur à Leipzig.
pianos et Ibarpes
€rar&
tërurdles : 6, rue OLambermout
paris : rue ou fll>ail, 13
NÉCROLOGIE
— Louis Schlottmann, directeur royal de mu-
sique, vient de mourir à Berlin. Il avait été l'élève
de W. Taubert et de S. Densa et avait dirigé avec
succès des concerts symphoniques en Allemagne
et à Londres. Parmi les compositions qu'il laisse,
il faut citer en première ligne ses Lieder [Gœthelieder,
op. 40, Deutsche Wehrmannslieder, op. 32) et des
œuvres pour orchestre, ouvertures pour Roméo et
JulieUe et Wallenstein, Marche funèbre, Récitatif et
Finale, op. 43, etc.
— L'organiste Webber, qui s'était acquis une
glorieuse réputation en Angleterre, est mort à
Londres il y a une quinzaine de jours, âgé de
quatre-vingt-douze ans. C'était lui qui avait tenu
les orgues lors du couronnement de la reine
Victoria.
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sa fondation du
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23 et 3o Juillet igo5.
LA
CHAPELLE ROYALE SOUS LA RESTAURATION
LA prise des Tuileries par le peuple,
au 10 août, avait eu pour résultat
de supprimer la musique de la
chapelle royale. Bonaparte la réta-
blit en 1802 (1). Chargé tout d'abord de la
diriger, Paësiello présenta lui-même J.-F. Le
Sueur pour lui être adjoint. Lorsque, forcé par
la santé de sa femme de regagner l'Italie,
Paësiello quitta Paris, Le Sueur fut nommé à
sa place (2).
Castil-Blaze a décrit l'aspect du local où
avaient lieu, sous le Consulat, les offices en
musique. « La chapelle des Tuileries avait été
détruite ; on célébrait l'office divin dans la salle
du conseil d'Etat, où les chanteurs et le piano
pouvaient seuls être placés. Rangés sur deux
files derrière les chanteurs, les violons jouaient
dans une petite galerie en face de l'autel ; les
basses et les instruments à vent étaient relégués
dans la chapelle voisine. Les musiciens avaient
beaucoup de peine à manœuvrer sur un terrain
si désavantageux pour l'ensemble. Démeublée
la veille des fauteuils, tables et bureaux, la
salle, que l'on disposait en oratoire pour le
dimanche, était remise en ordre le lundi pour
les séances du conseil. »
Devenu empereur, Napoléon fit construire,
(1) Castil-Blaze, Chapelle-musique des rois de France,
1 vol. in-8°. Paulin, i832. D'après lui, les débuts de la
chapelle consulaire constituée et dirigée par Paësiello
eurent lieu le 22 mars i8o3.
(2) Voir mon article : Les Oratorios de J.-F. Le Sueur
(Tribune de Saint-Gervais de mars igo5).
par ses architectes Percier et Fontaine, une salle
de spectacle et une chapelle dans l'ancienne
salle de la Convention. M. Frédéric Masson
rapporte qu'elle fut inaugurée le 9 décem-
bre i8o5 (1). Castil-Blaze donne la date du
2 février 1806. Cette date est confirmée par une
indication de Grégoire, qui fut inspecteur de la
chapelle royale après en avoir été longtemps le
secrétaire (2). La musique exécutée à cette
occasion était naturellement du nouveau maître
de chapelle; c'était la messe de Le Sueur en
sol majeur.
Pour les offices de la chapelle impériale,
soit à Paris, soit à Saint-Cloud, soit à Fontai-
nebleau, Le Sueur composa une quantité de
musique à laquelle ses biographes, les biblio-
thécaires de la chapelle, et lui-même don-
naient uniformément le nom de messes, parce
qu'elle était destinée à être chantée pendant
l'office, mais qui consistait réellement en
motets, oratorios, psaumes, morceaux d'ensem-
ble pour voix ou instruments. J'ai déjà fait
ailleurs cette démonstration (3). Ses composi-
tions pour lesquelles il lui arrivait parfois d'utili-
ser des morceaux tirés de ses oeuvres religieuses
(1) Napoléon chez lui, 1 vol. in-8°. Paris, 1901, Ollen-
dorff.
(2) Répertoire (manuscrit) des messes et oratorios de
Le Sueur, établi le i5 janvier i83g, à la demande de sa
veuve, par Grégoire, secrétaire de la chapelle impériale.
(Collection d'autographes de M. Ch. Malherbe, qui a
bien voulu me communiquer ce manuscrit.)
(3) Tribune de Saint-Gervais, avril-mai igo5.
5i6
LE GUIDE MUSICAL
de jeunesse ou de ses hymnes politiques de la
Révolution, devaient s'adapter aux circons-
tances. C'est ainsi qu'il fut amené à écrire des
Te Deum, des Salvum fac imper dtorem, une can-
tate religieuse et le motet : Veni, épousa mansueta,
pour le maiiage de Marie- Louise, un autre
motet : Joannes baptisât in deserto pour le baptême
du Roi de Rome en 1811, à Notre-Dame,
et d'autres pièces pour des circonstances moins
solennelles.
Ainsi, en 1810, l'Empereur avait fait à vingt
et un enfants de fonctionnaires de la cour
l'honneur d'être leur parrain; ces enfants
étaient âgés de huit à dix ans. Pour la céré-
monie, qui eut lieu dans la chapelle du château
de Fontainebleau, Le Sueur écrivait un Lau-
date, pneri. Grégoire, qui rappelle l'événement
et en cite la date (1) : 4 novembre 1810, donne
à ce motet l'appellation de messe 16 et indique
que le solo fut chanté par Mme Armand (2) (ou
Albert).
La cour de Napoléon allait à Compiègne au
printemps, à Fontainebleau à l'automne. Les
musiciens s'y rendaient le samedi ; le dimanche,
ils exécutaient une messe et, le soir, donnaient
un conceit. La moitié des symphonistes de la
chapelle restait à la cour pour faire le service;
les autres partaient le lundi. Chaque musicien
recevait 12 francs par jour pour ces dépla-
cements, plus 200 à 3oo francs après chaque
voyage (3).
A l'avènement de Louis XVIII, en 1814, la
chapelle ne paraît pas avoir subi de modifica-
tions notables. Du moins, les états d'émarge-
ment n'en font pas mention (4). Son chef Le
Sueur est conservé, bien qu'il fût très sérieuse-
ment attaché à Napoléon par les liens de l'admi-
ration et de la reconnaissance (5), mais il dut
bientôt en partager la direction avec Martini.
(1) Elle est indiquée aussi dans Castil-Blaze et dans
un périodique appelé les Tablettes de Polymnie (numéro
du 20 novembre 1810).
(2) Mme Armand avait débuté à l'Opéra en 1808. Elle
quitta la chapelle en 1817.
(3) Castil-Blaze, ouv. cité.
(4) Archives nationales, O- 62 pour la période impé-
riale, Os 290/291 pour la Restauration.
(5) Berlioz, Mémoires ; Les Musiciens et la Musique ^notice
sur Le Sueur).
Auprès de Louis XVIII, celui-ci avait reven-
diqué les droits que lui conférait une promesse
faite par le comte d'Artois avant la Révolu-
tion (1). On lui donna satisfaction en mai 1814.
Pour faire ses preuves de royalisme peut-être
ou pour fournir simplement, à l'improviste,
ainsi que l'y obligeaient ses fonctions, la mu-
sique nécessaire à la cérémonie de la réception
du nouveau roi à Notre-Dame, Le Sueur
transforma une scène chorale tirée d'un opéra
inédit : Alexandre à Babylone, en un motet à
grand orchestre avec paroles latines de circons-
tance : Dominas Deus liber avit nos (2).
Castil-Blaze rapporte qu'à l'avènement défi-
nitif de Louis XVIII, on éloigna de la chapelle
un certain nombre d'artistes que leur attache-
ment à Napoléon rendait suspects. Cette
assertion est trop absolue. On voit, par un
manuscrit conservé aux Archives nationales,
intitulé : « Etat de la musique de la chapelle
de Buonaparte (sic) telle qu'elle existe encore (3) »,
qu'en 1814, les artistes du chant étaient : Lay
dit Laïs, Martin, premiers chanteurs ; Mmes
Branchu, Armand, Duret et Albert Himm (4),
premières chanteuses, qui avaient chacune
3,ooo francs d'appointements. Ces artistes
avaient chanté les soli à la chapelle impériale;
plusieurs étaient en même temps attachés à
l'Opéra. Il en était de même pour Louis
Nourrit (5) (le père d'Adolphe Nourrit), ténor
du Petit Chœur, pour les basses Chenard et
(1) Certaines notices affirment même qu'il avait payé
cette charge d'avance.
(2) Le fait est certifié par Grégoire dans son cata-
logue. Voir mon article sur Le Sueur dans la Tribune de
Saint-Gervais (avril-mai 1905). D'après M. Charles
Malherbe, qui en possède le manuscrit, ce motet, qui
devint plus tard un « Offertoire pour la messe du Saint-
Esprit », est tiré de la grande scène du second acte
d'Alexandre à Babylone, qui occupe dans la partition
gravée les pages 458 à 483, avec une ritournelle nouvelle
comme entrée et quelques mesures ajoutées au début du
chœur.
(3) Arch. nat., O3 291.
(4) Mlle Himm était entrée à l'Opéra en 1S06, et
en 1810 à la chapelle impériale, en remplacement de
Mme Manent. (Arch. nat., O- 62.) Elle a créé plusieurs
des oratorios de Le Sueur. Elle épousa le danseur
Albert, de l'Opéra.
(5) Il fut attaché à l'Opéra de 1806 à 1825. (H. Nourrit,
par Et. Boutet de Monvel, 1 vol. in-18. Paris, 1903,
Plon-Nourrit).
Le guide musical
$17
Dérivis. Une annotation énumère, comme
devant cesser leurs fonctions au Ier janvier i8i5,
Mmes Branchu (i), Armand, Duret, Albert,
Sijas, Lhoste, Granier, Gervasio, Cazot,
Lefort, Lefebvre, Demazière, Bizot, Lebrun,
Ilimm (mère de Mme Albert Himm), Gallaux,
Dupuis, Persillier, Granville, Emilie; MM.
Murgeon, Laïs, Martin, Nourrit, Laforêt,
Ch. Martin, Nocart, Gaubert, Eloy, Albert
Bonnet, Dérivis, Bertin, Chenard.
En réalité, si, à la suite de la Restauration,
les passions politiques exercèrent leur influence
dans ce milieu artistique comme en d'autres,
elles y firent moins de ravages. La retraite des
principaux chanteurs s'explique tout simple-
ment par leur âge déjà mùr et l'usure de leur
organe. Ainsi, Murgeon (2), qui conduisait au
Grand Chœur les dessus de la gauche, était
déjà employé comme récitant à la chapelle de
Louis XVI; il chantait, en 1887, la musique
de Le Sueur à Notre-Dame, et sa voix aiguë
scandalisait l'archevêque de Paris, MëT de
Juigné : il le croyait castrat, à tort du reste (3).
Le baryton Martin avait alors quarante-six ans
et Laïs en avait dix de plus. On reprochait à
ce dernier son passé révolutionnaire, mais son
âge, à lui seul, le désignait pour la retraite (4).
Il faut reconnaître d'ailleurs que les circons-
tances rendaient le recrutement du personnel
particulièrement délicat. En effet, il convenait de
respecter les droits acquis et les services rendus;
mais il fallait aussi donner satisfaction aux
demandes exprimées par les membres de l'an-
cienne chapelle de Louis XVI, à qui l'on tint
compte de leur fidélité plus que de leurs qua-
lités vocales, ainsi qu'à celles des candidats
nouveaux, patronnés par des protecteurs
influents. D'autre part, en cette matière comme
en d'autres, la Restauration ne manqua pas
(1) En i8i5, Mme Branchu n'avait que trente cinq
ans. Elle ne fut pas conservée à la chapelle royale et
elle quitta l'Opéra en 1826.
(2) Retraité en i8i5, avec 600 francs de pension qui
ne lui suffisaient pas pour faire vivre sa famille, Murgeon
demandait un supplément de 900 francs en raison de ce
qu'il était employé comme honoraire par MM. Cherubini
et Le Sueur. On lui opposa un refus. (Arch. nat., 032gi.)
(3) Voir mon article sur Le Sueur {Tribune de Saint-
Gervais, février igo5).
(4) Il était né à Lay, en Gascogne, le 14 février 1758.
Il mourut à Angers le 3o mars i83i.
de ressusciter les usages de la Monarchie.
Alors que, sous Napoléon 1er, ]a chapelle
dépendait du ministère de la Maison de
l'Empereur, sous Louis XVIII elle fut ratta-
chée à l'intendance des Menus-Plaisirs et
placée sous la surveillance des premiers gentils-
hommes de la chambre, les ducs d'Aumont et
de Duras.
Il y eut forcément, au début, d'assez grandes
modifications dans l'organisation du personnel.
D'abord, l'emploi des voix de femmes dans
le chant sacré étant condamné par l'Eglise, la
partie des dessus fut notablement réduite. Le
projet de budget des Menus-Plaisirs de i8i5 (1)
prévoit, pour tenir cette partie, douze pages
dont le nombre fut ramené à six dans l'arrêté
approuvé par le Roi le 20 juillet i8i5. Il n'y
avait donc plus que six dessus femmes, sans
compter les solistes récitantes.
La liste des premiers sujets énumérés dans
ce projet de budget ne mentionne que des
noms obscurs; le premier ténor récitant est
Bouffet, conservé de l'ancienne chapelle impé-
riale, où il était entré en 1810. Mais les artistes
frappés de proscription ne tardèrent pas à
rentrer dans la troupe, soit avec la qualité d'hono-
raires, c'est-à-dire chanteurs supplémentaires,
soit comme membres appointés. Ainsi, Mmes Ar-
mand, Albert furent réintégrées grâce à la
réorganisation du 1e1' juillet 18 15 (2) ; Mmes Du-
ret et Gervasio-Staïti ne tardèrent pas à être
rappelées. D'autres changent de nom pour
cause de mariage et l'on retrouve, par exemple,
M"e Lefort désignée par la suite sous celui de
femme Damour (3). D'autres enfin, qui ne
figuraient plus dans la troupe de la chapelle
royale, furent admis dans le groupe d'élite des
musiciens de la chambre. Quelques-uns cumu-
laient les deux emplois.
Si l'assertion de Castil-Blaze n'est qu'à moitié
juste en ce qui touche les artistes du chant,
elle l'est moins encore en ce qui concerne les
instrumentistes. Les rôles d'appointements
après comme avant 181 5, que j'ai comparés
(1) Arch. nat., O3 290. Cette transformation s'opéra
au 1er janvier 181 5.
(2) Ibid.
(3) Entrée à la chapelle en octobre 1812, Mlle Lefort,
prend ce nom en mars i8i5. (Arch. nat., O- 62.)
5iS
LE GUIDE MUSICAL
aux Archives nationales (i), indiquent les
mêmes noms, à presque tous les pupitres de
l'orchestre tout au moins. Ainsi, Kreutzer,
qui était violon solo de l'Empereur, avec
4,000 francs de traitement, conserve cet emploi.
Baillot reste premier violon, Tariot, premier
alto, Baudiot, premier violoncelle; on retrouve
comme flûtiste Tulou (2), comme clarinettiste
Ch. Duvernois, comme basson Delcambre,
comme contrebasse Hoffelmayer. Les parties
de harpe sont toujours confiées aux frères
Nadermann, qui ont succédé à la fin de l'Em-
pire au célèbre Dalvimare ; celle de cor solo
récitant à Fr. Duvernois. Le flûtiste Schneitz-
hœffer fut remplacé par Besozzi, mais il était
employé comme virtuose dans les occasions
importantes et il blousait aussi des tymbales (3).
Le hautboïste Vogt, éloigné en 1814 pour ses
opinions bonapartistes fut également rappelé^).
En général, on ne demanda pas compte au
deuxième basson ou au troisième cor de leurs
opinions politiques et religieuses, bien que le
baron de la Ferté, intendant des Menus-
Plaisirs, fût assailli de suppliques par les
aspirants choristes ou instrumentistes (5). Les
lettres de sollicitation ne manquaient jamais
de faire valoir les titres du candidat aux bontés
du Roi : attachement à la famille royale, haine
de l'usurpateur, malheurs causés par la Révo-
lution, Parmi beaucoup d'obscurs postulants,
François Habeneck sollicitait en juillet 181 5
une place de premier violon qu'il obtint peu
après (6). Rodolphe Kreutzer, auteur de
Lodoïska, de Paul et Virginie, d'Aristippe, de la
(1) Arch. nat., O2 62 et O3 290-291.
(2) Fétis dit qu'il fut éloigné de la chapelle royale
en 181 5, à cause de ses propos hostiles au nouveau
régime. Cette exclusion ne fut pas longue.
(3) Il était également compositeur ; on lui doit
plusieurs opéras et ballets dont le plus connu est la
Sylphide. Timbalier, puis chef du chant à l'Opéra.
(4) Il était considéré comme indispensable parce qu'il
jouait aussi du cor anglais. (Rapport des surintendants
du 19 mars 1816.) Schneitzhœffer et Vogt furent
employés comme honoraires.
(5) Il y en a tout un dossier aux Archives nationales
(O3 291).
(6) Son nom figure en effet sur le tableau de la réor-
ganisation approuvée par l'arrêté du 20 juillet i8i5.
Il avait un frère nommé Constantin, qui fut second
violon à la chapelle royale.
Mort d'Abel, invoquait son « habitude de con-
duire des orchestres considérables » pour
demander la survivance de Cherubini, qui
n'était lui même, à ce moment, inscrit sur les
rôles de la chapelle que comme survivancier de
Martini. Peines perdues. L'ironie du sort
voulut que Cherubini survécût à R. Kreutzer (1).
P. Martini étant mort le 10 février 1816,
Cherubini devint le collègue de Le Sueur
comme surintendant de la chapelle du Roi.
Sous l'Empire, Le Sueur avait 10,000 francs
de traitement; le partage de la direction le
réduisit à 6,000; son collègue en avait autant.
En juillet i8i5, Ch. Plantade (2) succéda
comme maître de chapelle, c'est-à-dire chef
d'orchestre, à Loiseau de Persuis, qui lui-
même avait remplacé Rey, en 1810 (3). L'orga-
niste Séjan, les pianistes accompagnateurs
Rigel et Al. Piccinni furent conservés. Tel était
l'état-major. Le secrétariat était constitué par
Grégoire, premier, et Marant, second secrétaire,
Lefebvre, bibliothécaire et gardien de la mu-
sique, qui joignait à son traitement de
1,000 francs les émoluments que lui rappor-
taient les travaux de copie effectués pour le
service de la chapelle, à raison de « quatre sols
la feuille » (4).
En i8o5, la chapelle impériale ne compre-
nait que 10 chanteurs et 20 instrumentistes (5) ;
en 18 10, la vocale compte 34 chanteurs ou
choristes, l'orchestre 5o instrumentistes. La
dépense s'était accrue en proportion : de
90,100 francs en l'an xm, elle monte, en 1812,
à i53,8oo. En i8i5, le personnel, y compris les
employés, atteint presque la centaine. Après la
Ci) Kreutzer était alors second chef d'orchestre à
l'Opéra; il devint chef d'emploi en 18 17. Né en 1766, il
mourut à Genève en i83i. Cherubini ne décéda
qu'en 1842.
(2) Ch. Plantade, né le 19 octobre 176^, avait été
maître de chapelle du roi de Hollande. En 1814, il
composa une scène lyrique imitée d'Ossian pour la fête
du Roi et fut décoré.
(3) Rey était chef d'orchestre à 4,000 francs en i8o5.
Lorsque Persuis le remplaça en 1810, il eut pour
suppléant Hugé de Rochefort, second chef d'orchestre
à 1,200 francs (Arch. nat., O- 62.)
(4) En 1821, l'intendant mandate une dépense de
340 francs pour le paiement d'un compte de copie de
musique par Lefebvre (Or' 290).
(5) Arch. nat., O2 62.
LE GUIDE MUSICAL
5ig
réorganisation du mois de juillet, il s'élève à
117 personnes, y compris les s crètairt s, biblio-
thécaire, accordeur, garçons d'orchtstre, etc.
Cette augmentation s'explique par le désir de
donner satisfaction à des protecteurs influents.
La composition est la suivante : Il 3^ a 8 artistes
récitants (1), 8 ténors, 6 hautes contre, 8 basses,
6 dessus, non compris les pages de la chapelle,
8 premiers et 8 seconds violons, 6 altos, 6 vio-
loncelles, 4 contrebasses, 2 flûtes, 3 hautbois
dont un prend le cor anglais, 3 clarinettes,
3 bassons, 4 cors, 2 harpistes. La dépense
totale est de 174,500 francs par an. Afin de
rétribuer un personnel plus nombreux sans
trop charger le budget, les appointements des
solistes et chefs d'emploi ont été réduits. Alors
que les premiers chanteurs avaient sous l'Em-
pire, 3,ooo francs, les premiers récitants n'en
ont plus que 2,000. R. Kreutzer, au lieu de
4,000 francs, en touche seulement 2,600. Tels
sont aussi les appointements de Plantade, au
lieu que Persuis, en i8i5, avait 2,800 francs et
5,ooo francs sous Napoléon. Nadermann aîné
est ramené de 2,5oo francs à 2,000. Aucun
chef de pupitre n'a davantage, et les autres
instrumentistes sont appointés à 1,000, 1,200,
i,5oo francs. Il a fallu aussi trouver dans ce
budget la rémunération du personnel affecté à
la surveillance et à l'instruction des pages (2) ;
leur gouverneur Jadin reçoit 2,000 francs;
leurs professeurs 800 francs; eux-mêmes ont
1,000 francs de pension chacun.
La substitution des pages aux soprani féminin
n'allait pas sans inconvénients. D'abord, leur
turbulence mettait à l'épreuve la patience de
leur gouverneur. Ces enfants ayant commis des
dégâts dans le château, Jadin avait prétendu
faire payer à leurs parents les clefs perdues
et les boutons de portes cassés. D'où révolte
Mmes Albert, Armand, Regnault, Le-
MM. Martin, Crivelli, Chenard. (Arch.
(1) Ce sont
clerc, Rosier
nat., O3 290.)
(2) Ils recevaient une instruction élémentaire dont le
catéchisme était la base. On voit, par un rapport de
Jadin du mois d'avril 1816, que le samedi, les pag-es
avaient leçon d'écriture jusqu'à 8 1/2 heures, catéchisme
jusqu'à 9 heures, déjeuner jusqu'à 9 1/2 heures, récréa-
tion jusqu'à 10 heures. Ils se rendaient alors à la
chapelle où la répétition les tenait parfois jusqu'à
2 heures. (Arch. nat., O5 291.)
de la part de cinq d'entre eux. Après le dîner,
ils emportent leurs couverts et annoncent
qu'ils les garderont eux-mêmes. Appelé par un
des garçons de service, Jadin est accueilli par
des menaces. Deux des pages, Briès et Boise
lui ont même « manqué d'une manière outra-
geante ». Quand il les a menacés de ne point
sortir le dimanche, le second lui a mis le poing
sous le nez. Il adresse à l'intendant des Menus-
Plaisirs un rapport (1) dans lequel il demande
le renvoi de ces deux mauvais sujets. On lit sur
l'autographe cette mention : Approuvé, duc de la
Châtre.
De plus, sujets à la mue, les pages faisaient
souvent défaut à la partie des dessus (2) qui
était la partie faible du chœur, dont le meil-
leur élément était constitué par les basses, des
chantres d'église probablement (3).
Aussi les directeurs de la chapelle, titulaires
et adjoints, c'est-à-dire Le Sueur, Cherubini,
Martini et Plantade, adressaient-ils le Ier juil-
let i8i5, à M. de Rohan, premier gentilhomme
de la chambre, une requête à l'effet d'engager
comme soprani des virtuoses des théâtres de la
capitale, afin de tirer la vocale de l'état de
médiocrité où elle se trouvait, et quelques mois
plus tard, les surintendants proposaient (4)
d'engager un certain nombre de musiciens et
de chanteurs supplémentaires, entre autres
Mme Himm, actuellement à l'Opéra. Ils trou-
vèrent ainsi le moyen de faire rentrer à la
chapelle quelques sujets qui en avaient été
injustement éloignés.
Par les rapports des surintendants, nous
pouvons nous faire une idée des services ren-
dus par les artistes de la chapelle royale.
(1) Il est daté du 28 octobre 1816. (Arch. nat., O3 291).
(2) Le 22 février 18 17, Cherubini annonce que
l'abbé de Sambucy (maître des cérémonies de la cha-
pelle du Roi) demandait que les pages fissent les
dimanches et fêtes le service de la chapelle avec les
musiciens. Le 7 mars, le duc de la Châtre répond qu'il
en est ainsi ordonné.
(3.) Le Roi passant pour aimer le plain-chant, Cheru-
bini proposait, dans son rapport de 1816, de constituer
la chapelle pour le service des vespres de manière à
opposer aux six basses-tailles quatre hautes-contre et
deux tailles, « sauf à appointer ces derniers ». C'est ce
qui fut fait; ces chantres recevaient une rétribution
annuelle de 3oo à 5oo francs.
(4) Arch. nat., O3 291.
520
LE GUIDE MUSICAL
Emargeant au budget, ils ont, outre la vanité
de l'artiste, l'un des principaux défauts du
fonctionnaire, l'inexactitude (i), bien que des j
amendes relativement élevées frappent les
absences injustifiées et les retards, et ils en ont
aussi la mesquine rétribution. Au lieu d'aug-
menter sans cesse les cadres, il vaudrait mieux,
selon Cherubini, rémunérer les honoraires, sauf
à les astreindre au concours pour les places
vacantes, ainsi d'ailleurs que les titulaires, car
l'abus des recommandations a fait engager
beaucoup de médiocrités (2).
C'était le cas de s'en débarrasser au moyen
de l'admission, à la retraite (3), qui pouvait
être prononcée après vingt ans de service.
Cependant, par leur rapport du 27 sep-
tembre 1817, les surintendants se déclaraient
satisfaits de tous les artistes ; ils ne demandaient
pas de retraites pour le i^1" janvier. Mais, dans
celui du 14 septembre 18 18, sur l'état de la
vocale, Le Sueur et Cherubini font connaître
qu'ils sont obligés de renforcer les dessus par des
honoraires. Les récitantes, en effet, ne venaient
pas à l'office lorsqu'elles n'avaient pas de soli
à chanter. La partie des premiers dessus ne
comprenait donc que dix personnes, dont six
(1) Arch. nat., O3 291. Ainsi, en 1817, Cherubini
relève deux absences illégitimes d'Habeneck.
Les musiciens ne pouvaient s'absenter plus d'un jour.
Pour une absence de huit jours au plus, une permission
du surintendant leur suffisait. Au delà, un congé signé
de l'intendant des Menus-Plaisirs était exigé. (Règlement
du 27 février 1816. L'article 8 prévoyait le cas de maladie
et l'envoi du médecin.) Pour les services extraordinaires,
un bulletin de convocation leur était porté à domicile
par les garçons d'orchestre ; ils en devaient donner reçu.
(Art. i3.) L'amende était de 3 livres pour les manque-
ments et de 1 livre en cas de retard. (Imprimé de la
formule d'engagement. Arch. nat., O3 290.)
(2) Arch. nat., O3 290. Fétis fait la même critique
dans la Revue musicale (de Paris) du 18 septembre i83o.
(3) La pension était acquise, aux termes de l'engage-
ment, lorsque l'artiste avait mérité sa vètérance, c'est-à-
dire à vingt ans de service pour les chanteurs et musi-
ciens de la classe des instruments à cordes, à quinze ans
pour celle des instruments à vent. Ils recevaient alors
en pension (conformément aux termes de l'édit de 1782)
la totalité des appointements pour lesquels ils étaient
employés à ce moment sur les états de la musique du
Roi.
Les veuves recevaient le cinquième de la pension
après dix ans de service de leur mari et le quart après
vingt ans. (Arch, nat,, O3 290.)
pages ; celle des seconds dessus ne comptait que
quatre voix, auxquelles s'ajoutaient celles
des pages que la mue faisait passer d'une
classe à l'autre. Ils proposaient donc d'aug-
menter d'une récitante la partie des seconds
dessus, d'y adjoindre quatre choristes et d'obli-
ger les récitants à prendre part à tous les ser-
vices (1), tandis que, lorsqu'ils n'y étaient pas
personnellement employés, le règlement de la
chapelle, du 27 février 1816, les en exemptait.
Un autre rapport, non daté (de 1818 aussi pro-
bablement), rappelle que sous Louis XVI et
Napoléon, tous les récitants venaient à la
chapelle, Laïs et Martin exceptés, et demande
à l'intendant de les y contraindre. Les termes
généraux de la formule d'engagement l'auraient
permis en effet (2). En ce qui concerne l'or-
chestre, ils proposaient de remplacer les hono-
raires par des adjoints, nommés au concouis,
bien entendu.
Les surintendants se réunissaient ainsi pour
formuler leurs vues sur les mesures de réorga-
nisation ou pour adresser à l'intendant des
Menus-Plaisirs (3) leur rapport annuel sur les
(1) Arch. nat., O3 291.
(2) La voici : « Nous, Louis- Alexandre-Céleste
d'Aumont, duc de Villequier-Aumont, premier gen-
tilhomme de la chambre du Roi, etc., sur la connais-
sance que nous avons des talents du Sr X..., nous
l'avons reçu au nombre des musiciens ordinaires de
S . M . en qualité de ... , aux appointera ents de . . . , à charge
par lui de se rendre aux messes du Roi et de la Reine,
de faire le service des spectacles, répétitions et con-
certs, toutes les fois qu'il en sera averti par ses supé-
rieurs ou de leur part.
» Il jouira en outre d'une gratification annuelle de —
s'il s'en rend digne par son zèle et son exactitude à
remplir ses devoirs ».
(3) L'intendance des Menus-Plaisirs fut supprimée,
comme institution surannée, par une ordonnance royale
du 19 décembre 1820, sans d'ailleurs que cette sup-
pression portât atteinte aux prérogatives des premiers
gentilhommes de la chambre, les ducs d'Aumont et de
Duras, qui furent chargés d'administrer le Théâtre-
Français et l'Opéra-Comique. La subvention et la
comptabilité regardaient seules le ministère de la
maison du Roi. Pour le baron de la Ferté fut créée la
fonction de directeur des fêtes et spectacles de la cour.
Investi à peu près des mêmes attributions que l'ancien
intendant des Menus-Plaisirs, ce fonctionnaire avait
autorité et surveillance sur la musique de la Cour et de
la chapelle. (Minute des ordonnances, Arch. nat.,
O3 290.)
LE GUIDE MUSICAL
521
mérites de chaque musicien de la vocale ou de
l'orchestre (i). Ils proposaient le taux des gra-
tifications et laissaient à la bienveillance de
leur supérieur le soin de fixer les leurs (2).
(A suivre.) Georges Servières.
UN NOUVEAU LIVRE
DE M. F.-A. GEVAERT
ne publication nouvelle de M. Ge-
vaert est toujours un événement;
quel qu'en soit le sujet, elle l'éclairé
d'aperçus nouveaux, de vues origi-
nales, auxquelles l'éminente personnalité de
l'auteur confère une autorité exceptionnelle.
Sans avoir l'importance révélatrice de ses
grands travaux sur la musique antique et ses
dérivés de la liturgie romaine, le Traité d'harmonie
que M. Gevaert vient de nous donner (3) inté-
ressera peut-être davantage le grand nombre des
musiciens. La musique antique, dont la termino-
logie redoutable effraye les musiciens, tout autant
que sa complication théorique décourage les philo-
logues hellénisants, demeure le domaine d'une
élite. Au contraire, en abordant l'harmonie, l'his-
torien pénètre dans le vif de la question musicale
— on pourrait dire des questions d'actualité
(1) Voici un exemple de ces appréciations ; il s'agit
des deux hautbois : « Le second est un peu faible, mais
assez apt (sic) à remplir sa partie. Il est d'ailleurs brave
homme et bon royaliste. Tous deux exacts. » [Rapport
de Cherubini, en 1816 (O3 291).]
et Mme Regnault, récitante, bonne pour chanter les
récits quand elle les a appris par cœur. N'étant pas du
tout musicienne, elle est nulle pour les chœurs. » (Ibid.)
Sur l'état de 1817, on lit que que Mme Armand est
souvent malade (elle fut réformée en effet), de
Mme Staïti que sa voix s'en va . Mme Gide, coryphée
honoraire, est très utile, elle a une superbe voix de
contralto. Bouffet, bon lecteur.
(2) Sur l'état de gratifications de 1824, l'un et l'autre
sont portés pour 5oo francs; Plantade pour 000 franc?,
le violoniste Kreutzer pour 200.
(') Traité d'harmonie théorique et pratique, première
partie. Paris, Lemoine et Cie. La seconde partie, qui
sera consacrée aux modifications chromatiques du
majeur et du mineur, aux accords mêlés d'éléments'
mélodiques et aux modulations extra-tonales formelles,
paraîtra l'an prochain.
artistique, étant donnée l'importance prise par
l'harmonie dans la musique contemporaine, où
elle est arrivée à dominer tous les autres éléments.
La curiosité légitime de ceux qui attendaient
l'apparition du livre ne sera pas déçue. Non que
l'auteur renverse quelques-unes des théories géné-
ralement admises et apporte des « faits nou-
veaux», mais il abonde en remarques pénétrantes
et ingénieuses, en détails historiques et critiques
qui élucident l'origine d'une foule d'éléments de
l'expression sonore, expliquent maintes notions
confuses du « sentiment musical », justifient des
recommandations traditionnellement admises par
des générations de musiciens trop peu inquiets
de savoir si la discipline à laquelle ils se soumet-
tent est d'origine extérieure et arbitraire, ou si elle
est basée sur la nature même et sur leur propre
physiologie. C'est, pourrait-on dire, un traité
physiologique, esthétique et historique d'harmo-
nie, plus à l'usage des artistes qu'à celui des
élèves.
On retrouve ici deux qualités caractéristiques
des travaux de M. Gevaert : la conception large-
ment synthétique qui lui fait ramener sans cesse
à quelques principes des notions éparses dans
l'entendement, les présentant en un faisceau serré
où elles s'éclairent l'une l'autre; la langue aussi,
où la propriété des termes et l'élégance de l'expres-
sion ne le cèdent qu'à la concision et à la concen-
tration vigoureuse du discours.
***
Le plan général de cette première partie est le
suivant : Après avoir déterminé l'origine et les
caractéristiques absolues des sons (intervalles),
l'auteur étudie (indépendamment du mode) les éléments
du diatonique dans l'homophonie, puis dans la
polyphonie ; viennent ensuite l'analyse du majeur
diatonique dans l'art moderne, puis celle du mineur
sous ses diverses apparences. Le tout forme cinq
«Etudes», divisées en paraphrases subdivisés eux-
mêmes par A, B, etc.; les détails historiques et
esthétiques sont imprimés en petit texte, de manière
à ne pas interrompre l'enchaînement général.
Nous avons dit que le nouveau traité ne s'écarte
guère des théories habituelles ; mais l'exégèse et,
souvent, la classification diffèrent, parfois aussi
la terminologie. Ainsi, l'auteur remplace par le
mot triade la lourde périphrase « accord de trois
sons » ou « parfait ». La quinte de la triade du
vne degré, communément désignée sous le nom
de « quinte diminuée » ou « mineur-e », est quali-
fiée fausse quinte, pour cette bonne raison qu'on ne
peut considérer comme « diminué » un intervalle
522
LE GUIDE MUSICAL
qui est dans la gamme, et que d'autre part on ne
peut appliquer aux consonnances « absolues »,
« asexuées » d'octave, de quinte, de quarte, les
qualifications de « majeur » et de « mineur »
qui n'appartiennent qu'aux intervalles géminés.
L'auteur nomme « normale » et « secondaire »
les échelles mineures dites « harmonique » ou
« Ier t}rpe » et « mélodique » ou « 2me type ». Il dis-
tingue en outre entre les harmonies « essentielles »
(I, V, IV) et « complémentaires » (II, III, VI,
VII), entre les « enchaînements » et les « succes-
sions » harmoniques, les modulations « intrato-
nales » (transitoires) et « formelles » et désigne
sous le nom de cadence « de prolongement »
l'arrêt sur la sous-dominante, non encore qualifié
jusqu'ici.
Une particularité extraordinairement intéressante
du nouveau traité, ce sont les exemples et les cita-
tions que le vaste savoir et la mémoire légendaire
de l'auteur lui fournissent avec un curieux à-
propos. Les citations de Platon et d'Aristote
s'entremêlent à des exemples où les monodies
antiques, liturgiques romaines ou des peuples pri-
mitifs, les fragments empruntés, comme au
hasard, aux luthistes espagnols du xvie siècle, à
Bach, Gluck, Beethoven, Adam, Auber, Hérold,
Rossini, Meyerbeer, Gounod, Wagner, attestent,
par leur juxtaposition, l'immuabilité et l'universa-
lité de tel ou tel principe dans la variété infinie et
l'évolution incessante de l'expression musicale.
Cette immuabilité et cette universalité n'ont
d'autre source que la constance et l'unité du phé-
nomène acoustique lui-même transfiguré par l'art
et apprécié dans l'audition esthétique, dans ses
rapports encore mal expliqués avec la physiologie
auditive.
Toute l'exégèse harmonique de M. Gevaert tend
à laisser dominer sans cesse ce principe de l'ori-
gine purement naturelle et phj^siologique des parti-
cularités exposées, les déductions se succédant
ensuite avec une logique inflexible.
C'est ainsi que l'analyse des intervalles est
entièrement basée sur le phénomène des sons
harmoniques (§ 6), ce qui permettra, par exemple,
d'expliquer que si l'oreille tolère si facilement
l'absence de la quinte dans la plupart des accords,
c'est que la sonorité de la quinte est « contenue »
dans celle de la fondamentale (§ 82 D). Par ana-
logie, si la disposition des parties supérieures
importe peu quant à la nature de l'harmonie,
« dans l'audition d'un accord, la perception allant
d'abord au son le plus grave et de là s'élançant
vers le plus aigu », c'est que le grave contient l'aigu,
Taigu ne contient pas le grave (§ 55, Aristote) (1).
De même, toutes les formations d'échelles sont
constamment ramenées à la série des quintes
ascendantes (inversement, quartes descendantes),
point de départ de toute coordination d'interval-
les (2). Voir, par exemple (§ 16), le tableau de la
formation des sept types d'octaves diatoniques au
moyen de la série de six quintes (pour la diato-
nique d'ut, les quintes de fa à si), chacun des
sons étant pris successivement comme point de
départ : octaves dont notre art moderne n'a con-
servé que la deuxième (celle d'ut), dont en outre
la fondamentale finit par devenir la « tonique
universelle et unique, englobant dans son domaine
harmonique les cinq autres fondamentales » (§ 69Ï.
Ce point de départ de l'échelle des quintes, le
seul rationnel, explique une foule de particularités.
Pourquoi les accords contenant la fausse quinte
(en ut : si-fa) se prennent-ils sans préparation
(Beethoven commence ex abrupto la première sym-
phonie par les trois septièmes dominantes de
tonique, de dominante et de sous-dominante),
tandis que les autres, non préparés, demeurent
équivoques? Parce que ceux-ci, plusieurs fois
contenus dans la série des quintes tonales, n'y
indiquent pas clairement leur place, tandis que
les premiers révèlent franchement leur nature,
la fausse quinte se limitant par les sons extrêmes
de la même série (en ut : fa-si) (§81 D).
Le phénomène sonore se réfléchit dans notre
physiologie auditive; suivant la formule célèbre,
il n'y existe que « comme représentation ». Aussi
est-ce à ce point de vue que l'auteur analyse les
phénomènes de la consonnance et de la disso-
nance. Ainsi (il s'agit des tierces tempérées),
« notre sentiment harmonique, plus attentif à
suivre le contexte musical de l'oeuvre exécutée
qu'à contrôler la justesse des intervalles, s'accom-
mode parfaitement de ces consonnances approxi-
matives » L'élève n'a donc pas « à se préoccuper
de la différence acoustique qui existe entre les
(1) On voit que l'auteur n'est pas partisan du dua-
lisme harmonique tel qu'il est conçu par Riemann;
nous verrons tantôt sa conception du mineur.
(2) L'intervalle 1-2 des harmoniques (l'octave) équi-
valant à l'unisson, la quinte (2-3) est en réalité l'inter-
valle fondamental, le a cadre » primitif de l'élément
mélodique. On ne saurait, par exemple, entonner avec
justesse la seconde ut-ré sans sous-entendre (incon-
sciemment) la quinte intermédiaire sol. De même, la
plupart des instruments à cordes des primitifs s'accor-
dent par quintes, etc.
LE GUIDE MUSICAL
523
trois espèces de tierces » (i) (§ i5 A), notre
instinct musical reconnaissant d'ailleurs la valeur
réelle des sons, malgré la neuti-alisation du tempé-
rament, cela d'après leur rapport harmonique (§ 9).
Le phénomène auditif de la dissonance se produit par
la collision de deux sons qui se repoussent mutuellement,
sans qu'aucun d'eux, pris isolément, paraisse être la
cause principale de l'impression ressentie par nous.
Mais à l'audition d'un ensemble polyphone, l'effet est
tout autre : la dissonance se localise dans notre senti-
ment, qui signale comme dissonant tout son surajouté à
V accord primaire qui fait la base de l'agrégation... (§ 84 A).
De même, tandis que les dissonances diato-
niques (secondes et septièmes telles qu'elles sont
fournies par la série des quintes tonales) s'affirment
en dehors de tout contexte,
les dissonances chromatiques ne sont reconnues comme
telles que par les sons entendus auparavant ou en même
temps qu'elles. Attaquées inopinément sur nos instruments
tempérés, elles résonnent à nos oreilles comme des
intervalles diatoniques : une septième diminuée {si-la |?)
nous paraît une sixte majeure {si-sol $). Elles n'ont qu'une
existence purement musicale (§ 119 B).
La quarte, troisième consonnance élémentaire
(sons 3-4), entendue sous forme d'accord,
fait éprouver une singulière impression d'instabilité,
presque de malaise : elle est le négatif de la quinte, c'est une
quinte entendue à rebours. Le son fondamental, qui dans la
quinte occupe sa place normale, le grave, s'entend à
l'aigu dans la quarte, en sorte que l'accord n'a plus sa
base; il est « renversé ». A l'oreille du musicien mo-
derne, la quarte fait un effet semblable à celui que pro-
duirait à l'œil la vue d'une pyramide posée sur sa
pointe (§ 7 D) (2).
(1) Pythagoriciennes, des physiciens et tempérées.
C'est la condamnation des discussions byzantines
autour des deux premiers systèmes, débat sans intérêt
au point de vue musical, — le a trou autour duquel il
n'y a rien ». Il n'est pas inutile de rappeler à ce sujet
combien relative est la justesse de nos ensembles instru-
mentaux et vocaux, les instruments à cordes tendant à
descendre, les bois et les cuivres montant avec la
température intérieure des perces, les chanteurs
brochant sur le tout en haussant d'instinct les f| et
en abaissant les |?. Chacun a pu éprouver ég-alement
avec quelle complaisance déplorable l'oreille s'accou-
tume à la fausseté d'un piano désaccordé.
(2) Cette impression ne se vérifie pas lorsque, désha-
bitués comme nous le sommes de l'audition isolée des
consonances absolues (quinte vide, quarte), l'intervalle se
complète dans notre entendement d'une tierce supposée,
le tout constituant dès lors un accord de % ; mais c'est
là, pourrait-on dire, un sentiment « de culture ». L'effet
Et à propos de ce fait que la fausse quinte, admis-
sible dans une progression par quintes descen-
dantes, ne l'est plus dans une marche par quintes
ascendantes (§ 62), cette citation d'Aristote, deman-
dant « pourquoi la succession mélodique se fait
» plus aisément de l'aigu au grave que du grave à
» l'aigu ». Parce que la marche vers l'aigu « né-
» cessite un effort, inutile dans la marche inverse. »
La méthode synthétique se manifeste encore
dans la notion, sans cesse présente à l'esprit du
lecteur, de l'origine commune des principes mélodie
et harmonie.
En effet, si la résonance simultanée est la pierre de
touche de la consonnance, la consonnance n'implique pas
nécessairement la simultanéité : il peut y avoir égale-
ment consonnance quand les deux sons s'entendent l'un
après l'autre... Dans la musique homophone, tant
antique que moderne, les repos mélodiques ont lieu en
général sur des sons qui forment consonnance avec la
fondamentale harmonique de la cantilène (§ 5) (1).
Au surplus, la musique homophone elle-même
était déjà partiellement polyphone.
L'émission des trois consonnances absolues, frappées
en accord, n'a jamais été exclue de la pratique instru-
mentale. Déjà les fondateurs mythiques de l'art grec
ont pratiqué une harmonie rudim.ntaire en ajoutant
après coup une partie d'accompagnement au dessin
mélodique. . . Un des instruments populaires de l'anti-
quité, Yaulos à deux tuyaux, était voué au duo perpé-
tuel... (§ 39).
§ 40. — Dans nos pays d'Occident, on rencontre dès le
xe siècle un accompagnement vocal consistant dans la
répétition continue de la fondamentale grave du mode...
Deux vieux instruments restés longtemps en faveur dans
nos contrées, la vielle et la cornemuse, ont été imaginés
spécialement en vue de faire entendre, sous la mélodie,
une basse en bourdon (2) .
d'inversion de la quarte s'étend d'autre part à la î,
l'accord semblant comme suspendu, ainsi qu'une
grappe, à la tonique, ce qui ne se produit pas avec la \,
où la tonique est au centre .
(1) Remarquons d'ailleurs que le concept « harmo-
nie » doit s'accompagner, dans la plupart des cas, du
concept ce mélodie ». On ne saurait, par exemple, jouir
pleinement des polyphonies de Bach, ni surtout des
œuvres des contrapontistes néerlandais d'avant la ré-
forme palestrinienne et l'école romaine, sans suivre la
marche individuelle des parties, conjointement avec
l'effet d'ensemble. C'est ce que Richard Strauss nomme
joliment l'audition « horizontale » et l'audition « verti-
cale ».
(2) Les vièles à archet elles mêmes, ancêtres de notre
quatuor contemporain, possédaient souvent, outre les
cordes habituelles, une corde tendue en dehors du
524
LE GUIDE MUSICAL
Ce rustique élément d'expression a été fréquem-
ment exploité, par les maîtres modernes, dans des
pièces de caractère pastoral (ex. 5g à 63 : Beetho-
ven, début de la Pastorale, etc., etc.).
Les exégèses physico-physiologiques de M.
Gevaert s'accompagnent de nombreuses remar-
ques esthétiques fixant une impression, caracté-
risant d'un trait rapide et incisif la portée expres-
sive des agrégats harmoniques et des formules
rencontrés : sur 1' « exclamation passionnée » de
l'accord de neuvième (§ 89, ex. i55 : le chant des
Filles du Rhin du Rheingold); sur le dualisme
expressif de la neuvième mineure de dominante
qui, « en introduisant dans la vivante harmonie
majeure de dominante l'élément mineur alangui,
parvient à rendre le mélange des sentiments oppo-
sés qui agitent l'âme envahie par la passion »
(§ 119 C); sur le caractère de chacune des trois
triades essentielles, dont le jeu suffit « pour donner
au discours polyphone ses éléments indispen-
sables, ainsi que ses divisions rhétoriques mar-
quées par des arrêts ou cadences » (§ 75) : celle
de tonique, « V alpha et l'oméga, le principe et la
fin de toute création harmonique, le centre où
viennent converger tous les mouvements mélodi-
ques et polyphones d'un système tonal »; celle
de dominante, « la cheville ouvrière, l'élément
actif du mécanisme polyphone », avec sa tierce
majeure, la note sensible « attribut distinctif de
la tonalité moderne »; celle de sous-dominante,
« satellite de la triade tonale, se bornant générale-
ment à jouer auprès d'elle un rôle amplificatif »
(§ 71); enfin, sur la genèse de l'art moderne lui-
même considéré au point de vue de l'art antique,
des notes éparses que nous trouvons admirablement
résumées dans les lignes suivantes :
De bonne heure, les musicistes antiques de la lignée
pythagoricienne avaient discerné dans les consonnances
absolues le « corps » de l'harmonie; mais « l'âme »,
l'essence vitale de cette harmonie leur resta toujours
cachée. La révélation de l'harmonie intégrale et vivante
ne fut pas le résumât de la réflexion philosophique,
mais le fruit du labeur obscur et obstiné des dé'han-
teurs et contrapontistes médiévaux. En introduisant
dans l'accord fondamental de quinte la tierce, en con-
joignant dans une seule et triple émission vocale la
consonnance absolue et la consonnance expressive, ils
faisceau de ces dernières, passant à côté de la touche et
s'attachant à une chtville spéciale fixée sur le côté de
l'ancien cheviller plat : également un bourdon. Telle
la viola di bordone, instrument favori du prince Nicolas
Esterhazy, protecteur de Haydn, lequel ne composa,
dit-on, pas moins de 175 morceaux pour cet instrument,
à l'usage du dilettante princier.
créèrent l'accord parfait : ensemble sonore qui révèle
à l'auditeur, dans une seule perception sensorielle, la
structure harmonique et le sens de la cantilène (§ 37).
(A suivre.)
Ernest Closson.
MOZART ET SON « DON JUAN »
Monsieur le rédacteur,
Le Guide musical, dans son numéro des 9 et
16 juillet, donne le récit d'un épisode de la vie du
maître qui se serait passé à Paris, où u Mozart eut
occasion de venir à l'époque où il s'occupait de
son opéra de Don Juan ». L'anecdote racontée par
votre correspondant est charmante, mais malheu-
reusement, permettez-moi de vous le dire, elle
manque de fondement. Votre correspondant n'au-
rait, pour s'en convaincre, qu'à consulter la bio-
graphie monumentale de Mozart, par Otto Jahn,
ou les écrits du savant et érudit bibliothécaire de
la Gesellschaft der Musikfreunde, à Vienne, feu
C.-F. Pohl, œuvres qui, l'une et l'autre, s'appuient
sur des sources et des documents absolument
authentiques.
Voici un itinéraire des voyages et séjours de
Mozart à Paris. Né à Salzbourg le 27 janvier 1756
(mort à Vienne le 5 décembre 1791^, il alla à Paris
pour la première fois à l'âge de sept ans, y arri-
vant le iS novembre i/63, accompagné par son
père et par sa sœur, alors âgée de douze ans. Ils y
restèrent jusqu'au 10 avi.il 1764, se rendirent à
Londres et revinrent à Paris le 10 mai 1766, pour
y séjourner encore jusqu'au 9 juillet, et retourner
ensuite en Allemagne et à Salzbourg.
A l'âge de vingt-deux ans, Mozart fit un nouveau
voyage à Paris, y arrivant le 23 mars 1778, accom-
pagné cette fois-ci par sa mère, qui y mourut le
3 juillet de la même année. Mozart partit le
26 septembre 1778 pour Strasbourg et Mannheim,
et ne revit plus Paris après cette date.
Quant à Don Juan, Mozart a écrit cet opéra
pendant l'automne de 1787, en partie à Vienne et
en partie à Prague; donc neuf ans après son der-
nier séjour à Paris!
Je vous donne ici quelques détails sur la création
de Don Juan, qui avait été commandé à Mozart
LE GUIDE MUSICAL
525
pour le théâtre de Prague. Il se rendit en cette
ville avec sa femme, au mois de septembre 1787,
pour y compléter la partition, qui, probablement,
avait à peine été commencée avant son départ de
Vienne. Mozart et sa femme furent d'abord logés
aux Trois Lions, au n° 420 du Kohlmarkt, mais
bientôt Mozart préféra s'installer à la maison de
campagne de son ami Duschek. à Koschirz, aux
alentours de la ville. On montre encore là la
chambre qu'il occupa et, dans le jardin, une table
en pierre à laquelle il était assis, travaillant à sa
partition, au milieu des allées et venues et des
causeries de son entourage et des éclats de rire
des joueurs de quilles, à côté de lui !
Il se mit en relations avec les artistes qui de-
vaient représenter les différents rôles de l'opéra,
afin de les familiariser avec leurs parties. On
raconte que Teresa Saporiti, sa prima donna
préférée et adorée, aurait donné expression publi-
quement à son étonnement qu'un artiste de la
haute valeur de Mozart pût avoir un extérieur
aussi insignifiant! Mozart, frappé au vif, aurait
aussitôt transféré ses attentions à une autre canta-
trice, soit la Micelli, soit la Bondini. Cette
dernière, dans le rôle de Zerline, ne pouvant se
décider à pousser la fatal cri d'angoisse, dans le
final du premier acte, Mozart, après plusieurs
vains essais, se rendit lui-même sur la scène, fit
répéter tout le morceau et, au moment voulu,
pinça si fort le bras de la cantatrice, que celle-ci
poussa un cri de douleur. « C'est bien, dit-il en
riant, c'est ainsi qu'il faut crier! ». La première
représentation de Don Juan eut lieu à Prague le
29 octobre 1787, au milieu des ovations et des
applaudissements enthousiastes du public, qui fit
bisser un grand nombre des morceaux. Le soir de
la veille de ce 29 octobre, à la vive inquiétude de
ses amis, mais au grand amusement de Mozart
lui-même, l'ouverture de l'opéra n'était pas encore
commencée. Il y travailla jusqu'à une heure
avancée de la nuit, tandis que sa femme lui faisait
boire du punch et lui racontait des contes de fées
pour le tenir éveillé. Succombant enfin à la fatigue,
il dormit un peu, mais à 7 heuies du matin, le
copiste, s'étant présenté par ordre, reçut la parti-
tion, et l'ouverture fut jouée le soir à première vue
par l'orchestre. A Vienne, Don Juan fut mis en
scène pour la première fois le 7 mai 1788, et n'eut
aucun succès. D'après l'abbé Da Ponte (le libret-
tiste de Don Juan), l'Empereur, après cette repré-
sentation, aurait dit : « L'opéra est divin, plus beau
peut-être que Figaro, mais ce n'est pas un mets
pour les dents de mes bons Viennois ». Lorsque
cette observation fut rapportée à Mozart, il aurait
répondu : « 11 faut leur laisser le temps de le
mâcher ! ».
Agréez, monsieur le rédacteur, mes salutations
bien cordiales. Edward Speyer.
LA SEMAINE
PARIS
A L'OPÉRA. — Depuis quelques représenta-
tions de Sigurd, c'est M. André Gresse qui chante
le rôle de Hagen, si magistralement créé par son
père à Bruxelles et à Paris. Il y a longtemps qu'on
voulait lui persuader de prendre cette succession,
mais la modestie de l'excellent artiste et sa crainte
d'être trop inférieur aux souvenirs qu'avait laissés
son père, l'avaient fait se confiner dans le rôle
du Grand Prêtre. A peine est-il besoin de dire
qu'il est tout à fait remarquable dans Hagen, où
sa voix sonore et son jeu vivant font merveilles. Le
public, au reste, lui a fait sentir sa satisfaction par
de vraies ovations.
AU CONSERVATOIRE. — Résultats des
concours à huis clos :
Orgue (professeur, M. Guilmant). — Jury :
MM. Théodore Dubois, président; Eugène Gigout,
Gabriel Fauré, Albert Lavignac, Adolphe Deslan-
dres, Raoul Pugno, Alexandre Georges, Gabriel
Pierné, Adolphe Marty, Auguste Chapuis.
Premier prix, M. Joseph Boulnois; deuxième
prix, M. Bonnet; premier accessit, M. Fauchet;
deuxième accessit, M. Barrié.
Le sujet de la fugue était donné par M. Gigout,
le thème libre par M. Chapuis.
Harmonie (femmes). — Jury : MM. Théodore
Dubois, président; Charles Lefebvre, Gabriel
Fauré, Taudou, Gabriel Pierné, Xavier Leroux,
Raoul Pugno, J. Mouquet, Caussade.
Deuxième prix, Mlle Ganeval, élève de M. Cha-
puis ; premier accessit, Mlle Dauly, élève de
M. Georges Marty; deuxièmes accessits, Mlles Mil-
liaud, Alice Morhange, Bussière, élèves de
M. Georges Marty.
Contrepoint et fugue. — Jury : MM. Théodore
Dubois, président; Charles Lefebvre. Guilmant,
Dallier, Raoul Pugno, Henri Biisser, Lucien Hil-
lemacher, Galeotti, Mouquet.
Premiers prix, MM. Dumas, Bazelaire, élèves
526
LE GUIDE MUSICAL
de M. Lenepveu; deuxièmes prix, M. André
Gailhard, élève de M. Lenepveu; M. Fibelle et
Mlle Marthe Greembach, élèves de M. Gabriel
Fauré; premiers accessiis, MM. Cools, Pollet,
élèves de M. Fauré; M. Borcbard, élève de
M. Lenepveu; deuxièmes accessits, MM. Flament,
Bertrand, élèves de M. Lenepveu.
Violon (classes préparatoires). — Jury : MM.
Théodore Dubois, président ; Berthelier, Lefort,
Rémy, Willaume, Wenner, Lederer, Debroux,
Duttenhoffer.
Premières médailles : M1,e Dechamps, élève de
M. Brun; M. Zighera, élève de M. Desjardins;
deuxièmes médailles : M. Krettly, élève de
M. Brun; Mlle Cherny, élève de M. Desjardins ;
M. Jullien, élève de M. Brun; troisièmes mé-
dailles : M. Poulet, élève de M. Brun; M.Hémery,
élève de M. Desjardins.
Le morceau de concours était le septième con-
certo de Baillot; le morceau à déchiffrer de M.
Charles Lefebvre.
Accompagnement au piano. — Jury : MM. Théo-
dore Dubois, président ; Albert Lavignac, Ed. Man-
gin, Francis Thomé, Raoul Pugno, Galeotti,
Cuignache, Catherine, Piffaretti. (Classe de
M. Paul Vidal.)
Hommes. — Premier prix, M. Lucien Maillieux;
deuxième prix, M. Albert Wolff; deuxième acces-
sit, M. Krieger.
Femmes. — Deuxième prix, MUe Pelliot; pre-
mier accessit, Mlle Ganeval.
BRUXELLES
— L Académie des Beaux- Arts vient de décerner
le prix HouHevigne, d'une valeur de 5,ooo francs,
à M. Georges Marty, pour son opéra de Daria,
représenté cette saison à l'Académie nationale de
musique.
Le prix HouHevigne est attribué, tous les quatre
ans, aux termes de sa fondation, par l'Académie
des Beaux- Arts, à l'auteur d'une œuvre remar-
quable en peinture, en sculpture, en architecture
ou en composition musicale.
— A nouveau, le musée de l'Opéra vient de
s'enrichir d'une précieuse relique.
Depuis hier a été placée, dans la rotonde, une
guitare ayant appartenu à Charles Gounod.
Cet instrument, retrouvé dans la maison
qu'habitait, aux environs de Paris, pendant le
siège, l'auteur de Faust, est bien conservé.
Sur le couvercle de la caisse dans laquelle cette
guitare est enfermée, se trouve une inscription à
l'encre de la main du célèbre compositeur.
A l'occasion du jubilé national de la Belgique, le GUIDE
MUSICAL qui lui-même célèbre cette année le cinquantième
anniversaire de sa fondation, publiera prochainement un
numéro entièrement consacré à l'histoire de l'art musical en
Flandre et en Wallonie. Ce numéro, illustré de nombreux
portraits d'artistes et de compositeurs célèbres, constituera
un ensemble unique rappelant les fastes de notre art national.
CONSERVATOIRE. — Chant théâtral (jeunes
gens). Professeur, M. Demest. — Premiers prix,
MM. Godard, Van Granderbeek et Gaudier; deu-
xième prix avec distinction, M. Osselet.
Chant théâtral (jeunes filles). Professeurs, Mmes
Cornélis et Kips-Warnots. — Premiers prix avec
distinction, Mlles Maes et Van Craenenbroeck;
premiers prix, Mlles> Vanden Berg, Gilliaux, Artot,
Duchêne et Lemmens ; deuxièmes prix, Mlles Le-
cluyse, Delannois, Soenen, Lamant, Simon et
Loriaux; premiers accessits, Mlles Doms, Ernoux,
De Pamv, Capelle, Thieffry et Walkers.
Duo de chambre (prix de la Reine). — Mlles
Artot et Van Craenenbroeck, toutes deux très
applaudies autant dans leur concours individuel
que dans l'exécution des duos.
Tragédie et comédie (jeunes gens). Professeurs,
MM. Vermandele et Chômé. — Premier prix,
M. Charrier; deuxièmes prix avec distinction,
MM. Cretiny et Sagehomme; deuxièmes prix,
MM. Bender, Doperé et Goffin.
Déclamation (jeunes filles, concours à huis clos).
Classe de Mme Neury. — Premières mentions,
MllPS Bury, Debeds, Lyon; deuxièmes mentions,
Mlles Collard et De Foreau.
— Dimanche dernier a eu lieu à Laeken, à l'oc-
casion des fêtes notionales, la première exécution
de la cantate Les Cloches jubilaires, de M. Florestan
Duysburgh. L'œuvre est d'une grande allure et
d'une belle envolée musicale ; les chœurs surtout
ont produit grand effet, sous la magistrale direction
de M.Joseph Duysburgh, père du jeune auteur.
Cette cantate a obtenu un énorme succès et sera
exécutée une seconde fois à Saint-Gilles dans le
courant du mois de septembre.
— La série des conférences de l'Ecole de mu-
sique et de déclamation d'Ixelles s'est terminée
brillamment par le récital de chant de Mme de Ma-
zière, qui a su faire apprécier d'excellentes qualités
de méthode, de style et d'expression.
Le programme comportait outre, des mélodies de
Schubert, de Schumann et de Brahms, Yarioso de la
Passion de J.-S. Bach : « Saigne à flots » ; l'air du
Messie ; « Je sais que mon Sauveur existe » ; celui
LE GUIDE MUSICAL
527
à'Alceste : « Divinités du Styx », enfin le rêve
d'Eisa de Lohengrin.
- - Ecole de musique de Saint-Josse-ten-Noode-
Schaerbeek. Résultats des concours de igo5.
Solfège élémentaire, troisième division (jeunes
filles). — Professeur, Mme Eberhardt : Première
distinction avec mention spéciale : Mlles Madeleine
Pluys et Elisabeth Smolders. Première distinction :
Mlles Nadine Lelong, Hélène Fabry, Maria Fryns,
Maria Haulait, Germaine Debeukelaer, Amélie
Lazarus, Jeanne Mouton, Lucienne Rousteaux.
Professeur, M1Ie Evrard : Première distinction
avec mention spéciale : Mlle5 Félicie Stockman,
Henriette Pepersack, Marguerite Lemmens. Pre-
mière distinction : Mlles Victorine Dupriez, Ger-
maine Hautermann, Marie Van Malderen, Marcelle
Leemans, Irène Audenaerde, Germaine Brissy,
Simonne Hargot, Madeleine Legros, Maria Tim-
mermans, Delphine Van Lierde, Germaine Franck,
Adrienne Tacx.
Professeur, Mlle Lentrin : Première distinction :
Joséphine Lubbers.
Jeunes gens. — Professeur, M. Maeck : Pre-
mière distinction avec mention spéciale : Louis
Nicodème. Première distinction : MM. Alfred
Depauw, Alexandre Thiels, Marcel Joseph, Armand
Van Calck.
Professeur, M. Minet : Première distinction
avec mention spéciale : MM. Eugène Benoit et
Horace Zani de Ferranti. Première distinction :
MM. Adolphe Van Oeyen et Maurice Van Goid-
senhoven.
Diction et déclamation. — ■ Professeur, Mlle Wer-
lemann : Première distinction avec mention spé-
ciale : Mlle Régine Kersten. Première distinction :
Mlles Suzanne Lambotte et Elise Poppe.
Chant individuel, cours supérieur. — - Professeur,
Mme Cornélis : Médaille : MUes Suzanne Poirier et
Alice Rome. Premier prix avec la plus grande
distinction : MUe" Jeanne Meert et Hélène Patri-
geon. Premier prix avec distinction : Mlle Mathilde
Dardenne et Régine Kersten. Premier prix :
Mlles Juliette Nahrath et Louise Bouclit.
Mélodie. — Prix : Marguerite Vanden Eynde.
Cours inférieur. — ■ Première distinction :
Mlles Henriette Finck, Désirée Compère, Cécile
Deridder, Catherine Naeyaert.
Cours préparatoire. — Professeur, MHe Latinis :
Première distinction : MUes Emma Janssens, Made-
leine Laurent, Emma Carreau.
Professeur, M. Demest : Premier prix : M. Ar-
thur Bouquet.
Cours inférieur. — Première distinction avec
mention extraordinaire : M. Jean Bourdon. Pre-
mière distinction : MM. Ernest Deblaer, Gérard
Dils, Jacques Forton, Honoré Compère.
Cours préparatoire. — Professeur, M. Mercier :
Première distinction : M. François Simon.
Solfège élémentaire, deuxième division. — Pro-
fesseur, M. Maeck : Première distinction : MM.
Charles Raskin, Clément Stolting, Jules Destre-
becqz, Louis Vanden Brambussche, Léon Caekel-
berghs, Ferdinand Bastaens.
Solfège élémentaire, première division (jeunes
filles). — Professeur, Mlle Jacobs : Première
distinction : M1Ies Jeanne Everaers, Louise Fol.
Professeur, MHe Evrard : Première distinction :
Mlles Marguerite Delgrosso, Marguerite Kuborn,
Julia Michel.
Jeunes gens. — Professeur, M. Bosselé! : Pre-
mière distinction avec mention spéciale : M.
Georges Thiels. Première distinction : M. Emile
Torent.
Deuxième division (jeunes filles). — Professeur,
Mme Eberhardt : Première distinction avec men-
tion spéciale : M11^ Hortense Fillodeau, Gisèle
Grosfils. Première distinction : MHes Marguerite
Huybrechts, Elisa Marchai, Thérésa Heine, Mar-
guerite Lootens, Anna Van Crugten, Rachel
Verscheure.
Professeur, M1Ie Camu : Première distinction
avec mention spéciale : M^s Marguerite Hanay,
Jeanne Delpire. Première distinction : MHes Ade-
line Michel, Alice Stahl, Clémentine Deduck.
Solfège supérieur, première division, (jeunes
filles). — Professeur, Mme Labbé : Médaille :
MUes Marguerite Vanden Eynde et Germaine
Crame. Premier prix avec distinction : MHes Alice
Moëller et Marie Steens. Premier prix : MHes Emma
Janssens, Irène Grimaldi, Jeanne Meert, Jeanne
Vandercruysen et Madeleine Laurent.
Deuxième division. — Professeur : Mme Witt-
mann. Premier prix avec distinction : Mne Gabrielle
Faes. Premier prix : MHes Claire Hilpert, Anna
Van Oeyen. Paule Van Tright, Lucienne Tordoir
et Régine Kersten.
Solfège supérieur, première division (hommes).
— Professeur, M. Bosselet : Médaille : MM. Ho-
noré Compère et Richard Billet. Premier prix
(rappel avec distinction) : M. Herman De Bock.
Premier prix avec distinction : M. Louis Roba.
Solfège pour chanteuses, première division. —
Professeur, M1^ Jacobs. Première distinction :
Mlles Madeleine Dumontier, Odile Rykens et Mar-
guerite De Moerloose.
528
LE GUIDE MUSICAL
CORRESPONDANCES
LA HAYE. — A l'occasion du 14 juillet, le
dernier concert symphonique au Kursaal
de Scheveningue a été entièrement consacré à la
musique française, avec un programme composé
de trois fragments de la symphonie Roméo et Juliette
de Berlioz, musette et tambourin des Fêtes d'Héhé
de Rameau, l'ouverture du Roi d'Y s- de Lalo et
le concerto en si mineur de Saint-Saëns, fort bien
joué par le second concertmeister M. Gesterkamp.
M. Scharrer étant indisposé, ce concert a été
dirigé par le second capellmeister, M. Marien-
hagen, et a été un succès pour ce jeune chef
d'orchestre.
En fait de nouveautés orchestrales, exécutées
dans les derniers concerts, il faut citer les variations
symphoniques Istar de Vincent d'Indy ; Schwertcr-
tatiz, scène de ballet de l'opéra Ingo de Rùfer, un ou-
vrage intéressant, mais manquant d'originalité, et
un poème symphonique de Christian Kriens, com-
positeur néerlandais établi à New-York, dont
l'instrumentation est fort à louer. En fait de
solistes, nous avons entendu un ténor russe,
M. Léo Sinowjeff, d'Odessa, doué d'une voix plus
vibrante que sympathique, et la charmante violon-
celliste Mlle Eisa Ruegger, élève du Conservatoire
royal de Bruxelles, déjà si favorablement connue
en Hollande, qui a obtenu un très grand succès
en jouant avec maestria le concerto de Lalo et
une sonate de Boccherini.
La Nederlandsche Toonkunstenaars Vereeniging
avait mis au concours un oratoiio pour soli,
chœur et orchestre; le jury, composé de MM. von
Perger, de Vienne, Willem de Haan, de Darmstadt,
Jan Blockx, d'Anvers, n'a décerné ni le premier,
ni le second prix, et il n'a accordé qu'une seule
mention honorable à M. Van Gilse, d'Arnhem.
Notre excellent pianiste M. Karel Textor,
membre du Haagsche Trio, bien connu en
Belgique, vient d'être nommé professeur de
piano au Conservatoire de La Haye, en rempla-
cement de M. Akkerman.
Nous allons avoir de nouveau Un théâtre
italien pendant la saison prochaine. M. de
Hondt annonce le retour de la troupe italienne
pour le mois d'octobre et donnera ses représen-
tations comme l'année dernière à La Haye, à
Amsterdam et à Rotterdam. On parle aussi, mais
rien n'est moins certain, de la réouverture de
l'Opéra néerlandais, sous la direction de M. Van
der Linden. Ed. de H.
NOUVELLES
L'intendance royale des théâtres de la Cour de
Munich nous adresse le plan de la distribution
des rôles des festivals Wagner et Mozart, qui
auront lieu du 7 août au 21 septembre. Outre
le personnel de l'Opéra de Munich, les artistes
suivants prendront part à ces représentations :
Mmesp. Burk-Berger (Dresde), Sophie David (Co-
logne), Johanna Gadski (New-York), Emilie
Herzog (Berlin), Anna von Mildenburg (Vienne),
Thila Plaichinger (Berlin); MM. Dr Otto Briese-
meister (Berlin^, Karl Burrian (Dresde), Léopold
Demuth (Vienne), Wilhelm Fenten (Mannheim),
Hermann Gura (Schwerin), Albert Holzapfel
(Breslau), Arthur von Kleydorff (New- York),
Ernst Krauss (Berlin), Max Lohfing (Hambourg),
Edgar Oberstotter (Wiesbaden), Karl Perron
(Dresde), Julius Puttlitz (Essen», Albert Reiss
(Londres), Desider Zador (Prague). La direction
musicale de la première et de la troisième repré-
sentation de V Anneau du Nïbelung (9 au i3 août et
5 au 9 septembre) ainsi que des trois représenta-
tions de Tristan et Isolde (16 et 28 août et 2 sep-
tembre), des deux représentations du Vaisseau
fantôme (i5 et 3o août) et de toutes les représenta-
tions de Mozart sera confiée au directeur géné-
ral de musique M. Félix Mottl. M. le professeur
Arthur Nikisch dirigera les trois représentations
des Maîtres Chanteurs (7, 18 et 3i août), M. Franz
Fischer, la deuxième série de l'Anneau du Nibelung
(21 au 25 août). La mise en scène sera réglée par
l'intendant royal, M. le chevalier von Possart.
— Les Hérétiques, grand-opéra en trois actes,
poème de F. Hérold, musique de Charles Le-
vadé, grand premier prix de Rome en 1898, seront
donnés pour la première fois le dimanche 27 août,
au théâtre des Arènes de Béziers.
Les amateurs d'art qui désireraient assister à
cette première sensationnelle, sont priés de se faire
inscrire d'ici le i5 août chez M. Mangeot, 3, rue
du 29 Juillet, s'ils veulent bénéficier de la réduc-
tion accordée par les compagnies de chemins de
fer. A noter que ces représentations sont données
au bénéfice des pauvres.
Rappelons que les interprètes principaux de
l'œuvre de M. Levadé sont MM. Duc, Dufranne
et Vallier, Mmes Harriet Strasy, Charles-Mazarin
et Charbonnel.
— On nous écrit de Genève :
« A l'occasion des promotions qui ont eu lieu le
mercredi 12 juillet au Victoria-Hall, les élèves de
LE GUIDE MUSICAL
^29
l'école secondaire et supérieure des jeunes filles,
en présence des autorités et d'un nombreux public,
ont donné une superbe audition d'un chœur
patriotique de M. J. D. Schnell, compositeur
genevois, ainsi que de quatre chœurs lires du joli
opéra-comique Fra Diavolo, d'Auber, qui ont
obtenu le plus vif succès. Les diverses productions
étaient accompagnées par un excellent orchestre
dirigé par M. le professeur H. Kling. »
— On vient d'inaugurer devant le Grand-Opéra
de Vienne deux candélabres artistiques représen-
tant, l'un la victoire de Siegfried sur Fafner, l'autre
le Commandeur étreignent la main de Don Juan
mourant.
— Contrairement à la nouvelle qui s'était
répandue, Mme Cosima Wagner n'a pas eu l'inten-
tion de supprimer l'Ecole de chant et de style
dirigée jusqu'en ces derniers temps par le regretté
Julius Kniese. La Tàgliche Rundschau annonce en
effet que Mme Cosima Wagner vient de donner un
successeur à Kniese en la personne d'un élève de
celui-ci, un tout jeune capellmeister, M. Karl
Muller, né en 1878 à Francfort-sur-le-Mein, où
il a fait ses études au Conservatoire. Après avoir
été capellmeister à Elberfeld et Saint-Gall, il fut
engagé par M. Maurice Grau, comme deuxième
chef d'orchestre, au Metropolitan Opéra House de
New- York. Il y resta jusqu'au jour où le succes-
seur de M. Grau, M. Conried, décida de monter
Parsifal.
— Weber chef d'orchestre.
Un soir, on devait donner la Flûte enchantée de
Mozart. La représentation allait commencer, lors-
qu'on s'aperçut que le cahier de la partition n'était
pas sur le pupitre du chef d'orchestre.
Grande terreur parmi les musiciens. La cour
pouvait entrer d'un moment à l'autre, et l'on savait
qu'aux yeux de Frédéric- Auguste, ce roi ponctuel
par excellence, ce serait un crime impardonnable
de ne pas commencer l'opéra dès qu'il paraîtrait.
La frayeur avait gagné le public. Caroline (la
femme de Weber) regardait le pupitre vide et
tremblait. Weber vit le danger, mais il sourit, et,
sans s'émouvoir autrement, il envoya chercher le
cahier de musique.
La cour entra.
Le pupitre était toujours vide.
Weber jeta à sa femme, toute pâle, un regard
pour la rassurer, prit son bâton, donna le signal,
conduisit tout le premier acte de l'opéra avec sa
vigueur ordinaire, sans broncher et de mémoire,
s'amusant même à faire semblant de tourner les
feuillets du cahier aux endroits voulus.
L'opéra de Mozart était devenu en quelque sorte
une partie de lui-même. Le fait s'ébruita, et tous
les membres de la famille royale s'empressèrent de
faire des compliments à Weber de ce tour de force
musical.
— Les orgues vivantes.
Autrefois, pour ajouter à la pompe des fêtes
religieuses, comme, par exemple, dans la cérémo-
nie solennelle qui eut lieu à Bruxelles en 1549, le
jour de l'octave de l'Ascension, en l'honneur d'une
image miraculeuse de la Vierge, pendant la proces-
sion et après le passage de l'archange Michel, on
voyait paraître un chariot sur lequel était assis un
ours touchant de l'orgue.
Cet orgue vivant se composait d'une vingtaine
de chats enfermés séparément dans des caisses
étroites, au-dessus desquelles passaient les queues
de ces animaux liées à des cordes attachées au
registre de l'orgue et correspondant aux touches
de cet instrument. Don Juan Christoval Calvete
de Estrella a rendu compte de cette fête dans sa
Relation du voyage de Philippe II, prince de Casiille, à
Bruxelles. C'est à cette source que le père Méné-
trier a puisé la description qu'il en donne à son
tour dans son Traité des représentations en musique, de
même que nous puisons ces détails dans les Voix
de Paris, de Georges Kastner, qu'il faut toujours
citer lorsqu'il s'agit de l'histoire de la musique dans
ses rapports avec la nature et toutes les spécula-
tions de la philosophie. Christoval de Estrella nous
apprend que l'ours (un homme déguisé en ours),
pressant les touches, tirait les queues de chats ; ce
qui leur faisait miauler des tailles, des dessus, des
basses , selon les airs qu'il voulait exécuter. L'ar-
rangement était si bien combiné que, de cette
musique grotesque, il ne sortait pas un son faux.
Au son de cet orgue d'un genre nouveau dan-
saient des enfants habillés en loups, en singes, en
cerfs, etc.
Pierre le Grand, dit-on, fut régalé d'un concert
semblable, et en 1753 il y eut encore un Saint-
Germain où l'on fit accompagner les mi-a-ou des
chats par des violons, tandis qu'un singe battait
gravement la mesure.
On ne s'est pas arrêté en si beau chemin. On a
formé non seulement des orgues de chats, mais des
orgues de porcs vivants, et même de porcs et de
chats réunis.
— Le Riedel-Verein de Leipzig a inscrit au
programme de sa prochaine saison de concerts
53o
LE GUIDE MUSICAL
le Messie de Haendel, le Requiem de Mozart, la
Messe de Gran et le XIIIe Psaume de Liszt.
— La ville de Milan s'apprête à fêter, dans le
courant de l'année prochaine, par une grande
exposition internationale, le succès de l'entreprise
colossale du percement du Simplon. De son côté,
la délégation des palchettistes (propriétaires de loges)
du théâtre de la Scala se prépare à organiser pour
cette époque une grande exposition théâtrale dont
les principaux éléments concourront ensuite à la
fondation du musée de ce théâtre. Cette exposi-
tion aura lieu dans un local à désigner, où seront
réunis les souvenirs et les objets à l'aide desquels
on pourra reconstituer l'histoire de « ce Temple
de l'Art ». Pour ce musée, disent les initiateurs,
« l'archive de la délégation fournira tout le patri-
moine d'art qu'elle possède, mais elle fait appel au
public et elle croit et espère, grâce à l'aide
qu'elle sollicite, pouvoir recueillir une matière plus
abondante, afin que le musée puisse acquérir une
importance historique et éducative. Le travail qui
s'impose avec la plus grande urgence est donc
celui de la préparation du musée sous forme
d'exposition, afin qu'il soit à ce moment en
grande partie constitué. »
Le matériel du musée sera divisé ainsi en trois
groupes :
Premier groupe (théâtre). — Construction, plans,
dessins, accessoires, décors, costumes, figures,
armes, bijoux, objets appartenant aux artistes,
représentations théâtrales, instruments.
Deuxième groupe (souvenirs biographiques). —
Souvenirs relatifs aux célèbres compositeurs,
poètes, chefs d'orchestre, artistes du chant,
danseurs et danseuses, portraits (tableaux,
gravures, estampes, sculptures, photographies,
médailles, autographes.)
Troisième groupe (littérature musicale^. —
Partitions d'opéras et ballets, autographes et impri-
més, livrets d'opéras et arguments de ballets,
journaux, illustrations, livres, monographies,
manuscrits, littérature spéciale, manifestes, pro-
grammes, billets d'entrée, catalogues.
BIBLIOGRAPHIE
Fl. Van Duyse. Tien onde nederlandsche liederen
voor koor met of zondev harmonium begeleiding. (Edi-
tion de VA Igemeen Nederlandsch Verbondj. C'est la
quatrième série publiée par Tauteur de ces excel-
lents arrangements d'anciennes chansons néerlan-
daises pour voix mixtes. Celle-ci contient dix
mélodies des xve au xviir6 siècles, chansons
religieuses, danse chantée, chansons d'amour,
berceuse, le tout d'exécution très facile et de
disposition vocale bien sonnante ; on remarquera
particulièrement l'adresse avec laquelle l'auteur
tire de la mélodie principale des développements
propres à prévenir la motononie imminente de la
chanson populaire, l'ensemble étant d'une cohé-
rence parfaite. E. C.
— Constant Pierre. — Les Hymnes et Chansons de
la Révolution. Aperçu général et Catalogue, avec notices
historiques, analytiques et bibliographiques (Pu-
blications de la ville de Paris relatives à la
Révolution française.) Paris. Imprimerie natio-
nale, i vol. pet. in-f° de 1,040 pages.
M. Constant Pierre est l'homme des travaux
immenses et qui les achève, et que rien ne rebute
dans l'entassement des documents, et qu'une claire
vue guide sans hésitations au milieu des pires
dédales. Les services qu'il aura rendus aux cher-
cheurs, avec ses trois ou quatre ouvrages princi-
paux, seront incalculables. On connaît son énorme
volume consacré au Conservatoire de Paris, si
plein, si débordant de renseignements authen-
tiques, si curieux à feuilleter. Nous en avons fait
maintes fois usage ici même. Depuis plus long-
temps encore, il s'était attaché à l'histoire de la
musique de la Révolution, non pas la musique de
cette époque, mais la musique officielle de cette
période transitoire, celle des fêtes et cérémonies,
les hymnes, les chansons, les cantates... Déjà
voici quelques années, en 1899, avait paru un
copieux volume, le recueil même de ces hymnes
et chants, avec accompagnement d'orchestre réduit
pour le piano. Introduction comprise, il y avait là
plus de 65o pages de format petit in-folio. Le
volume que nous annonçons aujourd'hui est
comme le tome II de l'ouvrage : c'est le commen-
taire, le catalogue critique et bibliographique.
Et quel catalogue, et quel travail critique ! Que
d'indications de documents inédits ou imprimés,
quel dépouillement absolu de tout ce qui a été
publié, de tout ce qui ne l'a pas été, des éditions
diverses et des variantes, et que d'ingéniosité
partout à expliquer les points douteux, à éclaircir
les problèmes obscurs, à remettre les choses sous
leur vrai jour! Et ce n'est pas tout; un autre
volume est à l'impression, intitulé La Musique aux
fêtes et cérémonies de la Révolution française. Ce sera
sans doute l'appréciation générale musicale de cet
énorme bagage, dont si peu de chose, hélas ! mé-
rite de rester dans la mémoire des hommes. Il y a
LE GUIDE MUSICAL
53i
quelque dépit, chez le lecteur à penser qu'un tel
travail, un tel amas de documents a pour but une
histoire aussi spéciale et secondaire. Songez
à ce que serait un pareil labeur, et un tel luxe
d'impression employés simplement au catalogue
raisonné et critique de la bibliothèque du Conser-
vatoire ! !
Voici la table sommaire du nouveau volume de
M. Constant Pierre. Il faut se borner à ce simple
relevé ; si l'on voulait signaler, même d'un mot,
les études approfondies que contient à l'occasion ce
catalogue, par exemple à l'article de La Marseillaise
ou du Chant du Départ (le premier a 5i pages, le
second 16...), jusqu'où irait-on?
Une première partie comprend une étude géné-
rale sur les chansons de la Révolution, leurs
sujets, leur rôle politique, leurs sources, le choix
des airs, etc. Puis une autre sur les hymnes, pro-
voqués par les événements. Puis des notices sur
les auteurs, chansonniers, poètes et musiciens..
Ensuite, l'examen technique des documents,
autographes, manuscrits imprimés, des éditions
musicales, des recueils privés ou officiels ; plus
une bibliographie générale des textes, recueils, pro-
cès-verbaux, journaux, almanachs, pamphlets, etc.;
enfin, un inventaire de tous les fonds d'archives ou
de bibliothèques qui conservent ces hymnes ou
chansons.
La seconde partie, c'est le catalogue même,
chronologique, en quatre divisions : hymnes et
chants; chansons populaires; chansons et couplets
politiques ; musique instrumentale. Ce catalogue
est thématique pour chaque œuvre et comporte
pour chacune son commentaire critique et sa
bibliographie spéciale : il y a près de 2,400 nu-
méros.
Enfin, six tables couronnent l'ouvrage : table des
titres, table des premiers mots de chaque œuvre,
table des auteurs, table des airs ou timbres, table
analytique générale, table de concordance des
numéros des œuvres et des pages du catalogue
Je le répète, il y a de quoi effarer ; ce sont là de
ces livres qu'on n'ouvre qu'avec je ne sais quelle
crainte mystérieuse Mais la confiance vient
vite, car l'esprit qui l'a écrit est lucide et net avant
tout. Henri de Curzon.
— M. Bourgault-Ducoudray a publié (chez l'édi-
teur Noël, anc. maison Mackar, 1 cahier de 6 f.),
sous le titre de La Chanson de la Bretagne, 7 poèmes
d'Anatole Le Braz, des plus émouvants, des plus
caractéristiques (Berceuse d'Armorique, dans la
Grand'Lune, Nuit d'étoiles, Chant des nuages,
Chanson du vent qui vente, etc.), qu'il a su mettre
en relief avec des harmonies puissantes et des
expressions pénétrantes où l'on sent rêver ou
pleurer toute la Bretagne, légendaire ou moderne,
intime ou aventureuse. Ces pages ont un grand
cachet de vérité et de poésie.
— Il a été parlé ici, il y a quelques mois, de
l'oratorio qu'Edward Elgar a composé sur un
poème du cardinal Newman : Le Songe de Géron-
tius. La partition pour piano et chant a paru à
peu près à cette époque, chez Novello, à Londres
(prix, fr. 7-5o), avec version française de Jacques
d'Offoël. Cette traduction, très sonore, très facile
d'exécution, très exacte dans la transcription des
valeurs, permet d'étudier l'œuvre intéressante du
compositeur anglais.
— On sait que la magistrale édition des œuvres
complètes de Rameau, si luxueusement publiée par
MM. Durand et fils, et si éruditement, sous la
direction de M. C. Saint-Saëns, par M. Charles
Malherbe et un groupe choisi de musiciens, com-
porte une série d'extraits et d'éditions populaires,
accessibles à tous, et de réductions pour piano et
chant. C'est ainsi qu'à la suite des grandes éditions
orchestrales d'Hippolyte et Aricie et de Castor et
Poïïux, de simples partitions pour piano et chant
ont été livrées au public. Dardanus vient de paraître
ainsi au prix de 8 francs, et nous l'annonçons avec
plaisir. La transcription est de M. Vincent d'Indy.
Il n'est que de la comparer à celle qui a paru dans
la collection Michaélis pour apprécier combien
eHe est plus riche et nourrie pour la partie de
piano, et plus soignée aussi dans les parties de
chant, par exemple au point de vue des petites
notes et des agréments.
— Ont paru, chez Sandoz, Jobin et Cie, deux
charmants petits cahiers de Jaques-Dalcroze : Six
danses romandes et Six petites pièces pour piano. Ce
dernier recueil est la transcription simplifiée et
abrégée de la Sérénade pour quatuor à cordes. Le
premier est original et d'une élégance très carac-
téristique.
— L'éditeur Bartholf Senff, de Leipzig, vient de
publier un ouvrage précieux, une sorte d'atlas de la
musique et des musiciens au xixe siècle, en vingt
tableaux, par M. le Dr Walter Niemann. On y trou-
vera réunis dans un ordre logique et avec une
clarté si grande tous les renseignements sur les
œuvres et les compositeurs, qu'il suffira d'un coup
d'œil pour avoir un aperçu des éléments essentiels
d'une question. Dates de naissance et de décès,
caractéristiques des compositeurs, leurs préfé-
rences, les influences subies et exercées, leur place
dans l'histoire musicale, l'indication des théâtres-
532
LE GUIDE MUSICAL
et de leurs répertoires, tout cela se trouve réuni
avec méthode et clarté dans l'ouvrage de M. Nie-
mann, qui sera indispensable à tous ceux qui s'inté-
ressent à l'histoire musicale.
— La maison C.-F. Kahnt, de Leipzig, publie
en ce moment les séries les plus intéressantes des
Lieder de Franz Liszt. C'est tout d'abord une édi-
tion en trois cahiers des mélodies pour chant sur
les paroles françaises de Victor Hugo ou les adap-
tations de M. Gustave Lagye et de Mme Camille
Chevillard. Ces mélodies ont été soigneusement
revues par M. W. Hôhne et sont publiées dans le
ton original, pour ténor, pour baryton et pour
basse. (Le cahier broché, fr. 4.50; relié, fr. 5.65.)
En même temps paraît toute une série de Lieder
de Liszt dans une version anglaise excellente.
— Signalons aussi — mais elle mériterait une
étude spéciale et détaillée — l'importante et
difficile sonate en sol, pour violon et piano, de
M. Auguste Sérieyx, le distingué professeur de la
Schola Cantorum (chez Démets, éditeur. Prix : 8
francs). Un prélude avec fugue, un lied et un
scherzo avec choral varié, telles sont les divisions
de ce morceau très original et d'un intérêt toujours
soutenu.
flManos et Ifoarpes
trarîi
Bruxelles : 6, rue SLambermout
paris : rue &u /iDail, 13
NÉCROLOGIE
Nous apprenons la mort du ténor Léon Achard,
qui fit une carrière brillante sur les trois grandes
scènes lyriques parisiennes; il était né en i83i,
à Lyon. Fils d'un excellent comédien, qui fut une
des gloires de l'ancienne troupe du Palais-Royal,
en même temps que Déjazet, Sainville, Levassor
et tant d'autres, ce n'est pourtant qu'après avoir
fait d'excellentes études littéraires et s'être fait
recevoir licencié en droit qu'il se fit aussi recevoir
au Conservatoire, qu'il ne quitta qu'après avoir
obtenu le premier prix d'opéra-comique en 1854.
Engagé aussitôt au Théâtre-Lyrique, que dirigeait
alors Edmond Seveste, il y débuta le 9 octobre de
la même année dans un ouvrage nouveau de
M. Gevaert, le Billet de Marguerite, avec une jeune
femme charmante, Mme Deligne-Lauters, devenue
depuis lors Mme Pauline Gueymard. Elégant, doué
d'une jolie voix dont il savait se servir, le succès
d'Achard ne fut pas un instant douteux. Il fit
plusieurs créations au Théâtre-Lyrique, entre
autres dans les Charmeurs, de Poise, et le Muletier de
Tolède, d'Adam, se montra aussi dans divers
ouvrages du répertoire : Marie, la Sirène, le Barbier
de Séville, Ma Tante Aurore, puis alla tenir le grand
emploi au Grand-Théâtre de Lyon, dont Halanzier
était le directeur. C'est là qu'Emile Perrin alla le
chercher pour l'engager à l'Opéra-Comique, où il
vint débuter en 1862 dans la Dame blanche; après
quoi il joua Haydèe, le Songe d'une nuit d'été, le Pré-
aux-Clercs, le Domino noir, et fit d'importantes
créations dans Fior d'Aliza, le Capitaine Henriot et
surtout Mignon, où son succès fut complet.
En 187 1, Achard prit un instant la carrière
italienne et alla faire une saison à la Fenice de
Venise, où justement il chanta Mignon. Mais bientôt
il revint à Paris, où Halanzier, devenu directeur
de l'Opéra et se souvenant de lui, l'appela pour
créer, avec Faure et Mme Gueymard, la Coupe du roi
de Thidé, l'opéra d'Eugène Diaz qui avait été
couronné au fameux concours ouvert à ce théâtre
en 1867. Achard entra bientôt dans le courant du
répertoire, joua successivement Faust, Don Juan,
la Favorite, l'Africaine, puis, au bout de quelques
années, quitta l'Opéra pour rentrer à l'Opéra-
Comique et y créer le Piccolino d'Ernest Guiraud.
Peu de temps après, il abandonnait la carrière
active pour aller simplement donner des représen-
tations en province et à l'étranger, puis enfin il se
retirait pour se consacrer entièrement à sa classe
du Conservatoire, où il avait été nommé professeur
d'opéra-comique. Il avait épousé en 1864 Mlle Le
Poitevin, fille de l'excellent peintre de ce nom.
— Alfred Volkland, directeur de plusieurs
sociétés musicales de Bâle, vient de mourir dans
cette ville à l'âge de soixante-quatre ans. Il y était
établi depuis 1878. Né à Brunswick en 1841, il
avait été maître de chapelle à Sondershausen et
directeur de musique à Leipzig.
— A Bonn vient de mourir le professeur
Wilhelm Kuppe, un des fondateurs de la société
qui a pris pour titre Maison de Beethoven et qui
s'est donné pour tâche primordiale d'acquérir la
maison dans laquelle est né Beethoven. La société,
qui a quinze ans d'existence, a publié en 1904 un
album renfermant de beaux portraits et des docu-
ments très intéressants reproduits en fac-similé.
LE GUIDE MUSICAL
533
SCHOTT FRÈRES, Editeurs de musique, BRUXELLES
FETES JUBILAIRES DU
W taiwsire dé rie*
BLOCKX, Jan,
GILSON, Paul.
BLOCKX, Jan.
ŒUVRES DE CIRCONSTANCES :
Vlaanderens Grootheid (Gloria Patrise),
chœurs et piano ou orchestre. Texte
flamand et français.
Cantate Inaugurale, chœurs et piano ou
orchestre.
Concert du 30 juillet
à la Grand'Place
Jubelgalm (Chant Jubilaire), chœurs et piano i Concert du 21 juillet
ou orchestre. Texte flamand et français. ( au Palais de Justice
BLOCKX, Jan. Ons Vaderland (O fier Pays), pour baryton solo et chœurs,
avec piano ou orchestre. Texte flamand et français.
DE MSRLISR, Louis. La Liberté! chœur pour deuK voix égales, avec piano ou
orchestre.
GILSON, Paul. Chant de Fêtes, cantate à trois voix égales, avec piano
ou orchestre.
GILSON, Paul. Transcription de la Brabançonne, pour quatre voix mixtes
et orchestre.
KADOUX, Th. Patria, cantate pour chœurs et piano ou orchestre.
VYGEN, L. Patria Belgica, chœur pour quatre voix d'homme.
0L0SS0N, Ernest. Chansons populaires des provinces belges.
Prière de demander les partitions à vue
SCHOTT FRÈRES, ÉDITEURS, BRUXELLES
LE GUIDE MUSICAL 533
Fêtes du 75me Anniversaire de l'Indépendance Nationale
te!)ëum
Pour chœur à six voix mixtes, orgue et orchestre, composé pour les fêtes jubilaires
PAR
EDGAR TINEL
Cette œuvre a été exécutée à l'Eglise Sainte-Gudule, le 21 Juillet 1905
EN VENTE CHEZ
BREJTKOPF & HJEHJEL, Éditeurs, a Bruxelles
La partition chœur et orgue, prix : 5 francs net
La partition d'orchestre paraîtra sous peu.
J. Ba KATTO Rue de l'Ecuyer, 46-48
Editeur de musique BRUXELLES ^ téléphone 1902
Yieiuieut lie Pfôi'aitre s
G. Lecail. - patrie Radieuse
Chœur à 2 voix avec accompagnement de Piano, de Symphonie ou d'Harmonie
Partition Fr. 3 — Chaque partie .... Fr. o 5o
J8 Rayée. - La Chanson Populaire
DE L'HISTOIRE DE BELGIQUE DEPUIS CÉSAR JUSQU'A NOS JOURS
Partition Fr. 4 — Libretto Fr. 1 —
Mise en scène pour fêter le Jubilé National de 1905
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
ERNEST CLOSSON
CHANSONS POPULAIRE
DES PROVINCES BELGES
Vient de paraître Prix : 6 francs net
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ê et i3 Août igoS.
LA
CHAPELLE ROYALE SOUS LA RESTAURATION
E
(Suite. — Voir le dernier numéro)
n dehors de ces circonstances excep-
tionnelles, les surintendants, aux
termes de l'article premier du
Règlement, alternaient par quar-
tiers dans l'exercice de leurs fonctions. Pendant
un trimestre, ils dirigeaient la chapelle, com-
posaient les programmes à leur gré. A Cheru-
bini étaient dévolus les premier et troisième
trimestres, à Le Sueur, les second et quatrième,
qui comprennent les fêtes catholiques les plus
importantes : Pâques, l'Ascension, la Pente-
côte, la Fête-Dieu, la Toussaint, le jour des
Morts et la Noël. Pendant les trimestres
dirigés par Le Sueur, la chapelle n'exécutait
pour ainsi dire que des œuvres de Le Sueur ;
durant ceux appartenant à Cherubini, la
plupart des morceaux exécutés sont de Cheru-
bini. Parfois cependant, le programme admet-
tait une œuvre d'un compositeur ancien, le
Stabat de Pergolèse, le Requiem de Jomelli, un
fragment de messe de Zingarelli ou de Mozart.
Une très petite place était laissée aux composi-
tions des musiciens faisant ou ayant fait partie
de la chapelle : Paësiello, Martini, Persuis,
Kreutzer, Plantade, et l'on s'en étonnera moins
lorsqu'on apprendia que l'audition en était
défendue par l'article Ie1' du Règlement du
27 février 18 16, approuvé par les ducs
d'Aumont et de Duras, qui réservait ce privi-
lège aux seules productions religieuses des
surintendants. Néanmoins, l'on apportait
parfois des dérogations à cette défense,
puisqu'on voit Le Sueur, le i5 novem-
bre 1816 (1), recommander les messes de Plan-
tade à la bienveillante attention de M. de la
Ferté.
Pour le service de la chapelle royale, Cheru-
bini a composé beaucoup d'œuvres nouvelles,
plusieurs messes, un Requiem, de nombreux
motets (2). Le Sueur, au contraire, se contentait
le plus souvent de faire exécuter ses productions
anciennes, sa messe de Noël, ses oratorios
bibliques : Rachel, Ruth et Noêmi, Ruth et Booz,
Déborah, son Super Flumina,et de puiser dans les
répertoire des messes écrites par lui pour la
chapelle impériale. Quand il en était besoin, il
se livrait au ravaudage de ses vieilles partitions
ou transformait en chants religieux des frag-
ments d'opéras inédits ou ses hymnes poli-
tiques de la période révolutionnaire. Sauf pour
(1) Arch. nat., O3 290. Le carton O; 291 renferme les
programmes manuscrits de la chapelle royale de 1817
à 1823. Il est bien regrettable que ceux d'après soient
égarés et que l'on ne possède pas ceux de la période
impériale.
(2) Les notices sur Cherubini mentionnent comme
ayant été composées pour la chapelle royale cinq
messes : en 1816, celles en ut et en mi [>, l'une et l'autre
à quatre voix, le Requiem en ut mineur à quatre voix;
en 1818, la messe en mi à quatre voix; l'année suivante,
la messe en sol; en j 821, la me se en si (? à quatre voix,
et en i825, la messe du sacre, en la, à trois voix. (Voir les
notices de Miel (1842), de Denne-Baron (1862), de
Crowest, 1 vol. in-S°, Londres, et la Notice sur les manus-
crits de Cherubini, par Bottée de Toulmon, 1 br. in-8°,
Paris, 1843. Voir aussi celle de Fétis dans sou' Dic-
tionnaire des musiciens.)
536
Le guide musical
les grandes fêtes de Pâques (i), de Noël, par
exemple, l'office n'a qu'une durée restreinte, et
la durée de la musique est calculée sur celle
de l'office. Aussi ne donne-t-on le plus souvent
que des fragments d'une messe : le Kyrie, le
Gloria ou le Credo seulement, et un motet pour
l'Offertoire (2). Parfois cependant Le Sueur
fait exécuter intégralement un de ses oratorios
historiques ou une œuvre du même genre d'un
autre compositeur, ou l'un de ses Oratorios de la
Passion et du Carême. Mais, bien que leur lon-
gueur ne dépasse pas celle d'une messe ordi-
naire, ils sont rarement chantés en entier.
D'autres fois, la musique vocale admet comme
intermèdes un trio d'instruments, une concer-
tante pour harpe, cor et violoncelle, propre à
faire briller la virtuosité des instrumentistes
récitants : les frères Nadermann, le corniste
Fr. Duvernois et le violoncelliste Duport.
« On avait appelé (à la chapelle royale)
l'élite des instruments, les plus grands talents
et les plus belles voix... L'exécution était tou-
jours excellente. On s'arrachait les billets de
chapelle », écrit le docteur Véron dans ses
Mémoires d'un bourgeois de Paris (3). Mais si le
public, avec des cartes d'invitation, était admis
aux offices en musique des Tuileries, il était
défendu d'entrer dans l'enceinte des musiciens
sans l'autorisation signée d'un des gentilshom-
mes de la chambre ou tout au moins de l'inten-
dant des Menus- Plaisirs (4). Berlioz y était intro-
duit par son maître Le Sueur, qui prenait soin,
avant la cérémonie, de l'initier au sujet de
(1) Voici par exemple, le programme du 6 avril 181 7
(jour de Pâques) : Messe solennelle de Le Sueur, Kyrie,
chœur; Gloria, duo par Mme staïti et Chenard; Qui sedes,
duo par M1^ Lecler et M. Bouffet; Credo, M. Chenard et
le chœur. Le Sanctus et VAgnus sont empruntés à une
messe de Plantade. (Programmes manuscrits, O3 291.)
(2) C'est ce qui fait que Cherubini a composé tant de
fragments de messes séparés : Kyrie (i3), Gloria,
Agnus Dei, un Credo en ré à quatre parties, plu-
sieurs Sanctus et tant de motets pour l'Offertoire;
O Salutaris (9), Ave verum, O sacrum convivium, O fons
amoris ! un Exaudi Domine, un In paradisum, un O Filii,
un Regina cœli, un Tantum ergo, un Lœtare, deux Pater
Noster, des litanies, d'autres motets enfin, tels que le
Sciant gentes et l'Esto mihi de 1829. (Notices précitées et
programmes manuscrits.)
(3) Paris, i855, in-18, M. Lévy.
(4) Art. 14 du Règlement de la chapelle du 27 fé-
vrier 1816.
l'œuvre qu'on allait exécuter. C'était rarement
le texte même de la messe (1).
Avant de quitter leur poste, les musiciens
devaient attendre la sortie du Roi et de la
famille royale. « A Vite, missa est, Charles X se
retirait au bruit grotesque d'un énorme tam-
bour et d'un fifre sonnant traditionnellement
une fanfare à cinq temps, bien digne de la
barbarie du moyen-âge », écrivait Berlioz (2),
qui ne prévoyait pas alors qu'il ferait un jour
usage de la mesure à cinq temps (3), si à la
mode aujourd'hui.
* * *
L'été, la musique se transporte à Saint-
Cloud, mais l'exiguïté de la chapelle du château
oblige à réduire le nombre des artistes à une
cinquantaine (4). Pour la réouverture des tri-
bunaux ou des Chambres, c'est à Notre-Dame
que l'on célèbre solennellement la messe du
Saint-Esprit (5). Dans les circonstances dou-
loureuses, pour les anniversaires funèbres :
mort de Louis XVI, mort de Marie-Antoi-
nette (6), funérailles du duc de Berry, ce sont
les voûtes de la basilique de Saint-Denis qui
répercutent ses chants attristés.
C'est pour le service commémoratif de
Louis XVI, à Saint-Denis, les 20 et 21 jan-
vier 1817, que Cherubini compose son célèbre
Requiem à quatre voix en ut mineur (7). Le
26 mai 18 18, pour l'inhumation du prince de
Condé dans la même église, la chapelle exécute
(1) Berlioz, Mémoires, tome 1er.
(2) Ibid.
(3) Dans le charmant air de ballet du « Combat du
Ceste » de la Prise de Troie.
(4) Cinquante-deux exactement, d'après une lettre de
Le Sueur du 3o mai 1817, à l'intendant des Menus-
Plaisirs. La chapelle de Fontainebleau n'en contenait
que quarante et un.
(5) On y exécutait une dizaine de morceaux et l'on y
admettait ceux des divers compositeurs appartenant à la
chapelle.
(6) Le 16 octobre 1817, pour cet anniversaire, on
chanta à Saint-Denis le Requiem de Jomelli, une prose
en plain-chant, un Agnus Dei de Plantade. L'orchestre
avait joué d'abord une marche funèbre de M. Lefebvre.
(7) Il fut chanté trois fois en deux jours : deux fois le
20, à 9 heures du matin et à midi, et le 21, à midi. Il fut
suivi de Vin paradisum de Persuis. On le rejoua le
i3 mars 1S20, à Saint-Denis, pour les funérailles du
duc de Berry (Denne-Baron; Moniteur du i5 mars).
le Guide musical
537
une Symphonie funèbre de Le Sueur, une
marche du même compositeur et d'autres
morceaux (1)
Les surintendants ont parfois à célébrer des
cérémonies plus heureuses, par exemple le
mariage du duc de Berry(i7 juin 1816), pour
lequel Le Sueur combine un épithalame dans
lequel il fait entrer son motet : Paratum cor ejus
et une cantate compocée en 1810 pour le
mariage de Marie-Louise (2). Pour la même
circonstance, Cherubini écrit le Mariage de
Salomon, qui est chanté pendant le banquet des
Tuileries (3). Cinq ans plus tard, le duc de
Berry est mort assassiné, mais Ja France
entière acclame la naissance de son rejeton
posthume, le duc de Bordeaux (4), Les deux
émules sont conviés à la fêter. L'un extrait
d'Alexandre à Babylone le finale du premier
acte (5), qui devient, avec des paroles latines :
Intonuit decœlo Dominas, la musique du baptême;
l'autre produit une cantate avec chœurs qui
est exécutée le 2 mai 1821 à la fête de l'Hôtel
de ville.
Tous les ans, au Ier janvier ou pour la Saint-
Louis (6), la musique donne au souverain une
(1) Programmes manuscrits (Arch. nat., O3 291).
(2) Ibid. Notice imprimée en tête de la partition.
(3) Notices sur Cherubini. Cette cantate fut exécutée
par cinquante-deux musiciens, (Arch. nat., ibid.)
(4) Lors du baptême du duc de Bordeaux, le 14 mai
1821, l'Opéra représenta un ouvrage de circonstance,
Blanche de Provence, dont les auteurs furent, pour la mu-
sique, Berton, Boïeldieu, Kreutzer, Paër et Cherubini,
qui composa le chœur : Dors, noble enfant 1 On le chante
encore parfois au Conservatoire.
(5) M. Ch. Malherbe, qui possède ce manuscrit de
Lesueur, daté du 24 avril 1821, m'écrit qu'il correspond
au finale du premier acte à' Alexandre à Babylone fr. 224
de la partition gravée) .
(6) Cherubini avait, au début de la Restauration,
composé des cantates de circonstance pour la fête de
Louis XVIII ; la première fut exécutée le 29 août 1814,
la seconde en i8i5. Cherubini et Le Sueur entrèrent à
l'Institut en vertu de l'ordonnance royale du 21 mars
1816. Les musiciens de la chapelle eurent à cœur de
prouver leur royalisme, car le 26 septembre 1816 eut
lieu le placement solennel, dans la salle où ils avaient
coutume de se rassembler, du « portrait de Louis XVIII,
peint à leurs frais par M. Grégorius ». A cette occasion,
l'on exécuta une marche de R. Kreutzer, une prière et
un Vivat composés par Plantade et Le Sueur sur des
paroles de M. Viellard. (Rapports des surintendants,
Os 291.)
aubade et se fait entendre pendant le grand
concert. Voici, par exemple, le programme
du 25 août 1817 : Une marche religieuse pour
instruments à vent de Cherubini, un quatuor
pour cor, harpes et violoncelle et un fragment
de symphonie de Haydn forment l'aubade.
Pendant le concert, en présence des invités du
Roi, l'orchestre et les chœurs exécutent l'ouver-
ture de Lodoïska de Cherubini, le chœur de
Tarare de Salieri, un chœur d'Aristippe de
R. Kreutzer et le chœur final des Bardes de Le
Sueur. Des airs s'intercalent dans ce pro-
gramme : la polonaise de Pelage de Spontini,
chantée par Mme Albert ; un air de Zémire et
Azor de Grétry (la Fauvette), vocalisé par
Mme Duret; Mlle Lecler, MM. Rigault et Le-
vasseur disent le trio d' Œdipe à Colone de
Sacchini. Avec un quatuor de harpes, cor et
violoncelle et l'air royaliste : Vive Henry IV!
qui termine obligatoirement la cérémonie, cela
fait neuf morceaux. En 181 8, il y en a onze, et
c'est insuffisant, car, sur le programme manus-
crit, au-dessous de la signature de Cherubini,
on lit cette observation : « Le Roi étant resté
plus longtemps à table que les années précé-
dentes, le concert a été un peu trop court. Il
eût fallu un morceau déplus. » Aussi, en 1819,
douze morceaux sont-ils prévus au programme,
qui porte ces mots : « Symphonie au besoin » (1).
* * *
11 ne faut pas confondre la musique de la
chapelle royale avec la musique de la chambre,
quoique l'une et l'autre soient payées sur le
même chapitre du budget et que certains
artistes fassent partie également de l'une et de
l'autre. La musique de la chapelle, comme son
nom l'indique, concourt aux cérémonies reli-
gieuses et se fait entendre dans les grandes
occasions, à la fête du Roi, par exemple. La
musique de la chambre pourvoit aux concerts
intimes donnés aux Tuileries en présence du
souverain, de sa famille et de sa cour. Beau-
coup plus restreinte, elle ne comprend que
dix-sept personnes, un compositeur-directeur et
deux accompagnateurs (2), les morceaux chantés
étant simplement accompagnés au piano,
(1) Programmes manuscrits (Arch. nat., O3 291).
(2) Etats d'émargement conservés aux Archives
nationales (O5 290) .
538
LE GUIDE MUSICAL
Sous la Royauté comme sous l'Empire, le
directeur, c'est Paër, le compositeur parmesan.
Ses 43 opéras n'ont pu le sauver de l'oubli ; il
n'est plus qu'un nom historique pour nos con-
temporains. Pendant les trente premières
armées du xixe siècle, c'était une sorte de génie
admiré dans toute l'Europe. En 1802, il avait
été engagé comme maître de chapelle de la
cour de Saxe. C'est à Dresde qu'il fit repré-
senter, en i8o5, Eleonora, ossia ï ' A more conjugale,
surlemêmesujet que \eFidelio de Beethoven(i).
Après une représentation ô! Achille sur ce
théâtre, Napoléon s'engoua de Paër au point
de l'enlever au roi de Saxe pour l'attacher à sa
cour. Un engagement signé à Varsovie le
14 janvier 1807, donna à l'Italien le titre de
compositeur de la chambre de S. M. I., moyen-
nant 28,000 livres de traitement et 12,000 livres
de giatification. On lui allouait en outre
3,ooo francs pour faire le trajet de Varsovie à
Paris. Paër devait accompagner l'Empereur
dans ses déplacements; il touchait alors une
indemnité de 10 francs par poste et de 24 francs
par jour en cas de voyage. Son contrat lui
assurait en outre quatre mois de congé par an.
Napoléon fit travailler Paër pour le théâtre
de la cour et, comme il avait un goût particulier
pour la musique italienne, il aimait à se faire
chanter par lui les airs de Paisiello. Mme Paër
était aussi attachée à la musique de chambre,
ainsi que le célèbre Crescentini, le ténor Brizzi,
M11"-' Grassini, etc. (2).
L'Empereur payait bien ceux qui travail-
laient pour sa gloire ou pour ses plaisirs. Les
Bourbons furent moins généreux. Conservé
en i8i5 comme compositeur-accompagnateur
de la musique du Roi, Paër eut toutes les
peines du monde à obtenir 18,000 francs
d'appointements (3) et il fut bientôt réduit
(1) Voir mon article sur : Les autres opéras de Léonore
(Guide musical des 5 et 12 mars 1899).
(2) Castil-Blaze : Chapelle musique des Rois de France.
Il donne le texte même de l'engagement de Paër.
(3) Au carton O3 291 (Arch. nat.), on trouve la minute
d'un projet de contrat daté de janvier 18 15, rédigé par
le duc de Fleury, premier gentilhomme de la chambre,
nommant Paër compositeur et accompagnateur pour les
concerts de la cour, avec 18,000 francs d'appointements.
Au bout de dix ans, une pension de 5, 000 livres lui était
promise.
à 12,000; mais en 1822, il trouva le moyen de
faire engager sa fille Alphonsine, à raison de
1,800 francs par an. En août 1823, elle fut
même poitée à 2,000 francs, comme ayant ,
remplacé Mmc Duret, qui remplissait modeste-
ment pour 1,800 francs l'emploi de première
chanteuse, abandonné par Mme Camporesi (1).
Celle-ci recevait une rétribution de 18,000 fiancs
en 181 5 et de i5,ooo fr. seulement en 1816 (2).
Paër avait comme adjoints les deux accom-
pagnateurs Boiëldieu et Blangini, rétribués à
raison de 2,000 francs par an (3).
Comme premier ténor, la musique de la
chambre possédait le célèbre Garcia, inscrit au
budget pour 1,800 fiancs par an. Ses succès de
théâtre, sa vogue européenne l'entraînaient
souvent à l'étranger; aussi manquait-il à la
chapelle pendant plusieurs mois de suite. En
avril 1823, on se prive de ses services, trop
intermittents, et son traitement est affecté à
Mme Dabadie (4), qui avait débuté à l'Opéra
en 182 1. C'était une élève et probablement une
protégée de Plantade.
La première basse, Levasseur, de l'Opéra,
touchait i,5oo francs pour chanter à la cour.
Il était plus exact. Quant aux autres chanteurs,
ils faisaient partie soit, comme Levasseur, de
la troupe de l'Opéra, soit de la musique de la
chapelle. C'était le cas de Dupont, second
ténor, de Consul, deuxième basse, de Rigault,
concordant, c'est-à-dire baryton, de Mmes Duret (5),
Albert, remplacée en novembre 18 17 par
M1^ Allait, de Mmes Gide, Lecler, Lafont,
Martainville.
D'autres chanteurs célèbres au théâtre firent
partie de la musique de la chambre, par
(1) Violante Camporesi, née à Rome en 17S5, fut
engagée pour la chapelle particulière de TEmpereur.
Elle quitta Paris pour Londres en 1817.
(2) Etats d'émargement (Arch. nat., O5 290). Ils nous
donnent l'âge de MUe Paër ; elle était née à Vienne le
10 février 1801. Elle mourut en 1834.
(3) Sur les états d'émargement, le nom de Boïeldieu
est écrit d'abord Boyeldieu. On le rectifia sur celui du
5 avril 1816 (Arch. nat., O3 291). Blangini dit dans ses
Souvenirs que sa nomination date de décembre i8i5.
(4) Louise-Zulmé Leroux, née à Paris le 20 mars 1804,
épousa en 1822 Dabadie, baryton de l'Opéra. Elle prit
sa retraite en i835. Elle mourut le 21 novembre 1877.
(5) Mme Duret, née à Paris en 1785, était entrée à
l' Opéra-Comique en i8o5 ; elle se retira en 1820.
LE GUIDE MUSICAL
53g
exemple Ponchard (i), de l'Opéra-Comique,
engagé comme ténor en 1820; en juillet 1824,
c'est Bordogni, de l'Opéra, qui vient prendre
la place du second ténor Dupont. En fé-
vrier 1826, on engage Mlle Cinti, la célèbre
vocaliste du Théâtre italien et de l'Opéra, qui,
en 1828, devint, par son mariage, Mme Damo-
reau. Mme Dorus y chanta pendant deux ans,
à ses débuts.
En janvier 1828, le flûtiste Tuiou et le har-
piste Nadermann sont engagés comme solistes,
à 1,000 francs de traitement. Avec le violoniste
Lafont, ils forment un trio pour les concerts
des Tuileries. Deux ans plus tôt, on avait,
dans le but d'y faire de la musique de chambre,
constitué un quatuor d'archets avec les chefs
de pupitre de la chapelle royale : Baillot,
Kreutzer, Tariot et Baudiot (2).
Ces diverses créations sont dues probable-
ment à l'influence de la duchesse de Barry, la
seule personne de la famille royale qui s'inté-
ressât quelque peu à la musique et qui
protégeât les artistes (3). On sait qu'en 1816,
Paër avait obtenu le titre de maître de chant et
qu'en 1821, Boïeldieu eut celui de compositeur
de la duchesse de Berry. C'étaient des pensions
déguisées.
(A suivre.) Georges Servières.
UN NOUVEAU LIVRE
DE M. F.-A. GEVAERT
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
Parmi les pages les plus instructives du
Traité figurent celles consacrées au
mode mineur et à Y échelle fientaphone.
L'auteur considère le mineur comme
une « flexion » et, ainsi qu'on l'a vu, un « alan-
guissement » du majeur. Le majeur est l'élément
viril, actif; le mineur, l'élément « féminin, passif,
ondoyant »; tel, le majeur-mineur relatif « dont
(1) Sur Ponchard, voir la notice d'A. Méreaux, 1 br.
in-8°. Paris, 1S66, Heugel.
(2) Arch. nat., Or' 291.
(3 ; Souvenir? de Blangini, 1 vol. in-8° Paris, i836.
le balancement harmonieux suffit à Wagner pour
exprimer la double nature, énergique et tendre,
de son héros Lohengrin » (§ g5, ex : 182 : « Mon
cygne aimé », etc. (1). La cause réside dans l'inter-
valle caractéristique du mode, la tierce mineure
(harmoniques 5-6) qui, isolée, n'a même pas de
détermination précise et n'en acquiert une que par
l'adjonction d'une tierce majeure, soit au grave,
soit à l'aigu (2) » § 7 D). C'est pourquoi, si une
mélodie mineure peut se terminer sur la quinte,
comme une mélodie majeure, elle ne peut, comme
cette dernière, se terminer sur la tierce. Malgré
l'importance du mineur dans l'art ancien, alors
que des compositions considérables se déroulaient
tout entières dans ce mode (§ i35), pour finir, ou
bien on réduisait la triade tonale à une quinte
vide, ou, comme chez Bach, Haendel, on passait
sans transition à l'éclat lumineux du majeur
{§ n 51 (3).
On sait qu'il existe trois types de gammes mineu-
res : i° le mineur diatonique (échelle de la sans
signe altératif), 3me type; 20 le mineur normal, dit
aussi « harmonique » ou du Ier type; 3° le mineur
secondaire, « mélodique » ou du 2me type.
Le premier est dit aussi antique et correspond
en effet à l'ancien hypophrygien ; il est issu de la
même série de quintes que le diatonique majeur
relatif (§ io5 A). C'est de lui que naît, dès le
xve siècle, par la chromatisation ascendante du
septième degré (devenu note sensible), le mineur
« normal », avec lequel il alterne non seulement
dans l'harmonie, mais aussi dans la mélodie. La
transformation était nécessaire pour les besoins
de la polyphonie moderne; aujourd'hui même,
quand une phrase mineure diatonique paraît dans
un ensemble polyphone, elle n'en est pas moins
(1) Par une curieuse coïncidence, Grieg emploie la
même alternance harmonique dans sa mélodie Le Cygne.
(2) Les sons mi-do, entonnés successivement, donnent
une impression de repos, de conclusion, tandis que
sol-mi fait attendre une suite. Le fait nous a fréquem-
ment frappé dans les formules d'appel, chez les enfants
par exemple, qui entonnent ou sifflent régulièrement
la tierce mineure, dont le son grave, tierce d'une
fondamentale absente, pose comme une interrogation,
demande une réponse. Dans la nature elle-même, l'appel
du coucou consiste en une tierce mineure.
(3) Chacun a remarqué les oppositions d'ombre et de
lumière produites par l'alternance du mineur-majeur (de
même ton) dans de nombreux passages de Schubert, chez
qui ce procédé prend l'importance d'une particularité
stylistique. Dans le développement du thème principal
de la Pastorale de Y Artésienne, Bizet obtient de la même
manière un effet très caractéristique (mesure 40 du 3/4).
540
LE GUIDE MUSICAL
harmonisée chromatiquement. Au surplus, « en
Orient, le mineur est devenu chromatique sans
aucune intervention de l'harmonie simultanée » ; et l'évo-
lution doit dater de très loin, puisque « on en
constate déjà des traces deux siècles avant Jésus-
Christ » (§106).
Le mineur normal, lui, est celui qui contient,
du 6e au 7e degré, cet intervalle de seconde
augmentée, souci des harmonistes en herbe.
De fait, l'intervalle n'est pas dans la série des
intonatiODS naturelles; il est un de ces « inter-
valles biscornus » dont parle Berlioz. Dans son
exégèse du mineur normal, M. Gevaert signale
l'intensification expressive introduite dans le
discours musical par la seconde augmentée,
naguère exceptionnelle et réservée aux grands
effets dramatiques, mais graduellement acclima-
tée dans la musique moderne, notamment par les
pastiches de musique orientale (§ 109 A, D, E,
ex. : Gluck, Beethoven, chanson tunisienne (1),
Weber, Wagner (prélude du 3e acte de Tristan) ;
étant donnée cette particularité que la voix fran-
chit plus aisément le renversement du même
intervalle (septième diminuée), il remarque (§ 109 C)
que l'échelle vocale du mineur normal, au lieu de
I-VII, est plutôt VII- VI b.
Quant à la gamme mineure secondaire ou mélo-
dique (avec le 6me degré haussé également, pour
éviter le pas de seconde augmentée), elle est
issue de l'altération médiévale de l'hypodorien
ou 1er mode ecclésiastique : gamme de ré sans
signes accidentels (§ 110 G) (2).
La comparaison des trois types mineurs inspire
à M. Gevaert de nombreuses remarques. Ainsi,
tandis que le VI bécarre du mineur normal ne peut
que descendre, le VI \ du mineur secondaire doit
monter au VII ; aussi le parcours de cette échelle
se limite-t-il volontiers de V à V (§ 110 A, B, 123).
Le mélange des mineurs diatoniques normal et
(1) Les compositions orientales de Saint-Saëns, quand
elles ne sont pas écrites dans le mode de ré sans
altérations, offrent de multiples exemples de cette
gamme, comme la « Rhapsodie » de la Suite algérienne
et la « scène arabe » du cinquième concerto, qui se
termine par une lente gamme ascendante de tierces
et de sixtes en mineur normal, analogue à la formule
tristanesque citée ci-dessus, mais corsée en outre d'un
IV \; voir également les Rhapsodies hongroises de Liszt.
(2) De nombreuses mélodies populaires anciennes sont
conçues dans cette même gamme. Voir notre recueil
Chans. pnpul. des provinces belges, Introd., p. XIJ, ainsi
que les nos 37, 3g, 40, 61, 154, 170. Saint-Saëns l'emploie
notamment dans la Nuit persane et dans l'air de ballet
des Prêtresses de Dagon, de Samson et JDalila.
secondaire fournit, en montant du V au I, une sorte
de chromatique (déjà signalé) qui donne l'impres-
sion du chromatique intégral, — comme dans la
figure menaçante des basses, qui, à la fin du pre-
mier mouvement de la Neuvième de Beethoven,
enlace peu à peu toute la polyphonie de sa
reptation formidable (§ ni E, ex. 249). C'est par le
mineur que le chromatique — qui altérait parfois
déjà, comme on vient de le voir, le mineur diato-
nique des anciens — s'introduisit dans la pratique
musicale où, jusqu'à une époque assez récente, il
n'était guère employé qu'en mineur (§111 Cj.
Notons enfin, sur le même sujet, les notes con-
cernant les diverses variétés mixtes du majeur-
mineur, notamment le « majeur teinté de mineur »
(gamme majeure avec un VI b : ut, ré, mi,.... la [>, si)
et les exemples relatifs : les passages majeurs avec
arrêt subit sur cette VI [>, « trouble-fête qui arrête
les élans de joie » (§ i36) (1) et les juxtapositions
de passages où le degré baissé alterne avec le
même degré diatonique, marquant successivement
« expansion et dépression du sentiment » (id. B).
La seconde section de la deuxième Etude : Les
Echelles du protodiatonique ou diatonique pentaphone,
serait à citer tout entière. Ce système plus simple
« et, selon toute apparence, plus ancien que
l'heptaphone, se trouve encore répandu chez des
peuples d'origine très différente et de civilisation
fort inégale : Mongols, Chinois Celtes des Iles
Britanniques ». Les échelles de ce genre sont
formées au moyen d'une série non de sept, mais
de quatre quintes, dont les cinq sons fournissent,
pris successivement comme tonique, cinq gammes
différentes. Soit la série ut-sol-ré-la-mi, donnant
ces cinq échelles : ut-ré-mi-sol-la-ut; sol-la-ut-ré-
mi-sol (2); ré-mi- sol-la-ui-ré; la-ut-ré-mi-sol-la; mi-sol-
la-ut-ré-mi. De ces diverses échelles, la plus usitée
est le mode « tranquille et . limpide » d'ut, dont
M. Gevaert cite (§ 32) une série d'exemples frap-
pants par leur juxtaposition : mélodies chinoise,
mongole, iroquoise, écossaise, irlandaise, suivies
des trois thèmes wagnériens du chant des Filles
du Rhin, de l'Oiseau (de Siegfried) et du Wal-
(1) Au début du Concerto de violon (mes. 10), Beetho-
ven obtient un effet analogue, plus singulier et plus
inquiétant, par l'altération ascendante du premier
degré même.
(2) Ce mode, assez rare, est une des deux échelles
fondamentales de la musique javanaise. C'est d'après
lui qu'est accordé le gamelan (orchestre) javanais du
Musée du Conservatoire de Bruxelles.
LE GUIDE MUSICAL
541
hall (1). Et en effet! Mais combien d'entre nous,
que la pratique musicale d'aujourd'hui a fami-
liarisés au dernier point avec la thématique
wagnérienne, ont envisagé ces particularités
modales des motifs en question? Wagner lui-même,
tout systématique qu'il fût, y a-t-il songé en
concevant ces mélodies merveilleuses? — Au
surplus, il n'en avait nul besoin : l'inconscience
étant le propre et peut-être une des conditions de
la création artistique, au moment du moins de la
conception (2).
On lira avec non moins d'intérêt : les détails
concernant les propriétés particulières de l'accord
de -f-, « différent de toute autre agrégation de
trois sons » et assimilable à la cqnsonnance gémi-
née élémentaire, par opposition à la f, « liée au
mécanisme polyphone » (§ 7, 67); la genèse des
accords de septième, « pouvant être conçus comme
résultant de la fusion de deux accords primaires
situés à la distance de tierce » (§ 5i), les accords
de neuvième et de onzième se composant, eux, de
deux accords de septième respectivement situés à
distance de tierce et de quinte (remarquer à ce
propos la disposition en gradins des renversements,
leurs rapports avec la position directe ainsi rendus
plus apparents); l'exégèse des accords de neuvième,
avec la curieuse marche de neuvièmes sans fon-
(1) Le thème de Gutrune (Gôtterdâmmerung) emprunte
au même mode sa douceur timide. Chopin y trouve la
candeur prenante du premier thème de sa Berceuse et
Massenet l'emploie dans un sentiment analogue au
début du thème en ré majeur, dans le prélude de Wer-
ther. Dans « l'Etude sur les touches noires » de Chopin,
le même mode est usité pour des raisons techniques.
Enfin, Delibes l'emploie avec bonheur dans Lahmé,
dans quelques passages de couleur locale.
Le thème du Walhall reparaît encore, dans le Traité
de M. Gevaert pour montrer (§ 71, ex. 104), comment
les trois accords de I, V, IV, comprenant les sept sons
de la série diatonique, « suffisent pour assigner une
fonction harmonique à chacun des degrés de l'échelle
majeure et pour fournir un accompagnement polyphone
aux motifs mélodiques les plus simples ». C'est non
sans malice que l'auteur affecte de choisir des exemples
célèbres, dont la simplicité de moyens contraste avec
notre « chromatisme éperdu » — soit par exemple la jolie
canti'ène de Lucinde dans Armide, soutenue par une
simple alternance d'accords de tonique et de septième
dominante.
(2) On a observé que les objets, les principes élémen-
taires, sont représentés dans la Tétralogie au moyen de
thèmes issus de la triade, élémentaire également, de la
tonique majeure : thèmes de l'or, du glaive, etc.; les
thèmes « mouvants » de l'eau, élément premier, et des
Nornes ne sont que des figurations du même accord.
damentales ex. 206; le tableau comparatif des
deux groupes de triades, essentielles et complé-
mentaires : V-I-IV; II-VI-III, le deuxième groupe
offrant comme « une image fidèle, mais plus fai-
blement colorée, du groupe essentiel » (§ 72);
l'analyse si claire des divers modes antiques,
les exemples donnés de chacune de ces gammes (1),
ramassées ensuite en un tableau général de toutes
les échelles heptaphones et pentaphones ramenées
à la même tonique (§ 36} ; l'explication élégante
du caractère particulier des « progressions » sur
un modèle unique (où le sentiment, « suggestionné
par la succession symétrique des accords », admet
la fausse quinte comme une quinte juste, § 61) :
vestige, suivant l'auteur, de l'exharchie tonale de
l'ancien diatonique ; — enfin, les notes historiques
sur l'origine du tempérament (§ g\ du chiffrage
(§ 58), de la cadence plagale (l'harmonisation des
antiennes et des hymnes du mode de sol ayant
accoutumé, en l'absence de note sensible, de faire
arrêt sur le IVe degré, § 69; sur l'emploi des
septièmes qui, au xvir3 siècle encore, n'étaient
usitées que préparées, des neuvièmes, qui n'appa-
raissent que peu avant la dernière moitié du
xvme siècle (§ 69) — et tant d'autres détails qui,
à chaque page, renouvellent l'intérêt et « font
penser ». Ernest Closson.
LA SEMAINE
PARIS
CONCOURS PUBLICS DU CONSERVA-
TOIRE. — On sait déjà que, cette année, les
concours publics du Conservatoire ont eu lieu sur
la scène de l'Opéra-Comique. Cette mesure était
(1) § 19, au sujet de Xhypolydien (échelle de fa sans
signe altératif, dont 1' « adoucissement » fournit notre
diatonique majeur), lire les notes intéressantes sur
l'origine toute différente des nombreux exemples de ce
mode dans les mélodies rustiques, où l'élévation du
quatrième degré a probablement pour origine l'harmo-
nique faux (son 11) des instruments de l'espèce cor. —
Nous avons fait ici même allusion à cette particularité
(L'Instrument de musique comme document ethnographique, I,
Guide musical, 1902, p. 76) : les altérations mélodiques
signalées par Tiersot (Histoire de la chanson populaire en
France, p. 32o) s'y rattachent sans doute aussi.
542
LE GUIDE MUSICAL
réclamée depuis nombre d'années par les critiques
et le public, que l'extrême chaleur et le peu de
confortable de la petite salle de la rue Bergère
énervaient régulièrement. Elle se justifiait d'ail-
leurs par cette observation, très défendable (du
moins pour les classes lyriques), que du moment
qu'il sagit de juger des moyens et de l'avenir de
futurs artistes de théâtre, ce n'est pas une salle
aussi exceptionnellement sonore et réduite que
le « Stradivarius » du Conservatoire qui en peut
donner une idée exacte, et qu'il faut tout de suite
les lancer sur une vraie scène.
Elle ne peut cependant être que transitoire, et
ce n'est, à mon sens, qu'un pis-aller, un essai, et
pas heureux en tout. Outre que ni le public ni la
critique n'ont eu tellement à se louer du change-
ment, la direction des beaux-arts ayant tenu à
prendre en main, à l'exclusion de celle du Conser-.
vatoire (sic), la manutention des invitations et de
la police, et dès lors, nombre de services de presse
ayant été omis, le plus injustement du monde, et
l'entrée dans la salle ayant donné lieu à de ridi-
cules bousculades et d'odieuses brutalités, — il
n'est pas admissible que les concours des classes
du Conservatoire aient lieu ailleurs qu'au Conser-
vatoire. Reste à transformer la salle des exercices
publics, ce qui va de pair avec la tranformation
complète, dans d'autres proportions et sur un autre
terrain, de cet établissement depuis trop long-
temps à l'étroit et mal installé. Le dernier rapport
officiel pour le budget des beaux-arts contenait
un plan très satisfaisant de ce projet de réfection :
espérons qu'il se réalisera sans trop tarder; et,
pour l'an prochain, si le Conservatoire ne peut
garder sa liberté en demandant pour ses concours
l'hospitalité d'une salle subventionnée, qu'il reste
donc chez lui ! Tout compte fait, c'est le parti le
plus sage.
A part les divers scandales auxquels ont donné
lieu, soit (comme tous les ans) certaines décisions
bizarres du jury, de ce jury où les artistes ne sont
pas toujours en majorité, soit (espérons que ce ne
sera que cette année) les grossièretés et le sans-gêne
des subalternes officiels, l'ensemble du concours de
cette année n'a pas révélé au monde beaucoup
d'organisations exceptionnelles, ni d'artistes déjà
supérieurs ; mais il a fait preuve une fois de plus,
du moins pour les classes instrumentales, d'un
enseignement solide, serré de près, vraiment artis-
tique et de tous points remarquable. M. Théodore
Dubois passe à M. Gabriel Fauré un état de choses
auquel il n'aura rien à changer. Je n'en dirai pas
autant des classes lyriques, et je me garderai de
juger, sans raisons valables, les classes de compo-
sition; mais les classes d'instruments sont toujours
l'honneur du Conservatoire.
Commençons par elles notre revue du palmarès
de cette année, rapidement commenté au passage.
I.— CLASSES INSTRUMENTALES
CONTREBASSE, ALTO, VIOLONCELLE
Jury : MM. Th. Dubois, président; P.Vidal,
Colonne, Marteau, Hekking, Van Waefelghem,
de Bailly, Maille, Monteux, Destombes.
Contrebasse. — Premier prix à l'unanimité,
M. Subtil; deuxièmes prix, MM. Zibell et Boussa-
gol; premier accessit, M. Hardy (élèves de
M. Charpentier).
Morceau de concours : Premier concerto de
Verrimst; morceau de lecture de M. P. Vidal.
M. Subtil a un jeu solide et ferme, non sans feu,
non sans personnalité. C'est sans doute cette supé-
riorité-qui a nui à M. Gibier, second prix de l'an
passé, resté sur le carreau malgré son style correct.
Les deux seconds prix ont surtout bien lu le
morceau à vue. On a regretté de ne pas leur voir
adjoindre M. Darrieux, premier accessit de l'année
dernière, de qualités vraiment sérieuses.
Alto. — Premier prix à l'unanimité, M. Màcon,
deuxièmes prix à l'unanimité, M. Lefranc et
Mi:e Coudait; premiers accessits, MM. Ricardon
et Jurgensen ; seconds accessits, MM. Monfeuil-
lard et P. Vizentini (élèves de M. Laforge;.
Morceau de concours et morceau de lecture de
M. Henri Marteau.
Une des meilleures classes du Conservatoire,
comme d'habitude, et à laquelle d'autres élèves
font encore honneur, comme M. Lucien Rousseau,
qui a manqué son second prix. M. Màcon est d'une
supériorité évidente : ce n'est plus du tout à un
élève qu'on avait affaire, mais déjà à un artiste
d'avenir. M. Lefranc a de l'élégance et du senti-
ment, Mlle Coudait de l'ampleur et de la force,
presque trop.
Violoncelle. — Premier prix, MM. Doucet et
Jamin (élèves de M. Loëb); deuxième prix,
M. Cruque (élève de M. Loëb); premier accessit,
M. Verguet (élève de M. Loëb) et MM. Olivier
et Delgrange (élèves de M. Cros-Saint-Ange);
Seconds accessits, MM. Lachurié et Benedetti
(élèves de M. Cros-Saint-Ange).
Morceau de concours de Davidoff ; morceau de
lecture de M. P. Vidal.
Concours intéressant et récompenses gagnées
autrement qu'à l'avancement: telle celle du jeune
Cruque, âgé de quinze ans, et qui paraissait pour
la première fois; un vrai artiste à venir, qui a
LE GUIDE MUSICAL
543
déjà de la flamme et de la sûreté. M. Doucet a
pour lui, en plus, une maturité achevée, du style
et de l'ampleur ; en somme, un progrès énorme
(il saute ainsi du premier accessit au premier prix).
Les blackboulés du premier prix sont M VT. Rosoor
et Seau, dont l'acquis a paru moins évident que
celui de leur camarade Jamin.
Violon
Jury : MM. Th. Dubois, président; Tracol,
Pierné, Colonne, Touche, Jacques Thibaud, Mar-
teau, Geloso, Parent, Sechiari.
Premiers prix, MM. Saury (élève de M. Lefort),
Cantrelle (M. Remy), Bittar (M. Berthelier) et
Bastide (M. Lefort); deuxièmes prix, Mlle Billard
(M. Lefort), M. Matignon et Mlle Morhange
(M. Nadaud) et M. Nauwinck (M. Remy); pre-
miers accessits, Mlle Sauvaistre (M. Lefort),
Mlle Augiéras (M. Remy) et M. Etchecopar
(M. Lefort); seconds accessits, Mlle Hélène Wolff
(M. Lefort), MM. Devaux (M. Nadaud). Car-
ies (M. Berthelier), Soudant (M. Lefort), Michelon
(M. Berthelier) et Sufise (M. Nadaud).
Morceau de concours : Allegro du troisième con-
certo de Saint-Saëns; morceau de lecture de
M. G. Pierné.
A écouter ces classes, très brillantes en somme,
avec leurs qualités et leurs défauts ; à écouter aussi
ces morceaux de concours, quintessence de vir-
tuosité et de mécanisme (le premier surtout, mais
le second, d'une élégance plus molle, n'était pas
aisé non plus), on se demandait comment, sans
tirer un peu au sort, le jury pourrait choisir entre
les vingt-six concurrents. On se le demande encore
après les dix-sept récompenses accordées, aux-
quelles les notes de classes et les antécédents de
concours ont dû aussi présider. M. Saury a de la
force et du charme à la fois, M. Cantrelle, même
de la poésie, et M. Bittar une lecture de premier
ordre; et, sans nous attarder à tel ou tel, dont les
qualités, très notables, se valent, signalons la
personnalité musicale vibrante de Mlle Morhange,
et regrettons aussi l'oubli, peu explicable en vérité,
de Mr-e Baudot, d'une rare impeccabilité, et aussi
de Mlle Pierre, fine diseuse. Mais quand le con-
cours de violon, toujours si magistral comme
habileté acquise, donnera-t-il, avec quelque mor-
ceau de style pur et simple, des occasions de faire
preuve de goût, de sentiment et d'émotion?...
Harpe, harpe chromatique, piano (hommes)
Jury : MM. Dubois, président; Pugno, Pfeiffer,
F. Lemaire, X. Leroux, Widor, Delafosse, Cortot,
Franck, Santiago-Riera.
Harpe. — Premiers prix, M. Grandjany, M1,es
Mauger, Inghelbrecht et Molhca; deuxième prix,
Mlle Laskine; premier accessit, Mlle Janet (élèves
de M. Hasselmans).
Morceau de concours et morceau de lecture de
M1Ie Henriette Renié.
Concours transcendant, hors ligne (nous nous
en doutions un peu l'année dernière), qui, sur six
élèves, a mis en relief quatre premiers prix, et
loyalement gagnés. L'expérience, la maturité
étonnante du jeune Grandjany (treize ans!) l'ont
couronné dès son premier concours, avant même
ses trois camarades, au jeu brillant et délicat
à la fois, perlé, aérien, nuancé, au sentiment
musical tiès sûr. Mlle Laskine est encore plus
jeune; douze ans à peine, et pourtant de l'autorité.
Harpe chromatique. — Premier prix, Mlle Le-
nars; deuxièmes prix, à l'unanimité, Mlles Jeanne
Joffroy et Blot ; deuxièmes accessits, Mlles Gou-
deker et Chalot (élèves de Mme Tassu-Spencer).
Morceau de concours (Prélude, Valse et Rigaudon),
et morceau de lecture de M. Reynaldo Hahn.
Une classe très en progrès et de plus en plus
maîtresse de son instrument, à commencer par
M1!e Lenars, qui saute du second accessit au pre-
mier prix, et le mérite, non seidement par sa vir-
tuosité, mais par sa grâce, son esprit vraiment
artistique. Ses camarades ont également du méca-
nisme, avec de la finesse et un joli goût. C'est un
beau succès pour l'enseignement et l'instrument
nouveaux.
Et de fait, on sent comme une émulation d'efforts
et d'art entre les deux classes de harpe, cette
année; car voici une petite phalange de jeunes
virtuoses qui seront d'un précieux secours dans les
orchestres qui les engageront, et qui sauront, en
tout état de cause, défendre la valeur et les qua-
lités respectives de leurs instruments. On me
demande assez souvent mon avis sur cette dualité,
cette rivalité nouvelle. Pourquoi comparer? La
harpe est un instrument et la harpe chromatique en
est un autre. Si toutes mes préférences vont à la
pureté, au velouté, à la simplicité première de ce
noble instrument, comme je préfère le cor simple
au cor à pistons, je n'ai garde de nier l'appoint
précieux que la harpe chromatique donne au com-
positeur comme virtuosisme et comme variation
des couleurs de la palette sonore. Des concours
comme celui de cette année permettent de faire
fonds sur l'autorité que prendront les artistes à
mesure qu'ils se rendront plus maîtres de leur
instrument. Mais ils montrent d'autant plus évi-
demment qu'il faut se garder de confondre les
deux systèmes, qu'ils ont chacun leur caractère
524
LE GUIDE MUSICAL
spécial, et, s'il est indispensable de parler de com-
paraison, que le premier n'y perd rien.
Piano (hommes). — Premiers prix, MM. de
Francmesnil (élève de M. Diémer), Dumesnil
(M. Philippe et Dupré (M. Diémer); second prix à
l'unanimité, M. Dorival (M. Philipp) ; premiers
accessits, MM. Gayraud (M. Philipp), Lattes et
Verd (M. Diémer); seconds accessits, MM. Te-
rouanne et Polleri (M. Philipp).
Morceau de concours : Deuxième ballade de
Chopin et toccata de Saint-Saëns ; morceau de lec-
ture de M. X. Leroux.
Pourquoi donc n'emploie-t-on pas pour le con-
cours de violon le même procédé que pour ceux de
piano, le contraste de deux pages de styles divers,
où le sentiment et l'habileté technique ont chacun
leur tour? Le jugement en serait plus sûr et plus
intéressant, comme il l'était ici, avec la poésie et
la force de Chopin, la grâce spirituelle de Saint-
Saëns et la curiosité à surprises harmoniques de
Leroux.
Dix-huit concurrents n'ont eu cette fois que neuf
récompenses à se partager; peut-être les morceaux
étaient-ils un peu trop magistraux pour des élèves.
Des trois premiers, M. Dupré paraît le plus per-
sonnel, le plus musicien; c'est du reste le plus en
progrès, car il n'avait qu'un second accessit l'an
passé. Le feu extrême de son jeu comme la grâce
de son style ont fait véritablement impression.
Ses camarades ont surtout de l'acquis, de la fer-
meté, et M. Dorival aura probablement plus
l'année prochaine. M. Gayraud, très intelligent, a
certainement beaucoup d'avenir et eût pu être
plus encouragé.
Piano (femmes)
Jury: MM. Th. Dubois, président; G. Marty,
P. Brand, Stojowsky, Moszkowsky, Galeotti,
Wurmser, Fauré, Quévremont, de La Nux.
Premiers prix, Mlles Caffaret et Arnaud (élèves
de M. Duvernoy), Kastler (M. Marmonteb, Antoi-
nette Lamy (M. Duvernoy) et Veinard (M. Mar-
montel); deuxièmes prix, Mlles Vizentini et H. De
Brie (M. Marmontel), Morillon et Aussenac
(M. Duvernoy); premiers accessits, MUes Weil
(M. Duvernoy), Lefebvre et Portehaut (M. Mar-
monteh, Willemin (M. Delaborde); seconds ac-
cessits, Mlles Pennequin et Clapisson( M. Duvernoy),
Jacquard, Thévenet et Fagel (M. Delaborde).
Morceau de concours : Prélude en ré et allegro
de concert de Chopin ; morceau de lecture de
M. G. Marty.
Cette année, c'est M. Alphonse Duvernoy qui
triomphe sur toute la ligne : adressons-lui-en tous
nos compliments. Il les avait mérités plus d'une
autre fois, sans avoir vu ses efforts aussi complè-
tement récompensés. En fait, ce concours est un
des plus brillants que le Conservatoire ait vus
depuis quelque temps. Il a mis en lumière un petit
prodige : Mlle Caffaret, dont les onze ans se pré-
sentaient pour la première fois aux juges et dont
ceux-ci ont voulu tout de suite souligner le brio
extraordinaire et la délicatesse charmante. II a
également fait paraître dans tout son éclat le talent
plus complet, plus mûr de Mlle Arnaud, vrai
tempérament d'artiste, sans compter la force et
l'expérience de Mlle Kastler, le goût élégant et fin
de Mlle Lamy, le brillant étonnant de Mlle Veinard
(aussi en premier concours), la couleur originale,
la fantaisie de Mlle Vizentini... et bien d'autres
trop nombreuses pour que je m'y puisse attarder.
Instruments a vent (bois)
Jury : MM. Th. Dubois, président ; Ch. Lefebvre,
Deslandres, Bertelin, Gaubert, Dureau, Letellier,
Bleuzet, Paradis.
Flûte. — Premiers prix, MM. Joffroy et Lau-
rent ; premiers accessits, MM. Hérissé et Bergeon;
seconds accessits, MM. Camus et Cléton (élèves de
M. Taffanel).
Morceau de concours de M. L. Ganne ; morceau
de lecture de M. de La Nux.
Encore une excellente classe, un enseignement
exceptionnel, honneur du Conservatoire, comme
la plupart des classes d'instruments. On ne trouve
que des compliments à adresser, après leur maître,
à des artistes aussi sûrs et vraiment artistes que
MM. Joffroy et Laurent. Même impression, même
observation pour les concours suivants, où
M. Pontier sut faire preuve d'un style magistral et
MM. Serville et Rouzeré, de charme; où les trois
prix de clarinette ont rivalisé d'expression, avec
une sûreté de lecture achevée; où enfin MM. Pré
et Rogeau montrèrent plus que des promesses.
Mais voici le palmarès de ces trois classes :
Hautbois. — Premier prix, M. Pontier; deu-
xièmes prix, M VI. Serville et Rouzeré; deuxièmes
accessits, MM. Tournier, Longatte et Riva (élèves
de M. Gillet).
Morceau de concours (polonaise)et morceau de
lecture de M. Ad. Deslandres
Clarinette. — Premiers prix, MM. Capelle,
Moulin et Maurice Dubois; deuxième prix, M. Jos.
Loterie; deuxième accessit, M. Lortion (élèves de
M. Turban, auquel M. Mimart a succédé il y a
quelques semaines).
Morceaux de concours et de lecture de M.
Charles Lefebvre.
Basson. - Deuxièmes prix, MM. Pré et Rogeau;
LE GUIDE MUSICAL
545
premier accessit, M. Raimbourg (élèves de M.
Bourdeau).
Morceaux de concours et de lecture de M. A.
Bertelin.
Instruments a vent (cuivres)
Jury : MM. Th. Dubois, président; C. Chevil-
lard, Dallier, Stojowski, Pe.tit, Penable, Bayle,
Renne, Warrot.
Cor. — Premiers prix, MM. Coquelet et Her-
moult ; deuxièmes prix, MM. Jean Tournier et
Lepitre; deuxième accessit, M. Thibault (élèves
de M. Brémond).
Morceaux de concours et de lecture de M. C.
Chevillard.
Cornet a pistons. — Deuxième prix, M. Mager ;
premiers accessits, MM. Foveau et Nadal; deu-
xième accessit, M. Body (élèves de M. Mellet).
Morceau de concours de M. Ch. Levadé; mor-
ceau de lecture de M. G. Marty.
Trompette. — Premier prix, à l'unanimité, M.
Jean Bernard; deuxième prix, M. Blanquefort;
premiers accessits, MM. V. Laurent et Seguélas;
deuxième accessit, M. Gigot (élèves de M. Fran-
quin>.
Morceaux de concours et de lecture de M. H.
Dallier.
Trombone. — Premier prix, à l'unanimité, M.
Rochut; deuxièmes prix, MM. Hennebelle, Ver-
mynck et Mendels; premier accessit, M. Dumou-
lin; deuxième accessit, M. Proger (élèves de
M. Allard).
Morceaux de concours et de lecture de M. Sto-
jowski.
Très brillantes classes encore, où l'on comprend
que presque tous les élèves aient reçu leur récom-
pense. L'égalité, la plénitude sonore de M. Co-
quelet, le style vraiment noble (chose difficile avec
le cornet à pistons; de M. Mager, la belle couleur
et l'autorité de M. Jean Bernard, enfin l'ampleur
d'artiste de M. Rochut, ont été particulièrement
applaudis.
II. — CLASSES LYRIQUES
Nos lecteurs m'excuseront sans doute si je ne
m'attarde pas, comme préambule, à des considé-
rations que nous n'avons eu que trop souvent et
régulièrement l'occasion de formuler au sujet de
l'enseignement du chant au Conservatoire et du
choix des airs ou des scènes pour les concours
publics. Attendons à l'année prochaine, à la
direction nouvelle de M. G. Fauré, pour juger des
progrès qui auront pu y être introduits. Il est trop
clair qu'ici, la moyenne des élèves, leur intelligence
musicale, leur personnalité même, est sensible-
ment inférieure à celle des classes instrumentales,
tout en étant composée d'individus bien plus âgés,
souvent du double. Mais il est certain aussi que
les professeurs sont hypnotisés, comme eux, par
ce but suprême à atteindre : l'examen de fin
d'année, l'effet de l'air ou de la scène longuement
choisis à l'avance, bref, la poudre qu'il faudra jeter
aux yeux pour persuader les juges et le public
de l'avenir probable de candidat, et s'inquiètent
assez peu de la technique même de l'art lyrique,
de ce qui devra être la base de toute la carrière
possible de cet élève : l'assouplissement de la
voix, la tenue des notes, l'émission du son, la
justesse de l'expression, etc. Cette lacune est d'au-
tant plus sensible que, depuis quelques années,
par un sentiment très défendable, le choix des
morceaux s'est reporté fréquemment sur les œuvres
classiques, et même tout à fait anciennes, ce
qui nécessite de la part de simples élèves des
qualités bien plus difficiles à acquérir ainsi, sans
expérience ni maturité, le style, et même une
musicalité rétrospective en quelque sorte et autre-
ment complexe que celle qu'exige un morceau
de l'école actuelle.
C'est pourtant là qu'est la vérité et tel doit être
le sens de l'enseignement. Ainsi s'exprimait ces
jours-ci justement (à propos des classes de décla-
mation, il est vrai, mais de façon que celles du
chant peuvent aussi bien être visées), M. Brémont,
l'admirable et musical diseur :
« Si, comme son nom l'indique, cette école a
vraiment la mission de conserver quelque chose,
c'est le goût des études fortes et difficiles, le sens
et le respect des beautés les plus certaines et les
plus hautes. Elle propose un but auquel quelques
rares élèves peuvent atteindre; à tous, il restera
une force plus grande pour l'avoir seulement
tenté. »
Peut-on mieux dire en peu de mots? Et cette
conclusion ne serait-elle pas à crier sur les toits,
ou en pleine salle? « — Et tant pis si les concours
n'intéressent pas le public et le jury, et tant mieux
si professeurs ou élèves ne peuvent plus trouver
dans le choix d'une scène une flatterie pour un juré
ou encore un moyen trop facile d'arracher des
applaudissements par surprise ! »
Mais notons vite ce palmarès -copieux, sans trop
nous attarder à en noter le commentaire détaillé :
Chant (hommes)
Jury : M. Th. Dubois, président; Delmas, Esca-
laïs, Daraux, X. Leroux, Cossira, d'Estournelles
de Constant, Bruneau, Gailhard, Bernheim,
H. Maréchal.
546
LE GUIDE MUSICAL
Premier prix, M. Carbelly (élève de M. de Mar-
tini); seconds prix, MM. Petit ^M. Dubulle) et Lu-
cazeau (M. Masson); premiers accessits, MM. Cor-
pait (M. Warot) et Francell (Mme R. Caron);
seconds accessits, MM. Domnier (M. Manoury) et
Sarraillé (M. Dubulle).
Concours médiocre, en dépit du nombre des
élus, auxquels on ne voit aucune bonne raison
pour que MM. Meurisse et Pérol n'aient pas été
adjoints. La supériorité de M. Carbelly n'est
pas d'une évidence éclatante, et son éducation
musicale bien loin d'être aussi complète que celle
qui est exigée d'un instrumentiste pour un premier
prix ; mais sa vaillance et son dédain de la mode
ont été récompensés : possédant une belle voix de
basse, il avait choisi un air de Dardanus, et c'est le
vieux Rameau qui l'a fait triompher ! Voilà tout de
suite un appui à l'opinion de M. Brémond, que
nous citions tout à l'heure. Et puis sa voix était
vraiment bien posée, ce qui n'est le cas de presque
aucun de ses camarades, pas plus M. Corpait (qui
avait l'oreille du public, car celui-ci a fait beau
tapage quand il a vu que son favori n'avait qu'un
accessit) que MM. Petit ou Lucazeau, trois voix
puissantes, vibrantes et peu distinguées (airs
d' 'Henry VIII, de Faust et de Y Attaque du moulin).
Plus intéressant était le goût délicat de M. Fran-
cell (dans Lakmé), où l'on reconnaissait bien
l'influence de Mme Caron, et aussi le style sage de
M. Domnier (dans Elie).
Chant (femmes)
Jury : MM. Th. Dubois, président, G. Fauré,
Ch. Lefebvre, Bruneau, d'Estournelles de Constant,
Bernheim, Delmas, Engel, Mauguière, Fournets.
Premiers prix, Mlles Chenal (élève de M. de
Martini), Mancini (M. Masson) et Mirai (M. Wa-
rot) ; seconds prix à l'unanimité, Mlles Lamare
(M. Warot) et Lapeyrette (M. Masson); premiers
accessits, Mlles Comès (M. Masson', Bailac
(M. Duvernoy) et Delimoges <M. Dubulle); seconds
accessits, Mlles Allard (M. Duvernoy) et Tasso
(M. Lassalle).
Le concours étant très nettement supérieur au
précédent (c'est un peu ainssi tous les ans), on
s'étonnera moins de cette pluie de nominations.
Encore y eut-il des blackboulées, témoin Mlle Ma-
thieu-Lutz, second prix de l'an passé (mais celle-
ci avait quelque chose contre elle, sans doute,
comme on le verra au concours d'opéra-comique ;
chaque année aussi, on remarque un ou une élève
dont l'échec, contre lequel le public s'insurge,
semble arrêté d'avance, en attendant que le théâtre,
et une vraie scène, lui apporte une revanche
éclatante).
M. de Martini a encore triomphé avec son élève
Mlle Chenal, fort belle et fort bien douée, qui a
la voix et l'intelligence à la fois, une artiste d'ave-
nir autant qu'il peut sembler. Elle a dit l'air des
enfers à'AIceste avec énergie et grandeur, tout
à fait dans le style. Ses deux camarades, dont le
progrès surtout a été couronné, perdent sensible-
ment à lui être comparées (airs d'Alceste et de Judas
Macchabée). La vocalisation de Mlle Mirai est pour-
tant réellement remarquable. Mlles Lamare et
Lapeyrette espéraient mieux, après les succès de
concert qu'elles ont déjà remportés. Mais quoi?
leur acquis est vraiment si loin d'être suffisant !
Du moins Mlle Lapeyrette a-t-elle du foyer et de
l'étoffe, on sent en elle une intelligence passionnée
et qui se développera certainement au théâtre
(air de Fidès, du Prophète ). Peu de chose à dire
des autres concours, où s'affirmait plus encore le
contraste que je marquais tout à l'heure entre la
difficulté des airs et la technique des élèves. Ne
chante pas qui veut Beethoven (Perfide!) ou
Haendel (Jules César), Mozart (Les Noces) ou Gluck
(Iphigénie). La vocalisation de Mlle Tasso fut du
moins très adroite dans Le Pardon de Ploërmel.
Opéra-comique
Jury : MM. Th. Dubois, président; H. Maré-
chal, G. Marty, H. Leroux, Bourgault-Ducoudray,
Capoul, Fugère, A.. Carré, H. Cain, Bernheim,
d'Estournelles.
Hommes. — - Premier prix, M. Lucazeau (élève
de M. Isnardon); premiers accessits, MM. Dom-
nier (M. Bertin) et Francell (M. Isnardon ; second
accessit, M. Sarraillé (M. Bertin).
Femmes. — Seconds prix, Mlles Mathieu-Lutz et
Tasso (M. Bertin), Mirai (M. Isnardon) et Lassalle
(M. Bertin); premier accessit, Mme Ennerie
(M. Bertin); seconds accessits, Mlles Comès
(M. Bertin) et Delimoges (M. Isnardon).
Concours faible, même chez les femmes, avec
peu de tempéraments scéniques, ce qu'il faudrait
seulement chercher ici : autre chose est une jolie
voix, et même une diction spirimelle, et l'instinct
dramatique. M. Lucazeau l'a peut-être, cet instinct,
mais avec quel excès de naturalisme sans goût ni
style ! (scène finale de Carmen). M. Domnier du
moins a de la mesure et du goût dans son comique
(Don Pasquale) et M. Sarraillé une vraie verve de
comédien (Maître Pathelin). Mais c'est pour les
femmes qu'il y eut un beau tapage ! Mlle Mathieu-
Lutz, tout à fait exquise de verve et d'intelligence
scénique dans ce même Don Pasquale, et charmante
de grâce fine et souriante dans le Barbier de Sêville,
n'est-elle pas mûre pour la scène, et bien autre-
ment que ses camarades, dont il n'était dès lors
LÉ GUIDE MUSICAL
§47
que justice de la séparer? Alors, pourquoi lui refu-
ser le premier prix? C'est contre quoi le public s'est
indigné à un point tel que M. Th. Dubois a levé
la séance sans continuer la proclamation. Dirons-
nous qu'il eut absolument tort, au moins dans le
fond ? Il faut pourtant bien admettre que, lorsqu'il
s'agit de théâtre, le public peut avoir raison contre
un jury à qui l'administration donne souvent d'au-
tres bases de ses décisions que le concours même.
Nous retrouverons sans doute Mlle Mathieu-Lutz
plus régulièrement attachée à ce théâtre où le
hasard des concours l'a menée cette fois, et nous
verrons bien. En attendant, aucune des autres
concurrentes ne paraît encore en mesure d'affronter
le vrai public : ni Mlle Tasso, simplement aimable
(Manon), ni Mlles Mirai ou Lassalle, qui ont de
l'intelligence sans assez de moyens (Le Médecin
malgré lui et Carmen), ni même Mlle Comès, malgré
sa vérité d'expression (Les Saisons).
Opéra
Jury : MM. Th. Dubois, président ; Delmas,
Renaud, Fournets, Gailhard, Bourgault-Ducou-
dray, X. Leroux, G. Fauré, Bernheim, d'Estour-
nelles.
Hommes. — Premiers prix, MM. Corpait (élève
de Melchissédech) et G. Petit (M. Lhérie) ; seconds
prix, M. Carbelly (M. Melchissédech); premiers
accessits, MM. Lucazeau et Meurisse (M. Mel-
chissédech) ; seconds accessits, MM. Pérol, Du-
pouy et Ziegler (M. Lhérie).
Femmes. — Premiers prix, Mlles Chenal et
Mancini (M. Melchissédech); seconds prix, M1Ies
Lapeyrette et Lamare (M. Lhérie); premier
accessit, MlleBailac (M. Lhérie); second accessit,
Mlle Delalozière (M. Melchissédech).
Cette fois, ions les concurrents ont été récom-
pensés ; et de fait, si la chose ne signifie pas que
le concours fût transcendant, elle prouve du moins
qu'une sérieuse sélection avait précédé la séance
publique. Et c'est ainsi qu'il en devrait être pour
tous les concours Parmi les hommes, M. Cor-
pait a pris sa revanche, avec une fougue comme
désespérée, une énergie pleine d'émotion et de
sobriété pourtant, dans la scène des cartes de
Charles VI. M. Petit a pris la sienne aussi (sur
le concours d'opéra-comique) dans la scène difficile
à? Œdipe à Colone.... Pourtant, ce premier prix
étonne, surtout à côté du second de M. Carbelly,
autrement artiste comme diction, comme voix,
comme sentiment, dans la scène de la pomme de
Guillaume Tell. M. Lucazeau s'est montré surtout
sonore dans le Trouvère et dans Patrie, ainsi que
M. Meurisse dans Robert le Diable (rôle de Bertram).
La grande triomphatrice du côté féminin est
lestée Mlle Chenal, et très justement. C'est dans
Armide qu'elle a concouru, dans la scène du
cinquième acte. Elle a paru moins supérieure
pourtant que dans son air d'Alceste; mais l'usage de
la. scène ne s'apprend pas en un jour, ni le style
exceptionnel qu'il faut à une scène aussi souve-
raine que celle d' Armide. Elle a paru aussi dans
Charles VI, et très heureusement. La distance, au
surplus, reste la même entre cette jeune artiste et
ses camarades. MUe Mancini a paru ardente, mais
sans grande personnalité dans Patrie, Mlle Lapey-
rette bien inégale encore, malgré sa vérité d'ex-
pression, dans le Prophète, Mlle Lamare un peu
faible, avec une belle voix, dans le Trouvère, et
Mlle Bailac peu sûre, en dépit d'une émotion corn-
municative, dans la Favorite.
Pour être complet, nous donnons également,
comme d'habitude, les résultats des concours du
classes de déclamation, dans le détail desquels
nous n'avons pas à entrer ici.
Tragédie (hommes). — Second prix, M. Bacqué
(élève de M. Le Bargy); premiers accessits,
MM. Grétillat (M. Leloir) et Denis ^M. Le Bargy).
Femmes. — Premier prix, à l'unanimité, Mlle
Ventura (M. Silvain); seconds prix, Mlles Barjac
(M. Silvain) et Bogros (M. Leloir) ; premiers
accessits, Mlles Ludger (M. Berrj et Myriel
(M. P. Mounet).
Comédie (hommes). — Premier prix, M. Brou
(M. de Féraudy); premier accessit, M. Lluis
(M. Leloir; ; deuxième accessit, M. Juvenet (M. Le-
loir .
Femmes. — Premier prix, à l'unanimité, Mlle
Berge (M. de Féraudy) ; seconds prix, MIles Corlys
(M. Leloir) et Ventura (M. Silvain); premiers
accessits, Mlles Lukas (M. Berr), Barjac (M. Sil-
vain), Lutzi (M. Berr) et Magda (M. P. Mounet);
seconds accessits, Mlles Provost (M. Leloir), Lud-
ger et Lécuyer(M. Berr). Henri de Curzon.
— M. Jules Combarieu, directeur de la Revue
musicale, professeur au Collège de France et mem-
bre du conseil supérieur des Beaux-Arts, a adressé
récemment une lettre ouverte à M. Hébrard, direc-
teur du Temps, pour lui signaler l'immense avantage
qu'il y aurait pour les musiciens à voir organiser
des concerts au Salon de peinture de Paris.
Cette idée a obtenu un très vif succès dans le
548
LE GÙÏÎDË MUSÏCAL
monde des arts. Rappelons que depuis longtemps
elle est réalisée en Belgique, au Salon des XX, puis
de la Libre Esthétique, où M. Octave Maus a fait
connaître au public les œuvres les plus curieuses
des écoles belge et française modernes, dans la
plupart des expositions de cercles et même au
dernier salon triennal de Bruxelles, où eurent lieu
plusieurs concerts avec orchestre.
— A l'occasion de la fête nationale du 14 juillet,
le gouvernement a décerné la croix d'officier de
la Légion d'honneur à M. Adolphe Aderer, courrié-
riste théâtral du Temps, et la croix de chevalier de
la Légion d'honneur à MM. Renaud, compositeur
de musique, et Hasselmans, professeur de harpe
au Conservatoire de Paris.
— Après sa récente assemblée générale, la
Société des Compositeurs de musique a constitué
son bureau de la façon suivante :
Président : M. G. Pfeiffer ; vice-présidents :
MM. Arthur Coquard, Gastinel, Guilmant et
Tournemire; secrétaire-général : M. Henri
Cieutat; secrétaire rapporteur : M. A. Pougin;
secrétaires : MM. Letocart, Planchet, Marcel
Samuel-Rousseau et Sporck; bibliothécaire :
M.Vinée; trésorier : M. Mouquet; trésorier adjoint :
M. Lefébure; membres du comité : MM. Bellenot,
Busser, Dallier, Danbé, Ganaye, Gédalge,
Alexandre Georges, Eymieu, Pierre Kunck, Ch.
Lefebvre, Pénavaire, Quef, Rougnon, de St-Quen-
tin, Vierne et J -A. Wiernsberger.
La commission des concerts a été constituée
ainsi qu'il suit : M VI. Tournemire, Letocart,
Mouquet, Planchet, Pierre Kunck. MM. G. Pfeif-
fer, président; Henry Cieutat, secrétaire-général,
membres de droit.
BRUXELLES
La musique aura joué son rôle dans les fêtes
organisées à l'occasion du soixante-quinzième anni-
versaire de l'indépendance nationale. Rôle de
second plan sans doute, mais qui n'en a pas moins
offert un réel intérêt. Est-il d'ailleurs de meilleure
occasion que ces cortèges et restitutions histo-
riques de toutes sortes — qu'il s'agisse de la
reconstitution consciencieuse d'un tournoi ou de la
simple promenade de géants légendaires — polir
faire revivre, dans un cadre approprié, les airs
populaires qui composent notre folklore, si riche
en notations caractéristiques reflétant l'esprit de
de nos diverses races? Les chercheurs ont donc
pu se livrer à leurs études favorites, et ils sont
venus ajouter quelques thèmes plus ou moins iné-
dits à ceux qu'avaient fait sortir, précédemment,
d'un long sommeil d'autres festivités du même
genre. Ils ont rendu ainsi à l'art musical un service
d'autant plus marqué que les compositeurs mo-
dernes puisent de plus en plus volontiers aux
sources de l'inspiration populaire, si expressive en
sa naïveté lorsqu'il s'agit de traduire musicalement
les aspirations d'une époque ou d'une race.
Mais il y a eu autre chose que de simples résur-
rections au cours de ces fêtes jubilaires. Celles-ci
ont donné naissance à des œuvres musicales valant
à la fois par leur inspiration et par une écriture
savante et ferme, témoignant du souci de la forme
qui s'attache même, aujourd'hui, aux œuvres créées
pour une circonstance tout occasionnelle.
Il convient de mentionner ici — et nous en
reparlerons — le Te Deum de M. Tinel, écrit dans
un style austère, dépourvu de ces préoccupations
d'effet qui, si souvent, donnent aux compositions
religieuses des allures absolument théâtrales ;
puis, les œuvres de MM. Gilson et Blockx exécu-
tées à la Fête patriotique, la première, intitulée
Marche patriotique, d'une simplicité éloquente et
prenante, la seconde, dénommée Chant jubilaire
(Jubelgalm) , excellemment exécutée en flamand
par les chœurs d'Anvers et ayant toutes les
caractéristiques du talent si personnel de l'éminent
élève de Peter Benoit.
Quelques jours auparavant, on avait applaudi
très chaleureusement, à la Grand'Place, une
cantate fort réussie de M. B. Van Perck, La Mu-
tualité. Il y a là des pages d'un dessin fort gracieux,
ayant de l'émotion dans leur simplicité de lignes ;
et les chœurs, comme la fanfare qui leur servait
d'accompagnement, avaient une sonorité qui
témoigne d'une entente très sûre de l'effet à pro-
duire. Au total, un réel succès pour le compositeur;
et c'est avec plaisir que son œuvre, d'une inspira-
tion si sincère, sera prochainement réentendue.
C'est également dans le cadre pittoresque de la
Grand'Place qu'a eu lieu le concert d'œuvres
belges organisé sous la direction de M. Sylvain
Dupuis, avec le concours de plusieurs société cho-
rales, 1' « Orphéon » et les « Artisans Réunis » en
tête. Ici encore les noms de MM. Blockx et Gilson
se trouvaient accolés, mais ces deux compositeurs,
dont le talent fait un si grand honneur à l'école
LE GUÏDÈ MUSICAL
S49
belge, paraissaient cette fois avec des œuvres déjà
connues. Du premier, on a donné la cantate
flamande Vlaanderen 's Grootheid, dont les détails
pittoresques et colorés n'ont pu être suffisamment
appréciés dans cette exécution en plein air.
M. Gilson figurait au programme avec la Cantate
inaugurale composée pour l'ouverture de l'Exposi-
tion de Bruxelles en 1897. Cette œuvre, très
favorablement accueillie à cette époque, a produit
cette fois un effet peut-être plus considérable, et
l'on en a unanimement admiré la robuste, la
magistrale architecture. Le compositeur tire un
merveilleux parti des trois thèmes populaires
sur lesquels elle est bâtie, les ramenant, les com-
binant avec une habileté consommée, et le chœur
final, excellemment exécuté d'ailleurs, a laissé
une impression de grandeur vraiment empoi-
gnante. Son exécution en bis n'a pas provoqué
moins d'enthousiasme.
M. Sylvain Dupuis, depuis longtemps passé maî-
tre dans l'art de conduire les masses chorales, s'est
manifesté aussi, en cette audition, comme compo-
siteur, et si l'on n'a pu apprécier, dans ce cadre
trop vaste et peu favorable aux œuvres symphoni-
ques, tous les détails de sa paraphrase sur Macbeth,
ce que l'on a perçu de cette page dramatique,
d'une émotion très sentie et sûrement rendue, est
de nature à en faire souhaiter une nouvelle exécu-
tion dans un vaisseau plus resserré.
La fantaisie pour orchestre de M. Joseph Jongen
fut mieux entendue par la généralité des auditeurs,
et le tour si caractéristique des deux noëls popu-
laires wallons qui lui servent de base fit un con-
traste piquant avec l'esprit flamand dont sont
imprégnées les œuvres de MM. Blockx et Gilson.
Cette audition populaire fut un vibrant succès
pour les œuvres exécutées et pour celui qui les
avait dirigées avec son autorité coutûmière.
Les représentations d'œuvres belges annoncées
au théâtre de la Monnaie permettront bientôt au
talent de nos compositeurs nationaux de s'affirmer
sous d'autres aspects, et peut-être avec plus de
succès encore. J. Br.
— A l'occasion des fêtes du soixante-quinzième
anniversaire de l'indépendance nationale, le théâ-
tre royal de la Monnaie ouvrira sa saison le
17 août et fera une part très large aux œuvres de
nos compositeurs beiges. Les ouvrages suivants
seront donnés successivement : Princesse Rayon du
Soleil, de Paul Gilson, sur un poème de M. Pol
Demont (première exécution en français); des
reprises de Princesse d'auberge et de la Fiancée de la
mer, de Jan Blockx ; de M ar tille, d'Albert Dupuis;
de l'Epreuve villageoise, de Grétry, sans compter les
reprises d'œuvres du répertoire courant : Faust,
Carmen, Le Postillon de Lonjumeau, etc.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — A l'occasion des fêtes jubi-
laires, les enfants des écoles communales
ont exécuté une ravissante cantate d'Emile Wam-
bach : Prinskensdag. d'inspiration très fraîche et
d'harmonie heureuse. Un public enthousiaste et
fort nombreux a longuement applaudi l'excellent
compositeur.
Vif succès pour la cantate de Jan Blockx : Feest
in den Lande, très habilement construite et qui a
fait grand effet.
Une troupe italienne, conduite par M. Castellano,
est venue donner aux Variétés quelques représen-
tations assez inégales. Les chœurs, l'orchestre et
les costumes étaient en dessous de toute critique,
mais la troupe possédait quelques premiers
sujets intéressants. Citons les ténors Zérola et
Carpi, Mmes Agostinelli, Gonzagua, MM. Arri-
ghetti, Petrucci, etc , qui ont interprété entre
autres la Manon Lescaut de Puccini. G. P.
LA HAYE. — Pour fêter le centième anni-
versaire de la première représentation de
Fidelio de Beethoven, qui fut monté pour la
première fois le 26 novempre i8o5, le Wagner
Verein de La Haye donnera au mois de novembre
prochain, sous la direction de M. Henri Viotta,
avec le chœur du Wagner Verein et le Residentie
Orkest, une représentation de l'œuvre de Beethoven
dans la grande salle de théâtre du Conservatoire
des Arts et Sciences, à La Haye. M. Henri Viotta
reprendra aussi pendant la saison prochaine ses
matinées symphoniques avec le Residentie Orkest,
dont les instruments à cordes ont été considéra-
blement renforcés.
Le quatuor comptera 14 premiers violons. 14
seconds, 8 altos, 8 violoncelles et 6 contrebasses.
La société chorale « Onderlinge Oefening »,
d'Amsterdam, a l'intention d'organiser pour l'année
1906 un concours international de chant d'ensem-
S5o
LE GUIDE MUSICAL
ble, qui aura lieu dans le courant de l'été prochain.
Au Kursaal de Scheveningue, c'est le ténor
M. Jacques Urlus, actuellement attaché au théâtre
de Leipzig, qui a été le héros de l'avant-dernier
concert, où il a provoqué un enthousiasme excep-
tionnel par la maîtrise avec laquelle il a chanté
des fragments de Lohengrin, des Maîtres Chanteurs
et une série de Lieder.
Au dernier concert, Mlle Minne Scalar, la
falcon de l'Opéra royal de La Haye, a rem-
porté son succès habituel. Elle a chanté le
Roi des Aulnes, orchestré par Franz Liszt, l'air
d'Alceste de Gluck, des Lieder de Saint-Saëns, de
Martini, et un air populaire américain très amu-
sant, en s'accompagnant elle-même au piano.
L'admirable Orchestre Philharmonique nous a
fait entendre, sous la direction de M.Aug.Scharrer,
deux nouveautés : une idylle Waldfrieden, de Hans
Sommer, assez monotone, et un Intermezzo slave
d'Edmond Uhl, encore beaucoup moins intéres-
sant ; par contre on a applaudi la cinquième
symphonie de Tschaikowsky et l'ouverture de
Y Enlèvement au sérail de Mozart. Ed. de H.
OSTENDE. — Le deuxième concert extra-
ordinaire de la saison débutait par la
Symphonie italienne de Mendelssohn ; cette œuvre,
débordante de fantaisie heureuse et enjouée, a été
conduite par M. Léon Rinskopf avec une grande
fermeté rythmique et beaucoup de fougue dans
Y allegro initial et dans la saltarelle de la fin.
Le soliste du concert, le pianiste M. Théo
Ysaye, a tenu à s'affirmer musicien avant de se
montrer virtuose; de là le choix de ces admirables
Variations symphoniques de César Franck, si
séduisantes par la tournure personnelle des harmo-
nies. M. Ysaye a joué encore le concerto en mi
bémol de Liszt.
En fait de virtuoses, le vent est aux violonistes.
Nous avons eu deux auditions du petit violoniste
Mischa Elman, qui est vraiment prodigieux et
joint à un mécauis ne complet des qualités d'ex-
pression étonnantes chez un enfant de quatorze
ans. Le petit Elman a joué, au cours de ces deux
auditions, la Symphonie espagnole de Lalo, le
concerto de Mendelssohn, deux nocturnes de
Chopin, les Airs russes de Wieniawsky, une Danse
espagnole de Sarasate, un Nocturne de Hubay, une
jolie Sérénade d'Auer, un Moto perpetuo de Paganini,
la romance en sol de Beethoven, tout cela exécuté
avec la maturité de sentiment et la perfection
technique d'un maître. Jeno Hubay et Arthur
Nikisch n'étaient pas les moins enthousiastes
parmi les admirateurs du petit violoniste russe.
Le vendredi 28 juillet, nous avons eu le violo-
niste francfortois M. Adolphe Rebner, qui, dans
le corcerto en ré de Wieniawsky, l'Aria de Gold-
mark, une Danse hongroise de Brahms, a pleinement
confirmé l'impression si favorable qu'il a laissée ici
il y a deux ans, par la perfection de sa technique
probe et sûre d'elle-même, la pureté du son et la
beauté du style.
Au même concert, M. Rinskopf a dirigé une
exécution remarquablement belle de la symphonie
en ut mineur de Saint-Saëns, cette œuvre d'une admi-
rable ordonnance classique, où il y a un adagio
d'une rare noblesse d'inspiration et dont le final
est de si puissant effet. On y a entendu également
le prélude de Tristan et la scène d'amour du
Feuersnot de Richard Strauss.
Les concerts quotidiens du Kursaal continuent
à offrir à l'auditoire mondain qui s'y presse une
série d'artistes du chant appartenant à nos grands
théâtres : citons Mlle Gerville-Réache, qui a admi-
rablement interprété les stances de Sapho; Mlle
Agnès Borgo, de l'Opéra, dont la voix est belle
et étendue; M. Riddez, un baryton à la voix
charmante et à l'expression fort juste; Mme Dratz-
Barat, Mlle Joksch de Carlsruhe, Mlle Miranda,
etc. Remarqué, aux concerts de l'après-midi, la
révélation d'un ténor de grand avenir, M. J. Go-
dart, de Bruxelles, de qui la voix est belle et géné-
reuse et dont la méthode fait honneur à l'ensei-
gnement de son professeur, M. Demest ; puis
Mlle Danielle Paternoster, de Tournai, qui a
détaillé avec goût et agilité les vocalises du Mysoli
de F. David, Mlle M. Van Dyck, M. Crabbé, de
la Monnaie, etc.
Le nouveau théâtre a été inauguré officiellement
le i5 juillet, par une représentation de Lahné, où
notre compatriote M. H. Dufranne a brillamment
tenu le rôle de Nilakantha. La troupe est assez
bonne ; il y a fréquemment des représentations
à vedette : c'est Mlle Charlotte Wyns, dans
Carmen, ou le fameux Caruso, qui a fait, jeudi,
les délices de son auditoire dans le rôle du Duc
de Mantoue (Rigoletto). Ajoutons que la nouvelle
salle de théâtre est superbe comme goût et comme
fraîcheur, et que le foyer est de toute beau'é.
Vendredi soir, enfin, nous avons eu ici pour la
première fois le fameux Jan Kubelik, cette presti-
gieuse incarnation de l'art du violon. Nous y
reviendrons dans une prochaine correspondance.
Ce dimanche soir, Caruso chantera au Kursaal;
LE GUIDE MUSICAL
55i
M. De Greef y interprétera, le n août, le concerto
de M. Théo Ysaye et le cinquième de Saint-Saëns;
puis nous aurons Raoul Pugno, Ernest Van Dyck,
Noté, le ténor italien Bonci, Imbart de la Tour,
qui chantera le 27 août, Henry Albers, etc., etc.
L. L.
NOUVELLES
Les représentations de gala du Théâtre
antique d'Orange, organisées sous le patronage
de la Société des Grandes Auditions musicales,
toujours si prompte à saisir les occasions de haute
émotion artistique, ont lieu en ce moment (5, 6 et
7 août], avec non seulement deux tragédies (Jules
César de Shakespaere et Œdipe-Roi de Sophocle),
mais aussi deux opéras, dont il importe de signa-
ler spécialement l'inteiprétation remarquable. Les
Troyens, de Berlioz, ont pour acteurs Mme Litvinne
et M. Rousselière (Didon et Enéej avec Mmes Chas-
sang et Girerd, MM. Plamondon et Ananian dans
les autres rôles; Méphistophélés, de Boïto, est chanté
par Mme Lina Cavalieri, M. Dassi et M. Chalia-
pine, en italien, bien entendu, et il serait bien à
souhaiter qu'une pareille interprétation (le Méphis-
tophélès qu'est Fartiste moscovite, M. Chaliapine,
est déjà célèbre partout) nous fût ensuite offerte
à Paris. C'est M. Colonne qui dirige l'orchestre
et M. Gunsbourg qui règle l'ensemble des repré-
sentations. Quant aux drames, à l'interprétation
desquels participent Mounet-Sully, Silvain, Albert
Lambert, Paul Mounet, Mmes Silvain et Maille,
on sait que M. Gabriel Fauré a écrit une musique
spéciale pour Jules César, et qu' Œdipe-Roi comporte
une partition de scène qui reste une des meilleures
œuvres de Membrée.
— Le théâtre de la Cour grand-ducale saxonne
de Cobourg-Gotha a donné la saison passée (du
4 septembre 1904 au i3 juin igo5) 79 représenta-
tions de 33 opéras et n exécutions de 3 opéras-
comiques. Voici les nouveautés : Benvenuto Ceïïini,
de Berlioz; Iphigénie en Tauride, de Gluck (adapta-
tion de R. Strauss); Cosi fan iutie, de Mozart (
(adaptation de H. Lévy); La Muette de Portici, l
La Poupée, d'Audran; Faust, Evangelimann, Waf-
fenschmied, Heiling, L'Africaine, La Flûte enchantée,
Le Barbier, Silvana, Vogelhàndler.
— Voici la distribution des ouvrages qui seront
créés les dimanche i3 et mardi i5 août aux
Arènes de Nîmes :
1. Vénus et Adonis, légende lyrique en un acte
et trois parties, paroles de M. Louis de Gramont,
musique de M. Xavier Leroux :
Vénus, Mme Héglon, de l'Opéra; Adonis, Mme
Fossati, de la Scala de Milan.
2. Arnica, drame lyrique en 2 actes, paroles de
M. Paul Bérel, musique de M. Piétro Mascagni :
Rinaldi, MM. Renaud, de l'Opéra; Giorgio,
Nuibo, de l'Opéra; Maître Camoine, Ananian, de
l'Opéra de Monte-Carlo ; Arnica, M^es Charlotte
Wyns, de l'Opéra-Comique; Atfagdelone, Fossati,
de la Scala de Milan. Orchestre de i5o musiciens,
sous la direction de l'auteur, M. Piétro Mascagni.
— On annonce que le programme des Festspiele
de Bayreuth -en 1906 comprendra Taunhàuser,
l'Anneau du Nibelung, Parsifal et Tristan et I solde,
cette dernière œuvre complètement montée à
nouveau.
— M. Fritz Steinbach, directeur du Conserva-
toire de Cologne, dirigera le 24 mars 1906 un grand
concert à la Société philharmonique de New- York.
— Le jury chargé, à Liège, de l'examen des
compositions envoyées au concours pour la cantate
d'inauguration du monument commémoratif du
75e anniversaire de l'indépendance de la Belgique,
vient de faire connaître sa décision. Ce jury était
composé de MM. Théodore Radoux, directeur du
Conservatoire de Liège, Emile Mathieu, directeur
du Conservatoire de Gand, Jan Blockx, directeur
du Conservatoire d'Anvers,' Edgar Tinel, directeur
de l'Ecole de musique religieuse de Malines,
Delsemme et Jongen, professeurs au Conservatoire
de Liège. Il a décerné le premier prix à M. Mawet,
de Liège, pour la cantate intitulée Pro Patria,
écrite sur des paroles de M. Raoul de Warsage, de
Liège, et il a attribué un second prix, à l'unani-
mité, à la composition intitulée Omnium, dont
l'auteur est M. Cari Smulders, professeur au Con-
servatoire de Liège.
— La Schola Cantorum de Montluçon vient de
terminer brillamment sa deuxième année d'exis-
tence. En plus de ses auditions de musique pales-
trinienne, elle a donné deux grands concerts depuis
le mois de mars. Le premier, avec le concours des
Chanteurs de Saint-Gervais, a été un triomphe
pour M. Charles Bordes et son chœur si admira-
blement discipliné. Le second était consacré à
deux chefs-d'œuvre de l'opéra français : le pre-
mier acte à! Aie este (Gluck) et le premier tableau du
premier acte de Castor et Pollux (Rameau). Mlle de
la Rouvière et M. Monys, solistes de la Schola de
Paris, ont chanté et déclamé avec une magnifique
ampleur ces deux sublimes tragédies lyriques.
552
LE GUIDE MUSICAL
M. Bordes dirigeait l'exécution, communiquant
une vie intense aux chœurs et à l'orchestre.
L' Alléluia du Messie (Haendel) a clôturé eu apo-
théose cette belle soirée d'art.
— On a vendu récemment aux enchères publi-
ques, à Paris, une collection d'autographes compre-
nant un choix très curieux de lettres ou pièces de
compositeurs, d'auteurs dramatiques, d'acteurs et
d'actrices.
Nous avons relevé dans cette réunion de feuillets
émanant d'hommes et de femmes qui ont conquis
quelque célébrité, un morceau de musique auto-
graphe de Beethoven, qui a été adjugé à
700 francs. C'est un fragment d'une petite danse
allemande comportant quatre pages in-40; deux
pages et demie sont d'une écriture nette et lisible.
La fin est de l'écriture ordinaire des « esquisses ».
Une lettre de Beethoven à Maurice Schlesinger,
datée de Vienne, 18 février 1823, relative à l'édition
d'une de ses œuvres, qui paraît être dédiée à
Antonia Brentano. est montée à 3oo francs.
Une lettre de Béranger à M. Gilhart (27 jan-
vier 1841), dans laquelle le grand chansonnier lui
annonce qu'il vient de s'installer à Passy et qu'il se
dispose à aller voir Lamennais en sa captivité;
cette pièce a trouvé acquéreur à 40 francs ; un
morceau de musique autographe de Bruneau avec
paroles, une page in-40, fragment inédit de Y Attaque
du Moulin, a été payé 16 francs.
Une lettre de Gounod à M. Elkan, 1882, relative
à la représentation de Rédemption à Bruxelles, a été
vendue 10 francs; une lettre de Massenet au
même M. Elkan, 1882, relative à la représentation
de la Vierge à Bruxelles, a été obtenue pour
8 francs ; une lettte de Rossini, en français, au
marquis de Las Marismas (1834), dans laquelle le
célèbre compositeur donne son impression sur
deux tableaux de Murillo, a fait 25 francs.
Une curieuse lettre de Richard Wagner, datée de
Zurich, 12 décembre 1857, a été poussée à
xo5 francs. Cette pièce est relative aux opéras de
Tannhàuser et de Lohengrin, que le grand composi-
teur avait cédés à M. Hoffmann, directeur du
Josephstadter Theater de Vienne. Tannhàuser avait
été cédé à raison de 100 francs par représentation,
dont 25 seraient payés d'avance. Lohengrin avait
été cédé dans les mêmes conditions, mais on devait
verser 1,000 francs en commençant les répétitions.
Wagner, qui n'avait pas grande confiance dans
le directeur du Josephstadter Theater, avait
chargé un correspondant de percevoir ses droits
d'auteur et de vérifier si Ton ne donnait pas plus
de représentations qu'on ne lui versait de droits
d'auteur.
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NÉCROLOGIE
Nous apprenons la mort toute récente, à Verviers,
de M. Jean David, le ténor dont on se rappelle
les succès à la Schola Cantorum de Paris,
Il était rentré pour quelques jours dans sa ville
natale et devait chanter dimanche dernier, à
l'Exposition de Liège, la Chanson d'Halewyn d'Al-
bert Dupuis.
— Cette semaine est mort, âgé seulement de
quarante-cinq ans, et après une très courte
maladie, notre excellent confrère du Figaro,
Charles Joly. Originaire des Ardennes, Charles
Joly s'occupa de bonne heure de musique et
s'adonna à la critique musicale, où il faisait
preuve d'un éclectisme très apprécié. Tout
récemment il avait pris une part très active
à la fondation de la revue populaire Musica.
Fort aimable homme et de rapports cordiaux,
Charles Joly laissera d'unanimes regrets à tous
ceux qui le connurent.
— Le 18 juin dernier est mort, en Wurtemberg,
dans le cloître des Bénédictins de Beuron, le
père Ambrosius Kienle, un des plus zélés partisans
de la conservation du chant grégorien. Il était
né le 8 mai i852, à Laiz, sur la hauteur du
Hohenzollern, contrefort des Alpes de Souabe.
Après avoir terminé ses études, il entra dans les
ordres en 1873. Doué d'une voix superbe, il orga-
nisa des chœurs, étudia les ouvrages spéciaux sur
le chant ecclésiastique, en traduisit plusieurs en
allemand et publia une série d'articles dans les
revues spéciales. Un petit recueil de chants
d'église compilé par lui a eu beaucoup de succès.
C'était un véritable artiste, doué d'un tempéra-
ment de combat et d'une activité infatigable.
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20 et 2/ Août 1905.
SOUVENIRS DU THÉÂTRE DE LA MONNAIE
A Monsieur le rédacteur
en chef du Guide musical.
Alors, vous voulez que, sous pré-
texte de jubilé patriotique, je
batte le rappel de mes souvenirs
sur la Monnaie depuis les temps
les plus reculés jusqu'à nos jours, espérant
peut-être qu'avec un petit effort, je retrou-
verai au fond de ma mémoire la Muette
de i83o. Cette soirée historique qui fut la
vraie « première » de la révolution? Je re-
grette, en vérité, de ne pouvoir exaucer ce
vœu malicieux. Mais, à part cela, je suis à
vous. Entendons-nous cependant. Il n'est
pas question de souvenirs méthodiques,
académiques, de ces réminiscences pio-
chées cum libro, illustrées de dates pré-
cises. Non, n'est-ce pas? Arrière, Isnardon.
Nous venons de dîner ensemble, vous et
moi ; le café est servi, on allume un cigare
et l'on cause à bâtons rompus. « Vous rap-
pelez-vous?... » « Non.-.. Si pourtant... » Et
ainsi de suite.
Oui, je me rappelle la première fois que
mes parents me menèrent à la Monnaie, où
la comédie alternait encore avec l'opéra.
J'avais sept ou huit ans, et, à ce gosse, la
direction servait les Plaideurs et le Cheval
de bronze. Les bouchées doubles ! Oh ! la
sensation inoubliable! « Tirez, tirez, ils ont
pissé partout ! » Du Racine ! je ne le re-
connus guère quand plus tard je découvris
Athalie et Phèdre. Et, dans le Cheval de
bronze, la révélation de Couderc, le ténor à
la mode, alors la coqueluche de toutes les
jolies femmes de Bruxelles! Faut-il vous
avouer que Couderc ne me disait rien? Les
costumes chinois absorbaient mon atten-
tion, et du rôle nonchalant de l'illustre
ténor, je ne retins que ce refrain, dont je
faillis me faire une devise :
C'est le sys...tème que j'aime;
D'être heureux c'est le moyen.
En somme, je ne soupçonnais même pas
que j'eusse la chance d'entendre Couderc.
Il fallut plusieurs années pour me faire
apprécier mon bonheur. Couderc était
rentré à l'Opéra- Comique de Paris, où il
556
LE GltttDÈ MUSICAL
faisait surtout figure d'acteur émérite, sa
voix risée, soutenue par une diction mor-
dante, lui valant des succès de Comédie
française. Combien de ténors en ce monde
n'en pourraient pas dire autant! Tout de
même, à la Monnaie d'aujourd'hui, il y a
Caisso; dans un style plus fantoche, il est
vrai.
Après Couderc, ce fut Octave qui me
révéla le Prophète. Très beau, le Prophète!
Mais combien supérieur Charles VI, avec
sa charge de cavalerie sur la scène. Voilà
de la musique, ou je ne m'y connais pas !
Mais le gosse est promu collégien, puis
lycéen. On l'envoie à Paris pour achever
ses humanités, et un jour, en i855, un
externe de Charlemagne l'interpelle : « Dis
donc, toi, tu ne sais pas? Ton théâtre a
brûlé. » Un coup ! Mais ton théâtre ! Il n'y
a pas à dire, j'étais flatté.
A égrener le chapelet du répertoire et de
sa distribution à travers les âges, nous
referions Isnardon sans Isnardon. Foin de
cette méthode. Prenons un autre cadre :
les directeurs. J'en ai connu plusieurs.
Ce fut d'abord Letellier, un type de
directeur d'ancien régime, éternel jeune
homme, un peu fané sans doute, mais
musqué, pommadé, frisé, donnant l'illusion
de la fraîcheur, d'autant que sa diction
ténorisante était celle d'un Lindor indélé-
bile. Il avait d'ailleurs joué le Barbier à
Marseille. Et comme il était amusant
quand il parlait de sa vocation ! De chan-
teur? Dame, oui, puisqu'il avait une voix.
Mais, avant tout, de comédien. Monter sur
les planches, telle était son ambition. « Oh!
oui, je mourais d'envie de jouer la comé-
die! Et surtout en costume! » L'aveu est
« d'époque », comme disent les bibelotiers.
En ce temps-là, la comédie en habit noir
n'avait pas encore pris le pas sur le pana-
che romantique, et le costume, dont Théo-
phile Gautier, dans un feuilleton mélanco-
lique, déplora plus tard la désertion
systématique, était toujours l'idéal du
comédien-né.
Cet idéaliste n'en était pas moins un
directeur avisé, très pratique, attentif à la
dépense autant qu'à la recette, inquiet de !
toute prodigalité déséquilibrante. Quand
Avrillon, en 1872, vint prendre la succes-
sion de Vachot, Letellier n'avait pas perdu
tout espoir de ressaisir la direction de la
Monnaie. Remontant Faust à neuf, Avril-
lon y introduisait la banda militare des
opéras italiens. Avant lui, les cuivres qui
accompagnent le chœur des soldats res-
taient dans l'orchestre. Avrillon leur ouvre
la scène, où leur apparition inattendue est
accueillie par des trépignements d'enthou-
siasme. Letellier bougonne : « Cet animal-
là me gâte mon théâtre. Ces musiciens
jouaient très bien leur partie dans l'or-
chestre. Maintenant, il faudra que je les
habille. Le costume, ça coûte cher. Plus
cher que le décor. » Le costume, il en
raffolait pour lui; beaucoup moins pour
les autres.
Vachot mérite un souvenir. C'est lui qui
monta Lohengrin, en 1 871, avec le concours
de Hans Richter, qui en dirigea la première
représentation. Une telle initiative doit lui
être comptée. Brassin l'avait allumé. Pour-
tant, il n'y voyait que du feu, l'excellent
Vachot, type d'imprésario de féerie. Ne
voulait il pas intercaler un ballet au début
du troisième acte, pour animer un peu
l'entrée des deux époux dans la chambre
nuptiale. « Ça languit! C'est froid! En avant
les danseurs! » Sans une belle colère de
Richter, ça y était. Et quelle jolie remarque
à la première et très poétique Eisa, Mlle
Anna Sternberg! Vous savez bien, quand
la fiancée hystérique, torturée, par Ôrtrude,
s'inquiète du sortilège qui pèse sur la
destinée de son mystérieux amant : « J'ai
peur. Le cygne viendra te reprendre. J'en
suis sûre. Tiens, le voilà, je le vois! » Et
la cantatrice, face au public, désigne du
geste, au fond de la salle, le cygne qui lui
apparaît comme en un songe. A la répé-
tition, Vachot intervient : « Pardon, made-
moiselle, vous faites erreur. Ce n'est pas
par là que le cygne est venu. C'est par ici. »
Et il la retourne, face au fond de la scène,
lui montrant l'endroit où apparut, au pre-
mier acte, traîné par son cygne aimé, le
LE GUIDÉ MUSICAL
5$7
chevalier du Graal. Un homme à idées, ce
Vachot, et plein de zèle.
Mais j'oubliais Quélus qui, des Galeries
Saint- Hubert, passa à la Monnaie, où il eut
l'ëtrenne de Faust, ce qui le mit en rapports
avec Gounod. Quand le maître apprit que
ce directeur de la Monnaie, théâtre de
musique, était professeur au Conserva-
toire, il faillit lui demander : « De quel
instrument? » Trompé par la taille, l'em-
bonpoint, la plénitude de la face et l'enflure
des joues, il croyait avoir affaire à un pro-
fesseur de trompette. Très entendu en
administration théâtrale, sinon en musique,
bon professeur de déclamation, bon acteur,
s'assimilant tour à tour les Frederick
Lemaître et les « Bourru bienfaisant »,
Quélus fut à la Monnaie un directeur
heureux. Et il avait mérité son bonheur.
Avant de faire ses preuves pour son propre
compte, il les avait faites pour autrui en
assumant avec un parfait désintéressement
la direction des artistes de la Monnaie
réunis en société, après je ne sais quelle
faillite directoriale, et en la liquidant au
mieux des intérêts de tous.
Et Campocasso! Quel nom superbe pour
un imprésario? Un nom du Midi, s'il en fut.
Et l'homme était du Midi et demi. Blagueur
imperturbable et railleur à souhait. Homme
d'affaires avant tout, ne se piquant guère
d'esthétique, il déclarait ne rien com-
prendre aux mœurs commerciales des
artistes dramatiques. « En vérité, disait-il,
ces gens-là sont étranges! En somme, il
n'est rien de plus chanceux qu'un théâtre,
et ils font tout ce qu'ils peuvent pour
aggraver la situation. Oh! du talent, ils en
ont, moins qu'ils ne croient et plus qu'il
n'en faut. Mais le talent ne suffit pas. Il y
a les accidents, auxquels il faut parer. J'ai
été dans le commerce. J'y ai connu des
moments heureux et des périodes de crise.
Les vaches grasses me valaient des jalou-
sies, voire des rancunes, mais, revirement
curieux, les vaches maigres me ramenaient
des sympathies, et partout, même chez des
rivaux, je trouvais des intentions conci-
liantes, des dispositions à arranger les
choses, un certain instinct de solidarité,
comme si l'on craignait qu'un désastre indi-
viduel n'en amenât d'autres par répercus-
sion. Au théâtre, rien de pareil. A peine le
directeur est-il dans l'embarras, que le
premier cri des artistes est celui ci : « Il
faut le mettre en faillite ». Ils sont pourtant
aussi intéressés à ma réussite que moi à la
leur. Mais non, la faillite, il n'y a que ça!
Ils seront bien avancés quand j'aurai
déposé mon bilan. »
Il ne le déposa pas. On sait même que sa
direction de la Monnaie le conduisit à une
co-direction de l'Opéra de Paris, d'ailleurs
éphémère.
Qui encore? Verdhurt, un infortuné, et
son infortune est trop récente pour qu'on
en ravive les cuisants souvenirs. Pourtant,
j'ai retenu ce mot d'un de ses abonnés :
« Il a fait de mauvaises affaires. Tant pis
pour lui. Mais nous n'avons rien à regret-
ter, nous autres : nous lui devons une belle
année! »
Stoumon et Calabresi. La plus longue
direction que la Monnaie, si je ne me
trompe, ait jamais connue. Deux étapes,
inégalement prospères. La première, louée
sans réserve. La seconde très cahotée, et
surtout passionnément combattue, après
l'interrègne triennal de Joseph Dupont et
Lapissida.
Ne remuons pas ces cendres éteintes.
Après tout, il reste à Joseph Dupont la
réputation d'un grand chef d'orchestre, à
Lapissida celle d'un habile metteur en
scène. Et ceux-là même que taquinèrent le
plus vivement Stoumon et Calabresi ne
sauraient méconnaître leurs initiatives,
dépassées depuis, glorieuses pour leur
temps. N'eussent-ils à leur actif que d'avoir
ouvert leur théâtre à Angelo Neumann et
Anton Seidl et à la troupe allemande qui
révéla au public bruxellois toute la trilogie
du Ring, d'avoir été les premiers à monter
en français les Maîtres Chanteurs, Tristan
et I solde et Siegfried, après que Dupont et
Lapissida eurent donné la Walkure, c'en
serait assez pour que les incorrigibles
wagnériens dont nous sommes leur gar-
55S
LE GUIDE MUSICAL
dassent un souvenir reconnaissant. Cela
sans compter Hérodiade de Massenet, Si-
gitrdeX. Salammbô de Reyer, et bien d'autres.
Reste la direction actuelle ; Kufferath et
Guidé. La postérité n'est pas née pour
eux. Ils sont en place, et il n'est personne
qui ne forme des vœux pour qu'ils y
restent le plus longtemps possible. Ils ont
déjà fait leurs preuves, et avec éclat. On
sait ce dont ils sont capables. Et l'on est
persuadé qu'ils n'ont pas donné toute leur
mesure.
Quant à l'historique du répertoire et de
ses interprètes, il me sera permis de m'y
dérober. Mais puisque tout cadre jubilaire
implique un lien entre le présent et le
passé, un mot d'un phénomène d'engoue-
ment musical qui se réédite aujourd'hui
après quelque cinquante ans. Il semble que
Bruxelles se toque de musique italienne et
sacrifie aux voluptés sonores du bel canto
et au culte de la voix aimée pour elle-
même, après en avoir fait fi depuis un
demi-siècle. Rien d'étonnant à cela. Le
renouvellement périodique de ce phéno-
mène est inévitable, et il s'explique par le
renouvellement du public.
Quand les compagnies italiennes de Fim-
presario Merelli s'installèrent jadis au
Théâtre du Cirque (aujourd'hui Alhambra),
qui fut le refuge de la Monnaie après l'in-
cendie, la toquade ne fut pas moins forte,
et Topera français ne laissa pas d'en
souffrir à la Monnaie, malgré la popularité
du fameux trio belge : Wicart, Depoitier et
Carman, encore que, du répertoire italien
du temps, il ne dédaignât pas de donner
des traductions. Mais l'opéra italien se
guindé, s'engourdit et se fige sous la diction
plus noble et plus sourde, sous la gesticu-
lation plus conventionnelle des chanteurs-
acteurs d'école française. Il y faut le
« toutes voiles dehors » du son à pleine voix,
élargi par les opulentes voyelles de la langue
où résonnent le si et bien plus encore, les
a et les o des finales sans sourdine. Il y faut
cette mimique à bride abattue qui, chez les
chanteurs d'Italie, qu'ils soient d'opéra ou
de comédie et de drame, chauffe la scène,
souligne les intentions et, à un public
étranger, persuade qu'il entend l'italien, s'il
ne le sait pas même aussi parfaitement que
M. Choufleury. Les compagnies Merelli,
formées d'ailleurs d'artistes de grand ta-
lent, révélèrent tout cela à un public
qui n'en avait pas la moindre idée. Et
ce fat un délire. Et ce fut fort heureux
pour ce public jeune, qui plus tard de-
vait changer son fusil d'épaule. Car,
pour aimer la musique et le drame
lyrique, c'est par l'opéra italien qu'il faut
commencer, par la ligne du chant —
Wagner lui-même en convient, — par ce fil
d'Ariane qui captive les âmes neuves et
les guide bientôt après à travers les subti-
lités harmoniques et les labyrinthes de
l'orchestration la plus compliquée.
Voici qu'un nouveau public, aussi jeune
que l'autre, qui a vieilli, mais se rajeunit et
se retrouve en lai, subit à son tour- ce
charme irrésistible et s'y abandonne avec
la même candeur et le même entrain.
Que l'opéra de langue française ne s'in-
quiète pas de cette crise, et surtout qu'il se
garde bien de s'approprier pour le franciser
un répertoire aboli qui fait fureur parce
qu'il se révèle à un public qui l'ignorait, et
parce qu'il se révèle à lui dans sa langue
natale. La Monnaie s'y essaya jadis, et il
lui en cuisit. Ernani triomphait au Cirque.
Hemani fit fiasco à la Monnaie. J'ai vu
YOtello de Verdi à Milan par des artistes
de talent moindre qui m'enthousiasmèrent,
alors qu'à la Monnaie des interprètes
supérieurs m'avaient laissé froid.
Laissons les enfants à leur mère. Lais-
sons les roses aux rosiers. Laissons
l'Italie aux Italiens. Laissons l'opéra italien
aux chanteurs d'Italie.
Charles Tardieu.
\0
LE GUIDE MUSICAL
55g
LA CHAPELLE ROYALE
SOUS LA RESTAURATION
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
La chapelle royale atteignit l'apogée de
sa splendeur en i825, lors des céré-
monies du sacre de Charles X. On
sait que pour le dernier des Bour-
bons fut restaurée l'antique cérémonie de
l'onction dans la cathédrale de Rtims. Je ne
décrirai pas la pompe religieuse, mais, dans
un travail sur la chapelle royale, je ne puis
passer sous silence sa participation vocale et.
instrumentale à la solennité. Les deux surin-
tendants furent chargés de composer la musique
destinée à alterner avec le plain-chant.
Pour la cérémonie de la veille du sacre, le
Roi, logé à l'archevêché, étant venu faire ses
dévotions à la cathédrale, Le Sueur avait écrit
un morceau sur ces paroles : Ecce ego mitto ange-
lum vieum (1). Un Te Deum succéda au sermon.
Le jour du sacre, la messe proprement dite est
de Cherubini ; c'est celle qui passe pour son
chef-d'œuvre de musique religieuse, la messe
en la, à trois voix, qu'il a composée exprès
pour ce grand événement politique et religieux.
Outre les morceaux liturgiques ordinaires, elle
renferme un Offertoire divisé en plusieurs
parties et une marche religieuse pour la com-
munion à laquelle Berlioz, qui cependant
n'aimait guère Cherubini, a décerné l'épithète
de sublime (2).
Quant à Le Sueur, il n'avait pas eu à mettre
en musique les chants consacrés de la messe. Il
écrivit un triple oratorio « du couronnement »
dont M. Charles Malherbe possède à la fois le
manuscrit, le scénario tracé de la main de
l'auteur, composé « sur les traditions sacrées,
les documents du clergé et principalement sur
les idées de M. l'abbé de Sambucy, ordonna-
teur de cette grande et auguste cérémonie. »
Les paroles latines étaient « tirées de la Bible,
(1) Voir mon article sur Le Sueur (Tribune de Saint-
Gevvais, avril-mai 1905).
(2) Les musiciens et Ix musique, notice sur Cherubini.
A l'occasion du sacre, Cherubini fut nommé officier
de la Légion d'honneur.
des Prophètes, des Proses mesurées, des can-
tiques et des hymnes rythmiques de l'Eglise. »
Il y a dans cet ouvrage que je ne puis analyser
en détail, de nombreuses invocations à Saint-
Rémy. Les morceaux ont été disposés pour
être en harmonie avec les cérémonies de
l'entrée du Roi dans le sanctuaire, du port des
ornements royaux, de la bénédiction des
insignes, etc.
Castil-Blaze et Denne-Baron citent comme
morceaux de Le Sueur ayant été exécutés à
Reims, l'antienne Confortare, le Gentem Franco-
rum, YUnxenmt Salomonem, le Vivat Rexl Le
Gentem Francorum fut chanté pendant la remise
des drapeaux aux régiments ; une marche séra-
phique accompagnait le retour du souverain
couronné vers son trône (1). Pendant le Vivat
Rex final, les fanfares de trompettes, les
musiques militaires et les salves d'artilleries
éclatèrent à la fois, en un grandiose charivari.
On ouvrit au peuple les bas-côtés de la cathé-
drale et on donna la liberté à une foule
d'oiseaux de toutes espèces (2).
* * *
L'année même où la monarchie des Bour-
bons allait être renversée, une nouvelle organi-
sation de la chapelle royale venait d'être
adoptée. On a vu plus haut qu'en 181 5, son
budget avait été fixé à 174,500 francs. En
1828, elle coûtait cent francs de moins et com-
prenait 124 personnes. L'année suivante, le
vicomte de la Ferté proposait au duc de Duras,
premier gentilhomme de la chambre, une
réorganisation qui devait aboutir à une éco-
nomie de 2,700 francs (3). Elle était obtenue
par l'économie d'un des deux postes desurinten-
(1) Voir aussi les notices de la partition gravée. Elle
appartient à Lemoine, 17, rue Pigalle. J'ai expliqué
dans mon article sur Le Sueur déjà cité, les raisons
pour lesquelles on ne peut guère s'y fier.
(2) Castil-Blaze; Denne-Baron. Il y avait comme
exécutants 20 premiers dessus, 20 seconds dessus,
28 ténors, 28 basses; 36 violons, 3o altos, violoncelles et
contrebasses; 28 instruments à vent, 8 de percussion.
Les répétitions avaient eu lieu dans la salle du Conser-
vatoire.
(3) Le dossier du projet est aux Archives nationales
(O3 291).
56o
LE GUIDE MUSICAL
dant (i), celle du secrétaire (2), une sinécure,
celle d'un des deux pianistes, le remplacement
du maître de chapelle (qui touchait 4,000 francs)
par un premier violon à 3, 000 francs (3). Cette
dernière réforme se justifiait aux yeux du
rapporteur par cette considération qui nous
paraît bizarre aujourd'hui : « Depuis longtemps,
écrivait il, on est convaincu que les batteurs
de mesure nuisent à la bonne exécution,
attendu que le bruit et les contorsions qu'ils
font donnent moins d'impulsion qu'un archet
dont le bref mouvement suffit pour maintenir
et diriger un orchestre. Le violon a encore
l'avantage défaire toutes les rentrées en retard, soit
de la partie vocale, soit de la partie instrumentale, ce
que ne peut faire l'impuissant bâton, » Et il
citait l'exemple de Fr. Habeneck à la Société
des Concerts.
Il convenait en outre de réorganiser l'insti-
tution des six pages de la musique du Roi,
c'est-à-dire de remplacer le système du pen-
sionnat par l'allocation aux parents d'une
pension de 600 francs, au lieu des 1,000 francs
que recevait pour chacun d'eux leur gouver-
neur Jadin.
M. de la Ferté proposait encore de porter à
i,5oo francs tous les chefs de pupitre, de
donner 1 ,200 francs aux autres musiciens, de
réduire le nombre des flûtes à deux, de créer
par contre deux places de cor, une de trom-
pette, enfin d'engager à l'année le timbalier.
En ce qui concerne la vocale, il y avait lieu
d'égaliser les traitements des chanteurs, de
(1) « Ils n'ont de fonctions réelles à remplir que
pendant une heure les dimanches et fêtes, sauf les cas
extraordinaires. Quant aux compositions, il n'en fait que
ce qu'il veut et quand il veut; c'est plutôt pour sa répu-
tation qu'il travaille que pour remplir les devoirs de sa
place. On portera ses appointements à 8,000 francs et
changera le titre vieilli en celui de directeur-composi-
teur de la chapelle du Roi. »
(2) Le travail du secrétaire consistait à rédiger les
lettres de convocation pour les répétitions, exécu-
tions, etc., et à veiller à ce qu'elles fussent remises à
domicile. Il transcrivait sur son registre les ordres des
surintendants et faisait toutes autres écritures (art. 3 du
Règlement).
(3) Le maître de musique dirige l'orchestre de la cha-
pelle; en cas d'absence, il est remplacé par le premier
violon. (Art. 2).
donner 2,5oo francs aux récitantes, 2,000 aux
récitants, i,5oo aux coryphées et 1,200 aux
choristes. Par suite, la composition de chaque
groupement de voix devenait la suivante :
1ers dessus :
3 récitantes
1 coryphée
6 pages
4 choristes
2ds dessus :
3 récitantes
1 »
—
8 »
Ténors :
3 récitants
1 »
—
10 »
Basses :
3 récitants 1 »
—
10 »
Totaux. . Ii2récitants 4 coryph. 6 pages 32 choristes
D'après ce projet, le devis définitif arrêté
dans la préparation du budget de i83o est de
172,760 francs; la réduction n'est plus que de
1,620 francs. Le 3i décembre 182g, l'intendant
général de la maison du Roi répond qu'il
approuve entièrement cette organisation et
qu'elle sera mise en vigueur le Ier janvier i83o.
Mais l'ordonnance du Roi n'intervint que le
i3 mars suivant. Au lieu d'une réduction, c'est
un nouvel accroissement de dépenses qu'elle
sanctionne; le crédit est fixé à 214,700 fr. (1).
Les deux surintendants sont conservés.
Les chefs de pupitre sont portés à i,8od francs,
mais les seconds n'ont que 1,200 francs Le
personnel était arrêté à n5 personnes.
Avant qu'il soit dispersé par la Révolution
de juillet, il convient de le passer en revue.
Depuis 181 5, la direction est restée la même.
Ch. Plantade, maître de chapelle et Valentino
sont inscrits comme survivanciers de Le Sueur
et de Cherubini. Les accompagnateurs sont
Al. Piccinni et Pradher. Il y a deux organistes,
Séjan et Benoist, qui fut professeur d'orgue au
Conservatoire. Grégoire est inspecteur du
service, Durais, secrétaire et Lefebvre, biblio-
thécaire.
Les récitants sont au nombre de douze :
Premiers dessus : Mmes Lemonnier, Dabadie,
Lambert.
Seconds dessus : Mmes Sta'ûi, Gide, Martain-
ville.
Ténors : Pouchard, Rigault et A. Dupont.
Basses : Consul, Levasseur et Stephen (de
la Madelaine).
(1) Et non pas à 260,000 francs comme le dit Castil-
Blaze dont les chiffres faux ont été reproduits par tous
ceux qui ont écrit sur la chapelle royale.
LE GUIDE MUSICAL
56i
CHŒUR
Femmes. — Premiers dessus : Mmes Avignon.
Augusta, Bougeard, Milhez, Ad. Le Sueur (i),
Ampère, Minoret.
Deuxièmes dessus : Lebrun, Deleplanque, Ba-
taillard, Le Roy, Rocoplan, M. Lemoine; six
pages de la musique.
Hommes. — Ténors : Larochelle, Courtin,
Moreau, Cornu, Chénié, Ch. Plantade, Sa-
varda, Doineau, Voizel, Trévaux, Catalan,
Gaubert.
Basses : Pocard, Grégoire, Guignot, Louvtl,
Formageat, Cauchoix, Henry, Hem, Révoil,
A. Bonnet, Ftrd. Prévost, Guion, Goyon,
Doutreleau, Riberge.
ORCHESTRE
Premiers violons : Baillot, Marcou, Xavier,
Kreubé, Libon, F. Habeneck, Vidal.
Seconds violons : A. Kreutzer, Spitz, Man-
ceau, Cartier, Morena, Tilmant, C. Habeneck.
Altos : Tariot, Quénebaux, Chol, Amédée.
Violoncelles : Baudiot, Boulanger, Charles,
Berger, Norblin, Vaslin.
Contrebasses : Gélineck, Sorne, Lami,
Rifàut.
Flûtes : Tulou, Roger.
Hautbois : Vogt, Brod.
Clarinettes : Ch. Duvernois (récitante),
Dacosta.
Trompettes : D. Brùhl, Duvernet.
Cors : F. Duvernois, Mengol, Duprat.
Bassons : Gebauer, Henry.
Harpes : Les frères Nadermann.
Timbalier : Saint-Laurent.
La musique de la chambre avait toujours le
même état-major. Sa composition était devenue
la suivante :
Chant. — Premiers dessus : Mmes Cinti-Damo-
reau, Allard, Kunze.
Deuxièmes dessus : Martainville, Danvers,
Héloïse.
Ténors : Ponchard, Rigault, Bordogni.
Basses : Consul, Levasseur, Stephen.
Instrumentistes. — Violon : Lafont; Flûte :
Tulou; Harpe : Nadermann.
La chapelle royale se fit entendre pour la
dernière fois à Saint-Cloud, le 2 5 juillet i83o.
(i) C'était l'une des filles de Le Sueur.
Depuis le 22 mars i8o3 jusqu'au iS juillet i83o,
elle avait exécuté i,568 messes, à ce qu'affirme
Castil-Blaze (1).
« La Révolution de juillet i83o, écrivait-il
deux ans après, amena la dissolution de ce
corps de musique célèbre en Europe. Le local
même fut dégradé par les combats des trois
glorieuses. » Il contenait un orgue d'Erard qui
fut détruit. Les compositeurs qui la dirigeaient,
Chérubin i, directeur du Conservatoire (depuis
1822), Le Sueur, Kreutzer, professeurs dans
cette école, les principaux artistes du chant,
engagés dans les théâtres, F. Habeneck, chef
d'orchestre à l'Opéra, des instrumentistes
comme Baillot, Tariot, Baudiot, Norblin, Tulou,
Vogt n'étaient pas embarrassés pour gagner leur
vie (2), mais les autres, plus obscurs, n'avaient
pas les mêmes ressources ; ils obtinrent des
pensions dérisoires. Malgré les protestations de
Castil-Blaze et de Louis Fétis (3), la chapelle
royale ne fut pas reconstituée. Par la même
occasion, la musique de la chambre avait été
dispersée. Seul l'intrigant et avide Paër, qui
ne se contentait pas des jetons de l'Institut où
il avait été admis en i83r, sut obtenir à la cour
de Louis-Philippe des fonctions rétribuées de
directeur d'un corps de musique qui n'exista
jamais que sur le papier.
Georges Servières.
P. -S. — Une faute typographique, commise à la
page 5i6, a introduit un barbarisme dans le titre latin
d'un motet de Le Sueur. Lire : Veni, sponsa mansueta et
non : Veni, épousa.
LES TENORS, FAR UN TÉNOR
Dans le dernier numéro de la revue
parisienne Je sais tout, M. Ernest
Van Dyck publie un très intéressant
article humoristique sur les grands
ténors, et à propos d'eux, sur quelques-unes des
misères, en même temps que des gloires, de la pro-
fession. Les petits ridicules y prêtent à rire, les
(1) Ouvr. cité.
(2) La plupart étaient professeurs au Conservatoire
et attachés à l'orchestre de l'Opéra.
(3) Revue musicale de Paris (n° du 18 septembre i83o).
562
LE GUIDE MUSICAL
méprises et les ignorances y prennent d'autant
plus de relief qu'en somme, cette profession devrait
être un art et que bien peu s'en doutent; et de
fait, les anecdotes piquantes abondent, et M. Van
Dyck en cite de fort réjouissantes (tout de même,
je serais fort étonné s'il ne l'avait pas fait un peu à
contre-cœur et pour ne pas être trop en disparate
avec les gravures, qui sont souvent des carica-
tures1*. Mais il est surtout intéressant quand, à côté
des imbéciles (quel métier n'a pas les siens?), il
place les viais artistes, les gloires de la profession,
l'honneur de la scène lyrique. C'est ici que nous
aimerions découper son article à l'usage de nos
lecteurs, si ce n'était dépasser les bornes raisonna-
bles de nos colonnes.
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité !. .
proteste-t-il, très logiquement, au début, en citant
un vers célèbre. Et sa plume érudite nous montre
les grands ténors, véritables collaborateurs des
maîtres de la scène lyrique, créateurs à leur tour,
et, par leur goût, leur intelligence, leur passion du
beau; dignes réellement de ce beau nom trop pro-
digué d'artistes. C'est Legros aventurant pour
Gluck, et par conviction pour la vérité de celte
école nouvelle et la grandeur de cette musique,
toute une carrière de succès assurés ; c'est Garcia
défendant Don Juan contre les tripatouillages des
exécutions courantes ; c'est Adolphe Nourrit
luttant constamment pour introduire un peu de
vérité, de passion sincère, dans les rôles si con-
ventionnels qu'on lui donnait trop souvent à
créer...
Aussi bien, n'est-ce pas Nourrit, véritable Talma
de la scène lyrique, artiste si rare, caractère si pur,
qui déclarait à qui voulait l'entendre : « Etre fidèle
à la nature est le plus sur moyen de ne pas se
tromper » ? Et en effet, c'est par la vérité qu'il cher-
chait l'émotion, qu'après lui Duprez cherchait par
la force. « Il est plus facile de crier fort que de
penser juste, » disait plus tard Roger, un autre vrai
artiste, qui était obligé de lutter contre les habi-
tudes du public (tant Duprez l'avait gâté) « lors-
qu'au lieu d'un cri il donnait une idée », comme il
conte lui-même.
Cette lutte avec le mauvais goût du public, il
n'est pas donné à tous les artistes d'avoir le cou-
rage de la livrer. Heureux ceux qui peuvent tout
se permettre, même d'avoir une âme, et dont les
notes exceptionnelles font excuser le talent dra-
matique. C'est l'histoire de Tamberlick et de son
fameux ut dièse. On ne venait que pour lui et à
l'heure où il devait le donner, et s'il ne le donnait
pas, on se trouvait volé. Et le fait est qu'il était
merveilleux, naturel, facile, pur et colossal... bref,
un phénomène. Mais il n'empêchait pas Tamberlick,
heureusement pour sa gloire, d'être par lui-même
un vrai tragédien, au geste noble, au grand style,
vivant puissamment ses rôles.
Mais laissons la parole à M. Van D}^ck :
« Les chanteurs qui pensent que le succès, qu©:
la faveur du public est le but suprême de leur
profession n'ont pas toujours tort, car il faut
s'entendre sur la façon dont ils peuvent l'atteindre.
Là où ils sont dans le faux, c'est quand ils s'ima-
ginent qu'on ne peut l'atteindre en restant fidèle à
la vérité, quand ils méconnaissent la plus invaria-
ble et la plus abondante source de l'effet qu'ils
cherchent : l'effacement absolu de l'interprète
derrière son personnage...
» ... Il y a des ténors qui ne sont que des
ténors, mais il y a des ténors qui sont des artistes...
de même qu'il y a des artistes qui se laissent béné-
volement guider par le goût, d'ailleurs versatile et
capricieux du public, et il y en a d'autres que rien
ne distrait de leur but et qui savent réagir contre
le faux goût et le conventionnalisme.
» Au moment où le maître de Bayreuth faisait
faire un pas de géant à l'opéra, au moment où il
exposait ses idées sur l'œuvre d'art de l'avenir, bien
peu d'interprètes furent capables de le comprendre
et de le suivre. Il s'en trouva cependant d'enthou-
siastes et qui le servirent de leur mieux ! Dans la
nuit de Noël, les anges entonnèrent dans les cieux :
« Paix aux hommes de bonne volonté ! » Je dirai :
Paix, honneur aux interprètes de bonne volonté, à
ceux qui sont sincères et qui, mettant au service
de l'ouvrier créateur leur personnalité, interprètent
fidèlement la pensée de l'auteur ! »
Il appartenait au fidèle interprète, au pénétrant
et original tragédien lyrique qu'est Ernest Van
Dyck de traiter avec une éloquence particulière
la question de l'exécution wagnérienne. Sa conclu-
sion n'est pas moins juste et noble; il faut la
citer :
« Avec Richard Wagner, tout l'art lyrique devait
changer. L'interprète devenait partie intégrante
de l'œuvre, et le « ténor » d'après la définition
classique devenait impossible. Si, pour chanter,
il fallait, d'après la définition de Rossini, surtout
délia voce, délia voce et ancora délia voce, je crois que
l'on doit exiger en outre de l'interprète wagnérien
quelques études préalables, quelques connais-,
sances historiques et esthétiques, en dehors delà
musique et de l'art du mime.
» Wagner a réconcilié la musique et le drame;
la plastique, la mimique, la danse (dans la noble
acception du mot), la peinture (le décor) concou-
Le guide musical
563
rent à présenter le drame, que la symphonie éclaire
et explique. U inexprimable est ainsi exprimé par
l'orchestre. L'état d'âme du personnage devient
tangible par la magie des sons
» Il est évident qu'une très belle voix, même
fruste, même sortant du gosier d'un rustre absolu-
ment inintelligent, aura toujours sur le public une
action que j'appellerai « élémentaire >\ comme le
chant des oiseaux et le son du cor au fond des bois.
Mais ceci n'a plus aucun rapport avec le théâtre
musical tel qu'à l'avenir on le comprendra fatale-
ment.
» Lorsqu'une partition muette est rendue vivante
par l'interprète, le seul interprète génial sera celui
qui aura mis son intelligence au service de la
pensée de l'artiste créateur, humblement, entiè-
rement »
C'est le mot de Kundry : « Dienen, dienen!! »
Avais-je raison de dire qu'on ne peut de plus noble
façon caractériser le devoir de l'artiste interprète
des chefs-d'œuvre ? H. de Curzon.
LA FETE DES VIGNERONS
Vevey, le 4 août igo5.
La plupart des journaux quotidiens ont
consacré de longs articles aux fêtes
très particulières qui ont eu lieu dans
la petite ville de Vevey les 4, 5, 7, 8,
10 et 11 août. On nous excusera donc d'omettre
ici les obligatoires descriptions du site admirable,
du temps magnifique, de l'affluence considérable
et enthousiaste, du luxe des costumes, etc., ainsi
que les anecdotes érudites sur l'ancienneté de la
fête traditionnelle des Vignerons, et ses avatars
divers, depuis le moyen-âge jusqu'à nos jours (1).
11 suffira aux lecteurs du Guide de savoir que la
partie musicale de ces fêtes est devenue aujourd'hui
tellement prépondérante, qu'elle mérite à tous
égards de retenir leur attention.
Limitée jadis à quelques chansons et danses
locales, susceptibles d'éveiller seulement la curio-
(1) Lire notamment à ce propos les excellents articles
de M. Adolphe Brisson dans le Temps (numéros des
10, 17 et 23 juillet dernier).
site assez spéciale des folkloristes, la «. Fête des
Vignerons » fournit maintenant la matière à de
véritables compositions lyriques, sortes d'oratorios
profanes, ou plutôt païens, aussi développés qu'un
drame musical de moyenne longueur.
Sans doute, le chant populaire y conserve une
très large place, car il ne faut point oublier que
l'interprétation demeure confiée pour la plus
grande partie au peuple... non point un peuple
d'opéra-comique, recruté par une agence de théâ-
tre parmi les « laissés pour compte » du caboti-
nage malheureux, mais un vrai peuple de cultiva-
teurs, de pasteurs et de paysans, arrachés
momentanément et bénévolement à leur labeur
rural pour endossef des costumes d'apparat qu'ils
fournissent à leurs frais, et s'exercer aux chants,
chœurs, danses et défilés divers que réclament
d'eux les organisateurs des fêtes.
Toutefois, ce chant populaire est aujourd'hui
encadré dans une sorte de construction musicale
assez vaste, encore qu'irrégulièrement assise sur
ses bases, de même que le peuple, acteur et figu-
rant, est encadré dans une élite d'amateurs instruits
et d'artistes de profession.
Signalons tout de suite parmi ces derniers,
Mme Welti-Herzog, une prêtresse de Cérès à la
voix ample et sonore emplissant sans effort l'im-
mense arène à ciel ouvert ; Mme Troyon-Blaesi,
prêtresse de Paies, dont on eût voulu apprécier
mieux, dans un local plus restreint, la voix souple
et délicate; enfin M. Charles Troyon, honorable
interprète du rôle de prêtre de Bacchus.
C'est à M. Gustave Dorer, musicien aussi
consciencieux qu'intelligent, qu'avait été confiée la
tâche périlleuse et lourde d'enfermer dans un
cadre musical unique des éléments pittoresques et
littéraires un peu disparates, en raison des exi-
gences de la tradition locale, qui interrompent
parfois désavantageusement les séduisantes poésies
du livret, dû à la plume de M. René Morax.
Hâtons-nous dé dire que le résultat des efforts
combinés des deux auteurs constitue une œuvre
éminemment estimable et intéressante, et que les
observations, auxquelles cette œuvre nous paraît
pouvoir donner lieu sur certains points, ne sau-
raient infirmer gravement sa très réelle valeur.
Qu'on nous permette donc de signaler loyale-
ment et sans détour les points critiques à notre
sens : aussi bien, l'éloge dithyrambique serait-il à
la fois déplacé vis-à-vis d'un auteur soucieux de
son propre perfectionnement, et fastidieux pour
le lecteur, qui doit attendre ici avec raison un peu
plus qu'une inutile collection d'épithètes lauda-
tives.
564
LE GUIDE MUSICAL
La partition de M. Doret (i) comporte une
introduction consacrée à la glorification de l'agri-
culture, et quatre parties ou tableaux représentant
les quatre saisons, avec leurs cortèges symboliques
de costumes locaux et de divinités païennes, que
cette juxtaposition un peu anachronique n'avait
point effarouchées.
A chacune des saisons était réservée une large
part de chants et danses populaires, tantôt choi-
sis dans le répertoire du canton de Vaud, tantôt
composés par l'auteur, avec un tact et une con-
naissance du genre local tout à fait dignes d'éloges.
Citons, parmi ces dernières : dans VHiver, la
Chanson des Bûcherons, d'un rythme à la fois brutal
et souple, et, dans Y Eté, les couplets des Glaneuses,
auxquels l'auteur, par un mépris très louable des
succès faciles, a su refuser, lors de la première
représentation, les honneurs du bis, réclamé par
l'auditoire avec une insistance méritée.
Cette partie musicale populaire est en quelque
sorte épisodique. Elle était imposée par l'objet
même de la fête et n'offrait guère de conciliation
possible avec un plan général de composition :
forcément incohérente par le désordre de ses tona-
lités, elle répondait pleinement à son but par sa
simplicité campagnarde, sa fraîcheur naïve et sa
gaîté de bon aloi.
Mais, dans l'œuvre de M. Doret, cette succes-
sion d'intermèdes est subordonnée à une con-
ception plus haute, plus une, plus cyclique, dirions-
nous volontiers, en dépit de l'abus flagrant qu'on
fit naguère de ce terme un peu rébarbatif. Et cette
conception apparaît, nous a-t-il semblé, dans
l'introduction, qui commande tout l'ouvrage.
Après l'affirmation en un choral solennel du ton
de fa majeur, qui semble devoir être le ton pré-
pondérant, cette introduction met en scène suc-
cessivement les personnages symboliques des
saisons, avec les harmonies ou les dessins qui leur
demeureront attachés : Y Hiver, avec son accord de
sol bémol majeur, enchaînant à ré naturel mineur;
le Printemps, personnifié par la prêtresse de Paies,
avec le ton de sol majeur et son motif de valse
caractéristique ; YEté, personnifié par la prêtresse
de Cérès, avec un dessin moins précis en mi bémol,
et, enfin, Y Automne, personnifié par le prêtre de
Bacchus, avec un dessin en ut.
Pourquoi faut-il que ce point de départ, excel-
lent selon nous, demeure par la suite à l'état d'in-
tention vague, à peine saisissable pour les esprits
avertis, sauf en ce qui concerne la valse du Prin-
(i) La Fête des Vignerons, chez Fœtisch frères, à Lau-
sanne.
temps et le ton de sol, qui lui demeure annexé très
nettement et très heureusement ?
Sans doute, l'auditoire occasionnel des fêtes est
indifférent à une considération de cet ordre : il lui
faut le grand effet, et ce « grand effet » est obtenu,
dans la plupart des cas, par la sûreté et la sonorité
de l'orchestration, l'excellente écriture des chœurs,
la netteté un peu prévue des lignes mélodiques.
Mais nous ne pouvons nous défendre de croire
qu'une œuvre de cette nature peut et doit viser
plus haut que la réalisation éphémère dont la
brise du lac emporte aujourd'hui les derniers
échos, et qu'elle doit, pour être définitivement clas-
sée, résister à l'analyse plus froide et parfois plus
sûre des musiciens qui n'auront point subi la
fascination de l'admirable spectacle du 4 août.
Ceux-ci penseront peut-être aussi quelque jour
que la belle conception esquissée dans l'intro-
duction synthétique de M. Doret eût gagné à se
poursuivre avec plus de fermeté et de précision.
Le choix des thèmes et des tonalités, excellent
pour le Printemps, leur paraîtra déjà moins bon
pour Y Eté, car le ton de mi bémol qui lui est
afférent constitue, par rapport au ton de sol, qu'on
vient de quitter, une diminution de clarté injus-
tifiée. L'harmonie symbolique de Y Hiver leur
semblera malheureusement à peine perceptible, et
le point culminant de la composition, qui devrait
être Y Automne, subira l'effet de l'indétermination
de son thème et de ces inutiles fluctuations de
tonalité, qui lui ôtent toute cohésion avec le plan
général.
Mais si de telles opinions sont sans doute à
prévoir pour l'avenir, on peut affirmer aujourd'hui
que telle et telle page de l'œuvre contiennent en
en elles assez de beauté forte et expressive pour
défier toute critique sérieuse : l'exquise fraîcheur
du Ballet des Guirlandes et la farouche violence de
la Bacchanale ont d'ores et déjà placé leur auteur
parmi ceux qu'il faudrait d'abord égaler, avant de
prétendre les dépasser sur leur propre domaine.
Auguste Sérieyx.
LE GUIDE MUSICAL
565
LA SEMAINE
PARIS
LE CONCOURS RUBINSTE1N s'est ter-
miné la semaine dernière, à la salle Erard. On
sait que le célèbre pianiste avait institué un con-
cours international de piano entre tous les pia-
nistes (hommes) d'une part et les compositeurs de
l'autre, âgés de 20 à 20 ans, portant deux prix de
5,ooo francs à décerner tous les cinq ans, et que,
depuis le tournoi qu'il présida lui-même en 1890,
à Saint-Pétersbourg, les concours qui portent le
nom de Rubinstein eurent lieu, en 1895, à Berlin,
et en 1900, à Vienne. C'est à Paris que devait être
jugé le concours de igo5, qui a nécessité six jours
de séances.
Il faut croire que nos jeunes virtuoses ont peur
de risquer leur réputation naissante, car, sur
26 pianistes, 3 seulement étaient Français. La
proportion était du reste la même pour les autres
nationalités, sauf les Russes, au nombre de 6. On
comptait 3 Belges, 3 Allemands, 2 Anglais, 2 Ita-
liens, 2 Autrichiens, 2 Hongrois, 1 Polonais,
2 Espagnols. Il n'y avait que 5 compositeurs :
1 Russe, 2 Hongrois, 1 Italien et 1 Français. Le
peu d'empressement excité par ce dernier con-
cours a étonné. Le programme : un morceau de
concert avec orchestre, une sonate ou un trio, etc.,
et diverses pièces de piano, mais le tout exécuté
par l'auteur même, aurait dû, semble-t-il, tenter
davantage.
Voici quelle était la composition du jury :
Président : M. Léopold Aùer, professeur au
Conservatoire de Saint-Pétersbourg, délégué du
Conseil académique de Russie, chevalier de la
Légion d'honneur. Membres : MM. de Lange,
directeur du Conservatoire d'Amsterdam; Stanislas
d'Eksner, directeur du Conservatoire de Saratow ;
de Pouchalsky, directeur du Conservatoire de
Kiew ; Presmann, directeur du Conservatoire de
Rostow-sur-Don ; Richard von Perger, directeur
du Conservatoire de Vienne ; Hollander, directeur
du Conservatoire Stem de Berlin ; Nicolaïeff,
directeur du Conservatoire de Tifiis ; Dr Otto
Neitzel, pianiste, critique musical à la Gazette de
Cologne; Arthur De Greef, professeur au Conserva-
toire de Bruxelles ; Louis Dietl, professeur au Con-
servatoire de Vienne; Camille Chevillard ; Paul
Braud; Victor Staub ; Joseph Jemain. Secrétaire :
Fr. Barrau.
Les épreuves pour les pianistes exécutants ont
duré quatre jours et demi. Elles se divisaient en
deux séries : i° l'exécution imposée de Mandante
et du finale du Concerto en sol majeur de A. Rubin-
stein, piano et orchestre; 2° l'exécution de pièces
au choix du candidat, mais d'après le programme
suivant : J.-S. Bach, waprélude et unejugue à quatre
voix. — Haydn ou Mozart, un andank ou un
adagio. — Beethoven, une sonate complète, prise
dans les op. 78, 81, 90, 101, 106, 109, 110, in, —
Chopin, une mazurka, un nocturne et une ballade.
— Schumann, un ou deux morceaux des Fanta-
siestûcke ou des Kreisleriaua. — Liszt, une étude.
C'est l'Allemagne qui a triomphé, avec le jeune
Wilhelm Backhaus, de Leipzig, né en 1884 et
professeur à Manchester. Une grande fougue, avec
un son d'une rondeur et d'une ampleur rares, un
style intense d'expression et une technique magis-
trale, lui ont valu le prix des pianistes presque à
l'unanimité, avec le programme (à son choix) sui-
vant : Bach : Prélude et Fugue {mi bémol majeur),
du Clavecin bien tempéré. Mozart : Andante de la
Sonate en fa majeur. Beethoven : Sonate en si bémol
majeur, op. 106. Chopin : Mazurka en sol mineur;
Nocturne en ré bémol; Ballade en la bémol majeur.
Schumann : Kreisleriaua nos 1 et 2. Liszt, La
Campanella.
On aurait aimé cependant à faire partager ce
prix au lauréat suivant, un Autrichien du même
âge, M. Eisner, qui a dû se contenter de la pre-
mière des mentions honorabUs, dont le nombre s'est
élevé à cinq : MM. Eisner, Swirsky (Polonais),
Helberger {Allemand), Kreuzer (Russe) et Turcat
(Français), les trois derniers ex œquo.
Le concours des compositeurs a paru moins
remarquable, si bien même que le jury n'a pas cru
devoir décerner le prix, et a simplement indiqué
deux mentions honorables, dont MM. Brugnoli
(Italien) et Bartok (Hongrois) ont été les titulaires.
Les trois autres concurrents étaient MM. Flament
(Français), Weinberg (Russe) et Sagody (Hon-
grois).
C'est M. Chevillard qui s'était chargé de l'or-
chestre auquel tous ces pianistes avaient dû avoir
recours, soit comme exécutants, soit comme com-
positeurs.
— Au cours de la distribution des prix du Con-
servatoire, M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire
d'Etat aux Beaux-Arts, a remis la rosette d'officier
de l'Instruction publique à M. Rémy, professeur
de violon; à M. Lœb, professeur de violoncelle;
à Mme Vinot, professeur de solfège.
Voici en outre, l'énumération des prix accordés,
en vertu de certaines fondations ou legs :
Legs Nicodemi, 5oo fr. : MM. Rochu et Màcon.
Prix Guérineau, 3oo fr. : M. Carbelly, Mlle Che-
nal.
Prix Georges Hainl, 100 fr. ; M. Doucef.
566
LE GUIDE MUSICAL
Prix Popelain, 1,200 fr. :'Mlies Caffaret Arnaud,
Antoinette Lamy, Veluard et Kastier.
Prix Ponsiu, 435 fr. : Mlle Ludger.
Prix Henri Herz, 200 fr. : MUe Veluard.
Prix Jules Garcin, 200 fr. : M. Saury.
Prix Girard, 3oo fr. : Mllc Vizentini.
Prix Eugénie Sourget de Santa-Colona, 25o fr. :
M. Dumas.
Prix Tholer, 200 fr. : Mlle Corlys.
Prix Monnot, 578 fr. : M. Saury.
Legs Bucheré, 700 fr. : Mlles Lapeyrette, Berge.
Prix Meunié, une harpe Erard : M. Mauger.
Prix C. Rose, 200 fr. : M. Capelle.
Prix Guilmont (ire année), 5oo fr. : M. Joseph
Boulnois
N'ont pas été décernés : le prix Doumic, qui
doit être attribué à la lauréate du concours d'har-
monie (femmes\ et le prix Louis Diémer, donné
seulement tous les trois ans. Il sera décerné en
1906 et il sera alors de 4,000 fr.
— Les chœurs ont commencé à l'Opéra, sous la
direction de M. Puget, les études du Freischiitz.
Voici la distribution du chef-d'œuvre de Weber,
telle qu'elle a été définitivement arrêtée avec les
doubles pour les principaux rôles : Max, MM.
Rousselière (Dubois); Gaspard, Delmas (Gresse);
Kilian, Gilly ; Samiel, Cancelier; Ottokar, Riddez;
Cuno, Delpouget; l'Ermite, Dinard; Agathe,
M1Ies L. Grandjean (Mérentié); Annette, Hatto
(Chenal).
— M. Xavier Leroux vient de terminer sa parti-
tion du Chemineau d'après la pièce de M. Jean
Richepin, dont on se rappelle le grand succès à
l'Odéon On sait, d'autre part, que le jeune com-
positeur avait toute terminée la Théodore qu'il fit
en collaboration avec MM. Sardou et Ferrier.
— Un monument à Benjamin Godard.
Bientôt, le square Lamartine comptera un hôte
de plus. Benjamin Godard y voisinera avec l'au-
teur de Jocelyn.
Le musicien, disparu il y a justement dix ans,
ne fut-il pas, d'ailleurs, le seul musicien qui ait
tiré un opéra des œuvres du grand poète?
L'emplacement choisi par le comité et accordé
par la ville de Paris souligne un rapprochement
assez heureux entre deux âmes si délicates.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Les fêtes jubilaires du soixante-quinzième anniver-
saire de l'indépendance de la Belgique nous
ramènent un mois plus tôt l'ouverture de la saison
théâtrale. Il convenait qu'en cette circonstance
l'art national et l'histoire de notre pays fissent les
frais de cette première soirée : Princessse d'auberge
de Jan Blockx, le duo de la Muette, la Brabançonne
et Vers l'Avenir de F. -A. Gevaert ont été accueillis
par des applaudissements dans lesquels l'enthou-
siasme artistique ne le cédait en rien à l'orgueil
patriotique.
Un heureux rajeunissement des décors et des
costumes et surtout un travail consciencieux, méti-
culeux, une étude aussi soignée que s'il se fût agi
d'une création, ont admirablement mis en valeur le
chef-d'œuvre de Blockx. Sa Princesse d'auberge res-
tera au premier rang de ses œuvres dramatiques
par son caractère théâtral et passionné, par la
fougue de son lyrisme et le rare bonheur de son
inspiration. Il a su — et la chose était difficile —
rendre sensible la matérialité souvent brutale de
certains instincts populaires sans tomber dans la
vulgarité. L'œuvre ainsi réalisée est pleine de
force, de vie, de réalité; elle est l'expression juste
et sincère de quelques-uns de ces sentiments, de
ces caractères que M. Edmond Picard appela si
justement l'âme belge.
L'interprétation fut de premier ordre. L'orches-
tre et les chœurs, conduits magistralement par
M. Sylvain Dupuis, ont eu toute la fougue, les
larges sonorités, toute la fermeté désirables.
Mme Paquot-D'Assy a trouvé dans Rita l'un de ses
meilleurs rôles, et comme chant, et comme jeu;
M. Laffitte s'y est révélé sous un jour nouveau, et
il faut admirer vraiment la rare perfection avec
laquelle il s'est assimilé les côtés nationaux du
caractère de Merlyn. Le rôle farouche et brutal de
Rabo, le personnage plus joyeux de Marcus, la
silhouette pittoresque de Bluts, ont trouvé des
interprètes excellents dans MM. D'Assy, Bourbon
et Belhomme Mmes Laffitte (Reinilde)et Bourgeois
(Katelyne) méritaient d'être applaudies comme
elles le furent et il convient d'associer à leur succès
Mlle Tourjane, MM. Danlée, Caisso, François.
Dans le cadre pittoresque du décor de la
Grand'Place de Bruxelles, entouré des chœurs et
des drapeaux, MM. Laffitte et Bourbon, en volon-
taires de i83o, ont chanté avec fougue le duo de
la Muette, premier signal de notre révolution. Puis
les chœurs ont interprété Vers V Avenir de Gevaert.
LÉ GUIDE MUSICAL
567
Enfin, M. Bourbon a chanté la Brabançonne aux
applaudissements de la salle entière.
Après la représentation, M XL Kufferath et
Guidé ont offert au foyer du théâtre, à l'occasion
des fêtes nationales, un raout à tous leurs artistes
et à tout le personnel. Le bourgmestre et les
échevins de Bruxelles, les membres du conseil
comunal, y assistaient, et la fête fut charmante,
cordiale, pleine de gaîté. En quelques mots heu-
reux, M. Maurice Kufferath, évoquant le passé du
théâtre et son avenir, porta la santé de tous les
collaborateurs de la maison et but à la prospérité
et à la gloire de l'art lyrique belge. Puis M. De Mot,
félicitant les directeurs et les artistes, parla avec
enthousiasme de notre art lyrique national et, se
tournant vers M. Jan Blockx, lui exprima la fierté
que ses concitoyens ressentent de son succès et
de ses triomphes. R. S.
— Voici le tableau de la troupe du théâtre royal
de la Monnaie :
MM. Sylvain Dupuis, premier chef d'orchestre ;
Fr. Rasse, chef d'orchestre; Ch. De Béer, régis-
seur général; Nicolay, chef du chant; M. Charlier
et G. Mertens, pianistes-accompagnateurs ; An-
thony Dubois, chef des chœurs; A. Dubosq et
J. Delescluze, décorateurs.
Chanteuses
Mmes Félia Litvinne (en représentations), Jane
Paquot-D'Assy, Francès Aida, Lucette Korsoff,
P.-L. Donalda, C. Bressler-Gianoli, Jeanne Laf-
fitte, Cécile Eyreams, Jane Maubourg, Dratz-
Barat, Jeanne Bourgeois, Fanny Carlhant, Jane
Paulin, Adrienne Tourjane, H. de Bolle, M. Udellé,
Maria Lambert, L. Dewin, M. Massait.
Ténors
-MVL Ch. Dalmorès, L. Laffitte, Léon David,
Jean Altchevsky, P. De Meyer, E. Forgeur,
Hector Dognies, V. Caisso.
Barytons
MM. Henri Albers, M. Decléry, L. Bourbon,
A. François, Armand Crabbé.
Basses
~MM. Pierre D'Assy, H. Paty, Artus, H. Bel-
homme, Ch. Danlée.
Danseurs
MM. Ambrosiny, J. Duchamps.
Danseuses
Mmes Aïda Boni, Nelly Cabrini, Gabrielle Car-
rère, A. Pelucchi, Paulette Verdoot, Dora Jamet,
I. Ronzio.
— Une œuvre nouvelle de M. Edgar Tinel est
toujours un petit événement musical. L'auteur de
Francisais et de Goddieve ne se prodigue pas, et
quoiqu'il ne jouisse pas en Belgique de la réputa-
tion à laquelle il pourrait légitimement prétendre
et que ses ouvrages ont consacrée à l'étranger, en
Allemagne notamment, son talent s'est imposé
avec assez de vigueur pour que ses compatriotes
s'accordent à le reconnaître le plus complet de
leurs compositeurs.
Le Te Deum à six voix réelles, avec orgue et
orchestre, qu'il vient d'écrire pour les fêtes jubi-
laires du soixante-quinzième anniversaire de l'in-
dépendance, et que la maîtrise de Sainte-Gudule a
exécuté le 21 juillet, est digne en tous points de
ses productions précédentes.
Ecrite tout entière dans le style diatonique, avec,
comme thèmes principaux, les motifs de la liturgie,
sans soli ni phrases détachées, la grande voix du
chœur ne faisant entendre qu'un chant syllabique
suivant scrupuleusement les textes sacrés, l'œuvre
est évidemment inspirée des nouvelles règles aux-
quelles le pape Pie X a entendu subordonner la
musique d'église et peut être considérée comme un
modèle du genre ; sans recherche aucune de l'effet
et avec une simplicité de moyens toute classique,
elle est arrivée à produire une impression considé-
rable.
Parmi les parties qui ont porté le plus, citons,:
le Sanctus, entonné par les basses sur la mélodie
liturgique et repris successivement par les autres
voix à la quinte supérieure, une psalmodie du
chœur répondant à chaque invocation; le Patrem
immenses majestatis, magnifique largo, d'une puis-
sance extraordinaire, où le thème liturgique passe
noblement agrandi, dans les tenues de voix et la
polyphonie orchestrale ; le Judex crederis, avec son
expressif chant des violons, et le Te ergo qncesnmus,
chanté à l'unisson par les soprani, d'une impres- "
sion véritablement poignante ; YJEterna fac, avec
ses majestueuses notes de pédales, ses entrées
consécutives en crescendo et decrescendo, une des
plus belles pages de l'œuvre sans conteste ; enfin,
VI11 te Domine, page superbe où les voix, l'orchestre
et l'orgue s'unissent en une gradation formidable
pour aboutir au triple forte final.
M. Marivoet, le distingué maître de chapelle de
la collégiale, a mis tous ses soins à l'exécution de
l'œuvre de M. Tinel et ne mérite que des éloges
pour la façon dont il a dirigé l'imposante masse
chorale et orchestrale qu'il avait réunie. Il a su
obtenir de ses trois cents chanteurs des effets de
pianissimo qu'on ne rencontre que dans les con-
cours d'orphéons et, d'autre part, il ne nous sou-
LE GUIDE MUSICAL
vient pas d'avoir entendu résonner aussi magnifi-
quement les voûtes de l'antique cathédrale.
L'orchestre aussi s'est distingué, encore que
certaines sonorités, celles des violons notamment,
eussent fait désirer parfois un simple accompagne-
ment d'orgue.
Et maintenant qu'on a mis au point une œuvre
de cette importance, espérons que nous la réen-
tendrons au prochain Te Deum.
— M. René Devleeschouwer, organisateur de
concerts, vient de transférer ses bureaux, 3o, rue
des Eburons, à Bruxelles.
CORRESPONDANCES
BLANKENBERGHE. — Dimanche, au
Casino, devant un auditoire aussi nombreux
que choisi, a eu lieu la première exécution d'une
œuvre inédite du compositeur brugeois M. Jules
Goetinck, Seïla. Le poème, de M VI. Guinaud et
Daxhelet, est tiré de l'histoire hébraïque. Jephté
a promis au dieu des armées de sacrifier le pre-
mier être qu'il rencontrerait quand, victorieux, il.
reviendrait de la guerre ; la fatalité veut que ce
soit sa fille unique, Seïla... Désespoir du père et
de Saïr, le fiancé, qui, fou de douleur, se donne
la mort.
M. Goetinck a suivi avec une intelligente com-
préhension le sujet.
Le prélude a fait grande impression. Le rôle de
Seïla était tenu par Mlle Berthe Seroen, qui a
chanté remarquablement son grand air : Seigneur, ta
main souveraine. Elle a interprété tout son rôle en
tragédienne et chanté en parfaite musicienne.
Nous n'en dirons pas autant de Saïr (M. Raes), qui
n'a pas été à la hauteur de son personnage très
important. En revanche, M. Dons, dans celui de
Jephté, a été excellent. Applaudissements enthou-
siastes à la fin de l'ouvrage. Z.
LA HAYE. — Le Wagner Verein néerlan-
dais donnera en novembre, au théâtre com-
munal d'Amsterdam, sous la direction de M . Henri
Viotta, deux représentations de Tristan et Isolde, et
au mois de mai 1906, deux représentations de
Parsifal, avec Mme Félia Litvinne dans le rôie de
Kundry.
L'Opéra italien, sous la direction de M. de -
Hondt, nous reviendra aussi, mais aura son siège
principal à Amsterdam. Il pai'aît que le replâtrage
de l'Opéra néerlandais avec les invalides réunis
des dernières troupes est également un fait accom-
pli. M. Vander Linden en sera le directeur; il
établira son siège principal à Rotterdam.
Au Kursaal de Scheveningue, la dernière quin-
zaine a été fort intéressante. Comme solistes, on
nous a fait entendre une pianiste de Munich, de
grand talent, Mme Langenhau-Hirzel, qui a joué
avec un fort beau style le concerto en si bémol de
Brahms et la polonaise en mi bémol majeur de
Chopin. Puis nous avons applaudi M1Ie Rosa
Ettinger. élève de Mme Mathilde Marchési, qui
avait déjà fait sensation à La Haye il y a une
huitaine d'années, au concert de Diligentia, et qui
a provoqué de nouveau un grand enthousiasme
après avoir chanté un air du Re Pastore de Mozart
et des Lieder de Schubert, Schumann, Humper-
dinck, Delibes et Lôwe. Ses vocalises, ses trilles
et sa diction méritent les plus sincères éloges.
Comme nouveautés orchestrales, nous avons eu
deux ouvertures et une sinfonietta de médiocre
importance, une symphonie russe fort originale,
intelligemment orchestrée, Sommerhlànge ans Sud
Russland, du compositeur danois Victor Bendix, et
un arrangement orchestral de l'adorable sixième
sonate pour violon de J.-S. Bach, finement instru-
menté par Bachrich et exécuté dans la perfection
par l'excellent Orchestre philharmonique, sous la
direction de M. August Scharrer. Ed. de H.
YERVIERS. — Dimanche i3 août se don-
nait au théâtre la dernière séance du con-
cours international de chant d'ensemble organisé
par les sociétés royales l'Emulation et l'Orphéon
de Verviers. Cette séance était consacrée an con-
cours en division d'honneur.
Comme chœurs imposés, les concurrents chan-
taient Charité de Th. Radoux, la troisième partie
de l'impressionnant triptyque du distingué direc-
teur du Conservatoire de Liège, et l'Or (Aurum an
libertatem) , chœur à six voix d'hommes de M. Louis
Kefer, directeur de l'Ecole de musique de Ver-
viers, poème de Félix Bernard, traduction latine
de M. J. Feller. Qui dit chœur imposé dit œuvre
hérissée de difficultés, difficultés de mesure, d'in-
tonation, de registre. Ce ne sont que pièges,
embûches, mouvements contrariés. En général,
on chante une fois le chœur imposé, une seule fois,
le jour du concours, puis on en fait relier superbe-
LE GUIDE MUSICAL
Bée
ment la partition, et, en belles lettres d'or, on y
inscrit : « Souvenir du concours de.... »,et l'œuvre
est classée dans les archives de la société, d'où
elle ne sortira plus. Le grand mérite de M. Louis
Kefer, c'est d'avoir fait, en mênle temps qu'une
œuvre de concours, une œuvre abordable, réelle-
ment artistique, d'une large et vigoureuse inspira-
tion et qui fera, nous en sommes convaincus, partie
du répertoire des sociétés chorales éprises du
beau et du grand.
Dans son poème, très heureusement traduit en
latin par M. Jules Feller, professeur à l'athénée
de Verviers, Félix Bernard exalte l'amour de la
liberté, le seul bien réellement enviable, auprès
duquel l'or, devant lequel rampe l'humanité, n'est
que le vile metallum, source de toutes les défail-
lances, de toutes les hontes, de tous les asservis-
sements.
M. Kefer a trouvé, pour rendre les sentiments
de glorification de l'or par l'homme assoiffé des
ivresses qu'il procure, des phrases de fougueux
enthousiasme, où la richesse des thèmes et leur
distribution aux différentes voix produisent un bel
effet de solidité et de cohésion ; la première partie
se termine dans une affirmation d'une magistrale
grandeur : Tu soins es vere Rex.
Puis c'est Validante cantàbile qui chante les falla-
cieuses promesses de la fortune, ses jouissances, sa
puissance consolatrice et endormante des douleurs
et des découragements. Il y a dans cette partie
des phrases de grande douceur et d'émotion
intense, rehaussées d'harmonies séduisantes. A
cette partie succède un allegro moderato en 6/8 d'une
grâce charmante, qui se termine en pin lento 2/4
pour conduire au final. Celui-ci, à part un court
épisode agité, fiévreux, est conçu dans un senti-
ment largement inspiré. L'auteur chante la Liberté
à pleine voix, à plein cœur, et il règne dans ces
pages un souffle puissant de robuste foi, d'ardent
enthousiasme, qui émotionne et transporte.
M. Louis Kefer a fait là une belle et grande
œuvre. Le public l'a compris et lui a fait une
chaude ovation.
Voici d'ailleurs le résultat du concours : Pre-
mier prix. Royale des chœurs Amitié, de Pâturages
(Belgique); deuxième prix, Sànger Vereinigung,
de Crefeld (Allemagne) ; troisième prix, Orphea,
Aix-la-Chapelle (Allemagne); quatrième prix,
Sociedad Coral, de Bilbao (Espagne). E. H.
YIENNE. — Le premier coup de sonnette!
Les premiers signes de vie — ou de grâce —
des directeurs et des artistes qui, sous peu.
feront notre bonheur ou nos peines esthétiques !
Le i3 de ce mois, c'est l'Opéra impérial qui
rouvre avec Lohengrin. Lohengrin, c'est le symbole
classique de la confiance, de la croyance, et nous
ne demanderions pas mieux que de devoir consi-
dérer dans le choix de ce drame de début une
« pensée intime », une noble intention à belles et
constantes conséquences de la direction de
l'Opéra. De son côté, une autorité artistique exige
aussi de la part du public toute confiance, et il faut
espérer que l'échange de ce noble sentiment, qui
ferait plus de la moitié du bonheur universel, ne
laissera rien à désirer.
Tandis que M. le directeur de lOpéra ne
laisse rien entrevoir de ses intentions, M. Simons,
directeur de l'Opéra populaire publie un pro-
gramme assez détaillé de son activité prochaine.
Il veut « monter » une quantité d'œuvres clas-
siques et nouvelles. En premier lieu, ce sera
La Cabrera de G. Dupont, tant promise et attendue,
et, pour des raisons que nous espérons connaître
bientôt, refusée par le grand Opéra. Ensuite :
Tatiana de Lehar, Les Deux Veuves de Smetana,
Dusele et Babeli de Kaskel, La Cloche engloutie de
Zollner et Le Pater de Këhr. Et puis : Bruder
Lustig, l'œuvre nouvelle de Siegfried Wagner,
dont la première aura lieu au mois d'octobre à
Hambourg; Le Mariage forcé de Humperdinck
(dont le sujet est tiré d'un roman de jeunesse de
Dumas père). Plus tard, après Pâques, .ce sera le
tour de M. Simons avec la musique de Humper-
dinck, Le Miracle de Cologne.
Parmi les artistes nouvellement engagés, il. y
aura : Mussil, Brandt, Tischner, Fiedler, Lord-
mann, Melms et Kracher, tous des aimés de notre
public. La direction de l'orchestre appartient à
MM. Zemlinsky et Baldreich.
Toute cette besogne colossale sera entremêlée
d'une saison italienne avec Mme Emma Bellincioni
et M. Alessandro Bonci, dans la Tosca, Rigoletto,
Don Pasquale et Gli Puritani.
On nous dit que le mois prochain, nous aurons
une première à sensation à l'Opéra : ce sera le
début de M. Victor Mandincea, un lieutenant du
67e de ligne, que le directeur, M. Mahler, a eu
l'occasion d'entendre. On dit mieux encore, à
savoir que M. Mahler a proposé, dès la première
audition, à M. Mandincea un engagement. M. Man-
dincea est d'origine roumaine. Ce sera le troisième
Roumain qui essaie de s'acquérir le droit de
prêtrise au « temple du Ring ». Nous lui souhaitons
plus de bonheur, tout le bonheur!
JOHANNÈS SCARLATESCO.
Syo
LE GUIDÉ MUSICAL
YITTEL. — Si la comédie ne chôme pas
au théâtre du Casino, toujours abondam-
ment pourvu de tournées : Brasseur, Galipaux,
Condé, Baret, etc., en revanche, les soirées de
musique sont bien rares. Celle que vient de nous
donner le Quatuor vocal bruxellois, avec le con-
couis du violoniste Georges Sadler et du chanson-
nier Marcel Lefèvre, a été d'autant mieux goûtée.
Le Quatuor n'était pas inconnu ici ; son répertoire
de vieilles chansons et de madrigaux du xyie siècle
a obtenu son habituel succès et les chanteurs,
toujours impeccables, ont été ovationnés comme
ils le méritaient. M. Sadler a joué avec beaucoup
de style une Sarabande de Beethoven et fait montre
d'une belle virtuosité dans les Variations de Tartini.
Il a, lui aussi, été très applaudi. Quant à M. Marcel
Lefèvre, qui clôturait la soirée par une causerie,
avec exemples chantés, sur l'Histoire de la Chan-
son française du moyen âge au « Chat noir », il s'est
montré non seulement conteur exquis, mais véri-
table artiste par la façon dont il a interprété la
plupart de ses exemples, et notamment le Retour du
marin, Nanette, etc. Son succès a été complet.
NOUVELLES
-•v A Munich, les fêtes Wagner et Mozart se
poursuivent dans l'ordre suivant :
21 août, L'Or du Rhin; 22 août, la Walkyrie;
24 août, Siegfried; 25 août, le Crépuscule des Dieux;
28 août, Tristan et Iseuït; 3o août, le Vaisseau fan-
tôme ; 3i août, les Maîtres Chanteurs de Nuremberg;
2 septembre, Tristan et Iseuït; S septembre, L'Or du
Rhin; 6 septembre, la Walkyrie; 8 septembre,
Siegfried; 9 septembre, le Crépuscule des Dieux;
11 septembre, les Noces de Figaro; i3 septembre,
Cosi fan tutie; i5 septembre, Don Juan; 17 sep-
tembre, Cosi fan tutte; 19 septembre, les Noces de
Figaro; 21 septembre, Don Juan.
Pour prospectus détaillés et billets d'entrée,
s'adresser à l'agence générale Schenker et Ce,
bureau de voyages, 16, Promenadeplatz, à Munich.
— M. André Gailhard, fils du directeur de l'Opéra
de Paris, vient de faire recevoir au Grand-Théâtre
de Toulouse Amaryllis, conte mythologique en un
acte. Le poème de cet ouvrage, qui sera représenté
vers la fin de novembre, est de MM. Eugène et
Edouard Adenis.
— Une plaque commémorative destinée à rap-
peler le séjour que fit Chopin, en i835, à Carlsbad,
va être fixée sur la maison d'une rue de cette ville
qui portait autrefois l'enseigne : A la Rose d'Or. Le
musée municipal- de Carlsbad conserve le recueil
des listes des baigneurs qui affluent chaque année
dans la petite localité tchèque. On lit, sur une
page du registre datée du 19 août i835, la mention
suivante :
16 août. 225o. M. Nicolas Chopin, professeur,
avec son épouse, venus de
Varsovie.
— 225 1. M. Frédéric Chopin, professeur,
venu de Paris. Ils habitent à
la Rose d'Or, dans la rue
Sprudel.
La station balnéaire de Reinerz, en Silésie, où
Chopin donna un concert en 1826, possède, de-
puis 1897, un monument eh son honneur. A
Marienbad, sur la maison qui porte l'enseigne Au
Cygne blanc, il existe une plaque rappelant le nom
du célèbre pianiste-compositeur. A Carlsbad, on
a érigé, en 1870, un monument au grand poète
Adam Mickiewicz, compatriote de Chopin.
— On vient de vendre à Berlin un certain nom-
bre d'autographes de musiciens. Voici quelques
indications relatives à ceux qui ont atteint les prix
les plus élevés. Un superbe manuscrit de Schubert,
32 pages in-folio, quatuor pour cordes en ré
majeur, 1,100 francs; les pièces suivantes de
Schumann : sonate en fa mineur, op. 14, 34 pages,
75o francs; prélude en si bémol, 4 pages, 195
francs ; manuscrit de la mélodie « Tends-moi la
main, ô nuage », op. 104, n° 5, i52 fr. 5o c. ;
ouverture de Manfred, en réduction pour piano,
i3 pages in-folio, 3i8 fr. 75 c; ballade avec décla-
mation, op. 122, n° 1, 181 fr. 25 c. ; de Mozart, on
a vendu : une cadence destinée à une symphonie
concertante pour violon et alto, 27 mesures,
362 fr. 5o c. ; une cadence d'un concerto en ré,
quatre lignes de musique, 168 fr. 75 c. ; une can-
tate d'Haydn, 35 pages in-folio, n'a pu atteindre
que 93 fr. 75 c, parce que le manuscrit ne ren-
fermait, écrit de la propre main du maître, que la
signature et quelques corrections. Une œuvre de
Wagner, pour chœur à quatre voix, composée en
1S43 à l'occasion de l'inauguration du monument
du roi Frédéric- Auguste, a été payée 687 fr. 5o c;
un fragment de Lohengrin, 53 1 fr. 25 c. Une cantate
de Weber, Combat et Victoire, est montée à 101 fr.
25 c. Une ligne de Chopin, les autographes de ce
maître sont rares, a trouvé acheteur pour 70 francs.
Une lettre de Liszt a été adjugée au prix 81 fr. 25 c.
LE GUIDE MUSICAL
Une collection complète de morceaux jusqu'ici
inconnus de Federico Fiorillo, 14 sonates, et
7 quintettes de Gaetano Brunetti ont été acquis
respectivement pour 337 fr- 60 c, 275 francs et
543 fr. 75 c; un trio de Boccherirji a obtenu
218 fr. 75 c. D'autres autographes peu importants,
de Berlioz, Mendelssohn, Ole Bul, Rode, Lortzing,
Relter, etc., ont augmenté encore, mais faible-
ment, le total de la vente.
— Il a été décidé le 21 juillet dernier qu'un
Festival-Schumann en trois journées aurait lieu
au mois de mai 1906, à Bonn. On sait que Schu-
mann est mort à Endenich, dans une maison de
santé toute voisine de Bonn et que c'est dans le
cimetière de cette ville qu'il a été inhumé. Le
programme du festival a été arrêté dans ses gran-
des lignes. Le premier jour, on exécutera une
symphonie et le Faust; le second jour, une sym-
phonie, une ouverture, le concerto pour piano, un
chœur, etc., enfin le troisième jour, des oeuvres
non orchestrales, mélodies ou autres. Les fêtes
seraient placées, en ce qui concerne la musique,
sous la direction de M. Joseph Joachim et de
M. Grater. On sait que le célèbre violoniste a déjà
dirigé en 1873 un Festival-Schumann:
— Nous avons déjà eu plus d'une occasion de
louer le talent et de signaler les succès d'une très
artiste et pénétrante chanteuse de concert,
Mlle Hélène Luquiens, fille d'un pasteur suisse et,
après une forte éducation littéraire, élève en der-
nier lieu du remarquable maître Lucien Fugère.
Des journaux qui nous tombent sous la main
nous redisent à l'envi l'impression profonde qu'elle
vient de faire en Angleterre, à Londres notam-
ment, où d'ailleurs elle s'est fait entendre non
seulement en français et en allemand, mais en
anglais, avec une égale aisance. La conduite
admirable de sa voix, l'ampleur de son style,
surtout dans la musique large et sévère, l'intelli-
gence et le charme de son expression, comme de
sa physionomie même, sont soulignés et applaudis
cordialement. Plus récemment, au mois dernier,
on l'a entendue aussi près Havre, « sous les om-
brages de la forêt de Montgeon », où un Mystère de
saint Nicolas de MM. de La Villehervé et Woollett
a été joué en plein air et où Mlle Luqiiiens chanta
« les bénédictions célestes ». Espérons que nous
aurons un peu plus souvent, cette année, l'occasion
d'entendre à notre tour, à Paris, la remarquable
artiste.
BIBLIOGRAPHIE
Louis Laloy, docteur ès-lettres. Aristoxène
de Tarente et la musique de l'antiquité. — Paris,
Société française d'imprimerie et de librairie, 1904,
in-8° de 4 ff. n. ch. et 371 plus xlii pages.
Si les hellénistes étaient seuls à pouvoir aborder
la lecture de ce livre, nous ne serions point assez
osé pour entreprendre d'en signaler l'apparition
à des musiciens pour la plupart eux-mêmes étran-
gers aux études grecques. Mais une trop rare
fortune nous mettant ici en présence d'un écrivain
qui sait être à la fois un réel artiste et un véritable
savant, sans pour cela devenir jamais ni super-
ficiel, ni pédant, il nous sera permis, nous l'espé-
rons, de lui en témoigner au moins une gratitude
personnelle. Bien que les écrits consacrés aux
différents aspects de la musique antique soient
aujourd'hui assez nombreux pour former à eux
seuls une bibliothèque considérable, nous sommes,
à vrai, dire encore presque ignorants de cet art ; des
traités souvent incomplets et en tous cas dépourvus
d'exemples pratiques; des récits fabuleux; des
représentations figurées et par conséquent muettes
de concerts et de danses; quelques lambeaux de
mélodies, que l'on n'est pas toujours d'accord pour
traduire ou pour achever : tels sont les éléments
sur lesquels nous prétendons en général asseoir
un jugement sur la musique des Grecs. On ne
saurait s'étonner que matière si obscure soit par
excellence appropriée aux polémiques, mais
qu'aussi la curiosité des érudits s'y trouve singu-
lièrement aiguisée. Une des particularités les
plus louables du livre de M. Laloy, c'est le des-
sein délibérément arrêté et strictement observé
de ne s'engager dans aucune dispute savante et,
négligeant toutes les exégèses modernes, de remon-
ter droit aux sources et de ne s'occuper que d'elles.
A cette méthode inflexible, la sûreté et l'acuité du
regard que l'auteur concentrait sur les textes ne
pouvaient que gagner, ainsi que la clarté d'une
exposition dégagée de toutes les surcharges de la
polémique.
Ce qui subsiste des écrits musicaux d' Aristoxène
forme un document essentiel pour la connaissance
de la philosophie de l'art dans l'antiquité. Le but
que M. Laloy s'est proposé, et qu'il a pleinement
atteint, a été de nous en faire comprendre la
nature, l'esprit et la portée, par une analyse serrée,
que précèdent et accompagnent de constants
rapprochements avec les doctrines antérieures ou
contemporaines des autres écoles scientifiques de
572
LE GUIDE MUSICAL
la Grèce. Un chapitre préliminaire retrace tout
ce qu'il est possible d'apprendre de la vie d'Aris-
toxène. Un lexique, donné en appendice, relève
les mots techniques de son langage, avec leur
traduction et la mention de leur emploi par les
autres auteurs grecs. Ce précieux lexique n'est
pas un des dons les moins utiles qu'ait faits
M. Laloy aux étudiants musiciens, et il serait à
souhaiter qu'en imitant ce modèle, quelque érudit
médiéviste nous dotât un jour d'un outil de tra-
vail analogue, pour la langue des meilleurs théo-
riciens musicaux du moyen âge.
Le livre de M. Laloy a été composé pour l'ob-
tention du diplôme de docteur ès-lettres. La bril-
lante soutenance de celte thèse en Sorbonne a
valu à son auteur le succès le plus flatteur, qu'il
ne pourra manquer de retrouver en librairie et
dont tous les amis de la science musicale seront
heureux de le féliciter. M. Brenet.
pianos et Ifoarpes
trarù
Bruxelles : 6, rue Xambermout
paris : rue bu flftail, 13
NECROLOGIE
G.-V. SOU LA CROIX
Un de nos meilleurs comédiens lyriques, le
baryton Soulacroix, vient de mourir en quelques
jours, prématurément, dans son pays natal, à
Fumai (Lot-et-Garonne), où il avait vu le jour le
ii décembre i853. Après de premières études au
Conservatoire de Toulouse, il avait passé quelques
années à celui de Paris et en était sorti, en 1878,
avec deux prix de chant et d'opéra-comique, pour
une assez longue carrière à la Monnaie, de Bru-
xelles. Ce n'est qu'en i885 qu'il débuta à l'Opéra-
Comique de Paris, avec un succès qu'on n'a pas
oublié. Sa verve très sûre et très en dehors, la
souplesse tout à fait rare de sa voix mordante, qui
ténorisait à l'occasion sans perdre de son éclat,
son adresse amusante de jeu et sa bonne diction
dans le parlé, faisaient de lui un des plus précieux
soutiens de notre seconde scène lyrique. A Bru-
xelles, entre 1878 et 1884, il avait surtoiit créé le
Timbre d'argent, la Flûte enchantée, Jean de Nivelles,
Manon, Joli Gilles, le Panache blanc, le Trésor,
le Capitaine Raymond, enfin Beckmesser des
Maîtres Chanteurs, l'un de ses triomphes. A Paris,
il fut tout à fait remarquable dans Figaro du
Barbier de Séville, les Dragons de Villars, le Nouveau
Seigneur de village, l'Epreuve villageoise, et créa
d'une façon qui n'a pas été dépassée le rôle
principal de La Basoche. Il resta dix ans sur
cette scène, puis promena, un peu trop sans
compter, la richesse de sa voix sur diverses
scènes secondaires, à la Gaîté, par exemple,
où il chanta Rip indéfiniment et avec un succès
considérable. Plus intéressant fut son passage au
Théâtre-Lyrique de 1899, où nous l'avons applaudi
surtout dans Martha, La Bohème de Leoncavallo, le
Barbier de Séville encore, et même dans les rôles
tragiques de Lucie de Lammermoor ( Ashton) et d'Iphi-
génie en Tauride (Oreste). Il chantait tout, d'ailleurs,
il se prodiguait, et sa voix avait tout de même fini
par se fatiguer considérablement à cet exercice.
Ses dernières apparitions, soit à la Gaîté [Ordre de
l'Empereur), soit à l'Opéra-Comique (dans le rôle du
Prieur du Jongleur de Notre-Dame, qu'il avait créé
à Monte-Carlo), ne laissaient plus guère espérer
qu'il retrouvât jamais l'éclat de jadis. On l'a vu
cependant encore avec plaisir, en ces derniers
temps, à Bruxelles notamment, dans certains de
ses rôles de prédilection, comme le Barbier de
Séville, qu'il possédait vraiment à fond.
H. DE CURZON.
— Le 10 juillet est mort à Nancy, à l'âge de
quatre-vingt-six ans, M. Joseph Merklin, ancien
chef de la grande fabrique d'orgues de ce nom. Né
le 17 janvier 1819 à Oberhausen, dans le grand-
duché de Bade, il avait été élève de son père,
facteur d'orgues à Fiibourg-en-Brisgau. En 1843,
il s'établissait à Bruxelles, quelques années après
agrandissait sa maison en y associant son beau-
frère Schùtze, et en i855 achetait à Paris la
fabrique de Ducroquet (ancienne maison Daublaine
et Callinet),se trouvant ainsi posséder deux grands
établissements en France et en Belgique.
— A Rome vient de mourir un violoncelliste
fort distingué, Ferdinando Forino, qui était né à
Naples. Il fit partie d'un grand orchestre romain,
fut violoncelliste solo au Théâtre Apollo et devint
professeur à l'Académie de Sainte-Cécile, où il
forma de nombreux et excellents élèves.
LE GUIDÉ MUSICAL 573
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— Traité de Contrepoint simple, double, triple et quadruple. Traduit par M. Jodin . . .5 —
— La Basse continue. Une instruction pour l'exécution des parties chiffrées dans les chefs-
d'œuvre des anciens maîtres ............ 5 —
— Les Formes musicales dans les chefs-d'œuvre de l'art . . . . . . . .6 —
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par G. Sandre ............... 5 —
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annoté par G. Sandre . . . . . . . . . . . . . . 1 25
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3 et 10 Septembre igoS.
LES LIEDER ET AIRS DÉTACHÉS
DE
BEETHOVEN
Quel est le musicien qui jamais
ne s'est plu, un jour ou l'autre,
à écrire un Lied, une mélodie,
un air détaché, avec accom-
"'pagnement de piano ou d'or-
chestre? Wagner lui-même n'a pas dédaigné
de toucher à ce genre, qui n'est peut-être
si communément admis comme secondaire
que pour être trop accessible à quiconque
sait placer des notes sur des portées, et
pour pouvoir trop facilement se passer, en
apparence, de toute inspiration.
Mais combien, d'autre part, en est-il, je
dis parmi les plus grands, qui aient com-
posé ce Lied, cette mélodie, cet air, dans
un autre but que la fantaisie d'un instant,
la curiosité du travail même... ou le désir
d'un interprète? Combien — Schubert et
Schumann mis à part — qui aient été
poussés à ce mode d'expression musicale
par une force irrésistible et spontanée,
comme à la seule façon de rendre la con-
ception de leur génie original? Combien se
sont senti soulever par cette « fureur
d'inspiration » que M. Romain Rolland
nous peignait récemment chez un Hugo
Wolf?
Soyons juste, toutefois; si le Lied, ou la
mélodie, n'est le plus souvent qu'un délas-
sement de compositeur, un exercice, voire
une commande, plus d'un a su en faire
œuvre d'art, et comme ces figurines
d'ivoire, ces statuettes d'onyx et d'or dont
la précieuse perfection n'a rien à envier à
la grande sculpture, plus d'un a mis au
jour les plus rares chefs-d'œuvre. De tout
temps, les maîtres de la musique ont
compris les ressources que ces petites
scènes en raccourci ou ces effusions d'im-
pressions iutimes pouvaient offrir à la
pénétration réciproque, et à l'indépendance
en même temps, des idées mélodiques, soit
à découvert, soit baignées dans l'harmonie
générale, soit dans le chant, soit dans son
« accompagnement ». Et plus d'une des
œuvres qu'ils écrivirent ainsi au gré de leur
fantaisie porte l'empreinte admirable de
leur génie.
Comme Haydn, comme Mozart, comme
plus tard Weber et Mendelssohn, et plus
abondamment même, Beethoven a écrit
des Lieder et des airs détachés. En cette
année, où il a été si magnifiquement célébré
de tous côtés par de solennelles exécutions
de quelques-unes de ses œuvres les plus
incomparables, j'ai pensé qu'il ne serait
5 ;6
LE GUIDE MUSICAL
pas sans intérêt d'examiner un peu ce petit
coin de son héritage musical, ses Lieder
und Gesànge, dont plusieurs sont vraiment
dignes des plus hautes manifestations de sa
pensée souveraine, de le signaler tout au
moins à la curiosité sympathique des
chercheurs, car un examen sérieux dépas-
serait les limites de notre revue, et pourtant
il semble bien qu'une étude préalable soit
indispensable ici.
On est fort peu renseigné, en effet, sur ces
pages lyriques du maître de la symphonie,
et ce défaut d'informations a sans doute
influé pour refroidir l'attention qu'on aurait
pu leur prêter. Même dans les grandes
biographies allemandes, on chercherait
vainement une étude d'ensemble, et ce n'est
que sur certains points spéciaux (i),ou cer-
taines pages particulièrement célèbres,
que l'esprit des historiens et des critiques
semble avoir été vraiment captivé.
Quant au public des amateurs, hors
d'Allemagne, on sait assez qu'il n'a jamais
connu qu'un petit nombre de ces Lieder.
Beethoven n'a jamais été lancé en France
comme Schubert. Jusqu'à cette année, un
choix très restreint de morceaux séparés,
traduits par Béranger au temps où il s'oc-
cupait des Lieder de Schubert, d'autres plus
tard, présentés par Victor Wilder, mais
surtout les quinze publiés par Jules Bar-
bier (avec une sélection de Haydn et de
Mozart), ont seuls mis le public français à
même de s'en faire quelques idées. Et si
l'excellente version de M. Jacques d'Offoël,
tout récemment parue, contient en somme
l'essentiel, c'est encore un choix, qui ne
dépasse guère une trentaine de numéros.
C'est qu'il faut compter également avec
l'impression d'inégalité, de disparate que
donne le premier abord de ce recueil. A le
feuilleter au hasard, on ne tombe pas tou-
(i) Comme l'interprétation de Gœthe par Beethoven,
particulièrement attrayante, et souvent interrogée, mais
surtout par M. Adolphe Jullien, avec beaucoup de
goût (Gœthe et la Musique) . Voir cependant, sur les Lieder
en général, outre les grandes biographies de Marx et
Thayer, une série de quatre articles anonymes parus
dans les quatre premiers numéros de l'année i865 de
YAllgemeine Musikalische Zeitung, de Leipzig.
jours très bien, et il est certain que l'en-
semble offre un mélange qui surprend,
surtout chez un Beethoven, de tous les
genres et de tous les styles, depuis la
simple chanson à boire, reprise en chœur,
jusqu'au grand air de concert avec or-
chestre, depuis la page d'album et de
journal de modes, jusqu'au Lied propre-
ment dit, d'une grâce et d'une émotion
toutes pénétrantes, depuis la plaisanterie
musicale ironiquement développée, jusqu'à
la scène tragique évoquée en deux pages
et d'un grandiose en quelque sorte sculp-
tural...
Mais quoi? Beethoven reste toujours
Beethoven, et il est bien rare que, même
dans les morceaux de commande ou les
esquisses les plus sommaires, il se montre
réellement au-dessous de lui-même. Un
choix s'impose, à coup sûr, mais au moins
le faudrait-il faire après une revue com-
plète et aussi rigoureusement chronolo-
gique que possible de la suite de ces
œuvres de toutes sortes. Or, cette suite
manque à tous les recueils, dans lesquels
règne au contraire le désordre le plus
absolu et auxquels font d'ailleurs défaut un
certain nombre de pages, qui n'ont paru
que dans le Supplément de la monumentale
édition Breitkopf et Hasrtel (i).
Même en mettant à part les chansons
populaires anglaises, une série de cent
trente-deux morceaux, dont Beethoven n'a
pas créé le thème, mais qu'il a enveloppés
d'une symphonie souvent précieuse de
piano, violon et violoncelle, il reste plus de
quatre-vingts Lieder, chansons ou airs, au
motif mélodique tantôt à découvert, avec
le simple appui du piano, tantôt faisant
(i) Voici comment sont répartis, dans cette édition,
ce qu'on peut appeler les Lieder und Gesànge de Bee-
thoven : Série XXII : Gesànge mit Orchester (numéros à
retenir ici); série XXIII : Lieder und Gesànge mit Piano-
forte (65 numéros); série XXIV : Lieder mit Piano-forte,
Violin und Violoncelle (i32 numéros); série XXV : Supplé-
ment a : Gesàng Musik (16 numéros). Ce dernier volume
a paru en 1887. Une lettre des éditeurs de cette collection
modèle m'apprend qu'un nouveau Supplément est en
préparation pour paraître à une date indéterminée,
mais ne me dit pas s'il doit contenir des œuvres
l3rriques.
LE GUIDE MUSICAL
577
corps avec une harmonie féconde, pianis-
tique ou orchestrale, où la pleine liberté
de l'inspiration beethovénienne se donne
vraiment carrière. Une édition définitive
et critique devrait évidemment s'attacher à
les rétablir dans leur ordre : le classement
des œuvres mêmes d'un auteur n'est-il pas
le plus lucide commentaire, le secret même
de sa vie?
C'est surtout cette revue, cette mise au
point que je voudrais indiquer, en en
marquant la place et la succession parmi
l'œuvre générale de Beethoven. Telle est,
selon moi, la base nécessaire de tout travail
de ce genre, et le seul résultat auquel je
prétende ici.
*'* *
La page lyrique la plus ancienne de
Beethoven date de ses toutes premières
compositions, car elle fut publiée (dès 1783,
dans un « Album pour amateurs de piano »)
avec l'indication que l'auteur n'avait que
onze ans. Ce Portrait de jeune fille est à
peine un Lied, car la partie de chant n'est
pas détachée de celle de piano; la place
des paroles indique bien, toutefois, la
phrase mélodique, d'ailleurs très courte.
Un autre Lied parut dans l'Album de
l'année suivante, avec la même disposition
typographique : An einen Sdugling (à un
nouveau-né, un nourrisson). Ecrit sur une
poésie de Wirths, en quatre couplets, ce
morceau est plus développé, surtout comme
piano, et d'un joli tour. Ces deux pages
sont contemporaines des trois premières
sonates de Beethoven et de son rondo en
la.
Elles sont relativement connues, ayant
été conservées dans les recueils. Ce qui
l'est moins, c'est le Trinklied de 1787, car
on ne le trouve que dans le Supplément.
cette chanson à boire « pour le jour où l'on
se sépare », avec reprises de chœur, a
beaucoup d'entrain, de gaîté, de jeunesse,
et un accompagnement amusant en lui-
même. Mais bien plus importante, la même
année, est une Elégie sur la mort d'un
caniche (encore dans le Supplément). Voilà
le vrai début de Beethoven dans cette
série d'airs détachés! J'ignore à la suite de
quelles circonstances il a été amené à com-
poser celui-ci.... Fidèle au poème qui lui
était remis, et qu'il a disposé en trois
couplets semblables, suivis d'un finale de
même développement, mais plus large de
style et dans un autre ton, il a écrit cette
élégie avec la gravité et l'élévation qu'eût
pu lui inspirer la mort d'une jeune fille. A
part l'impression de gêne que donne ce
contraste, l'œuvre, très mélodieuse, est
d'un charme extrême.
Du reste, on est toujours frappé, chez
Beethoven, du scrupule avec lequel il
traitait en musique les poèmes qu'on lui
offrait ou qu'il choisissait. Je ne parle pas
de ceux-ci, il s'est rarement trompé; mais
pour les autres, c'est toujours avec le plus
grand sérieux qu'on croit le voir se mettre
à l'œuvre, et si le résultat est inégal, c'est
que le sujet convenait ou ne convenait pas
à sa nature.... Auquel cas l'inspiration
n'avait aucune raison de naître.
Je pense surtout ici à certaines com-
positions de l'année 1790, qui semblent
singulières sous une telle plume et révéle-
raient même un côté particulier du carac-
tère de Beethoven, si on les croyait spon-
tanées et s'il ne fallait pas les attribuer sans
doute aux sollicitations que lui adressaient
les sociétés de jeunes gens dont il faisait
partie. Aussi bien, à l'époque où nous
sommes, à ces années de Bonn qui ne sont
pas encore bien fécondes, on le voit cher-
chant sa voie un peu de tous les côtés.
Après ses premières sonates, il avait écrit
des quatuors, puis un trio pour piano,
violon et violoncelle (1787). En 1790, outre
une courte page intitulée L'Homme libre
(qu'à peine on peut compter ici, car c'est
plutôt un chœur à l'unisson, avec solo, sur
une poésie de Pfeffel en sept couplets
destinée à vanter la liberté humaine), nous
rencontrons deux longs airs de basse, qui,
malgré leur développement démesuré et,
pour la première fois, l'orchestre très
nourri qui les accompagne, ne sont que de
pures plaisanteries, et pas bien spirituelles.
L'un est intitulé l'Epreuve ou V Essai du
578
LE GUIDE MUSICAL
baiser ; il met en scène un lourdaud à qui
sa mère a déclaré que le baiser est un
péché, et qui réclame, et qui proteste, et
qui ressasse indéfiniment ses protestations.
Avec l'expression que devait y mettre le
chanteur, avec les ingéniosités staccato et
allegretto de l'orchestre, on croit entendre
d'ici le rire large et sonore du public
spécial à qui l'œuvre était destinée. Même
impression pour l'autre air, S'arranger avec
filles..., un allegro vivace plein de sonorités
et d'assonances plaisantes, de variétés de
forte et de piano qui font image, mais paré
de plus de liberté et de grâce au moins, et
d'ailleurs sans ces outrageuses répétitions
du premier air. La poésie est de Gœthe,
c'est une de ces « chansons de société »
(de société aimant à rire), comme le poète
en a écrit tant, alors qu'il n'était rien moins
que l'Olympien qu'on nous peint toujours.
Il faut sans doute rapprocher de ce genre
d'amusettes certain Voyage d'Urian autour
dît monde, de Claudius, avec ses quatorze
couplets à refrain en chœur. On en ignore
la date, mais il précède probablement la
plupart des morceaux que je viens d'énu-
mérer. C'est le premier numéro d'un cahier
de « huit Lieder et chansons » publié
en i8o5 (comme op. 52), mais dont toutes
les pièces sont bien antérieures et à peu
près de l'époque où nous sommes arrivés
ici. Ce sont en général de simples bluettes,
parfois très gracieuses, comme les deux
petites chansons à couplets Le Repos et La
Couleur feu. Le cahier contient encore un
Lied de Lessing, Le Départ de Molly et La
Petite Fleur, de Bùrger, et un arrangement
drôlet de la chanson des petits Savoyards
« Avecque si, avecque la, avecque la
marmotte ». Mais la page vraiment supé-
rieure est l'exquis M ai lied (n" 4), qui était
primitivement, paraît il, un air de ténor
avec orchestre et texte différent. La poésie
de cette « Chanson de Mai » est de Gœthe,
et le style, tout mozartiste, d'une élégance
pleine de charme.
Il y a mieux encore : une page qui cette
fois, porte la marque du vrai Beethoven,
sous la même date que ces deux airs de
basse qui semblent si peu de lui ; une page
sur laquelle il est d'autant plus intéressant
d'appeler l'attention, qu'on ne la trouve
encore que dans le Supplément des œuvres
et, d'autre part, que Schubert a traité
plus tard le même texte (en 18 16, n° 216
de la collection des Lieder), avec bien
moins de bonheur du reste. C'est une de
ces « plaintes », de ces Klage, comme
Hôlty en a écrit plusieurs. La mélodie en
est pénétrante et d'une belle couleur, l'ac-
compagnement de piano a de la puissance
et beaucoup d'indépendance; on est déjà
en face d'une page du maître, et en somme
d'un des Lieder vraiment caractéristiques
de Beethoven.
C'est encore dans le Supplément que sont
les morceaux à inscrire ensuite, trois
Lieder datés de 1792. Le premier : Moi
dont V esprit vagabond... est un peu dans le
genre des deux airs de basse signalés plus
haut, mais avec accompagnement de piano,
et plus intéressant d'ailleurs avec son
rythme haletant, presque entièrement en
doubles croches. La poésie, dont on ignore
l'auteur, met en scène un amant qui avait
juré de n'aimer pas, et qui aime tout de
même, et s'en veut. Puis c'est un Lied
(pour Mme de Weissenthurm) à deux cou-
plets gracieux, dans le style de Mozart, et
un petit allegretto fort court, mais aimable,
intitulé A Minna, et anon}ane comme le
précédent.
Si toutes ces pièces ont été retrouvées
(parfois dans d'inattendus journaux de
modes, ou des albums à multiples signa-
tures), il est probable que Beethoven en a
écrit bien d'autres à cette époque, qu'il
aura livrées aux flammes de quelque auto-
dafé, une fois à Vienne et dans le nouvel
essor de son génie naissant. C'est en
effet cette année 1792 qu'il quitte Bonn
pour jamais, et s'installe dans la capitale
de l'Autriche, en élève de Haydn, puis
d'Albrechtsbcrger. Les premières années,
entre 1793 et 1800, de plus en plus fécondes
comme productions instrumentales jusqu'à
la symphonie en ut majeur, qui ouvre
comme un cycle nouveau, ne nous offrent
LE GUIDE MUSICAL
579
à glaner, en fait d'oeuvres lyriques, que des
pages si clairsemées, qu'on peut presque
les considérer comme des épaves.
D'autant que diverses esquisses, récem-
ment retrouvées, prouvent, sinon la con-
stance, au moins la continuité de l'effort
dans ce sens. Tel ce Lied analysé et cité
par M. Chantavoine (1), que Beethoven
avait essayé sur le texte français de
J.-J. Rousseau (jadis utilisé par le poète
même) : Que le temps me dure... Tels surtout
ces deux essais si précieux qu'une même
feuille nous a conservés : YErlkônig et le
Rastloseliebe de Gœthe.
Le Roi des Aulnes a. fort ému les ama-
teurs, les critiques, les adaptateurs aussi,
depuis son apparition en 1871, dans
YAllgemeine Musikalischè Zeitung de Leip-
zig, sous les auspices de G. Nottebohm (2).
L'esquisse comporte une assez bonne
partie du chant : le début, jusqu'aux pre-
mières paroles du Roi (exclusivement),
puis celles de l'enfant et la seconde ré-
plique, mais pas pour longtemps, et par
bribes; et pour l'accompagnement, quel-
ques mesures seulement. Telle quelle, elle
est fort intéressante, mouvementée, origi-
nale..., à condition toutefois de ne pas lui
faire dire plus qu'elle ne dit. N'oublions
pas que nous sommes en présence non pas
d'un fragment d'œuvre perdue, mais d'un
essai volontairement abandonné par l'au-
teur. Si Beethoven, selon l'expression de
M. Kufferath (3), ne sentit pas son idée se
formuler définitivement, irons-nous le lui
reprocher et suppléer à son peu de
courage?
Même observation pour l'Amour sans
trêve, qui, quoique bien plus étendu comme
manuscrit (tout le chant est écrit), n'avait
pas attiré l'attention jusqu'au jour où
(1) Dans le numéro beethovénien de la revue Musik,
en 1902.
(2) Qui l'a republié dans ses Beethoveniana, l'année
suivante. L'adaptation moderne la plus ingénieuse est
celle de M. Gustave Doret, avec la version française de
M. J. d'Offoël.
(3) Dans le Guide musical de 1898, p 74, à propos d'une
autre adaptation fort médiocre.
M. Chantavoine l'a publié (i). Dans l'inté-
ressant commentaire qui accompagne le
texte musical, le critique fait remarquer
les rapports de style que cette mélodie
semble avoir avec le Mailied cité plus haut,
ou le grand air Ah! perfido, que nous
verrons tout à l'heure. Il y relève aussi
bien des hésitations : c'est tout simple.
Quelle date assigner à ces deux pièces?
Il est impossible d'être fixé là-dessus,
mais on peut bien les croire, à mon sens,
de cette première période de la carrière de
Beethoven à Vienne, vers 1776.
Schubert aussi, plus tard, a traité les
deux mêmes poésies de Gœthe. Mais ce
qui est vraiment la plus curieuse des coïn-
cidences, c'est que, si Beethoven a écrit
sur la même feuille ses deux esquisses,
Schubert a de même composé l'une après
l'autre ses deux œuvres impérissables, en
novembre i8i5 (nos 177 et 178).
Un autre Lied a été retrouvé, toujours
par M. Chantavoine, dans un cahier
d'esquisses de 1799 (2). Il a encore pour
texte une poésie française : Plaisir d'amour,
besoin d'une âme tendre... Mais Beethoven
l'avait abandonné comme les autres. Plu-
sieurs, heureusement, pour cette même
période, avaient été poussés jusqu'au bout
et ont pu être remis au jour complets. Telle
une petite chanson, tirée de Y Olympiade de
Métastase : O care selve (O chères forêts),
entonnée par un chœur à l'unisson dont se
détache ensuite une voix seule. Elle est de
1794 (Supplément : Lied). Tels, en 1796,
deux airs avec orchestre, sur un texte de
Stéphanie, insérés dans La Belle Cordon-
nière d'Ignace Umlauf (un vaudeville qu'il
s'agissait de relever un peu, sans doute).
L'un est pour ténor, et exprime la joie
expansive d'un jeune homme à qui tout rit
dans la vie, les hommes et les choses, et
qui trouve tout bon. L'autre, pour soprano,
est une longue, trop longue plaisanterie
sur les souliers qui ne vont pas et sur le
grand art de la cordonnerie. Comme nous
(1) Revue d'histoire et de critique musicales de 1892.
(2) Musik, 1902, n° 12.
5So
LE GUIDE MUSICAL
l'avons déjà vu pour d'autres, ces morceaux
sont traités avec un soin extrême, une
phrase mélodique constamment conforme
au texte, et un orchestre très nourri, très
libre d'allure...
Mais que j'aime mieux chercher Beetho-
ven, à la même date, soit dans son Adélaïde,
au piano, soit dans son grand air Ah! per-
Jïdo, à l'orchestre (op. 46 et 65) !
Que n'a ton pas écrit sur cette Adélaïde,
aujourd'hui un peu démodée, de Matthisson,
parue, dès 1797, sous le titre de Cantate!
Quel succès immédiat, que de traductions
en toutes langues, que de transcriptions
pour tous instruments ! Matthisson disait
volontiers que nul musicien n'avait su,
comme Beethoven, surpasser son texte
poétique. Je le crois sans peine. Dans sa
grâce un peu molle et doucement roman-
tique, Adélaïde est une page de la plus
rare beauté comme développement mélo-
dique et comme accompagnement pitto-
resque. La variété de caractère de ses deux
parties, larghetto et allegro molto, est des
plus attachante, et l'amour y est chanté —
d'abord dans la sérénité de la nature et le
chant des oiseaux, puis dans toute la
passion d'un cœur haletant — avec une
sorte d'enthousiasme jeune, qui en fait une
page à part dans l'œuvre de Beethoven et
marque comme un moment de sa vie... C'est
d'ailleurs une vraie date aussi dans l'histoire
du Lied, car, comme dit Marx, « c'était la
première fois que d'un simple Lied sortait
toute une image de la vie » .
Une autre page importante paraît devoir
être inscrite à cette date de 1795, et
rapprochée à? Adélaïde. Ce sont deux
poésies de Bùrger réunies en une seule
mélodie : Soupir d'un qui n'est pas aimé, et
Amour pour amour (Seufzer eines Unge-
liebten, et Gegenliebe). Le style est un
peu démodé, mais léger, élégant, mouve-
menté, avec son contraste, familier à Bee-
thoven, entre la mélancolie du début et
la fièvre comme épanouie de la conclusion.
La « Grande Scène » (tel est le titre,
français, de l'œuvre) connue par ses pre-
miers mots : Ah! perfido, spergiuro.,. fut
écrite pendant un voyage à Prague, des
premiers mois de 1796, pour la cantatrice
Duschek, et dédiée à la comtesse Clari.
Elle peint une amante délaissée, qui com-
mence par appeler la justice céleste contre
le traître qui l'abandonne, puis se reprend
à supplier, à déclarer qu'elle va mourir,
enfin qui atteste, comme folle d'angoisse,
que jamais femme ne fut aussi digne de
pitié. L'œuvre est longue, mais tous ces
sentiments, toutes ces impressions, sont
exprimés avec une telle variété de coloris
et de mouvement, — très mozartienne
d'ailleurs, — une telle force de passion,
qu'on n'a garde, cette fois, de se plaindre
du développement... surtout si l'exécution
est digne de l'œuvre, ce qui n'est pas
commode.
Je n'en dirai pas autant d'un autre grand
air italien, auquel aucune date n'est encore
attribuée, mais qui semble bien pouvoir
prendre place dans cette série. Primo
amore, placer del ciel..., tels sont les pre-
miers mots de la poésie, aussi anonyme
que la précédente, dont Beethoven a fait
de même un air de soprano avec orchestre
(qui ne comporte pas moins de 22 pages
dans le Supplément). Les idées trop géné-
rales, trop plates, sont encore alanguies
par trop de répétitions : tout est là; et la
belle flamme de la femme trahie s'est chan-
gée en mélancoliques réflexions sur la
versatilité de l'amour. Le travail du musi-
cien n'est pas moins consciencieux et
remarquable, mais le génie n'y est plus.
On peut passer plus vite sur les trois
Lieder à couplets, et du genre chœur à
l'unisson, qui appartiennent encore à cette
période. Le plus intéressant est le premier :
un Citant du sacrifice, à l'antique, sur texte
de Matthisson (de 1795 peut-être), une
large et belle page un peu dans le style du
chœur des prêtres d'Isis de La Flûte
enchantée. Du mois de novembre 1796 date
le Chant d'adieu des volontaires viennois,
d'une bonne allure, très franche, et d'avril
1797, le Chant de guerre des Autrichiens,
du même caractère, l'un et l'autre sur textes
de circonstance de Friedelberg.
LE GUIDE MUSICAL
53i
Et nous voici arrivés au moment de la
première symphonie, à l'année 1800. Les
morceaux qu'on vient d'énumérer sont de
l'époque des premiers trios et des pre-
mières variations pour piano, violon et
violoncelle, des premières sonates de piano
jusqu'à la Pathétique, et des trois pre-
mières aussi pour piano et violon, des
concertos de piano 1 et 2, de la sérénade
en ré, des deux quintettes en mi, enfin des
trois premiers quatuors.
(A suivre.) Henri de Curzon.
LA SEMAINE
PARIS
A propos du Conservatoire et des fameuses
notes de classe que les jurys invoquent toujours
quand leurs décisions sont nettement opposées
aux impressions du public et aux jugements des
critiques, nous trouvons dans le dernier feuilleton
de notre confrère Adolphe Jullien [Journal des
Débats), un passage topique et qui commente trop
éloquemment nos propres observations au sujet
des derniers concours pour que nous ne le repro-
duisions pas ici avec plaisir :
« C'est au concours d'opéra-comique, vous en
souvenez-vous? que le verdict du jury a provoqué
une tempête comme jamais on n'en avait entendu
au Conservatoire, et si je reviens là-dessus, c'est
que, sans être animé d'aucun parti-pris contre le
jury et tout disposé que je sois à respecter ses
décisions, le jugement qu'il porta ce jour-là me
paraît tout à fait injustifiable. Alors qu'entre toutes
les concurrentes, une seule nous avait paru, avait
paru à tout l'auditoire, avoir, comme chanteuse
légère et comme actrice, une supériorité éclatante;
alors que tout le monde s'attendait à lui voir
attribuer un brillant premier prix, le jury non
seulement lui refusait cette récompense suprême,
mais encore ne la classait qu'au troisième rang
parmi les quatre seconds prix qu'il s'empressait
de décerner : on aurait dit du parti-pris très
arrêté chez les juges de noyer cette jeune fille,
si remarquablement douée comme vocaliste et
comme actrice, dans le flot des médiocrités qui
l'entouraient. J'entends ce que vont dire les
défenseurs déterminés du jury : il avait consulté
les notes, les fameuses notes de classe qui doivent
compter pour l'attribution des récompenses de fin
d'année. Entendons-nous bien : que ces notes, si
elles sont bonnes, puissent servir à repêcher un
concurrent dont l'épreuve en public n'aura pas été
aussi heureuse qu'on pouvait l'espérer en raison
du travail fourni par l'élève, oui, cela, je vous
l'accorde et beaucoup de bons esprits en tomberont
d'accord avec moi ; mais qu'une élève qui se sera
révélée chanteuse accomplie et comédienne très
fine en face du public, se voie refuser la récom-
pense à laquelle elle a droit parce que ses notes
d'études seront médiocres — et je parle ainsi sans
savoir si tel est exactement le cas de Mlle Mathieu-
Lutz — oh! cela, non, je ne vous le concéderai
jamais. Car enfin, c'est pour le public que cette
artiste-là doit chanter dès qu'elle sera sortie de
l'école, et qu'importe au public, du moment qu'elle
possède des qualités exceptionnelles, qu'elle ait
été peu studieuse à l'école, peu exacte à suivre
les cours ou irrévérencieuse envers ses maîtres?
En deux mots comme en cent, les notes de classe,
selon moi, peuvent servir pour faire remonter un
bon élève après un concours médiocre ; elles ne
devraient jamais servir à faire redescendre un
élève peu zélé après un brillant concours : autre-
ment, et si tout est arrêté d'avance, à quoi bon
imposer à tous ces jeunes gens la vaine obligation
de concourir? » Ad. Jullien.
— M Gailhard vient de recevoir définitivement
la Forêt, poème lyrique en un acte, de M. Laurent
Tailhade, musique de M. A. Savard. Cet ouvrage,
qui doit être représenté en 1906, offre cette parti-
cularité assez neuve que les personnages figurant
les arbres, chêne, cyprès, tilleul, au lieu de chanter
leurs rôles, les déclameront sur des tenues d'or-
chestre. M. Gailhard, directeur de l'Opéra, est
d'ores et déjà entré en pourparlers avec M. Cla-
retie touchant les acteurs de la Comédie-Française
qui pourraient être « cédés » à notre première
scène lyrique pour l'œuvre de MM. Laurent
Tailhade et Savard.
— Notre érudit confrère Albert Soubies, dont
on se rappelle, la récente Histoire de la musique en
Hollande, vient de recevoir le brevet de chevalier
de l'ordre d'Orange-Nassau.
5S2
LE GUIDE MUSICAL
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La saison estivale du théâtre de la Monnaie se
poursuit très heureusement.
La reprise de Carmen a permis d'applaudir
Mlle Gianoli, devenue Mme Bressler-Gianoli, qui
fut pensionnaire de la Monnaie, il y a sept ans. La
charmante artiste nous est revenue avec un talent
singulièrement affiné, une voix largement déve-
loppée et un jeu agréablement assoupli. Le souve-
nir que nous avions conservé d'elle nous rappelait
une Carmen prise sur le vif, très nature, ardente
et passionnée à souhait, d'une grande sincérité
d'accent, n'ayant rien de ces Carmencita mièvres
et artificielles qui sont légion.
Cette compréhension très juste, très vivante de
la psychologie propre à l'héroïne troublante
enlevée par Mérimée au soleil brûlant de Séville,
Mme Bressler-Gianoli l'a très heureusement gardée
et approfondie. Sa Carmen est fille du peuple,
bohémienne d'Espagne et non de Montmartre,
comme certaines artistes ont voulu le faire croire;
elle en a les instincts sauvages sous des dehors
d'une sentimentalité très latine; son geste est
sobre, mais précis, sa voix chaude comme ses
fougueuses passions, sa déclamation ardente
comme son tempérament. En faut-il dire davan-
tage pour que l'on comprenne l'accueil tout à fait
chaleureux qui a été fait par un nombreux public
à la sympathique artiste?
A part ce début fort intéressant, la distribution
était celle de la dernière saison. M. David a repris
possession du rôle de Don José avec son autorité
habituelle et sa voix au charme si pénétrant.
M. Bourbon, Escamillo de belle allure, Mmes
Eyreams, Maubourg, Carlhant, MM. Caisso,
Artus, Belhomme, complétaient cet heureux en-
semble.
Faust, avec la nouvelle mise en scène et les
beaux décors inaugurés l'an dernier par MM. Kuf-
ferath et Guidé, a retrouvé sa vogue accoutumée.
Mme Francès Aida, MM. Laffitte, D'Assy, De-
cléry, y ont fait d'heureuses rentrées, et le ballet,
M,le Boni en tête, ainsi que Mlles Cabrini et
Carrère, qui y faisaient leurs débuts, a obtenu un
grand succès.
Le Postillon de Lonjumeau, le charmant petit
opéra-comique d'Adam, très goûté depuis la re-
prise, a bénéficié d'un accueil chaleureux. M. Da-
vid, dont la voix souple vocalise avec une habileté
rare le second acte, y est tout à fait à son
avantage, il donne au rôle de Chapelou beaucoup
de grâce et de séduction. Mme Eyreams attire
toutes les sympathies dans le rôle de Madeleine,
et MM. Caisso et Belhomme leur font un entou-
rage amusant et discret.
En dépit d'une température lourde et dépri-
mante, les stalles et les premières loges étaient
élégamment garnies pour la reprise de Manon.
Ce n'était pas la première fois que M. David se
trouvait aux prises avec les transes passionnelles
et les aventures amoureuses du chevalier Des
Grieux, mais il a fouillé davantage son rôle et il
compose avec art et sentiment le héros imaginé
par l'abbé Prévost. Sa voix, conduite intelligem-
ment, a fait valoir les couplets du rêve, qui ont
été bissés, et l'air du troisième acte, « Ah! fuyez !
douce image », qui a été chaudement applaudi.
Mme Francès Aida fait oublier par sa voix aux
notes cristallines, au timbre pur et éclatant, le
léger accent qui voile sa diction. Sa Manon est
provocante et passionnée à fleur de peau; néan-
moins, elle en rend avec une habileté rare les
émotions et les gestes. Un double rappel lui a été
décerné après le duo à Saint-Sulpice, et ce succès
était mérité.
Aux côtés de ces interprètes de choix, signalons
M. Decléry, qui paraissait pour la première fois
dans le rôle de Lescaut auquel il a imprimé une
allure franche et d'une rondeur joviale.
M. François manque de distinction pour rendre
le rôle du comte de Brétigny, M. Artus a fait un
bon début, sa voix sonne agréablement, et il a su
donner au comte Des Grieux la noblesse d'allure
qui convient.
Dans le ballet, on a applaudi un pas très artiste-
ment dansé par Mlle Pelucchi. N. L.
— La première de Princesse Rayon de Soleil, de
MM. Pol De Mont et Gilson, est affichée, et la date
en sera fixée dans quelques jours. Suivant les
bruits de coulisses, la partition de M. Gilson, qu'on
n'avait pu que deviner lors de l'exécution plutôt
médiocre qui en fut donnée Fhiver dernier au
Théâtre flamand d'Anvers, provoque un véritable
enthousiasme parmi les interprètes, et l'on s'attend
à un gros succès musical.
Voici la distribution de l'œuvre : La Princesse,
Mile Francès Aida; Tjalda, M. Altchevsky ;
Walpra, Mme Bressler-Gianoli; le roi Haïobaud,
M. Artus; trois scaldes, MM. Dognies, François
et Crabbé.
Les répétitions d'ensemble à l'orchestre, sous
la direction de M. Sylvain Dupuis, sont terminées,
et il ne reste plus à mettre au point que la mise
en scène.
LE GUIDE MUSICAL
583
— L'excellente musique du 9e de ligne, sous
la direction de M. Edmond Waucampt, donnera,
le jeudi 21 septembre, à 2 1/2 heures de l'après-
midi, un concert extraordinaire au bénéfice de
la Croix-Verte française (comité belge), société
de secours aux militaires, coloniaux, veuves et
orphelins, dans le grand hall du Parc du Cin-
quantenaire, 2e salon des Arts et Métiers.
Entrée: 1 franc. Carte prise d'avance au local,
2, rue du Midi : 5o centimes.
^>
CORRESPONDANCES
DRESDE. — La saison d'opéra, terminée
le 2 juillet par Orphée aux Enfers, s'est rou-
verte le 12 août avec les Noces de Figaro. Dans le
courant de juin, la Trilogie a été admirablement
interprétée par MM. von Bary, Burrian, Scheide-
mantel, Perron. Mme Wittich est une superbe
Briinnhilde; sa voix a encore gagné en volume et
en expression. Toutefois, le public, sans doute à
cause de la chaleur, a un peu négligé ces magni-
fiques soirées, et la direction, afin d'assurer le
«. bénéfice » de ses employés, a choisi la divertis-
sante opérette d'Offenbach! C'était bien pensé :
la caisse de retraite a fait une jolie recette et les
artistes se sont égayés un moment, car les graves
chanteurs de l'Opéra royal passent volontiers du
mythe wagnérien à la bouffonnerie « orphéenne ».
Il y a même eu récidive et, contre toute tradition
dresdoise, en dix jours, l'Orphée aux Enfers a reparu
quatre fois sur l'affiche.
Depuis la réouverture, programme habituel :
Tannhàuser, Lohenorin, Vaisseau fantôme, Flûte enchan-
tée, Fidelio, Mignon, Faust, Freischiitz, Samson et
Dalila, Carmen, etc.
Parmi les artistes, peu de nouveaux engage-
ments; on ne demande d'ailleurs qu'à conserver les
anciens. Mlle von der Osten, dont la bonne voix se
prête à des rôles très différents, paraît fréquem-
ment; Mlle Scheebe, engagée dernièrement, a une
jolie voix et un agréable visage ; Mme Abendroth
chante à merveille la Reine de la Nuit et Mme
Jelinek- Burrian s'attaque au rôle de Pamina.
Pendant tout le cours de l'exercice 1904-05,
l'Opéra royal a donné quatre premières : Totentanz
d'Alexandre Siks, Barfiissle de Richard Heuber-
ger, le Maître de Chapelle de Ferdinand Paër, Im
Brunnen de Cari Sabina; cinq reprises : les Maccha-
bées, la Répétition d'opéra, la Muette de Portici, I e Roi
Va dit, Orphée aux Enfers. Richard Wagner a occupé
6t représentations, Mozart 17, Ambroise Thomas
et Lortzing i3, Humperdinck n, Verdi et Offen-
bach 10, Auber 9, Nicolaï et Rossini 8, Weber et
Netzler 7, Beethoven, Bizet, Delibes, Gounod,
Leoncavallo, Mascagni, Puccini 6.
On a célébré la 100e de Joseph en Egypte le
25 août 1904 ; la 20ome des Joyeuses Commères de
Windsor le 25 novembre 1904 ; la 25oe du Vaisseau
fantôme le 10 décembre 1904; la 100e à'Aïda le
24 janvier 1905 et la 100e de Hànsel et- Gretel le 3o
avril. Pour compléter la statistique, 3o3,772 per-
sonnes ont payé leurs places. Les renseignements
ne vont pas plus loin. On peut en tout cas affirmer
que la distribution parcimonieuse des billets de
faveur n'a pas dû réduire de beaucoup les rentrées
de l'honorable direction royale Alton.
TA HAYE. — Les deux derniers concerts,
_J donnés le 16 et le 23 août au Kursaal de
Scheveningue, ont été d'un intérêt tout exception-
nel. A celui du 16 août, nous avons eu la bonne
fortune d'entendre la célèbre violoniste Mme Nor-
man Néruda (lady Halle), de réputation euro-
péenne et qui, par de grands et tristes revers de
fortune, a été forcée de reprendre la carrière artis-
tique à un âge très avancé et est toujours
une admirable artiste. Elle a provoqué un
enthousiasme indescriptible par la perfection
incomparable avec laquelle elle a rendu le
premier concerto de Max Bruch, le Trille du
diable de Tartini et, au concert symphonique du
18 août, le concerto de Beethoven. Au concert du
23 août, MKe Julia Culp a chanté admirablement
un air de Vaccai et des Lieder de Hugo Wolf
(Du bist Orpl.id mein Land, Sie blasen zuni Abmarsch,
In dem Schatten meiner Lochen, Môgen aile bôsen
Zungen) et une adorable berceuse de Catherine
van Rennes. Dans les derniers concerts, l'orchestre
ne nous a fait entendre qu'une seule nouveauté,
une petite suite ravissante d'Ambrosio, se compo-
sant d'un Andantino, d'une Paysanne, d'une Ronde
des lutins et d'une Tarentelle, une œuvrette fine-
ment orchestrée et écrite avec cette allure, cet
esprit entraînant qui caractérisent les compositions
de l'école française. Ed. de H.
584
LE GUIDE MUSICAL
OSTENDE. — Le mois d'août qui vient de
finir a été, à tous les égards, exceptionnel-
lement brillant. Nous n'avons à nous occuper ici
que des fêtes musicales, qui se suivent au Kursaal
avec une rapidité qui nous laisse à peine le temps
de reprendre haleine.
Citons d'abord les deux solennités auxquelles
prêtait son concours M. Enrico Caruso. Le
fameux ténor italien, la plus belle voix que l'on
puisse imaginer, a paru au théâtre dans Eigo-
let'.o; au Kursaal, il a chanté du Verdi, du Leon-
cavallo, du Puccini, du Ponchielli; il a fait les
deux fois salle comble et obtenu un succès digne
de lui.
Une autre célébrité, celle-ci du monde des vir-
tuoses, a été offerte aux habitués du Kursaal : le
violoniste Jan Kubelik. Le violon fait homme, le
mécanisme le plus éblouissant qui soit, une tech-
nique qui se joue des plus atroces difficultés, et
une qualité de son merveilleusement belle, tel est
le virtuose tchèque, que nous avons entendu trois
fois au cours de ce mois. M. Kubelik joue le con-
certo de Mendelssohn dans un style très sobre et
très pur; il tire de celui de Paganini une expres-
sion insoupçonnée ; le concerto en ré de Wie-
niawsky, le Rondo de Saint-Saëns, lui valent de
gros succès; mais il faut l'entendre surtout dans
les morceaux de pure virtuosité, telle la Danse des
lutins de Bazzini, dans les Airs russes, ou dans
Il Palpti de Paganini, pour apprécier comme il
convient cette habileté extraordinaire. En un mot,
c'est une personnalité prodigieuse, et l'on a pu, à
juste titre, décerner à Jan Kubelik le titre de
« roi du violon ». Mais il est entendu, n'est-ce
pas ? que le monde des violonistes est assez vaste ;
ce n'est pas dans la patrie d'Ysaye et de Thomson
que l'on peut ignorer que ce monde-là compte
plus d'un roi!
Au concert extraordinaire du iS août, où
M. Rinskopf a donné l'adorable Psyché de César
Franck, M. Arthur De Greef a interprété, avec sa
maîtrise coutumière, le cinquième concerto de
Saint-Saëns, qu'il fut le premier à jouer après la
création de l'œuvre à Paris par Diémer ; notre
réputé pianiste a donné encore, avec l'abnégation
d'un véritable artiste, le concerto nouveau de
M. Théo Ysaye. M. Rinskopf avait galamment cédé
à l'auteur le bâton de direction.
Le 25 août, M. Raoul Pugno est venu, disons
mieux, a triomphé au Kursaal par son admirable
interprétation du concerto en ut mineur de Saint-
Saëns; on reste émerveillé de cette unique qualité
de son, où tant de légèreté alterne avec tant de
puissance, sans jamais perdre le volouté le plus
rare. Pugno a donné également du Liszt et du
Chopin, entre autres une valse prise dans un
mouvement déconcertant, à force d'être vif. Mais
quel magicien du clavier ! Entendu et applaudi au
même concert, une exécution impeccable des
Impressions d'Italie, de Charpentier, ainsi que de
l'ouverture du Songe, de Mendelssohn. Notre admi-
rable orchestre fait merveille dans ces pages, que
M. Rinskopf affectionne et qu'il comprend si bien.
En ce mois d'août, nous avons entendu naturel-
lement une série d'artistes du chant tout à fait hors
de pair. Mme Félia Litvinue est venue nous donner
le frisson des grandes œuvres, par son interpréta-
tion magistrale de l'imprécation âCAlceste et de la
Mort d'Yseult, qui a été bissée.
M. Ernest Van Dyck, au concert du 20 août, a
remporté un immense succès dans V Invocation à la
nature de Berlioz et dans deux fragments wagné-
riens, le Chant de la forge de Siegfried et le Chant
d'amour de la Walkyrie. M. Jean Noté, a géné-
reusement répandu les trésors de sa voix, au
concert du i5 août, et avec son répertoire immua-
ble, il triomphe toujours de même.
Citons encore le ténor Zérola, un Italien bien
doué au point de vue vocal, M. von Zawilowski,
un excellent baryton, de l'Opéra de Vienne;
M. Henri Albers, de la Monnaie, très applaudi
dans une superbe page de V Etranger de Vincent
d'Indy; Mme Eva Simony, qui vocalise avec tant
d'aisance; Mme Bourgeois, de l'Opéra-Comique;
Mlle Linkenbach, de Mannheim; l'originale diva
hongroise Mme Eisa Szamosy, Mme Désiré De Mest,
qui s'est taillé un joli succès dans des airs de
Haydn et de Berthal, etc., etc.
Mercredi dernier, M. Charles Gheude, de Bru-
xelles, a donné une très intéressante et instructive
conférence sur Grétry, accompagnée d'une audition
dont l'orchestre du Kursaal, conduit par M. Pietro
Lanciani.
Dimanche 3 septembre se fera entendre la
Musicale de Dison, dirigée par M. A. Voncken;
au concert extraordinaire de vendredi, M. Deru
jouera le concerto de Lalo, et M. Rinskopf
donnera la septième de Beethoven ; lundi 4, nou-
velle exécution de la cantate Een Koningslied, de
MM. Van Oye et Rinskopf. Ces solennités feront
l'objet de ma prochaine correspondance. L. L.
LE GUIDE MUSICAL
585
NOUVELLES
La statistique du théâtre municipal de
Leipzig nous apprend que pendant la saison
1904-1905, on a donné au nouveau théâtre 220 re-
présentations d'opéra, et d'opérettes, et à l'ancien
théâtre, i55 représentations d'opérettes et 4 soirées
d'opéra. Les œuvres de Richard Wagner ont eu
40 représentations, celles de Lortzing 20, de
Mozart i5, de Weber 12, de Nessler 10, de
Zoellner 7, de Beethoven et de Humperdinck 5.
On a joué 37 opéras allemands, n français, 6 ita-
liens.
Le théâtre municipal de Leipzig prépare
pour la saison qui va s'ouvrir un cycle d'œuvres
de Gluck, qui seront dirigées par M. Arthur
Nikisch.
— Nous lisons dans le numéro du Diario, de
Buenos-Ayres, du 24 juillet :
« L'enthousiasme qu'a provoqué hier dans le
Prince George's Hall, le violoncelliste belge
Marix Loevensohn est un nouveau triomphe pour
le maestro Pallemaerts, directeur de notre Con-
servatoire argentin, qui nous a amené le grand
virtuose du violoncelle qu'est Loevensohn. Parmi
les pièces de son admirable programme, le con-
certo en ré de Haydn, interprété de manière
idéale, a le plus appelé l'attention. Les Variations
symphoniques de Boëllmann, Aria de Bach, la
sonate de Boccherini, comme les pièces de Popper
déjà interprétées par d'autres violoncellistes,
démontrèrent la grande supériorité de Loevensohn
sur ses prédécesseurs. Aussi le succès du virtuose
a-t-il été énorme. »
Les autres journaux, El Païs, El Tiempo, La Plata,
La Nation, ne sont pas moins élogieux pour
l'intéressant virtuose, dont la belle sonorité fait
l'admiration de tous, des comptes-rendus flatteurs.
M. Marix Loevensohn est accompagné dans sa
tournée par M. Maurice Geeraerts, pianiste,
qui obtint jadis à Bruxelles le premier prix d'orgue
dans la classe de M. Mailly. M. Geeraerts s'est
voué depuis au piano, après de sérieuses études
chez Letchetisky à Vienne.
Les journaux vantent son interprétation des
sonates de Beethoven, des œuvres de Schumann et
de Chopin, et surtout des œuvres de César Franck,
notamment Prélude choral et fugue, qui a obtenu un
succès légitime.
— M. Puccini dirigera à Londres, au théâtre de
Covent-Garden, pendant le mois de novembre, un
cycle complet de ses œuvres, pour l'exécution
desquelles il a engagé Mme Melba et le ténor
Caruso.
— M. Leoncavallo termine en ce moment la
partition d'un opéra : La Jeunesse de Figaro.
— Le programme du festival de Norwich a été
publié il y a une dizaine de jours. On donnera : le
25 octobre, matin, Te Deum (Stanford), concerto en
mi, pour violon (Bach), exécuté par M. Frédéric
Kreissler, symphonie-cantate de Mendelssohn ;
soir, la Mort d'Arthur (sir Fred. Bridge), Poèmes
bohémiens, composés pour ce festival (Joseph Hol-
brooke), la Belle Dame sans merci (Alex. Mackenzie),
cinq ballades pour soli et chœurs (Coleridge-
Taylor), le Marchand de Venise, fragment (Arthur
Sullivan). — Le 26 octobre, matin, les Apôtres
(Elgar) ; soir, allegro (Elgar), Pied Piper of Hamelin,
composé pour ce festival (Hubert Parry), En Orient
(Arthur Hervey), chœur à plusieurs parties (Fred.
Corder). — Le 27 octobre, matin, première
audition de l'oral orio Sainte Agnès (Mancinelli),
ouverture (Walford Davies) ; soir, symphonie
n° 5 (Tschaïkowsky), Rapsodie galloise (Edward
German), John Gilpin (Fréd. Cowen). — Le 28
octobre, matin, le Messie (Hsendel); soir, concert de
musique populaire.
— L'Académie des Beaux- Arts de Berlin vient
de nommer directeur pour l'année 1905-1906 le
célèbre violoniste M. Joseph Joachim.
— Les Concerts-Kaim de Munich donneront,
pendant la saison 1905-1906, douze séances de
musique classique et moderne. A chacune des.
onze premières, on entendra un soliste. Voici les
noms des artistes dont on s'est assuré le concours :
Mme juiia Culp (contralto), Amsterdam ; Mme Anto-
nia Dolorès (soprano), Londres; Mme Maikki
Jaernefelt (soprano), Helsingfors ; Mme Tilly Koe-
nen (alto), Berlin; Mme Sigrid Sundgren-Schnee-
voigt (pianiste), Munich; M. Félix Berder (violo-
niste), Munich; M. Ernest Van Dyck (ténor),
Bruxelles; M. Ludwig Hess (ténor), Berlin;
M. Alexandre Petchnikow (violoniste), Saint-
Pétersbourg; M. Alfred Reisenauer (pianiste),
Leipzig; M. Edouard Risler (pianiste), Paris. La
douzième séance sera consacrée à la Symphonie
avec chœurs de Beethoven. Les soli seront chantés
par Mmes Anna Kappel (Francfort), Elisabeth
Sandtner-Exter (Munich) et MM. Albert Jungbluth
(Berlin) et Joseph Loritz (Munich).
— L'empereur d'Autriche vient de faire allouer
à la veuve du grand compositeur tchèque Anton
Dvorak une pension annuelle de 2,000 couronnes.
— On a inauguré récemment à Pressbaum, dans
le Wienerwald, un monument à Johannès Brahms
dans le jardin de la petite villa qu'il habita dans les
dernières années de sa vie.
LE GUIDE MUSICAL
— Le festival de Bristol, qui aura lieu le n octo-
bre, a inscrit à son programme le ballet de
Richard Strauss, Taiîlefer, op. 52.
— Le sculpteur russe Naum Aronson, qui vient
d'obtenir la grande médaille d'or à l'Exposition de
Liège, a reçu la commande d'un monument
Beethoven à ériger à Bonn.
— Nous avons annoncé en son temps que
M. Camille Saint-Saëns, sur la demande de S. A. le
prince de Monaco, avait promis de réserver son
nouvel opéra au Théâtre de Monte-Carlo. Cet ou-
vrage qui est à peu près terminé, aura pour titre
L'Ancêtre Le livret est de M. Auge de Lassus.
Durant la prochaine saison, le Théâtre de
Monte-Carlo donnera également le Roi de Lahore de
Massenet et le Démon de Rubinstein.
— M. Hans Gregor, directeur de l'Opéra-
Comique de Berlin, a demandé au célèbre peintre
M. Ignacio Zuloaga de faire les maquettes des
décors et les dessins des costumes pour Carmen,
qu'il compte monter cet hiver.
— Il est question d'un festival de musique
canadienne qui aurait lieu à Londres au mois de
mai 1906.
— Emil Sauer, le célèbre pianiste, vient de rece-
voir de l'empereur d'Autiiche la croix de la Cou-
ronne de fer. On sait combien cette distinction est
rarement accordée.
— Conformément aux règlements du Conserva-
toire de musique de Toulon, le maire de cette ville
porte à la connaissance du public que les emplois
de professeur de chant (hommes), professeur de
diction et de déclamation lyrique et professeur de
solfège sont actuellement vacants.
Un concours pour l'obtention de ces emplois
sera ouvert le lundi n septembre.
Les candidats devront adresser leur demande
d'inscription à M. le maire de Toulon, ou se faire
inscrire à la mairie (bureau de l'instruction
publique et des beaux-arts) avant le 9 septembre
inclus. Ils devront être Français ou naturalisés
Français.
Les candidats seront ultérieurement avisés de
l'heure et du lieu du concours.
Les appointements afférents aux emplois vacants
sont de 800 francs par an pour le professeur de
chant et de 5oo francs pour les deux autres. Les
cours à faire par ces professeurs sont au nombre
de deux par semaine et de deux heures chacun.
— M. Oscar Dandoy, professeur de piano à
Charleroi, donnera les 3 et 4 septembre, à 3 heures,
un récital au Stand des pianos Henri Herz, à
l'Exposition de Liège.
BIBLIOGRAPHIE
Louis Schneider et Marcel Mareschal. —
Schumann, sa vie et ses œuvres, d'après sa corres-
pondance et les documents les plus récents. Paris,
Charpentier, un vol. in- 12.
Voici un livre qui eût comblé de joie notre
regretté Hugues Imbert, car il l'eût trouvé sans
doute selon son cœur, lui qui aimait tant Schu-
mann. le goûtait avec tant de pénétration et se
proposait toujours de couronner par un travail
d'ensemble les petites études de détail qu'il avait
déjà rédigées à diverses époques. Comment se
fait-il que Schumann, depuis longtemps si à la
mode chez nous, et peut-être même à certains
moments plus qu'aujourd'hui, ait attendu si long-
temps son biographe? Car enfin, sauf quelques
essais peu développés, c'est bien la première fois
que le maître de Zwickau est étudié d'ensemble
en français. Il est vrai qu'on pourrait retourner la
question, et quand on rencontre par hasard chez
nous un volume sur quelqu'un des souverains de
l'art musical, et des plus réputés, des plus admirés,
s'étonner, avec un public qui lit si peu, et des
éditeurs défiants à proportion, qu'il se soit trouvé
un écrivain assez courageux pour entreprendre
aussi ingrate besogne.
Le Schumann de MM. Schneider et Mareschal a
tout d'abord un grand attrait : il a pour base la
correspondance même de l'artiste, assez mal
connue en somme du public et si attachante à
tous égards; et les nombreuses citations qui en
sont faites donnent à la fois de la vie au récit et
une grande force documentaire aux faits, d'ailleurs
éclairés par tous les renseignements possibles,
comme aux œuvres mêmes, dont le vrai sens est
ainsi mis en lumière. D'aussi abondantes et
diverses informations sont précieuses, mais parfois
dangereuses aussi, au point de vue de l'agrément
du livre, de son effet sur le lecteur, du but à
atteindre, par conséquent, qui est d'amener des
amis à Schumann et de les éclairer à jamais. Si
« l'éloquence continue ennuie », combien plus
l'érudition! Ce n'est pas un mince mérite de
MM. Schneider et Mareschal d'avoir fait ici œuvre
d'écrivains. Et si leur livre est nourri de cette éru-
LE GUIDÉ MUSICAL
587
dition, indispensable aujourd'hui à toute mono-
graphie, à peine en devine-t-on la plénitude qui
i apporte au lecteur de la sécurité sans fatiguer son
attention. Aussi bien le style, alerte et vivant, que
I la dextérité de l'expression soit dans l'appréciation
des œuvres, soit dans la discussion des opinions
qui se sont formulées à leur endroit, méritent tous
les éloges. Il y a beaucoup de goût dans cette
appréciation, et de liberté aussi, et de justesse
dans les points de vue.
Ainsi, tel passage sur la musique de piano de
Schumann, règne de la fantaisie pure : « Autant il
est aisé de critiquer une composition à forme fixe,
autant il est risqué d'émettre un jugement motivé
sur des œuvres qui ne se rattachent à aucun
genre, par le fait même qu'elles en créent un
nouveau. On aime ou l'on "n'aime pas l'œuvre pia-
nistique de Schumann : si on l'accepte, il faut
l'accepter de confiance et ne pas l'éplucher; c'est,
à notre sens, une erreur que de s'attarder à en
relever les défauts. » Et l'on ne saurait mieux
dire ; mais, d'ailleurs, remarquez que ce n'est pas
une façon d'échapper à la tâche de caractériser
ces œuvres, et que les critiques-historiens s'en
acquittent avec beaucoup de netteté. Le catalogue
des œuvres de Schumann termine logiquement
le volume, qui a sa place de droit dans toutes les
bibliothèques musicales. H. de Curzon.
Adelheid von Schorn. — Franz Liszt et la prin-
cesse de Sayn-Wittgenstein ; souvenirs intimes et
correspondance, trad. de l'allemand par L. de
Sampigny; avant-propos de Hugues Imbert. —
Paris, Dujarric, i vol. in-12 de 450 pages.
Ce livre est avant tout un document, et très sûr
parce que très sincère comme témoignage, sur la
vie et la personnalité de Liszt, ses relations avec
la princesse de Sayn-Wittgenstein, ses rapports
avec le monde et, d'une façon générale, sur la
société allemande înondaine et littéraire de son
temps. Sans doute, l'ensemble en est un peu touffu,
tout n'est pas d'un égal intérêt, et une plume fran-
çaise eût à coup sûr élagué bon nombre de pages :
Mme de Sampigny, née Lascoux, en entreprenant
cette version, ne s'est pas crue autorisée à ne pas
la faire intrégale, et vraiment on ne saurait trop la
féliciter de la patience dont elle a fait preuve dans
ce travail d'ailleurs très élégamment tourné.
Du reste, elle a su remédier aux principales diffi-
cultés que le lecteur trouve à s'y reconnaître en
dressant une table alphabétique des personnalités
si nombreuses citées dans le texte ou les lettres.
Chacun l'en remerciera sincèrement.
Mme Henriette de Schorn (née de Stein et de-
moiselle d'honneur de la grande-duchesse de
Saxe-Weimar, avait épousé l'archéologue et
professeur qui fut directeur des beaux-arts à cette
cour de Weimar, Louis Schorn) était restée intime
avec la princesse de Sayn-Wiltgenstein après la
disgrâce de celle-ci, rebelle aux ordres de la cour
russe ; par conséquent, intime aussi avec Liszt : de
là ces lettres et ces souvenirs précis qui, embias-
sant deux générations, nous amènent de i83o
à nos jours, avec Weimar et Rome surtout pour
le théâtre. La princesse fut une femme tout à fait
supérieure, et dont l'influence, même sur des
génies aussi originaux que Wagner, Liszt ou
Berlioz, fut sensible et bienfaisante. La corres-
pondance considérable qu'elle échangea avec les
grands musiciens de son époque prouve assez la
force de cette influence, comme l'élévation de ses
sentiments, comme la couleur de son style. Liszt,
de son côlé, qui était si bien fait pour la com-
prendre, s'<est montré également, grâce aux di-
verses correspondances éditées successivement de
notre temps, d'une véritable majesté comme initia-
teur dans le domaine de la musique. L'ouvrage de
Mme de Schorn a droit à une place à côté de ces
différentes publications épistolaires si précieuses et
qui sans doute seront, peu à peu, toutes traduites.
La version qu'en a donnée Mme de Sampigny se
recommande encore d'un avant -propos de notre
regretté ami Hugues Imbert, plein de chaleur et
de sympathie émue, comme était sa propre con-
versation toutes les fois qu'il parlait d'art. Il en
avait écrit les quatorze pages peu de temps avant
sa mort si inattendue, et c'est ce jour-là même, ou
peu s'en faut, qu'elles paraissaient en librairie, en
tête du livre à la réussite duquel il aura voué ainsi
ses très amicales et très dévouées préoccupations.
H. de Curzon.
Fr. Schuberts einstimmige Lieder, Gesànge und Balladen
mit Texten von Schiller, von Ludwig Scheibler.
(Extrait de « Die Rheinlande », revue de Dussel-
dorf, et paru en avril-juin igo5, in-40.)
Je tiens à signaler ici, bien qu'il n'ait paru qu'en
revue, ce beau travail du Dr L. Scheibler (de
Bonn), relatif aux Lieder de Schubert sur des textes de
Schiller. Je tiens à le recommander à tous ceux qui
étudient le maître sublime du Lied allemand, mais
non pas seulement parce qu'en plus d'un passage
l'auteur a marqué hautement ses sympathies aux
appréciations contenues dans l'étude que le Guide
a publiée il y a quelques années sur l'ensemble des
Lieder de Schubert (j'avais insisté souvent, en effet,
sur l'heureux choix que le musicien avait pratiqué
dans l'œuvre du poète et sur le bonheur d'inspira-
tion dont témoignent la plupart de ces Lieder « schil-
5S8
LE GUIDE MUSICAL
leriens », trop peu appréciés encore). Le critique
allemand voudra bien trouver ici l'expression de
notre gratitude. Mais son travail est de toutes
façons digne d'étude et de considération, car il est
rédigé avec une abondance d'informations et une
sûreté de goût qu'on ne rencontre pas toujours
sous une forme aussi claire et libre dans les revues
germaniques. On sent qu'il l'a conçu, composé
et écrit avec une passion joyeuse et enthousiaste,
et rien n'est plus communicatif que ce sentiment,
quand d'ailleurs il s'exprime aussi bien. L'étude
(en trois parties) est presque autant littéraire que
musicale, ce qui l'empêche de devenir monotone;
elle est critique en même temps, en ce sens qu'elle
discute les impressions laissées par ces Lieder, ce
qui lui donne beaucoup de vie; et d'animation.
H. de C.
pianos et Ibarpes
trarb
fôrujelles : 6, rue Xambennont
paris : rue ou flDail, 13
NECROLOGIE
A Varese (Italie) est mort, il y a trois jours, le
célèbre ténor Francesco Tamagno.
Tamagno était né à Turin en i85i, et avait
débuté, après ses études au Conservatoire, comme
choriste au théâtre de cette ville. Bien qu'on lui
eût confié assez rapidement de petits rôles, il
semble que le jeune artiste n'ait pas eu lieu d'être
satisfait de son sort, car, au bout de quelques
mois, il quittait le théâtre et s'engageait dans
l'armée. Mais l'attrait des planches était plus fort
que sa passagère passion des armes ; bientôt,
Tamagno partait pour Milan et, cette fois, après
une période de rude travail, il s'imposa définitive-
ment. Il avait vingt-deux ans quand il débuta,
comme premier ténor, au théâtre Bellini, à
Palerme ; dès ce moment, le succès ne lui quitta
plus. C'est par des ovations enthousiastes qu'il fut
accueilli successivement à Fgrrare, à Rovigo, à
Venise, à Milan, puis à Barcelone et à Lisbone. Il
fut alors réclamé par les impresarii américains, et
il fit dans le Nouveau-Monde, en compagnie de la
Patti, une tournée triomphale. Revenu en Europe,
il chanta dans tous les grands théâtres d'opéra, à
Monte-Carlo, Milan, Paris, Nice, Trieste, où ses
interprétations du Trouvère, des Huguenots, du Pro-
phète, de Guillaume Tell, etc., ont laissé dans la mé-
moire de tous les dilettantes une inoubliable
impresssion, grâce à la puissance et à l'éclat excep-
tionnel de sa voix. Tamagno avait été choisi pour
créer, à Milan, VOiello de Verdi, qu'il chanta
ensuite à l'Opéra de Paris avec Maurel dans
le rôle d'Iago. Ce fut son meilleur rôle, celui
qu'il « composa » le mieux. Comme comédien,
il fut plutôt médiocre et n'a pas laissé le souvenir
d'une création vraiment personnelle.
— Nous apprenons la mort, à l'âge de 60 ans,
du ténor William Mùller, de l'Opéra de Hanovre.
Il exerçait le métier de couvreur lorsque le capell-
meister Henri Dorn le découvrit et lui fit commen-
cer des études de chant qu'il poursuivit ensuite
avec Charles-Louis Fischer. Ses rôles les plus
fameux furent Joseph, Tannhâuser, Lohengrin,
Masaniello, Raoul, etc. Il appartint pendant sept
ans à l'Opéra de Berlin et jusqu'en 1893 au théâtre
de Hanovre, qu'il quitta alors pour des raisons
de santé.
■ — Maurice Auger, chef d'orchestre du Théâtre
tchèque, auteur de plusieurs opéras, opérettes et
ballets, vient de mourir à Prague.
— A Kirneck, dans la Forêt-Noire, est mort le
25 août dernier, âgé de soixante-six ans, le capell-
meister Ferdinand Langer, directeur de l'Opéra
de Mannheim. Il laisse un assez grand nombre de
partitions d'opéras, parmi lesquelles le Voisinage
dangereux (1868), la Belle au lois dormant (1873),
Cendrillon (1878), Murillo (1882) et le Flûtiste du Hardt
(1884). On connaît de lui également un excellent
arrangement d'un opéra de jeunesse de Weber,
Silvana.
— De Venise, on annonce la mort du violoniste
Eusèbe Dworzak, qui fut élève, en Allemagne, de
Ferdinand David et reçut, dit-on, à Paris, des
leçons d'Alard. Après avoir fait partie d'un
orchestre que Ferdinand Laub conduisit en Alle-
magne, en Russie et en Grèce, il devint professeur
au Conservatoire de Leipzig, puis à celui de
Naples, où il fut aussi premier violon de la Società
del Ouartetto. On lui doit plusieurs ouvrages didac-
tiques, parmi lesquels un traité intitulé Analyse du
Violon .
— Le compositeur Enrico Curti vient de mourir
au Caire, en Egypte, où il s'était établi depuis
plusieurs années. Auteur des opéras Cosacchi, Tristi
Amori, et d'une grande scène intitulée De la croix à
répée, il avait voyagé et donné des concerts en
compagnie de son ami le célèbre contrebassiste
Giovanni Bottesini.
LE GUIDE MUSICAL 58g
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5ime année. — Numéros 38-3g.
17 et 24 Septembre 1905.
LES LIEDER ET AIRS DÉTACHÉS
DE
BEETHOVEN
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
archons maintenant un peu
plus vite, car nous sommes en
pays connu. C'est en i8o3
seulement que le fil des Lieder
se renoue, bagatelles charmantes et délas-
sements délicats, au milieu d'une produc-
tion instrumentale de plus en plus active et
géniale. Voici d'abord deux pages, anté-
rieures à cette date, mais parues ensemble
en i8o3 : La Partenza (Le Départ), texte de
Métastase, et Je t'aime, texte de Herrosen,
celle-ci d'une simplicité pleine de grâce.
Puis, Le Chant de la caille (Der Wachtel-
schlag), texte de Sauter, paru en 1804,
mais remontant en réalité au temps de
l'oratorio Le Christ au mont des Oliviers;
une belle et importante composition, très
pittoresque très variée, d'un sentiment
très pur, où le cri de la caille est mis
en relief de la façon la plus heureuse (et la
moins traduisible d'ailleurs : Fùrchte
Gott!... Liebe Gott!... Lobe Gott!...
Danke Gott!... Bitte Gott!... Traue
Gott!...).
A la même date appartient également un
Lied que nous retrouverons en 1810, publié
avec cinq autres : V Avertissement de Gretel,
trois couplets très doux, sur un thème (de
Halem) analogue aux plaintes de Margue-
rite délaissée.
Une autre mélodie parut en i8o3, sur
des paroles allemandes et italiennes, sans
nom d'auteur : Le Bonheur de V amitié;
c'est un gazouillis gracieux. Mais surtout
voici le cahier des Six Lieder de Gellert (op.
48), dédié au comte de Browne et dont le
caractère spécial est une piété profonde
avec une élévation et une majesté toutes
religieuses, sur un accompagnement qui
souvent donne l'impression de l'orgue. La
simplicité large et classique de La Prière,
l'accent pénétrant de La Mort et de ses
cloches funèbres, surtout la noblesse
superbe et grandiose de La Gloire de Dieu
dans la nature, sont dignes des plus hautes
inspirations beethovéniennes. Mais c'est
Le Chant de pénitence qui est la page la plus
belle, et la plus développée aussi, avec ses
deux parties en opposition, la première
d'une onction admirable, et la seconde
comme un cri de joie du plus fier caractère.
« On ne connaît pas Beethoven à fond
(dit encore Marx) si l'on ignore ce chant de
contrition. »
Cette année est celle de la romance en sol
pour violon . et de la sonate pour piano,
5g2
LÉ GUIDE MUSICAL
violon et violoncelle (op. 47). La suivante,
où apparaissent la Symphonie héroïque et le
concerto pour piano, violon et violoncelle
(op. 56), ne nous apporte qu'une mélodie,
la belle page si connue : A l'espérance,
(op. 32), tirée de YUranie de Tied'ge, alors
récemment parue. Le motif est simple et
gracieux, mais d'une ligne un peu froide,
d'autant qu'il se répète en trois couplets.
Nous verrons que Beethoven reprit plus
tard le texte de cet « essai » en variant
les strophes et en les faisant précéder d'un
récitatif, transformation qui donne à l'œu-
vre infiniment plus d'ampleur.
Jusqu'en 1810, au surplus, les Lieder
sont rares. C'est en 1806, peut-être, après
la quatrième symphonie et Fidelio, qu'il
faut placer une page douce et mélancolique
qui, sous le nom de Plaintes sur l'infidélité
de Lydie, a été écrite par Beethoven sur
une traduction libre qu'un ami lui avait
donnée de certains couplets français d'Hoff-
man (dans son opéra Le Secret, musique
de Solié). C'est en 1807, probablement,
après l'ouverture de Coriolan et la sympho-
nie en ut mineur, que l'on doit inscrire
cette « ariette » sublime de sobriété
grandiose : In questa tomba oscura, qui
parut à Vienne comme la soixante-troi-
sième et dernière variation du même texte
de Carpani, mis en musique par divers
musiciens pour être offert au prince de
Lobkowitz. C'est en 1808, après la Sym-
phonie pastorale, que parut la première
version de la Sehnsucht de Gœthe, que
Beethoven devait varier jusqu'à quatre fois,
et dont les quatre états, publiés en 1810,
forment une progression si intéressante,
tout à l'avantage de la dernière, moins
écourtée et d'un accent superbe. C'est
en 1809 enfin, après le dixième quatuor et
le huitième concerto de piano, que se
placent trois morceaux de caractère très
divers : une ariette de Métastase, L'Amante
impatiente, qui fera partie d'un cahier
spécial de 181 1, un peu pastiche italien;
une poésie de Reissig, Chant venu de loin,
composition pittoresque, enjouée, pleine
de verve délicate, un peu dans le genre
à' Adélaïde et avec sa variété de mouve-
ments ; enfin une belle page beaucoup plus
courte, La. Plainte à voix haute (Die laute
Klage), de Herder, originale comme motif
mélodique et d'un style très intéressant.
Mais 1810 nous retiendra bien davan-
tage. Ace moment, je veux dire entre lai
sixième symphonie et les deux suivantes
(1812), il y a comme une détente, chez
Beethoven, dans l'activité de sa production
symphonique. Le sextuor (op. 81), le
onzième quatuor, le beau trio pour piano,
violon et violoncelle (op. 97) et surtout
Egniont, qui encore a des parties chantées,
voilà tout ou à peu près. Au contraire,
dans le domaine lyrique, ces années 1810-j
181 1 comptent les Ruines d'Athènes et Le\
Roi Etienne, avec les Lieder que nous allons
rapidement passer en revue.
D'abord les Six airs (op. y5) d'après des
poésies de Gœthe et de Reissig, publiés en
un seul cahier, en décembre 1810, et dédiés
à la princesse Kinsky.
Le recueil est assez mélangé et laisse
quelque déception; il est de ceux qui
accusent le plus nettement l'infériorité de
Beethoven, dans ce genre, au prix d'un
Schubert ou d'un Schumann. Le chant de
Mignon manque tout à fait de profondeur.
Marx trouvait qu'ici, par extraordinaire, la
musique ne semble pas issue du texte, que
ce chant n'est pas un Lied, comme on l'es-
pérait, mais une mélodie quelconque.
« Au lieu de l'évocation de l'enfance de la
jeune fille, c'est un développement presque
religieux, et faux ici. » De même, la
chanson de la puce, tirée de Faust, semble
moins entonnée par Méphistophélès que
par ce Meister Floh dont Hoffman nous a
conté l'histoire. Le morceau est d'ailleurs
très réussi, d'une superbe bouffonnerie
allemande, et le si naturel qui conclut
chaque couplet est original. L'autre poésie
de Gœthe est intitulée Nouvel amour,
nouvelle vie. La mélodie, à la Mozart,
est encore dans le goût d'Adélaïde, avec
plus de gaîté et moins de charme, mais
une vie débordante.
Quant aux deux pièces de Reissig, ce
ne sont que de petites chansons à couplets,
comme les deux autres du même poète,
LE GUIDE MUSICAL
593
publiées ailleurs : Le Jeune Homme à l'étran-
ger et L'Amoureux ; ce dernier Lied cepen-
dant, plus développé, est très gracieux et
animé d'un beau courant d'harmonie.
A la même époque à peu près remonte le
cahier des Quatre ariettes et un duo tirés des
poésies de Métastase. L'italianisme en
est très curieux, un italianisme parfois
mozartien, ce qui ne lui fait pas de tort,
et d'une très harmonieuse élégance. A
noter encore Trois airs de plus, de Gœthe,
(op. 83), dont deux au moins d'un beau
style : La Joie de la mélancolie, page simple
et pénétrante, et Avec un ruban peint, mé-
lodie délicate et pure, d'une grâce aimable.
Une autre Aspiration (Sehnsucht), toute
différente de celle qui a été citée plus haut,
a moins réussi à Beethoven.
Mais la perle de cette année est sans
conteste le Lied de Matthisson qui parut à
Leipzig, au mois de mai, sous le titre
Andenken, qu'on pourrait traduire par
« Echange de pensées » :
« Je pense à toi, ici, là, partout.... Penses-
tu à moi ?... » Décidément, Matthisson a
été souvent plus favorisé que Gœthe ; cette
page est absolument délicieuse, d'une
grâce et d'une ligne ravissantes.
Enfin, je note tout de suite, bien que de
la fin de 1811, une mélodie de Stoll : A la
bien-aimée, dont le tour est très original.
Pour une raison qui échappe, Beethoven
l'a reprise l'année suivante pour en changer
tout l'accompagnement; le premier était
pourtant le meilleur.
#**
Ici, il convient de parler d'une vaste entre-
prise à laquelle non seulement Beethoven
consentit à se livrer, mais qui lui tint
. longtemps à cœur et qu'il mena avec
ardeur, par cahiers successifs, jusqu'à
cent trente-deux numéros, de 1810 à 1816.
C'est la série des Chansons populaires
anglaises avec accompagnement de piano,
violon et violoncelle. L'histoire vaut qu'on
la conte, car on la connaît assez peu.
L'Ecossais Georg Thomson avait conçu
de bonne heure l'idée de récolter et de faire
transcrire musicalement les chants popu-
laires de son pays. Après avoir songé à une
adaptation de ces thèmes en sonates (!), il
se résolut à les conserver en Lieder propre-
ment dits, ce qui était plus naturel, mais
avec un accompagnement symphonique. Il
commanda donc à un certain nombre de
poètes anglais des couplets sur ces thèmes,
dans leur sens traditionnel, et les adressa
à divers musiciens, Beethoven, Haydn,
Kozeluch, entre autres. Ces deux derniers
se lassèrent assez vite, et Beethoven bientôt
s'attacha presque seul à l'ensemble du
travail. L'originalité du genre le séduisait
et l'étoffe que chaque mélodie proposée
pouvait lui offrir pour le groupement des
instruments. Il serait sans doute excessif
d'en parler longuement ici, puisque aussi
bien les Lieder ne sont pas de lui, mais
leur adaptation mérite au moins de nous
arrêter (1).
Ce n'est pas qu'elle ne soit assez inégale
comme inspiration. Quando dormitavit
Beethoven... Il y a une différence très sensi-
ble, au point de vue de la richesse harmo-
nique, du coloris des instruments, bref, de
l'invention musicale, entre certaines séries
tout entières et certaines autres. Il est
d'ailleurs impossible de savoir dans quel
ordre rigoureux Beethoven a écrit ces
morceaux, mais le groupement actuel par
séries, qui n'est pas celui de l'édition
anglaise, doit avoir été motivé par ses
propres cahiers manuscrits. Les Lieder
irlandais (i8io-i8i5) sont ainsi répartis en
trois cahiers de vingt-cinq, vingt et douze,
plus cinq qui font partie d'une petite série
de douze de tous pays. Les Lieder gallois
(18 12- 18 14) forment un seul recueil de
vingt-six. Les Lieder écossais (i8i5-i8i6)
sont compris dans deux cahiers de douze
et de vingt-cinq, ce dernier seul paru en
Allemagne, en 1821, avec numéro d'œuvre
(op. 108), mais si méconnu, si dédaigné,
fi) Leur étude m'a. été facilitée par notre collabora-
teur M. A. Goullet, qui a bien voulu les exécuter chez
lui avec le concours de plusieurs de ses collègues de la
Société des Concerts du Conservatoire; qu'ils reçoivent
ici mes vifs remercîments.
594
LE GUIDE MUSICAL
que les planches en furent détruites. Enfin
le cahier de Douze Lieder divers comporte
trois mélodies anglaises, cinq irlandaises,
deux écossaises, une sicilienne et une véni-
tienne.
Le caractère général de ces morceaux
est très populaire et très spécial, très
anglais, non sans monotonie à la longue, à
cause de la tonalité mineure de la plupart,
et d'autant que chacun a souvent de nom-
breux couplets, ordinairement à une voix,
parfois à plusieurs, ou encore donnant
l'impression d'un chœur de veillée, à
l'unisson.
Les séries les plus intéressantes, de
beaucoup, sont celle des vingt-cinq Lieder
écossais et celle des vingt-six gallois. Les
Irlandais ont moins inspiré Beethoven; ils
ont un joli accent doux et mélancolique,
mais peu varié. Les Ecossais offrent un
caractère plus romantique, plus poétique,
et l'accompagnement, soit qu'il souligne le
motif original de la mélodie, soit qu'il se
développe absolument en trio (Beethoven
a souvent fait suivre ces Lieder de vrais
morceaux symphoniques), est toujours des
plus intéressant en lui-même. Je me borne
à signaler, entre bien d'autres, les nos 2
{Soleil couchant), original et très beau;
6 (Mon œil est trouble), exquis de caractère
populaire; 8 (La Belle Fille d'Inverness), dont
la mélodie a une mélancolie toute gluckiste
et l'accompagnement semble un fragment
de quatuor beethovénien; 12 {Ma destinée...),
dont le motif mélodique, délicat, est plus
suivi que d'ordinaire et l'accompagnement
important aussi; i5 (Mon père fut cruel),
aussi gracieux que distingué; 17 (Marie),
gai, clair, dansant; 24 (Encore une fois, ô
ma lyre), le Lied le plus air de tous, avec
des effets exquis de grâce délicate....
Pour qu'on n'ait pas compris ces Lieder,
dans l'Allemagne de 182 1, il faut qu'on ne
se soit pas donné la peine de les exécuter.
Quant aux gallois, ils ont plus de relief
encore. D'abord, on trouve soudain aux
mélodies un tout autre caractère, plus
d'entrain, une allure plus libre, plus en
dehors, et qui n'est plus éternellement en
mineur ; puis l'accompagnement est plus
développé aussi, plus nourri. Presque tous
ces Lieder sont à voir : le 4 (Amour sans
espoir), expressif au possible, avec un
accompagnement de premier ordre; le 6
(Les Belles Filles de M on a), original et char-
mant, léger, très enveloppé; le g [La Harpe
éolienne), une vraie mélodie, à rapprocher
de celle qui a fait la fortune de la Martha
de Flotow; les 1 et 12, deux chasses
pleines de vivacité; le 14 (Le Rêve), un
charmant duo très concertant; le i5 (Les
Mortels...), un chant large et émouvant,
dans une harmonie nerveuse et mouve-
mentée ; le 20 (Le Merle), original et terminé
par un vrai morceau d'instruments; le 25
(Le Baiser), air pénétrant et accompagne-
ment délicat entre tous... Tant d'autres
enfin!
Revenons aux propres compositions ly-
riques de Beethoven, et à cette période de
dix années qui sépare la symphonie en fa
de la neuvième et des derniers quatuors.
Les Lieder, les vrais surtout, se font plus
rares, mais on va voir s'il en est de premier
ordre! Passons sur la ballade pour basse :
L'Esprit du barde (181 3), d'un joli sentiment
harmonique, mais trop écourtée, parce que
les huit couplets se répètent ; sur le Chant
du rossignol de Herder (Supplément, i8i3),
plus développé et d'une fraîcheur char-
mante; sur cette autre ballade à deux voix,
à la gloire du château de Merkenslein
(op. 100, 18 14), dont le Supplément contient
encore une version pour voix seule; sur
Y Adieu du guerrier (18 14), toujours à cou-
plets, ou sur l'Aspiration (i8i5) du même
Reissig, celle-ci cependant délicate et ori-
ginale ; sur Y Homme de parole (op. 99) ou
cette douce romance, avec accompagne-
ment de harpe, que Beethoven a écrite la
même année pour un drame de Duncker,
Leonora Prohaska (Supplément, 181 5)...
Tous ces morceaux sont pièces de circon-
stance, comme les deux fragments de can-
tates insérés dans les deux pièces de
Treitschke (Bonne Nouvelle et Les Portes de
la gloire) exécutées au théâtre de Vienne
en 1814 et i8i5 pour célébrer la chute de
Napoléon; Beethoven a écrit les deux
finales, pour basse seule et chœur, avec
LE GUIDE MUSICAL
595
orchestre, intitulés : La Renaissance de la
Germanie et Tout est consommé !
Mais il n'en est pas de même avec 1816,
et voici tout à fait des pages de choix.
D'abord Le Secret (de Wessenberg), léger,
distingué; très original. Puis A V espérance,
la nouvelle version de la belle poésie de
Tiedge (op. 94) et l'une des compositions
lyriques les plus fortes de Beethoven, les
plus intéressantes à étudier comme style;
très difficile, d'une ampleur superbe, ce
Lied y un larghetto précédé d'un récitatif, a
des expressions pénétrantes et neuves,
qu'on serait tenté de qualifier de wagné-
riennes ; on voudrait l'entendre avec une.
grande voix de soprano dramatique... Enfin
les six Lieder de Jeitteles intitulés A la
bien-aimée lointaine (op. 98), le seul « cycle
de Lieder » qu'ait écrit Beethoven, et le
modèle probablement de tous les autres;
une suite d'inspirations exquises, intime-
ment liées par d'admirables transitions.
Au premier mouvement, assez lent,
l'amant, sur la colline, regarde au loin dans
l'espace du côté où a disparu son aimée
et l'appelle avec une expression profonde
et harmonieuse. Au second, il lui semble
qu'il va pouvoir s'élancer à sa suite, puis le
découragement le reprend. Nul bonheur
ne sera plus pour lui. La mélodie est ravis-
sante et d'une souplesse d'allure, selon les
sentiments, vraiment délicieuse ; la transi-
tion du premier allegretto, pianissimo, à
l'allégro subit, qui bientôt retombe en
adagio, est de toute beauté. Le troisième
mouvement, où l'allégro reprend, tout hale-
tant, n'est pas moins exquis : l'amant
invoque les oiseaux, les nuages au vol
rapide, les supplie d'être les messagers de
sa plainte. Puis c'est le gracieux passage
où il ne songe plus qu'à décrire l'objet de
son amour; puis sa pensée se retrace tout
ce débordement de vie et d'amour dont la
nature est pleine, en un vivace léger, fré-
missant, qui est un vrai concert d'oiseaux.
Enfin l'amant, apaisé, envoie ses chants à
la bien aimée et la conjure de les accueillir;
et cet andanle con moto, cantabile, qui
devient un instant molto adagio, comme
une rêverie, avant de finir en un vif allegro
cou brio, est peut-être la page la plus
superbe de toutes et vraiment idéale de
souplesse et de charme.
Ce petit chef-d'œuvre a toujours profon-
dément frappé les historiens de Beethoven.
Marx y trouve très justement l'essence
parfaite du Lied proprement dit (1) : « Pa-
role et mélodie sont ici une même chose,
chant et déclamation sont inséparables; on
ne peut ni mieux chanter, ni dire avec plus
de force. » Ici, plus de couplets, car
« chaque strophe a sa mélodie à elle, qui
varie l'expression générale selon le texte ».
J'ai à peine besoin de dire que l'exécution
de cette petite suite est des plus difficiles
qui soient; mais ce n'est pas un mal.
Après quoi nous retombons dans les
bluettes et les pièces d'album ; chanson de
Treitschke : Appel du haut de la montagne
(décembre 1816); courte Cantate, solo et
chœur, au piano, pour le prince de
Lobkowitz (1816); fantaisie en six couplets
de Lappe : Ceci ou cela (1817), ou, ce qui
vaut mieux, un vrai Lied, Résignation (18 17),
d'un tour original et sincère.
Cependant, trois ans plus tard, voici
deux belles inspirations encore : Le Chant
du soir sous le ciel étoile et Pense à moi!
(1820, ce dernier au Supplément). Ce sont
de larges et nobles pages, d'une grandiose
simplicité : la première, plus développée,
constamment dans une demi-teinte comme
mystérieuse, la seconde, trop courte, d'une
pureté sereine tout idéale.
Enfin, une gentille ariette, une plaisan-
terie plutôt, pas trop légère, Le Baiser
(op. 128), et une nouvelle version du Chant
du sacrifice de Matthisson (op. I2ibis; ter-
minent avec l'année 1822 l'ensemble des
compositions de Beethoven pour voix seule.
Cette dernière page est du moins du plus
grand Beethoven : le style, l'ampleur noble
de la première mélodie s'y retrouvent,
(1) Il ajoute aussi : « la source même d'inspiration où
puisera Schubert»; et d'autres critiques font la même
observation, sans réfléchir qu'à cette époque Schubert
avait déjà écrit plus de 280 de ses Lieder et beaucoup
des plus originaux et des plus remarquables. Les deux
maîtres ont puisé, chacun de son côté... Et pourquoi
pas
596
LE GUIDE MUSICAL
mais élargis à grand orchestre et avec
chœur. La beauté de ce sujet plaisait
d'ailleurs singulièrement à son esprit, car le
Supplément de ses œuvres contient encore
une version de ce même chant, cette fois
à trois voix... Et puis ce genre de compo-
sition vocale attira toujours Beethoven.
N'oublions pas que nous sommes arrivés
au moment de la messe en ré et de la sym-
phonie avec chœurs.
Il resterait peut-être, si d'ailleurs cette
étude n'était déjà bien longue, à interroger
Beethoven sur le choix des poésies qu'il a
mises en musique et que nous venons de
passer en revue. Mais poser cette question,
n'est-ce pas déjà la résoudre dans le sens
de l'impression que je formulais au début?
Beethoven, en face d'un sujet digne de
l'inspirer, soit par le fond, soit par la forme,
s'élève aux plus belles conceptions ly-
riques; mais c'est par occasion, en quelque
sorte. Il n'accepte pas toujours ce qui se
présente à lui [témoin certaine lettre d'ex-
cuses à un poète dont il se déclare inca-
pable de mettre en musique les « chants
anacréontiques » et trop descriptifs (i)],
mais il ne semble pas chercher; en tous
cas, il le fait au hasard, et sans plan, bien
différend d'un Schubert, dont l'avidité
intelligente se montre en quête des plus
belles productions des poètes de l'Alle-
magne et de tous leurs rythmes, de tous
leurs caractères, sans s'inquiéter de leurs
difficultés particulières, qui, au contraire,
l'exaltaient (comme Schumann le souligne,
avec admiration.)
Beethoven, lui, s'en inquiétait, ou se
décourageait et n'achevait pas (ce qui est
d'une rare probité artistique, par paren-
thèse). Nous l'avons vu par les esquisses
qui ont été retrouvées et qui ne sont cer-
tainement pas les seules qu'il ait écrites.
Il a puisé dans Gœthe (dont le théâtre
surtout semble l'avoir frappé), et ce sont les
pages de Gœthe qui sont de beaucoup les
(i) i5 juillet 1817. Pour cette lettre et celle que je
cite plus loin, voir la Correspondance choisie de Beethoven,
si exactement traduite par M. Jean Chantavoine.
plus nombreuses ici : on en compterait
jusqu'à douze, achevées ou non, pas tou-
jours heureuses, il faut bien le dire, ni
caractéristiques. On trouve ensuite six
poésies de Gellert, six de Reissig, six de
Jeitteles (ceci une trouvaille musicale), trois
de Matthisson, trois de Bùrger, deux de
Herder, puis, par unités, Lessing, Tiedge,
Pfeffel, Hôlty, et une quinzaine d'inconnus
ou d'amateurs. Parmi les étrangers, Métas-
tase presque uniquement l'a attiré avec
six ariettes.
Ainsi, rien de Schiller (car nous ne pou-
vons compter ici Y Ode à la joie), rien de
Klopstock,rien deUhland ou deKoerner...
Positivement, Beethoven craignait de
n'être pas à la hauteur de son texte. Pour
mieux dire, il craignait d'être obligé de le
respecter. Plus d'un passage de ses lettres
semble indiquer cette répugnance ou cette
timidité à toucher à une poésie déjà par-
faite en elle-même. Celui-ci, notamment, par
lequel je finirai, car il est caractéristique
et justement postérieur à toute la série des
Lieder. Beethoven répondant, en 1824. à la
Société des Amis de la musique, de Vienne,
au sujet d'un oratorio que ceux-ci lui
avaient demandé et pour lequel il trouvait
des remaniements nécessaires, ajoute :
« Quoique le sujet soit très bien trouvé
et que la poésie ait sa valeur, le texte ne
peut rester tel qu'il est. Le Christ au mont
des Oliviers a été écrit [en 1800] par le
poète et par moi en quinze jours de temps.
Mais le poète [Huber] était musicien et
avait déjà écrit plusieurs choses pour être
mises en musique : je pouvais à chaque
instant causer avec lui. Laissons de côté
la valeur de ces poésies-là... Mais pour
moi, j'aimerais mieux mettre en musique
Homère lui-même, Klopstock, Schiller :
au moins, s'il y a aussi des difficultés à
vaincre, ces poètes immortels le mé-
ritent!... » Henri de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL
597
PRINCESSE RAYON DE SOLEIL
Légende féerique en quatre actes, poème flamand de
M. Pol de Mont, version française de M. Marcel
Lefèvre, musique de M. Paul Gilson. Représentée
pour la première fois en français au Théâtre royal de
]a Monnaie le g septembre igo5.
'est une belle œuvre, une très belle
œuvre que vient de nous donner le
théâtre royal de la Monnaie. Par sa
clarté mélodique, par la richesse et la
j distinction charmante de son revêtement harmo-
nique, par la nouveauté de l'instrumentation, par
tout un ensemble de qualités qui lui donnent une
véritable valeur musicale et poétique, elle s'élève
de beaucoup au-dessus de la moyenne des produc-
tions contemporaines.
Ce serait même un chef-d'œuvre, si le poème
qu'illustre la musique de M. Paul Gilson avait les
mêmes mérites absolus. Je me hâte de dire que ce
poème est loin d'être banal. Son auteur, M. Pol de
Mont, qui est un vrai poète et l'une des personna-
lités attachantes de la jeune école littéraire
flamande, n'a pas maladroitement adapté la popu-
laire légende de la Belle au bois dormant.- Cette
adaptation a tout au moins le très appréciable
mérite d'être originale et de ne ressembler en rien
aux affabulations scéniques plutôt plates et pué-
riles qui, depuis un siècle, en France, en Italie
comme en Allemagne ont, à différentes reprises,
défloré cette donnée mythique si captivante.
Mais dans sa composition dramatique, il n'a pas
pris garde à la proportion relative de ses person-
nages et il a mêlé au thème primitif trop de
rappels légendaires et de souvenirs littéraires. Les
poèmes wagnériens semblent particulièrement
l'avoir hanté. A chaque pas se rencontrent des
réminiscences de Parsifal, de Siegfried, d'Alberich,
de Mime, d'Ortrude et de Telramund. La méta-
morphose initiale du héros en un cerf blanc
rappelle un des thèmes favoris de la poésie primi-
tive où les substitutions de ce genre jouent un grand
rôle; mais elle est d'un effet scénique bien pénible.
L'antagonisme du roi Haïobaud et de Walpra
eût été un point de départ excellent, s'il avait été
logiquement développé. Seulement, ce farouche
guerrier que l'ambition pousse jusqu'au fratricide
est, dans la pièce, un père un peu doucereux et un
personnage bien peu consistant. On l'endort au
premier acte et il se réveille au quatrième pour
être tué aussitôt.
On pouvait obtenir de saisissants contrastes ea
opposant la lutte inutile des puissances de haine
et de mort à la tranquille et sûre conquête des
puissances d'amour et de vie. Et l'on aurait dû
éviter de ramener au quatrième acte ces deux
personnages et de couper la belle et émouvante
exaltation lyrique de la rencontre des deux êtres
de beauté et d'amour par une scène de meurtre et
de suicide sans effet parce qu'elle n'est préparée
par rien.
Le poème, en un mot, pèche par la composition,
C'est le défaut général de tout le théâtre flamand.
Il est intéressant par l'observation des mœurs, par
la justesse de ton et de couleur des tableaux qu'il
nous présente ; il n'a pas encore atteint la coordi-
nation qui fait l'œuvre d'art parfaite. Les morceaux
en sont bons, quelquefois excellents ; l'ensemble
reste de facture naïve et gauche.
Ce qui, en revanche, est tout à fait réussi et
délicieux dans le poème de M. Pol de Mont, c'est
l'élément lyrique. Dans tous les épisodes où cet
élément domine, on retrouve le délicat poète et
l'on est gagné par le charme savoureux et gracieux
des tableaux qu'il évoque. Et ce charme est si
prenant qu'il fait passer sur les insuffisances de la
composition.
C'est aussi à cet élément lyrique que M. Paul
Gilson doit le meilleur de ses inspirations. Tout
ce qui s'y rattache dans sa partition est remar-
quable par la sève mélodique et la surprenante sou-
plesse de la facture. Les petits chœurs de fileuses
et d'enfants, l'entrée des chasseurs au premier
acte, l'évocation des frimas par la magicienne
Walpra et la tempête qu'elle déchaîne, les ensem-
bles des trois chanteurs scaldes, — la ballade de
la Belle au bois endormie avec son accompagne-
ment de harpes, — le petit chœur des bûcheronnes
au troisième acte, une page tout à fait originale par
la justesse de l'expression et nouvelle par la simpli-
cité même des moyens employés, — les rêveries
de Tjalda dans la forêt au troisième acte, le récit,
en manière de Lied, de ses pérégrinations, de ses
5gS
LE GUIDE MUSICAL
doutes et de ses aspirations au moment où il se
retrouve devant la princesse Rayon de Soleil ; le
puissant et entraînant duo d'amour des deux
amants sur un rythme ternaire de valse qui se
prolonge en une progression d'un élan merveil-
leux; l'éclatant final qui clôt l'œuvre en un bel
ensemble choral; il y a là une succession de pages
hors pair, tour à tour aimables ou colorées, douces
ou puissantes, où le charme sans cesse changeant
des harmonies les plus séduisantes se double de la
sonorité exquise de l'orchestre le plus chatoyant
qui se puisse imaginer.
Sans doute, Richard Wagner a passé par là, et
un peu aussi le chromatisme de César Franck,
associé à des mélismes d'origine slave. Mais si
M. Gilson, depuis longtemps connu comme un
musicien très érudit, s'inspire de ses prédécesseurs
immédiats, il le fait avec une si jolie habileté, avec
une si parfaite maîtrise dans l'art de varier les
rythmes, les harmonies et les polyphonies les plus
rebattues, qu'il en redevient personnel et qu'il reste
original.
Dans l'art d'instrumenter il est passé maître
depuis longtemps. Il connaît comme personne les
instruments à vent, pour lesquels il a d'ailleurs
beaucoup écrit, et il réussit à tirer de leur emploi
judicieux des effets de sonorité imprévus et déli-
cieux.
Pour le musicien comme pour l'amateur sérieux
de musique, la partition est à ce point de vue par-
ticulièrement curieuse et cela n'étonnera aucun de
ceux qui ont suivi M. Paul Gilson depuis ses débuts
aux Concerts populaires avec le poème sympho-
nique La Mer. C'est un merveilleux assembleur de
timbres. Les cors et les trompettes bouchées s'unis-
sant aux flûtes, ou aux clarinettes, ou au quatuor des
cordes en sourdine, lui donnent des susurrements
mystérieux tout à fait saisissants et en situation. A
la fin du premier acte, par exemple au moment où
Walpra énonce sa malédiction, le compositeur
n'hésite pas à lancer des traits chromatiques de
flûtes du grave à l'aigu et inversement — martelés
par des traits analogues d'un piano placé dans
l'orchestre — sur le chant soutenu du quatuor des
cordes jouant, avec sourdines, fortissimo le thème
du Sommeil. Cette combinaison est assurément
nouvelle. La sonorité ainsi obtenue est étrange,
frissonnante et grésillante ; elle accompagne mer-
veilleusement le tourbillon de neige et le glacis de
nuées qui estompent toutes choses sur la scène.
Il faut encore signaler, au second acte, l'heureuse
association du piano avec les cors, à l'ensemble
des scaldes. Le piano se fond admirablement avec
la sonorité des cors et donne par son martèlement
5 une arête plus vive à la ligne rythmique du dessin
des instruments à vent. La partition d'orchestre
n'étant pas publiée, il serait impossible de noter
toutes les particularités intéressantes d'une instru-
mentation colorée, pleine d'intentions descriptives,
de trouvailles heureuses, variée, souple, jamais
bruyante et toujours distinguée.
Mais ce qu'il faut admirer par-dessus tout, c'est
le large souffle poétique, l'élan mélodique et la
belle ordonnance polyphonique de la composi-
tion. Elle est tout d'une venue, chaleureuse et
bien équilibrée néanmoins, naïvement gracieuse
et pleine de fraîcheur, ou sévère et farouche,
rêveuse et délicatement caressante, ou exultante
d'un lyrisme débordant selon les situations les
tableaiix qu'elle accompagne. Au point de vue
musical, c'est une œuvre de réelle et remarquable
maîtrise, la révélation d'un talent exceptionnel et
vraiment supérieur.
La première représentation s'est terminée par
un triomphe sans précédent pour le jeune maître,
— il a tout juste quarante ans aujourd'hui, —
acclamé et ovationné par un public enthousiasmé
qui a tenu à associer dans ses rappels le nom du
chef d'orchestre, M. Sylvain Dupuis, à celui du
compositeur. C'est que l'ouvrage, singulièrement
difficile, avait été remarquablement mis au point
par lui, et travaillé avec un soin attentif et pas-
sionné par le bel orchestre du théâtre.
Du côté de la direction, rien n'avait été négligé
pour donner à l'œuvre un cadre pittoresque et une
exécution vocale digne d'elle. Mlle Francès Aida,
adorablement séduisante en Rayon de Soleil et
merveilleusement en voix, avec ses notes aiguës
d'un timbre si pénétrant et si clair; Mme Bressler-
Gianoli. qui a composé en grande artiste et chanté
dans un beau style soutenu le rôle plutôt ingrat de
la magicienne Walpra; M. Altchevsky, le ténor
LE GUIDE MUSICAL
099
russe récemment engagé et qui a fait dans le rôle
de Tjalda son entrée définitive et triomphante sur
la scène de la Monnaie; M. Artus, un roi Haïo-
baud de belle tenue; M. Dognies, un scalde à la
diction intelligente, accompagné de MM. François
et Crabbé; des chœurs heureusement groupés et
vaillants de sonorité; des décors profonds et poé-
tiques de M. Dubosq; des effets de lumière saisis-
sants, tout cet ensemble a contribué à la très
artistique impression de cette soirée, qui marque
une date gloiieuse dans l'histoire de l'art lyrique
belge. C. K.
Œfifilj;
LA SEMAINE
PARIS
— M. Massenet ayant entièrement terminé la
partition d'Ariane, dont le poème est de M. Catulle
Mendès, il est probable que ce drame lyrique sera
la première nouveauté de la saison à l'Opéra.
C'est, du moins, le désir de M. Gailhai'd, qui est
parti pour Egreville, où villégiature M. Massenet,
afin de traiter cette question avec le maître.
M. Gailhard voudrait commencer les répétitions
dès le mois prochain et donner Ariane en janvier.
Par suite, le Bondha de M. Vogrich, serait
reporté à une date ultérieure.
— Au Conservatoire :
L'inscription pour les cours d'admission aura
lieu à partir du Ier octobre, de 9 à 4 heures. Les
demandes seront reçues jusqu'aux dates ci-après,
dernier délai :
Déclamation dramatique (hommes), lundi 9
octobre.
Déclamation dramatique (femmes), mardi 10
octobre.
Harpe, piano (hommes), vendredi i3 octobre.
Chant (hommes et femmes), mardi 17 octobre.
Violon, samedi 28 octobre.
Flûte, hautbois, clarinette, basson, vendredi 3
novembre.
Piano (femmes), lundi 6 novembre.
Cor, cornet à pistons, trompette, trombone, jeudi
9 novembre.
Contrebasse, alto, violoncelle, samedi n no-
vembre.
Comme de coutume, les concours d'admission
auront lieu dans la huitaine qui suivra la clôture
des inscriptions. Les aspirants inscrits seront
convoqués par lettre.
— Nous apprenons avec plaisir les succès que
Mme Riss-Arbeau, la si remarquable pianiste, dont
nous avons plus d'une fois vanté les qualités rares,
vient de remporter à Aix-les- Bains et à Dieppe.
Dans la première de ces villes, c'est le concerto
en ut mineur de M. G. Pierné et la polonaise en
mi bémol de Chopin qu'elle a exécutés, avec
l'orchestre de M. Jehin. Dans la seconde, il s'agis-
sait de tout un festival Pierné, qui comportait pour
la part de Mme Riss-Arbeau un prélude avec fugue
et un nocturne en forme de valse, sans compter
le même concerto. Cette musique colorée et distin-
guée, supérieurement rendue, a fait la plus vive
impression.
— Le concours de composition musicale sym-
phonique (fondation Cressent) institué par le
ministère des beaux-arts est actuellement ouvert ;
il sera clos le 3i mars 1906. Les partitions seront
reçues à la direction des beaux-arts, bureaux des
théâtres, 3, rue de Valois, du ier au 3i mars 1906.
Un prix de 20,000 francs et une prime de i,5oo
francs pour frais de copie seront attribués au
lauréat de ce concours, et, d'autre part, une somme
de 4,000 francs ou de 10,000 francs sera mise à la
disposition du chef d'orchestre qui exécutera la
partition couronnée : 4,000 francs pour une sym-
phonie proprement dite ou une suite d'orchestre,
10,000 francs pour un poème symphonique avec
soli et chœurs. D'autres combinaisons de prix et
de mentions pourront également être adoptées
par le jury. Les concurrents en trouveront rénu-
mération, ainsi que les autres détails d'organisa-
tion du concours, dans le règlement en date du
i5 décembre 1904, dont un exemplaire sera envoyé
à toute personne qui en fera la demande à la
direction des beaux-arts (bureau des théâtres, 3,
rue de Valois).
— Le projet de loi portant fixation du budget
général de l'exercice 1906 vient d'être imprimé.
Les rapports spéciaux pour chaque ministère
paraîtront ultérieurement. En ce qui concerne les
théâtres et les concerts subventionnés, les chiffres
proposés pour 1906 sont identiques à ceux qui ont
6oo
LE GUIDE MUSICAL
été votés pour 1905. Il en est de même quant aux
dépenses du personnel du Conservatoire ; elles
restent fixées à 193,200 francs.
Aucun changement n'est proposé non plus sur
le chapitre des succursales et écoles dans les
départements.
Les dépenses de matériel du Conservatoire sont
l'objet d'une augmentation de 6,5oo francs.
Une somme égale a déjà été accordée à titre
de crédit supplémentaire pour 1905, au mois de
juin dernier, afin de permettre l'organisation des
concours publics dans la salle de l'Opéra-Comique.
Il est donc à peu près certain que cette somme,
dès à présent proposée, sera maintenue dans le
budget définitif de 1906, qui sera voté à la fin de
la présente année.
— Mme Roger-Miclos, l'éminente pianiste, doit
épouser à la fin du mois M. Louis-Charles
Battaille, le baryton fondateur du quatuor vocal
qui porte son nom, et dont nous avons signalé
l'hiver dernier la remarquable interprétation des
œuvres de Schumann.
— Sclwla Cantorum. — Réouverture des cours le
lundi 2 octobre. Le directeur des études fera lui-
même passer les examens d'admission à tous
les aspirants élèves, qui seront convoqués par
lettre. S'inscrire au secrétariat, 269, rue Saint-
Jacques, du 10 au 25 septembre.
— Afin de justifier la confiance toujours crois-
sante des artistes, l'administration des concerts
A. Dandelot transférera ses bureaux, à partir
du i5 octobre, au n° 83 de la rue d'Amsterdam,
dans l'hôtel précédemment occupé par Mme Chéné.
M. A. Dandelot y recevra chaque jour de 2 heures
à 4. Les bureaux seront ouverts de 9 heures à 6.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Le théâtre de la Monnaie a repris cette quin-
zaine la Fiancée de la mer, l'œuvre originale de
MM. De Tière et Jan Blockx, adaptation française
de M. J. Lagye.
Depuis son apparition au Théâtre-Lyrique d'An-
vers, en décembre 1901, et surtout la première à
Bruxelles, en octobre 1902, cette œuvre si carac-
téristique et si flamande a connu l'enthousiasme
des salles combles et les nombreuses exécutions.
Il était légitime de la mettre au programme des
soirées estivales et jubilaires de igo5 car elle
constitue une des synthèses les plus dramatiques
et les plus pittoresques des mœurs et des aspects
du littoral belge.
Peu d'œuvres ont bénéficié, au théâtre de la
Monnaie, d'une mise en scène plus pénétrante de
réalisme et de couleur, et si la musique entraînante,
descriptive et brillamment instrumentée de M.
Blockx a émotionné les uns, si le sujet dramatique
a captivé les autres, le succès a été unanime pour
les beaux décors brossés par MM. Devis et Lynen,
pour les costumes d'une si grande vérité, pour le
choix heureux des accessoires et leur caractère
vraiment local.
L'orchestre, conduit par M. Sylvain Dupuis, a
été irréprochable de sonorité et de rythme; les
chœurs, bien stylés, ont chanté avec beaucoup de
fraîcheur et d'accent ces mélodies populaires que
Blockx excelle à harmoniser et à enchâsser dans
ses suggestives partitions.
L'interprétation a été remarquable. MmePaquot-
D'Assy a repris avec autorité possession du
personnage de Djovita, dont elle rond avec
beaucoup de naturel les instincts matériels et les
fougueuses passions. Sa voix chaude a donné un
relief intense à la chanson du second acte et à la
scène finale avec Morik.
Mlle Carlhant a réalisé poétiquement la douce
et mystique Kerlin; sa voix a joliment nuancé la
musique de Blockx; MUe Maubourg a fait valoir
le rôle de Gudule. M. Albers a fait une heureuse
rentrée dans le rôle du vieux pêcheur Peter Wulff,
auquel il a donné une allure épique. Son succès
a été très vif; M. Bourbon a chanté les pages
sentimentales de Kerdée en artiste, et M. D'Assy,
qui avait laissé un excellent souvenir dans le rôle
de Morik, a repris celui-ci avec son talent accou-
tume, en faisant ressortir d'une manière saisissante
cette physionomie farouche de naufrageur de la
mer du Nord.
Une reprise du gracieux ballet de Messager,
V ne _ Aventure de la Guimard, a permis de faire un
succès à Mlle Boni, plus svelte, plus légère et
plus élégante que jamais, et à ses partenaires,
Miles Pelucchi, Verdoot, Carrère et Gabrini.
Cette reprise a servi de début à un jeune chef
d'orchestre, M. M. Charlier, déjà précédemment
attaché au théâtre comme chef de chant et pianiste
accompagnateur. Le jeune chef a fait très bonne
impression : il a le geste précis et ferme. C'est
d'ailleurs un excellent musicien, brillant lauréat
du Conservatoire de Liège.
LE GUIDE MUSICAL
601
La saison normale d'abonnement s'est ou-
verte le vendredi 1 5 septembre par la reprise de
la Bohème de Puccini, dans laquelle a débuté de
la façon la plus brillante Mlle Donalda (rôle de
Mimi). Très applaudi et remarqué, M. Decléry
dans le rôle de Marcel.
Hier samedi, on a repris Hérodiade.
Dans le courant de la semaine prochaine.
Mlle Korsoff, de l'Opéra-Comique, fera ses débuts
dans le Barbier de Séviïïe, ayant comme partenaires
MM. David (Almaviva), Decléry (Figaro) et
Belhomme (Bartolo). N. L.
— On a commencé depuis quelques jours à la
Monnaie le travail préparatoire des répétitions
à'Armide, qui sera la première nouveauté de la
saison d'hiver. M. Gevaert, qui pendant ses vacan-
ces s'est personnellement occupé de la revision
de la partition, a entendu la semaine dernière tous
les interprètes et leur a donné les plus précieuses
indications sur la composition de leurs rôles
respectifs.
Le maître s'est également entendu avec le
maître de ballet M. Ambrosiny pour la partie
chorégraphique, qui est extrêmement importante
et développée, on le sait, dans cet ouvrage.
M. Dubosq a complètement terminé les ma-
quettes des décors, et M. Fernand Khnopff, d'ac-
cord avec M. Gevaert et la direction, compose en ce
moment les dessins des costumes, qui n'auront
rien de commun avec ceux de l'Opéra de Paris,
mais seront conçus dans le style de la Renais-
sance italienne contemporaine du Tasse et de
l'Arioste, auxquels Quinault a emprunté le sujet
d'-d rmide.
Aujourd'hui dimanche en matinée, Carmen et
le soir Faust; demain lundi, la Fiancée de la mer et
Une Aventure de la Guimard; mardi le Barbier de
Séville. A la demande du collège échevinal, deux
représentations de la Muette de Portici seront
données, à l'intention des enfants des écoles, les
28 septembre et 5 octobre prochains, en matinée.
— M. Edgard Tinel, l'éminent professeur du
Conservatoire, l'auteur de Godelieve et de Saint
François, vient de mettre la dernière main à Catha-
rina, un opéra en trois actes dont le sujet a été
tiré de la légende de Sainte Catherine.
— Concerts Populaires. — Les quatre concerts
d'abonnement, sous la direction de M. Sylvain
Dupuis,sont fixés respectivement aux 11- 12 novem-
bre, 2-3 décembre, 17-18 février et 17-18 mai's.
Le soliste du premier concert sera Pablo Casais,
le violoncelliste espagnol; celui du deuxième, le
violoniste Oliveira, encore inconnu en Belgique;
le troisième concert sera consacré à l'exécution
d'une grande œuvre avec chœurs ; le quatrième
sera un concert Wagner, avec le concours de
Mme Raschowska, cantatrice.
— Voici les dates des prochains Concerts Ysaye
(saison 1905-1906) : 21-22 octobre, 18-19 novembre
9-10 décembre, 24-25 février, 24-25 mars, 21-22
avril.
Le premier concert de la fondation ayant eu lieu
en janvier i8g5, l'administration des Concerts
Ysaye se propose de donner à l'audition extraor-
dinaire qui aura lieu les 13-14 janvier prochain, le
caractère d'une solennité anniversaire, compre-
nant l'exécutisn d'une œuvre pour orchestre et
chœur.
— La reprise des cours à l'école de musique et
de déclamation d'Ixelles aura lieu le 2 octobre.
L'enseignement comprend :
Le solfège, le chant d'ensemble, le chant
individuel, l'interprétation vocale, l'harmonie
et la composition, l'histoire de la musique et la
haute théorie musicale, le piano, la lecture à
vue et le piano d'ensemble, la harpe diatonique, la
harpe chromatique, la diction et la déclamation,
l'histoire de la littérature française.
L'enseignement est gratuit, sauf pour ce qui
concerne les cours de piano et de harpe, de diction
et de déclamation.
Inscriptions et renseignements à partir du jeudi
14 septembre au local, rue d'Orléans, 53, le diman-
che de 9 à 12 heures et le jeudi de 2 à 4 heures.
— M. Emile Engel et Mn,e Jane Bathori, repren-
dront leurs leçons particulières et leurs cours de
chant et de scène à partir du i5 septembre.
On peut se faire inscrire, 18, rue Fourmois,
Ixelles, tous les jours de 2 à 4 heures.
CORRESPONDANCES
BILBAO. — Un grand concours international
et national d'orphéons et fanfares (orfeones y
bandas) a été ouvert par le conseil municipal de
la ville, sous la présidence de l'alcade D. Pedro
P. de Bilbao, et se juge ces jours-ci, 16 et 17 sep-
tembre. Nous en parlerons dans notre prochain
numéro. Disons en attendant qu'il comprend un
602
LE GUIDE MUSICAL
certain nombre de concours éliminatoires, puis
définitifs tous primés, et la plupart publics, et que
les sociétés chorales ou instrumentales inscrites
sont au nombre de 3o, dont 18 espagnoles et
12 françaises; parmi celles-ci, les chorales de
Céret, Tarbes, Dax, Orthez, les harmonies de
Montpellier, Libourne, L'Isle-Jourdain et même
Chartres, et deux musiques militaires, de Vitré et
de Toulouse. Les œuvres exécutées portent les
noms de Saint-Saëns, L. de Rillé, Monasterio,
Massenet, Wagner, Parés, Meyerbeer, Beethoven,
Breton, Weber... Le jury, dont la présidence
d'honneur a été donnée à M. C. Saint-Saëns, com-
porte 25 membres, dont 5 étrangers à l'Espagne.
On sait assez la réputation de ces sociétés musi-
cales espagnoles pour augurer de l'intérêt parti-
culier de ces séances. Quelques-uns des groupes
concourant ne comptent pas moins de ioo, i3o et
jusqu'à 170 exécutants!
LA HAYE. — La Société pour l'Encoura-
gement de l'art musical vient de publier son
programme pour les trois concerts qu'elle donnera
à La Haye pendant la saison prochaine, sous la
direction de M. Anton Verhey. On exécutera le
Requiem de Georges Henschel, l'oratorio Vita
nuova de Wolff- Ferrari, les Sept Paroles du Christ
de Gustave Doret et un prologue de Los Pyreneos,
du compositeur espagnol Pedrell. A Rotterdam, la
même société fera entendre : l'Oratorio de Nvël de
Jean-Sébastien Bach, l'oratorio Vita nuova de
Wolff-Ferrari, le Hexenlied de Max Schillings et le
Chant de la Cloche de Vincent d'Indy.
Les ouvrages que la Société exécutera à
Amsterdam ne sont pas encore désignés, à cause
des vacances de M. Mengelberg, qui ne rentre
que le i5 septembre, pour aller ensuite à New-
York, du 24 octobre au 24 novembre. Pendant son
absence, différents capellmeister de premier ordre
viendront le remplacer à Amsterdam. Les solistes
qui se feront entendre au Concertgebouw d'Am-
sterdam sont, entre autres : les chanteuses Mmes
Kraus-Osborne et Lula Mysz-Gmeiner, les pia-
nistes Ferrucio Busoni, Godowsky, Carel Hoff-
mann, Egon Pétri, les violonistes Fritz Kreisler et
Petchnikoff et le Dr Ludwig Wullner.
On annonce aussi la tournée en Hollande de
la célèbre Société des Instruments à vent de
Paris, qui obtint un si grand succès au dernier
festival de Bonn.
La direction de l'Opéra royal français de
La Haye vient de publier le tableau de sa nouvelle
troupe, dont les artistes de l'année passée forment
la majorité; parmi les nouveaux pensionnaires, il
faut citer MM. Fonteix, ténor; Danse, baryton;
Karloni, basse chantante; Roussel, trial, et
Mmes Cortez et Chavaroche. Le choix des nou-
veaux opéras qu'on nous fera entendre n'est pas
encore décidé, mais il est question de la Reine
Fiamette de Leroux, de Siberia de Giordano et
à' Arnica de Mascagni.
L'Oratoriën-Verein d'Amsterdam, dirigé par
M. Anton Fierie, le gendre de Daniel de Lange,
un des meilleurs, sinon le meilleur choral mixte
de la Hollande, vient d'être invité à prêter son
concours au prochain festival Beethoven, qui sera
donné à Paris au printemps prochain.
En attendant, cette admirable phalange chorale
exécutera à Amsterdam la Passion selon saint
Mathieu de J.-S. Bach et la Croisade des Enfants de
Gabriel Pierné.
Aux deux derniers concerts de solistes donnés
au Kursaal de Scheveningue, nous avons entendu
M. Raoul Pugno, et le baryton berlinois M. Hei-
nemann, doué d'une voix de grande sonorité, mais
auquel sa diction prétentieuse et son exagération
de sentiment font du tort. L'Orchestre philharmo-
nique, sous la direction de M. Auguste Scharrer,
nous a fait entendre une ravissante sérénade
italienne de Hugo Wolff, finement orchestrée par
Max Reger, un véritable bijou orchestral.
Ed. de H.
LIEGE. — Les concerts symphoniques
donné à l'Exposition, sous l'alternative
direction de MM. Dossin et Lejeune, continuent
à intéresser la foule cosmopolite des amateurs.
Il nous plaît de signaler celui de samedi 26 août
qu'occupait tout entier l'œuvre de M1!e Juliette
Folville. Sous son double aspect de virtuose et de
compositeur, la personnalité de Mlle Folville a su
rallier l'unanime sympathie des connaisseurs. Son
art sincère et probe, sérieusement orienté et servi
par une science profonde a des affirmations de
plus en plus convaincantes.
L'on a fait grand succès aux fragments de
l'opéia Atala et à la musique de scène de Jean de
Chimay, conduits par l'auteur, car Mlle Folville
manie avec habilité le bâton de chef d'orchestre.
Elle a été particulièrement fêtée dans son beau
concerto de piano en ré mineur qu'elle a détaillé
LE GUIDE MUSICAL
6o3
de façon charmante, et le jeune violoncelliste
Dambois, interprète heureux du concertstùck a
mis en pleine valeur cette page attachante, rem-
plie d'épisodes exquis et remarquablement écrite
pour l'instrument.
Dans la même salle des fêtes de l'Exposition,
M. Joseph Jongen a dirigé quelques-unes de ses
meilleures pages symphoniques.
Dans le divertissement de Macbeth et la Fantaisie
sur des noëls.wàllons s'atteste un métier impeccable,
d'une rare distinction. S'il n'ignore aucune des
ressources de l'orchestre, M, Jongen s'entend
aussi à faire fleurir des thèmes d'expression naïve
et douce, et son tact est à la hauteur de son savoir.
Lé merveilleux violoncelliste Gérardy prêtait à
cette soirée le plus précieux des concours, et
une magistrale exécution du concerto de violon-
celle a valu au compositeur et à l'interprète une
ovation enthousiaste. P. D.
NOUVELLES
Un cycle gluckiste.
Le théâtre municipal de Leipzig prépare pour
la saison qui va s'ouvrir un cycle d'œuvres de
Gluck qui sera dirigé par M. Arthur Nikisch.
Il nous paraît intéressant de rappeler la carrière
remplie par les principaux ouvrages du maître qui
découvrit cet axiome que « la véritable fonction
de la musique est de seconder la poésie, pour
fortifier l'expression des sentiments et l'intérêt des
situations ».
Le 19 avril 1774, l'Opéra de Paris donnait I phi-
génie en Aidide (livret du bailli du Rollet). Les
artistes, qui trouvaient la musique nouvelle trop
ardue pour leur inexpérience, montrèrent de la
mauvaise volonté, mais cédèrent devant la protec-
tion que Marie-Antoinette accordait à l'auteur.
Le succès d'argent fut brillant; on encaissa plus
de 5,o0o livres par représentation ; cependant, on
ne joua que cinq fois Iphigénie en Aidide.
L'œuvre, admirée surtout par le public de la
cour, avait été créée par Sophie Arnould, la demoi-
selle du Plant, M VI. Le Gros, L'Arrivée et Gélin.
Les danses avaient été confiées à Mlles Guimard,
Allard, Heinel, Peslin, à MM. Vestris et Gardel.
Cet ouvrage fournit plus de 425 leprésentations
de 1774 à 1824.
En cette même année 1774, au mois d'août,
l'Opéra monta Orphée et Eurydice, joué dix ans plus
tôt à Vienne.
Cythère assiégée, donné le Ier août 1775, ne
réussit pas. Les recettes furent ridicules, variant
entre 937 et 277 livres, en dépit des remarquables
créations faites par MUes Levasseur, Lhateauneuf,
Mme L'Arrivée, Mlles Laguerre et Gélin
Le 23 avril 1776, AUeste, donné en 176 1 à Vienne,
suscita une grande animosité dans les deux camps
rivaux : piccinistes et gluckistes, mais les suffrages
du public éclairé amenèrent le succès.
Cette œuvre, créée au début par Mlle Rosalie
Levasseur, MM. Le Gros, Laine et L'Arrivée, fut
reprise en l'an V, en l'an XIII, en 1825 avec
Mme Branchu, en 1861 avec Mme Viardot et en
1866 avec Mi:e Battut.
Armide vit le jour le 23 septembre 1777. Cette
partition, qui compte parmi les plus belles de
Gluck, fut jouée trois ans durant d'une façon assez
suivie.
Créée par les DllesLevasseur, Le Bourgeois, Chà-
teauneuf, Durancy, les sieurs Le Gros, Gélin,
Laine, L'Arrivée et Mlle Saint-Huberty, qui y fit
ses débuts, Armide fut jouée jusqu'en 1837 avec un
succès toujours énorme.
Iphigénie en Tanride (18 mai 1779) remporta au
début un triomphe qui ne fit que s'accentuer. Cette
œuvre obtint une réussite complète et persistante
jusqu'en 1829. Elle avait été créée par Mlle Levas-
seur et MM. L'Arrivée, Le Gros et Moreau.
Enfin, Echo et Narcisse, représenté pour la pre-
mière fois à l'Opéra le 24 septembre 1779, peu
être considéré comme le chant du cygne du maître.
La médiocrité des paroles du baron de Tschudy
entraîna le compositeur dans une monotonie déso-
lante. L'insuccès fut complet et c'est à grand'-
peine que l'on put donner douze représentations.
Créé par Mlles Dumesnil, Girardin, Gavaudan et
MM. Laine et Le Gros, cet ouvrage fut joué
encore en 1780, en 1806, en 1812, i3et 14.
Il est supposable que M. Nikisch se bornera à
donner une suite des œuvres les plus brillantes du
Michel-Ange de la musique, encore qu'il serait
curieux de pouvoir étudier à la scène le génie
naissant de Gluck, alors qu'il produisait, pour les
théâtres de Milan, de Venise, de Crémone et de
Turin (de 1741 à 1744), des œuvres écrites dans la
manière italienne.
— Le jeune ténor Rousselière, de l'Opéra de
Paris, vient de signer avec M. Conried, du Métro-
politain de New- York, un engagement à partir de
novembre prochain. M. Rousselière n'en reste pas
moins attaché pour sept mois par an à l'Opéra
de Paris.
Ô04
LE GUIDE MUSICAL
— M. Humperdinck vient de terminer un nouvel
opéra qui porte le titre de : Le Miracle de Cologne.
Le livret est de M. Rainer, directeur du Jubilœums-
Theater de Vienne.
La première représentation aura lieu dans le
courant de la saison prochaine, soit à Vienne, soit
à l'Opéra de la Cour de Munich.
— Le nombre des élèves du Conservatoire de
Vienne s'est élevé, pendant Tannée scolaire qui
vient de s'écouler, à 894, dont 793 appartenant aux
classes de musique. Ces derniers se répartissent
ainsi selon leur nationalité : 686 Autrichiens,
66 Hongrois, 23 Russes. iS Roumains. Naturelle-
ment, beaucoup d'élèves suivent plusieurs classes
et un assez grand nombre d'entre eux appar-
tiennent aux classes élémentaires, dont l'enseigne-
ment n'est pas strictement spécialisé.
Voici quelle est la répartition des élèves musi-
ciens dans les classes techniques, les nombres
composés en chiffres ordinaires s'appliquant aux
élèves hommes, ceux établis en italiques corres-
pondant aux élèves femmes. Chant lyrique et
opéra, 39, 160; chant pour le concert, 1, 2;
piano, 16, 3iJ ; orgue, 14, /; harpe, 9, 14; vio-
lon, 93, 6; violoncelle, 21; contrebasse, 14;
flûte, n; hautbois, 12; clarinette, 9; basson, 9;
cor, i3 ; trompette, 18; trombone, 7; harmonie,
11, 2; contrepoint, 12; composition, i5, 1. Les
classes de tragédie et de comédie ne comprennent
qu'une quarantaine d'élèves, dont plus de la
moitié sont des femmes. Il y a aussi des classes
d'histoire et de perfectionnement. L'Etat autri-
chien accorde chaque année au Conservatoire une
subvention de 54,000 couronnes, la Basse- A.utriche
donne 2,000 couronnes, la ville de Vienne 10,000,
l'Empereur 4,000 et l'Opéra 2,000. Les élèves
paient des honoraires s'élevant de 200 à 400 cou-
ronnes.
— Une nouvelle école de musique va s'ouvrir à
New- York dans le courant de l'automne prochain,
sous la dénomination d' « Institut d'art musical ».
La plupart des professeurs seront Européens.
C'est un riche banquier, M. Loeb, appartenant
à la maison Kuhn, Loeb et Cie, qui a fondé l'insti-
tution en souvenir de sa mère, parce que celle-ci
avait été pauvre autrefois et obligée de donner des
leçons de piano. La somme qu'il a consacrée à
cette fondation a été de 5oo,ooo dollars, mais il est
vrai de dire qu'il a dû trouver des bailleurs de
fonds, car la dépense totale s'est élevée à
800.000 dollars.
Le directeur de l'école sera M. Franck Dam-
rosch, le fils aîné de Léopold Damrosch, actuelle-
ment décédé, qui fut longtemps à la tête d'une
société chorale, « Arion », et plus tard devint chef
d'orchestre à l'Opéra de New- York.
— Tamagno, qui vient de mourir, laisse une
fortune, consistant en grande partie en immeubles,
d'une valeur d'à peu près quatre millions et demi.
Le célèbre ténor a, durant ces huit dernières
années, donné aux pauvres tout ce qu'il gagnait
en Italie ; autrement, il aurait encore acquis un
cinquième et un sixième million.
Dans son testament, Tamagno stipule que son
corps, après avoir été embaumé, sera mis dans un
cercueil de plomb et placé, dans une chapelle
construite spécialement, sur un socle de marbre,
avec un couvercle en cristal, de façon que ceux qui
aimaient le disparu puissent voir ses traits. Il paraît
que cette clause ne pourra être exécutée, comme
contraire aux lois italiennes.
Tamagno laisse des legs très importants aux
principales œuvres de bienfaisance de Varèse ; sa
fille, Mme Margarete Talamone, qui est son unique
héritière, doit veiller à l'exécution et à la réparti-
tion de ces legs.
— Il paraît que des efforts sérieux sont faits en
ce moment en Angleterre pour recueillir avant
qu'il soit trop tard, sur la côte de l'est du
royaume, les vieilles chansons du peuple. Il y a
dans cette région des pêcheurs, des agriculteurs
et des bohémiens dont les ancêtres vinrent s'y
établir en quittant les pays situés de l'autre côté
de la mer, la Norvège, le Danemark, la Hollande,
la Flandre et le nord de la France. Ils ont con-
servé, en se les transmettant de bouche en bouche,
un grand nombre de mélodies anciennes qui ne
sauraient manquer d'intéresser vivement les musi-
ciens, lorsqu'elles auront été publiées.
— Ainsi que nous l'avions fait prévoir dans notre
dernier numéro, c'est M. le baron de Speidel-
Wurzbourg qui est nommé intendant des théâtres
royaux de Munich, en remplacement de M. de
Possart. La direction de l'Opéra est définitivement
confiée à M. Félix Mottl, l'éminent chef d'orches-
tre.
— L'universel empereur Guillaume II prépare,
dit-on, une publication nouvelle de chansons de
route et de marches militaires que les troupes
allemandes devront apprendre et chanter.
— Dans un de ses derniers numéros, la Revue
musicale de Paris reproduit deux lettres d'Emma-
nuel Chabrier et d'Edouard Lalo, toutes deux
adressées à feu Armand Gouzien, qui était à ce
LE GUIDE MUSICAL
6o5
moment inspecteur des théâtres subventionnés de
Paris.
Lettre d'Emmanuel Chabrier
« Bruxelles, dimanche 18 avril i885.
» Et naturellement, tout ce qu'il y a de plus
confidentiel ! — Le succès de Givendoline a été con-
sidérable, vous le savez, et la deuxième a été plus
chaude encore que la première ; c'est ce soir que
l'on donne la troisième ; or, il faudrait battre le fer,
et je viens vous supplier de voir Gailhard le plus
tôt possible et de lui parler de mon affaire. Je
vous assure qu'avec un bon ballet en deux actes
derrière, c'est un spectacle tout trouvé, et cet
ouvrage bien mis en scène (ici c'est déplorable), bien
chanté, doit faire, j'en ai la certitude, une certaine
impression. Il vous reste à voir les articles de Jon-
cières et de Reyer; ils seront plus que bienveil-
lants; donc, on est unanime à trouver que c'est
bien : alors quand entrerai-je, nom de Dieu, dans
cette boite à Juive? Jamais? Eh bien si! Je veux
gueuler là-dedans des chants nouveaux. Je veux
que ça pète pour moi comme pour les autres ! —
Oui, ça peut faire beaucoup d'effet et me caser, me
classer même. Vous devez avoir déjà la partition,
n'est-ce pas? J'arrive à Paris jeudi dans la soirée;
vendredi j'irai causer avec vous; — mais si d'ici là
vous pouviez joindre Pedro, vous rendriez à ce
sacré Chabrier un fier service. Mais quel métier!
quel enfer! Berardi rentre à Paris le 3 mai; il sait
(pas très musicalement, mais enfin), il sait le rôle;
c'est toujours ça; enfin,, nous en recauserons. —
Ecrivez-moi donc un mot que je recevrai mardi
matin, et qui mettra quelque baume sur les légitimes
convulsions (44 ansj de mon impatience. Puis un
agréable rabatage chez l'homme au faux-col, la
rue Favart ? qu'en dites-vous ? Ah ! c'est bien du
tintouin que je vous donne, cher ami, mais vous
n'ignorez pas que tout seul, je ne puis quasi rien, et
si je m'enhardis ainsi, c'est que j'ai la plus intime
conviction que vous ne me lâcherez pas !
» A bientôt donc : nous envoyons à Mme Gouzien
nos plus empressés hommages, et moi j'embrasse
la petite jolie qui se porte à merveille, je suppose,
et a repris sûrement ses leçons de piano.
» A vous, » Emmanuel. »
Lettre d'E. Lalo.
« Paris, 3o octobre. 79.
» Mon cher Gouzien,
» Je viens de lire à l'instant votre article si
bienveillant, et je m'empresse de vous envoyer
mes bien sincères remerciements. — Hélas ! que
ne puis-je entrer à l'Opéra par une autre porte que
celle de la danse ! J'ai passé ma vie à étudier la
musique dramatique, j'ai un grand opéra écrit avec
toute ma conscience d'artiste, et l'on me demande
un ballet, genre dont j'ignore les premières notions.
C'est insensé ! mais il paraît cependant que je dois
m'estimer très heureux de pouvoir me glisser dans
le Temple en me courbant pour passer sous les
jupons des vestales de l'endroit. Cela prouve une
fois de plus que le seul théâtre nécessaire pour la
production nationale, c'est un théâtre lyrique avec
une large subvention. Merci de nouveau, et croyez
à mes sentiments les plus sympathiques.
» E. Lalo. »
— Un nouvel instrument musical.
Un ouvrier mécanicien qui est en même temps
mandoliniste enragé, certain Antonio Lapuente,
de Madrid, a enrichi la série, déjà trop nombreuse,
d'instruments musicaux d'un nouvel instrument
qu'il a nommé violofone et duquel on dit beaucoup
de bien.
Il se compose d'une caisse harmonique qui est
en partie celle d'un violon et en partie celle d'une
mandoline, et à laquelle est adaptée une petite
roue dentée qui, mise en mouvement par un ingé-
nieux mécanisme, pince doucement les cordes et
en tire des notes qui peuvent se prolonger à
volonté, comme celles d'un orgue.
Lapuente a donné, sur son violofone, un concert
aux rédacteurs des principaux journaux madri-
lènes; chacun d'eux affirme que le nouvel instru-
ment est digne d'être entendu publiquement.
— Un concours musical dans l'antiquité.
Une revue allemande, Daheim, donne la note
suivante, qui ne manque point d'intérêt : « Dans les
ruines d'Eretria, dans l'île d'Eubée (Eubée ou
Négrepont, le long de la côte orientale de l'Attique
et de la Béotie), on a trouvé une inscription grande
et bien conservée qui nous permet d'entrevoir de
quelle manière se passaient dans l'antiquité
grecque les concours de musique. La ville
d'Eretria résolut de donner une nouvelle fête con-
sacrée à Artémis : les Artémisiennes. En l'honneur
de la déesse, on organisa un grand cortège et on
fit un sacrifice solennel. Comme préparation aux
cérémonies d'offrande et de consécration, il fut
convenu qu'un concours de chanteurs et de
musiciens aurait lieu. Il est à remarquer à cette
occasion quelles furent les récompenses distribuées
aux vainqueurs. Le kitharède ou joueur de cithare
ayant obtenu le premier prix reçut 200 drachmes
(environ 140 francs) ; celui qui fut classé le second
obtint i5 > drachmes, le troisième 100 drachmes.
Le meilleur des artistes jouant de la flûte fut
gratifié de 5o drachmes, le second de 3o, le troi-
6o6
LÉ GUIDE MUSICAL
sièmes de 20. Tous ceux qui prirent part au
concours ont bénéficié, sur la caisse de la villa,
d'une indemnité d'une drachme... » On admet
généralement que la drachme devait valoir au
temps de Périclès environ 70 centimes de notre
monnaie.
— Le conseil municipal de Gênes vient d'ap-
prouver, par un vote de 21 voix contre 14, la
gestion à l'entreprise du théâtre Carlo Felice pour
la saison 1905-1906.
La subvention accordée est de 75,000 lire. Une
discussion assez vive a été soulevée au cours de
la délibération. Un conseiller a déclaré qu'il ne
croyait pas que le théâtre, tel qu'il fonctionne
actuellement, pût contribuer à l'éducation artis-
tique de la masse du public, que c'est à un cercle
spécial d'habitués que son répertoire s'adresse et
qu'il ne comprend pas la nécessité de fournir des
^Fonds pour permettre d'engager quelques jolies
danseuses de plus. Le conseil ne s'est pas rangé à
cette opinion, mais, en accordant la subvention, il
a spécifié qu'elle doit servir à donner de l'éclat
aux spectacles lyriques traditionnels. C'est donc la
musique qu'il a entendu encourager.
— M. Merk, l'un des biographes de Rubinstein
raconte cette anecdote originale :
Invité un jour a dîner chez l'illustre artiste, je
regardais les innombrables photographies accro-
chées au mur, et mes yeux se portèrent surtout sur
l'une d'elles qui, encadrée avec une élégance toute
particulière, montrait le portrait d'un vieillard à
physionomie assez antipathique, aux traits com-
muns et vulgaires. Etant un peu étonné du soin
avec lequel était traitée cette figure un peu rébar-
bative, je demandai à Rubinstein qui elle repré-
sentait. « Oh ! ça, répondit celui-ci en souriant,
c'est la tête de mon premier auditeur payant.
J'étais encore très jeune, et j'avais annoncé mon
premier concert à Cracovie. Je ne vous cacherai
pas que j'étais un peu anxieux, et qu'il me semblait
que tout mon avenir artistique dépendait de
l'accueil qui me serait fait par un public nombreux
et payant. Je me mis donc moi-même au bureau de
délivrance des billets, et vous pouvez concevoir
avec quelle émotion! Mais le temps s'écoulait avec
une lenteur désespérante, et je ne voyais pas un
seul amateur se présenter. Profondément désolé
après une attente longue et inutile, je me levai et
j'allais m'éloigner lorsque tout à coup je vis
s'approcher un vieux sémite qui me demanda six
entrées, en jetant ses roubles sur la table. Vous
jugez de ma joie! Elle fut plus grande encore
lorsque peu à peu d'autres auditeurs se présentè-
rent, si bien que, l'heure du concert arrivée, il n'y
avait presque plus une seule place libre dans la
salle. Je me rappelai toujours cette circonstance,
et quelques années après, me trouvant de nouveau
à Cracovie, je fis des recherches infinies pour
retrouver mon premier auditeur payant. J'y réussis
enfin, et en lui racontant ma petite histoire et la
joie qu'il m'avait procurée sans le savoir, je le
priai de vouloir bien me donner en souvenir sa
photographie. Et comme vous le voyez, je la
conserve avec soin. »
— Une fanfare peu commune, c'est celle qui
vient d'être fondée à Nouméa, en Nouvelle
Calédonie. Elle ne se compose que de forçats
condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
Le chef de musique est un assassin célèbre, le
cymbalier à tué son compagnon de chaîne, le
cornet à piston a assommé son maître d'un coup de
marteau, le saxophone a étranglé une personne
dans les rues de Paris, le bugle est un apache,
récidiviste dangereux, et le sous chef a coupé sa
femme en morceaux.
Comme vous voyez, ces messieurs n'ont rien à
se reprocher les uns aux autres.
Cette fanfare ne peut manquer de devenir une
des premières du monde, les exécutants ne pou-
vant songer à s'en aller quand ils seront devenus
des virtuoses !
C'est le cas ou jamais de vérifier la véracité de
l'adage : « La musique adoucit les mœurs ! »
— Le Courrier de la Bourse de Berlin a rapporté
la petite anecdote suivante : « Il s'agit du célèbre
ténor Caruso et d'un tour qu'il a joué aux amateurs
de musique de Chicago... On donnait Les Paillasses
de M. Leoncavallo ; le premier acte fut pour
Caruso un triomphe avec ovations délirantes et
quelques centaines de rappels. Alors, l'artiste
voulut mettre à l'épreuve la compétence musicale
de ses auditeurs. Au deuxième tableau, le second
ténor (Beppo) chante une sérénade derrière la
coulisse. Caruso pria son collègue Reiss de lui
laisser chanter la sérénade et il la détailla de
cette même voix douce et colorée qui venait de lui
valoir tant d'applaudissements, mais le public
écouta de cette même oreille indifférente qu'il
prêtait habituellement au chant de Reiss. Un
critique influent affecta de sommeiller, on causait
dans les loges et du haut des galeries une voix
cria : « Assez de Reiss!... Caruso! Caruso! » Le
ténor Reiss eut du moins la consolation de s'aper-
cevoir que son glorieux rival pouvait parfois n'être
pas mieux traité que lui.
LE GUIDE MUSICAL
607
— Las concours internationaux pour sociétés
de musique populaire que l'on prépare en ce
moment à Tourcoing (France, Nord) est en pleine
voie d'organisation.
La recherche des œuvres à imposer dans les
épreuves a fait ouvrir, dès à présent, un concours
de compositions chorales.
Article Ier. — A l'occasion du tournoi orphéo-
nique qui aura lieu à Tourcoing en 1906, un con-
cours de compositions chorales est ouvert aux
conditions suivantes :
i° Chœur à quatre voix d'hommes pour la divi-
sion supérieure; prix, 3oo francs.
20 Chœur à quatre voix d'hommes pour la
première division; prix, 25o francs.
3° Chœur à quatre voix d'hommes pour la
seconde division ; prix, 200 francs.
Article 2. — Ces œuvres devront être inédites.
Celles couronnées seront imposées dans leurs
divisions respectives.
Article 3. — Les concurrents devront envoyer
deux partitions manuscrites. Celles primées devien-
dront la propriété de M. Charles Wattinne, qui se
réserve également le droit de conserver pour ses
archives un manuscrit de chaque composition. Les
autres seront retournées dans les huit jours qui
suivront le classement.
Article 4. — La liste des jurés appelés à exami-
ner ces envois est à la disposition des intéressés.
Article 5. — Le choix des sujets à traiter est
libre ; toutefois la durée des chœurs ne devra pas
excéder dix minutes pour la division supérieure et
huit minutes pour les deux autres. Il est également
recommandé de ne pas introduire de solo.
Article 6. — Les manuscrits devront parvenir
à M. Charles Wattinne, 4, place Victor Hasse-
broucq, à Tourcoing, avant le Ier décembre pro-
chain.
BIBLIOGRAPHIE
«< Lieder » de Beethoven, piano et chant; traduc-
tion française de Jacques d'Offoël. Schott,
éditeur. Paris, Fromont, 1 vol. gr. in-8°. — Jean
Sibelius, i5 mélodies, piano et chant; traduc-
tion française de Jacques d'Offoël. Helsingfors
(et Leipzig, Breitkopf et Hàrtel), 1 vol. in-40.
. Je suis en retard avec ces dernières publications
de notre infatigable collaborateur Jacques d'Offoël.
M,ais la coïncidence n'est pas sans intérêt de la plus
importante de ces deux traductions nouvelles avec
l'étude que nous publions en ce moment sur les
Lieder de Beethoven. Comme je l'ai dit au cours
de ce travail, les versions françaises de ces pages,
souvent si nobles et attachantes, du maître de
Bonn étaient des plus rares avant cette année.
Bellangé avait bien publié quelques mélodies, cel-
les qu'on chantait dans les concerts au temps loin-
tain où l'on commençait à découvrir Schubert.
Plus tard, Jules Barbier avait donné un choix plus
important d'une quinzaine, avec une sélection
analogue de Lieder de Mozart et de Haydn. Il
n'avait pas manqué l'occasion de compter dans
cetle quinzaine l'apocryphe Absence (Nachruf)
attribuée en 1844 à Beethoven, bien que déjà
éditée sous d'autres noms. Puis Victor Wilder
avait édité à part le délicieux cycle de La Bien-
Aimée absente. Tout ceci était assez peu de chose.
La version de M. d'Offoël, autrement importante
et méthodiquement préparée, contient une qua-
rantaine de Lieder ou chansons, sous 33 numéros;
et bien qu'évidemment nous soyons loin de toute
l'œuvre lyrique de Beethoven, ce choix nous donne
en somme l'essentiel. Peut-être n'aurais-je pas
pris tout ce qu'a gardé M. d'Offoël, et sûrement
j'aurais ajouté quelques numéros, puisés par exem-
ple dans le Supplément des œuvres de Beethoven,
qu'il ne connaissait pas et qui est peu connu;
mais l'important, c'est que le lecteur français puisse
enfin se faire une idée à peu près complète de
Beethoven comme auteur de Lieder et d'airs
détachés. Et assurément le but est atteint.
Il trouvera ainsi le cycle de La Bien- Aimée absente,
les 6 Lieder de Gellert, Y Espérance (la seconde, la
plus belle ; pas la première, qui est dans le recueil
J. Barbier), le Chant de Mai, Adélaïde, Nouvel Amour,
le Chant du sacrifice, A l'absente (Lied aus der Ferne),
Je pense à toi (Andenken), Désir (Sehnsucht, de
Gœthe), ainsi que le grand air Ah! perfido, et l'es-
quisse du Roi des Aulnes arrangé par M. G. Doret.
Ici, je demande la permission de ne pas être aussi
approbateur : si ingénieuse qu'elle soit, la recon-
stitution de cette esquisse, avec les éléments
laissés par Beethoven et volontairement aban-
donnés, ne sera jamais à sa place dans l'œuvre du
maître; il fallait la laisser à part, comme elle
avait été publiée l'année dernière. Mais passons...
On sait l'adresse et le scrupule en même temps
que M. d'Offoël apporte à ces traductions. Après
Wagner, de beaucoup le plus difficile, il s'est adon-
né décidément au Lied allemand, à Weber, Robert
Franz, Humperdinck, M. Bruch, etc., en attendant,
comme bien on pense, du choix de Schubert et de
Schumann, peut-être de Hugo Wolf. Partout il
montre un souci absolu de l'exacte transposition
des sonorités et des rythmes, généralement très
heureux, parfois moins (mais c'est qu'alors il y a
impossibilité complète, et avec la différence si
6o8
LE GUIDE MUSICAL
profonde des deux langues, ceci n'arrive que trop
souvent). Partout la succession et la valeur des
notes sont rigoureusement conservées, sans addi-
tions, sans changements. Et vraiment, étant donné
que toute traduction est un pis-aller, on est encore
bien heureux quand on en trouve une pareille, et
il en faut remercier l'auteur.
Un regret pourtant, à l'adresse de l'éditeur : que
les textes originaux, allemands ou italiens, n'aient
pas été gravés au-dessous du français. Ce n'est
pas M. d'Offoël qui s'en fût plaint, je pense.
A signaler en même temps, pendant que j'y suis,
les i5 mélodies de Sibelius qu'il vient également
de traduire et qui ont paru en quatre langues :
finlandais, allemand, anglais et français. Ce ne
sont pas des chefs-d'œuvre, mais nous ne connais-
sons rien de la toute récente école finlandaise, et
Jean Sibelius, par son originalité, sa personnalité
très moderne (à l'orchestre, au piano et comme
mélodiste), en est le représentant le plus populaire.
H. de Curzon.
— Les Variétés : 1S50-1870, par Roger Bout et
de Monvel. Paris, libr. Pion, 1 vol. in- 12.
Dans cet élégant volume, M. R. Boutet de
Monvel a voulu évoquer, dans son milieu parisien,
mondain, tout en fête et prêt à porter aux nues
toute musique enlevante et endiablée, l'époque
si brillante des Variétés, sur laquelle a trôné
Offenbach, l'époque de la Belle-Hélène et de Barbe-
Bleue, de la Grande-Duchesse de Gérolstein, de la
Périchole et des Brigands. Il s'est constamment
documenté dans le Figaro ou la Vie parisienne de
l'époque, dans les souvenirs et mémoires, égale-
ment, des lettrés de ce temps, et il a réussi à faire
revivre avec beaucoup de verve et d'exactitude le
passé de ces chefs-d'œuvre du genre dont la der-
nière entreprise d'opérette du théâtre des Variétés
nous a rendu presque tout. Il a remonté aussi aux
préludes de cette période exceptionnelle, depuis
le premier Empire; il a fait poser plus spécialement
celle qui en fut très positivement la reine sur la
scène (puisque la plupart des souverains d'Europe
vinrent lui rendre visite), Hortense Schneider. Enfin,
il a conclu par une promenade curieuse et avertie
parmi les habitués du théâtre et des cafés du bou-
levard, ses voisins, pendant ces insoucieuses années
du second Empire. C'est un livre piquant et plein
de renseignements heureusement distribués.
H. DE C.
— Le compositeur roumain Stan Golestan, qui
obtint l'an passé, aux Grands Concerts, un succès
mérité, nous offre aujourd'hui une série des mélo-
dies pour chant et piano qui seront appréciées des
dilettantes.
Chant d'Automne, Souvenirs, Les Fleurs (avec
accompagnement de violoncelle ou violon, ad Iibit.)%
Madrigal (dans le style ancien) etc., etc., plairont
par leur délicatesse et l'émotion discrète qui s'en
dégage.
En vente chez tous les marchands de musique
et chez J. Pitault, éditeur, 5, rue de la Banque,
Paris.
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Bruxelles : 6, rue Xambermont
paris : rue ou flDail, 13
NÉCROLOGIE
Le 12 septembre 190S est décédé à Bruxelles
Maurice Leenders, directeur honoraire de l'Aca-
démie de musique de Tournai. Né à Venloo
(Hollande) le 9 mars i833, ce fut un violoniste très
estimé et l'un des meilleurs élèves de Léonard au
Conservatoire de Bruxelles.
Il se fit entendre avec succès, comme soliste, en
Belgique, à Paris, en Espagne à la cour d'Isabelle,
à Rome, partout acclamé pour l'élégance de son
archet et ses belles qualités de son.
Il s'était occupé aussi de composition, et il laisse
notamment une cantate patriotique exécutée à
l'inauguration de la statue de Léopold Ier à Mons
et un concerto de violon qu'il fit entendre au fes-
tival de Bruges en 1878 et à un concert national
en 1880, à Bruxelles.
Il avait été nommé en i865 directeur de l'Aca-
démie de musique de Tournai, qu'il dirigea pendant
vingt-cinq ans avec autant de zèle que de mérite.
Il était chevalier de l'Ordre de Léopold, officier
d'académie et décoré de l'ordre d'Isabelle la
Catholique.
— A Arlon est décédé le mois dernier M. Ysaye,
père de MM. Eugène et Théo Ysaye. Longtemps
attaché comme chef d'orchestre au Pavillon de
Flore, à Liège, auteur de transcriptions d'opéras
pour harmonies et fanfares très habilement écrites,
ce fut un didacte remarquable. Toute une géné-
ration de musiciens arrivés aujourd'hui à la
notoriété a fait à Liège ses premières armes sous
la direction de ce musicien excellent : les deux
Ysaye, César Thomson, Guillaume Guidé, Sylvain
Dupuis, Marsick, Van Hout, Joseph Jacob, etc.
M. Ysaye avait plus de 80 ans.
Nous adressons à ses fils nos compliments de
condoléance les plus sinoères.
LE GUIDE MUSICAL 609
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d'œuvre des anciens maîtres . . . . . . .v . . . .5 —
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5itne année. — Numéro 40.
ier Octobre igo5.
QUEL FUT LE MAITRE DE PALESTRINA ?
a théorie de l'hérédité et du milieu,
chère à l'école moderne de philoso-
phie historique, n'a fait que rehaus-
ser l'importance de l'éducation, dans
la biographie des grands artistes, et l'une des
questions essentielles qui se posent dès que
l'on entreprend d'étudier l'œuvre de l'un d'eux,
est de savoir par qui ont été découverts et
développés les germes de son génie. En s'effor-
çant de rattacher personnellement les maîtres
les uns aux autres, et d'établir entre eux une
sorte de filiation, la plupart des écrivains n'ont
fait que consacrer la justesse d'une observation
générale, qui se rapporte à l'influence féconde
et dominatrice exercée, dans chaque siècle et
dans chaque direction de la pensée, par
quelques hommes d'élite. Mais bien souvent
l'application trop absolue de ce principe a
engendré des conclusions fausses. Tantôt l'on
a cru jeter un surplus de gloire sur un auteur
célèbre en lui donnant pour élèves ses rivaux,
ses successeurs, ses disciples indirects, et
tantôt l'on a cherché à le revêtir d'un prestige
en quelque sorte aristocratique en se refusant à
admettre pour son instituteur un maître qui
n'aurait pas été son égal.
C'est ainsi que, prenant à la lettre une phrase
de Ronsard, on a rangé autour de Josquin
Deprés, sous une chaire imaginaire, un groupe
de musiciens d'âges et de nationalités divers,
qui pouvaient avoir tous marché, à un moment
donné, sur ses traces, mais dont peut-être pas
un seul n'avait réellement reçu de lui le
moindre enseignement verbal. A supposer que
dans un siècle futur quelque crédule écrivain
vienne à accepter sans enquête certaines diva-
gations imprimées naguère sur « l'école wagné-
rienne », Georges Bizet risquera d'être déclaré
le propre élève de Wagner, dont sa Carmen fut
censée, un temps, avoir reflété les tendances.
A lire cependant l'histoire des compositeurs
qui ont depuis deux cents ans dirigé le mouve-
ment musical, on s'aperçoit que presque tous
ont eu pour maîtres des musiciens secondaires,
et qu'eux-mêmes ont pu devenir « chefs d'école »
sans avoir formé d'élèves. Ce n'est point,
sans doute, aux leçons d'Albrechtsberger que
nous devons les symphonies de Beethoven, ou
à celles de Théodore Weinlig que nous pouvons
attribuer la création du drame wagnérien. Ces
deux bons et humbles techniciens n'ont fait
que mettre aux mains de deux ouvriers de
génie l'outil merveilleux dont eux-mêmes igno-
raient le pouvoir. A leur tour, Beethoven et
612
LE GUIDE MUSICAL
Wagner, qui ont plié à leur joug tous les j
maîtres nés après eux, n'ont professé que par
leurs œuvres.
Il ne faut pas perdre de vue ces exemples
lorsqu'on se reporte à une époque plus ancienne.
A mesure que des travaux plus approfondis et
des publications plus abondantes de documents
historiques et musicaux nous font pénétrer
plus avant dans la vie artistique du xvie et du
xvne siècle, nous apercevons plus nettement l'ex-
trême dispersion en même temps que l'extrême
fécondité de la culture musicale à cette époque.
Maîtrises, chapelles, universités, écoles reli-
gieuses, publiques ou particulières, nous appa-
raissent en tous pays comme autant de foyers
d'enseignement pratique et théorique qui
s'allument, brillent, s'obscurcissent, selon la
durée de l'existence ou des fonctions d'un
musicien. Tout poste de maître de chœur
implique distribution de leçons aux enfants,
voire aux chanteurs gagés, aux clercs, parfois
jusqu'aux chanoines : et la multiplicité de ces
centres d'éducation musicale, en favorisant
partout la diffusion de l'art, est une des raisons
pour lesquelles, sitôt que font défaut les textes
contemporains et formels, on ne peut arriver
que rarement à une certitude relativement à la
formation technique de tel ou tel compositeur.
La critique historique est dans ce cas en ce
qui concerne Palestrina, dont aucun témoin
oculaire n'a raconté l'enfance, la jeunesse, et les I
études. Tout ce que l'on en sait à peu près
sûrement, c'est qu'en 1540, âgé d'environ
quatorze ans, il quitta sa ville natale pour se
rendre à Rome, et qu'il revint quatre ans plus
tard, muni d'une instruction suffisante pour
occuper un poste d'organiste et de maître de
musique en l'église cathédrale de Palestrina.
Dans ce laps de quatre années, 1540 à 1544,
se placent évidemment ses études de composi-
tion. Par qui furent-elles dirigées? C'est ce que
l'on n'a pu encore découvrir. Avant de
présenter à ce sujet une nouvelle hypothèse, il
convient de résumer celles qui ont été émises
jusqu'à présent.
D'après une historiette contée au xviue siècle,
le jeune Pierluigi, suivant le chemin qui amenait
à Rome les paysans de Palestrina, chargés de
légumes et de fruits, serait passé en chantant
devant le portail de Sainte-Marie Majeure, et
aurait été, pour sa jolie voix, remarqué par le
maître de chapelle de cette église, qui se serait
chargé de son éducation. On lit des récits
analogues à l'entrée de beaucoup de biographies
d'hommes célèbres, et la plupart ne tirent pas
à conséquence. Le maître de musique de Sainte-
Marie Majeure, en fonctions depuis le 26 juin
i53g, s'appelait Giacomo Coppola. L'histoire
n'a conservé nul souvenir de lui, et personne
n'a cru devoir s'arrêter à une anecdote que
Pitoni, tout en la rapportant, n'a pas essayé de
soutenir, puisque au contraire il a adopté, tout
en la modifiant, la version différente de
Libéra ti (1).
Celle-ci est une phrase écrite en passant,
dans une brochure de controverse théorique, en
1684, c'est-à-dire quatre-vingt-dix ans après la
mort de Palestrina. L'auteur, Antimo Liberati,
organiste et compositeur de l'école romaine,
consulté sur le mérite des morceaux présentés
à un concours, accompagna ses observations
d'un court exposé historique, dans lequel il
entreprit de tracer une sorte de généalogie
artistique des compositeurs de musique reli-
gieuse. Au milieu de ce travail, d'ailleurs très
défectueux, on relève le passage suivant :
« Parmi les nombreux maîtres ultramontains
qui fondèrent des écoles de musique en Italie
et à Rome (comme étant les premiers à
posséder l'art du chant et de la musique har-
monique figurée), se trouva Gaudio Mell,
Flamand, homme de grand talent et de style
très cultivé et agréable, lequel fonda à Rome
une noble et excellente école de musique, d'où
découlèrent plusieurs ruisseaux de vertu ; mais
le torrent principal et supérieur, qui absorba
et dépassa tous les autres, fut Gio. Pierluigi
Palestrina », etc. (2).
Pitoni, en résumant le sens de ces lignes, les
accompagna d'une interprétation différente du
même nom : Gaudio Mell ou Claudio Mell, et
(1) L'ouvrage inédit de Pitoni, Notizie de contrappuntisti
e compositori, etc., est conservé aux archives du Vatican.
La Bibliothèque nationale de Paris en possède une
copie, parmi les papiers de La Fage, ms fr. nouv. acq.
266. — Pitoni, né en 1657, mourut en 1743.
(2) Lettera scritta del sig. Antimo Liberati in riposta ad
una del sig. Ovidio Persapeggi, eic.Rome, i685, in-40. La
lettre est datée de 1684. Le passage cité se lit à la p. 22.
LE GUIDE MUSICAL
6i3
les fit suivre d'un détail nouveau : ce musicien,
laissant Palestrina à Rome, serait parti pour
remplir les fonctions de maître de chapelle du
roi de Portugal, « d'où, par curiosité, dit-il, il
revint en i58o pour voir Palestrina, tant il
avait de chagrin de ne pas le voir : et il en fut
tout réconforté. »
Quel pouvait être ce musicien, dont évidem-
ment le nom n'était cité que sous une forme
altérée? Pitoni songea bien au Franc-Comtois
Claude Goudimel, mais n'osa s'y arrêter, faute
d'avoir retrouvé de lui une trace quelconque à
Rome. Burney proposa Renato de Mel ou
Rinaldo Mell, sans pouvoir apporter à l'appui
de son interprétation aucun argument raisonna-
ble. Baini revint à Goudimel et s'y attacha avec
opiniâtreté. Bientôt son opinion fit force de loi
et le musicien bisontin fut partout surnommé
« le maître de Palestrina ». Par le simple
résultat de la transmission de main en main,
l'assertion de Baini se développa jusqu'aux
plus incroyables proportions. Sous prétexte
que tel ou tel artiste avait appartenu à la même
famille musicale que Palestrina, on en fit son
condisciple dans « l'école » de Goudimel. Le
pasteur Douen imagina de présenter l'enseigne-
ment « laïque » du maître huguenot comme un
affranchissement de l'art, un antipode de l'en-
seignement des maîtrises : à quoi, dans le parti
opposé, un auteur non moins intransigeant
répondit en basant une suspicion contre la
catholicité de la musique de Palestrina sur le
prétendu fait qu'il aurait été dirigé, dans ses
études contrapontiques, par un serviteur de la
Réforme (i).
Nous avons, il y a quelques années, exposé
ici même les raisons pour lesquelles on doit
abandonner la version de Baini (2) : Goudimel
n'a pas pu être le maître de Palestrina, parce
qu'il n'est jamais allé à Rome. Aucune preuve
de sa présence en Italie, à une époque quel-
(1) Voyez Baini, Palestrina, t. I,p. i5 et suiv. ; Douen,
Clément Marot et le psautier huguenot, t. II, p. 23, et Super,
Palestrina. — A propos de ce dernier ouvrage, le R. P.
Soullier a fait observer qu'en tous cas Goudimel n'avait,
à 1 époque voulue, pas encore embrassé la Réforme.
(2) Voyez nos articles dans le Guide musical des 27
janvier et vj février i8g5, et notre étude sur Claude
Goudimel (Besançon, 1898).
conque, n'a pu être fournie ; les archives de la
chapelle pontificale sont muettes sur les fonc-
tions que l'on a assuré y avoir été remplies par
lui ; les œuvres que Baini disait exister sous
son nom dans les églises de Rome semblent
se réduire à une dizaine de motets que possé-
dait vers i83o la congrégation des Pèn.s de
l'Oratoire, et dont la date de copie ainsi que
la provenance sont inconnues.
Si Goudimel avait tenu à Rome le rang qu'on
lui assigne, s'il y avait formé seulement une
petite partie des élèves qu'on lui attribue, les
écrivains musicaux de l'Italie n'auraient pas
ignoré son nom, ni les éditeurs ses oeuvres; et
lui-même aurait rapporté en France quelque
souvenir d'un séjour à l'étranger. N'oublions
pas enfin que les musicologues modernes, qui
ont étudié les messes de Palestrina, s'accordent
à le regarder comme le disciple d'un maître
flamand, ou d'un maître lui-même formé à
l'école des Néerlandais : or, ni par sa naissance,
ni par ses œuvres, Goudimel ne se rattache à
cette école.
Puisque tout l'échafaudage relatif à Goudimel
n'a été bâti que sur une imparfaite ressemblance
de son nom avec celui de Gaudio Mell ou
Claudio Mell, pourquoi ne pas rechercher si de
pareilles analogies ne conduiraient pas à
d'autres suppositions ?
Le prénom de Claudio, que Pitoni suggère au
lieu du fantaisiste Gaudio, n'a guère été porté en
Italie, à l'époque voulue, que par Claudio
Veggio, auteur d'un livre de madrigaux im-
primé deux fois à Venise, en 1540 et 1545, et de
quatre pièces du même genre insérées en 1544
dans le Dialogo délia inusica, d'Antonio Fran-
cesco Doni. Un certain « Claudio », qui figure
parmi les interlocuteurs de ce dialogue,
doit, selon toute apparence, être assimilé à
Claudio Veggio, qui par conséquent aurait
habité Venise. Si l'on pouvait accorder créance
à un passage de Cerone, d'après lequel Pierluigi
de Palestrina aurait en sa jeunesse voyagé en
divers lieux et visité les musiciens les plus
renommés (1), le séjour de Veggio dans l'Italie
du Nord ne mettrait pas obstacle à la possibilité
(1) Cerone, El Melopeo, i6i3, p. 92.
614
LE GUIDE MUSICAL
de ses rapports avec le futur auteur de la
« Messe du Pape Marcel ». Mais, outre que
rien ne confirme ce dire de Cerone, Veggio
n'est cité nulle part comme professeur, et ne
répond pas à la qualité de Flamand, que l'on
exige, moralement ou matériellement, du
maître de Palestrina.
Essayons donc de tourner nos regards d'un
autre côté et d'examiner si Tommaso, ou Gian-
Thomaso Cimello ne pourrait pas personnifier
1 enigmatique Gaudio ou Claudio Mell. Il serait
facile, en se rappelant la fréquence des défor-
mations orthographiques au xvie siècle, de
suggérer comment a pu s'opérer le déguisement
du nom entre 1540 et 1684 : mal écrit ou mal
lu, un document quelconque aurait remplacé la
lettre i par un 1, et de Cimello fait Cimello,
après quoi Cl. Mello serait très naturellement
devenu Claudio Mell, forme aussi proche assu-
rément de Cimello que Pellestrino, Carchillion
et Holreghan, par exemple, le sont de Pales-
trina, Crequillon et Ockeghem. Mais des argu-
ments plus sérieux peuvent être invoqués.
La biographie et les œuvres de Cimello n'ont
pas attiré jusqu'ici l'attention des musicologues.
Selon les titres de ses publications, il était
Napolitain. L'époque de sa naissance est in-
connue, et nous verrons qu'il vivait encore en
1579; mais il était certainement alors très âgé,
car dans l'un de ses écrits, il dit avoir jadis
conversé, à Sora, « ville fameuse de l'Equi-
pole », avec le célèbre imprimeur de musique
Ottaviano Petrucci, lequel mourut le 7 mai
i53g. Le plus ancien ouvrage imprimé de
Cimello que l'on connaisse aujourd'hui parut
en 1545, à Venise, chez Antonio Gardano. C'est
un Libro primo de chansons napolitaines,
Canzone villanesche al modo napolitano à trois voix.
Malgré les mots : « nouvellement mis en
lumière », qui précèdent au titre le nom de
l'éditeur, l'absence de dédicace porte à supposer
qu'il s'agit d'une deuxième édition. En 1547, un
motet [Aima redemptoris), de Cimello, parut dans
un livre de Lucario, son élève. En 1548, le
même Gardane imprima un Libro primo de Canti
a quatro voci sopra madriali e altre rime, que
Cimello dédiait à Fabrizio Colonna et dans
lequel, chose rare en ce temps, les noms des
poètes étaient marqués à chaque morceau :
avec Pétrarque, Sannazar, Arioste, ces poètes
étaient Vittoria Colonna, Alfonso d'Avalo, le
cardinal Bembo, etc., et Cimello lui-même, qui
avait versifié une stance sur la mort prématurée
de son fils Lelio. Un madrigal du même livre
avait été composé pour une comédie des acadé-
miciens Sereni, de Naples. Celui qui commen-
çait par les mots « Non e lasso » fut reproduit
l'année suivante dans un recueil collectif que
fit paraître Antonio Gardano.
D'autres œuvres de Cimello, dont il sera fait
mention plus loin, paraissent n'avoir jamais
été imprimées, et la rareté de celles que nous
venons de citer rend difficile l'étude du talent
de leur auteur. Il appartient surtout aux musi-
cologues italiens de nous renseigner quant à
la valeur des œuvres de Cimello. Un éventuel
rapprochement entre leurs procédés de compo-
sition et ceux des premiers madrigaux de
Palestrina ne suffirait pas à étayer l'hypothèse
de relations pédagogiques entre les deux
musiciens, si d'autres documents ne présentaient
pas Cimello comme un. professeur estimé et un
partisan des doctrines néerlandaises.
Plusieurs compositeurs, dont les œuvres ont
été conservées, se déclarent les élèves de
Cimello. C'est d'abord, en 1547, Giovanni
Giacobbi Lucario, qui place dans un premier
livre de motets à quatre voix ses « prémisses
musicales », un motet et une pièce de vers
latins de Cimello, son maître. Ce sont ensuite
Tomaso Giglio, Martello, Giulio Belli, le P.
Orazio de Caposele, qui, dans les dédicaces ou
les préfaces d'ouvrages sacrés ou profanes, se
réclament de lui et l'appellent « un très docte et
excellent musicien », « un homme versé dans
tous les procédés de l'art » (1).
Un manuscrit théorique conservé à la biblio-
thèque du Liceo musicale de Bologne, et que
nous connaissons seulement par le court et
curieux extrait inséré dans le catalogue de cet
établissement, donne à penser que la science de
Cimello avait pour fondement les traditions
des Néerlandais. C'est un petit traité consacré
(1) Pour les titres de ces différents ouvrages, voyez le
catalogue du Liceo musicale de Bologne, la Bibliothek der
weltlichen Musih Italiens, de Emil Vogel, et les M onatshef te
fur Mus ihgeschi dite, t. XVI.
1
LE GUIDE MUSICAL
6i5
à des problèmes de notation proportionnelle
chers aux musiciens flamands. Cimello s'y
appuie sur l'autorité de Tinctoris, auquel il a,
dit-il, plus de créance qu'en tous les autres
auteurs, et sur celle de Jean Lheritier, élève de
Josquin Deprés, dont il rapporte une conver-
sation relative au traitement canonique de la
chanson de l'homme armé : on sait combien ce
thème fameux jouait un rôle important dans
l'arsenal des Néerlandais; et l'on se rappelle
aussi qu'il fut deux fois traité en messe par
Palestrina, — une fois, principalement, à cinq
voix, avec toutes les recherches d'écriture
qu'affectionnaient les Flamands et leurs disciples,
et dans lesquelles ils se complaisaient à se
surpasser l'un l'autre.
Cimello semble avoir, jusque dans ses
madrigaux, montré une prédilection semblable
pour les « artifices » . La table de son livre de
1548 indique un madrigal composé sur des
fragments de thèmes déjà traités par d'autres
maîtres ; des stances notées de façon à pouvoir
se chanter avec pauses et sans pauses; une
pièce mesurée par le signe nouveau du « temps
imparfait redoublé ». Ce qu'il avait appris
peut-être directement de Tinctoris, à Naples,
Cimello le transmettait sans doute à ses élèves ;
et, Napolitain de fait, il semble bien avoir pu
mériter, comme professeur, l'épithète de
« flamand ».
Rien ne nous apprend en quelle ville il
enseignait, et si, vers 1540, il vécut quelque
temps à Rome. Mais, dans le peu que nous
savons de lui, un détail ressort qu'il faut remar-
quer : c'est le fait de ses relations suivies avec les
Colonna. Son livre de 1548 est dédié à l'un
d'eux, Fabrizio Colonna ; il est précédé de
poésies latines et italiennes versifiées par
Cimello en l'honneur de ce prince et de Marc
Antonio Colonna, son frère; il contient en
première page un morceau composé sur des
vers de Vittoria Colonna, morte l'année précé-
dente. A seize ans de là, en 1564, une dédicace
de Martello prouve que son maître, Cimello,
était au service de Marc Antonio Colonna, — le
futur vainqueur de Lépante. Or, la ville de
Palestrina faisait partie des possessions de la
branche aînée des Colonna; Pierluigi de
Palestrina devait dédier à l'un d'eux son second
livre de madrigaux, en se reconnaissant son
« vassal » ; serait-il absolument invraisemblable
de supposer un lien entre ces faits, et de se
demander si, au sortir probablement du chœur
de la cathédrale de Palestrina, l'apprenti com-
positeur n'aurait pas été à dessein placé sous
la direction d'un protégé des Colonna de
Naples, par quelque membre de la lignée des
Colonna de Palestrina, s'intéressant à ses
études ?
On pourrait insister aussi sur ce que le plus
ancien morceau imprimé de « Gianetto » —
ainsi que l'on appelait le jeune Pierluigi —
parut chez le même éditeur, Antonio Gardano,
qui publia les deux premiers livres de Cimello
et les ouvrages de début de trois de ses élèves,
Lucario, Giglio et Belli.
En i563, Giglio, s'adressant au cardinal
d'Aragon, lui dit avoir espéré d'autant plus
facilement se faire connaître de lui, qu'il sait
« par Cimello » que Sa Seigneurie s'exerce à
certaines heures au chant. Faudrait-il aller
jusqu'à croire que les relations du compositeur
napolitain avec les représentants du roi d'Espa-
gne en Sicile et à Naples ont pu être l'origine
de l'assertion de Pitoni, d'après laquelle le
maître de Palestrina serait allé servir le roi de
Portugal? Le dernier document que nous
connaissions aujourd'hui sur la vie de Cimello
nous laisse entendre d'une manière assez
confuse qu'il visita l'Espagne et la France, et
qu'en 1579, n'ayant pas été depuis dix ans à
Rome, il se proposait d'y retourner ; ce qui
pourrait encore, peut-être, s'accorder avec la
mention que fait Pitoni d'un voyage de
Claudio Mell à Rome, en i58o.
Ce document est une lettre de Cimello au
cardinal Sirleto, découverte naguère par M.
Dejob parmi les papiers de ce prélat (1),
découverte une seconde fois et publiée in
extenso par l'un des récents historiens de la
revision du Graduel romain sous Grégoire XIII,
MsrRespighi (2). Cimello datait cette lettre de
Monte San Giovanni (en Çalabre), le i3
(1) Dejob, De l'influence du concile de Trente sur la litté-
rature et les beaux-arts, etc. 1884.
(2) Respighi, Nuovo studio sur G. Pierluigi da Palestrina,
etc. 1900.
6i6
LE GUIDE MUSICAL
décembre 1579. A côté de propositions bizarres
concernant la notation du chant liturgique, il
y plaçait force détaits sur sa santé, que l'air
natal avait réconfortée, sur les cinq petits-fils
dont il se trouvait chargé et auxquels il songeait
à trouver des emplois, sur un séjour qu'il
venait de faire à Bénévent et sur les conver-
sations qu'il y avait tenues avec « les vieux et
les vieilles » ; sur ses œuvres enfin, dont il
n'éprouvait nul embarras à faire lui-même
l'éloge. Laissant, disait-il, aux jeunes ger.s
les choses amoureuses, il avait composé un
livre de sonnets spiiituels et un autre d'épi-
grammes pieuses, qu'il se proposait de faire
imprimer lui-même à Naples, pour éviter les
fautes typographiques, — et en effet, pour
commencer, il avait en i5jj inséré une canzone
de sa composition dans le second livre des
Canzone de son élève Grammatio del Mé-
tallo (1). — Il brûlait du désir de mettre son
double talent de poète et de musicien au service
du cardinal, et lui envoyait un motet, qu'il
priait « messer Akssandro » de soumettre au
jugement de « quelques amis tels que messer
Giovan Maria, messer Pietro da Picinisco,
messer Luigi et autres gens avisés ». Les per-
sonnages ainsi désignés, et qui vivaient à Rome
en ï5yg, sont très probablement Alessandro
Romano, Giovanni Maria manino et Pierluigi
de Palestrina. Dans le courant de la même
lettre, Cimello mentionne encore Annibal Zoilo
et Orlando (de Lassus), comme ayant eu avec
eux des rapports récents ou anciens.
Le vieux Cimello dut mourir peu après cette
année i5jg. Nous serions heureux d'avoir, par
ces lignes que beaucoup de lecteurs trouveront
hasardées, attiré sur lui l'attention et provoqué
des recherches d'où sortira peut-être la solution
du problème qui concerne l'éducation de
Palestrina. Michel Brenet.
(1) Cet ouvrage fut imprimé à Naples par Matteo
Cancer en vertu d'un privilège possédé par « Filesio
Cimello » .
É Wl I L E ZOLA MUSICIEN
h lundi 29 septembre 1902, on annon-
çait la mort accidentelle et tragique
d'Emile Zola. Cette date néfaste vient
de nous être rappelée par quelques
pages extraites d'un nouveau volume de notre
confrère Adolphe Aderer, Hommes et Choses de
Théâtre. Dans ce très curieux ouvrage, on retrouve
l'opinion de Zola sur les rapports de la poésie et
de la musique et, après l'avoir lue, on n'est guère
plus avancé qu'avant et l'on se demande si le
célèbre romancier avait quelque goût musical.
L'enquête médico-psychologique faite par le doc-
teur Edouard Toulouse sur Emile Zola, approuvée
par lui et imprimée de son vivant (novembre 1896),
laisse peu de doute à cet égard. Nous venons de
la relire et nous en détachons les lignes caracté-
ristiques suivantes :
« M. Zola a une très mauvaise oreille musicale,
peu éduquée et peu susceptible de l'être, à ce
point qu'il n'a jamais pu chanter une gamme juste.
Dans ces derniers temps, il s'est occupé de mu-
sique, ce qui n'a pas changé son oreille. Si
M. Zola n'a pas le sens des intervalles musicaux,
ni de l'harmonie des accords, il a, très développé,
celui du rythme. En musique, il n'aime pas la
symphonie, qu'il ne comprend pas. Aussi goûte-
t-il mieux Topera; et encore faut-il qu'il entende
les paroles, sans lesquelles toute musique lui
semble obscure. »
De ces lignes, il semble résulter que Zola fut un
piètre musicien, ou pas musicien du tout.
Je m'étonne que Zola n'ait pas protesté contre
ce jugement. Dans les dernières années de sa vie,
il affectait des opinions sur l'art musical, depuis,
surtout, qu'il avait collaboré avec M. Alfred
Bruneau ; il avait même des théories sur le drame
lyrique, qu'il manifestait complaisamment, comme,
d'ailleurs, l'ont . fait la plupart des hommes de
lettres.
* * *
Ils sont rares, les musiciens qui écrivent sur
leur art, plus rares encore les littérateurs qui
s'abstiennent de parler musique. Ceci ne com-
pense pas cela. Il y a profit à lire les uns, curiosité
à entendre discourir les autres. Les poètes et les
romanciers se sont plu de tout temps à cet exercice.
Il est arrivé aux premiers d'émettre des théories
saines et de prévoir (vates) l'opinion du lendemain,
et aux seconds d'introduire dans leurs livres des
LE GUIDE MUSICAL
617
personnages chargés d'exprimer leurs idées en
matière musicale.
Presque tous les poètes ont été wagnéristes
avant l'heure. La conception légendaire de
Wagner, plus littéraire que musicale, devait sin-
gulièrement les séduire. Baudelaire et M. Catulle
Mendès notamment ont lutté avec persévérance
en faveur du maître allemand, et il serait puéril
aujourd'hui de nier leur victoire.
Les romanciers sont venus après la bataille et
se sont couverts de lauriers.
Si mes souvenirs de lecture sont fidèles, Emile
Zola n'a effleuré la questien musicale que dans
deux romans.
Dans l'Œuvre, un personnage s'efforce de carac-
tériser le génie de tous les compositeurs célèbres,
depuis Haydn jusqu'à Berlioz, « illustrateur musi-
cal de Shakespeare, de Virgile et de Goethe », et
Wagner, « tous les arts en un seul ».
A cette époque, le Leitmotiv le hantait déjà. Il
le produisait volontiers dans ses romans. Voyez
« ce louchon d'Augustine » qui revient à chaque
instant dans Y Assommoir. Ce procédé, il l'étendra
davantage plus tard. Dans Fécondité, par exemple,
ce n'est plus une unique épithète qu'il répétera à
satiété pour la graver dans l'esprit du lecteur,
c'est tout un paragraphe qu'il reproduira une
dizaine de fois, celui-ci : « Deux ans se passèrent.
Et, pendant ces deux années, Mathieu et Marianne
eurent un enfant encore, une fille (ou un fils). Et,
cette fois, en même temps que s'augmentait la
famille, le domaine de Chantebled s'accrut aussi,
à l'ouest (ou à l'est) du plateau... C'était la con-
quête invincible de la vie, la fécondité s'élargis-
sant au soleil, le travail créant toujours, sans
relâche, au travers des obstacles et de la douleur,
compensant les pertes, mettant à chaque heure
dans les veines du monde plus d'énergie, plus de
santé et plus de joie. »
La répétition de ce couplet, venant toutes les
vingt pages, produit un effet puissant.
Dans la Joie de vivre, vous vous rappelez Lazare,
ce « raté » perpétuel, qui, après avoir pris au lycée
quelques leçons de violon, compose des sympho-
nies imitées de Berlioz, la symphonie du Paradis
terrestre, la symphonie de la Douleur, où « l'a-
néantissement final est rendu par un temps de
marche très ralenti »! — « Jamais encore une
besogne ne l'avait emporté à ce point : il en
oubliait les repas, il cassait les oreilles de Pauline,
qui trouvait ça très bien et lui recopiait propre-
ment ses morceaux. »
Ainsi Zola ignorait que pour écrire de la mu-
>■ • sique, même mauvaise, il ne suffit pas d'avoir un
peu d'imagination et beaucoup de coeur, mais qu'il
faut avoir travaillé longtemps l'harmonie et la
composition. Il partageait, d'ailleurs, Terreur
commune à la plupart des hommes de lettres.
Lisez Modeste Mignon, de Balzac, et vous verrez
que l'héroïne, ayant étudié sans maître, composait
d'instinct des cantilènes charmantes. Quand elle
s'ennnyait, ou plutôt quand elle était sous le coup
d'une émotion profonde, elle improvisait et tradui-
sait en mélodies l'état de son âme, tout simple-
ment. Balzac nous a offert un échantillon des
compositions de la jeune fille : c'est une mauvaise
valse, banale à faire bâiller, mal rythmée et pro-
sodiée en dépit du bon sens. Balzac la jugeait
remplie d'amour et de passion.
Théodore de Banville, dans un conte adorable
de fantaisie, nous a peint une jeune femme douée
de toutes les qualités intellectuelles et artistiques.
« Elle copiait, dit-il, habilement un dessin, com-
prenait la poésie et composait de la musique. » Il
s'était bien gardé d'écrire qu'elle faisait des vers ;
elle les comprenait seulement! Il savait trop, lui
poète, que son métier exige de longues études ;
mais il laissait entendre naïvement que les œuvres
musicales germent spontanément dans le cerveau
de n'importe qui, et qu'on n'a qu'à noter sur le
papier les mélodies, filles inconscientes de l'inspi-
ration.
Zola était plein d'incertitude sur ses aptitudes
musicales, et même sur son goût.
Longtemps avant Y Attaque du Moulin (je parle
non de la nouvelle publiée dans les Soirées de
Médan, mais de l'opéra de M. Alfred Bruneau),
Zola avait, dans une lettre, exprimé son sentiment
sur la musique et les musiciens. Il racontait qu'il
avait été clarinette dans la fanfare du collège
d'Aix. « Je dois vous dire qu'à cette époque, je
n'avais pas du tout, pas du tout l'oreille juste.
Je n'ai jamais pu chanter, d'ailleurs. Or, pour les
bois, les flûtes, par exemple, ou encore certains
cuivres, tels que le piston, avoir l'oreille juste est
une condition sine qua non. Après mûres délibéra-
tions, on me confia la clarinette. » Ainsi, la jus-
tesse de l'oreille importe au piston et non à la
clarinette, suivant Zola. Il croyait en jouer passa-
blement, puisqu'il ajoutait fièrement qu'au théâtre
d'Aix, il tenait sa partie dans Fra Diavolo, le Postillon
et la Dame Hanche.
Mais dès qu'il vint à Paris, il dut abandonner
son instrument, la littérature et le journalisme
ayant pris tout son temps. La clarinette fut relé-
guée dans un tiroir, puis quand la fortune lui
6i8
LE GUIDE MUSICAL
arriva, mise à la place d'honneur dans son salon
de Médan.
Finies ses amours avec la clarinette, il fit pro-
fession d'une certaine haine pour la musique. « Je
me rencontrais sur ce point, dit-il, avec nombre de
littérateurs. Vous savez que ni Hugo, ni Gautier
n'aimaient les orchestres. Je voyais aussi à ce
moment Flaubert, qui, lui non plus, ne pouvait
souffrir la musique. Il y a mille boutades de lui
à ce sujet. J'acceptai les mêmes opinions. Je nour-
ris même contre l'opéra une certaine haine et je
ne me gênai pas pour le déclarer souvent. J'affec-
tais le plus vif mépris pour l'art des doubles et des
triples croches. »
La conversion vint. Ce fut M. Alfred Bruneau
qui opéra le miracle. La veille de la première
représentation de l'A ttaque du Moulin, il publia un
manifeste en faveur de l'ouvrage du compositeur
et développa ses idées sur le drame lyrique tel
qu'il le concevait. Il voulait que tout livret inté-
ressât par lui-même, comme une histoire passion-
nante qu'on raconterait, qu'il y eût des hommes
dedans et que de toute l'oeuvre sortit un cri pro-
fond d'humanité. « Ah ! musiciens, s'écriait-il, si
vous vous touchiez au cœur, à la source des
larmes et du rire, le colosse Wagner lui-même
pâlirait, sur le haut piédestal de ses symboles. »
Tout cela était, sinon nouveau, du moins raison-
nable et écrit en bons termes. Il s'ensuivit les
poèmes en prose de Messidor, de l'Ouragan et de
YEnfant-Roi, trois livrets très médiocres suivant
les uns, et suivant les autres, de purs chefs-
d'œuvre.
Que conclure? Zola était- il musicien ou ne
l'était-il pas? Bien qu'il jouât dans sa jeunesse de
la clarinette et qu'il s'essayât plus tard sur l'har-
monium, il serait téméraire d'avancer qu'il fut
musicien. Le docteur Toulouse, je crois, l'a bien
jugé-
Ne fréquentant pas les concerts, allant de loin
en loin dans les théâtres lyriques, et seulement
vers la fin de sa vie (la dernière fois que je le ren-
contrai, ce fut à une représentation de Pelléas et
Mélisande, où j'eus l'honneur de lui être présenté',
ayant de vagues notions sur les œuvres musicales,
apprises par quelques lectures, et renseigné seule-
ment par les compositeurs qu'il fréquentait, Zola
n'avait et ne pouvait avoir aucun goût pour la
musique.
Tout ce qu'il en a pensé, dit et écrit, n'était que
de la littérature, peu de chose, moins que rien.
Julien Torchet.
LA SEMAINE
PARIS
A L'OPÉRA-COMIQUE. — Nous avons
un certain nombre de débuts ou de rentrées
d'artistes à enregistrer depuis la reprise de la
saison musicale. L'Opéra- Comique, surtout offre
presque tous les soirs quelque attrait à ses
habitués. L'Opéra se réserve et n'a eu qu'un début,
mais du moins sensationnel : celui de Mlle Margyl
dans Samson et Dalila, qui avait attiré une foule
exceptionnelle. Mlle Jane Margyl n'en est pas
précisément à ses débuts : outre le passage trop
rapide qu'elle fit à l'Opéra-Comique en 1902, nous
l'avons vue déjà à la Gaîté (Lyrique), dans Hêro-
diade. Mais surtout elle travaillait, elle travaillait,
pour arriver sûre d'elle jusqu'à notre première
scène. C'est à l'enseignement de M. Al. Luigini
qu'elle doit l'achèvement de son talent, vraiment
très prometteur, et on s'en aperçoit. La nouvelle
Dalila n'est pas seulement d'une beauté sculptu-
rale, animée de gestes pleins de noblesse et de
distinction, elle chante avec goût et unité, d'une
voix moelleuse et qui semble devoir se déve-
lopper encore, et elle articule, elle dit avec un
style très sûr. Son succès a été des plus vif.
A l'Opéra-Comique, dès le jour de la réouverture,"
il y a eu du nouveau sur l'affiche. Dans Manon,
M.Jean Périer a j oué Lescaut pour la première fois,
et avec un esprit, une verve fine dans son réalisme
des plus appréciables. Ensuite, c'est Le Roi d'Ys
(toujours avec Mme Marguerite Carré comme pro-
tagoniste) qui nous a montré Mlle Cocyte dans
Margared, et Mlle Cocyte a prouvé amplement, et
avec une voix véritablement puissante, qu'elle
n'est plus des celles que l'on doit confiner dans les
seconds rôles. Comme débuts, voici M1!e Brozia
dans La Traviata ou Mlle La Palme dans Mireille,
mais surtout Mlle Mathieu-Lutz dans le Barbier de
Séville. On n'a pas oublié le passe-droit dont elle a
« bénéficié » au Conservatoire. Le « bénéfice »,
dans des cas pareils, c'est le vrai public qui l'ap-
porte à l'élève infortunée. Peu de débuts auront
en somme été aussi heureux. Une gentille petite
voix bien conduite, avec des vocalises parfaites de
légèreté, un jeu constamment intelligent, une
figure espiègle et vivante, ont charmé tout le
monde à l'envi. Autres débuts, masculins :
M. Azéma, ce même soir, dans Basile, une basse
entendue il y a quelques années au Conservatoire,
belle voix bien timbrée et jeu honorable, et M. Lu-
cazeau, le prix de cette année, ténor vibrant, qui a
LE GUIDE MUSICAL
619
paru dans Grisélidis. Enfin, c'était aussi un début
ici que celui de M. Ruhlmann, le nouveau chef
d'orchestre, et un chef d'orchestre de carrière, cosa
rara, au geste souple et sûr.
Comme rentrées, c'est d'abord Mme Charlotte
Wyns, un peu perdue de vue depuis quelques
années et qui non seulement s'est remontrée
dans Mignon et Werther, mais a repris le rôle
de Grisélidis, laissé en souffrance par MUe Cesbron
après Mme Bréval. Ce ne sont pas les quantités
qui manquent à Mme Wyns ; si cependant
elle voulait bien ne pas trop s'appliquer à être
constamment suave, dans ces rôles si natu-
rellement simples, elle y ferait bien plus d'im-
pression. Puis, c'est Mme Bréjean-Silver, dont
la belle voix vibrante a rappelé d'anciens
succès dans Manon, en attendant la Traviaia.
Enfin, mais ceux-là sont de la maison, l'excellent
Fugère a reparu dans le Barbier de Séviïïe et Grisé-
lidis, et Mlle Friche dans Carmen.
Et puis Werther est arrivé à sa centième ; il
l'aura attendue bien longtemps. C'est que, l'on s'en
souvient, l'oeuvre de Massenet n'avait pas été
considérée tout d'abord comme nécessaire au
répertoire, et puis que Mme Delna avait quitté
l'Opéra-Comique. Venu de Vienne, où il avait paru
d'abord, en allemand, le 16 février 1892, avec
Van Dyck et Mlle Renard comme interprètes
(indépassés sur aucune scène), Werther fut donné à
l'Opéra-Comique le 16 janvier 1893, avec Mme
Delna, Mlle Laisné (qui débutait), Ibos et Bouvet.
Il obtint alors quarante-trois représentations
d'affilée, puis fut retiré; en 1897, il revint un
instant, toujours avec Mme Delna suppléée par
Mme Charlotte Wyns, mais redisparut au bout de
onze fois. C'est donc avec un précédent de
cinquante-six représentations seulement que l'é-
mouvante partition reprenait son rang au mois
d'avril igo3, et c'est grâce à sa distribution nou-
velle et avant tout à la nouvelle Charlotte, la plus
vraie et la plus attachante de toutes, Mlle Marié
de l'Isle, que Werther doit d'avoir dès lors gardé
constamment l'affiche et atteint sa centième. Le
bénéfice en revient à Mme WTyns : tant mieux pour
elle, car elle a bien voulu nous laisser entendre,
dans une lettre déjà ancienne, mais qu'on vient de
reproduire, d'abord que M. Massenet est un maître,
ensuite que, pour sa part, elle ne souhaite rien
tant que de chanter toujours et toujours le rôle de
Charlotte. La voilà satisfaite. H. de C.
A L'OPÉRA. — M. Lapissida, après une
longue carrière, demande à M. Gailhard de vouloir
bien le relever de ses fonctions, désirant prendre
un repos bien gagné. C'est M. Speck que
M. Gailhard a choisi pour remplir les fonctions de
régisseur général.
La reprise si attendue d'Armide, le grand succès
de la saison, sera donnée à l'Opéra, lundi 2 octo-
bre. M,le Lucienne Bréval fera sa rentrée dans le
rôle d'Armide.
— Ecole de Piano Wurmser. — S'il arrive
parfois à des élèves exceptionnellement doués
de faire la réputation des professeurs, on peut
établir comme règle que les bons professeurs
forment les bons élèves. Quand le professeur
est un virtuose et un grand artiste, et qu'il joint
l'exemple à l'enseignement pratique, ses leçons
sont doublement avantageuses : elles économi-
sent le temps de l'élève par le modèle immédiat
qu'elles lui offrent et qu'il n'a plus besoin de cher-
cher ailleurs pour s'en inspirer, et elles hâtent
l'éclosion de son talent et son complet épanouisse-
ment.
En apprenant que M. Lucien Wurmser fondait
à Paris une école de piano et qu'il lui adjoignait
sept succursales en province (en attendant d'au-
tres), nous avons éprouvé autant de surprise que
de plaisir. Nous nous rappelions que, chaque hiver,
le jeune et brillant virtuose donnait des auditions
en France et à l'étranger; nous savions qu'à la
saison prochaine, il devait se faire entendre notam-
ment en Hollande, en Suisse, en Italie, en
Roumanie, à Monte-Carlo, et, à Paris, aux Con-
certs Colonne et à la Société philharmonique.
Comment, dès lors, trouverait-il le temps de
faire ses cours et de donner ses leçons ? Son acti-
vité et sa jeunesse ont résolu le problème : une
partie de chaque mois sera consacrée à des
voyages, l'autre, réservée exclusivement à son
école. Il présidera tous les cours avec l'aide de
M. Joseph Morpain, cet excellent pianiste doublé
d'un musicien accompli ; et, tour à tour, les deux
artistes, à l'imitation des inspecteurs du Conserva-
toire, iront examiner les classes des succursales.
M. Lucien Wurmser s'est assuré le concours
de professeurs réputés, la plupart ses élèves. Les
cours, s'adressant jusqu'ici plutôt à l'élément fémi-
nin, seront dirigés : à Paris, par Mmes Bétille et
Levrat, Mlles Delcourt, d'Herbécourt, Kahn,
Périer, Smyth et Tassart; à Bourges, par Mlle
Bougue ; à Châlons-sur-Marne. par Mlle Délerne;
à Cherbourg, par Mlle Kaufmann; au Mans, par
Mme Schultz-Gaugain ; à Nevers, par Mme De-
620
LE GUIDE MUSICAL
roche; à Poitiers, par Mme Rittberger ; enfin, à
Troyes, par Mme Putti-Villain et Mlle Paton.
Docere autem mulieri non permitto (Je ne permets pas
à la femme d'enseigner), disait saint Paul à
Timothée. En ce temps-là, l'apôtre devait avoir
des raisons pour parler ainsi. Aujourd'hui, il ne
les aurait plus. Si l'on rappelait son interdiction
et qu'on s'y conformât, que de jeunes intelligences
musicales seraient privées de précieuses leçons !
Les cours seront inaugurés le ier octobre ; ils
se tiendront, 23, rue Ballu. A peine sont ils
annoncés que déjà quatre-vingt-deux élèves se
sont fait inscrire. D'où vient ce succès « avant la
lettre »? Le nombre des professeurs méthodiques
est malheureusement très restreint, disait l'illustre
maître Marmontel. La remarque reste encore
juste. Indiquer à l'élève les défauts à éviter et les
qualités à acquérir, est une tâche facile ; ce qui est
rare, c'est d'appliquer une réelle logique dans la
classification des études, de donner aux leçons de
l'ensemble et de l'unité, et surtout de pouvoir
prêcher d'exemple. Le talent de M. Wurmser est
la plus persuasive des éloquences : c'est ce qui
explique et justifie la réussite de son entreprise
artistique et professorale.
Julien Torchet.
— L'année Beethoven n'est pas finie (en atten-
dant pour 1906 l'année Mozart). On nous annonce
que M. Ed. Risler se propose de donner à la salle
Pleyel, les samedis soir, entre le 28 octobre et le
23 décembre, l'ensemble des 32 sonates pour
piano. (Abonnements à l'administration A. Dande-
lot.) Nous savons d'ailleurs que l'éminent violoniste
M. Parent a l'intention de suivre régulièrement
toute l'œuvre de chambre de Beethoven, cet hiver,
à la salle ^olian. Nous reviendrons sur toutes ces
nobles entreprises.
— M. Camille Chevillard, qui reprendra le i5
octobre la série des Concerts Lamoureux au
Nouveau Théâtre, a l'intention de donner à son
premier concert la symphonie en la et l'ouverture
du Carnaval romain, en souvenir du premier concert
dirigé par Lamoureux, au Château-d'Eau, il y a
tout juste vingt-cinq ans. C'est le jubilé de la
société qu'il a fondée.
— Notre collaborateur M. D. Calvocoressi est
sur le point de faire paraître un volume sur Liszt,
orné de très curieuses reproductions inédites, qui
inaugurera la jolie collection des Musiciens célèbres
annoncée chez l'éditeur Laurens. C'est la première
monographie d'ensemble qui aura été consacrée à
Liszt en France. Nous en reparlerons.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Voici la saison théâtrale définitivement lancée.
Les reprises s'annoncent nombreuses et immi-
nentes à la Monnaie : Les Huguenots, Lahné, Louise,
La Muette de Portici qui seront donc quelques jours
venus compléter la liste fournie des ouvrages déjà
au répertoire et parmi lesquels, Princesse Rayon de
Soleil, La Bohème, Faust, Carmen et Hérodiade retien-
nent l'attention et la faveur générales.
Cette semaine nous avons eu une très heureuse
reprise du Barbier de Séville. Mieux que Guillaume
Tell, cet « opera-buffa » sauve à jamais de l'oubli
le nom de Rossini. Mais aussi, quelle verve juvé-
nile y a été dépensée par l'auteur, combien
l'inspiration y est abondante et facile, combien le
travail musical y est exempt de pédantisme et de
recherche ! Aussi, avec une interprétation pareille
à celle dont il a bénéficié cette quinzaine, ce fut
une joie qui n'a pas langui un instant du début au
finale.
Mlle Korsoff, qui fut, il y a quelques années,
pensionnaire de la Monnaie et qui depuis a
passé par l'Opéra-Comique, a fait dans le rôle de
Rosine une rentrée vraiment brillante. Elle a été
en tous points charmante, spirituelle, d'une allure
provocante, comme il sied à une Sévillane jeune
et passionnée. La voix s'est singulièrement assou-
plie; conduite avec méthode et sûreté, elle a une
grande légèreté, une rare aisance et une étonnante
justesse dans la vocalise. Ces belles qualités ont
brillé spécialement à l'acte de la leçon de chant,
où Mlle Korsoff a chanté avec beaucoup de brio la
chanson un peu bibiche du Mysoli de la Perle du
Brésil de Félicien David. Le public a fait un accueil
chaleureux à la jeune artiste et lui a décerné,
après le troisième acte, un triple rappel.
M. Decléry, qui paraît de mieux en mieux qua-
lifié pour les barytons d'opéra-comique, a été tout
à fait délicieux dans le personnage de Figaro. Il
a chanté son fameux air du premier acte comme
depuis longtemps on ne l'avait plus entendu ici ;
et dans tout l'ensemble de son rôle, composé avec
goût et sûreté, chanté d'une voix qui sonne clair
et se meut avec facilité, il a été excellent. Son
succès a été très vif.
M. David reprenait Almaviva, dans lequel on
l'avait déjà applaudi à la Monnaie. La sûreté de
ses vocalises et la verve de son jeu lui ont valu
comme par le passé un beau succès, partagé par
M. Belhomme, Bartholo amusant, chanteur de
talent, et par M. D'Assy, un Basile gravement
folâtre et qui sait donner l'ampleur voulue au
grand air de la Calomnie.
LE GUIDE MUSICAL
621
M. Rasse dirigeait l'orchestre et a contribué au
succès de cette représentation captivante d'un
chef-d'œuvre bientôt centenaire. N. L.
— S'inspirant des programmes de la Schola
Cantorum de Paris, quelques musiciens se sont
réunis pour fonder à Bruxelles un Institut supé-
rieur auquel ils ont donné le nom de Schola
Musicae. L'initiative en est due à M. Théo
Charlier, ancien premier soliste du théâtre de
la Monnaie, des Concerts Ysaye et des Concerts
populaires, professeur au Conservatoire de Liège,
qui a groupé à l'établissement dont il prend la
direction un corps professoral d'élite. Les cours
de composition, de contrepoint et d'harmonie
seront donnés par M. Joseph Jongen, qui diri-
gera également la classe d'orgue. Les cours de
violon et la classe de musique de chambre sont
confiés à M. Emile Chaumont; ceux de piano,
degré supérieur, à M. Emile Bosquet ; la classe de
piano du premier degré, à Mme Hertzberg, une
pianiste allemande qui, après de brillantes études
au Conservatoire de Dresde, s'est fait applaudir en
Allemagne et en Angleterre; M. Louis Miry, qui
se consacre définitivement au professorat, est
chargé de la classe de violoncelle; M. Arthur de
Hervé, du cours de solfège, M. Charlier se réser-
vant les cours de chant. D'autres classes seront
créées ultérieurement pour compléter un ensemble
éducatif qui embrassera, si le généreux effort des
professeurs est suivi, toutes les branches de l'art
musical. Les programmes d'études fixent dès à
présent pour chacune d'elles un enseignement
préparatoire, moyen et supérieur.
Les élèves admis au degré supérieur subiront
annuellement une épreuve publique et pourront
obtenir un diplôme délivré par un jury d'une com-
pétence et d'une autorité indiscutables. Une
bourse d'études de 3oo francs sera accordée à
l'élève le plus méritant. Enfin, au cours de l'hiver,
des séances de musique de chambre, des confé-
rences, des auditions d'élèves seront données à la
Schola. Les statuts de celle-ci prévoient des inscrip-
tions de membres protecteurs et de membres hono-
raires qui auront leurs entrées aux concerts, confé-
rences et auditions de l'Institut.
On ne peut qu'approuver ce plan et féliciter ceux
qui l'ont élaboré. Il est de nature à doter Bruxelles
d'un foyer d'art destiné à exercer la plus salutaire
influence sur les destinées de la musique et dont
l'avenir semble, dès à présent, assuré. Ajoutons
que la Schola Musicae est installée rue Gallait, go,
et qu'elle ouvrira ses cours le 3 octobre prochain.
— Huit partitions ont été envoyées au jury
chargé de l'attribution du prix de Rome. Elles
feront les 3 et 4 octobre, au Palais des Académies,
l'objet d'une audition au piano, pour permettre au
jury d'apprécier. Ce n'est qu'après cette épreuve
que se fait le classement définitif des concurrents.
— La Société des Concerts Ysaye nous commu-
nique le nom des artistes qui participeront à ses
concerts au cours de la saison 1905-1906.
Chant : Mme Marie Bréma et M. A. Van Rooy,
baryton. Piano : MM. Ferruccio Busoni, Raoul
Pugno et Arthur De Greef. Violon : MM. Jacques
Thibaud et Eugène Ysaye. Violoncelle : M. Marix
Loevensohn. Les concerts seront dirigés par
M. Eugène Ysaye,
Les six concerts de l'abonnement ainsi que les
répétitions générales publiques auront lieu aux
dates ci-après :
Premier concert et répét. génér. : 21-22 octobre.
Deuxième » » » 18-19 novemb.
Troisième » » » 9-10 décemb.
Quatrième » » » 24-25 février.
Cinquième » » » 24-25 mars.
Sixième » » » 21-22 avril.
A l'occasion du dixième anniversaire de la fon-
dation des concerts, une audition extraordinaire
aura lieu le 13-14 janvier.
Les inscriptions pour l'abonnement sont reçues
chez MM. Breiikopf et Hasrtel, Montagne de la
Cour, 45.
— Le théâtre Molière se consacrera dorénavant
à l'opérette. M. Munie a engagé dans ce but une
troupe complète.
— Les dates de la série B des matinées du
Molière consacrées à la « musique du passé » sont
fixées aux jeudis 23 novembre, 21 décembre,
25 janvier, 22 février et i5 mars. Comme pour la
série A, aucune de ces dates ne coïncide avec
celles de la série correspondante de matinées du
Parc ; les dates des séries C et D seront fixées
ultérieurement.
CORRESPONDANCES
BILBAO. — Le grand concours international
et national d'orphéons et fanfares, qui a eu
lieu, comme nous l'avons déjà annoncé, les 16 et
17 septembre, a présenté un très vif intérêt à
divers points de vue. L'époque trop tardive de la
fête avait malheureusement empêché la plupart
des sociétés françaises inscrites de se rendre à
622
LE GUIDE MUSICAL
Bilbao. mais plusieurs des meilleures représen-
tèrent du moins dignement notre école; et quant
aux sociétés espagnoles, il nous a été donné d'en
apprécier de tout à fait remarquables et qui font le
plus grand honneur à l'éducation, à l'esprit vrai-
ment artistique dont elles sont animées. Ces
joutes, d'un caractère autrement noble et relevé
que celles, trop envahissantes, de gymnastique ou
de sport, ont d'ailleurs excité une curiosité et un
enthousiasme qui marquent chez le peuple bilbain
un niveau de culture intellectuelle et de goût dont
on trouve assez rarement l'équivalent en Espagne.
Comme d'habitude, les concours étaient à plu-
sieurs degrés, débutant par une lecture à première
vue, suivie d'une exécution au choix, et aboutis-
sant à une exécution imposée, celle-ci réservée
aux seules sociétés primées dans les précédents
concours. La dernière de ces épreuves, de beau-
coup la plus importante au point de vue des prix,
était internationale.
Les deux séries de concours ont été présidées,
celle des orphéons par D. Tomas Breton, directeur
du Conservatoire de Madrid et l'un des composi-
teurs espagnols les plus justement réputés, et celle
des harmonies par M. Gabriel Parés, le chef de
musique si distingué de la garde républicaine de
Paris. Parmi les autres membres du jury se grou-
paient diverses notabilités éminentes de l'Espagne
musicale, telles que D. Enrique Morera, le com-
positeur catalan si original, l'auteur de La Monja
y el Alferez, D. V. M. Zubiaurre, D. V. Aiin, etc.
Les membres étrangers, invités avec M. Parés par
la commission d'organisation, comprenaient M.
Henry Expert, l'érudit professeur et conférencier,
M. M. Crickboom, le remarquable violoniste,
M. J. Courrouy, chef de musique à Puysserguier,
et le rédacteur en chef du Guide musical.
Un point important avait heureusement prévenu
tout d'abord les jurés et le public; c'est le choix
intéressant de la plupart des morceaux du con-
cours. Ainsi, pour les orphéons, sans parler de la
Fugue chorale (à première vue) de M. de La Tom-
belle, l'originalité des Scènes tar tares de L. de Rillé,
mais surtout les deux importants morceaux de
l'école belge : Leyde délivrée d'Oscar Roels, et la
dramatique et poignante Espérance de Th. Radoux,
ont fait une grande impression. Et quant aux con-
cours d'honneur, ils nous offraient, comme œuvres
inédites, une Ode d'Horace de M. C. Saint-Saëns,
aux recherches antiques, aux intonations délicates,
et un beau morceau patriotique et pittoresque,
plein d'élégance et de variété, Vizcaya, de D. T.
Breton, qui ferait un grand effet même en dehors
d'Espagne. Les harmonies ont exécuté plusieurs
morceaux importants de Wagner, Massenet,
Meyerbeer, Bizet, et aux concours d'honneur,
l'Invitation à la valse (malheureusement d'une
instrumentation italienne fort médiocre), l'ouver-
ture de Phèdre de Massenet et celle du Vaisseau
fantôme.
Je citerai parmi les orphéons celui de Portu-
galete, composé de jolies voix, un peu sec mais
léger, adroit, nuançant avec goût; celui de Gijon,
souple et large dans la déclamation; celui de
Guernica, aux intonations très sûres, aux vocalises
habiles; celui de Renteria, également; mais sur-
tout ceux de Saint-Sébastien et de Tolosa, qui ont
rivalisé d'habileté. Ce dernier a le défaut de man-
quer trop souvent de goût, de donner trop de
force aux oppositions; c'est une exécution brutale,
et les chanteurs (i3o) ont toujours un peu l'air de
monter à l'assaut ; d'ailleurs, beaucoup de mouve-
ment et de couleur. Au contraire, l'orphéon Donos-
tiarra, de Saint-Sébastien, nous a ravis par un
ensemble de qualités tout à fait de premier ordre :
très fondues ensemble, très justes jusqu'au bout,
pleines de décision et de légèreté à la fois, d'un
goût charmant dans les nuances, ces 170 voix,
du reste fort belles, ont exécuté le morceau de
Radoux de manière à émouvoir profondément, et
enlevé la Vizcaya de Breton avec une fougue in-
comparable. Positivement je ne connais que les
chœurs de notre Société des Concerts du Conser-
vatoire, à qui comparer cet admirable orphéon.
Il est évident que ni avec cette société, ni avec
celle de Tolosa, la Lyre Tarbéenne, seule venue
de France, ne pouvait lutter, malgré de très
sérieuses qualités d'élan et de nuancé. Cependant,
il n'est que juste de faire remarquer que le choix
du morceau y était pour quelque chose. Ce n'est
pas au concours international que cette œuvre si
espagnole eût dû être imposée, tandis que l'ode
latine de Saint-Saëns était absolument en dehors
de toute école.
Les harmonies ont mis en ligne aussi quelques
bons ensembles : les ouvriers de Galdacano ont
montré de l'adresse et de la délicatesse avec de
belles sonorités; l'harmonie de Guecho a du goût,
sinon toujours le sens de la mesure ; celle d'Irun
aussi, avec de la verve et de la grâce dans le
phrasé et de jolis instruments; celle de Baracaldo,
de la verve et de la couleur. Mais les quatre de
beaucoup les plus intéressantes et faisant preuve
d'un véritable entraînement étaient celles de
Valence, et les trois françaises : la musique de
l'école d'artillerie de Toulouse et les harmonies
de Bordeaux (premier canton) et de Libourne.
Aussi le concours qui les a réunies dans la place
LE GUIDE MUSICAL
623
de taureaux, devant une foule innombrable, a-t-il
remporté un inoubliable succès. Je n'ai pas à
entrer dans le détail de cette fête, qui fut superbe,
avec ses défilés et ses morceaux supplémentaires
[Marche espagnole, hymne de Guernica, Marseillaise),
comme j'ai omis aussi, à la fin du concours des
orphéons, les exécutions que donnèrent les deux
chorales de Bilbao, où celle de D. Aureliano Valle
se distingua tout particulièrement. Je me bornerai
à l'interprétation de l'ouverture du Vaisseau fantôme.
Puisque cette œuvre avait été choisie, il est
regrettable, à mon avis, que le lieu de l'exécution
ait été en plein air, et aussi vaste. A forcer les
nuances, pour obtenir des effets plus frappants, on
dénature le style de cette page admirable, on n'en
rend pas l'esprit. C'est le reproche essentiel que
mérite l'harmonie de Valence. Cette société, com-
posée de musiciens éprouvés, est certainement
remarquable; elle a l'éclat, la fermeté, la puis-
sance. Mais il ne s'agissait pas ici de ce qu'elle
aurait pu donner avec tel ou tel morceau, mais de
ce qu'elle a donné. Or, non seulement l'uniformité
des mouvements et l'absence de style wagnérien
laissaient une impression peu « artistique », mais,
après un très bon début, ces musiciens, entraînés
dans un faux mouvement, ont radicalement gâché
toute la seconde partie.
C'est justement par des qualités opposées que
s'est recommandée l'artillerie de Toulouse. Dirigée
par un chef érudit, passionné pour son art, M.
Monnereau, cette harmonie de 81 musiciens a su
montrer qu'elle avait compris l'œuvre de Wagner.
Et pourtant, autorisée quelques jours seulement
auparavant par le ministère de la guerre, elle
avait à peine eu le temps de se rompre aux diffi-
cultés de l'œuvre. Mais la sûreté impeccable des
mouvements, la grâce pleine de charme des
nuances, la finesse des traits, sont des preuves
solides de la haute éducation musicale de ces
jeunes gens (dont la réputation est déjà étendue
fort loin); de plus, la beauté des sonorités dans les
bois et les cuivres et l'addition curieuse de quel-
ques violons achevaient la perfection rare de cette
interprétation. Il n'y manquait que cet effet de
puissance où avait triomphé Valence, et les oppo-
sitions, pour être indiquées avec trop de goût,
paraissaient un peu pâles et ternes dans ce plein
air.
L'harmonie de Bordeaux, moins raffinée, moins
légère, s'est rapprochée des qualités de Valence,
mais avec le véritable esprit wagnérien en plus :
de la verve, de bons crescendos, d'excellentes
attaques, enfin la ligne exacte et la vraie couleur
de l'œuvre, du commencement à la fin. Et Libourne
aussi a montré de fort bonnes qualités qu'on ne
saurait omettre : du soin dans les traits, les gru-
petti, et une belle tenue d'ensemble.
C'est dans l'ordre que je viens d'indiquer que le
jury a décerné les prix de ce dernier concours : le
prix de 10,000 pesetas à Valence, celui de 6,000 à
Toulouse, et un troisième prix, honorifique, par-
tagé entre Bordeaux et Libourne.
Ce vote n'a pas reçu, comme on le pense bien,
l'approbation générale, et il est assez surprenant
que la majorité du jury ne se soit pas rendu compte
qu'elle pouvait faire ainsi douter, sinon de son
impartialité (que je n'ai garde de mettre en doute),
du moins de sa compétence critique. Les qualités
brillantes de l'harmonie de Valence pouvaient
faire illusion, mais non à de véritables musi-
ciens. Même en ne tenant compte que de sa valeur
réelle, et non de l'interprétation banale et en partie
erronée qu'elle avait donnée de l'œuvre de
Wagner, — à l'esprit de laquelle, avec une exécu-
tion bien plus artistique, l'harmonie de Toulouse
était restée bien plus fidèle, — le moins qu'on pût
faire était de partager le prix entre ces deux
groupes. Ce parti eût été d'autant mieux compris
du public, qu'il permettait aussi de partager le
second prix, dont à coup sûr les deux autres
sociétés, surtout celle de Bordeaux, étaient dignes.
Au surplus, il y a, de cette aventure, un ensei-
gnement à tirer, et je prends la liberté d'appeler là-
dessus, pour une. autre fois, l'attention du comité
d'organisation :
Le jury ne devrait absolument pas être constitué
de la même façon pour des concours nationaux
et des internationaux . Jamais un concours interna-
tional important n'a été jugé par une majorité
nationale. Autrement, il faut que les jurés étran-
gers sachent bien qu'ils ne sont invités que pour
assister au vote des jurés nationaux ! Si je n'ai pas
le droit de soulever le voile qui doit couvrir les
délibérations du jury (même quand toute déli-
bération a été écartée), j'ai certainement le droit
et même le devoir de déclarer ici qu'il est inad-
missible, pour un concours international, les con-
currents nationaux fussent-ils les plus nombreux
(et c'était le contraire ici), que le jury ne compte
. pas un nombre égal d'étrangers et de nationaux. Il
est inadmissible, dans le cas présent, que sur
26 votants, il y ait eu tout juste 5 voix étrangères,
dont 4 françaises. Et c'est un cas que sociétés
et jurés étrangers feront bien de prendre en consi-
dération à l'avenir. Henri de Curzon.
624
LÉ GUIDE MUSICAL
LA HAYE. — L'ouverture de l'Opéra royal
français se fera par Roméo et Juliette de
Gounod, pour la rentrée de Mlle Caxix et du ténor
Paul Gauthier, et à la seconde représentation, on
donnera Carmen de Bizet pour le premier début de
Mlle Cortez. Au mois de novembre Mme Sigrid
Arnoldson viendra donner des représentations à
à l'Opéra royal français.
Les matinées bi-hebdomadaires de M. Henri
Viotta avec le Residentie-Orkest recommenceront
dans la dernière quinzaine de novembre et se
donneront avec le concours de solistes de tout
premier ordre, comme aux concerts de la société
Diligentia, qui ne reprendront que vers la fin de
novembre.
En fait d'auditions de musique de chambre, on
nous promet quatre séries, le Quatuor tchèque,
MM. Hoffmann, Suck, Nedbal et Wihan ; le Qua-
tuor parisien, MM. Hayot, André, Denayer et
Salmon ; le Quatuor Rosé, de Vienne, et le Toon-
kunst-Kwartet de La Haye, MM. Hack, Voerman.
Verhallen et van Isterdael, déjà favorablement
connu. Puis nous aurons encore un « Max Reger-
Abend » donné par violoniste M. Laurent Angenot
avec le concours du jeune et déjà célèbre compo-
siteur bavarois M. Max Reger et de MM. Wirtz,
Benedictus et Hekking, où seront exécutés une
sonate pour piano et violon, op. 84, un trio pour
violon, alto et violoncelle, op. 77, et Variations et
Fugues sur un thème de Beethoven, pour deux pianos,
op. 86, et qui promet d'être un des clous de notre
saison musicale.
Les deux agences de concerts néerlandaises
nous promettent aussi une tournée d'artistes célè-
bres, M. Messchaert, le Dr Wùllner, et Mme Madier
de Montjau, comme chant; Théresa Carreno,
Lamond, Harold Bauer, comme pianistes; César
Thomson, Cari Flesch, Burmester, Hubermann,
comme violonistes, le violoncelliste Pablo Ca-
sais, etc.
Les programmes des trois concerts donnés par
la Société pour l'Encouragement de l'art musical
à Amsterdam se composeront, pour le premier, de
l'oratorio Les Saisons de Haydn; pour le second, de
Taille-Fer de Richard Strauss, das Klagende Lied de
Geert-Mahler et Dem Verklàrten de Max Schillings
et pour le troisième, de la Passion selon Saint Matthieu
de J.-S. Bach.
M. Willem Kes, le fondateur de l'orchestre du
Concertgebouw à Amsterdam, qui, après ses triom-
phes, ses faveurs et ses distinctions à Moscou,
n'était plus rentré en fonctions, se reposant à
Loschwitz, près de Dresde, vient d'être nommé
directeur de l'orchestre communal de Coblenz sur
le Rhin. Ed. de H.
OSTENDE. — A l'heure où paraîtront ces
lignes, le Kursaal aura fermé ses portes et
sera livré aux ouvriers chargés d'y opérer de
nouveaux embellissements.
L'activité musicale ne s'y est pas ralentie un
instant durant le mois qui vient de s'achever. Au
huitième concert classique, nous avons entendu,
pour la première fois en Belgique, une violoncel-
liste portugaise, Mlle Guilhermina Suggia,d'Oporto.
Comme mécanisme, le jeu de cette jeune artiste
ne laisse rien à désirer ; quant au style, il est
excellent, Mlle Suggia a interprété le concerto en
r<? mineur de Klengel, une œuvre longue et un peu
décousue, mais qui contient néanmoins de belles
mélodies, très chantantes ; elle a phrasé avec beau-
coup d'art et de sentiment la romance de Svend-
sen, pour finir par une amusante tarentelle de
Piatti et par un joli petit badinage de Popper.
L'orchestre n'a ajouté à ce programme que deux
pages, mais quelles pages ! le prélude de Parsifal,
d'un caractère hiératique souverainement impo-
sant, puis le poème symphonique Phaéton, de Saint-
Saëns, dont l'exécution remarquable fait honneur
à l'orchestre et à son chef, M. Léon Rinskopf.
Au concert classique, c'était au tour de notre
brillant concertmeister, M. Edouard Deru, de se
produire dans une grande œuvre. Le jeune disciple
d'Ysaye avait choisi le concerto de Lalo, lequel,
quoique datant de 1874, n'avait jamais été joué ici.
Dans les parties chantantes, M. Deru a pu étaler
à l'envi le charme de sa sonorité, la pureté de son
archet, la beauté du phrasé et de l'expression ;
comme mécanisme, il fut non moins brillant, et
son succès a été très chaleureux et unanime, tant
après l'exécution du concerto qu'après celle du
Rêve d'enfant d'Eugène Ysaye, des Airs russes de
Wieniawski et d'un nocturne de Chopin.
- Entendu au même concert, en première audi-
tion, un poème symphonique de M. Paul Ertel,
intitulé Der Mensch, en forme de prélude et triple
fugue, d'après le triptyque de Lesser Ury. Ne
connaissant pas la donnée extra-musicale dont le
musicien allemand s'est inspiré, nous ne pouvons
apprécier jusqu'à quel point il a rempli son pro-
gramme, et ne parlerons donc que de la facture
de l'œuvre. Cela débute par un large accord à'ut,
donné en pleine sonorité par l'orchestre et l'orgue
et sur lequel se détache un thème confié aux
cuivres et qui vise à la grandeur ; puis c'est une
mélopée de hautbois, assez jolie et abondamment
répétée. La fugue, amenée par une transition d'or-
gue, nous a paru plutôt grandiloquente. L'ensem-
ble est touffu et de couleur sombre, répondant
sans doute à une conception pessimiste de la
destinée humaine.
LE GUIDE MUSICAL
62S
Le dixième concert extraordinaire a permis à
M. Léon Rinskopf de produire deux autres solistes
de l'orchestre : Mlle Marguerite Stroobants, la
toute charmante harpiste, qui a joué à ravir un
très intéressant Concertstnck de M. Gabriel Pierné;
puis M. Auguste Strauwen, notre excellente flûte
solo, à qui le concerto de Peter Benoit, dont les
sous-titres : Feux follets, Mélancolie, Danse des Feux
follets, dévoilent les intentions descriptives, a valu
un franc et légitime succès. M. Strauwen a inter-
prété l'œuvre de Benoit avec une beauté de son,
une perfection de style et de mécanisme tout à
fait remarquables.
Ce concert, qui était la dernière audition clas-
sique de la saison, fut marqué par une excellente
exécution de la septième de Beethoven, que
M. Rinskopf affectionne tout particulièrement.
Quant aux concerts quotidiens, l'on n'a rien
négligé pour leur maintenir jusqu'à la fin l'éclat
coutumier, tant par la composition des programmes
que par le choix des artistes appelés à s'y faire
entendre. Citons Mme Feltesse, toujours également
choyée ici ; Mme Georges Couteaux, qui a fait
applaudir sa belle voix et son mécanisme très pur
dans un air à'Hamlet, comme elle a montré son
goût de musicienne dans le choix de ses mélodies :
Pliidylé de Duparc et Lied maritime de Vincent
d'Indy; le ténor Emile Cazeneuve, qui a chanté
un air de Messidor et un autre de Werther;
Mlle Hatto, de l'Opéra, qui a interprété d'une
façon impeccable, entre autres, un air des Noces
de Figaro; Mmes Arctowska, Simony, Delmée,
Lauwereyns, Miry-Merck, Mlles Gillard, Roland,
Bakkers, Seroen, Olislagers, Delfortrie, Delhaye,
le jeune et brillant ténor Jean Godart, plein
d'avenir, le baryton Eugène Dejardin, jusqu'à la
soirée de clôture, où le remarquable chanteur
qu'est M. Henry Albers, de la Monnaie, aura
triomphé une fois de plus dans l'air d'Hérodiade, le
duo àUHamlet, la Brabançonne et le nouveau chant :
Vers l'avenir, de M. Gevaert.
Rappelons également le succès obtenu, dans
une de nos matinées, par le jeune pianiste M. Jean
du Chastain, qui a joué le concerto en mi bémol
de Liszt, la Campanella du même, deux nocturnes
et une polonaise de Chopin, le tout interprété
d'une manière où s'affirment les plus sérieuses
qualités.
La journée du dimanche 3 septembre fut mar-
quée par une superbe audition de musique chorale,
donnée par la Royale musicale de Dison, sous la
direction de M. A. Voncken. Cette phalange, une
des meilleures de la Wallonie, nous a régalés d'un
programme de choix : La Caravane de Semet, la
Chanson espagnole de Jouret, une délicieuse Vilanelle
de Massenet, Chanson d'ancêtre de Saint-Saëns, le
tout exécuté avec un ensemble parfait, une jus-
tesse impeccable, de la vigueur dans les attaques
et un fondu idéal dans les nuances. M. Voncken
peut être fier de sa splendide chorale, qu'il tient
admirablement en main, qui se distingue, d'ailleurs,
par la belle qualité des voix et possède en MM.
Hotermans, ténor, et Degbomont, baryton, d'excel-
lents solistes.
Nous nous ferions reproche de ne pas mention-
ner ici le triomphal succès remporté, au début de
ce mois, par une nouvelle exécution de la belle
cantate Een Koningslied de MM. E. Van Oye et
Léon Rinskopf, laquelle a vraiment belle allure et
se soutient admirablement du commencement à la
fin.
Et que l'on ne croie pas que, malgré le labeur
considérable fourni durant quatre mois par notre
orchestre et ses chefs, MM. Rinskopf et Lanciani,
les derniers concerts aient manqué d'intérêt. Ces
derniers jours encore, nous avons réentendu le
prélude de Tristan, des poèmes de Saint-Saëns,
l'ouverture du Roi Etienne de Beethoven, et même
encore des nouveautés, tel ce poème symphonique
Islande, signé Georges Sporck, et qui est fort beau.
La couleur du morceau est sombre, et l'on sent
que l'auteur, plutôt que de rendre par des moyens
extra-musicaux la donnée matérielle de son sujet,
s'est attaché à en suggérer le sens intérieur, à
évoquer la tristesse de l'hiver qui vient ; il pleut
des feuilles mortes, il pleut des larmes dans le
cœur, et cette musique suggère très justement
la tristesse des journées sans soleil et sans joie.
Au point de vue orchestral, cela est bien traité,
mais c'est surtout par sa teinte grise, adéquate
à la donnée littéraire, que le morceau nous a
impressionné.
Ainsi s'est terminée, le 3o septembre, une saison
pleine d'activité et d'intérêt, et que M. Léon
Rinskopf a conduite avec une vaillance et un
talent auxquels il convient de rendre grand
hommage. L. L.
NOUVELLES
- Les réformes au Conservatoire de Paris :
Le nouveau directeur, M. Gabriel Fauré, a sou-
mis au sous-secrétaire d'Etat aux beaux-arts tout
626
LE GUIDE MUSICAL
un programme de réformes qui portent princi-
palement sur les questions suivantes :
Extension des pouvoirs du directeur pour !a
désignation des professeurs qui, jusqu'ici, étaient
nommés par le ministre, sur la présentation du
conseil supérieur. M. Gabriel Fauré voudrait
élargir renseignement, créer une chaire ou deux,
notamment reconstituer celle de l'histoire du
théâtre, et appeler au Conservatoire des profes-
seurs de tendances libérales.
Les autres questions à l'étude sont : le traite-
ment des professeurs, qui, mieux rétribués, auront
alors moins d'excuses pour quitter leur classe.
Puis : les peines disciplinaires, l'augmentation
des membres du conseil supérieur, et enfin la
modification des membres du jury d'admission.
Le conseil supérieur est divisé en deux sections,
dont font partie de droit, le ministre, le sous-
secrétaire d'Etat, le directeur du Conservatoire, le
chef du bureau des théâtres et le commissaire du
gouvernement. Aux membres anciens de la section
des études musicales, MM. Reyer, Massenet,
Saint-Saëns, Dubois, Paladilhe, Henri Maréchal
et Gabriel Pierné, compositeurs; Lenepveu,
Taffanel, Widor, professeurs, nommés par le
ministre ; Alphonse Duvernoy, Lefort et Warot,
professeurs élus par leurs collègues, viendront se
joindre MM. Alfred Bruneau, Dugas, Gédalge,
André Messager, Paul Véronge de la Nux, com-
positeurs ; Mme Rose Caron, MM. Guilmant et
Vidal, professeurs; MM. Albert Carré et Gailhard.
Dans la section des études dramatiques, à côté
de MM. Victorien Sardou, Ludovic Halévy,
Henri Lavedan, Paul Hervieu, Jules Garètie,
Mounet-Sully et Sylvain, membres anciens, sié-
geront Mme Bartet, MM. Brieux, Alfred Capus,
Maurice Donnay et de Porto-Riche.
Pour remplacer aux jurys d'admission les
professeurs quittant ces jurys, MM. Antoine
Calmettes, Coquelin cadet, Guitry, Huguenet,
Truifier seront appelés.
Enfin, prendront place au comité d'examen des
classes de déclamation, trois nouveaux membres :
MM. Adolphe Brisson, Catulle- Mendès et Georges
Ohnet.
-- L'intendance des théâtres royaux de Munich.
— M. de Possart, intendant des théâtres royaux de
Munich, a reçu de S. A. R. le prince régent, à
l'occasion de sa retraite, le titre d'intendant général
avec le rang de conseiller intime. — Le nouvel
intendant. M. Albert, baron de Speidel, colonel et
chef de l'état-major du deuxième corps d'armée à
Wùrtzbourg, est né le 26 janvier i858, à Munich.
Il a donc aujourd'hui 47 ans. Son père fut un des
condisciples du prince Luitpold, actuellement
régent du royaume, et est resté tout près de
cinquante ans à son service. Le nouvel intendant
débuta comme page en 1871, entra le 4 août 1876
dans le régiment des chevaux légers, et y continua
sa carrière. Il épousa en 1889 Mme veuve Mautner
de Markhof, qui avait une fille de son premier
mariage^ Du mois de mai au mois de novembre
1898, il accompagna la princesse Thérèse, qui
entreprenait son troisième voyage scientifique dans .
l'Amérique du Sud. Ce voyage avait pour but
d'explorer les parties les moins fréquentées delà
Colombie et de la république de l'Equateur pour
étudier la faune de ces régions. D'intéressantes
observations furent en effet recueillies sur les pla-
teaux élevés de la chaîne des Andes et à travers
les plaines des Pampas. De retour en Europe,
M. Albert de Speidel résuma l'ensemble des notes
qu'il avait prises en Amérique et en fit le sujet
d'une conférence qui eut lieu à la Société de Géo-
graphie de Munich en novembre 1899. Le poste
d'intendant des théâtres royaux va devenir un
emploi de cour avec son nouveau titulaire, qui est
d'ailleurs doué d'une certaine habileté comme pia-
niste et possède- surtout les qualités d'un excellent
accompagnateur. Il ajoute à cela, d'après ce que
l'on dit, une volonté très énergique unie à un réel
« talent d'organisation ».
Voici, d'autre part, la lettre que le prince régent
de Bavière vient d'adresser à M. de Possart à
l'occasion de sa retraite :
« Mon cher intendant des théâtres de la Cour,
Chevalier de Possart !
» Au moment où je souscris à votre vœu de
prendre votre retraire définitive à partir du Ier
octobre de cette année, je vous adresse l'expres-
sion de mes remerciements et de ma pleine satisfac-
tion pour les services que vous avez rendus pendant
de longues années avec dévouement et fidélité.
» Je vous vois avec un vif regret renoncer à vos
fonctions et quitter la ville dans laquelle, pendant
une grande partie de votre vie, vous avez occupé
différents emplois, mais toujours avec un extraor-
dinaire succès. Vos brillantes interprétations comme
artiste dramatique et le talent de mise en scène
que vous possédez à un degré qui n'a pas été
dépassé, tout cela est connu de tous. Les inou-
bliables reprises des chefs-d'œuvre de Mozart, les
représentations au Théâtre du Prince régent,
enfin l'organisation des fêtes données ici, consti-
tuent une entreprise artistique dont la renommée
est univei selle. Ce sont là des faits dont on se
LE GUIDE MUSICAL
627
souviendra toujours et qui, je l'espère, procure-
ront des avantages durables à notre pays et reste-
ront d'une haute signification pour Fart allemand
et pour la ville artistique de Munich.
» Comme marque de ma reconnaissance et du
cas que je fais des grands services que vous avez
rendus, je vous offre, outre les prérogatives de
membre honoraire des théâtres royaux, le titre
d'intendant général, avec le rang de conseiller
intime.
» Avec l'expression d'une entière gratitude,
» Votre bien affectionné
» Luitpold,
Prince régent de Bavière.
» Hinterstein, 17 septembre 1905. »
— M. de Possart a pris congé du personnel de
l'Opéra de la Cour, à Munich, le 27 septembre,
jour de la reprise du Freisckutz, dernier opéra
dont il ait réglé la mise en scène. Le 28, il a
interprété le rôle de Shylock dans le Marchand de
Venise de Shakespeare. On lui prête l'intention de
ne plus reparaître au théâtre comme acteur inter-
prète d'un rôle dramatique. Mais il ne renonce
pas pour cela aux applaudissements, car il don-
nera des « soirées de déclamation » dans les salles
de concerts. Une des premières aura lieu à Berlin
le 19 octobre ; l'Empereur et l'Impératrice ont
promis d'y assister. D'autres seront organisées à
Munich avec le concours du chanteur Gura et du
maître de chapelle de la Cour, M. Stavenhagen.
Né le 11 mai 184 1 à Berlin, M. de Possart est
attaché depuis quarante et un ans aux théâtres
royaux de Munich et il a occupé treize ans le
poste d'intendant. Il vient de recevoir du per-
sonnel technique de ces théâtres un diplôme lui
conférant le titre de « protecteur du fonds de
pension des veuves et des orphelins ». On pense
qu'il conservera la belle villa qu'il habite à
Munich, mais il se propose de passer une partie
de l'hiver à Berlin, à Vienne et dans quelques
autres villes. Il y écrira ses mémoires, dont le
premier volume doit paraître à Berlin pendant
l'automne 1906.
— On nous écrit de Budapest que la saison du
Théâtre royal promet d'être cette année particuliè-
rement brillante. M. Mader se propose d'offrir au
public trois ou quatre opéras hongrois nouveaux,
parmi lesquels on signale tout d'abord un ouvrage
du célèbre violoniste Jeno Hubay, intitulé Le
Premier Amour de Lavotia, qui met en scène un autre
violoniste hongrois, Lavotta, fameux au commen-
cement du siècle dernier, et qui s'est fait un nom
glorieux dans son pays avec plusieurs compositions
d'un caractère essentiellement magyar. Puis ce
sera une Monna Vanna misé en musique par un
jeune artiste nommé Emile Abraniy, qui a déjà
donné des preuves d'un véritable talent. Le drame
de M. Maurice Maeterlinck a été adapté par le
père du compositeur, qui est le critique dramatique
d'un journal hongrois important, tandis que sa
mère était, il y a quelques années encore, la
soubrette très fêtée de notre grand théâtre, ce qui
prouve que notre jeune musicien a grandi dans un
milieu tout artistique. M. Mader se propose aussi
de monter, comme nouveauté, la Manon de Masse-
net, qui, chose extraordinaire, n'a jamais encore
été représentée à Budapest. Et dans le genre
chorégraphique, il mettra en scène aussi un ballet
français, La MaladeUa de M. Paul Vidal, qui a
promis, dit-on, de venir assister à la représentation
de son œuvre. Parmi les nouveaux artistes on verra
débuter Mme Fleischer-Edel, qui vient de l'Opéra
de Hambourg et qui a obtenu tant de succès l'an
dernier à Bayreuth, ainsi qu'une cantatrice anglaise
de grand renom, Mme Kirkby-Lunn, qui se produira
surtout dans Y Orphée de Gluck et dans Samson et
Dalila de Saint-Saëns. Enfin, la saison doit se
terminer par un cycle d'oeuvres de Verdi, pour
lequel, entre autres artistes, on a déjà engagé les
ténors Arimondi et Bonci.
— Deux artistes belges obtiennent en ce mo-
ment de vifs succès dans l'Amérique du Sud. Ce
sont MM. M. Loevensohn, le violoncelliste bien
connu, qui fait une tournée de six mois dans
l'Argentine, l'Uruguay, le Chili et le Brésil, et le
très intéressant pianiste Maurice Geeraert, à qui
ses concerts classiques à Buenos-Ayres ont valu
d'être nommé, aux appointements de 20,000 francs
pour six mois de séjour, professeur de perfection-
nement du cours supérieur de piano au Conser-
vatoire de Buenos-Ayres.
— Les grands concerts du Casino de Dieppe
ont obtenu, pendant cette dernière saison, un très
grand succès. Parmi les œuvres les plus applaudies,
citons : la septième symphonie et la Symphonie
pastorale de Beethoven, la quatrième symphonie de
Schumann, la Symphonie écossaise de Mendelssohn,
les ouvertures de Phèdre de Massenet, du Carnaval
romain de Berlioz, de Sahmtala de Goldmark.
Toutes les œuvres ont été admirablement dirigées
par M. Gabriel Mans, le chef d'orchestre.
Les remarquables solistes MM. Maurice Hayot,
Pierre Destombes et G. de Lausnay ont exécuté
les concertos de Beethoven, Max Bruch, Men-
delssohn, Saint-Saëns, Lalo, Grieg; ils ont, de
62S
LE GUIDE MUSICAL
plus, donné des séances de musique de chambre
qui ont été très suivies, les œuvres classiques et
modernes ayant été interprétées dans la perfection
par ces éminents virtuoses.
— Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de
signaler les concerts donnés à Magdebourg par
l'organiste Ludwig Finzenhagen. On nous écrit
que celui qu'il a exécuté dans le temple des
Wallons réformés, le 10 septembre, a encore accru
la réputation qu'il s'est faite jusqu'à ce jour. Le
programme comportait le prélude et fugue en si
mineur de Bach, la sixième sonate pour orgue
de Mendelssohn et une fantaisie de H. Huber sur
le psaume six. La puissance harmonieuse de son
jeu et l'expression pénétrante de son style sont
vantées par les journaux de la ville comme des
plus remarquables.
— Comme complément aux lettres de Richard
Wagner à Mathilde Wesendonck, qu'il a publiées
en 1904, M. Wolfgang Golther prépare une édition
des lettres de Richard Wagner à Otto Wesen-
donck, le mari de Mathilde.
iauos et Tbarpes
>ru£elles : 6, rue Xambermont
paris : rue 5u /Iftail, 13
NÉCROLOGIE
M^e GALLI-MARIÉ
Bizet est mort quelques mois après la première
représentation de Carmen ; son interprète inoublia-
ble sera morte quelques mois après la millième.
Mme Galli-Marié vient de s'éteindre, dans sa
soixante-cinquième année, le vendredi 22 septem-
bre, à Vence, où son état de santé l'avait conduite,
il y a un mois, dans une maison de santé tenue par
des religieuses dominicaines. On sait que depuis
longtemps elle s'était retirée à Cannes et à Nice,
où elle donnait pourtant des leçons encore. C'est
à Cannes qu'elle a été inhumée.
Nous avons trop souvent rappelé ici le souvenir
de cette grande artiste, spécialement dans le Croquis
paru au numéro du 24 mai 1896 du Guide, pour
qu'il soit bien nécessaire de retracer sa belle
carrière. D'une famille essentiellement artistique,
on sait qu'elle était fille du ténor Marié de l'Isle,
qui attacha son nom à la première représentation,
sur la scène de l'Opéra, du Freischùtz, un soir
que Duprez (qu'il doublait toujours) avait bien
voulu ne pas entraver son talent. On n'a pas
oublié ses sœurs Irma et Paola Marié; on a
applaudi depuis ses petits neveux, Mlle Marié de
l'Isle, héritière de tous ses rôles à l'Opéra- Comique,
et M. Marié de l'Isle, au Vaudeville ou à l'Odéon.
Pour celle qui fut Galli-Marié quand elle eut
épousé le sculpteur Galli, et depuis Mme Delaur, le
caractère original, imprévu, définitif de ses
créations restera comme une empreinte indélébile
sur tout le répertoire de notre Opéra-Comique. 11
n'est pas donné à beaucoup d'artistes de marquer
à jamais de son nom un emploi : on continuera à
dire les Galli-Marié comme on dit encore les
Dugazon et les Falcon. Mais aussi, quels rôles
types elle eut la chance d'incarner en même temps
que le talent de faire siens à jamais !
C'est en 1862 qu'elle débuta à l'Opéra-Comique,
après s'être déjà formée à Strasbourg, Toulouse,
Lisbonne, Rouen (création de La Bohémienne, de
Balfe). La voix était assez courte, mais la diction
d'une justesse parfaite, la verve sans pareille, et au
besoin, l'autorité dramatique souveraine. C'est
dans la Servante maîtresse qu'elle parut d'abord, et
l'on déclara que c'était là la plus ravissante résur-
rection de Mme Favart. Elle continua, avec origi-
nalité, par les Amours du diable, avec une passion
à la fois touchante et farouche par le Kaled de
Lara, puis dans Marie, les P or citerons, Mignon enfin
(1866). Ce furent ensuite les Dragons de Villars, la
Petite Fadette, l'Ombre, Fantasio, le Passant, Don César
de Bazan (trois travestis), la Taven et le Pâtre de
Mireille et Carmen (1875). Enfin, Piccolino, la Surprise
de V Amour, le Char... (1878). C'est à cette date
qu'elle se retira, non définitivement encore, mais
pour n'apparaître plus que par intervalles, soit en
province et à l'étranger, soit à Paris, où le regain
définitif du succès de Carmen l'amena à quelques
reprises encore, entre 1 883-1 885, de ses trois rôles
de prédilection : Carmen, Mignon et Rose Friquet.
H. de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL 629
Ëtf VENTE CHEZ
BREITKOPF & H^ERTEL, Éditeurs, a Bruxelles
COURS INTUITIF D'HARMONIE ET D'ACCOMPAGNEMENT. (L'étude des accords
et de leurs enchaînements. La modulation et l'improvisation. L'accompagnement de la
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EE JAQUES-DALCROZE
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OPINION DE LA PRESSE :
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci .
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
Adieu, petite Rose!
(Tiré des Chansons de route.)
4
E. Jaques-Dalcroze
-^— *—*—*- -1 1 I
#-#-
A-dieu, pe-ti
ro - se,
Rose blan-che du ma-tin, Je m'en vais, le cœur tout cho - se, Blanche rose à peine é - clo - se.
5ime année. — Numéro 41.
8 Octobre 1905.
A R M I D E
Gluck revient à la mode.
Après avoir été longtemps
injustement délaissées, ses prin-
cipales œuvres reparaissent
partout. Il y a quelques mois à peine,
l'Opéra a repris Armide, qui avait été pré-
cédé par Orphée et Alceste à l'Opéra-
Comique et Ipliigénie en Tauride à l'éphé-
mère Théâtre lyrique de la Renaissance.
Bien antérieurement à Paris, le théâtre de
la Monnaie, sous la direction Stoumon-
Calabresi, avait monté dans des conditions
remarquablement artistiques Orphée,qui fut
suivi en 1899 par I phi génie en Tauride.
Orphée reparaissait également à Londres,
au Covent-Garden, pendant la saison de
1904, et à Vienne, à Berlin, à Munich, des
reprises soignées de Gluck se sont faites
récemment.
Ce n'est pas nous qui nous plaindrons de
cette vogue dont Berlioz s'inquiétait
en i85g (1). Il craignait que les Polonius
de la critique et du parterre (c'est le nom
que Berlioz donnait à M. Prud'homme)
trouvassent la musique de Gluck char-
mante, en se donnant l'air de comprendre
et de sentir et en n'osant plus dire fran-
chement que « c'est assommant ».
(1) Voyez A travers chants.
Le public d'aujourd'hui, mieux au fait
de la musique et de ses évolutions
que celui d'il y a un demi-siècle, n'a
plus nul effort à effectuer pour éprouver
une véritable joie spirituelle à goûter les
traits de génie, les beautés délicates ou
puissantes, le souffle de vérité et d'expres-
sion sincère qui animent d'un bout à
l'autre les partitions de Gluck. Mieux vaut
le maintenir dans l'admiration de tels
chefs-d'œuvre que de le voir se complaire
aux parodies de mauvais goût que trop
souvent on lui donne pour des œuvres
d'art.
La dernière grande reprise d' 'Armide à
l'Opéra avant celle de ce printemps avait
eu lieu en i825. Depuis, il n'y avait plus
eu que des tentatives partielles et plutôt
malheureuses.
Dans la préface de son édition de la
partition à' Armide, M. Gevaert a raconté
comment, en i858, alors que Meyerbeer
trônait sans rival à l'Académie impériale
de musique, la publication dans la Revue
contemporaine d'une étude sur le chef-
d'œuvre de Gluck signée du nom d'un des
plus hauts personnages de l'Empire, le
président Troplong. un des familiers de
l'Empereur, avait produit une sensation
énorme qui eut pour résultat de rappeler
632
LE GUIDE MUSICAL
l'attention des directeurs des deux scènes
rivales sur cette œuvre délaissée si injuste-
ment.
Carvalho, toujours à l'affût de « succès
certains » et encouragé à ce point de vue
par le retentissant triomphe d'Qrphée, en
parla à Berlioz et, après quelques tergiver-
sations, chargea celui ci des éludes musi-
cales. C'est ce qui résulte d'une lettre bien
amusante de Berlioz à son ami Humbert
Ferrand, datée du 17 janvier 1866.
« ... On remonte Armide au Théâtre-
Lyrique et le directeur m'a prié de présider
à ces études si peu faites pour son monde
d'épiciers. Mme Charton-Demeur, qui joue
Armide, vient maintenant chaque jour
pour répéter avec M. Saint-Saëns, un
grand pianiste, un grand musicien qui
connaît son Gluck presque comme moi.
C'est quelque chose de curieux de voir
cette pauvre femme patauger dans le
sublime, et son intelligence s'éclairer peu
à peu. Ce matin, à l'acte de la Haine,
Saint-Saëns et moi, nous nous sommes
serré la main. Nous étouffions. Jamais
homme n'a trouvé des accents pareils....
Croiriez-vous que depuis qu'on m'a ainsi
replongé dans la musique, mes douleurs
ont peu à peu disparu? Je me lève main-
tenant chaque jour comme tout le monde.
Mais je vais en avoir de cruelles à endurer
avec les autres acteurs, et surtout avec le
chef d'orchestre. Ce sera pour le mois
d 'avril. Que vont dire d' Armide ces cra-
pauds de Parisiens?... »
Les « crapauds de Parisiens » ne dirent
rien, le projet de Carvalho n'ayant pas eu
de suite.
Mais presque en même temps, Emile
Perrin qui, depuis 1862, avait passé du
Théâtre français à la direction de l'Opéra,
reprit l'idée et en 1866 la proposa à M.
Gevaert, qu'il venait d'appeler à la direction
générale de la musique à l'Académie impé-
riale. Dès lors, on commença à préparer
Armide. M. Gevaert se mit en devoir de
reconstituer la partition d'orchestre d'après
le manuscrit original très incomplet qui
existe encore, en le collationnant avec les
l
parties d'instruments, qui, elles, n'existent
plus aujourd'hui, ayant été détruites dans
l'incendie des Tuileries sous la Com-
mune. Nous avons rappelé récemment
(voir le Guide Musical du 16 avril) com-
ment les études très avancées furent brus-
quement interrompues par les événements
de 1870 et comment, peu après, tout le
matériel musical qui avait été si soigneu-
sement préparé par M. Gevaert périt dans
l'incendie des Tuileries.
Depuis lors, il a encore été question
plusieurs fois à Paris d' Armide, mais c'est
seulement au printemps dernier que le chef-
d'œuvre de Gluck reparut enfin avec un
éclat exceptionnel et un succès qui s'est
affirmé par une série de brillantes repré-
sentations qui ne semble pas être épuisée.
Voici qu'à son tour le théâtre de la
Monnaie prépare une exécution du chef-
d'œuvre que les directeurs actuels avaient,
dès le début, inscrit à leur programme,
comme ils y avaient inscrit A Iceste, donné
l'hiver dernier dans de très belles condi-
tions et avec un souci d'art vraiment digne
d'éloges.
Pour Bruxelles, Armide est une véritable
nouveauté. L'œuvre n'y fut jamais exécutée
à la scène. M. Gevaert, il est vrai, en
donna, au Conservatoire royal, à différentes
reprises depuis 1872, des auditions frag-
mentaires ou totales ; mais si parfaites
qu'elles eussent été et malgré l'impression
profonde qu'elles ont laissée aux auditoires
qui suivent les remarquables concerts
dirigés par le vénérable maître, ce n'est pas
Y Armide intégrale dont on a eu la vision.
Il faut d'ailleurs saisir cette occasion pour
dire hautement la part considérable et tout
à fait prépondérante que M. Gevaert a eue
dans la renaissance que nous constatons du
culte de Gluck. Depuis Berlioz, en France,
et Wagner, en Allemagne, personne n'a fait
autant que l'illustre directeur du Conserva-
toire de Bruxelles pour répandre et renou-
veler incessamment la compréhension de
l'œuvre du grand rénovateur du drame
lyrique, et nul ne possède comme lui l'art
d'en faire palpiter le sens dramatique, d'en
LE GUIDE MUSICAL
633
vivifier la puissance de rythme, d'unir plus
intimement les beautés poétiques à la
justesse de l'expression musicale.
U Armide date de la dernière période du
maître. La première représentation à
l'Académie royale de Paris est du 23 sep-
tembre 1777. Gluck avait soixante-quatorze
ans. Le poème tiré de la Jérusalem délivrée
du Tasse est de Philippe Quinault, le
« Scribe » du grand Règne qui fournit la
plupart de ses livrets d'opéra à Luily et
qui eut l'honneur de collaborer avec Mo-
lière et Corneille. C'est pour Lully que
Quinault avait versifié son Armide. Gluck,
un siècle plus tard, reprit ce poème sans y
rien changer ni ajouter, sauf quatre vers a
la fin du troisième acte (1).
Le poème de Quinault, s'il n'est pas un
chef-d'œuvre, n'en est pas moins un des
meilleurs poèmes d'opéra qui existent.
C'est une féerie plutôt qu'un drame lyrique.
La charpente n'est pas sans quelques
défauts. L'action languit souvent; elle est
arrêtée par des épisodes qui en suspendent
le développement, et il y a une accumu-
lation de personnages qui rend l'exécution
de l'œuvre très difficile en même temps
qu'elle éparpille l'intérêt. Enfin, par le
nombre des ballets (il y en a un à chaque
acte) et par l'emploi du merveilleux, le
poème est bien de l'époque luxueuse de
Louis XIV.
Mais ces défauts, il les rachète par
la variété des situations, par le dessin très
ferme des caractères, par l'ensemble des
tableaux et des passions qui offrent au mu-
sicien le champ le plus favorable.
A notre point de vue moderne, on
pourrait aussi relever certaines faiblesses
dans la partition de Gluck. Si délicieux
que soient les airs de ballet qui y sont
répandus à profusion, ils ne laissent pas à
la longue d'engendrer une certaine mono-
tonie par la répétition ici plus sensible
qu'ailleurs de formules mélodiques et ryth-
(1) Ces vers sont ceux qui constituent le monologue
d' Armide à la fin de cet acte : ce O ciel, quelle horrible
menace ! »
miques peu dissemblables, par la persis-
tance des mêmes tonalités et la rareté des
modulations. La belle pureté de ligne de
Gluck et la simplicité frappante de son
expression mélodique s'amollissent ici en
raison même du caractère doucereux du
poème. C'est par là du reste qu.' Armide se
distingue assez nettement des partitions
antérieures du maître. Elle est d'un coloris
infiniment plus atténué, plus élégant, plus
tendre. Mais chaque fois qu'il est porté par
la situation, Gluck s'y élève encore aux
plus hauts sommets de son art. Du. moment
qu'il s'agit d'exprimer un sentiment de
fierté ou de noblesse dans un récitatif
pathétique, du moment que les puissances
démoniaques ou les séductions de la féerie
entrent en action, il reparaît avec toute la
puissance magique de son inépuisable
invention.
La délicieuse évocation des nymphes
des eaux et des esprits de l'air au moment
où Armide exerce ses enchantements sur
Renaud endormi, l'admirable scène où
l'amante trompée appelle à son service la
Haine et les puissances de l'enfer, le tra-
gique monologue où Armide menacée
d'être privée d'amour se relève terrifiée
et s'écrie affolée : « O ciel, quelle horrible
menace! », ces pages sont parmi les inspi-
rations les plus émouvantes qui soient
tombées de sa plume. « Jamais homme n'a
trouvé des accents pareils, » disait Berlioz,
et c'est vrai.
A côté de ces pages maîtresses, il y en a
bien d'autres qui restent parmi les plus
belles de Gluck ; tels, par exemple, la
scène finale du premier acte, dont Mozart
semble s'être inspiré pour le premier
finale de Don Juan ; le magnifique air d'Ar-
mide : Ah! si la liberié me doit être ravie, qui
ouvre le deuxième acte; puis la scène déli-
cieuse de rêverie de Renaud sous les
feuillages de l'île enchantée où la magie
d'Armide le fait errer ; les deux scènes à
mouvement contraire d'Ubalde et du Che-
valier danois avec leurs enveloppantes
évolutions chorégraphiques ; enfin, Fexquis
ballet du cinquième acte, où se trouve cette
634
LE GUIDE MUSICAL
perle musicale : le « Menuet des oiseaux »,
et encore le grandiose et rapide finale qui
clôt la tragédie.
Auprès de ces parties sublimes ou déli-
cieuses, qu'il se glisse des fragments qui
nous paraissent démodés, d'un style faible
et d'une facture sommaire, on ne peut le
nier. Nous ne pouvons plus aujourd'hui
être émus par le cri : « Un seul guerrier! »,
qui fit jadis frémir le parterre; et l'inter-
vention du cheval qui, au cinquième acte,
détermine la fuite de Renaud en lui disant :
a Notre général vous rappelle », n'exerce
plus sur nous l'effet extraordinaire qu'elle
produisait autrefois. Le temps a effacé
la saveur de nouveauté et de franchise
musicales qui donnait jadis à ces deux
traits une portée qu'ils n'ont plus.
A ce propos, Edouard Hanslick, le
critique viennois, mort il y a deux ans,
faisait remarquer combien rapide est le
déclassement que subissent certaines par-
ties des œuvres tyriques par le fait de
l'évolution du goût musical. Des pages
que les contemporains de Gluck portaient
aux nues nous laissent aujourd'hui indiffé-
rents. « Si, pendant plusieurs années, on ne
nous faisait entendre que des œuvres des
prédécesseurs ou des contemporains de
Gluck, peut-être pourrions-nous apprécier
beaucoup mieux qu'aujourd'hui l'énorme
progrès accompli par lui; Armide nous
ferait encore l'effet d'une nouvelle Révéla-
tion. Nos ancêtres mesuraient Gluck à ses
prédécesseurs. Nous le mesurons à ceux
qui l'ont suivi, et il faut bien convenir alors
que beaucoup de choses en lui nous con-
quièrent plus difficilement. » Nous ne pou-
vons oublier que Mozart a chanté avec
une grâce plus passsionnée; que Weber a
trouvé, pour exprimer l'invisible et le fan-
tastique dans la nature, des couleurs
orchestrales autrement profondes et va-
riées; que Meyerbeer et Verdi, dans une
sphère moins élevée, ont apporté dans la
musique dramatique un mouvement et une
énergie que le XVIIIe siècle ne pouvait
soupçonner; qu'enfin Wagner est venu et
que, poursuivant jusqu'à son extrême limite
la réforme commencée par Gluck, il a,
grâce à l'incomparable richesse de son
génie mélodique et orchestral porté à son
apogée la puissance expressive de la
musique appliquée à l'action théâtrale.
Dans la « lutte pour la vie » qui se livre
dans l'histoire de l'art aussi certainement
que dans l'histoire de toutes les institutions
humaines, les plus belles partitions de Gluck
ont ainsi subi des atteintes et reçu des
blessures plus ou moins profondes. En les
comparant à celles même qui sont pétries
de leur substance et de leur sève, la pau-
vreté de ses harmonies, l'insuffisance fla-
grante de son orchestre, le manque de
flexibilité de ses rythmes, ne se peuvent
nier.
Ce qui reste intact, c'est la noblesse
de style, la force et la puissance extraor-
dinaire de l'expression, l'ampleur magni-
fique de la ligne mélodique. Et dans Armide,
la scène de séduction et de l'enlèvement de
Renaud, la scène des Furies et le dernier
finale avec les déchirants appels d'Armide
à Renaud demeurent des pages indélébiles,
contre la splendeur desquelles ni les varia-
tions du goût, ni les « progrès » de l'art ne
pourront jamais rien.
Peut-être même sommes-nous aujour-
d'hui en meilleure situation que la généra-
tion française de i85g pour goûter des
œuvres telles qa'Ipkigénie, Alccste ou
Armide. Saturés de la complication harmo-
nique et de la richesse orchestrale des œu-
vres modernes, nos publics actuels s'émer-
veillent plus volontiers des effets extraordi-
naires auxquels Gluck atteint avec des
moyens souvent si restreints et des inten-
tions si directes. Nous sommes contournés,
subtils et tout en nuances; il va droit au
but et parle clair, avec une sûreté magis-
trale. C'est presque une nouveauté en ce
moment.
Il n'est pas mauvais qu'on en ait l'im-
pression. Quelques-uns y découvriront
l'indice d'une réaction utile, voire néces-
saire. Contentons-nous de ne trouver que
ce qu'il faut voir dans ce phénomène :
l'éternel et toujours vivace rayonnement de
LE GUIDE MUSICAL
635
la Beauté, infiniment variée dans ses
manifestations et cependant toujours égale
à elle-même.
Le public et la critique belges
ous ne les séparerons pas,
puisque dans ce pays sage
et pondéré, ennemi du para-
doxe et des aperçus trop indi-
viduels, la critique cherche volontiers son
point d'appui dans le public. Je parle de
la critique des journaux réguliers, quoti-
diens ou hebdomadaires, qui informent en
commentant, qui rendent compte, comme
on dit ordinairement, qui tiennent au cou-
rant le livre des opérations musicales
nombreuses et importantes de chaque sai-
son. Ceux qui se sont appliqués à cette
tâche pendant quelque temps savent
comme elle est intéressante et comme elle
est difficile. Intéressante parce que notre
vie musicale est riche; difficile parce que
la relation de ce qu'elle nous offre de
nouveau, chaque hiver, tant dans la
composition que dans l'interprétation,
exige un jugement préparé, informé et
souple. Toute la musique moderne depuis
un demi-siècle s'est manifestée en Bel-
gique. D'Allemagne, de Russie, d'Italie, de
France, de la Scandinavie et de la Bohême,
elle a coulé ici en torrents, et, selon ses
modes et selon ses besoins, des organismes
se sont créés. Ce furent, à l'époque des
oratorios, les sociétés de chœurs, à l'épo-
que symphoniste, les orchestres des con-
certs du dimanche. Quand on songe à la ra-
pide et puissante évolution de la musique,
qui s'amenuise, se complique, se resserre
sur elle-même et se cherche à l'heure pré-
sente dans les formes françaises, on se dit
qu'il a fallu bien de l'élasticité et de la
solidité mentale à tel critique de profes-
sion pour entendre, dans toute la profon-
deur du terme, et pour aider à faire con-
naître tant d'œuvres de musique pure ou
de musique dramatique. Un grand nombre
de ces œuvres étaient inédites, car c'est '
surtout pour la musique que la terre belge
fut une terre d'essai, de tentative, d'é-
preuve; excellente du reste : on y écoute
bien; on y a le respect et l'amour delà
musique. Elle est le plus sûr lien de deux
races que leur langage et leur littérature
séparent. Un Flamand et un Wallon sont
capables de s'aimer un instant dans une
belle effusion sonore; ils chanteront côte
à côte et, devant la page chargée des signes
d'une sensibilité purement humaine, ils se
sentiront fraternels ; là, les deux races s'ac-
cordent, mêlant leurs qualités.
C'est une des vertus, c'est une des forces
morales du Belge. Il est musicien par une
disposition de son être, par un goût inné
transmis de génération en génération et
cultivé sans cesse. Il fait mieux que de
comprendre la musique, il la ressent; elle
est pour lui un élément dé la vie, telle-
ment, que quand il pense, un peu de mu-
sique se mêle à sa pensée. En musique, il
a une tradition noble et ancienne entre
toutes celles du monde occidental. L'école
des Pays-Bas n'est- elle pas le fondement •
de la musique des temps modernes? Cette
tradition, il l'entretient. Elle fut, elle est
pour lui un agent de culture. Elle supplée
à d'autres traditions qui lui manquent. Le
Belge consomme plus de musique qu'il
n'en produit; il la reçoit, l'accueille, se
l'assimile et s'en sert pour son plaisir
d'abord, ensuite pour le développement et
pour la réfection de sa vie intérieure.
Dirait-on avec raison que la musique
détrempe son esprit, en noie les délinéa-
tions, les contours? Peut-être, mais il y
puise une foi, une volonté forte, un senti-
ment profond et non factice de la vie. La
musique, il lui semble qu'elle est une
substance, qu'il la contient, qu'il la porte,
qu'elle coule parmi son sang, qu'elle
636
LE GUIDE MUSICAL
rythme son activité et jusqu'aux états les
plus passifs de sa rêverie. Multiplions-le, ce
Belge ; prenons-le en foule dans une salle
de concert. C'est là que son âme s'éveille
et que son visage s'éclaire. 11 n'est plus un,
il est cinq cents, il est deux ou trois mille.
Il est un public dense, échauffé par la
passion de son art, attentif, tendu, vibrant
de tout le silence qu'il amasse. Public
admirablement acoustique en qui presque
rien ne se perd des valeurs d'une œuvre.
C'est qu'aussi il l'évalue, cette œuvre, il la
mesure à ses propres forces, à ses moyens
d'adaptateur, parce que, quoique « ama-
teur », il est rarement un profane, il est lui-
même, aux heures de loisir, un exécutant,
un praticien de la musique. Il en sait le
mécanisme et les procédés. Il y a pris
souvent cette joie d'agir que les Anglais
demandent aux sports, les Français à la
dialectique. En écoutant une œuvre lyrique,
il ne se borne pas à en subir la violente ou
charmante puissance ; il participe en esprit
à son exécution, à sa réalisation par l'équi-
libre des rythmés, par la chimie des
accords et des timbres. Cette collaboration
mentale sauvegarde la santé de son goût
en le gardant des molles divagations où la
musique pourrait l'induire et qui seraient,
je le crains, chez un peuple gourmand de
sonorités comme de couleurs, plus sen-
suelles que sentimentales.
On peut l'affirmer sans vanité de clocher,
sans chauvinisme, il n'y a pas de meilleur
juge en musique que le public belge.
Les faits de l'Histoire vérifient cette
assertion. Entre le doctoralisme et le dilet-
tantisme, il se tient, ce public, avec ses
aptitudes, ses notions, son expérience. Un
peu froid d'abord et puis très attaché, très
fidèle à ce qu'il a élu, il est le connaisseur
qu'on ne trompe pas.
C'est pourquoi les jugements de la cri-
tique experte et consciencieuse qui résume,
ses tendances sont sûrs et valables. Si tel
censeur, mandataire légitime des généra-
tions que le crépuscule a depuis longtemps
touchées, s'attarde aux séductions déco-
lorées du bel canto; si tel autre exagère
avec malice le bon sens local, on en con-
naît dont le sens meilleur, c'est à-dire plus
fin, plus moderne et plus juste, aidé d'une
mémoire vaste et ferme d'historien, a
éclairé la voie de l'évolution musicale à
travers le pays belge. Il est vrai que ceux-
là disposent aussi de précieuses ressources
d'expression; qualité rare! Oui, nos cri-
tiques, pour nous communiquer toute la
beauté des œuvres, je les voudrais un peu
plus écrivains et un peu plus poètes.
Mais on ne m'a pas demandé de dire ici
ce que je souhaite. Maubel.
LA
MUSIQUE DRAMATIQUE EN FRANCE
PENDANT LANNÉE I9O4
e précieux petit Almanach des Spectacles
(1904, 34e tome de la collection) de
notre érudit confrère Albert Soubies
vient enfin de paraître, et, comme
chaque année, nous permet de dresser l'état
complet de la production musicale nouvelle des
théâtres de Paris et des départements. En y joi-
gnant, pour nos premières scènes, les reprises les
plus importantes, voici à quoi ce relevé se réduit :
Opéra. — Pièce nouvelle : Le Fils de l'Etoile
(Erlanger). — Pièce représentée pour la première
fois à l'Opéra : Tristan et. Isolde (Wagner). —
Reprise : Le Trouvère (Verdi).
Opéra-Comique. — Pièces nouvelles : La Fille de
Roland (Rabaud); Le Cor fleuri (Halphen); Femi-
nissima (G. Lemaire); Cigale (Massenet). — Pièces
représentées pour la première fois à l'Opéra-
Comique : Le Secret de maître Cornille (G. et J.
Parés); Le Jongleur de Notre-Dame (Massenet);
Alceste (Gluck). — Reprises : Fra Diavolo (Auber);
Don Juan (Mozart.;; Le Vaisseau fantôme (Wagner).
Variétés. — Pièces nouvelles : La Chauve-Souris
(J. Strauss); Monsieur de La Palisse (Terrasse). —
Reprises : Barbe-Bleue et La Vie parisienne (Offen-
bach); La Fille de Madame Angot et Le Petit Duc
(Lecocq) ; L'Œil crevé {Hervé).
LE GUIDE MUSICAL
637
Gaîté. — Reprises : Fan/an la Tulipe (Varney);
La Cigale et la Fourmi (Audran).
Moulin-Rouge. — Voluptata (Marcelles) ; Lysis-
trata (Lincke); The Toréador (Caryll et Monckton).
Nouveau-Théâtre. — La Pit'chounctte (Michie\s\
Olympia. — Madame la Lune (Lincke); Country
Girl (Monckton).
Etc.
Départements
Arras. — Le Jeu de Robin et Marion (adapt.
Tiersot) ; La Fête des roses (Tiersot).
Besançon. — Paula (Ratez); Maguelonne (Missa).
Bonnelles. — La Légende des fées (G. Lemaire).
Bordeaux. — Thamyris (Nouguès).
Marseili e. — Le Maître de ballet (Pierné) ; Ecossais
et Ecossaises (Silver).
Neuilly. — Héro (Lambert).
Toulouse. — Mimosa (Clériceï.
Valence. — Jack l'empereur (Puget).
LA SEMAINE
PARIS
L'OPÉRA-COMIQUE, cette semaine, nous a
conviés au début du ténor Thomas-Salignac et à
la rentrée de Mme Marie Thiéry-Luigini, l'un et
l'autre dans Carmen. Ce n'est pas aux lecteurs du
Guide qu'il est besoin de révéler M. Salignac, qui
nous vient directement de Bruxelles, après des
campagnes à Nice et en Amérique. Son succès a
été très vif. Sa voix proprement dite n'est pas son
meilleur atout, bien qu'elle soit souple, qu'elle
monte facilement et qu'elle soit conduite en per-
fection, car elle manque d'ampleur et de rayonne-
ment. Mais que son expression est attachante et
son jeu intéressant! Comme il est constamment en
scène et dans son personnage! Quelle intelligence
toujours en éveil dans une physionomie d'ailleurs
avenante et fine ! Mme Marie Thiéry, pour donner
plus d'éclat à ce début, avait bien voulu faire sa
rentrée dans le petit rôle de Micaëla, l'un des
moindres de son répertoire. Comme elle les relève
cependant, ces gracieuses figures-là, qui du reste
nécessitent tant de pureté dans la voix, tant de
justesse dans le jeu ! Mme Bilbaut-Vauchelet, jadis
(j'ai déjà fait ce rapprochement), n'avait-elle pas
ainsi illuminé de tout son talent cette gentille
figure ? M^ Marie Thiéry, dans Micaëla, est d'une
grâce et d'une pudeur exquises, et son air, son
duo, sont dits par elle avec une perfection de
phrasé sans rivale. Nous la reverrons ensuite
dans le Roi d'Y s et La Vie de Bohème, en attendant
l'œuvre nouvelle de l'année, Le Clos, de M. Silver,
dont on dit déjà beaucoup de bien. H. de C.
— M. A. Lapissida, régisseur général de l'Opéra,
vient de prendre sa retraite.
Au moment où cet excellent homme et ce con-
sciencieux artiste quitte la scène, on ne saurait
oublier la part considérable que, soit comme direc-
teur du théâtre de la Monnaie à Bruxelles (de
1886 à 1889), soit ensuite comme régisseur général
à l'Opéra, il prit à la création de presque tou-
tes les œuvres marquantes de l'école française,
Hérodiade, Sigurd, Gwendoline, Saint-Mégrin, Salammbô,
Samson et Dalila, les Barbares, etc., etc. Ce fut un
des rares metteurs en scène ayant la compréhen-
sion de l'effet musical et sachant adapter les
évolutions scéniques à la rythmique de la compo-
sition. Il sera vivement regretté et ■difficilement
remplacé.
— Les concerts de M. Ed. Colonne, cette année,
s'annoncent comme devant dépasser, en exécu-
tions de gala, en groupements d'œuvres de premier
ordre et d'artistes de premier choix, tout ce que
nous avions entendu au Châtelet depuis bien des
années. Le programme des deux premiers con-
certs, que nous pouvons déjà publier, est un
éblouissement. Celui de réouverture, le i5 octobre,
comporte des pages de Tannhàuser, Tristan et Iseult,
la Walkyrie, plus Sigfried-Idyll, avec Mme Litvinne
et le célèbre baryton Van Rooy, si applaudi à
Londres et que nous ne connaissons pour ainsi
dire pas à Paris. Celui des deux dimanches
suivants nous offrira une importante sélection des
Troyens à Carthage, de Berlioz, avec encore Mme
Litvinne dans le rôle de Didon et l'admirable
ténor Albert Saléza dans le vibrant Enée. Enfin,
pour la suite des concerts, on annonce une œuvre
nouvelle de M. C. Saint-Saëns, le Requiem de
M. Gabriel Fauré, des pages de MM. Debussy,
Rabaud, d'Ollone, Caplet, des cantates de Bach et
Hasndel..., et comme artistes, d'une part Mmes
Ternina ou Kutscherra, MM. Van Dyck ou Burg-
staller, de l'autre, MM. Diémer, Sarasate, Thi-
baud — M. Richard Strauss viendra également
diriger lui-même la première audition française de
sa Symphonie domestique.
— Le cours Sauvrezis, école élémentaire et
supérieure de musique, fait sa réouverture le
4 octobre, 44, rue de la Pompe.
638
LE GUIDE MUSICAL
L'enseignement du chant et de la mise en scène
y sera désormais donné par Mme Charlotte Mellot-
Joubert, de l'Opéra-Comique, la distinguée canta-
trice.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La reprise de Làkmé n'a pas été moins favorable-
ment accueillie que celle du Barbier de Séville au
théâtre de la Monnaie, encore que la fâcheuse
grippe ait semblé paralyser en partie les moyens
de plus d'un des interprètes. Mlle Korsoff, avec sa
facilité de vocalise, la netteté brillante de ses
traits, la grâce de sa diction, est tout indiquée pour
le personnage gracieux de la fille des Parias. Elle
l'a chanté maintes fois avec succès à l'Opéra-
Comique de Paris, et il y a tout lieu de croire
qu'elle le chantera souvent avec le même succès
au théâtre de la Monnaie.
On a revu avec plaisir M. Léon David dans
Gérald, Mlle Maubourg dans Malika, enfin l'ai-
mable trio des misses anglaises Mmes Eyreams,
Tourjane et Paulin, qui étaient tous de la distribu-
tion antérieure. Dans Frédéric, M. Decléry a été
tout à fait excellent, et M. Artus a produit bonne
impression dans Nilakantha.
En somme, très bonne reprise, avec des chœurs,
des ensembles et un ballet soignés et bien au
point.
Voici, au surplus, les spectacles de la semaine :
Aujourd'hui dimanche, Làkmé (matinée) et Faust;
lundi, La Fiancée de la mer et Une aventure de la
Guimard; mardi, Carmen; mercredi, reprise des
Huguenots avec Mmes Paquot (Valentine) et Aida
(la Reine); MM. Laffitte (Raoul), Albers (Nevers),
D'Assy (Saint- Bris) et Paty (Marcel); jeudi, le
Barbier de Séville; vendredi, Faust; samedi, Princesse
Rayon de Soleil; dimanche prochain, la Bohème (ma-
tinée) et les Huguenots.
* * *
Les répétitions d'Armide sont poussées très acti-
vement. Mme Félia Litvinne arrivera cette semaine
à Bruxelles, et le travail de mise en scène commen-
cera immédiatement. M. Gevaert a assisté à plu-
sieurs répétitions cette semaine et il s'est même
vaillamment assis au piano d'accompagnement
pour mieux expliquer ses intentions.
C'est merveille de l'entendre dans ses commen-
taires sur le chef-d'œuvre de Gluck et tous les
interprètes sont ravis de ces études si instructives
pour eux.
— Le prix de Rome. — Le grand concours
biennal de composition musicale a été jugé mer-
credi, après deux séances consacrées à l'audition
des cantates.
Il y avait huit concurrents, dont une jeune fille,
Mlle Busine, de Gand.
Le jury était composé de MM. Huberti, prési-
dent; Jan Blockx, Léon Du Bois, Sylvain Dupuis,
Emile Mathieu, Edgard Tinel et Van den Eeden,
membres.
Le ier prix a été accordé, à l'unanimité, à
M. Delune, d'Ixelles; — un premier 2e prix à
M. Herberigs, de Gand, et un deuxième 2e prix
à Mlle Busine; — mention honorable à M. Ver-
heyden, d'Anvers.
Le sujet de la cantate était : La Mort du roi Jean
Raynaud, d'après une vieille chanson française,
très populaire aussi en Wallonie. Le texte français
est de M. Eugène Landoy, notre confrère du
Malin d'Anvers, et c'est M. De Clercq, d'Ostende,
qui avait traité le sujet en flamand.
L'œuvre de M. Delune sera exécutée publique-
ment au mois de novembre, à la séance annuelle
de la classe des beaux-arts de l'Académie de
Belgique.
— M. Georges Lauweryns, l'excellent pianiste
belge, s'embarquera le 24 octobre pour l'Amérique,
où il donnera une série de cinquante concerts
avec le violoniste Otie Chew, élève du célèbre
Joachim. Au mois de janvier, ces deux artistes
donneront un concert à la Maison-Blanche devant
le président Roosevelt.
Samedi prochain, 14 octobre, pour ses adieux,
M. Lauweryns se fera entendre à la salle Erard
avec le violoniste Edouard Lambert. Au pro-
gramme, sonates de Sjogren, Sinding (inexécu-
tion) et Grieg.
— La Société des Concerts Ysaye nous commu-
nique les noms des artistes qui participeront à ses
concerts au cours de la saison 1905-1906.
Chant : Mme Marie Bréma et M. A. Van Rooy,
baryton. Piano : MM. Ferruccio Busoni, Raoul
Pugno et Arthur De Greef. Violon : MM. Jacques
Thibaud et Eugène Ysaye. Violoncelle : M. Marix
Loevensohn. Les concerts seront dirigés par
M. Eugène Ysaye.
Les six concerts de l'abonnement ainsi que les
répétitions générales publiques auront lieu aux
dates ci-après :
LE GUIDE MUSICAL
639
Premier concert et répét. génér. : 21-22 octobre.
Deuxième » » » 18-19 novemb.
Tioisième » » » 9-10 décemb.
Quatrième » » » 24-25 février.
Cinquième » » » 24-25 mars.
Sixième » » » 21-22 avril.
Voulant marquer tout spécialement à l'occasion
de leur dixième année d'existence les tendances
nationales qui furent le principal but de leur fon-
dation, les Concerts Ysaye consacreront la plus
grande partie de leurs programmes de cette saison
à la musique belge. C'est ainsi qu'outre une sorte
de revue de la symphonie belge, représentée par
César Franck, Huberti, Raway, Théo Ysaye,
Jongen, A. Dupuis et Delune, ils exécuteront des
compositions de Jan Blockx, Lekeu, Vreuls, Duys-
sens, Mortelmans, etc., concurremment avec
quelques œuvres étrangères, de d'Indy (Sauge
fleurie"1, Magnard (Chant funèbre), Chausson ( Viviane),
Sibélius (Légende Scandinave), etc.
L'administration rappelle que le prix de mille
francs qu'elle a institué pour les compositeurs
belges sera décerné à la meilleure œuvre sympho-
nique inédite qui lui sera présentée. Cette œuvre
sera exécutée à l'un des concerts de la saison.
Le premier concert (21-22 octobre) aura lieu
avec le concours du baryton Anton Van Rooy.
Les inscriptions pour l'abonnement sont reçues
chez MM. Breitkopf et Haertel, Montagne de la
Cour, 45.
. — Mme Legénisel et M. Nicolay, l'excellent
chef du chant au théâtre royal de la Monnaie,
reprendront leurs cours de chant (femmes) et de
répertoire à partir du i5 octobre, 39, boulevard du
Hainaut.
— Mme Miry-Merck, professeur de chant, a repris
ses cours et ses leçons particulières depuis le com-
mencement de ce mois. Bruxelles, 20, rue Tasson-
Snel.
— Mme Emma Birner, professeur à l'Ecole
orthophonique de Paris, a rouvert le 4 octobre
son école de chant, 28, rue de l'Amazone, Bruxelles.
CORRESPONDANCES
AIX-LES-BAINS. — Le mois de septem-
bre a été très intéressant au Cercle, et peu
de saisons auront offert aux habitués du théâtre et
de la salle des fêtes des programmes aussi variés et
d'aussi haute valeur artistique. Au point de vue
dramatique, nous avons ainsi à signaler, outre une
reprise à'Hérodiade, les premières représentations
ici de Salammbô et de Tannhàuser, où triomphèrent
(dans les trois œuvres) Mme Pacary et M. Dangès;
puis Hamlet avec Mmes Landouzy et Deschamps
et M. Dangès, et surtout Tristan et I solde avec une
distribution que Paris nous enviera : l'admirable
et vibrant Van Dyck avec l'impressionnante
Mme Litvinne, entourés de Mme Deschamps (Bran-
gaine), M. Dangès (Kurwenal) et M. Sylvain
(Marcke), qui jamais ne furent plus attachants et
vraiment artistes à leur tour; enfin, Le Jongleur de
Notre-Dame, avec MVT. Dangès et Codou. L'or-
chestre toujours sous la direction si souple et si
nette de M. Léon Jehin.
Au point de vue concert, nous n'avons pas eu
moins de régals d'art, non seulement avec les exé-
cutions symphoniques de l'excellent orchestre,
mais grâce à la participation de M. Julien Tiersot,
qui avait préparé diverses auditions originales et
curieusement combinées de ces vieilles chansons,
mélodies et danses populaires qu'il recherche avec
tant de passion par toute la France, et particuliè-
rement en Savoie. Harmonisées par lui-même, les
unes ont été chantées par Mmes Vialas, Streletski,
Cahuzac, Fanielly, MM. Dangès, Vialas, Raynal,
Cervelli, parfois avec chœur; les autres ont été
dansées par tout un corps de ballet : le tout en
costumes auvergnats, bretons, bressans, proven-
çaux, etc. M. Tiersot a fait entendre également une
rapsodie pour orchestre composée par lui sur des
airs populaires de son pays bressan. Nul doute
qu'il n'organise sur d'autres scènes, à Paris ou
ailleurs, cette suite de tableaux de la vie populaire
française, qui a eu le plus vif succès. N.
ANVERS. — Le Théâtre royal rouvre ses
portes le 10 octobre prochain. Voici la
composition de la troupe de M. Bruni :
Ténors : MM. Marié-Leduc, Codou, Radoux,
Du Rou; barytons : MM. Roselli, Bédué, Maré-
chal; basses : MM. Gromen, Bruinen, Viroux;
trial : M. Lary.
Chanteuses : Mmes Fierens, Rossi, Daffetye,
Berthe César, Van Hein, Brazzi, Berckmans,
Lejeune et Van Dyck.
Maîtresse de ballet : Mme Viola; danseuses :
Mlles Antonacci et Schneider.
Chef d'orchestre : M. de la Fuente.
Parmi les nouveautés annoncées pour la pro-
chaine saison, citons : Chérubin de Massenel,
Siberia de Giordano; le Tasse de M. d'Harcourt.
Le Théâtre lyrique flamand a ouvert ses portes
640
LE GUIDE MUSICAL
samedi avec Don Juan, l'immortel chef-d'œuvre de
Mozart. Exécution assez inégale et qui demande
à être mise encore quelque peu au point. L'or-
chestre, quoique plus discret et plus léger qu'à
l'ordinaire, n'avait pas encore la souplesse néces-
saire. On a repris également Princesse Rayon de
Soleil, dont l'exécution fut entourée de soins plus
attentifs.
Voici la composition de la troupe de MM. Ju-
dels et Tokkie :
Chanteuses : Mmes Judels, Van Elsacker, Fer-
reman, Van Eggelpoel, Arens, Betz-Kalkema et
Bierlee.
Ténors : MM. S-wolfs, Moes et De Smet ; trial :
M. Rieter; barytons : MM. De Backer et Van
Kuyck; basses : MM. Collignon, Tokkie et Steur-
baut.
Nous aurons, comme nouveautés : Les Femmes
curieuses de Wolff-Ferari, Genesius de Weingartner,
so'us la direction de l'auteur, Dwergenhoning de
Aug. De Boeck et Le Secret de Smetaaa. G. P.
DIEPPE. — La saison a été brillante au
Casino, qui chaqiie année réunit de tous
côtés tant d'artistes de valeur pour .ses concerts,
toujours sous la direction de M. Gabriel Marie.
Comme chanteurs, on a vu défiler Mmes Litvinne
et Marié de l'Isle. Bathori et Wyns, MM. Engel,
Mauguière et Clark. Comme instrumentistes,
M Vf. Georges de Lausnay, Hayot et Pierre
Destombes. Un festival Saint-Saëns a été parti-
culièrement apprécié ; puis, en dehors d'une foule
de morceaux, lyriques ou symphoniques, qu'il est
impossible de détailler, les concertos de piano de
Saint-Saëns et de Grieg (avec M. de Lausnay),
ceux de Max Bruch et de Mendelssohn pour
violon (avec M. Hayot), ceux de Lalo et de Saint-
Saëns pour violoncelle (avec M. Destombes);
sans oublier que ces trois éminents solistes ont
ravi les amateurs de musique de chambre dans les
séances plus intimes que complétait M. P. Mon-
te ux. O.
HASSELT. — C'est devant une salle comble
que la saison d'hiver de la société chorale
et littéraire Les Mélophiles a été inaugurée
mardi dernier. Tout ce que Hasselt compte d'élé-
gance s'y trouvait réuni. Mlles Abrassart et Coryn
de Bruxelles et M. G. De Mares, notre concitoyen,
prêtaient leur gracieux concours aux organisateurs
du concert.
Mlle Abrassart, une des meilleures élèves du
maître Thomson, nous a joué délicieusement l'in-
troduction et l'adagio du quatrième concerto de
Vieuxtemps, la curieuse Mazourka de Zarzycky,
trois pièces pour deux violons de Benjamin
Godard, Berceuse, Menuet et Sérénade, qui provo-
quèrent un enthousiasme des plus chaleureux, dont
— il faut le dire — une part revient à M. Georges
De Mares.
M,le F. Coryn, qui a remporté récemment un
premier prix de piano avec distinction au Conser-
vatoire royal de Bruxelles, a délicieusement joué
la ballade en la bémol de Chopin : charme poé-
tique, fluidité d'expression, ce fut exquis !
Exquis également le Rondo capricioso de Men-
delssohn, enlevé avec un brio étincelant, qui lui
valut des acclamations sans fin.
Mlle Latinis, enfin, a fait merveille dans l'air de
Samson et Dalila, dans la ravissante sérénade de
Milenka et YEtoile cachée de Vandam, excellemment
accompagnée au violon par Mlle Abrassart et au
piano par Mlle Coryn.
Une surprise attendait les auditeurs à l'issue du
concert. Le rideau s'est relevé brusquement et on
a entendu Mlle Latinis, secondée par plusieurs
amateurs et accompagnée par la musique du
11e de ligne, lancer avec enthousiasme les mâles
strophes du nouveau chant national Vers l'avenir.
Il a vraiment noble allure, et son exécution a trans-
porté l'auditoire.
LA HAYE. — Les premières représentations
de l'Opéra royal français ont été de vrais
succès, autant pour les anciens pensionnaires que
pour les artistes nouveaux. Mlle Cortez, dans
Carmen, a été très applaudie. Mlle Goossens
possède une jolie voix de soprano et a été favora-
blement accueillie, de même que la nouvelle basse
chantante, M. Karloni, qui a fait bonne contenance
dans Roméo et Juliette. Mlle Caux, Mme Marchai, le
charmant baryton M. Edwy ont été revus avec
grand plaisir, de même que le ténor M. Paul
Gauthier. L'orchestre et les chœurs sont en progrès
et tout me semble de bon augure pour la saison.
La première nouveauté qu'on va mettre à l'étude
sera la Reine Fiammette, poème de Catulle Mendès,
musique de Xavier Leroux.
Les concerts de la société Diligentia, qui cette
année seront au nombre de neuf, recommen-
ceront le 29 novembre ; les matinées symphoniques
de M. Henri Viotta, avec le Residentie-Orkest,
recommenceront le 19 novembre, avec le concours
de Mme Julia Culp. Les concerts populaires,
dirigés par M. van Zuylen van Nyevelt, seront
LE GUIDE MUSICAL
64 1
Cette année-ci au nombre de cinq, dont le
premier aura lieu le 3o décembre avec le Resi-
dentie-Orkest et le violoncelliste M. Anton Hek-
king.
Mlle Nicoline van Eyken, élève de Mme Marcella
Pregi, s'est fait entendre avec grand succès au
dernier concert de la nouvelle église, où elle a
chanté un Arioso de César Franck, un air de la
Passion de Haendel et Canto religioso de Schonfeld.
Nous aurons déjà au mois "d'octobre les concerts
du Dr Ludwig Wùllner et ceux de l'éminent
pianiste M. Léopold Godowsky, un des meilleurs
interprètes de Chopin, avec le violoncelliste
néerlandais M. Mossel.
Le choral mixte Melosophia, dirigé par M. Ar-
nold Spoel, a mis à l'étude, pour sa première
audition An die Heimal de Sinding, Marienlieder de
Brahms et les Sept Paroles du Christ de Théodore
Dubois.
Au dernier concert hebdomadaire du Concert-
gebouw d'Amsterdam, M. Mengelberg a fait
exécuter deux nouveautés orchestrales : des
Variations symphoniques de Nicodé et Korsholm de
Jàrnefelt, dont la première surtout a été favora-
blement accueillie. Le concert a commencé par la
reprise de la symphonie en ré de César Franck.
Le Nouvel Opéra néerlandais, à peine formé et
soi-disant reconstitué par le directeur M. Vander
Linden, est déjà en pleine déconfiture. Le combat
finit, faute de combattants. En. de H.
TOURNAI. — Le 10 avril 1904, la Société
de musique de notre ville avait donné une
splendide exécution de Y Orphée de Gluck avec le
concours de Mmes Gerville-Réache, Berthe Seroen
et Danielle Paternoster. Nous avons constaté
alors {Guide musical 1904, page 365) quel succès
mérité avait été fait aux interprètes de cette belle
œuvre.
M. Henri De Loose, qui avait dirigé l'exécution
de la Société de musique il y a un an et demi, a
eu l'excellente idée de reprendre pour son compte
une seconde exécution d'Orphée avec les mêmes
interprètes, le même orchestre et le même chœur
mixte. Son initiative a été couronnée de succès, et
c'est devant un public très nombreux, qui remplis-
sait la vaste salle de la Halle-aux-Draps, que
dimanche dernier Mmes Gerville-Réache, Seroen
et Paternoster ont redonné leur très artistique et
très émotionnante interprétation d'Orphée.
J. D. C.
NOUVELLES
La construction de l'Opéra-Comique de
Berlin touche à sa fin. Au parterre, il y a sept
entrées, un passage qui va jusqu'à la scène, un
vestiaire et un buffet. Les places de parquet sont
au premier étage, et au-dessus d'elles celles des
galeries. A chaque étage, les places sont contour-
nées par un passage de circulation ; de chaque côté
sont les portes qui y donnent accès et, tout auprès,
des buffets, vestiaires, etc. La construction est tout
entière en fer et en pierre. Le nombre des colonnes
métalliques de soutien est considérable, mais
aucune absolument n'est visible. La dimension des
places en largeur a été calculée de façon à laisser
aux spectateurs la plus grande aisance ; quant à la
profondeur, elle a été réduite au strict nécessaire,
afin qu'il n'y ait pas de rangs trop éloignés de la
scène. Les fauteuils et les stalles sont inclinés de
telle façon que l'occupant ne soit jamais obligé de
se tourner de côté pour voir le spectacle et que
la direction de son regard puisse rester normale
par rapport à la position du corps. Toutes les
précautions ont été prises en ce qui concerne la
sécurité du public. Une disposition spéciale des
toitures a été adoptée pour permettre l'évacuation
des produits délétères en cas d'incendie. La con-
struction coûte environ 1,375,000 francs et doit
être entièrement achevée le i5 octobre. L'inau-
guration se ferait le 20. La salle contiendra i,25o
personnes.
— L'administration du Conservatoire de Saint-
Pétersbourg, qui est actuellement représentée par
un conseil de cinq professeurs, s'est occupée, le
21 septembre dernier, de la situation des cent un
élèves, vingt-six jeunes gens et soixante-quinze
jeunes filles, qui avaient été exclus de l'école et
emprisonnés pendant quelques jours à la suite des
incidents des mois de mars et avril derniers, dont
la révocation de M. Rimsky-Korsakoff a été la
conséquence. Le conseil a décidé que ceux de ces
élèves qui adresseraient une demande régulière
avant le 14 octobre (ier octobre d'après le calen-
drier russe) seraient réintégrés. Il a été convenu
en outre que le poste, resté vacant, de M. Rimsky-
Korsakoff demeurerait sans titulaire en attendant
que les questions relatives à l'autonomie du Con-
servatoire aient été réglées. Enfin, les cinq mem-
bres du conseil ont résolu de faire une démarche
auprès de la Société impériale russe de musique
pour obtenir que certaines prérogatives concédées
en août dernier aux Conservatoires de différentes
villes, soient accordées à celui de Saint-Péters-
Ô42
LE GUIDE MUSICAL
bourg, ce qui rendrait possible la réintégration,
parmi les professeurs, de MM. Rimsky-Korsakoff,
Glazounoff et Liadoff. On cherche donc l'apaise-
ment des anciens conflits dont les élèves et les
professeurs du Conservatoire de Saint-Pétersbourg
ont été les victimes; mais il y a aussi des difficultés
au Conservatoire de Moscou. Une lettre ouverte
adressée par M. Rimsky-Korsakoff à M. S. J.
Tanejeff l'indique suffisamment; la voici : «Cher
Serge Ivanovitch ! Permettez-moi, à l'occasion
de votre retraite forcée de l'emploi que vous
occupiez au Conservatoire de Moscou, de vous
adresser, à vous professeur distingué, ennemi de
l'arbitraire et toujours sur la brèche pour défendre
la vérité, l'expression de ma plus profonde sym-
pathie ».
— Les chefs d'orchestre qui doivent diriger les
concerts symphoniques de Londres seront, pendant
la saison prochaine, M. Hans Richter pour les
cinq concerts du soir, et MM. Arthur Nikisch,
Fritz Steinbach, Charles Stanford, Wassili
Safonoff (de Moscou) et Ernest von Schuch pour
les cinq concerts de la journée.
— Dans quelques jours va s'ouvrir à Gênes
le Politeama, par une importante saison lyrique.
On donnera tout d'abord la Damnation de Faust
de Berlioz, Siberia, Advienne Lecouvreur et la
Thaïs de Massenet. Mais la grande nouveauté de
la saison sera un opéia inédit de MM. Paul Milliet
et Spiro Samara, Mademoiselle de Belle-Isle, tiré du
drame en cinq actes de Dumas père.
Les principaux rôles seront ainsi distribués : Le
Duc de Richelieu (M. Renaud) ; Mlle de Belle-Isle
(Mlle Lina Cavalieri) ; le Chevalier d'Aubigny (M.
Bassi); la Marquise de Prié (Mlle Vécla, filleule
artistique de M1Ie Calvé, qui a pris pour nom de
théâtre l'anagramme du nom de la grande tragé-
dienne lyrique\
L'orchestre sera dirigé par le maestro Barone,
un jeune d'un talent remarquable, et la première
aura lieu le samedi 4 novembre.
— La ville de Jesi, patrie de Pergolèse. a formé
le projet d'élever un monument à la mémoire du
délicieux auteur du Stabat Mater et de la Serva
fiadrona. On sait que plusieurs villes se disputaient
l'honneur d'avoir donné le jour à l'illustre artiste,
mort si jeune après avoir fait assez pour sa gloire.
Il n'y a plus de doute à avoir, aujourd'hui qu'on a
découvert les actes de sa naissance et de son décès.
Pergolèse est bien né à Jesi, le 3 janvier 1710, et il
est mort à Pouzzoles, le 16 mars 1736. Un Comité
s'est formé à Jesi, qui a commencé à faire circuler
des listes de souscription en vue du monument
projeté, et qui adresse à ce sujet un appel chaleu-
reux à toutes les villes d'Italie, aux artistes
dramatiques et lyriques, aux établissements et aux
lycées musicaux, à tous les artistes enfin, « pour
que tous concourent à éterniser par le marbre
celte pure gloire de l'Italie ». On espère bien que
le monument pourra être inauguré pour le second
centenaire de la naissance de Pergolèse, le 3 jan-
vier 19 10.
gv
BIBLIOGRAPHIE
Carl Lœwe : Ballades choisies, pour une voix avec
piano. Version française de A. Geoffroy-Dausay.
— Leipzig, Breitkopf et Haartel (collection
française des classiques du chant), 1 vol. in-8°.
Lœwe fi 796- 1898) est, paraît-il, un grand mé-
connu; en tous cas, il est resté longtemps fort
ignoré, et l'est sans doute encore de beaucoup
de personnes, même musiciennes; mais le clan des
Lœweniens, qui est très remuant et très autoritaire,
en Allemagne, et d'ailleurs traite volontiers Schu-
bert de petit garçon et Schumann de détraqué,
prend soin de nous expliquer que, pareil à l'un de
ces géants aux cimes de neiges éternelles, qu'on
n'aperçoit pas quand on est près, à cause des
contreforts qui encombrent leur abord, plus on
s'éloigne dans les âges, plus il grandit.
Au surplus, n'est-ce pas lui « qui a exercé le plus
d'influence sur le maître de Bayreuth », et Wagner
ne doit-il pas à Lœwe « une bonne partie de ses
qualités de déclamation dramatique » ? Que dire
de mieux après cela?
C'est au traducteur français que j'emprunte ces
aphorismes précieux. Peut-être pensera-t-on qu'il
eût mieux fait de s'en tenir à sa traduction, qui
est très méritoire et qui rendra de grands services,
— car Lœwe est un vrai poète et un artiste
inspiré, en dépit des pavés de ses biographes, —
et ne pas la faire précéder d'une déclaration de
principes. Je ne sais trop aussi pourquoi, à propos
du Roi des Aidnes de Lœwe, qu'il date bien de 18 17,
il insiste pour nous révéler que celui de Schubert
(naturellement inférieur) est de la même année.
Nous l'avions toujours cru de i8i5. H. de C.
LE GUIDE MUSICAL
643
Claude Debussy : La Mer, trois esquisses sympho-
niques. — Interludes pour Pettéas et Mélisande. —
Paris, A. Durand, éditeur.
Le premier de ces deux cahiers, qui viennent
de paraître, est une réduction pour piano à quatre
mains d'après la partition d'orchestre. Il comprend
trois parties : De Taube à midi sur la mer, Jeux de
vagues, et Dialogue du vent et de la mer. — Nous ne
donnons pas son exécution pour facile, mais elle
est bien curieuse. L'autre cahier, pour piano à
deux mains, est un petit complément à la partition
dramatique.
Les mêmes éditeurs font paraître en même temps
la deuxième sonate pour violoncelle et piano de
M. C. Saint-Saëns (op. 123), dédiée à M. Jules
Griset. C'est un autre style et un autre genre de
musique.
Airs tendres, Menuets et Rondes du xvme siècle,
transcrits avec accompagnement de piano par Léon
Soubre. (Bruxelles, Breitkopf et Haertel.)
Les mélodies anciennes reprennent aujourd'hui
une faveur croissante. Agréablement présentées
dans des publications telles que les Bergerettes de
Wekerlin, on s'est repris de goût pour ces mélo-
dies simples et chantantes, qui reposent du récitatif
laborieux et vide, de la désespérance affectée de
beaucoup de « mélodies » modernes.
Les sept mélodies anciennes choisies par M.
Soubre (il ne nous dit pas où) ne le cèdent en rien
aux plus appréciées des recueils antérieurs ; toutes
ont la même grâce spirituelle, délicate et un peu
mièvre, la sentimentalité aimable et à fleur de
peau qui signalent le genre. Nous préférons les
nos 4 : « Jouissez après l'orage », un rondeau d'une
légèreté d'allure charmante, et 5 : « D'un tendre
amant », un aria d'un très joli sentiment. Les
accompagnements de M. Soubre sont conçus
avec tout le goût et le tact nécessaires et rigou-
reusement stylisés ; les nuances, respirations,
tout le phrasé de la partie vocale ne sont pas
traités avec moins de soin par l'habile et expéri-
menté professeur. E. C.
— M. Alf. Moortgat, maître de chapelle et com-
positeur, vient de publier, sous le titre de Liedjes
voor het Volk (u Chansons pour le peuple ». Hal,
chez l'auteur; prix : 1 franc), un petit recueil qui
sera favorablement accueilli dans les cercles néer-
landais où la chanson populaire est systématique-
ment cultivée. On y trouve une quarantaine de
chansons à une, deux, trois voix sans accompagne-
ment, sur des textes de poètes flamands populaires
d'aujourd'hui, conçues dans un caractère franche-
ment mélodique, sans vulgarité; le tout d'exécution
facile et témoignant d'un sens très fin de la tradi-
tion musicale du peuple.
Du même, Appelbloeien et Komt! deux mélodies
avec accompagnement, sur des textes de Guido
Gezelle, d'excellent style et d'inspiration délicate.
E. C.
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NECROLOGIE
Un chanteur remarquable par sa voix su-
perbe, par son talent réel et par sa rare conscience
artistique, David Ney, première basse de l'Opéra
royal de Budapest, est mort au commencement du
mois en cette ville, où on lui a rendu les plus
grands honneurs. Il appartenait depuis vingt-huit
ans au théâtre de l'Opéra, où il était très aimé
pour son talent et son exemplaire modestie, qui
lui faisait accepter parfois les rôles les plus secon-
daires, alors qu'il obtenait des succès extraordi-
naires dans Pierre de VEioile du Nord, Wotan de
la Walkyrie. etc. Ses funérailles eurent lieu à
l'Opéra même, où son corps avait été transporté,
et où fut d'abord exécuté un hymne par les chan-
teurs de la synagogue, Ney étant israélite. Après
les discours du rabbin, du directeur de l'Opéra et
du baryton Varady, parant au nom de ses cama-
rades, l'acteur Beregi récita une poésie de cir-
constance au nom des artistes du théâtre de
comédie. Puis ce fut aux sons de la marche
funèbre du Crépuscule des Dieux, exécutée par l'or-
chestre de l'Opéra que le cortège se forma à la
porte du théâtre, après quoi on entendit le chant
du cygne de l'opéra national Hunyadi Laplo.
D'autres discours furent prononcés au cimetière.
— Henri Fidelis Mùller, directeur du chant à
la cathédrale de Cologne, est mort le 3o août
644
LE GUIDE MUSICAL
dernier, à Fulda. Il était né dans cette même ville,
le 23 avril 1837. Il a écrit des oratorios et des can-
tates sur des sujets religieux. Son Oratorio de Noël,
composé en 187g, et son Oratorio de la Passion ont
été exécutés dans plusieurs centaines de villes
d'Europe, d'Afrique et d'Amérique. Le premier a
eu trente éditions. Ses autres ouvrages importants
sont : Sainte Elisabeth, les Trois Rois Mages, le Sau-
veur, Emmanuel, et la Vie de Jésus, resté inachevé.
Mùller a publié aussi quelques écrits sur la
musique.
— On nous annonce de Strasbourg la mort
d'Albert Grodvolle. Né à Metz le Ier décembre
1827, il fit ses études au Conservatoire de Paris
comme élève du célèbre violoniste Massart, puis,
en i855, fut nommé professeur de violon au
Conservatoire de Strasbourg, qui venait d'être
créé; jusqu'en 1870, il conserva ces fonctions,
occupant en même temps le poste de premier
violon à l'orchestre du théâtre de Strasbourg, sous
la direction de M. Hasselmans. Pendant la saison
d'été, M. Grodvolle tenait régulièrement le pupi-
tre de premier violon solo à l'orchestre de Bade,
et ce fut lui qui fut désigné par Berlioz pour jouer
le solo d'alto dans Harold en Italie, lorsque le maitre
vint, en 1861, diriger son œuvre au profit de
l'hôpital de Bade.
En 1872, après l'annexion, M. Grodvolle alla se
fixer à Tours, où il fonda une école de musique
qu'il ne cessa de diriger avec tout son talent et son
dévouement d'artiste.
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Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la roman< e sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
93. La chère maison
H
(Tiré des Chansons populaires.')
E. Jaques-Dalcroze
-■è-9-
>-T
V-
:ifc=MLTq
ZÉ1ZZ
0 ma chè-re mai-son Si vieil-le, si vieil -le, ô toi qui som-meil-les, Si vieil - le dans le vert ga-zon.
^ffie année. — Numéro 4a.
i5 Octobre igoS.
COMPOSITEURS ET VIRTUOSES BELGES EN FRANCE
DEPUIS SOIXANTE-QUINZE ANS
DE tous temps, l'étranger, mais
surtout et presque uniquement
la France, a encouragé, applau-
di, couronné de succès, adopté
comme siens les représentants de l'école
belge, dont plus d'un y a trouvé, à la suite
des Gosset et des Grétry, une seconde
patrie. Cependant, au moment de résumer
rapidement le résultat de mes recherches
dans cette voie rétrospective, je m'aperçois
non sans regret, non sans quelque honte
aussi, que ce mouvement d'exode ou de
constante pénétration s'est depuis long-
temps arrêté, et que la nouvelle école,
l'école plus spécialement nationale, qui a
produit tant d'œuvres intéressantes depuis
vingt ans, est encore totalement inconnue
en France. Faut-il que ce soit justement
quand la Belgique a accueilli et révélé la
première quelques-unes des œuvres mai
tresses de l'école française, les Sigurd, les
Hérodiade, les Salammbô, les Fervaal,
Y Etranger, le Roi Artus, que les scènes
lyriques ouïes salles de concert parisiennes
restent ainsi fermées aux meilleures pro-
ductions belges ?
Je sais bien que ces œuvres, souvent,
sont caractéristiques de leur pays, de leur
race flamande, et perdraient peut-être à
changer de climat. Tel de leurs auteurs,
comme Peter Benoit, s'y serait même
nettement refusé. Cependant, il en est
une au moins qui est bien indépendante
de toute question de pays et d'école, et
dont la radieuse splendeur fait pourtant
plus d'honneur que toute autre à la Bel-
gique, par la richesse de son inspiration
comme par la noblesse de son style ; c'est
YApollonide de Franz Servais. J'en puis
parler d'autant plus justement ici, que ce
n'est pas dans son pays qu'elle a été
représentée, mais à Carlsruhe (en 1899). Il
serait digne de l'Opéra de Paris de de-
vancer, une fois par hasard, la Monnaie
de Bruxelles, et de nous donner, dans les
conditions luxueuses dont il peut disposer,
la primeur de cette œuvre de premier
ordre, toute parfumée d'antiquité et cepen-
dant vibrante d'une musicalité si moderne.
Mais revenons soixante- quinze ans en
arrière, puisque c'est à des souvenirs
aussi rétrospectifs qu'il faut nous borner,
et voyons un peu quels musiciens et
quelles œuvres l'Opéra de Paris, et sur-
tout l'Opéra-Comique, et aussi un peu le
Théâtre- Lyrique, ont fait applaudir jadis
sur la scène française. Investigation facile
sans interroger personne autre que notre
omniscient confrère Albert Soubies et en
passant constamment de son histoire de la
648
LE GUIDE MUSICAL
musique belge à ses tableaux statistiques
de nos grandes scènes et de ceux-ci à la
chronique plus spéciale de celle de l'Opéra-
Comique.
La période la plus intéressante, celle qui
va de i825 environ à i865, se résume, au
théâtre, en six ou sept noms : Fétis,
Le Borne, les frères Godefroid, Grisar,
Limnander, Gevaert.
Fétis (de Mons) n'est guère connu comme
auteur dramatique, et ses six opéras-co-
miques : U Amant et le Mari (1820), Les
Sœurs jumelles (i823), Le Bourgeois de
Reims (i825), La Vieille (1826), Le Manne-
quin de Bergame (i832), de vrais succès,
les deux derniers, pâlissent singulière-
ment auprès de ses grands ouvrages d'his-
toire et de critique musicales, également
publiés à Paris. Sa Biographie universelle
des musiciens et son Histoire générale de la
musique, une foule de méthodes et de
traités spéciaux, et ses grandes revues,
Revue ou Gazette musicale, lui firent en
France une place exceptionnelle.
Le Borne (de Bruxelles) fut prix de
Rome de France en 1820, puis professeur
au Conservatoire de Paris, et c'est encore
son meilleur titre de. gloire. A l'Opéra-
Comique, il donna, seul ou en collabo-
ration : Le Camp du Drap d'or (1828), La
Violette (1818), Cinq ans d'entr'acte (i833)
et Lequel? (i838)... sans succès d'ailleurs.
Les frères Godefroid (de Namur) pas-
sèrent aussi par le Conservatoire, comme
harpistes, et tentèrent tous deux le théâtre :
Joseph avec Le Diadesté (i836), à l'Opéra-
Comique, et La Chasse royale (i83g), à la
Renaissance; Félix, avec La Harpe d'or
(i858), au Théâtre-Lyrique, et diverses
cantates, La Dernière Bataille, La Fille de
Saiil, toujours avec harpe.
Mais le grand nom de cette période de
la scène lyrique, c'est celui d'Albert
Grisar, qui n'a presque connu que des
succès. Grisar (d'Anvers) n'a pas fait jouer
moins de dix pièces à l'Opéra-Comique :
Sarah (i836i, L'An mil (1837), Les Traves-
tissements (i83g, repris en 18JJ -58), L'Opéra
à la Cour (1840), Gilles Ravisseur (1848),
Les Porcher on s surtout (i85o), le plus
achevé de ses ouvrages à grand succès,
comme le petit acte précédent, Bonsoir,
monsieur Pantalon (i85i), qui, mieux encore,
n'a pour ainsi dire plus quitté les réper-
toires; Le Carillonneur de Bruges (i85a),
Le Chien du jardinier (i855), un des
triomphes de Faure et encore une par-
tition qui mérite de rester; Le Voyage
autour de ma chambre (i85g), enfin Le
Joaillier de Saint-James (1862); sans compter
deux reprises modifiées d'ouvrages joués .
ailleurs. Au Théâtre-Lyrique, on a vu de
lui : Les Amours du Diable (i853, repris
ainsi à l'Opéra'Comique), La Chatte mer-
veilleuse (1862), un vrai succès, et Bégaie-
ment d'amour (1864); aux Variétés : La
Suisse à Trianon (i838); à la Renaissance :
Lady Melvil (i838) et L'Eau merveilleuse
(183c), donnée en 1842 à l'Opéra-Comique
avec un très long succès ; aux Bouffes
enfin, Les Douze Innocentes (i865).
Albert Grisar avait tout à fait le don du
théâtre et l'instinct de la comédie musicale.
Depuis Grétry, l'école belge n'avait pas eu
de plus remarquable représentant dans le
genre.
Limnander de Nieuwenhove (de Gand)
a laissé encore plus qu'un nom sur la scène
de l'Opéra-Comique. Ses Monténégrins sur-
tout (1849) méritent le souvenir d'une
œuvre vivante et originale. Puis vinrent :
Le Château de Barbe-Bleue (i85i), Yvonne
(i85g) et, à l'Opéra, Le Maître Chanteur
(1853).
M. Gevaert (d'Huysse), qui a trouvé
depuis, dans la direction du Conservatoire
de Bruxelles, dans sa magistrale Histoire
de la musique antique, ou dans ses traités
d'instrumentation, une gloire que le théâtre
ne lui avait jamais donnée aussi haute,
s'était fait à la même époque une large
place à Paris, avec quelques francs succès
et d'attachantes partitions, soit au Théâtre-
Lyrique, avec Georgette (i853), Le Billet de
Marguerite (18,54), une de ses œuvres les
plus répandues partout, et Les Lavandières
de Santarem (i855); soit à l'Opéra-Comique,
avec Quentin Dnrward (1858) et Le Diable
i
LE GUIDE MUSICAL
649
au moulin (1859), tous deux brillamment
accueillis et le premier créé par Faure;
enfin, Château Trompette (1860) et Le Capi-
taine Henriot (1862).
D'autres compositeurs ont également
marqué à Paris, à cette époque, ailleurs
qu'au théâtre. Vieuxtemps, par exemple (de
Verviers), avec ses concertos de violon et
de violoncelle, ou Balthasar-Florence,
joué également dans les concerts. Mais
c'est surtout César Franck (de Liège) qu'il
faudrait mettre en relief, si, devenu d'ail-
leurs Français en 1873, il n'était surtout le
maître de toute une école très française.
Indépendamment de sa musique de cham-
bre, si précieuse, de ses grandes œuvres
symphoniques, de ses mélodies, de sa
musique religieuse, de ses opéras Hulda et
Ghiselle, joués à Monte-Carlo après sa
mort (1894-96;, ses oratorios Ruth (1846),
Rédemption (1872), Les Béatitudes (1870-80),
Rebecca (1881), exécutés partout, sont des
œuvres qu'on ne saurait omettre parmi les
gloires de l'école belge.... Enfin, à côté du
maître, il ne faut pas oublier son jeune
disciple, trop tôt enlevé à un avenir cer-
tain de symphoniste, Guillaume Lekeu
(d'Heusy).
Cette petite revue serait incomplète si
je ne faisais pas une place aux exécutants
à côté des compositeurs, à cette pléiade
d'artistes lyriques et de virtuoses en tous
instruments, qui, eux aussi, et un peu
partout dans les deux mondes, ont bien
mérité de leur pays. Seulement, ils sont
tant, ceux-là, que je dois me résoudre à
une simple nomenclature des principaux.
Parmi ces artistes, les uns sont arrivés
en France, ou dans les autres milieux mu-
sicaux, après toute leur éducation faite au
pays natal. Les autres sont venus l'achever
à Paris. J'ai relevé l'an passé, ici même,
ces lauréats parisiens venus de la Belgique.
Ce sont Inchindi (Hinnekindt) et Masset,
qui brillèrent surtout sur la scène de
l'Opéra-Comique, le second professeur au
Conservatoire ; c'est Bouhy, qu'on vit sur
toutes les grandes scènes, et plus près de
nous, M»e Berthet, de l'Opéra. Ce sont les
violonistes Artot et Marsick, si célèbres à
une génération de distance, et plus récem-
ment Rémy et Houfflack; le flûtiste Allard,
le clarinettiste Mayeur, sans compter le
même Masset, comme alto, et les deux
frères César et Joseph Franck, pour
l'orgue; enfin, en ces dernières années, le
jeune pianiste Lazare Lévy.
L'embarras du choix est plus grand avec
les autres instrumentistes célèbres venus
du pays belge et plus ou moins installés à
demeure à Paris, — et aussi la crainte d'en
omettre. Surtout dans cette admirable
école du violon, tout à fait hors ligne en
Belgique. Voici, en effet, Seghers et de
Bériot, Vieuxtemps et Léonard, puis
Massart, puis Ysaye et Thomson, tous
virtuoses transcendants et professeurs de
premier ordre. Puis ce sont les gloires du
violoncelle : Auguste Tolbecque et Adrien-
François Servais; les deux Godetroid et
Hasselmans, harpistes éminents, et bien
d'autres.
Quant aux artistes lyriques, que de noms
il faudrait énumérer encore, depuis Marie
Cabel, virtuose étourdissante de brio, et
Mme Gueymard, grande voix si applaudie
à l'Opéra, jusqu'à Mlle Dufrane, qui vient
de mourir, et Mme Bosman, également à
l'Opéra, sans oublier Mme Marie Sasse...;
depuis Warnots et Warot, l'excellent pro-
fesseur du Conservatoire de Paris, jusqu'à
Sylva et le vigoureux Blauwaert, puis
Maréchal, Noté, Dufranne, Delvoye, tous
de l'Opéra- Comique... et surtout — com-
ment mieux finir, et lequel a jamais fait
plus d'honneur à sa patrie comme à sa
profession en général? — le principal
champion de Wagner à Paris, l'admirable
ténor, disons mieux, le grand artiste
Ernest Van Dyck.
Henri de Curzon.
65o
LE GUIDE MUSICAL
CHANTS PRIMITIFS
PEUPLES DU NORD
LA légende ni l'histoire n'ont peut-
être jamais rien connu de plus
saisissant ni de plus fantastique
que la formidable apparition du
monde septentrional, Scandinave et ger-
manique. Des origines de ces peuples
puissants nous ne savons que peu de
choses ; nous n'avons aucune tradition
relative à leur existence probable sur les
hauts plateaux de l'Asie. Nul ne les a
suivis dans leurs migrations par bandes
isolées vers le nord mystérieux, nul ne sut
jamais par quel pouvoir étrange ils furent
attirés en si grand nombre vers les pays
des sombres et rudes solitudes, quittant
pour jamais les contrées ensoleillées. Au-
cun chant n'a célébré l'ancienne patrie
lumineuse, et les plus anciennes légendes
ne parlent que de leur contrée froide et
sauvage, dont ils ont bientôt adopté tout
le caractère âpre et farouche. Puissants et
nombreux sont les chants qui célèbrent
cette nouvelle patrie, et pour en com-
prendre toute la sauvage grandeur, il faut
se reporter loin en arrière, aux temps pri-
mitifs où ces « races flottantes habitaient
des terres indécises » (Tacite), d'où sans
cesse elles étaient obligées de fuir. Tantôt
ces barbares rencontraient d'immenses
espaces de terres incultes d'où la famine
les chassait un à un ; tantôt, c'était la mer
déchaînée qui engloutissait dans sa tombe
mouvante toute une partie du rivage.
C'était aussi le combat contre les animaux
féroces dans les inextricables forêts, et
partout la lutte bien plus dure encore
contre la nature même, qui par tous ses
éléments livrait à l'homme du Nord une
rude et incessante bataille. Mais il finit
par aimer cette « mère » sombre et fa-
rouche; il était fier de voir sa jeune âme
sans cesse défiée dans son inébranlable
courage par une force aussi puissante; il
voulait se rendre digne de sa redoutable
adversaire, lui être en tout égal et pareil;
voilà comment Ton retrouve dans ces âmes
héroïques, et par reflets dans leurs chants,
tous les caractères de cette nature géante
qui les entourait ; la mer tumultueuse, les
tempêtes épouvantables, les immenses fo-
rêts, les mystérieuses et sombres gorges
des rochers ont laissé une empreinte inef-
façable dans ces cœurs primitifs.
Si la nature a formé leur âme, elle a aussi
trempé leur corps; forts comme des chênes,
hauts comme des tours, leur épaisse,
claire et longue chevelure flottant au vent,
le regard profond et farouche, tout, dans
leur extérieur seul, annonçait déjà la haute
valeur de leur âme. Ils ont d'ailleurs con-
science de leur vigueur et c'est peut-être
cette confiance en eux-mêmes qui a donné
tant de force et de noblesse à leur profond
génie de l'individualité. Chez eux l'individu
est tout, et reste digne, parce qu'il est tou-
jours libre. L'idéal de ces peuples, c'est
précisément la complète indépendance
qu'ils défendent par leur valeur propre et
aussi par le secours librement et fraternel-
lement accordé au prochain. Mus par les
mêmes sentiments, aspirant au même idéal,
adorant les mêmes dieux, ces hommes
comprirent bientôt la communauté de leurs
intérêts, et nous nous trouvons alors en
présence de cette formidable communion
païenne des temps primitifs, aux exemples
de fraternité si complète, si merveilleuse,
malgré l'apparente discorde qui régnait
parfois entre- eux au début et qui, plus tard,
fut d'ailleurs véritable entre les Barbares
ayant accepté plus ou moins la civilisation
latine et ceux qui étaient restés fidèles
exclusivement aux mœurs anciennes. Et
puis ils aimaient la lutte, où leur sau-
vage énergie pouvait se dépenser; une
force irrésistible les entraîna au loin
vers des combats dignes de leur valeur :
c'est à cette même impulsion mystérieuse
qu'obéirent Alaric marchant sur Rome,
les Danois parcourant l'Océan et Attila se
ruant par le monde. Alors les voix, qui
jusque-là avaient résonné isolées, perdues
LE GUIDE MUSICAL
65 1
dans la grande voix de la nature ou ren-
fermées dans la hutte solitaire, ces voix
connurent aussi une destinée plus haute.
Chacun dit encore sa chanson, car la
même force inconnue qui précipite le
Septentrional au combat le pousse aussi
à chanter; mais ce sourd bouillonnement
qui murmurait au fond de l'âme du peuple
s'éleva bientôt en jets puissants, et son
génie poétique s'y manifesta une première
fois en son merveilleux essor. Alors seule-
ment, ces peuples libres, qu'une fraternité
immense rendait plus hardis et plus forts,
sentent toute l'étendue de leurs forces et
de leurs espérances. Leurs chants ont cette
spontanéité de mouvement de leur âme
impulsive et toute l'ardeur de leurs actions.
Ce ne sont pas des épopées encore, mais
plutôt des cris de l'âme, dont le plus grand,
certes fut toujours pour la liberté. Ce cri
s'échappe de chaque cœur, avec la même
conviction, la même énergie, car ici tous
chantent et ont le droit de chanter. Il
n'existe point de castes spéciales pour les
chanteurs, comme chez les Hindous, où ils
étaient aussi prêtres; chez les Grecs, peuple
artiste! où souvent c'étaient des demi-
dieux; chez les Celtes encore, où ils venaient
immédiatement après les druides. Les
Scandinaves et les Germains chantent tous,
eux, depuis le chef, Konunc ou roi de la
bande, qui n'est d'ailleurs qu'un guerrier
plus valeureux que les autres, jusqu'au
dernier de la troupe; ce n'est que beau-
coup plus tard que nous voyons apparaître
chez eux une classe spéciale d'improvisa-
teurs et d'exécutants, car leur art a fini
par les rendre plus chers et plus sacrés au
peuple : ce sont les scopas des Anglo-
Saxons, les scaldes des Scandinaves, les
bardes des Germains. Les chants, toute-
fois, n'acquirent toute leur force et toute
leur couleur que sous la poussée de
grands événements; c'est à l'époque des
invasions que nous devons nous arrêter,
alors qu'inspirés par leur fanatisme reli-
gieux et patriotique, les chants vibraient
plus exaltés, soutenant par leur rythme
l'ordre de la bataille, excitant par leur
puissance le courage et l'enthousiasme de
l'armée.
Sans doute, nous ne possédons guère de
ces chants dans leur version toute primi-
tive, mais quelques-uns, portant encore
l'empreinte de l'époque la plus reculée,
sont pourtant parvenus jusqu'à nous en
fragments formidables, paraissant érodés
par les pluies et déchiquetés par les bour-
rasques glaciales du Nord et, tels quels,
d'autant plus saisissants dans leur ruine
colossale et effrayante. Nous pouvons
aussi nous rendre compte de ce qu'ils
étaient par l'écho fidèle que la tradition
orale a trouvé dans ces chants recueillis
par les chroniques, ou dans ceux qui ont
inspiré les grandes épopées nationales, les
Eddas surtout, et enfin par l'impression
étonnante qu'ils firent sur leurs grands
ennemis, les Romains. Ces chants renou-
velés d'âge en âge avec les événements
firent encore une terrifiante et ultime appa-
rition avec les Normands, derniers enva-
hisseurs de la race primitive, pirates sou-
vent glorieux par leur audace, mais dont
la gloire fut ternie par la cupidité et la ruse
poussées au dernier degré.
Les principaux témoignages relatifs aux.
chants primitifs non écrits nous sont four-
nis par Tacite. L'historien latin reconnaît
deux groupes principaux : l'un religieux,
comprenant les chants des cérémonies du
culte et ceux des sacrifices, l'autre guerrier,
de beaucoup le plus important et le plus
intéressant. Au reste, le plus souvent, les
deux caractères religieux et belliqueux
subsistent en même temps comme expres-
sion de deux sentiments qui généralement
se confondaient. Les chants des Barbares,
comme leur poésie plus tard, ont donc en
même temps un caractère héroïque et
mythique et laissent, comme leur mytho-
logie, cette impression de grandeur saisis-
sante qui a sa source dans le farouche
instinct de courage, d'audace et d'indépen-
dance de ces peuples.
Depuis les premiers envahisseurs de
l'Empire romain jusqu'aux Barbares que
Rome alla combattre dans leur dur pays,
65a
LE GUIDE MUSICAL
non par ambition cette fois, mais parce
qu'elle savait bien qu'il y allait de sa vie,
jusqu'aux Danois aussi qui s'établirent par
la force en Angleterre et aux Normands qui
se jetaient sur toutes les côtes, nous retrou-
vons à peu près les mêmes caractères. Ils
sont tous avides et curieux ; ils ont une
ardeur prodigieuse au combat, aiment le
danger et le bravent en chantant. Tous
leurs chants respirent cette même humeur
farouche, ont cet élan passionné qu'ils
apportaient au combat et nous donnent en
images frappantes le tableau fantastique
de leur vie mouvementée.
Constamment le « Schildgesang » (Chant
du bouclier), nous représente ces bandes
furieuses qu'étaient leurs armées, où ne
se trouve pas un esclave, et bien peu
de vieillards, mais des hommes jeunes, en
pleine force de l'âge. Ils marchent dans le
flamboiement des épées, dans le flamboie-
ment de- l'incendie qu'ils allumaient sans
cesse sur leur chemin, roulant d'énormes bû-
chers sur les habitations des bourgs résis-
tant, en allumant ailleurs pour célébrer
les funérailles des vaillants chefs, de leur
épouse et des << fidèles » en même temps.
Ainsi, jusque dans la mort, leur silhouette
géante se profilait sur la lueur rouge des
flammes!
D'autres chevauchent de sombres mon-
tures; au cou des chevaux sont suspendus
de lugubres trophées, souvent la tête d'un
ennemi ou la dépouille de grands oiseaux
de proie tués à la chasse. Et dans les nuées
orageuses, ne passe-telle pas sans cesse,
aussi l'effrayante chevauchée des walkyries
emportant à la selle de l'animal écumant
le guerrier tombé glorieusement dans la
bataille? C'est dans cette fantastique lueur
d'incendie, parmi les éclairs étincelants des
lances, des épées, des boucliers et du ciel
chargé d'orages qu'ils s'avancent au com-
bat, invoquant d'abord leurs dieux, Odin,
Thor, Donner, puis les héros d'autrefois.
En présence de l'ennemi, ils s'échauffent,
poussent bientôt des hurlements pareils au
mugissement de la mer déchaînée ou de
la tempête. On sait l'effroi que provo-
quaient dans l'armée romaine ces cris
sauvages unis aux sons menaçants des
cors qui résonnaient tous à la fois, tonnant
comme la foudre ! L'empereur Julien
entendit ces clameurs aux bords du Rhin
et les comparait aux cris des corbeaux
tant ils étaient épouvantables et lugubres.
Les hommes et les lieux tremblaient aux
| alentours !
Mais ce ne sont pas toujours de simples
cris qui retentissent : de nobles chants
s'élèvent aussi à la gloire des chefs et
vibrent avec une telle foi, une telle sin-
cérité, une si grande ardeur, que cet
enthousiasme frappait l'étranger d'admi-
ration. Nul souci de la mort ! Chaque
guerrier porte dans son cœur l'éblouis-
sante vision du Walhall, bruyant et lumi-
neux séjour où son énergie inassouvie
trouvera encore à se donner, à se dépenser
librement sous les yeux étincelants de ses
dieux et des superbes et fières divinités
des combats ! Si l'un de leurs chefs tombe,
c'est encore accompagné de chants héroï-
ques qu'il quittera la terre, chants étranges,
d'une harmonie souvent funèbre, qui reten-
tissent autour du flamboyant bûcher sur
lequel est étendu, avec ses armes, le héros
mort en brave.
(A suivre.) May de Rudder.
LA REFORME
DU
CONSERVATOIRE DE PARIS
n décret dont on attendait la publica-
tion a paru au Journal officiel du
10 octobre.
Il est contresigné par MM. Bien-
venu-Martin, ministre des beaux-arts, et Merlou,
ministre des finances. Celui-ci n'intervient ici que
pour notifier aux professeurs l'impossibilité où il
est d'améliorer leurs maigres traitements. Le
décret « précise les règles de l'avancement »,mais
n'accorde un sou de plus à personne. 11 y a au
LE GUIDE MUSICAL
653
Conservatoire soixante-quinze professeurs. Quatre
d'entre eux touchent 3, ooo francs par an : ce sont
les mieux traités. Les autres ont des traitements
qui varient de 5o à 200 francs par mois. Cette
situation, un peu précaire, n'est point modifiée par
le décret nouveau.
L'objet de ce décret et de l'arrêté organique qui
y est annexé, dit en son bref exposé des motifs
M. Bienvenu-Martin, est de « grouper et de coor-
donner dans un texte unique tous les règlements
particuliers qui régissent le Conservatoire et se
trouvent épars en de nombreux documents ». Il
reproduit la plus grande partie du décret du
5 mai 1S96, et le modifie ou le complète au moyen
de certaines dispositions nouvelles qui vi3ent : la
nomination, le traitement et l'avancement du per-
sonnel; le régime disciplinaire applicable au per-
sonnel administratif et enseignant ; la composition
du Conseil supérieur d'enseignement; la formation
des jurys d'admission.
Feuilletons rapidement ce décret.
Il partage en neuf sections l'enseignement da
Conservatoire : Solfège et théorie musicale ; har-
monie, orgue, contrepoint et fugue, composition ;
chant et déclamation lyrique; piano, harpe; instru-
ments à archet ; instruments à vent; classes d'en-
semble; lecture à haute voix, diction et déclama-
tion dramatique ; histoire générale de la musique;
histoire et littérature dramatiques.
Aux soixante-quinze professeurs chargés de
distribuer cet enseignement sont adjoints douze
chargés de cours. Le nouveau décret prescrit que
ces maîtres pourront être révoqués « pour cause
d'inexactitude habituelle ». Le professeur qui aura,
sans raison valable, manqué trois leçons en un
mois, sera privé du traitement de ce mois-là ; celui
qui — sans raison valable — aura interrompu son
enseignement pendant un mois sera considéré
comme démissionnaire. Il est vrai que ces peines
ne seront prononcées que sur avis de la « section
compétente » du Conseil supérieur; que le coupa-
ble, avant d'être frappé, recevra communication
de son dossier et sera admis soit à présenter lui-
même, soit à « faire présenter » sa défense.
Ce Conseil supérieur d'enseignement, aux
termes du règlement nouveau, est formé de trois
éléments distincts. Il compte cinq membres de droit
qui sont : le ministre, le sous-secrétaire d'Etat, le
directeur du Conservatoire et son secrétaire géné-
ral, le chef du bureau des théâtres. Dans la section
musicale, vingt-trois membres, dont douze sont
nommés par le ministre en dehors du Conserva-
toire; six professeurs nommés par le ministre;
trois professeurs élus par leurs collègues ; le direc-
teur de l'Opéra, le directeur de l'Opéra-Comique.
Dans la section de déclamation, quatorze membres,
dont dix auteurs dramatiques, critiques ou artistes
nommés par le ministre en dehors du Conserva-
toire; un professeur nommé par le ministre; un
professeur élu par ses collègues; l'administrateur
général de la Comédie-Française et le directeur de
FOdéon.
Le Conseil supérieur du Conservatoire, nommé
pour trois ans, se trouve donc désormais composé
— au complet — de 41 membres présidés par le
ministre des beaux-arts.
La question des jurys d'admission est celle dont
la presse a été amenée à s'occuper le plus, depuis
quelques jours, à l'occasion de démissions dont le
nouveau décret fut la cause, ou l'occasion.
Aux termes du décret, les jurys d'admission pour
la musique seront composés de dix-sept ou dix-
neuf membres, à savoir : les cinq membres de droit
du Conseil supérieur d'enseignement; quatre mem-
bres du même Conseil désignés parleurs collègues,
à l'exception des professeurs de la spécialité ; huit ou dix
membres nommés par le ministre.
Le jury de déclamation comprendra, outre les
membres de droit du Conseil supérieur, les mem-
bres de la section dramatique de ce Conseil, sauf
les professeurs de déclamation dramatique, et six ou huit
membres étrangers au Conseil et nommés par le
ministre. En tout, vingt-trois ou vingt-cinq mem-
bres.
Ces jurys seront nommés pour un an; ce qui
signifie qu'à chaque examen d'admission, le groupe
des jurés étrangers au Conservatoire sera renou-
velé.
Comme on l'annonçait, les professeurs sont
donc définitivement, et sans exception, exclus désor-
mais des jurys d'admission. M. Bienvenu-Martin,
dans son exposé des motifs, affirme qu'« on assu-
rera ainsi aux jugements rendus plus d'impartialité,
une plus grande largeur de vues et, par conséquent,
plus d'autorité ».
En ce qui concerne la formation des comités
d'examen et des jurys de concours, et la police
générale des exercices scolaires, le décret ne
présente aucune innovation de grand intérêt. Par
contre, l'arrêté organique qui le complète intro-
duit dans le régime des études musicales et drama-
tiques d'importantes améliorations.
Visiblement, ce second document porte la
marque d'une haute et précieuse influence : celle
du nouveau directeur, M. Gabriel Fauré.
L'arrêté nouveau donne une extension plus grande
aux études d'ensemble vocal et instrumental; il
654
LE GUIDE MUSICAL
prescrit que les classes d'orchestre, dirigées par
M. Taffanel, commenceront, chaque année, dès le
i5 novembre, — près de deux mois plus tôt
qu'autrefois. Il oblige l'élève à suivre désormais
certains enseignements que la plupart négli-
geaient : celui de l'histoire de leur art, de la
littérature dramatique, ignorée de tant d'apprentis
comédiens.
Pour ce qui regarde les concours d'admission et
de fin d'année, et les examens d'études dramati-
ques, le règlement nouveau comporte aussi
quelques améliorations intéressantes. Il confère aux
examinateurs le droit de choisir eux-mêmes, parmi
plusieurs scènes proposée-, celle où l'élève se
présentera ou concourra ; il prescrit pour les élèves
de deuxième et de troisième année — en janvier —
un « examen de lecture non préparée » ; il impose
aux élèves nouveaux l'obligation de se présenter
au concours dans une scène « classique », —
épreuve dont la plupart préféraient esquiver la
difficulté...
En somme, le décret rendra de grands services;
et l'on peut être rassuré sur le parti que tirera le
nouveau directeur du Conservatoire de l'instru-
ment — remis à neuf — que le gouvernement lui
confie.
LA SEMAINE
PARIS
Les réformes introduites au Conservatoire ne
paraissent pas être du goût de tout le monde. Le
contraire nous eût étonné. Tous ceux qui vivaient
d^s abus sont naturellement hostiles à l'ordre des
choses nouveau. Une réunion des principaux pro-
fesseurs de l'établissement a eu lieu jeudi 5 octobre,
salle Pleyel. On a discuté l'envoi à M. Dujardin-
Beaumetz d'une pétition protestant contre le nou-
veau règlement. On a décidé, en fin de compte,
qu'une délégation serait envoyée à M. Gabriel
Fauré. Le nouveau directeur du Conservatoire
réservera certainement le meilleur accueil à la
délégation. D'autre part, deux professeurs de
déclamation, et non des moindres, ont mal pris
les choses et ont donné leur démission. Ce sont
MM. De Féraudy et Le Bargy. Il se pourrait
qu'ils fussent remplacés par MM. Tarride et
Antoine.
Il y a lieu aussi de remplacer M. Lhérie dans
la classe d'opéra et de trouver deux titulaires
pour les nouvelles classes de fugue et de contre-
point.
Il paraît que la classe de composition que
dirigeait !VI. Gabriel Fauré avant sa nomination de
directeur serait purement et simplement sup-
primée, et les élèves répartis dans les deux classes
restantes.
Cette suppression est due au manque de fonds
disponibles, car le budget qui était affecté à la
classe de M. Fauré est maintenant absorbé par la
création des deux classes de contrepoint et de
fugue.
Les professeurs du Conservatoire se sont encore
réunis mercredi. Ils ont discuté assez longuement
l'envoi d'une lettre à M. Gabriel Fauré touchant
les réformes introduites dans le règlement par le
décret paru à V Officiel. En fin de compte, ce projet
a été abandonné.
Les professeurs avaient à nommer trois délégués
au Conseil supérieur d'enseignement, dans la
Société des Etudes musicales : ils ont désigné
MM. Duvernoy, Lefort et Warot; c'a été le
résultat le plus appréciable de la séance.
— La société de concerts « les Soirées d'art ».
dont le directeur artistique est M. Fr. Barrau, et
le siège i, rue Blanche, annonce pour le jeudi
soir de chaque semaine, entre le 9 novembre pro-
chain et le 22 février 1906, une série de seize
concerts, qui auront lieu dans la salle des Agricul-
teurs (rue d'Athènes) et dont les programmes com-
prendront les dix-sept quatuors de Beethoven, dans
l'ordre chronologique, le septuor, des quatuors
d'Haydn, Mozart, Schumann, Brahms, des pièces
de piano et des Lieder. Exécutants : Le quatuor
Capet ; Mmes Litvinne, Raunay, Leclerc, Sirbain,
Lormont, Renié, Cornélis ; MM. Diémer, ' De
Greef, Cortot, Lévy, Backaus et Swirsky.
— Mme J. Riss-Arbeau, vient de transférer son
domicile, 64, rue de Clichy, Paris.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Tandis que l'on travaille activement à la prépa-
ration d'Armide, qui passera certainement dans les
premiers jours de novembre, les reprises d'ou-
vrages du îépertoire se succèdent au théâtre de la
Monnaie.
Demain lundi reparaîtra la Louise de Charpen-
LE GUIDE MUSICAL
655
tier, avec Mme Dratz-Barat dans le rôle de Louise,
Mme Gianoli dans celui de la mère, MM. Albers
et Dalmorès dans ceux de Julien et du Père.
Mercredi, nous avons eu une reprise des Hugue-
nots. On y attendait le ténor Laffitte et Mme Aida.
Tous deux ont réussi remarquablement. Par son
extraordinaire vaillance vocale, M. Laffitte supplée
à l'ampleur de style et à la taille héroïque qu'il
faudrait pour en faire un Raoul incomparable. Et
Mme Aida, en revanche, donne aux vocalises de la
Reine de Navarre une vigueur et un éclat que ce
rôle de chanteuse légère, semblait ne pas requérir.
Mme Paquot-D'Assy, qui devait reprendre le rôle
de Valentine, a dû être remplacée au dernier
moment par Mme Laffitte, qui s'en est tirée en
excellente musicienne et en cantatrice de bonne
école. MM. Albers, un Nevers de grande allure,
D'Assy, un farouche Saint-Bris, le gentil page
Urbain de Mme Eyreams, des chœurs bien stylés,
de jolis ballets, tout l'ensemble a paru soigné et
bien au point et l'on a fait à cette reprise un
bruyant succès.
— A son tour, la direction des Concerts popu-
laires vient de faire paraître le très intéressant
programme de sa saison. Celle-ci comprendra,
quatre concerts qui auront lieu, comme précédem-
ment, au théâtre royal de la Monnaie, le dimanche
après midi, avec répétition générale publique la
veille.
Le premier concert, fixé au 12 novembre, se
donnera avec le concours de l'exquis violoncelliste
M. Pablo Casais, que sa première apparition aux
Concerts Populaires a classé d'emblée parmi les
virtuoses les plus appréciés du public bruxellois ;
le deuxième concert, le 8 décembre, se fera avec le
concours de M. Valerio-Franchetti Oliveira, vio-
loniste espagnol qu'on n'a pas encore entendu à
Bruxelles, malgré les grands succès qu'il a obtenus
à l'étranger dans toutes les grandes capitales; le
troisième concert, le 18 février, sera consacré à
l'exécution intégrale de la légende dramatique, en
un prologue et sept tableaux. Le Chant de la cloche,
pour soli, chœur et orchestre, poème et musique
de Vincent d'Indy. Les principaux rôles auront
pour interprètes Mmes Donalda et Bourgeois et
M. Laffitte du théâtre royal de la Monnaie, et les
chœurs du théâtre ; enfin, le quatrième concert,
le 18 mars, est entièrement consacré à Richard
Wagner ; il se fera avec le concours de Mme Félicie
Kaschowska, cantatrice du théâtre royal de Stutt-
gart, très cotée en Allemagne.
Le bureau d'abonnement est ouvert chez MM.
Schott frères, 56, Montagne de la Cour. A partir
du i5 octobre, les places non réclamées seront
mises à la disposition du public.
— Concerts Ysaye. — Suivant la règle qu'il
s'est tracée de consacrer à la musique belge la
plus grande partie de ses programmes de la saison,
M. Ysaye annonce pour son premier concert, fixé
au 21-22 octobre courant, l'ouverture de Charlotte
Corday, de Peter Benoit, un triptyque symphonique
de Jan Blockx et une symphonie de Louis-Fl.
Delune, le jeune lauréat du récent prix de Rome.
Le programme se complétera par une mélodie
de Beethoven, le récit de Wolfram (deuxième acte
de Tannhœuser) et les Adieux de Wotan, que chan-
tera l'excellent baryton Anton Van Rooy.
— La signora Artémise Colonna, annonce pour
le 20 octobre courant, à 8 1/2 heures, dans la salle
de la Grande Harmonie, une séance de danses et
de pantomimes sur de la musique de Chopin.
L'orchestre sera dirigé par M. Emile Agniez. Pour
la location, s'adresser chez MM. Schott frères.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Il y avait foule, dimanche
soir, à l'Harmonie, pour le concert de clô-
ture de la saison d'été. Il est vrai que le pro-
gramme valait la peine que les plus difficiles se
dérangeassent. Comme soliste, une des reines du
clavier, \,me Clotilde Kleeberg, et comme œuvre
orchestrale, une des belles pages classiques : la
quatrième symphonie de Beethoven, et une des
productions les plus saillantes de l'école mo-
derne : les Impressions d'Italie de Charpentier.
Mme Kleeberg a obtenu un succès enthousiaste
après son concerto de Schumann, qu'elle a exé-
cuté avec une finesse et une pureté de son remar-
quables. Les morceaux solo qu'elle a joués dans
la deuxième partie n'ont pas été moins goûtés et
c'est au milieu d'ovations enthousiastes que la
sympathique artiste a dû y aller de son bis.
L'orchestre, sous la direction de M. Constant
Lenaerts, a eu sa part largement méritée du suc-
cès de la soirée. La quatrième symphonie de
Beethoven a été exécutée avec une correction et
une conscience artistiques dignes des plus vifs
éloges. Elle a été longuement applaudie, ainsi que
les Impressions d'Italie, d'un réalisme si frappant.
Nos compliments aussi pour le concerto de
Schumann, car ce n'est pas un simple « accompa-
gnement » que l'orchestre doit fournir dans des
concertos modernes, mais bien une partie princi-
656
LE GUIDE MUSICAL
pale, aussi importante — parfois plus — que la
partie de soliste.
Comme clôture aux nombreuses fêtes nationales
jubilaires qui furent organisées cette année dans
tous le pays, le Peter Benoits-Fonds a décidé de
donner une reprise de l'oratorio De Qorlog.
Cette exécution, attendue avec le plus grand
intérêt, aura lieu lundi 23 octobre, sous la direction
de M. Edward Keurvels, dans le Palais des Fêtes
de la Société royale de Zoologie, à Anvers.
G AND. — Le Grand Théâtre, dont la direc-
tion a été confiée à M. Marquet, vient de
rouvrir ses portes, et la semaine des débuts, qui
vient de se clore, a été on ne peut plus satisfaisante.
La troupe de grand-opéra, interprétant successive-
ment La Juive, Hérodiade, s'est imposée par son
homogénéité. Ce n'est pas aux lecteurs du Guide
qu'il est besoin de vanter Mme Feltesse, qui fit un
séjour à la Monnaie. Son succès a été très vif,
encore que sa mimique dans le rôle de Rachel eût
gagné à être plus souple. Le fort ténor, M. Dubois,
a été excellent dans chacun de ses rôles. Il est
doué d'une voix sonore et moelleuse, ne pousse pas
le son dans le registre aigu et sait graduer les
effets de force. Son jeu est élégant et d'une
sobriété bien étudiée. Nous pouvons adresser les
mêmes éloges à M. Girod, ténor léger, dont la
voix charme tant par sa grâce que par sa pureté.
M. Girod s'est en outre affirmé acteur de talent
dans le rôle de Gérald, où il a recueilli une ample
moisson d'applaudissements. Sa partenaire dans
Lakmé, Mme Simony, a également obtenu un très
vif succès. Sa voix proprement dite n'est pas son
meilleur atout, bien qu'elle soit souple, qu'elle
monte fort aisément et qu'elle soit conduite en
perfection, car elle manque d'ampleur et de rayon-
nement ; mais le jeu est intéressant et l'expression
attachante.
Les rôles secondaires sont tous tenus de façon
méritoire, et l'ensemble nous permet d'augurer
avantageusement de l'intérêt de la saison, qui s'est
ouverte très brillamment.
Le Cercle des Concerts d'hiver vient d'an-
noncer ses quatre concerts symphoniques de la
saison 1905-1906. Ils auront lieu sous la direction
de M. Ed. Brahy, aux dates suivantes : Samedi 18
novembre, 16 décembre, 10 janvier, 24 mars. Le
premier concert aura lieu avec le concours de
Mme Mysz-Gmeiner.
Les inscriptions pour l'abonnement sont reçues
chez Mme Beyer, Digue de Brabant.
Marcus.
A HAYE. — Pour célébrer le soixante-
dixième anniversaire de Camille Saint-Saëns,
M. Mengelberg avait consacré tout le programme
de dimanche dernier, au Concertgebouw d'Amster-
dam, aux œuvres du maître français. On y a exé-
cuté la symphonie avec orgue, un des meilleurs
ouvrages symphoniques du maître, les poèmes
symphoniques Phaëton et La Jeunesse d'Hercule,
puis M. Gérard Hekking a joué avec maestria le
second concerto pour violoncelle et des airs de
ballet d'Etienne Marcel. C'est la symphonie qui a
été le véritable clou du programme et qui a produit
une très grande impression* Aux prochains con-
certs, des n et 12 octobre, c'est le Dr Ludwig
Wullner qui prêtera son précieux concours.
Les premiers concerts, qui seront donnés au
Concertgebouw d'Amsterdam après le départ de
M. Mengelberg, qui s'embarquera le 24 de ce mois
pour l'Amérique, les 25 et 26 octobre, seront
dirigés par M. Ferruccio Busoni, et les principaux
ouvrages de sa composition qu'il y fera entendre
seront un concerto pour piano et orchestre et
chœur d'hommes, dont la partie de piano sera
jouée par M. Egon Pétri, de Dresde, et le chœur
chanté par la société Apollo, d'Amsterdam, et
un concerto pour deux pianos joué par MM. Bu-
soni et Egon Pétri. Le concert du 2 novembre au
Concertgebouw se composera d'une cantate pour
chœur de femmes et orchestre, Les Sept Rayons de
soleil, de Catherine Van Rennes, que la grande
artiste dirigera elle-même, et d'une fantaisie pour
chœur d'hommes et orchestre sur un vieil air
populaire néerlandais de Johan Wagenaar,
d'Utrecht.
Le jury dernièrement nommé en Hollande et
en Belgique pour examiner les chansons d'étu-
diants envoyées au concours organisé, vient de
décider qu'aucun des ouvrages envoyés ne méri-
tait ni un prix, ni une mention honorable. Ce jury
se composait du professeur Paul Fredericq, de
MM. Florimond Van Duyse, Ant. Averkamp, de
Braun et Coenen.
A La Haye, la saison des concerts s'est brillam-
ment inaugurée par la matinée donnée .par le pia-
niste Léopold Godowsky. A cette audition, il a
exécuté avec une perfection incomparable, une
rapsodie de Brahms, Variations sur un thème norvégien
de Grieg, une fantaisie de Chopin, une transcrip-
tion de Chopin par Liszt, quatre études de Poldini
et pour finir le Mephisto-Waher de Liszt, sans
oublier une sonate de Porpora pour violoncelle et
piano, où le violoncelliste Mossel s'est vaillam-
ment comporté. Quant à Godowsky, il a provoqué
un grand enthousiasme.
LÉ GUIDE MUSICAL
Au prochain concert de la société De Toekomst
(Association des Artistes musiciens), à La Haye,
nous aurons la bonne fortune d'entendre la célèbre
Société des Instruments anciens de Paris.
Il est question aussi, dit-on, d'une exécution
de la Sinfonietta de Max Reger à une des pro-
chaines matinées symphoniques de Henri Viotta.
A l'Opéra royal, Mlle Cortez, dans Mignon, a
pleinement confirmé le succès qu'elle avait obtenu
dans Carmen à sa première apparition.
Ed. de H.
NOUVELLES
Le théâtre municipal de Hambourg donne en
ce moment un excellent exemple et se livre à une
manifestation fort intéressante, qui ne se prolon-
gera pas moins que pendant tout l'hiver. Il vient
de commencer les représentations d'un « cycle des
œuvres des maitres de l'opéra », cycle qui com-
prendra trente-quatre œuvres choisies dans le
répertoire lyrique de tous les pays. Voici la liste
de ces œuvres : Almira, de Hamdel; les Noces de
Figaro, la Flûte enchantée, de Mozart ; Orphée, de
Gluck; Fidelio, de Beethoven; Freischutz, Obéron,
de Weber; Ondine, deLortzing; le Prophète, l'Afri-
caine, de Meyerbeer ; Tannhœuser, le Vaisseau fan-
tôme, les Maitres . Chanteurs de Nuremberg, Tristan et
Isolde, de Richard Wagner ; Joseph, de Méhul ; la
Dame blanche, de Boïeldieu ; la Muette de Portici,
d'Auber ; la Juive, d'Halévy ; Mignon, d'Ambroise
Thomas; Faust, de Gounod ; Carmen, de Bizet;
le Barbier de Séville, Guillaume Tell, de Rossini ;
Norma, de Bellini ; Lucie de Lammermoor, de Doni-
zetti; Otello, la Traviata, de Verdi; la Tosca, de
Puccini; les Macchabées, de Rubinstein; Dalibor, de
Smetana.
— Le nouvel intendant des théâtres royaux de
Munich, M. le baron de Speidel, a pris officielle-
ment ses fonctions le Ier octobre. Le lendemain,
à dix heures, le directeur général de la musique,
M. Félix Mottl, les régisseurs, les maîtres de
chapelle et les artistes des théâtres et de la cha-
pelle de la Cour lui ont été présentés. Les dames
étaient en grande toilette, les hommes en costume
de gala ou en habit de cérémonie. M. de Speidel
a répondu très cordialement au discours qui lui
avait été adressé ; il a fait l'éloge de son prédéces-
seur et a déclaré qu'il ne voulait rien changer à
l'état actuel des choses, bornant pour le moment
son ambition à maintenir l'art à la hauteur qu'il
a pu atteindra jusqu'ici, et à continuer à lui donner
l'impulsion nécessaire pour qu'il se développe
normalement.
— M. Richard Strauss a terminé cet été un
grand-opéra, Salomé, sur le poème du poète anglais
Oscar Wilde.
Le nouvel ouvrage devait être donné simultané-
ment à Vienne et à Dresde. Mais la censure, dans
ces deux villes, avait fait quelques difficultés, le
sujet lui paraissant trop biblique. On a fini cepen-
dant par s'apercevoir que M. Strauss s'était borné
à mettre en musique le texte même du drame
d'Oscar Wilde, lequel avait été joué 197 fois dans
■2,6 villes d'Allemagne et d'Autriche. Il aurait donc
paru bizarre que l'opéra nouveau fût interdit dans
ces deux pays. La première représentation de
Salomé est actuellement fixée, pour Dresde, au
5 novembre et, pour Vienne, au milieu de décem-
bre. On sait que le sujet de l'ouvrage est à peu
près le même que celui d'Hérodiade, déjà bien
connu par les œuvres de Flaubert, de M. Oscar
Wilde, de M. Sudermann et par l'opéra de
Massenet.
— M. Georges de Lausnay, dont nous avons
enregistré récemment les succès cet été à Dieppe,
doit faire une importante tournée en France, au
mois de novembre, et divers voyages à l'étranger
et en Algérie. L'excellent pianiste n'en continuera
pas moins ses leçons à Paris cet hiver, ainsi que
son cours d'ensemble instrumental avec le violon-
celliste Henri Richet.
— D'après les Nouvelles de Leipzig, le musée d'his-
toire musicale de M. Paul de Wit, une des collec-
tions d'instruments les plus intéressantes et les
plus complètes qui existent en Allemagne, a été
vendu à un amateur de Cologne dont l'intention
serait d'en faire donation au conservatoire de cette
ville. Cette collection, parfaitement classée et cata-
loguée, renferme de superbes spécimens de clavi-
cordes, d'épinettes, de clavecins, d'orgues et de
piano primitifs, qui sont, abstraction faite de leur
valeur technique, de véritables œuvres d'art par
leur ornementation. En nous plaçant dans le
domaine de la curiosité pure, nous pouvons remar-
quer avec quelle ingéniosité les premiers facteurs
d'instruments à clavier s'efforçaient de prévoir
tous les caprices et de satisfaire tous les goûts.
Nous avons ici un harmonium en forme de missel
avec un fermoir ; il a les dimensions suivantes :
Longueur 60 centimètres, largeur 28, hauteur i3.
Nous rencontrons plus loin un secrétaire qui,
lorsqu'il est fermé, ne se distingue aucunement des.
658
Lfî GUIDE MUSICAL
autres meubles nommés ainsi ; mais si nous
l'ouvrons, nous avons sous la main, au lieu d'une
tablette à écrire, un clavier de plusieurs octaves
utilisable comme n'importe quel piano de l'époque.
On peut voir encore un coffret conditionné avec
beaucoup d'élégance. Une dame peut s'en appro-
cher et soulever le couvercle ; elle trouvera un
nécessaire ou table à ouvrage renfermant tout ce
qu'il faut pour faire la broderie, pour piquer ou
coudre, et, si elle veut se distraire après le travail,
il lui suffira de rabattre la paroi antérieure du
coffre : un clavier de trois octaves et demie se
trouvant alors sous ses doigts lui permettra
d'exécuter une sarabande, une pavane, une gavotte
ou tout autre morceau d'ancien claveciniste.
La collection est riche en instruments genre
violon ou guitare : théorbes, luths, cithares, et
toutes les variétés nommées lyra di gamba, viola di
bordone, viole d'amour, viole à cinq cordes,
pochettes violoncelles ou contrebasses. Parmi les
instruments à vent en bois, nous trouvons le
chalumeau, ancêtre de la clarinette, des musettes
basses, des bassons, des cors anglais, des hautbois
d'amour, etc. Les clarinettes sont en grande
quantité ; il y en a en ivoire avec clefs d'argent. Le
serpent figure dans sa forme primitive, avec ses
contours imitant exactemeut ceux d'un reptile et sa
vilaine couleur noire. Il a été remplacé par les
ophicléides aux sons flasques, supplantés eux-
mêmes par nos basses-tubas. Les tambours offrent
un intérêt d'un genre tout spécial, à cause des insi-
gnes et des armoiries qui les décorent. Le musée de
M. Paul de Wit possède un certain nombre de
portraits, gravures, bustes, etc., dont quelques-
uns sont des originaux de prix. Il y a, par exemple,
le buste de Paganini, par Dantan, fait à Paris en
1837; ceux de Gluck, Beethoven, Haendel..., puis
le moulage d'une main de Rubinstein, par Trebst,
exécuté le 25 avril 1894, pendant que le célèbre
compositeur et pianiste était dans la maison du
docteur Carus, dont le nom permit à Berlioz de
faire un jour ce jeu de mots :
Patientibus carus, sed clarus inter dodos
Cher à ceuxqui souffrent, mais illustreparmi les savants.
Il faut citer le portrait peint à l'huile d'un jeune
homme dont la ressemblance avec Beethoven a
fait croire que c'est bien là un portrait du maître à
l'époque de sa jeunesse, et un joli pastel représen-
tant Isabella Colbran, la première femme de
Rossini, à côté d'un portrait à l'huile de son mari,
l'auteur du Barbier. Enfin, il y a encore un certain
nombre de tableaux de Lenain et de quelques
autres peintres, ayant pour sujets des scènes
musicales.
— Le prince régent de Bavière vient de faire
remettre à M. Félix Mottl la croix de troisième
classe de l'ordre de Saint-Michel, pour le mérite.
— Le Musical Times a donné d'intéressants
détails sur un grand festival à la mémoire de
Hsendel qui fut célébré du 26 mai au 5 juin r785 et
avait été organisé par Joah Bâtes, un des plus
fervents admirateurs du maître, pour commémorer
le centième anniversaire de sa naissance. Bâtes
avait su obtenir le patronage du roi Georges III
et de l'évêque de Rochester, qui mirent à sa dis-
position l'abbaye de Westminster pour l'audition
de l'oratorio le Messie. L'orchestre fut le plus nom-
breux que l'on eût encore réussi à former ; il com-
prenait :
. , --;. 95
Altos . . .
. . 26
Violoncelles .
. . . 21
Contrebasses
. . . i5
Flûtes . . .
. . . 6
. . . 26
. . . 26
Contrebasse •
• • • l
Trompettes .
. . . 12
Trombones .
. . . 6
Tambours
. . . 3
Total
. . . 249
249
Le chœur se composai
t de :
...;'•; 93
. . . 80
• • • 79
Total
. . . 257
•
257
En semi
ÎLE ....
5o6
Après l'audition du Messie, le Roi remit lui-même
à Bâtes un bâton monté en or et une bague avec
la miniature de Hasndel. Il lui offrit en outre la
dignité de baron, mais le musicien déclina cet
honneur. On raconte une anecdote amusante au
sujet de ce festival de commémoration. Reinhold,
première basse, s'étant trouvé dans l'impossibilité
de chanter par suite d'un refroidissement, se fit
excuser. Aussitôt un vieux choriste nommé Bel-
lamy offrit ses services, employant dans sa lettre
une locution anglaise populaire dont le sens est
parfaitement clair. Il écrivait à Bâtes : « Monsieur,
puisque M. Reinhold ne peut chanter, je me pro-
pose à vous pour me chausser de ses souliers. » —
« Monsieur Bellamy, répondit Bâtes, je ne veux
LE GUIDE MUSICAL
65g
pas que vous preniez Cette peine, car les souliers
de M. Reinhold ne vous iraient pas. » Voici quel
fut le bilan pécuniaire de ce premier festival à la
mémoire de Hsendel :
Recettes des cinq auditions musicales :
Le 26 mai 1784 (à Westminster (1). Fr. 74.155 —
Le 27 mai 1784 (au Panthéon). . » 42.260 —
Le 29 mai 1784 (à Westminster) . » 65.65o —
Le 3 juin 1784 (au Panthéon) . . » 40.085 —
Le 5 juin 1784 (à Westminster) . » 52.940 —
Perçu aux trois répétitions . . . » 23.620 —
Don du Roi » i3.i25 -
Vente de programmes renfermant
les paroles » 6.565 —
Total en chiffre rond . . Fr. 318.400 —
La balance des dépenses fut établie
Dépense de bienfaisance :
i° A la Société des Musiciens. . Fr.
2° A l'hôpital de Westminster . . »
Frais et réserve :
Arrangements d'architecture à
Westminster et au Panthéon . »
Orchestre »
Location et illumination du Pan-
théon »
Annonces dans les journaux . . »
Frais d'impression des programmes »
Portiers »
Orgue. . ........
Commissaire de police .... »
Gratifications »
Vignettes et billets gravés, mé-
dailles frappées, dessins, gardes,
portefaix, etc »
Reliquat entre les mains du tré-
sorier »
Total (erreurs exceptées). . Fr,
comme suit :
i5o.ooo —
25. 000 —
49.225
49.400
3.900
6 000
7.225
2.55o
2.5oo
2.5oo
4.175
8.775 -
7.i5o —
318.400 —
— Hsendel et Roubillac. — Le célèbre auteur
du Messie est un des très rares musiciens auxquels
une statue ait été érigée de leur vivant. Cette
statue fut longtemps le principal ornement des
Wauxhall Gardens ; puis elle fut vendue aux
enchères en i83o et est aujourd'hui la propriété de
M. Alfred Henry Littleton. L'artiste est représenté
dans une attitude calme, assis et jouant de la lyre
comme un Apollon. A ses pieds, un jeune garçon
écoute et note la mélodie. Le plus grand bloc de
marbre que l'on ait pu trouver à Londres fut livré
(1) Le plus curieux de tout ceci, c'est que Bâtes se
trompa d'une année sur ses programmes et inscrivit
1784 au lieu de 1785.
au statuaire pour qu'il créât une figure en rapport
avec l'idée que l'on se faisait dès cette époque du
génie de Haendel. Ce statuaire était un Français
nommé Louis-François Roubillac. Né à Lyon en
1695, mort à Londres le n janvier 1762, il fut
élève de Balthazar de Dresde et de Nicolas Cous-
tou. Il obtint le deuxième prix de Rome en 1730;
le sujet proposé était celui-ci : Daniel sauvant la
chaste Suzanne au moment où on la conduisait à la mort,
Plus tard, il s'établit en Angleterre, obtint la pro-
tection des Walpole et acquit une renommée
considérable. Après la statue de Hasndel en Apol-
lon, une de ses œuvres les plus connues et les plus
populaires est l'allégorie charmante The Nightin-
gale, le Rossignol, qui a été conçue pour un monu-
ment funéraire. On peut citer encore la statue de
Georges Ier à Cambridge, celle de Newton dans
la même ville, et celle de Shakespeare placée à
l'entrée du British Muséum, enfin le monument de
Hsendel pour l'abbaye de Westminster. Cette
œuvre ayant été la dernière du statuaire, on peut
dire que la carrière artistique de Roubillac a
commencé et a fini avec Hsendel, qui le précéda
seulement de moins de trois ans dans la tombe.
ta n 03 et 1b a r p e s
Bruxelles : 6, rue Xambermout
paris : rue ou tfftail, 13
NÉCROLOGIE
Le chanteur Franz von Reichenberg, dont la
raison troublée avait nécessité en 1902 son inter-
nement dans une maison de santé près de Vienne,
vient de s'y éteindre, un peu oublié déjà. Comme
son aîné dans la carrière, Emile Scaria, qui
chantait les mêmes rôles et dont l'esprit s'égara
de même à la fin de sa vie, il était né à Gratz,
mais quinze ans après, en i355. On le destinait
aux études juridiques. Il s'adonna au chant par
vocation musicale. Son instruction terminée dans
sa ville natale, il débuta sur la scène à Mannheim
et se fit applaudir ensuite à Francfort, à Hanovre,
et enfin à Vienne en 1884. Ses rôles principaux
ont été ceux de Bertram, Méphistophélès, Zarastro
et les basses de quelques œuvres de Wagner. Il
tint avec beaucoup d'éclat le rôle principal à la
êêo
LE GUIDE MUSICAL
première de l'opérette Riticr Pazman de Johann
Strauss, en 1892. C'est en 1901 qu'il ressentit les
premières atteintes de sa maladie mentale.
— Un musicien qui jouissait en Suisse d'une
certaine réputation et qui s'était fait connaître à
Berlin comme directeur de sociétés chorales,
Edgar Munzinger, est mort dernièrement à Bâle.
— Encore un ténor qui disparaît de la scène du
monde. A Milan est mort ces jours derniers, dans
un âge avancé, le ténor Barbacini, qui depuis
plus de quarante ans s'était fait, sur les grandes
scènes de l'Italie et de l'étranger, une grande
réputation, grâce à sa belle voix et à ses qualités
dramatiques. A quatre reprises, il appartint au
personnel du théâtre de la Scala de Milan, en 1868,
1879, 1884 et 1887. Quelques années après, il se
produisit au théâtre Dal Verme et au théâtre
Manzoni de la même ville. Puis il prit sa retraite
et se livra à l'enseignement.
— On annonce de Turin la mort d'un ancien
magistrat, le comte Carnevali, procureur du roi en
retraite, qui était âgé de 86 ans. Il fut, dit-on, un
amateur distingué de musique, et même compo-
siteur. On cite de lui une sérénade qui devint
fameuse et que le compositeur Enrico Petrella
introduisit en 1864 dans un de ses opéras, la Con-
fessa d'Amalfi, qui obtint un succès de vogue.
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Nombre de refrains qu'il renfeime sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques- Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 56. Paysan, ne quitte pas la terre. (Tiré des Chansons romandes.)
E. Jaques-Dalcroze
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Pa-y-san, ne quit-te pas ta ter-re, Pour la ville aux attraits trompeurs; Pa-y-san, ne quit-te pas ta ter-re,
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\l&e ANNÉE.
Numéro aH.
2 à -Octobre igo5.
CHANTS PRIMITIFS DES PEUPLES DU NORD
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
Après la victoire, c'est autour de
la table du festin que le chef
et ses fidèles s'assemblent et
célèbrent les guerriers couverts
de gloire, tout en rappelant en tableaux
sanglants, le carnage des ennemis. Si, au
contraire, il y a défaite, ce sont des cris de
colère et de vengeance, de longues cla-
meurs qui dominent et semblent déchirer
l'air, des lamentations douloureuses sur la
patrie vaincue, sur les héros tombés. Elles
s'échappent surtout du cœur des femmes,
compagnes fidèles des guerriers, attachées
à leur destinée jusque dans la mort, où
souvent elles les suivent. Ne les voit-on
pas, en tous lieux, suivant les armées dans
de lourds chariots, excitant l'enthousiasme,
chantant en chœur et battant des mains.
Elles ne dédaignent pas de prendre part à
l'action : elles sont toutes un peu wal-
kyries, tandis que les guerriers, dans leur
mépris du danger, dans leur fière audace,
dans leur amour de la 'liberté et jusque
dans la singulière volupté qu'ils éprouvent
vis-à-vis du feu, tiennent tous un peu du
hardi et fort Sigurd. Ce sont ces femmes
>
fières et fortes qui souvent combattent à
côté du guerrier aux heures suprêmes et
décisives, elles qui frappent le lâche préfé-
rant la fuite à la mort; elles aussi qui
égorgent leurs enfants plutôt que de les
laisser en esclaves à l'ennemi et qui meu-
rent ensuite à leur tour ; sans pâlir ni trem-
bler, elles sondent et soignent les blessures
des guerriers et cherchent sans faiblesse
leurs parents parmi les morts laissés aux
champs de carnage. ,
Dans les courts intervalles de paix, voici
la femme qui chante avec l'époux au foyer
familial, l'hymne de la dernière victoire, la
louange des héros : c'est ainsi . qu'elle
apprend la vie à ses enfants. Peut-être
alors aussi, loin de la guerre, ces âmes
dures et farouches s'attendrissaient-elles
un peu. Etait-ce alors que résonnaient ces
voix si insinuantes qui chantaient l'amour
avec tant de douceur que les oiseaux
cessaient leur gazouillement pour les mieux
entendre et que tous les hommes aussitôt
quittaient le bienfaisant sommeil ? (Gudrun.
Chant de Horant.) Ces chants des Bar-
bares exerçaient donc un vrai pouvoir ma-
664
tÈ GUIDE MUSICAL
gique. Aussi, quand, plus tard, dépouillés
de leurs terres ou ne voulant point se sou-
mettre à quelque chef autoritaire, ils quit-
tèrent leur pays pour s'élancer sur la mer,
qui, toujours libre et indomptée, s'offrait
à eux, leurs chants encore les ont accom-
pagnés et venaient rappeler dans le calme
des longues traversées la patrie lointaine
et les ancêtres disparus! Mais le plus sou-
vent, c'est la mer démontée qui les porte
et la tempête qui les pousse. Un même
souffle puissant et sauvage anime alors
leurs chants, et le tableau de leurs expédi-
tions aventureuses sur l'Océan n'est pas
moins fantastique que celui de leurs
courses vertigineuses sur le continent. Des
barques légères ou des vaisseaux de haut
bord, aux voiles sombres, montent au gré
des flots et du vent sur la crête de vagues
énormes. La forme même de ces embarca-
tions est souvent bizarre et symbolique :
plusieurs ont la forme de serpents{snekkars)
ou de dragons (drakars). Leur proue est
ornée de cuivre; leurs bords portent
d'éclatantes peintures; des boucliers y
sont suspendus; les mâts sont surmontés
d'oiseaux gigantesques aux ailes déployées.
De ces vaisseaux étranges s'élèvent des
cris sauvages ou des chants puissants qui
luttent de force avec le mugissement de la
tempête. C'est une voix redoutée aux
rivages! elle annonce les terribles Vikings,
enfants des anses, presque tous Scandi-
naves, qui se croient maîtres des côtes où
le vent les a poussés comme de leur pro-
pre personne. Ce sont les vrais ancêtres
des Normands du IXe siècle, qui firent
trembler Charlemagne lui-même. Leurs
chants aussi sont généralement plus « san-
guinaires », car ces hardis navigateurs
sont déjà plus pirates que guerriers. Mais
le caractère héroïque subsiste toujours ;
c'est encore le même génie païen qui
inspire ces chants ; on y sent la colère ou
l'ardeur des guerriers, la puissance de leurs
terribles coups d'épée, le choc de leurs
lances. Dans tous aussi, une sombre mais
prodigieuse imagination évoque en ta-
bleaux sauvages et splendides une nature
âpre et glacée dont tous les éléments sont
déchaînés. N'est-ce pas ainsi d'ailleurs qu'ils
la préfèrent, qu'ils la connaissent le mieux?
Aussi, dans leurs comparaisons, n'apparaît
nulle image comique ou même simplement
riante ; pas davantage dans leurs visions :
tout y respire sans cesse la sauvage éner-
gie des combats, tout s'imprègne du carac-
tère sombre et grandiose d'une nature
géante et tumultueuse.
Sur les rochers noirs et déserts, aussi
bien que dans l'orage, des femmes éche-
velées, toutes bardées de fer, brandissent
des lances énormes; à la pointe des mâts
de leurs vaisseaux, des oiseaux lugubres,
vautours et corbeaux viennent se poser:
des loups affamés et monstrueux hantent
leurs demeures ; des dragons effrayants
sont réfugiés dans des grottes obscures.
Mais en face de ces apparitions, jamais le
héros ne tremble. Prenez n'importe quel
chant et voyez comme il résonne toujours
intrépide et enthousiaste. Dans le combat,
qui ne se sentirait entraîné par ces impro-
visations héroïques pareilles à celles de
Harold, le courageux rival de Guillaume
de Normandie à Hastings : « Combattons,
disait-il, marchons, quoique sans cuirasses,
sous le tranchant du fer bleuâtre ; nos
casques brillent au soleil ; c'est assez pour
des gens de cœur ! ». N'est-ce pas superbe
et sublime tout à la fois? Par contre, quel
accent sombre, funèbre et cruel dans ces
quelques chants qui nous restent de la
grande bataille des Anglo Saxons contre les
Norvégiens à Brunan-Burgh (Bourg des
Sources)! Quelle peinture effroyable du
champ de bataille abandonné : « Ils
laissent derrière eux le corbeau se re-
paissant de cadavres, le corbeau noir au
bec pointu, et le crapaud à la voix rauque,
et l'aigle affamé de chair, et le milan
vorace, et le loup fauve des bois ». Même
quand la mort les tient déjà, ces guerriers
formidables ont encore des chants puis-
sants et fiers qui sentent les coups des
lances. Voici le fameux roi de la mer, le
Scandinave Ragnar Lodbrog, pris par ses
ennemis, enfermé dans un cachot rempli
LE fcUIÛÉ MUSICAL
665
de serpents venimeux; sans doute, avant
de mourir, a-t-il rassemblé ses dernières
forces pour faire retentir une fois encore
son fameux chant de guerre, transposé par
Chateaubriand dans ses Martyrs : « Nous
avons frappé de nos épées, dans le temps
où, jeune encore, j'allais vers l'Orient
apprêter aux loups un repas sanglant... »
« Une rosée de sang dégouttait des épées ;
les flèches sifflaient en allant chercher les
casques... » « Je ris de plaisir en songeant
qu'une place m'est réservée dans les salles
d'Odin.... Je vais, assis aux premières
places, boire la bière avec les dieux. Les
heures de ma vie s'écoulent ; c'est en riant
que je mourrai. » (Voir Aug. Thierry,
Histoire de la conquête de V Angleterre.)
C'est la même joie sauvage, la même
impassibilité vis-à-vis des tourments phy-
siques, la même vision enthousiaste de la
vie future qui remplissent le fameux chant
de Gunnar, le brave chef Scandinave,
ennemi d'Atli ou Attila. Gunnar aussi,
captif d'Atli, a été emprisonné dans un
sombre cachot rempli de serpents. Il tient
auprès de lui une harpe fidèle, et comme
ses mains liées ne peuvent en jouer, ce
seront ses pieds qui feront vibrer l'instru-
ment. « La harpe parla comme une voix
humaine; le chant était aussi doux que
celui du cygne. » Ce chant commençait, en
effet, par déplorer la mort de parents
aimés trahis par Atli. Peu à peu il s'exalte :
les avertissements et les songes qui prédi-
rent ces malheurs repassent un à un dans
la mémoire du chef, mais bientôt il éclate
en un rire énorme et sinistre au souvenir
des vengeances prochaines : « Jamais
Gunnar, fils de Giuki, ne proférera une
parole de crainte dans la caverne de Graft-
winir, dans le tombeau, et ce n'est pas en
hésitant qu'il s'approchera d'Odin, père
des armées... » « Avant que Gunnar perde
sa tranquillité d'âme, Goïn, la vipère, m'aura
percé le cœur... » « Mais Gudrun se ven-
gera cruellement de la trahison qu'Atli a
exercée à notre égard. Elle t'apportera,
ô roi, les cœurs de tes fils rôtis pour ton
festin du soir. Tu boiras ton hydromel
mêlé à leur sang dans des coupes faites de
leurs crânes. » Aux sons de la harpe, les
vipères se sont endormies; une seule
encore, perçant le cœur du roi, lui donne la
mortelle blessure : « Tais-toi, harpe sonore,
je dois partir pour aller habiter désormais
le vaste Walhalla, boire l'hydromel sacré
avec les dieux. » Quels adieux au monde
dans ces deux derniers chants! Quelle
passion guerrière ils devaient éveiller ou
exciter dans l'âme de ceux qui les enten-
daient ! Quel appel à la vengeance ! Et c'est
dans de pareils chants que s'exhale leur
dernier souffle! Gélimer, dernier roi des
Vandales, se voyant perdu, ne demande à
Bélisaire qu'une chose : qu'on lui apporte
une harpe afin qu'il puisse adresser avant
de mourir un dernier salut à sa patrie loin-
taine, chanter ses malheurs et sa ruine et
lui rappeler sa gloire antique.
Quelquefois, la mort ne laisse même pas
aux chefs le temps de se souvenir, mais
alors ses guerriers chantent pour lui. Le
roi des Goths, Théodoric, meurt dans les
champs de Catalogne ; aussitôt la bataille
est suspendue ; les guerriers emportent le
corps du roi et nombreuse est l'escorte
qui forme le funèbre cortège, chantant la
louange et la mort du chef. Autour du
cadavre du victorieux et brave Hermann
ou Àrminius, qui décima l'armée romaine
de Varus, ce sont en même temps des cris
de fureur et de pitié qui s'élèvent en cla-
meurs gigantesques. Les funérailles d'Attila
sont comme un rappel fantastique de toute
sa vie. La lueur des flammes, le choc des
armes, les cris sauvages de son armée
entourent le chef mort. Il est là, étendu sur
le sombre et haut bûcher. La nuit tombe,
les torches brûlent; l'une d'elles a déjà mis
le feu au funèbre brasier ; la flamme monte
menaçante; d'autres feux sont dispersés
dans ce camp immense, y jetant de sinistres
lueurs. Avec les flammes s'élève alors le
fameux chant de mort d'Attila. Des cava-
liers chevauchant de sombres coursiers et
portant des torches font le tour du bûcher
et entonnent le chant. Tout le camp aus-
sitôt le répète au rythme des boucliers et
666
LE GUIDE MUSICAL
des armes qu'ils frappent en mouvements
réguliers. Au milieu du feu et des sauvages
clameurs disparaît ainsi du monde celui
qui avait porté l'épouvante et l'incendie
partout où son humeur sauvage et sangui-
naire avait conduit ses pas.
L'impression que laissaient ces céré-
monies était prodigieuse et les chants qui
les accompagnaient se gravaient profon-
dément dans les mémoires. Tant que les
croyances et que les coutumes subsistèrent,
ils furent retenus et transmis à peu près
immuables, ayant leur dernier refuge dans
les îles glacées et désertes de l'Atlantique
septentrional. Mais à mesure que le génie
païen, qui dans les derniers temps de son
existence n'avait déjà plus la force de
créer, se vit enfin écrasé par le génie d'un
monde nouveau, celui du christianisme,
les chants sauvages ne retentirent plus
dans leur audacieuse improvisation. Beau-
coup se perdirent; d'autres se figèrent
dans des chroniques trop ordonnées, trop
diluées, où ils perdirent tout éclat et toute
vie. Quelques-uns aussi furent mêlés et
confondus avec des traditions d'un tout
autre âge. Les plus heureux furent ceux
qui marchèrent avec le temps et se trans-
formèrent suivant un harmonieux déve-
loppement pour s'adapter, dans une nou-
velle atmosphère épique, aux tendances et
aux caractères des mondes nouveaux.
May de Rudder.
UNE CAUSERIE DE M. C. SÀ1NT-SAËNS
L'ART DU THEATRE
Cette causerie est écrite : c'est la pré-
face que l'illustre compositeur a
donnée à M. Edmond Stoullig pour
son trentième volume (1904) des
Annales du Théâtre et de la Musique, qui vient de
paraître. Nous n'avons que faire de redire le prix
des analyses d'oeuvres dramatiques, des documents
souvent inédits, des mille renseignements divers
qui forment le texte même du nouveau volume et
le rendent si intéressant de toutes façons. Mais les
24 pages de M. Camille Sains-Saëns nous attirent
particulièrement, par leur portée générale, et nous
voudrions faire apprécier à nos lecteurs le bon
sens spirituel et la verve piquante de certaines
d'entre elles.
On sait la curiosité érudite du maître pour la
mise en scène des théâtres antiques : c'est par eux
qu'il débute, insistant ensuite, très justement, pour
montrer que l'essence si différente de nos specta-
cles modernes nécessiterait des dispositions radi-
calement autres, tandis qu'au contraire « un
mélange bizarre de l'antiquité et du moyen-âge
nous a donné le système illogique dont nous
jouissons ». Au lieu de modifier complètement les
conditions des salles, en vue des transformations
de la scène, on a toujours gardé les habitudes
essentielles des théâtres d'autrefois, sans faire
attention qu'elles se trouvaient de plus en plus en
contradiction avec le spectacle même. « Ce que la
scène moderne a gagné en profondeur, elle l'a
perdu en largeur ; la salle n'a pas suivi ce mouve-
ment, qui aurait réduit le nombre des spectateurs,
et son plan s'est dessiné en fer à cheval, système
qui prive le public placé sur les côtés de la vue et
même de l'audition d'une grande partie de ce qui
se passe sur la scène. » (Voyez l'Opéra-Comique,
le plus topique comme le plus récent exemple!)
« Pour avoir un théâtre rationnel, adapté à nos
représentations modernes, où tout le monde pût
voir et entendre commodément, il faudrait renoncer
au plan fer à cheval et revenir au plan demi-circu-
laire ; réserver l'orchestre aux musiciens, s'il y en
a — et il devrait toujours y en avoir, — pour
étager les spectateurs sur des gradins montant
jusqu'aux premières loges assez élevés pour que
nul n'ait la vue gênée par un spectateur placé
devant lui. Plus de parterre, plus d'orchestre,
plus de ces absurdes baignoires cachées sous un
balcon, d'où l'on voit mal, d'où l'on entend plus
mal encore et où l'on est exposé, de plus, à respirer
la poussière el les émanations du parterre. C'est
ce qu'on a réalisé au théâtre wagnérien de Bay-
reuth ; quelques autres, depuis sa création, sont
heureusement entrés dans cette voie.
» A propos du théâtre wagnérien, parlons un
peu de la question tant discutée du placement de
l'orchestre dans les théâtres lyriques. Grétry s'en
était occupé. Ne voulant voir dans l'opéra que le
chant et la déclamation, poussant même jusqu'au
naturalisme la poursuite et la justesse de Taccent,
il craignait que l'accompagnement ne vînt détour-
LE GUIDE MUSICAL
667
ner à son profit l'attention des auditeurs. Or, il est
certain qu'avec le système depuis longtemps
adopté, l'orchestre le plus discret est toujours trop
fort. Une merveilleuse disposition de l'oreille
dont beaucoup bénéficient sans en avoir con-
science, nous permet de faire un choix entre les
divers sons qui nous arrivent; c'est ainsi que dans
une conversation générale, nous distinguons aisé-
ment les paroles d'un interlocuteur qui nous inté-
resse, alors que celles des autres ne nous arrivent
qu'à l'état de murmure confus ; et c'est ainsi
également que notre attention étant concentrée
sur les personnages qui sont en scène, nous perce-
vons distinctement leur chant et même leurs
paroles, à moins que l'orage déchaîné par l'or-
chestre ne les submerge totalement. Mais essayez
un moment de ne pas tendre votre attention sur un
point déterminé, de vous laisser aller naïvement à
une audition d'ensemble, et vous constaterez
immédiatement le défaut que je vous signale.
Faites mieux : allez sur la scène, dans les cou-
lisses, écoutez-y un opéra, et vous serez surpris
du charme qui se dégage d'une telle audition, où
les voix se détachent au premier plan sur un or-
chestre dont on entend tous les détails, mais
diminués d'importance et formant comme le fond
du tableau. Vous comprendrez alors que l'audition
ordinaire est une sorte de monde renversé et qu'il
y a quelque chose à faire pour approcher de la
perfection...
» On sait comment le problème a été résolu à
Bayreuth, par la disposition souterraine de l'or-
chestre, souhaitée par Grétry : les extrêmes se
rencontrent ! L'effet musical est merveilleux ; une
atmosphère musicale enveloppe les personnages,
comme par magie; l'illusion scénique n'est pas
contrariée par la vue des instrumentistes; les voix
ressortent, comme cela doit être, au premier plan.
Ce n'est pas qu'il n'y ait, hélas! quelques ombres au
tableau Au point de vue de l'acoustique, si tout
arrive parfaitement à l'oreille dans les passages
délicats, il n'en est pas de même dans les passages
de force; les sons manquent d'espace pour prendre
librement leur essor et se grouper comme il con-
vient. On a tourné la difficulté, dans beaucoup de
théâtres, en laissant l'orchestre à sa place ordi-
naire et en se contentant d'en abaiser le niveau;
c'est une amélioration, mais ce n'est plus l'effet
magique de Y atmosphère musicale : un rideau sonore
s'interpose entre les chanteurs et le public. »
Autre question, autres erreurs : le décor et la
mise en scène. Ici, trop est trop, fait très justement
remarquer M. Saint-Saëns. « Bien que la conven-
tion soit l'essence même du théâtre, une illusion
persistante lui fait croire qu'il peut lui échapper,
en se rapprochant sans cesse de la nature.... » Et
rien n'est plus vrai, comme aussi la nécessité que
crée désormais l'habitude. « Il n'est plus possible
d'arrêter le luxe des théâtres, devenu inutile au
succès tant on y est habitué; mais cette habitude
même fait qu'on ne saurait s'en passer. » Et il
arrive des résultats inattendus : tout étant, dans
cet art spécial, dans Y illusion à donner au specta-
teur, il est arrivé que, de deux tentatives, par
exemple dans des effets de lacs, de cascades, de
pluie, celle qui a avorté est celle qui était la plus
réellement près de la vérité, au lieu que celle qui
avait remplacé l'eau vraie par un décor ou un truc
emportait tous les suffrages.
Viennent alors quelques observations sur le
convenu et le peu de vérité de certains effets de
scène adoptés par la tradition, avec des souvenirs
personnels amusants à noter. Voici, par exemple,
le quatrième acte du Prophète : la cathédrale et le
couronnement de Jean de Leyde. « L'ouvrage
n'a pas gagné (déclare M. Saint-Saëns) aux rema-
niements apportés à une mise en scène élaborée
naguère par des maîtres du théâtre. On a heureu-
sement respecté l'effet si original du cortège qui
défile obliquement, loin des regards du public,
contrairement à l'habitude qui veut que tout cor-
tège vienne se promener devant la rampe, pour se
faire mieux voir. L'idée était hardie et pitto-
resque, et pour obtenir que tous ces beaux cos-
tumes ne fussent vus que de loin, il dut y avoir
des luttes homériques. Mais je ne puis me tenir de
signaler une modification apportée à la mise en
scène de ce même quatrième acte.
» Jean s'avance pour bénir la foule. Autrefois,
la foule, tournant le dos au public, se groupait en
demi-ce'rcle, regardant la cérémonie ; à ce moment,
Fidès, prise d'un accès de curiosité haineuse,
s'approchait en rampant derrière la foule. « Voyons
donc, paraissait-elle dire, comme il est fait, cet
odieux prophète qui a tué mon fils ! » Elle cher-
chait à l'entrevoir à travers les rangs pressés, et,
au moment où Jean disait : « Je suis le fils de
Dieu ! », elle l'apercevait et se dressait en criant :
« Mon fils! ». L'effet était énorme. J'entends
encore la voix, je vois encore le geste de Mme
Viardot, qu'on n'égalera jamais dans ce rôle.
» A présent, que voyons-nous ? La foule s'écarte
pour laisser passer Fidès, et celle-ci, dévotement,
les mains croisées sur sa poitrine, s'avance lente-
ment vers le Prophète pour recevoir sa bénédic-
tion, la bénédiction de ce prophète qu'elle vient
de maudire avec de terribles imprécations ! Et
quand elle est arrivée près de lui, elle lève douçe^
66S
LE GUIDE MUSICAL
ment la tête et le reconnaît. L'effet est nul. Il est
nul parce que la scène est faussée et qu'elle a
perdu sa signification. »
M. Saint-Saëns parle aussi (mais nous ne pou-
vons le suivre dans tous ses développements) du
costume au théâtre, de ce souci de la vérité « qui
consiste à faire une cote mal taillée entre l'époque
où se passe la pièce et celle où elle est repré-
sentée » ; ou bien de l'ameublement, jadis radica-
lement absent, actuellement encombrant parfois
jusqu'à l'excentricité; ou bien encore des « effets
de tableaux visant au pittoresque avant tout,
éclairant vivement le fond de la scène où il ne se
passe rien, alors qu'à l'avant-scène les personnages
se meuvent dans une obscurité complète ». C'est
toujours le même principe : la recherche de la
réalité dans un domaine où elle doit être conven-
tionnelle. Ainsi, « l'on dépasse le but, ce qui n'est
pas la même chose que de l'atteindre », ajoute
spirituellement l'écrivain.
Achevons encore avec M. Saint-Saëns. « Pour
finir sur une note gaie, je raconterai comment,
dans un théâtre de province sur lequel on repré-
sentait Samson et Dalila, je n'ai jamais pu empêcher
le régisseur de faire apporter au milieu de la place
publique de Gaza un fauteuil rouge à bois doré, et
d'y faire asseoir la célèbre courtisane pendant la
danse des prêtresses. Que voulez-vous? En
France, les directeurs, les régisseurs, fiers de leur
incontestable habileté, jaloux de leur autorité,
supportent malaisément les observations des
auteurs ; il faut aller à l'étranger pour trouver des
théâtres où la parole de l'auteur soit écoutée avec
déférence et obéie sans difficulté. »
L'article finit en pointe, et la note gaie devient
caustique ; mais qui s'inscrira en faux contre elle?
H. de C.
US
L
a exécuté -
tous points
Wagner, et
DE U GARDE REPUBLICAINE
ET SON RÉPERTOIRE
matinée organisée le 19 octobre, à
l'Opéra-Comique, par le Figaro, au
profit des sinistrés de la Calabre, et où
la musique de la garde républicaine
- avec un art et un style achevés de
— l'ouverture pour Faust de Richard
accompagné Francis Planté dans le
concerto en sol mineur de Mendelssohn et divers
autres morceaux, me donne l'occasion de parler
un peu ici de cette « harmonie » sans rivale au
monde, et de son chef, musicien distingué et chef
de premier ordre, M. Gabriel Parés ; et je la saisis
avec empressement. Je la saisis d'autant plus
volontiers, que plusieurs articles ont paru, ces
temps-ci, de divers côtés, dont les auteurs, tout en
signalant avec de très justes éloges l'émulation de
nos chefs de musique militaire les plus en vue, et
le progrès musical de leurs programmes, laissaient
entendre qu'il n'en est pas de même de la musique
de la garde, et que, se reposant béatement sur ses
succès transcendants, son incroyable popularité
et le rare talent de ses membres, elle « sommeille
un peu » et « s'étiole » tandis que « d'autres mu-
siques ont poursuivi l'assaut du grand art ».
Ces critiques font aussitôt penser à la légende
formée depuis si longtemps autour de la Société
des Concerts du Conservatoire et maintenue,
malgré l'évidence, surtout par ceux qui n'en ont
jamais constaté le bien fondé. On ne conteste pas
la perfection de l'exécution, cela va sans dire,
mais bien l'élan, l'activité, la marche en avant du
travail et le renouvellement des programmes. On
va jusqu'à oublier que la plupart des œuvres capi-
tales, et certaines des plus audacieuses, de la mu-
sique symphonique ont été exécutées là. et pour
la première fois ; et l'on fait bénéficier d'autres
sociétés de nouveautés et d'audaces qui ne sont
souvent qu'A la suite. Eh bien! ce mode de juge-
ment, si légèrement appliqué au Conservatoire,
semble trouver des adeptes en ce moment à
propos de la garde.
Et il est d'autant plus étrange ici, que justement
le mouvement progressif, l'effort de la propagation
des œuvres nouvelles et des monuments essentiels
de la musique a été plus caractérisé et plus fécond,
parce que beaucoup plus récent et dépendant d'un
chef particulièrement actif et hardi. Au lieu d'une
sélection, d'un public spécialement dilettante et
averti, la musique de la garde n'a affaire qu'au
populaire le plus humble et le moins prévenu. En
dehors des occasions officielles, où personne
ne l'écoute, elle n'est le plus souvent en contact
avec le public que dans les quartiers de Paris les
plus excentriques, elle est presque inconnue des
vrais musiciens et des habitués de nos grands
concerts d'orchestre. Mais son action n'en est pas
moins considérable, et c'est à une vraie éducation
de ce public populaire et enthousiaste que ses
ressources exceptionnelles sont emplo5rées. La
petite enquête à laquelle je me suis livré m'en a
donné des preuves surabondantes.
LE GUIDE MUSICAL
669
J'ai pu en effet consulter les registres de cette
musique glorieuse, où chaque œuvre musicale est
inscrite avec toutes les dates de ses exécutions
diverses; j'ai pu inspecter la bibliothèque considé-
rable de ses partitions, et je suis sorti convaincu
qu'un tel répertoire, constamment étendu, aux
mains d'un tel groupe de musiciens, constamment
en haleine, donnerait dans des concerts réguliers
et une salle ouverte au public dilettante, une im-
pression d'art à ravir les plus difficiles.
Faut-il rappeler en quelques lignes les étapes de
ses cinquante années d'exercice, car elle pourra
célébrer ses noces d'or le 12 mars 1906? C'est sous
la direction de Paulus qu'elle fut organisée en i856,
avec cinquante-cinq exécutants. Sa victoire à
l'Exposition universelle de 1867, sur la musique
des guides, particulièrement chère à l'Empereur
et qui passait pour la première « harmonie » de
France, fut son premier triomphe à la face du
monde. Son second fut en 1871, à Londres, dans
une autre exposition internationale. Quant à sa
tournée de 1872 en Amérique, elle dépassa toutes
les espérances. Au retour, un décret fusionna les
deux légions et groupa tous leurs talents en un
seul faisceau plus invincible encore. Peu après,
en 1873, Paulus prenait sa retraite et cédait le
bâton à Sellenick, dont les succès, à la tête d'une
telle phalange, devinrent légendaires, soit en
Angleterre, soit en France Puis c'est, en 1884.,
G. Wettge qui lui succède. Enfin, en 1893, à la
suite d'un concours, M. Gabriel Parés obtenait
hardiment ce poste exceptionnel et tout de suite
déployait une activité sans égale.
C'est en effet à partir de sa direction, comme il
est facile de le constater en examinant la série des
programmes, que le répertoire de la garde se
transforma peu à peu et prit ce caracl ère haute-
ment artistique sur lequel je voudrais insister
aujourd'hui. Aussi bien M. Gabriel Parés était-il
un musicien de race et un chef d'orchestre de car-
rière. Son père avait été clarinette solo de la garde,
au temps de Paulus ; comme lui, il passa par le
Conservatoire, mais dans les classes d'harmonie et
de composition, en même temps que dans celle de
cornet à pistons. Il en sortit pour conquérir, pre-
mier au concours, la place de sous-chef de musique,
en attendant qu'un nouveau concours, autrement
disputé, lui donnât (en i883x. celle de chef de
la musique des équipages de la flotte, à Toulon,
qui le mit désormais, et notamment à l'Exposition
de 1889, tout à fait en vue. Si je m'attachais ici
spécialement à sa biographie, je signalerais ses
nombreux travaux, soit comme compositeur (au
théâtre, Le Secret de Maître Coruille, en collabora-
tion avec son frère; au concert, et surtout pour
harmonie, une foule d'œuvres originales ou
d'orchestrations), soit comme théoricien (un
remarquable traité d'instrumentation à l'usage
des harmonies et des fanfares). Je le montrerais
aussi à la tête de sa vaillante phalange de près de
80 artistes, dont la plupart appartiennent à nos
premières scènes ou à nos grands concerts.
La musique de la garde républicaine comprend :
1 sous-chef de musique, 5 musiciens de première
classe, 10 de seconde, i3 de troisième, 25 de
quatrième, tous comptant à l'état-major, et
24 élèves musiciens, souvent sortant lauréats du
Conservatoire. Les noms de MM. Papaïx, Font-
bonne, Lafargue, Jacquemont... sont parmi les
plus justement réputés parmi les solistes.
Mais ce n'est pas de leur talent que je veux
parler ici, c'est de leur répertoire. Il est facile de
comprendre qu'on puisse se tromper sur la com-
position des programmes, si l'on n'en voit qu'un
par hasard. Ce n'est pas sans raison que tel
d'entre eux se trouve être tout différent de tel
autre. A chaque concert, public nouveau et
spécial, qu'il convient d'instruire en le récréant,
mais non de dégoûter en dépassant sa portée.
C'est par un rapprochement adroit d'œuvres pro-
fondes et originales et de morceaux plus limpides
et plus aisés à suivre que l'attention populaire
peut se fixer d'abord, s'affiner ensuite. Aux chefs-
d'œuvre classiques et consacrés, s'il se mêle
quelque fantaisie des anciens répertoires, que
peut seule relever, pour les oreilles délicates, la
virtuosité de l'exécution, succède aussi telle page
des écoles nouvelles, françaises ou étrangères,
qu'on chercherait vainement sur les programmes
de nos concerts, et que l'avide curiosité de
M. G. Parés a su découvrir. Ne conserver de
l'ancien fonds de la musique de la garde que les
morceaux vraiment originaux par quelque côté,
renouveler les arrangements classiques par une
étude plus sévère des partitions originales et
marcher résolument de l'avant dans toutes les
directions pour faire de ce corps d'élite de musi-
ciens comme le pilote de toutes les autres har-
monies, tel a été le but du chef actuel depuis
douze ans, et il ne s'en est pas départi un seul
instant. La collection des programmes fait preuve,
je le répète, d'un développement et d'un rajeunis-
sement incessant de ce répertoire, quelque riche
qu'il fût déjà. Quand on dispose d'éléments et de
ressources comme personne n'en a, il faut savoir
en profiter, et c'est aussi comme personne que la
garde a travaillé et affirmé sa maîtrise.
D'une façon générale, le répertoire se partage
670
LE GUIDE MUSICAL
en quatre séries : les ouvertures, les suites, les
morceaux divers (danses, marches, petites compo-
sitions d'orchestre) et les fantaisies.
Ce dernier groupe, qui est le plus considérable
dans la plupart des « harmonies », parce qu'il
plaît particulièrement au gros public, ravi de
retrouver les motifs qui ont le plus aisément
frappé son oreille au théâtre, a été l'objet, de la
part de M. Parés, d'une sollicitude particulière,
justement parce qu'il est ordinairement plus
« galvaudé » que les autres par les fabricants de
pots-pourris, et dès lors plus méprisé des musiciens
sérieux. Les fantaisies qu'il fait exécuter se distin-
guent en général par un respect très notable du
texte original et un goût très sûr et très fidèle au
caractère de l'œuvre, dans le passage d'un motif à
l'autre. Aussi bien a-t-il fait de beaucoup de ces
arrangements de vraies suites, en ce sens qu'il a
traité les partitions acte par acte. Le répertoire
contient plusieurs fantaisies ainsi comprises, ou
suites, de Tannhœuser, de Lohengrin, des Maîtres
Chanteurs, de la Walkyrie, de la Damnation de Faust,
de Mefistofeïe.... Lui-même en a écrit un grand
nombre, parfois plusieurs de la même œuvre, afin
d'en perfectionner encore l'adaptation : deux de
Sigurd, notamment, et deux de Salammbô: Je trouve
encore des fantaisies très intéressantes sur Preciosa
(de Weber) et, pour l'école moderne, sur YEnfani
prodigue ou Phryné, Hœnsel et Greteï, Fervaal ou La
Vie du poète; et de Seidl, l'élève de Richard
Wagner, des arrangements de la Walkyrie, de
Siegfried et du Crépuscule des Dieux. Il va sans dire
que dans ce fonds considérable, je ne note que les
morceaux qu'on ne trouve pas parlout, et spécia-
lement ceux qui témoignent du travail incessant
et rien moins qu'endormi du corps de musiciens
qui nous occupe.
Dans la catégorie des ouvertures, je n'ai que
l'embarras du choix, et c'est presque au hasard
que je note, parmi les classiques : IpMgénie en
Aulide et la Flûte enchantée, Euryanfhe et Freischiitz
(très difficile), Obéron et Peter Schmoll (du même
Weber, pas précisément banal1, Fidélio ou Léonore
. et YOuverture de fête (de Beethoven ; où l'entend-on,
celle-là?) ; puis, en avançant vers les écoles mo-
dernes : La Grotte de Fingal et le Calme de la mer,
ou le Songe d'une nuit d'été, Manfred, Benvenuto Cellini
et le Carnaval romain, Les Joyeuses Commères de
Windsor (de Nicolaï', ou Turandot ide Lachner);
le Dernier Jour de la Terreur ou Les Guelfes (de
Litolff); la Princesse j 'aune (de Saint-Saëns) ou la
Patrie (de Bizet); Sigurd ou le Roi d'Ys; le Vaisseau
fantôme, Lohengrin, Tannhœuser, les Maîtres Chan-
teurs, Parsifal et Une ouverture pour Faust... Quelle
collection superbe et digne des auditoires les plus
exigeants !
La série des morceaux symphoniques et des
pages d'orchestre nous offrira bien plus de curio-
sités encore. Sans parler des suites proprement
dites de Bizet, Massenet (première suite) ou Saint-
Saëns [Suites algériennes), voici Roméo et Juliette de
Berlioz, la Rapsodie norvégienne de Lalo, le Car-
naval de Guiraud (la plus ancienne des suites), la
Rapsodie cambodgienne de Bourgault-Ducoudrav,
Y Intermède varié de Boëllmann; voici les Rapsodies
hongroises (2 et 14) de Liszt, et ses Préludes (encore
un morceau qu'on n'entend guère, comme aussi
bien la plupart de ceux que je note ici) ; le
Vtïevode et Casse-Noisette de Tscha'ikowsky, et, de
Grieg, Peer Gynt ou Sigurd Jorsalfar. Puis ces frag-
ments sublimes : le finale de YOr du Rhin,
Y Enchantement du Vendredi-Saint, la marche funèbre
du Crépuscule des Dieux, la Chevauchée des Walkyries...
Comme pages symphoniques : des parties de sym-
phonies de Beethoven, ou la première de Saint-
Saëns, dont voilà encore Phaèton, la Danse macabre,
le Rouet d'Omphale, le prélude du Déluge, Dèjanire.
Puis les Impressions d'Italie de Charpentier, la
Marche funèbre d'une marionnette de Gounod, la Danse
persane de Guiraud, Sylvia de Delibes... Encore
les deux Danses hongroises de Brahms ou les Danses
norvégiennes de Grieg, YEspana de Chabrier ou Ma
patrie de Smetana, Tarass Boulba d'Alexandre
Georges ou Kermaria d'Erlanger... Voici, comme
contraste, des pages exquises de jadis : un rigau-
don de Rameau, trois menuets de Beethoven,
Haydn et Mozart, le concertino pour dix clari-
nettes de Weber, la Chanson du printemps de Men-
delssohn, etc., etc. Et ne faut-il pas noter
aussi quelques marches, depuis la marche reli-
gieuse d' Alceste jusqu'à celle des Francs victorieux
de César Franck ou la Marche du Couronnement
de Saint-Saëns, ainsi que son Orient et Occident,
spécialement écrit pour la musique militaire... ?
Allons, allons ! ce n'est pas encore de s'étioler
ou de sommeiller qu'on peut accuser la musique de
la garde républicaine ; il y aurait de l'enfantillage
à le prétendre et de l'ingratitude à le soutenir.
H. de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL
671
LA SEMAINE
PARIS
. A L'OPÉRA-COMIQUE. — Encore un début,
cette semaine, celui de MIle Mirai, lauréate des
derniers concours, dans Mignon. Une très jolie
voix, souple, de l'intelligence et de la simplicité
dans le jeu, avec une physionomie attachante, lui
ont valu un excellent accueil. Mlle Pornot s'est
fait entendre le même soir, pour la première fois,
dans Philine.
On vient de commencer les études pour la
reprise de Hœnsel et Gretel, de M. Humperdinck.
Les principaux rôles seront tenus par Mlle
Mathieu-Lutz (rôle de Gretel, créé par Mlle Rioton),
Mlle Lapalme (Hœnsel, créé par Mllc de Crapone),
Mlle Lucy Vauthrin (l'Homme à la Rosée, créé par
Mlle Mastio), Mlle Cocyte (rôle de la Sorcière, créé
par Mlle Delna), Mlle d'Olfigé.
Avec Hœnsel et Gretel, on reprendra Richard Cœur-
de-Lion, avec M. Dufranne dans le rôle de Blondel.
Le ténor Salignac poursuit le cours de ses grands
succès. Après Carmen, il a paru à son même
avantage dans Cavalleria ruslicana, où le public lui a
fait de chaleureuses ovations. M. Salignac prépare
à présent Le Jongleur de Notre-Dame et Les Pécheurs
de Saint-Jean, le nouvel ouvrage en trois actes de
Widor, qui passera prochainement.
CONCERTS COLONNE. — La réouverture
des matinées du Châteiet s'est faite le dimanche
i5 octobre au milieu d'une affluence énorme.
Quand M. Colonne est monté au pupitre, il a été
salué d'acclamations joyeuses et retentissantes.
Au Chàtelet, on est en famille, une nombreuse
famille composée de trois mille six cents auditeurs ;
on reconnaît ses voisins, on se félicite, on se sent
rajeuni; les cheveux ont beau grisonner et blanchir,
l'habitude de se rencontrer fait croire qu'on n'a
pas vieilli. J'en jure par la mèche de M. Colonne,
un peu raccourcie, mais aussi triomphante qu'en
1873 ! En la voyant se dresser ou s'abaisser en
même temps que son bras, toujours énergique et
souple, précipitait ou calmail les ondes sonores de
l'ouverture de Tannhàuser, qui pouvait croire à ses
trente-trois années de direction consécutives? Il
n'y a pas d'exemple qu'une société ait gardé aussi
longtemps comme chef celui qui a eu l'honneur
de la conduire pour la première fois; il n'y a pas
d'exemple non plus d'un chef resté aussi jeune,
aussi droit â son pupitre et toujours jeune d'une
immortelle jeunesse.
Le programme du premier concert était composé
uniquement d'oeuvres wagnériennes : ouverture
de Tannhàuser, prélude de Tristan et Yseult, Siegfried-
Idyll, chevauchée des Walkyries, pages sympho-
niques sues par cœur, populaires et qui le sont
un peu trop. Les directeurs de concerts auraient
mauvaise grâce à s'en plaindre ; ils subissent
aujourd'hui le goût du public qu'ils ont formé : la
musique qu'ils avaient raison d'imposer, on la leur
impose à leur tour avec non moins de raison.
A deux grands artistes était réservée la partie
vocale, à M™ Félia Litvinne et à M. Anton
Van Rooy.
Mme Litvinne a chanté la mort d'Yseult et la
scène finale du troisième acte de la Walkyrie. On
ne saurait se lasser d'entendre cette voix d'une
incomparable égalité sonore, cette admirable
voix capable de se plier à tous les styles, cette voix
si charmeuse, qu'en l'écoutant on est tenté d'ou-
blier la différence des caractères et d'applaudir
Rachel, de la Juive, Alceste, Yseult et Brùnnhilde,
comme si elles étaient des sœurs toutes pareilles.
Pour M. Anton Van Rooy, du théâtre de Bay-
reuth, il a montré dans la romance de' l'Etoile
qu'il possédait comme personne l'art du bel canto
non sans un goût parfait, et dans les adieux de
Wotan, où sa voix puissante et énergique trouvait
encore plus d'étoffe, il a mérité qu'on le comparât
à M. Delmas, par l'ampleur du style et l'intensité
de l'expression dramatique. Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. — Une foule
compacte est venue applaudir comme il convenait
l'admirable programme de réouverture, qui com-
prenait, avec la septième symphonie de Beethoven,
l'ouverture du Carnaval romain de Berlioz, la qua-
trième Béatitude de Franck, la Symphonie sur un
thème montagnard de M. Vincent d'Indy et la Mer
de M. Debussy.
La dernière production de l'auteur de Pelléas me
parait marquer une phase nouvelle de l'évolution
de celui-ci : l'inspiration en est plus mâle, les cou-
leurs en sont plus franches et les lignes plus
accusées. L'art de l'orchestre et des rythmes s'y
affirme incomparable, et peut-être même surabon-
dant : au cours du dernier des trois tableaux dont
elle se compose, Dialogue du vent et de la mer, on se
demande si ce vent ne va point précipiter sur les
rochers le vaisseau de Sindbad, on s'attend à
discerner, dans les profondsurs de cet océan, la
silhouette de quelque Sadko « pinçant ses goussli
sonores ». Certes, on ne me soupçonnera jamais
672
LE GUIDE MUSICAL
de ne point savoir aimer les magiques orientalismes
que nous enseignèrent les Russes ; mais je ne suis
pas bien sûr qu'il n'y en ait point, ici, quelque
excès. M. Glazounow lui-même, pour évoquer (en
une page splendide qu'on devrait bien exécuter un
jour à Paris) la Mer, n'a point accumulé ainsi les
pittoresques polychromies.
Mais les trois esquisses de M. Debussy ne me
paraissent pas moins très remarquables. La pre-
mière surtout m'a donné une grande impression
de beauté ; la deuxième, Jeux de vagues, m'a
étonné un peu, parce que parfois assez semblable
à quelque suite de ballet, à un Venusherg maritime;
la troisième m'a paru quelque peu morcelée, mais
je n'oserais affirmer cette impression laissée par
un premier contact.
Inutile de se préoccuper de l'écriture de l'œuvre,
de vouloir rechercher si les extraordinaires super-
positions de rythmes qu'on y remarque à la lec-
ture dénotent ou non des recherches trop tour-
mentées, puisqu'à l'audition le tout paraît fort
naturel, et même d'une grande simplicité.
En résumé, on a l'impression que M. Debussy,
qui avait fort studieusement exploré le domaine
des possibilités sonores, a ici considérablement
condensé et clarifié la masse de ses trouvailles, et
sa musique tend à acquérir l'absolue eurythmie
qui caractérise les chefs-d'œuvre.
C'est précisément cette eurythmie qu'on aime à
admirer en la géniale symphonie de M. Vincent
d'Indy. Lorsqu'on écoute celle-ci, on ne peut
penser ni à l'orchestration, qui en est également
stupéfiante, ni à la science suprême des dévelop-
pements : on est bercé par les sonorités, pris par
l'émotion, et l'art s'efface aux splendeurs de l'ins-
piration.
La montagne, qui dicta ce chef-d'œuvre à
M. d'Indy, vient, paraît-il, d'être de nouveau
évoquée par lui en une œuvre orchestrale. Sou-
haitons que celle-ci soit digne de sa radieuse
aînée : elle ne saurait être plus entièrement belle.
M.-D. Calvocoressi.
— Observations judicieuses du Monde Artiste à
propos des réformes du Conservatoire :
« Le mal profond dont souffre le Conservatoire,
c'est que la plupart des professeurs n'y sont point
ce qu'ils devraient être. On s'imagine trop facile-
ment que des artistes au talent très personnel sont
aptes plus que d'autres à former de bons élèves. Or,
il est démontré que tout talent très en dehors au
théâtre devient, dans l'enseignement, une source
d'erreurs. Tel dont les qualités" s'imposent à la
scène ne fera toujours que des imitateurs de son
propre genre et, bien inconsciemment, les amènera
à accuser tout particulièrement ses défauts.
» Au point de vue lyrique, par exemple, prenons
un chanteur doué d'un fort bel organe, mais qui ne
sait rien ou pas grand'chose de la mécanique de la
voix, qui est incapable de juger de l'effort à faire
accomplir pour obtenir d'une façon scientifique
des résultats rationnels. Ce chanteur fera de
mauvais élèves.
» Il en va de même pour l'art dramatique. Pre-
nons un tragédien dont l'organe spécial a trouvé de
bons effets et dont les gestes ont créé une origina-
lité propre à sa nature. Si ce tragédien ignore tout
du classement de la voix, s'il ne pocède que par
imitation, il créera des sosies voués à l'éternelle
parodie, surtout s'il ne connaît pas ses classiques,
s'il n'est point lettré en un mot.
» Alors? direz- vous. Alors, le corps enseignant
doit se recruter parmi des professeurs de métier,
parmi des techniciens neutres et parmi des artistes
qui ne sont pas et ne peuvent être pédagogues.
Préparateurs de personnalités à venir, ces hommes-
là ne forceront point l'élève à tomber dans l'imita-
tion ; ils soigneront chez lui le côté prédominant de
ses facultés, ils le forceront à être lui-même tout en
le pliant doucement à des lois formelles et, comme
résullat, nous aurons des artistes nouveaux et non
point seulement des pasticheurs.
» Le respect de l'individualité doit être la loi
fondamentale de l'enseignement, et l'enseignement
doit être basé sur un ensemble de démonstrations
impersonnelles.
» Du jour où l'on admettra ces quelques vérités,
le Conservatoire, école nécessaire, deviendra une
pépinière utile. »
Pia desideria ! Quand les professeurs ne seront
plus nommés qu'au mérite, tout ira bien ! Mais
nous ne verrons pas cet âge heureux.
— A. la suite des dispositions que nous avons
fait connaître relativement à la réorganisation du
Conservatoire, le Journal Officiel a publié ce modèle
de l'engagement à contracter par les élèves de
chant et de déclamation, lors de leur admission à
l'Ecole :
« Je soussigné, , né à , le ,
fils de et de ,
Après avoir été entendu par le jury du concours
d'admission, qui a émis un avis favorable à mon
entrée au Conservatoire en qualité d'élève ;
Après avoir pris connaissance des articles des
règlements relatifs aux engagements des élèves
LE GUIDE MUSICAL
673
du Conservatoire avec les directeurs des théâtres
nationaux, des règlements du Conservatoire et des
dispositions de la loi du 23 décembre 1901 portant
répression de la fraude dans les examens et
concours publics,
M'engage, en reconnaissance des soins, frais et
dépenses que nécessite mon instruction :
i° A me conformer rigoureusement à toutes
clauses et conditions des règlements actuels et de
ceux à intervenir ;
2° En exécution desdits règlements et arrêtés,
à donner mon concours aux théâtres nationaux
dans le cas où il serait réclamé à la fin de mes
études; à cet effet, je m'oblige à me tenir à la
disposition du ministre de l'instruction publique
et des beaux-arts et du directeur du Conservatoire
pour jouer pendant deux ans les rôles qui me
seront désignés sur le théâtre subventionné
dont le directeur aura été autorisé à contracter
avec moi un engagement aux conditions sui-
vantes :
Engagement résiliable à la fin de la première
année, avec l'autorisation du ministre, de la part
du directeur, à charge par lui de me prévenir trois
mois d'avance;
3° Pendant mes études au Conservatoire, et
jusqu'au 3i août de Tannée où elles prendront fin,
à ne contracter aucun engagement soit avec un
théâtre de Paris, des départements et de l'étranger,
soit avec tout autre établissement public, sans
une autorisation du ministre accordée sur la
demande du directeur du Conservatoire, le tout
à peine de nullité de plein droit des engagements
contractés sans cette autorisation ;
40 Je reconnais que, dans le cas où je serais
rayé du Conservatoire par mesure disciplinaire
justifié, ou pour infraction aux règlements (absences
non justifiées aux classes, aux cours obligatoires
ou aux examens, etc.), je n'aurais le droit de con-
tracter un engagement avec un théâtre quelconque
qu'au moins un an après ma radiation, et je déclare
savoir que, dans le cas où je donnerais ma démis-
sion d'élève avant la fin de mes études, je ne
serais libéré de mes obligations qu'après que ma
démission aurait été acceptée par le directeur du
Conservatoire.
A défaut d'exécution de ma part des articles 2,
3 et 4 du présent engagement, je serai passible d'un
dédit de quinze mille francs pour les élèves de
chant et de dix mille pour ceux de déclamation
dramatique, sans préjudice de tous autres dom-
mages-intérêts, et les engagements que j'aurais
contractés sans autorisation étant nuls, le direc-
teur du Conservatoire se réserve le droit, si bon
lui semble, d'en faire prononcer la nullité devant
les tribunaux compétents.
Fait à Paris, ce . »
Par une autre note de Y Officiel, les candidats aux
nouvelles classes de fugue et de contrepoint sont
invités à se faire inscrire sans tarder au secrétariat
du Conservatoire ; de même pour les candidats à
la classe d'opéra que la démission de M. Lhérie
laisse sans professeur.
— Les professeurs du Conservatoire se sont
réunis pour élire les trois délégués que le règle-
ment leur concède dans la composition du Conseil
supérieur de l'Ecole. Les pouvoirs des trois anciens
délégués, MM. A. Duvernoy, Lefort et Warot,
arrivaient en effet à expiration. Ils ont été réélus à
une belle majorité. Dans les classes de déclamation,
ce sera M. Georges Berr qui remplacera M. Leloir.
— M. Gabriel Fauré, le nouveau directeur, ne
sera pas remplacé dans la classe de composition
qu'il dirigeait. On se bornera désormais à deux
classes de composition, celles de M VI. Lenepveu et
Widor, ce qui est tiès suffisant pour le petit
nombre d'élèves qui suivent ces cours, étant donné
surtout qu'ils sont à présent débarrassés des études
de fugue et de contrepoint.
— Les amis de M. Saint-Saëns ont fêté la
semaine dernière le soixante-dixième anniversaire
du grand compositeur. Et pendant toute la journée,
les télégrammes ont afflué au domicile de l'auteur
de Samson et Dalila, lui apportant des quatre coins
d'Europe et d'Amérique d'innombrables et de tou-
chants témoignages de sympathie et d'admiration.
D'autre part, les sociétés musicales étrangères
dont il est membre d'honneur, telles que l'Acadé-
mie royale des beaux-arts de Berlin et l'Académie
royale de Stockholm, lui ont envoyé des adresses
enfermées dans de fort belles reliures.
Celle de l'Académie de Suède notamment, signée
par son président le piince Gustave-Adolphe, est
hautement artistique. M. Saint-Saëns a également
reçu du Conservatoire, de la Société impériale de
musique et de l'Opéra de Pétersbourg, de cha-
leureux télégrammes de félicitations, auxquels nous
sommes heureux de joindre les nôtres en souhaitant
que le maître conserve pendant de longues années
encore, et pour la gloire de la musique française*
l'étonnante activité et la merveilleuse jeunesse
d'inspiration qui nous valent tant de chefs-d'œuvre.
674
LE GUIDE MUSICAL
— Depuis la mort d'Antoine Rubinstein, le cycle
des trente-deux sonates pour piano qui marquent
parmi les pages les plus géniales de Beethoven
n'ont que rarement été interprétées en leur ensem-
ble intégral M. Edouard Risler, en une suite de
séances qui auront lieu tous les samedis du 28
octobre au 23 décembre, à la salle Pleyel, en
soirée, va exécuter ce programme peu banal. Pour
l'abonnement aux neuf concerts, qui comporte
une grande réduction de prix, s'adresser à l'admi-
nistration de concerts A. Dandelot, 83, rue
d'Amsterdam (téléphone : n3,25). Les billets par
séance ne seront délivrés que le soir du premier
récital. On trouvera également des billets à la
salle Pleyel, 22, rue Rochechouart, et à la maison
Durand, 4, place de la Madeleine.
— M. Jacques Isnardon, professeur au Conser-
vatoire, vient d'épouser son élève, Mlle Lucy
Foreau, qui remporta en 1904 au Conservatoire un
prix de chant et, depuis, a donné, au théâtre de
la Monnaie de Bruxelles, les preuves d'un talent
qui promettait. Mme Isnardon abandonne la car-
rière théâtrale.
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Une très bonne reprise de Louise a été le seul
événement marquant de cette semaine au théâtre
de la Monnaie. Les protagonistes de l'ouvrage
étaient d'ailleurs les mêmes que la saison précé-
dente : Mme Dratz-Barat (Louise), M. Henri Albers
(le Père), M. Dalmorès (Julien). Mme Gianoli
paraissait pour la première fois dans le rôle de
la Mère, et elle y a été tout à fait remarquable par
la sobriété de son jeu et le charme de la voix.
Jamais la scène dramatique qui termine le troisième
acte n'a été mieux rendue. On peut en dire autant
de l'amusant tableau de l'atelier, qui a été délicieu-
sement chanté par un ensemble déjeunes artistes,
parmi lesquelles se sont distinguées Mmes Mau-
bourg, Carlhant, Massart, De Bolle, Udellé,
Tourjane, Paulin, etc. Et l'ensemble, très soigné,
a été chaleureusement applaudi.
De tous les ouvrages modernes montés par la
direction actuelle, Louise est celui qui paraît s'être
établi le plus solidement dans les goûts du public.
Et l'œuvre se tient toujours remarquablement.
Les études à'Armide se poursuivent activement,
Mme Litvinne est venue répéter vendredi et samedi
avec ses partenaires.
On a commencé les répétitions d'ensemble de
Chérubin.
— Concerts populaires. — On nous prie
d'annoncer que le délai d'inscription pour les
abonnements est prolongé jusqu'au 21 courant;
passé cette date, les places non réclamées seront
mises à la disposition du public.
S'adresser chez MM. Schott.
— Concerts Ysaye. — Pour rappel, aujourd'hui
dimanche 22 octobre, à 2 heures, au théâtre de
l'Alhambra, premier concert de la saison, sous la
direction de M. Eugène Ysaye et avec le concours
de M. Anton Van Rooy, baryton. Le compositeur
Jan Blockx dirigera son Tryptique symphonique ainsi
que l'ouverture de Charlotte Corday, de Peter Benoit.
— Le groupe des compositeurs belges, qui
compte dans son sein les noms les plus connus de
notre jeune génération musicale, annonce sa
séance inaugurale pour le mois prochain. Les
auteurs qui figureront au programme de cette audi-
tion de musique de chambre sont MM. Agniez,
Alpaerts, Cluytens, Daneau, Henges, Ryelandt,
Ontrop.
Les interprètes sont Mme Cluytens, cantatrice ;
MM. Swolfs, ténor du Théâtre lyrique d'Anvers;
Crickboom, violoniste; Hannon, clarinettiste;
Henusse, pianiste ; Kùhner, violoncelliste ; Risler,
harpiste.
Le groupe est en instance pour obtenir, des
Académies, le prêt d'une des salles de leur palais
de la rue Ducale.
— M. Francis Macmillen donnera un concert
le vendredi Ier décembre, à 8 1/2 heures, à la
Grande Harmonie, avec le concours de Mlle Bessie
Cartwright, cantatrice des Queen's Hall Ballad
Concerts de Londres. Pour les places, s'adresser
chez Breitkopf et Hasrtel.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — L'émulation est une belle
chose. Grâce à elle, nous aurons un match
de concerts sensationnels cet hiver. Les Nouveaux
Concerts, l'Orkestvereeniging et l'Harmonie riva-
liseront de zèle pour nous procurer les solistes
les plus émérites et les plus réputés capellmeisters.
Déjà les Nouveaux-Concerts annoncent le grand
LE GUIDE MUSICAL
675
Virtuose du violon : Ysaye. L'Harmonie, elle,
quelques jours après, nous fera entendre Thomson,
et l'Orkestvereeniging, pour le 3o octobre, annonce
son premier concert, avec le concours de l'A
Capella gantois et l'exécution du Faust de Liszt.
On le voit, nos dilettantes pourront jubiler cet
hiver.
Le Théâtre royal a ouvert la saison avec La
Bohème de Puccini. La troupe que nous présente
cette année M. Bruni semble de nature à satisfaire
les habitués et abonnés. M. Codou, le nouveau ténor
léger, a fait très bonne impression. Sa voix, un peu
dure dans le médium, est puissante et conduite avec
habileté. La diction est parfaite; le jeu très vivant.
Mme Daffetye possède toujours sa jolie voix de l'an
dernier et son interprétation un peu froide.
M. Bédué sacrifie décidément trop aux séductions
du bel canto et plastronne terriblement. Sinon, la
voix est d'un beau timbre. M. Bruinen, qui possède
un organe solide, a fait un Schaunard un peu
clownesque. Mlle Berthe César n'a pas adouci
encore la fraîcheur un peu vinaigrée de sa voix et
prête à ce rôle piquant de Musette des puérilités
d'ingénue qu'il ne comporte point. Enfin,
MM. Lary, Viroux ont complété un bon ensemble.
Notre nouveau chef d'orchestre aussi mérite des
éloges. M. de la Fuente a conduit ses musiciens de
façon très satisfaisante.
Pour les débuts de la troupe de grand-opéra,
nous avons eu Y Africaine. M. Marié-Leduc n'a pas
fait aussi bonne impression que M. Codou. Mais il
faut tenir compte de l'émotion. Des applaudisse-
ments ont salué les rentrées de Mme Fierens et de
MM. Radoux et Maréchal. M. Roselli a chanté
avec goût; la voix est bonne, le jeu paraît un peu
hésitant.
Au Théâtre flamand, nous avons eu une très
belle reprise de Lohengrin. Signalons le succès
personnel remporté par M. De Backer dans le
rôle de Frédéric. G. P.
— La Société des Nouveaux Concerts d'Anvers
organise annuellement un concours d"œuvres
orchestrales. L'œuvre éventuellement primée sera
exécutée à l'un des concerts de la saison.
Le dernier concours, qui a été clôturé le 3o mai
de cette année, a donné un résultat très satisfaisant;
pas moins de neuf concurrents y ont participé.
Quant au jugement des diverses partitions
envoyées, il ne pourra être connu que vers le
i5 novembre, deux membres du jury résidant à
l'étranger.
Le jury est, en effet, composé de MM. Mortel-
mans, chef d'orchestre des Nouveaux Concerts et,
Blockx, directeur du Conservatoire royal d'Anvers;
Gilson, Bruxelles; Vincent d'Indy, Paris, et Hum-
perdinck, Berlin.
Au Palais des fêtes de la Société royale de
Zoologie, aujourd'hui dimanche, à 1 heure, répé-
tition générale de l'oratorio De Oorlog, de Peter
Benoit ; demain lundi, à 8 heures du soir, exécu-
tion du même oratorio.
&
rA HAYE. — Sur l'initiative de M. Daniel
j de Lange, un groupe de Mécènes s'est formé
à Amsterdam pour organiser une série de repré-
sentations des chefs-d'œuvre de Mozart, qui
seront exécutés autant que possible par des chan-
teurs et des artistes néerlandais. Ces représenta-
tions se donneront aux mois de décembre igo5,
janvier et avril 1906. Il y en aura quatre de chaque
opéra : deux à Amsterdam, une à La Haye et une
à Rotterdam. Parmi les chefs-d'œuvre de Mozart,
on a choisi Don Juan, le Mariage de Figaro et
V Enlèvement au Sérail. Don Juan ouvrira la série le
8 décembre, sous la direction de M. Antoine
Tierie, directeur de l'Oratorium Verein d'Am-
sterdam, avec l'orchestre d'Utrecht. La distribu-
tion des rôles de Don Juan est ainsi établie : Don
Juan, M. Albers, du théâtre de la Monnaie; Don
Ottavio, Jos. Tyssen, du théâtre de Francfort;
Leporello, Rudolf Moest, du théâtre de Hanovre ;
Mazetto, de Nys, de Rotterdam; le Commandeur,
Frits Rapp, de Leipzig ; Donna Anna, Mme Van
Henzel-Schweitzer, de l'Opéra de Francfort; Zer-
line, Mme Tyssen-Bremerkamp, et Donna Elvira,
Mme Engelen Sewing. Les représentations du
Mariage de Figaro (données pour célébrer le cent-
cinquantième anniversaire de la naissance de
Mozart, le 27 janvier 1756) seront dirigées par
M. Willem de Haan, directeur du théâtre Grand-
Ducal de Darmstadt, avec l'orchestre d'Utrecht.
Les représentations de l'Enlèvement au Sérail, au
mois d'avril 1906, seront données avec l'orchestre
du Concertgebouw d'Amsterdam.
Mme Madier de Montjau, qui compte de nom-
breux admirateurs en Hollande, est venue donner
un Liederabend à La Haye, où elle n'a pas chanté
moins de dix-huit Lieder, parmi lesquels il en est
d'anciens auteurs italiens, Bassani et Bononcini
et de compositeurs allemands et français, qui ont
vivement intéressé le nombreux auditoire. Mme
Madier a dû bisser le Crépuscule de Massenet.
Le second concert du pianiste Godowski a pro-
voqué un grand enthousiasme. La sonate pour
piano et violoncelle, qu'il a jouée avec M. Mossel,
du compositeur français Jean Huré, ouvrage fort
676
LE GUIDE MUSICAL
intéressant de facture, a été le morceau le plus
sérieux. La transcription sur le Danube bleu de
Johann Strauss, d'une difficulté vertigineuse, a mis
en délire la salle entière.
Au Concertgebomv d'Amsterdam, M. Mengel-
berg a donné une troisième exécution d'une Barca-
rolle pour orchestre du compositeur tchèque Léo
Blech, qui a reçu un accueil très favorable.
Le premier Liederabend du Dr Ludwig Wullner
à Amsterdam a été pour le grand chanteur un véri-
table triomphe.
A Rotterdam, à la première séance du trio
Wolff-Verhey-Bouman (ce dernier remplacé par
M. Mossel), s'est fait entendre Mme Dalcroze-
Falliero.
Le professeur de chant Frans Andreoli a donné
une audition fort intéressante de ses élèves, qui
avait attiré un nombreux auditoire.
La falcon de notre Théâtre royal, Mlle Scalar,
empêchée par maladie de nous revenir, sera rem-
placée par Mme Armande Bourgeois, dont le pre-
mier début aura lieu prochainement.
Ed. de H.
MARSEILLE. — La réouverture de la
Société des Concerts classiques a eu lieu
le 22 octobre. Les séances, au nombre de vingt-
quatre, se termineront fin mars.
Pendant le cours de la présente saison, la So-
ciété des Concerts fera entendre : l'histoire du
poème symphonique (écoles française, russe, alle-
mande et tchèque); comme symphonies nouvelles :
celle en si bémol de Vincent d'Indy et la sym-
phonie en mi mineur d'Henri Rabaud ; la Croisade
des enfants de Gabriel Pierné ; toutes les deux ou
trois semaines, une pièce pour grand orgue et
orchestre terminera le concert.
Les solistes engagés sont : chanteurs, Mmes Ida
Eckmann, Paolo Frisch et M. Clark; organistes,
MM. Guilmant et Widor; pianistes, Mmes Llotilde
Kleeberg, Roger-Miclos et M. Philipp ; violonistes,
MM. Sarasate et Hugo Heerman; violoncelliste,
M. Pablo Casais.
A l'Opéra municipal, la saison a commencé le
12 octobre avec Sigurd.
Les quatre pièces nouvelles, imposées par le
cahier des charges, comprennent : la Reine Fiametta
de Xavier Leroux, les Girondins de Le Borne, le
Vaisseau jantème et Esclarmonde.
Voici les principaux sujets de la troupe : Mmes
Bréjean-Silver, Harriet Strasy, T. Cholain, Geor-
giadès, Ughetto, Bréhaï, Norrès, Bonny; MM.
Abonil, Gaidan, Laskin, A. Delmas, fîruzzi,
Gérard, Cadio, Rothier, etc.
Ballet : M. Natta; Mmes Flemma, Colombo,
Van Denesse, Arado, Gualdi, etc,
Premier chef d'orchestre, M. Miranne; chef
d'orchestre adjoint, M. Hesse.
En outre des nombreuses auditions données par
les professeurs de notre ville et des artistes de
passage, le Quatuor Lantier reprendra ses séances
de musique de chambre au mois de novembre, et
a mis notamment à l'étude des œuvres de Franck,
d'Indy, Chausson, Guy Ropartz, Henri Rabaud,
Dvorak. H. B. de V.
YERVIERS. — M. Victor Vreuls, donnait
le mercredi n courant, dans la salle de
l'Eco'e de musique, un concert consacré exclusi-
vement à ses œuvres de musique de chambre.
Prêtaient leur concours à cette soirée : Mlle Jane
Delfortrie, cantatrice, professeur à l'Ecole de
musique; MM. Maurice Jaspar, pianiste, profes-
seur au Conservatoire de Liège; A. Zimmer,
violoniste, professeur au Conservatoire de Gand ;
Louis Baroen, altiste, et Emile Doehaerd, violon-
celliste à Bruxelles.
Au programme, des fragments du trio en ré
mineur et du quatuor pour piano, violon, alto et
violoncelle; la sonate pour violon et piano, le
triptyque pour chant et orchestre (réduit au piano)
sur trois poésies de Verlaine, et deux mélodies : Un
rêve et J'ai reposé mon âme.
Disons tout de suite combien MIleDelfortrie a fait
preuve de goût et d'intelligence artistique dans
l'exécution de ces œuvres de notre concitoyen.
Le triptyque, notamment, a été chanté d'une belle
voix, ample et pure, et dans un sentiment de sin-
cère émotion. La jeune artiste a mis toute son
âme dans l'interprétation de cette œuvre remar-
quable ; l'adaptation de la musique au poème est
on ne peut plus heureuse. La sonate, le trio et le
quatuor ont reçu une interprétation très soignée,
d'un bel ensemble et d'une cohésion parfaite, des
excellents instrumentistes chargés de nous pré-
senter ces pages du jeune maître. La deuxième et
la troisième partie de la sonate, où régnent une
vigueur juvénile et un souffle ardent, ont été ren-
dues à la perfection. Les fragments du quatuor
séduisent par la belle ordonnance des thèmes et
le sûr équilibre des parties. Le trio, que nous
entendions pour la première fois, nous a donné
l'impression d'une œuvre bien virile, très colorée ;
la seconde partie contient des phrases d'heureuse
inspiration, la mélodie coule de source et se révèle
d'un grand charme poétique.
LÉ GUIDÉ MUSICAL
&77
Cette audition très intéressante nous a permis
d'apprécier une fois de plus l'art si noble et si pur
de M. Vreuls, qui, tout jeune encore, a déjà fourni
tant d'œuvres de réelle valeur, d'un caractère très
personnel. E. H.
NOUVELLES
La saison du Metropolitan Opéra House de
New- York commencera le 20 novembre avec la
Reine de Saba, qui n'a pas été représentée à New-
York depuis de longues années. Mmes Nordica,
Walker, MM. Van Rooy et Henry Knote ont été
engagés pour créer les principaux rôles. Les
costumes seront au nombre de douze cent soixante.
Parmi les autres opéras qui seront donnés durant
la saison 1 905-1 906, citons : la Favorite, Hcensel et
Gretel, le Vaisseau fantôme, Martha, Don Juan, Manon
Lescaut, le Trouvère, la Somnambule et le Baron
tzigane, opérette de Strauss.
Parmi les artistes nouvellement engagés, nous
voyons Mmes Morena, Tetrazzini et le baryton de
Reszké ; et parmi ceux qui ont renouvelé leur enga-
gement : Mmes Marcella Sembrich, Eatnes,
Nordica, Fremsta.d, Walker, MM. Caruso, Knote,
Burgstaller, Plançon.
On donnera cette saison deux représentations de
Parsifal en matinée.
Deux compositeurs, MVT. Humperdinck et
Puccini, viendront en personne assister à la
première représentation de leur œuvre : Hcensel et
Gretel et Manon Lescaut. En dehors des opéras ci-
dessus mentionnés, vingt deux autres sont encore
au programme ; par exemple, toutes les œuvres de
Wagner, à l'exception de Rienzi.
Mais il est presque impossible de faire venir des
chefs d'orchestre en Amérique. Ainsi, on a offert
120,000 francs à M. Weingartner, et 25o,ooo à
M. Richter : ils ne veulent pas venir.
— Voici les dates des représentations wagné-
riennes de Bayreuth pour 1906 : Tristan et Isolde
sera joué les 22 et 3i juillet, les 5, 12 et 19 août;
les Nibelungen du 25 au 28 juillet et du 1 4 au 19
août; Parsifal les 23 juillet, Ier, 4, 7, 8, n et 20
août.
— Les théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg
donneront cet hiver la première représentation de
l'Or du Rhin.
On reprendra également Fideîio, de Beethoven,
Sniégourotchka, de Rimsky-Korsakoff, et le Néron
de Rubinstein.
— La Manon Lescaut du maestro G. Puccini,
dont le livret vient d'être adapté et rimé par
Maurice Vaucaire, sera donnée avec le plus grand
éclat cette saison à Nice.
C'est le premier ténor de l'Opéra royal de
Madrid, le célèbre Constantino, qui chantera le
rôle de Des Grieux. L'œuvre fera ensuite son tour
de France, car elle est demandée par tous les
directeurs de nos grandes scènes lyriques. On sait
que cette intéressante partition a été exécutée
pour la première fois à Turin, en 1893, et que son
succès en Italie marcha concurremment avec
celui de la Manon de Massenet, sans que ni l'une ni
l'autre des deux œuvres portât aucun préjudice à
sa rivale. C'est donc bien à tort qu'on avait hésité
jusqu'ici, en France, à nous faire connaître celle
de Puccini, dont le style et même le livret, en
partie, sont d'ailleurs très différents.
— M. Ermanno Wolf-Ferrari, le compositeur
d'une comédie musicale très applaudie en Alle-
magne, les Femmes curieuses, vient de terminer un
opéra, les Quatve Manants, qui sera joué pour la pre-
mière fois à Munich, en 1906. sous la direction de
M. Félix Mottl.
— Le compositeur russe Arensky vient de
terminer une nouvelle partition : La Tempête,
musique de scène pour le drame du même nom.
Installé depuis quelques mois dans un sanatorium
finlandais, le compositeur semble reprendre des
forces et résister à la tuberculose, que le bon air,
la tranquillité et la sévérité du régime finiront, il
faut l'espérer, par vaincre complètement.
— M. Cari Goldmark, actuellement âgé de
soixante-quinze ans, termine en ce moment à
Gmunden, en Autriche, un nouvel opéra, dont le
texte a été tiré par M. Willner du Conte d'hiver de
Shakespeare. L'ouvrage sera donné dans le
courant du mois prochain à Budapest et ensuite à
Francfort.
— Un nouveau théâtre va être construit à
Fribourg-en-Brisgau. Les frais sont évalués à
2 millions et demi de francs.
— M. Aloys Burgstaller, le ténor qui n'avait
pas craint de s'engager avec M. Conried, directeur
de l'Opéra métropolitain de New- York pour
■è7&
LE GUIDE MUSICAL
chanter Parsifal, dont les représentations avaient
lieu à ce théâtre en dépit de l'opposition de
Mme Cosima Wagner, s'était vu, pour ce fait,
complètement brouillé avec celle-ci. Les choses
pourtant se sont arrangées, paraît-il, et le ténor
prodigue est rentré en grâce auprès de la châtelaine
de Wahnfried. On annonce, en effet, de Munich,
que M. Burgstaller est engagé pour les représen-
tations wagnériennes qui auront lieu l'année
prochaine à Bavreuth.
— Aux concerts de la Queen's Hall Promenade
de Londres, on a chaleureusement accueilli der-
nièrement une pièce symphonique qui fait partie
de l'œuvre intitulée Quatre études orchestrales, par
M. Cecil Forsyth. Chacune des études ou esquisses
a pour sujet l'interprétation par la musique d'un
caractère emprunté au roman populaire de Victor
Hugo, les Misérables. Les sous-titres de l'ouvrage
sont les suivants : Va'jean, Cosetle, Fantine, Gavroche.
On a loué l'instrumentation variée et ingénieuse de
ces compositions. Aux mêmes concerts, on a
exécuté, pour la première fois à Londres, paraît-il,
une ouverture de Schubert, le Château de plaisance du
diable. Le public l'a froidement accueillie. Elle fut
écrite en i8i3, à l'époque de la première jeunesse
du maître.
— La ville de Ferrare a décidé la création d'une
Ecole de musique, qu'elle appellera Ecole Fresco-
baldi, du nom de l'illustre organiste auquel elle a
donné le jour il y a trois cents ans. Pour former le
personnel de cet établissement, elle ouvre un
concours général non seulement pour les divers
emplois de. professeurs, mais pour celui de direc-
teur de l'institution. Il n'est pas sans intérêt de
connaître les conditions qui sont offertes aux
artistes dont on sollicite le concours. Pour le
maestro direttore, qui devra enseigner le piano et les
éléments de l'harmonie, et qui, avec « la surveil-
lance de l'Ecole », aura, naturellement, « la
responsabilité de la direction artistique et discipli-
naire », 2,000 francs. Pour le professeur de violon
et d'alto (classe unique), 1,600 francs. Au pro-
fesseur de théorie et solfège et chant choral, 1,000
.francs ; au professeur de violoncelle et contrebasse,
l,5oo francs; au professeur de flûte et instruments
congénères, S5o francs; au professeur de clarinette
et congénères, 85o francs; au professeur de haut-
bois, basson . et . congénères, 85o francs; au
professeur de trompette, trombone, cor et con-
génères, i,3ôo francs. Ces appointements, payables
.mensuellement, sont sujets à la retenue « pour
la richesse mobilière ». La nomination sera faite
pour une année en vue de ^expérimentation, sauf
la confirmation pour quatre ans, sans aucun droit
à pension ni à indemnité quelconque. Pour être
admis au concours, on doit produire, en même
temps que la demande adressée au syndic sur
papier timbré : i° acte de naissance; 20 casier
judiciaire postérieur au présent avis; 3° certificat
de bonne conduite; 4.0 certificat de saine consti-
tution physique ; 5° situation de famille ; 6° titres
académiques qui servent à apprécier le mérite
artistique.
— La barbarie des « soirées de début » continue
à sévir dans les villes de la province française. A
Rouen surtout, les cabales et les manifestations
tapageuses ont été â leur comble, si bien que le
maire a dû faire plaçai der dans les couloirs du
théâtre un avis rappelant au public qu'il a le droit
incontestable de refuser un artiste, une fois ses
trois débuts effectués, mais que l'exercice de ce
droit comporte de sa part le devoir déjuger avec
conscience, c'est-à-dire après l'avoir entendu dans
la plénitude de ses moyens.
— M. Cumming, professeur de la Guildhall School
ofmusic, de Londres, a découvert cinq autographes
de Haydn, Henry Bishop, Winters, Cipriani
Potter et Weber. L'autographe de Haydn est une
marche écrite en 1793 et donnée la même année
en présence du maître, au festival de la Société
royale des musiciens; celui de Weber est aussi une
marche ; le manuscrit porte l'inscription suivante :
« Marche composée spécialement pour la Société
royale des musiciens, par Cari Maria von Weber ».
Ce morceau a été joué pour la première fois à un
dîner d'anniversaire de cette société, le i3 mars
1826.
— On se propose, à Venise, de rendre hommage
à la mémoire d'un artiste fort distingué, Niccolo
Coccon, qui fut d'abord organiste, puis maître de
chapelle de l'église Saint-Marc, en même temps
que professeur au Lycée musical et à l'Orphelinat
des Jésuites et chef de la musique municipale. Né
en 1826 et mort en igo3, Coccon écrivit pour le
service de la chapelle de Saint-Marc un grand
nombre de compositions importantes, parmi
lesquelles plusieurs messes à quatre voix et orches-
tre, un grand Requiem, un Pemiero funèbre à grand
orchestre, etc. Les amis- et les admirateurs
qu'il a laissés à Venise ont l'intention de faire
placer prochainement^ sur la façade de l'Orphelinat
des Jésuites, un médaillon en bronze reproduisant
ses traits, qui a été offert dans ce but par son auteur
le sculpteur Policromio Carletti.
LE GUIDE MUSICAL
679
— Un comité vient d'être constitué en vue de
l'érection à Montmorency d'un monument à Jean-
Jacques Rousseau, dont on connaît le rôle musical
accompli en partie pendant son séjour dans ce
pays. Au nombre des membres de ce comité, nous
relevons les noms de deux collaborateurs du Guide
musical, MM. Julien Tiersot et Edgar Istel.
A>
BIBLIOGRAPHIE
Musïk itnd Musiher des 19 Jahrhunderts bis zur
Gegenwart, in 20 Tafeln dargestelt von Walter
Niemann. — Leipzig, B. Senti" In-40. Prix : 6 mk.
Un érudit musicographe allemand a eu l'idée
originale de dresser en vingt tableaux, et graphi-
quement disposés, les noms de la plupart des
musiciens des diverses écoles, pendant le cours du
xixe siècle, de façon à mettre sous les yeux, non
pas certes l'histoire générale de l'art musical
pendant cette période, mais le développement et
l'évolution surtout de chacune des écoles. Son but
a été de faire reconnaître « que les traits caractéris-
tiques de plus d'une écol2, insuffisamment connus
ou signalés jusqu'ici, s'accusent de la manière la
plus frappante ». Et il ajoute : « Puisse l'étude
attentive de ces tableaux faire sentir toute l'inanité
et l'inutilité des luttes entretenues autour de telles
tendances, de telles individualités, au point de vue
de l'évolution générale ; puisse- t-elle démontrer
que seule, au contraire, une conception claire du
progrès évolutif peut suggérer un jugement sain
sur les destinées futures de l'art. » A d'autres
points de vue, ces tableaux sont d'ailleurs
commodes à consulter à cause de la succession
rigoureusement chronologique des artistes, avec
leurs dates et celles de leurs œuvres principales.
Ce n'est pas qu'il n'y ait parfois des erreurs dans la
classification de ces œuvres et des oublis dans la
nomenclature des musiciens, même pour l'Allema-
gne, qui cependant n'est pas représentée ici par
moins de sept tableaux à elle seule. Mais l'essentiel
est que les suites d'écoles et d'œuvres soient exacte-
ment jalonnées par tous les noms un peu signifi-
catifs. Une table générale de ces noms termine
cette curieuse plaquette. H. de C.
pianos et Ibarpes
trarfc
Bruxelles : 6, rue Xambermont
paris : rue ou flDail, 13
NÉCROLOGIE
A Cologne est mort, à l'âge de soixante-cinq ans,
le pianiste-compositeur Isidore Seiss, qui avait été
l'élève de Frédéric Wieck. Vers 1860, Ferdinand
Hiller, alors directeur du Conservatoire de
Cologne, l'avait attaché comme professeur à cet
établissement. Il était né le 23 décembre 1840 à
Dresde. Il laisse quelques compositions : Con-
tredanses et danses allemandes, Etudes de bravoure,
sonatines, Toccata, Préludes et quelques pièces pour
orchestre. Il s'était fait applaudir aussi comme
virtuose et il eut notamment un très vif succès
aux Concerts populaires de Bruxelles, il y a
quelque trente ans.
— Un chanteur remarquable par sa voix superbe,
par son talent réel et par sa rare conscience artis-
tique, David Ney, première basse de l'Opéra royal
de Budapest, est mort au commencement du mois
en cette ville, où on lui a rendu les plus grands
honneurs. Il appartenait depuis vingt-huit ans au
théâtre de l'Opéra, où il était très aimé pour son
talent et pour son exemplaire modestie, qui lui
faisait accepter parfois les rôles les plus secon-
daires, alors qu'il obtenait des succès extraordi-
naires dans Pierre de Y Etoile du Nord, Wotan de la
Wdïkyrie, etc. Ses funérailles ont eu lieu à l'Opéra
même, où son corps avait été transporté, et où fut
d'abord exécuté un hymne par les chanteurs de la
synagogue, Ney étant israélite. Après les discours
du rabbin, du directeur de l'Opéra et du baryton
Varady, parlant au nom de ses camarades, l'acteur
Beregi récita une poésie de circonstance au nom
des artistes du théâtre de comédie. Puis ce fut aux
sons de la Marche funèbre du Crépuscule des Dieux,
exécutée par l'orchestre de l'Opéra, que le cortège
se forma à la porte du théâtre; après quoi on
entendit le chant du cygne de l'opéra national
£Sq
LE GUIDES-MUSICAL
Hnuyadi Lasslo. D'autres discours furent prononcés
au cimetière.
— On signale de Cologne la mort de M. Henri
Fidelis Mùller, directeur du chant à la cathédrale
de cette ville. Il était né à Fulda, le 23 avril 1837.
Il a écrit des oratorios et des cantates sur des sujets
religieux. Son Oratorio de Noèl, composé en 1879, et
son Oratorio de la Passion ont été exécutés dans
plusieurs centaines de villes d'Europe, d'Afrique
et d'Amérique. Le premier a eu trente éditions.
Ses autres ouvrages importants sont : Sainte Elisa-
beth, les Trois Rois mages, le Sauveur, Emmanuel et
la Vie de Jésus, resté inachevé. Mùller a publié
aussi quelques écrits sur la musique.
L'empeoi de professeur de diction et de
déclamation pour classe de jeunes filles
est vacant à l'Ecole de musique de Saint- Josse-
ten-Noode-Schaerbeek.
Les demandes doivent être adressées avant le
ier novembre, à M. Ed. Latour, président de la
commission administrative, 63, rue des Deux-
Eglises.
Pour les renseignements, s'adresser au secré-
tariat, go, rue des Plantes.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPERA. — Faust; Tannhâuser; Armide; Les Hu-
guenots.
OPÉRA-COMIQUE. — La Traviata; Cavalleria
rusticana; Manon; Les Dragons de Villars; La Vie de
Bohème; Louise; Mignon; Werther; Carmen.
SCHOTT FRÈRES
, Editeu
56, Montagne
BRUXELLES
- •-■THÉÂTRE ROYAL LE LA MONNAIE. — Louise ;
Les Huguenots; Louise; La Bohème; Hamlet; Manon;
Louise.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Dimanche 22 octobre. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra. premier concert Ysaye, sous
la direction de M. Eugène Ysaye, avec le concours de
M. Anton Van Rooy/baryton. Programme : Ouverture
de Charlotte Corday (Peter Benoit) ; Tryptique symphonique
(Jan Blockx); a/ An die Hofnung (Beethoven); b/ Récit
de Wolfram (second acte de Tannhâuser (R. Wagner) ;
Symphonie en ut majeur (L.-Fl. Delune); Les Adieux de
Wotan (R. Wagner).
Samedi 4 novembre. — A 8 Y^ heures, à la Grande
Harmonie, premier concert Delune, avec le concours
de M. Eug. Ysaye.
Dimanche 5 novembre.— A 2 Yi heures, audition popu-
laire du même concert, à l'Alhambra.
Lundi 6 novembre. — Salle Erard, . séance Alberto
Bachmann, violoniste, et Sidney Vantyn, pianiste.
Mardi 7 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
Mme Fernande Kufferath, violoncelliste, avec le con-
cours de M. Henri Seguin, baryton.
Jeudi 9 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
Mnie Auguez de Montalant, cantatrice; MM. Cornelis
Liégeois, violoncelliste, et Ricardo Vinès, pianiste.
Jeudi 16 novembre. — A la Grande Harmonie, récital
de piano Mark Hambourg.
LYON
SOCIÉTÉ DES CONCERTS
Mardi 28 novembre. — Premier concert (soirée), avec
le concours de M. E. Ysaye, pianiste.
Dimanche 24 décembre. — Deuxième concert (mati-
née), avec le concours de Mlle de la Rouvière et des
chœurs de la Schola Cantorum Lyonnaise. Exécution
rs de musique, BRUXELLES
de la Gour, 56
Y^IETOT DE PARAITRE :
ŒUVRES DE JAN BLOCKX
Triptyque symphonique en trois parties : i. JOUR DES MORTS. — 2. NOËL. — 3. PAQUES
Partition d'orchestre, fr. 10 ; Parties d'orchestre, fr. 12 ; Arrangement à 4 mains en préparation
TROIS MÉLODIES :
1. FILEUSE, fr. 2. — 2. BONSOIR, fr. 1. — 3. SOUS LA CHARMILLE (avec violon), fr. 2
AVE VERUM à quatre voix mixtes, partition, fr. 1,56
JUBELGALM (chant jubilaire), cantate, partition chant et piano, fr. 5
GLORIA PATRICE (Vlaanderens Grootheid), cantate, partition chant et piano, fr. 5
LE GUIDE MUSICAL 68 r
Direction de Concerts
EITKOPF ET H/CRTEL
Montagne de la Cour, 45, BRUXELLES
La maison se charge de r organisation
des concerts
a TITRE GRACIEUX
Correspondances avec Londres, Paris, Berlin, Leipzig, Munich, Amsterdam
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
BUREAU DE CONCERTS
Directeur : C. FICHEFET
Arrangement et organisation de concerts et de tournées pour la Belgique et
l'étranger. — Engagements pour tous pays. — Représentant pour la
Belgique, des principales agences de l'étranger.
Vient de Paraître le grand succès du
a la MAISON BEETHOVEN théâtre de la monnaie
G. OERTEL, 17, rue de la Régence, Bruxelles
La deuxième Edition de la Partition
Piano et chant, texte français-flamand, de
Princesse Rayon de Soleil
Légende féerique en quatre actes
Poème de POL DE MONT, musique de P, GILSON
=^=^ Prix : 20 Francs =z=
Pour paraître prochainement à la même maison. — En souscription, au prix de 7,50 fr,
la partition piano et chant de \^ I I ) 1 r\ drame lyrique en i acte
Poème d'ALEXANDRA MYRIAL ■ Musique de Jean HAUTSTONT
SANDOZ, JOBIN & Cie
Office international d'Edition l^tvisioale et Agence A-rtistiquie-
PARIS LEIPZIG NEUCHATEL (suisse)
28, Rue de Bondy 94, Seeburgstrasse 3, Rue dtr Coq d'Inde
VIENT DE PARAITRE :
LE CHAlTSOlTïïriEIt JAQUES -DALCHOZE
3 FR. NET
Ce chansonnier est en vente chez les Editeurs et
dans tous les magasins de musique au prix de
OPINION DE LA PRESSE :
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques- Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville-et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentirrentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 176. Mon cœur pleure. (Tiré des Chansons de route.)
m
t==
Ë
-y~A â
iS>—P-
P
E. Jaqites-Dai.crozk
=EE=t
P
0 beau pa - - ys
je suis né, ô pa - trie, ô ma sain - te mè - re, Mon cœur pleure
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29 Octobre igo5.
U
LA REPRISE DU FREISCHUTZ
55
A L'OPÉRA DE PARIS
Une fois de plus, le chef-d'œuvre
de Weber a tenté sa chance
sur la scène de l'Opéra, et une
fois de plus s'est rouverte la
discussion sur les conditions les plus favo-
rables à son intégrale exécution et à la
réalisation de l'esprit romantique, mais
villageois, qui le pénètre. Les essais ont été
nombreux, à Paris, pour l'acclimater; si
nombreux et si variés, que je crois piquant
d'en relever la liste tout à l'heure. Et en
dépit des hésitations du public, d'abord, et
aussi de la faiblesse de beaucoup des inter-
prétations qui se sont succédé depuis
près d'un siècle, on peut dire que le succès
a été profond et durable. 11 n'a été vrai-
ment spontané, toutefois, que sur les
scènes restreintes, et surtout sous la forme
originale de la pièce, qui comporte un
très important parlé. Dans un grand théâ-
tre comme l'Opéra (à plus forte raison
l'actuel Opéra), avec des récitatifs, si dis-
crètement traités soient-ils (Wagner, qui
en avait suivi de près la composition, en
avait d'avance hautement félicité Berlioz,
quitte à déclarer plus tard, une fois l'effet
produit, que l'œuvre légère et enflammée
de Weber en était singulièrement alourdie),
il est impossible de ne pas ressentir, en
face du Freischùtz, la même impression, et
plus forte encore, qu'on éprouve en face
de Don Juan traité en cinq actes, avec réci-
tatifs et ballet. Quels que soient les efforts
du directeur, du metteur en scène, des
interprètes, de l'orchestre, et ils méritent
ici tous les éloges, tant pour le soin de
l'exécution que pour le respect du style
propre de l'œuvre, l'impression subsiste.
Je relisais ces jours -ci un des comptes-
rendus que Théophile Gautier a publiés
dans le Moniteur au sujet de diverses
reprises du Freischùtz, l'un des derniers
même qu'il ait écrits, car c'est à propos de
la reprise de 1870 à l'Opéra. Un souvenir
s'y rencontre qui me paraît tellement de
mise encore, que je ne puis m'empêcher
de le citer :
« Nous avons vu autrefois (dit- il), à Stutt-
gart, le Freischùtz joué par une troupe
allemande qui n'était pas de premier ordre.
Mais quelle entente profonde du sens de
l'œuvre! Comme tous, jusqu'au moindre
comparse, comprenaient cette rade et mys-
térieuse poésie de la forêt! Comme ils se
montraient de libres et joyeux chasseurs!
Comme, à travers leur bravoure, on de-
vinait l'horreur sacrée des légendes, la
croyance à Samiel et aux balles enchan-
6S4.
LE GUIDE MUSICAL
tées! Quelle pure et chaste passion chez
Agathe et quelle gentillesse naïve chez
Annette! Ils jouaient tous romantiquement,
avec un mélange de simplicité et d'em-
phase, tantôt ' naturels, tantôt lyriques,
accusant d'un trait noir le contour des
personnages, comme cela se pratique dans
les images coloriées des histoires popu-
laires, et l'effet était excellent. »
Je passe à l'historique des divers avatars
de l'œuvre de Weber à Paris. A mes sources
ordinaires (les tableaux d'Albert Soubies,
si commodes, et la collection du Moniteur
universel, si précieuse), j'en ai ajouté une
que je crois rendre service en recomman-
dant. La collection Reclam, de Leipzig,
parmi ses petits volumes saumon à vingt
pfennige pièce, contient le livret authen-
tique du Freischùtz, avec indications de
mise en scène et une abondante préface de
C.-F..Wittmann (avec détails sur les ma-
nuscrits, fac-similé de l'affiche de la pre-
mière représentation, dates de celles du
monde entier, etc., qui est du plus vif in-
térêt.
Le Freischùtz (il faut bien se conformer
à l'usage, mais dire le Freischùtz est aussi
baroque que de dire la Walkùre : il aurait
fallu tout traduire ou ne rien traduire) a
été joué pour la première fois à Berlin, le
18 juin 1821, et avait fait tout son tour
d'Allemagne à la fin de 1822. On le vit à
Stockholm en i823, à Saint-Pétersbourg,
Londres, Paris en 1824, à Bruxelles en
1829, etc. Voici pour Paris :
1824. — Odéon : Robin des bois (version Sauvage et
-- Castil-Blaze).
; 7 décembre. Œuvre à peu près intégrale,
1 mais insuccès complet.
-16 décembre. Seconde représentation, œuvre
• ^entièrement remaniée et dénaturée par
-- vCastil-Blaze; grand succès, plus de cent
représentations jusqu'en 1828.
1829. — Théâtre Italien : Der Freischùtz (texte
allemand), 14 mai.
i83o. — Théâtre Italien : Der Freischùtz (texte
allemand), i5 avril, avec Mme Schrœder-
. Devrient.
l835. — Opéra-Comique : Robin des bois.
16 janvier. Succès, soixante représentations.
Interprétation médiocre, avec Mmes Casimir et
Massy, MM. Jansenne et Boulard ; orches-
tre dirigé par Valentino.
1841. — Opéra : Le Freischùtz (version Pacini).
7 juin. Œuvre intégrale, mais avec des réci-
tatifs écrits par Berlioz ; succès, mais pas
immédiat. Au répertoire jusqu'en 1846.
Interprétation assez bonne : Mmes Stolz et
Nau, MM. Marié et Boucher; orchestre
dirigé par Battut.
i85o. Reprise, avec fortes coupures, à cause
d'un ballet ajouté à la soirée. Au répertoire
jusqu'en i853.
Interprétation : Mmes Julienne et Hébert-
Massy; MM. Masset et Brémond.
1870. Reprise, avec la première de Coppélia.
Interprétation : Mmes Julia Hisson et Mau-
duit; MM. Villaret et David.
1S73. Reprise éphémère.
Interprétation : Mmes Fidès Devries et Ar-
naud; MM. Sylva et Gailhard.
1876. Remise au répertoire jusqu'en 1884.
Interprétation en 1876 : Mmes Marg. Baux et
Daram; MM. Sylva et Gailhard. —En 1877 :
Mme Krauss, M. Vergnet. — En 1882 :
Mme Montalba. — En i883 : Mme Dufrane,
MM. Salomon et Plançon.
1880. Reprise jusqu'en 1887.
Interprétation : Mmes R. Caron et Sarolta;
MM. Sellier et Delmas.
Total général à l'Opéra : Deux cent dix
représentations.
1842. — Salle Ventadour : Der Freischùtz (en alle-
mand), 23 avril.
i855. — Théâtre lyrique : Robin des bois.
24 janvier. Grand succès, jusqu'en i863; cent
vingt-huit représentations.
Interprétation : Mmes Lauters et Girard;
MM. Lagrave et Marchot.
1866. — Théâtre lyrique : Le Freischùtz (version
Eug. Gautier et Henry Trianon).
8 décembre. Grand succès, jusqu'en 1868;
soixante-treize représentations .
Interprétation : Mmes Carvalho et Daram ;
MM. Michot et Troy.
1875. — Salle Ventadour : Le Freischùtz (même
version).
12 janvier. Six représentations.
Interprétation : Mmes Reboux et Sablerolles ;
MM. Jourdan et Giraudet.
189 1. — Château-d'Eau : Le Freischùtz (version
Durdilly).
Juillet. Quatre représentations.
Interprétation : Mmes Baliste et NaZém;
MM. Bermond et Laporte.
le guidé musical
La reprise actuelle de l'Opéra a mis en
ligne : MllcS Grandjean (Agathe) et Hatto
(Annette), MM. Rousselière (Max), Delmas
(Gaspard), Gilly (Kilian), Kiddez (Ottokar),
Delpouget (Cuno) et Dinard (l'Ermite).
Comme je l'ai dit, à part l'impression de la
disproportion trop évidente entre le sujet
et la mise en scène de l'Opéra, — et les
habitudes de cette mise en scène ou de
l'exécution, — qui reste toujours la même
que naguère, l'œuvre de Weber a été
montée avec beaucoup de soin à tous les
points de vue. Le Freischùtz est une parti-
tion qui doit être mise en valeur d'une
façon toute simple et avec des moyens
restreints, et alors paraître énorme, pro-
digieuse, par l'intarissable richesse de ses
idées, à l'orchestre comme dans le chant,
par sa verve jeune et vibrante. Mais cette
richesse et cette verve sont justement si
prodigieuses que, même 'avec cet effet-là
en moins, l'amplitude de la scène ou les
grandiloquences de geste et de voix des
interprètes ne réussissent pas à en dimi-
nuer la portée. C'est la pièce même, le
livret^ qui en souffre le plus. D'autant que,
par une discrétion bien entendue, on a
fortement coupé dans les récitatifs, ce qui
rendrait la suite de l'action assez obscure,
si d'ailleurs on ne la connaissait par
avance.
L'interprétation est intéressante, sans
rien d'exceptionnel. Mlle Grandjean, gra-
cieuse comme jeu, d'un beau style comme
voix, eût pu mettre plus d'angoisse dans
ses craintes, plus d'accent dans sa passion,
plus de cette naïveté aussi que MUe Hatto
a assez bien attrapée dans la piquante
Annette, qu'elle chante d'ailleurs genti-
ment. M. Rousselière a de la puissance, de
l'éclat, mais il perd dans la demi-teinte,
qui est mal assurée, et ne gagne pas dans
la variété du jeu et la vérité de la passion.
M. Delmas, superbe dans le tableau de la
fonte des balles, est moins à l'aise dans le
reste : le rôle de Gaspard est devenu trop
bas pour lui, et je suis sûr que M. Gresse,
qui le double, en rendra mieux la verve
rapide. M. Riddez donne beaucoup d'allure
au petit rôle du prince, au dernier acte.
Dans le ballet, car nous n'avons pas évité,
bien entendu, l'Invitation à la valse en
action, M1Ie Lobstein s'est montrée des
plus élégante. Quant à l'orchestre et à
son chef si artiste, M. Tafïanel, ils ont été
l'objet d'une véritable ovation, après l'ou-
verture et ailleurs encore.
Henri de Curzon.
<2
LA FACTURE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
EN BELGIQUE
'histoire de la facture instrumen-
tale dans nos provinces n'a pas
encore fait l'objet d'un travail
d'ensemble. Les patientes recher-
ches de Léon de Burbure sur les facteurs
de clavecins et les luthiers anversois,
l'amas, si riche quoique confus, des
documents assemblés par Edmond Vander
Straeten, les glanures hétéroclites de
Grégoir, le catalogue analytique et histo-
rique du Musée du Conservatoire de
Bruxelles, par M. V. Mahillon, celui de
la collection Snoeck, fournissent à ce sujet
foule de renseignements ; mais il reste à
confronter et à coordonner ces éléments
épars, à les compléter par des enquêtes
systématiques dans nombre de villes du
pays, dont les archives n'ont peut-être pas
livré tous leurs secrets (i).
Ce qui a été fait à ce jour suffit en tous
cas à montrer que les Flamands et les
Wallons, qui jouèrent dans l'évolution
(i) Comme l'écrivait Vander Straeten peu de jours
avant sa mort, « il n'y a guère lieu d'essayer d'entre-
prendre ce travail d'un seul coup : trop d'informations
se dérobent aux recherches. La modeste monographie y
mènera lentement, mais sûrement, grâce à une sérieuse
et persévérante contribution de nos meilleurs spécia-
listes . Après une série de notices partielles consciencieu-
sement élaborées, . — il faudra du temps pour cela, — la
concentration des matières s'opérera en quelque sorte
d'elle-même. » (Vander Straeten et Snoeck, Les
Willems, Introd.)
686
LÉ GUIDE MUSICAL
musicale un rôle si important, la servirent
aussi activement dans la construction des
engins sonores nécessaires au développe-
ment de la musique instrumentale. Nous
ne voulons ici que rassembler quelques
brèves notes à ce sujet (i).
CARILLONS
Nous commençons par les jeux de clo-
ches, bien qu'ils ne comptent pas au nom-
bre des engins sonores classiques, parce
qu'ils constituèrent chez nous une industrie
essentiellement nationale. Dès la fin du
moyen-âge, les carillons sont popularisés
dans la plupart des grandes cités de l'ouest
et du sud de l'Europe; mais leur véritable
patrie est aux Pays-Bas, où, à partir de la
fin du XVIe siècle, chaque ville, presque
chaque village avait le sien.
Les carillons doivent leur origine aux
petites sonneries de deux ou trois cloches
qui précédaient la sonnerie de l'heure, du
quart, etc. (voorslag, voor de slag, avant le
coup) ; ces sonneries, d'abord à main,
furent munies, vers la fin du xve siècle, d'un
mouvement d'horlogerie actionnant un
cylindre garni de pointes qui ébranlaient
au passage les percuteurs des cloches ;
d'abord en bois, au xvne siècle le cylindre
fut construit en cuivre. Mais la grande
période d'efflorescence du carillon date de
l'adaptation, vers le commencement du
XVIe siècle, d'un clavier, puis d'un pédalier,
indépendants du mécanisme d'horlogerie.
En même temps, l'étendue du carillon
n'avait cessé de s'accroître, jusqu'à attein-
dre finalement trois ou quatre octaves
chromatiques ou semi-chromatiques. Dès
lors, l'appareil était devenu un véritable
moyen d'expression artistique, avec un
répertoire des plus vastes. Des virtuoses
célèbres, comme Baudouin Schepers à
Alost, Mathias Vanden Gheyn à Louvain,
Grau à Alost, y exécutaient non-seulement
(i) Pour éviter les citations incessantes, nous indique-
rons en terminant les sources bibliographiques où nous
avons puisé et où le lecteur trouvera sur tels détails ou
sur telle période de l'industrie belge des instruments de
musique des renseignements plus circonstanciés.
des improvisations et des chansons popu-
laires, mais des compositions compliquées,
transcriptions de sonates, de variations, de
fugues, etc., que le carillonneur pouvait
d'ailleurs étudier chez lui sur son carillon
d'étude. (Voir au Musée du Conservatoire
de Bruxelles, nos 888 et 889, deux de ces
appareils).
La Flandre s'est particulièrement distin-
guée par ses carillons. Audenarde possé-
dait un jeu de cloches dès 140g, Anvers,
Louvain et Lierre quelques années plus
tard; mais le premier carillon proprement
dit daterait de 1487, à Alost. Peu après
on ne les compte plus ; au xvie siècle, on
admirait particulièrement les carillons de
Gand, Malines, Alost, Tournai ; aux VIIe siè-
cle, ceux de N.-D. à Anvers, de St-Rom-
baut à Malines, de St-Lambert à Liège, de
St-Nicolas à Bruxelles, des abbayes d'Affli-
ghem, d'Averbode et de Ninove.
La construction des carillons, considé-
rée aujourd'hui encore comme une opéra-
tion difficile et délicate, compte parmi les
plus remarquables manifestations indus-
trielles d'autrefois et elle absorbait des
capitaux considérables. Un carillon ordi-
naire, au XVIIe et au xvme siècle, compor-
tait une quarantaine de cloches et coûtait
de 40,000 à 5o,ooo francs. Celui de Mali-
nes compte 44 cloches, du poids total de
36,36g kilos, la cloche la plus lourde pesant
8,000 kilos, la plus légère g; celui d'Anvers a
40 cloches, au total 21,12g kilos; celui de
Gand, pesant 28, 35o kilos, coûta 120,000 fr.;
le carillon de Bruges (le plus considérable)
comprend 4g cloches, pesant ensemble
22,060 kilos ; les frais atteignirent 200,000
francs.
On se figure aisément l'importance que
dut prendre, dans les Pays-Bas, cette indus-
trie prestigieuse de la fonderie des cloches,
qui trouva dans ces pays ses plus nom-
breux et ses plus habiles représentants.
Nous ne parlerons pas ici de Pierre
Hemoni, d'Amsterdam, né à Lerecourt
(France), vers 1620, et qui livra les carillons
d'Ostende, Diest, Eename, Anvers, etc. ;
les provinces formant la Belgique actuelle
LE GUIDE MUSICAL
687
comptèrent à elles seules une foule de fon-
deurs diversement renommés. Au premier
rang se place la famille Vanden Gheyn,
dont les membres, à Malines, puis à Saint-
Trond, à Nivelles et à Louvain, fournis-
sent, du XVe au xvme siècle, une nombreuse
lignée de fondeurs, de carillonneurs et d'or-
ganistes célèbres aux Pays-Bas et à l'étran-
ger (1). A Malines encore travaillaient Jean
Zeetsman et Pierre Wagemants, — qui four-
nit à la ville, en i525, son premier carillon,
— ainsi que Vogelaar et les De Clerck ; à
Louvain, Van Nuerwerks, connu sous le
nom de Hans Poppenruyter, « fondeur de
Charles-Quint ». Anvers compta une quan-
tité de fondeurs : au xvie siècle, les frères
Moer et Corneille Janssens ; au xvne,
Alexis Julien et Melchior De Haze, élève de
Hemoni ainsi que le précédent (De Haze,
considéré, après la mort de son maître,
comme le meilleur fondeur de son temps,
confectionna ou restaura un grand nombre
de jeux de cloches, à La Haye, Malines,
Bruxelles et livra en 1674, à l'Escurial de
Madrid, un carillon de 3i cloches, dont
quelques-unes existent encore) ; au XVIIIe,
Guillaume Witloock, — qui adressa en 1714
une protestation virulente au magistrat de
Bruxelles, lequel s'était avisé de comman-
der un carillon en Hollande, — De Hont et
Le Vache, auteurs d'un jeu de 114 cloches,
pesant ensemble 117,000 kilos, au couvent
de Mafra (Estramadure) ; enfin, Georges
Du Mery, gendre et probablement élève
du précédent et auteur du grand carillon
de Bruges, jugé après expertise « le plus
artistement construit et le mieux en har-
monie de tous les carillons de l'Europe ».
Ajoutons-y Ter Stege à Campen, les Leen-
cnecht à Gand, Broeckaert à Tirlemont,
Coecke à Alost, Premereur à Ninove, Van
Thienen à Bruxelles, — cela sans compter
les nombreux fondeurs s'occupant plus
exclusivement de la facture des cloches,
(1) C'est à cette famille qu'appartient Matthias Van-
den Gheyn (1721-1785), organiste et carillonneur à Lou-
vain et compositeur de quelque mérite, — sans peut-être
valoir l'éloge dithyrambique que lui consacra le cheva-
. lier Van Elewyck, dans la notice citée ci-dessous.
sans s'élever jusqu'à l'industrie plus artis-
tique des carillons.
Bien que celle-ci fût plus particulière
aux provinces néerlandaises, la Wallonie
en posséda des représentants autorisés :
à Mons, Jean Groignart et Pierre Jugle,
mécanicien habile et inventif; Tordeur
à Nivelles; à Tournai, Simon Magret,
qui travailla au xve siècle pour la ville de
Louvain, Barbieux, auquel Audenarde
commanda au xvie siècle un carillon de
35 cloches, Jean Fer, qui en plaça un à
la même époque à la cathédrale d'Anvers ;
à Liège, au xvine siècle, Chaudoir, qui
construisit un carillon pour la ville de
Tongres, et Gilles Debefve, qui en livra un
à Lisbonne; à Namur, un ecclésiastique
nommé Poignard qui, au xvip siècle,quitta
son bénéfice pour aller en Espagne se
mettre à la disposition des communautés
et du gouvernement pour construire et
arranger des carillons.
Il est à peine nécessaire d'ajouter que la
Révolution française anéantit chez nous
une industrie qui puisait dans la tradition
et le culte ses seules raisons d'être. Elle
ruina même ceux des fondeurs qui, épris
des idées nouvelles, tentèrent d'accommo-
der leur talent aux nécessités de l'heure (1).
Nos cloches, fondues en quantités innom-
brables, allèrent renforcer l'artillerie de la
République. La tourmente passée, on rem-
plaça les cloches isolées, mais plus guère
les carillons. Aujourd'hui, « l'art campano-
logique » est représenté chez nous par
quelques firmesjustement appréciées, mais
la profession de fondeur, naguère une dés
manifestations les plus importantes de
l'activité nationale, n'y occupe plus actuel-
lement qu'une place secondaire.
(A suivre.) Ernest Closson. .
(ij Comme ce Jean-Jacques Huaert, simple fondeur
de cloches, dont M. Geudens a retracé la destinée
lamentable {Annales de l'Acad. royale d'Ai'diéol. de Bel-
gique, 1902, livre 4).
688
LE GUIDE MUSICAL
LA SEMAINE
PARIS
A L'OPERA. — Le Freischûtz a été précédé de
l'exécution d'une page d'orchestre de M. Edmond
Malherbe, un « tableau musical » inspiré de la
peinture de Baudry (que l'on voit au foyer de
l'Opéra) : Le Jugement de Paris. L'œuvre a été
couronnée au concours ouvert en cette année par
la direction de notre première scène. L'effet n'a
pas beaucoup répondu, ce semble, à l'attente du
compositeur (prix de Rome de 1899). L'idée est
bizarre d'avoir prétendu peindre par les sons un
tableau complexe et une action continue. Passe
encore pour l'œuvre du Titien, où il a déjà puisé
des inspirations : L'Amour sacré et l'Amour profane,
dont l'opposition est claire et prête à la caractéris-
tique par les sons; mais une scène de six person-
nages (Paris, Mercure, l'Amour, Vénus, Pallas et
Junon), où ils sont représentés par une superpo-
sition contrepointée de leurs thèmes spéciaux,
puis par le jeu et 1' « action » de ces thèmes...
n'aboutit qu'à une confusion sonore, qu'aucun lien
conducteur ne relie et n'élucide sérieusement.
C'est une voie dans laquelle M. Malherbe fera
bien de ne pas pousser si loin. On sent assez, au
surplus, qu'il sait son métier; on est pourtant
surpris de la profusion un peu bien grinçante des
trompettes et cuivres variés, à l'aigu, chargés de
chanter l'antique légende. H. de C.
A L'OPERA-COMIQUE. — On répète tou-
jours activement Miarka, avec cette distribution
définitive : La Vougue : Mme Héglon ; Miarka :
Mme Marguerite Carré; Mme Tavie : Mme Pierron;
Gleude : M. Jean Périer; le roi : M. Lucazeau;
le maire : M. Cazeneuve; le maître d'école :
M. Huberdeau. L'œuvre de M. Alexandre Georges
est proche.
Plus tard, nous aurons L e Clos (Le Clos Pom-
mier, la nouvelle d'Amédée Achard) dont la mu-
sique est de M. Ch. Silver, avec cette merveilleuse
interprétation : Mme Marie Thiéry, MM. Beyle et
Dufranne. Et aussi Les Pêcheurs de Saint-Jean,
l'œuvre depuis longtemps attendue de M. Widor,
qui réunira les noms de Mlles Friche, Cocyte et
Vauthrin, MM. Salignac et Vieuille.
A propos de ces nouveautés pleines de pro-
messes, il peut être intéressant de jeter un coup
d'œil d'ensemble sur la troupe de l'Opéra-Comique
pour cette saison. Quelque regrettables que soient
les vides qu'ont laissés certains départs, un groupe
tout à fait éminent d'excellents artistes y donnera
des régals de choix aux habitués de ce théâtre
toujours comble.
En tête des chanteuses, il faut placer Mme Marie
Thiéry (dont nous avons signalé la rentrée et qui
nous a ravis depuis dans Mimi de la Vie de Bohème,
Rozenn du Roi d'Y s), talent exquis, voix de
charme, et Mme Marguerite Carré, la radieuse
Manon, la fine diseuse, qui sera, nous dit-on, ado-
rable dans Miarka. Puis, comme sopranos, Mmes
Pornol, Vauthrin, Guionie, Vallandri et les débu-
tantes Mathieu- Luty, de La Palme, Brozia,
Dentellier; comme mezzos et falcons, Mmes Wyns,
Friche, Duchêne, Cocyte, Welder, Brohly,
Cornés; comme dugazons, MmeS Tiphaine, Launay,
Costès, Mirai, Dumesnil, d'Oligé, Faury, Dangès,
de Poumayrac... Sans compter, en représentations
ou pour des époques déterminées : Mn'es Héglon
(pour Miarka), Marie Garden (pour Aphrodite, au
mois de mars), Ackté (pour Marie-Magdeleine, en
avril), ainsi que Rose Caron et Litvinne.
Pour les chanteurs, voici d'abord les trois
ténors : Edmond Clément, Léon Beyle et Sali-
gnac, suivis de MM. Carbonne, Cazeneuve, Luca-
zeau, Devriès, Jahn et de Poumayrac. Parmi les
barytons : Lucien Fugère, le plus glorieux, l'in-
dispensable soutien et l'honneur de la scène
comique, Dufranne et Jean Périer; puis Allard,
Delvoye, Ghasne, Simard, Corpait, Billot. Parmi
les basses : Vieuille, Huberdeau, Guillamat,
Azéma. Sans oublier les comiques : Gourdon et
Mesmaecker... Sans compter probablement quel-
ques artistes en représentations, qu'on ne nomme
pas encore.
CONCERTS COLONNE. — Quand l'Opéra-
Comique mettra à son répertoire Benvenuto Ceïlini
et Béatrice et Bénêdict, quand l'Opéra donnera les
Troyens en deux soirées, « ce jour-là, dit M. Mal-
herbe dans le programme du Châtelet, sera celui
de la réhabilitation véritable ». Que manque-t-il à
Berlioz pour que sa mémoire soit vengée? La pre-
mière partie des Troyens (la Prise de Troie) a été
exécutée aux concerts Pasdeloup et Colonne le
7 décembre 1S79, et représentée à l'Opéra le
i5 novemhre 1899. La seconde partie (les Troyens
à Carthage) a été montée à l'Opéra-Comique le
9 juin 1892 et, cet été, au théâtre d'Orange, et une
importante sélection de cet ouvrage vient d'être
offerte par M. Colonne à ses abonnés. Béatrice et
Bénêdict n'a pas été négligé non plus ; cette parti-
LE GUIDE MUSICAL
689
tion a été jouée à l'Odéon le 14 juin 1890, grâce à la
munificence de la Société des Grandes Auditions,
et a valu, on s'en souvient, à Mme Bilbaut-Vau-
chelet un de ses plus grands succès. Benvenuto
Céllini, il est vrai, n'a jamais, que je sache, été
repris à Paris (on en exécute couramment les deux
ouvertures dans les concerts) ; cette exception, si
regrettable qu'on la juge, suffit-elle pour qu'on
nous reproche éternellement de refuser à Berlioz
la justice qui lui est due ? La plupart de ses œuvres,
les meilleures certainement, sont applaudies avec
enthousiasme à Paris, en France et dans le monde
entier : son génie n'est donc pas méconnu.
Tant que Berlioz sera mort, faudra-t-il que les
vivants se couvrent de cendre et de confusion
parce que ses contemporains l'ont peu ou mal
compris? C'est l'injustice des hommes, prétend-on,
qui l'a fait mourir. « Non, répond M. Saint-Saëns,
qui l'aimait et l'admirait, il est mort d'une gas-
tralgie causée par son obstination à ne suivre en
rien les règles d'une hygiène bien entendue. » Il se
peut que nous exagérions les erreurs de nos pères
pour, à l'occasion, faire excuser les nôtres; il se
peut aussi que notre ardeur à déplorer leur injus-
tice et à en perpétuer le souvenir serve à mettre
en évidence, par contraste, le bon goût de notre
génération. Tâchons de garder la mesure dans le
blâme et la louange, n'émettons pas des jugements
infaillibles et absolus, et, comme disait Mme d'Ar-
bouville il y a cent ans, laissons un peu de place
en nous pour un certain contraire.
Le grand homme qu'on dit si méconnu a été
encore une fois acclamé dimanche dernier, non
pas dans une œuvre truculente comme la Sympho-
nie fantastique, ni pittoresque comme la romantique
et populaire Damnation de Faust, ni passionné
comme Roméo et Juliette, mais dans un ouvrage tem-
péré et de style presque classique, Les Troyens à
Carthage. Les pages ont été choisies dans les trois
premiers actes. Au premier : le chœur « Gloire à
Didon », d'une grande allure; le récit et l'air de
Didon : ■ Chers Tyriens », très mélodique, de forme
un peu vieillotte et déparé çà et là par une proso-
die défectueuse et des traits vocaux qui mettent
une date à la composition. Au deuxième : les airs
de ballet, exécutés, surtout le premier, avec beau-
coup d'élégance et de finesse ; le chant d'Iopas :
«o blonde Cérès », qu'a soupiré avec une langueur
charmante M.Plamondon et que chantait, à l'Opéra-
Comique, d'un style si pur, le ténor David,
aujourd'hui pensionnaire du théâtre de la Monnaie
de Bruxelles ; le quintette célèbre; le non moins
célèbre septuor : « Tout n'est que paix », si calme,
si simple, modulant à peine, rattaché à la tonalité
de fa par la lente tenue des flûtes et des cors; le
duo, d'une tendresse infinie, d'une adorable chas-
teté, une invocation à la nuit toute virgilienne fer
siïentia lunes ; la chasse royale et Forage, pages sym-
phoniques qui, sans décors ni figurations (à
l'Opéra-Comique on les exécutait rideau baissé),
ne produisent pas tout l'effet attendu, malgré une
interprétation supérieure. Enfin, au troisième acte :
la scène des adieux, le récit et la plainte, doulou-
reuse et touchante, où Didon pleure la vie moins,
semble-t-il, en fière païenne délaissée et trahie
qu'en chrétienne résignée et presque déjà trans-
figurée.
Du moins, c'est l'impression que j'ai ressentie.
Car la voix de Mme Litvinne est si divinement
belle, ses notes si limpides, son accent si peu tra-
gique, sa diction si large et si pure — marque dis-
tinctive de la grande artiste — qu'en l'écoutant on
semble entendre la voix d'un être immatérie,! et
que n'effleureront jamais les passions de la terre.
C'est bien Mme Litvinne que je choisirais pour
chanter la Vierge de Massenet.
A côté de M. Plamondon, déjà nommé, de
Mlle Richebourg et Mme Boyer de Lafory, qui
tenaient très convenablement leur partie, la place
occupée par M. Saléza était bien petite. Nous
avons eu le regret de ne l'entendre que dans le duo;
c'était peu, à peine suffisant pour faire comprendre
l'artiste qu'il est. Les souvenirs qu'il nous a laissés
dans Carmen sont restés trop vifs pour que nous
n'ayons pas le désir de l'entendre de nouveau dans
des œuvres où son talent se pourrait manifester
avec ses qualités totales. La dernière fois que nous
l'avons vu, c'était en avril igo3, à une répé-
tition générale de Werther, car c'était lui qui devait
reprendre le rôle du héros de Gœthe. Malheureu-
sement il tomba malade quelques jours avant la
première représentation et dut être remplacé par
M. Léon Beyle. Le caractère romantique de Wer-
ther convenait merveilleusement à sa nature
vibrante. Grandiloquent, le geste large, la voix
d'un métal moins sonore que cuivré, mais chaude,
enflammée dans les scènes de passion et pleine
de douceur dans les demi-teintes, artiste d'un tem-
pérament exceptionnel et d'une originalité puis-
sante, M. Saléza était un admirable Werther, il
était Werther lui-même. J'aimerais l'entendre dans
la Damnation; je ne doute pas qu'il ne s'y montre-
rait excellent et autre que les ténors habituels.
La durée de l'exécution des Troyens à Carthage
étant relativement courte, M. Colonne avait fait
précéder les fragments de Berlioz de la dramatique
ouverture du Roi d'Ys et de la symphonie en ;v'de
Brahms. Je cherche quel chef conduirait ces deux
690
LE GUIDE MUSICAL
œuvres mieux que M. Colonne et quel orchestre
leur donnerait plus de mouvement et de couleur.
Julien Torchet.
— M. Julien Tiersot nous adresse la communi-
cation que voici ;
« A l'audition des Troyèns, donnée dimanche au
Concert Colonne, nous avons constaté, sinon avec
beaucoup de surprise, du moins avec un chagrin
toujours renouvelé, que l'admirable récitatif de la
Mort de Didon : « Dieux immortels ! il part» a subi
une fois de plus l'outrage d'une coupure qui mutile
l'œuvre de Berlioz d'une façon que nous ne vou-
lons pas qualifier. Ce récitatif se compose de vingt-
quatre vers, traduits presque littéralement de Vir-
gile, qui, évoquant chez l'auteur les plus chers
souvenirs poétiques et passionnels, ont été revêtus
d'une déclamation musicale du sentiment le plus
profond. De ces vingt-quatre vers, on a fait enten-
dre les onze premiers : les treize autres, depuis :
k Et voilà donc la foi de cette âme pieuse » jus-
qu'à : « Pour ce fugitif que j'aimai », quarante-
quatre mesures de musique, ont été coupés. A qui
doit-on faire remonter la responsabilité de ce
méfait? Ce n'est certes pas à M. Colonne, dont le
dévouement à Berlioz et le respect de son œuvre
sont connus, on peut le dire, de tout l'univers ; pas
davantage à Mme Litvinne, qui fut une magnifique
et puissante Didon, et n'eût assurément pas
demandé mieux que de voir prolonger l'émotion
qu'elle a produite avec les premiers vers. Mais les
exécutants ne peuvent interpréter une œuvre qu'en
se conformant aux partitions qui leur sont commu-
niquées. Or, la partition d'orchestre des Troyens,
publiées plusieurs années après la mort de Berlioz,
est incomplète et infidèle. En dépit de la volonté
bien affirmée du maitre et contradictoirement avec
le texte du manuscrit autographe et de la première
édition, elle n'offre qu'une version tronquée en
plus de vingt endroits. Nous avons eu déjà
quelques occasions de protester contre une telle
pratique, contre laquelle doit s'élever quiconque a
le sentiment de la dignité de l'art ; nous renouve-
lons cette protestation une fois encore, ajoutant,
puisqu'elle est jusqu'ici restée sans effet, que nous
finirons peut-être bien par trouver un autre moyen
de la faire écouter.
» Julien Tiersot. »
La protestation de M. J. Tiersot est parfaite-
ment justifiée ; seulement puisque la partition
manuscrite existe encore, il eut été bien simple, —
si l'on avait sérieusement voulu l'intégralité, de
compléter la partition et les parties gravées, en y
intercalant la copie des quarante- quatre mesures
indûment coupées.
CONCERTS LAMOUREUX. — Séance
attrayante et variée, qui débuta par l'ouverture du
Roi d'Y s de Lalo. J'ai été ravi que figurât au pro-
gramme des deux grands concerts d'aujourd'hui
cette page splendide si personnellement réalisée,
spontanément expressive ; et je voudrais plus
large, à tous les répertoires, la place faite à un
des plus nobles musiciens de l'école française.
Je suis un peu embarrassé pour parler derechef
' de La Mer de M. Claude Debussy. Certainement,
S la matière de l'œuvre est belle, très belle même.
Certainement aussi, l'auteur de Peïïéas s'est
efforcé d'arracher son esprit à la contemplation
exclusive des petits êtres de rêve et des petits
paysages orfèvres ; il a voulu se choisir, cette fois,
un cadre colossal. Mais, s'il sait trouver souvent
de beaux tons intenses et riches, son coup de brosse,
plus apte peut-être à suggérer qu'à exprimer, reste
encore un peu menu, un peu gêné, dirait-on,
devant trop d'espace à couvrir. Il faut d'ailleurs,
pour voir large et surtout pour traduire largement,
une force acquise qui manque en partie au délicat
compositeur dont les facultés sont jusqu'ici orien-
tées de façon tout autre.
Cependant, le fait seul qu'il ait ouvert les yeux
tout grands à l'espace illimité reste à retenir, et
je veux voir en La Mer le début d'une étape nou-
velle.
La quatrième Béatitude de Franck fut de nouveau
accueillie par le public avec toute la ferveur que
mérite cette admirable page. M. Cazeneuve qui
l'interpréta, chanta aussi avec style un air de la
Flûte enchantée de Mozart, et l'on entendit de plus
Y Invitation à la valse avec l'orchestration un peu
pimentée de M. Weingartner; une symphonie de
Haydn, assez jeunette encore, et la Jeunesse d'Her-
cule de M. Saint-Saëns. L'orchestre du Casino de
Paris, désireux de contribuer, lui aussi, à la célé-
bration du soixante-dixième anniversaire du maître,
modernisa fort à propos ledit poème symphonique
(dans les pianissimo surtout) de l'apport, à travers
les cloisons fragiles, de toutes ses fanfares déchaî-
nées. M.-D. Calvocoressi.
— La Société J.-S. Bach donnera, au cours de
la saison 1905-1906, douze concerts dont voici
les dates :
Concerts avec soli, orchestre et chœurs (série A) :
Le mercredi 22 novembre, le samedi 9 décembre,
les mercredis 17 janvier, 7 février, 14 mars et
9 mai.
LE GUIDE MUSICAL
691
Concerts d'orgue et de musique de chambre
(série B) : Le mercredi 29 novembre, le samedi
23 décembre, les mercredis 24 janvier, 21 février,
21 mars, 23 mai.
Aux programmes des concerts série A figureront
dix cantates sacrées ou profanes (premières audi-
tions à Paris), parmi lesquelles Le ( hoix d'Hercule,
une des oeuvres les plus importantes et les plus
intéressantes de Bach ; les concertos pour trois
pianos ; les concertos brandebourgeois ; les ouver-
tures pour orchestre ; les concertos pour violon,
pour piano, etc.
Les concerts de musique de chambre seront
réservés aux œuvres d'orgue, de piano, aux sonates
pour piano et violon, pour piano et viole de gambe,
pour piano et flûte, pour violon seul, violoncelle
seul, etc.
Ces concerts, auxquels les artistes les plus
réputés de France et de l'étranger prêteront leur
concours, auront lieu, comme par le passé, à la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, que des
travaux pendant les vacances ont très heureuse-
ment améliorée.
En rappelant que des conditions d'abonnement
spéciales sont faites aux personnes s'inscrivant
comme membre fondateur ou honoraire de la
Société Bach, signalons une innovation des plus
louable et qui mériterait de se généraliser.
La Société Bach a décidé la création de cartes
permanentes, dites cartes d'artiste, qui seront
mises à un prix minime, et en nombre limité, à la
disposition des musiciens professionnels, et notam-
ment des jeunes gens se livrant, dans le but d'en
faire leur carrière, à l'étude de la musique, soit
dans les écoles spéciales, soit avec des professeurs
libres.
Pour l'obtention de ces cartes et pour autres ren-
seignements, écrire à M. Daniel Herrmann, direc-
teur adjoint de la Société Bach, 9, rue Méchain.
— Les artistes et les vrais amateurs de musique
ont tous présenter à la mémoire les quatre audi-
tions intégrales des 17 quatuors à cordes de Beet-
hoven que seul le quatuor Parent a données à
Paris. Nous apprenons qu'encouragé par ce suc-
cès, l'excellent violoniste Armand Parent, prépare
un événement artistique de la plus haute impor-
tance.
Pour la première fois en Europe, et même dans
le monde entier, toutes les œuvres de musique de
chambre instrumentales et vocales de Beethoven
vont être présentées au public dans une série de
32 concerts historiques qui se répartiront sur qua-
tre années consécutives (entremêlés de quelques
soirées consacrées aux auteurs modernes). Tous
les quatuors, tous les trios, toutes -les sonates, les
œuvres pour instruments à vent, une foule de piè-
ces de piano et de chant à peu près inconnues du
public, seront exécutées par le Quatuor Parent, la
Société de musique de chambre pour instruments à
vent et quelques-uns de nos meilleurs pianistes et
chanteurs. Pour assurer à cette belle manifestation
d'art un caractère méthodique, M. A. Parent s'est
entendu avec un musicographe des plus autorisé,
M. Paul Landormy, bien connu par ses conféren-
ces à l'Ecole des Hautes Etudes sociales, qui
commentera les programmes, tantôt en de courtes
causeries, le plus souvent en des notices impri-
mées. Voilà, dans le domaine intime de la musique
de chambre, une entreprise grandiose à laquelle
aucun amateur d'art ne restera indifférent.
Ajoutons que le prix des abonnements est tout à
fait populaire : 20, 3o et 40 francs selon les places
pour les douze séances de l'année 1906, qui auront
lieu à la salle yEolian tous les vendredis du 5 jan-
vier au 23 mars.
— Quelques-uns de nos lecteurs ont exprimé le
regret que nous n'eussions pas indiqué, dans notre
article du dernier numéro relatif à la musique de
la garde républicaine, la composition de cet
orchestre de choix. C'est un oubli, en effet, mais
qui est facile à réparer. Voici la division de ces
instruments :
1 petite flûte 1 petit bugle
3 grandes flûtes 4 bugles
3 hautbois 3 altos
4 clarinettes en mibém. 4 cors
16 clarinettes en s? bém. 2 barytons
(3 solo, 10 ires, 6 2des) 6 basses
2 clarinettes basses 5 trombones
2 saxophones altos 1 contre basse mi bém.
2 saxophones ténors 2 contre basses si bém.
2 saxophones barytons 2 contre basses (cordes)
2 bassons 1 paire de timbales
1 sarrusophone 1 caisse claire
3 trompettes 1 grosse caisse
4 cornets
- Nous avons indiqué la répartition des musiciens,
tous admis au concours, tous indépendants et
libres, en dehors de leur service spécial, mais
assimilés, selon leur classe, à un grade et à une
solde militaires. La dénomination d'élève n'a qu'une
signification de classe, car cette catégorie renferme
toujours plusieurs premiers prix du Conservatoire
au début de leur carrière. H. de C.
692
LE GUIDE MUSICAL
— Par un arrêté ministériel en date du 9 octobre
1905. M Adolqhe Bigerolle a été nommé directeur
de l'Ecole nationale de musique d'Armentières
(Nord).
— MUe Elisabeth Déliiez annonce deux récitals
de chant, salle Pleyel, â Paris, pour les i3 et
22 novembre. Au programme : Bach, Mozart,
Schubert, Schumann, Wagner, Franck, d'Indy,
Debussy, Fauré, Lekeu, Vreuls, Chabrier.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
A la veille de la première d'Armide et malgré le
travail considérable qu'absorbe la préparation
d'une œuvre de cette importance, la direction
continue à alimenter la variété du répertoire par
des reprises heureuses. Samedi dernier Hamlet est
venu s'ajouter à la liste des ouvrages courants.
Mlle Aida, dont la virtuosité vocale se double
d'une autorité chaque jour plus grande, y a été
très acclamée. Mme Bressler-Gianoli paraissait
pour la première fois dans le rôle de la Reine,
auquel sa belle voix et le grand style de son inter-
prétation ont donné une physionomie pleine de
noblesse. Le Roi : M. Paty.
Hamlet, qui est un des meilleurs rôles de
M. Albers, ne lui a pas été favorable samedi, à
cause sans doute de la fatigue du Concert Ysaye,
qu'il avait chanté l'après-midi. Mais l'excellent
artiste avait retrouvé tous ses moyens à la seconde
représentation, qui lui a valu son succès habituel.
A signaler encore cette semaine, l'apparition très
applaudie de Mme Dratz-Barat dans la Marguerite
de Faust, inopinément abandonnée par M1Ie Donalda
qui par ordre de la Faculté doit prendre quelques
semaines de repos.
Lundi reprise de Rigoletto avec M1:" Aida dans
le rôle de Gilda.
Mardi on fait relâche, sans doute pour la répé-
tition générale d'Armide. Voici au demeurant les
spectacles de la semaine : Aujourd'hui dimanche,
en matinée, la Fille du Régiment; Bonsoir, Monsieur
Pantalon ! le soir, Princesse Rayon de soleil; lundi,
Rigoletto; mercredi en matinée, Faust; le soir
Carmen.
CONCERTS YSAYE. — L'honneur d'ouvrir
la dixième année de la Société des Concerts Ysaye
est échu cette fois à l'école belge et c'est à l'un
de ses représentants le plus justement estimés et
applaudis chez nous autant qu'à l'étranger, M. Jan
Blockx, que très galamment M. Eugène Ysaye
avait cédé son bâton. De son geste large et un peu
lent, le jeune maître anversois a dirigé la fulgu-
rante ouverture de Charlotte Corday de Peter Benoit
et un Tryptique de sa composition. La dénomina-
tion est nouvelle pour une chose qui ne l'est pas.
Au fond, cette composition de M. Blockx, est une
simple suite orchestrale, un poème symphonique
et descriptif en trois parties : Jour des morts, Noe%
Pâques. Deuil, espérance, exaltation jubilante,
l'opposition de ces sentiments pour être banale et
courante, n'en offre pas moins des oppositions on
ne peut plus favorables aux contrastes que doit
comprendre toute composition purement instru-
mentale. Le public a fait un accueil très chaleu-
reux à cette œuvre qui offre de jolies pages et
d'autres de caractère expressif qui atteignent à
l'émotion profonde, entre autres ce Noël, en ma-
nière de pastorale où le hautbois est très délicate-
ment traité, et le Jour des morts dans lequel inter-
vient le thème grégorien du Pie Jesu. Nous aimons
moins les Pâques dont le rythme ternaire n'évite pas
la vulgarité.
Une autre œuvre belge importante figurait au,
programme; la symphonie en ut de M. F.-L. De- \
lune, récemment couronné au concours pour le
prix de Rome. L'auteur l'avait déjà dirigée l'année
dernière à l'un de ses propres concerts d'orches-
tre ; mais il l'a, dit-on, revue et remaniée avant de
la confier à la direction d'Eugène Ysaye. C'est une
composition trop touffue encore et lourde un peu,
comme technique instrumentale et ordonnance des
développements ; en son adagio particulièrement ;
mais elle reste intéressante et captivante par ses
qualités de rythme, par le naturel et le mouvement
de l'inspiration. Le scherzo est une page de belle
maîtrise, claire, légère, alerte, pleine de verve et
d'humour. Et voilà une belle promesse pour
l'avenir.
Il y avait en outre au programme des fragments
de Wagner et des Lieder de Beethoven que devait
chanter M. Anton Van Rooy. Mais selon là)
fâcheuse habitude qu'il semble avoir prise quand
il est annoncé à Bruxelles, M. Van Rooy a fait
encore une fois défaut. Il a été remplacé par
M. Henri Albers du théâtre de la Monnaie qui a
été acclamé, — tout comme s'il était venu de loin,
— dans les Adieux de Wotan, l'air de Wolfram dil
2e acte du Tannhœaser et dans la belle cantilène du
2e acte de YEtranger de Vincent d'Indy. Cette der-
nière page a produit une très grande impression.
Il va sans dire que M. Eugène Ysaye et son bel
orchestre ont eu leur part grande dans le succès de
la journée.
LE GUIDE MUSICAL
6g3
— La Société symphonique des Nouveaux
Concerts de Bruxelles, sous la direction de M.
Louis-Fl. Delune, annonce pour le samedi 4 no-
vembre prochain, à 8 1/2 heures du soir, salle de
la Grande Harmonie, son premier concert de la
saison avec la participation de M. Eugène Ysaye,
violoniste.
Une audition populaire du même concert aura
lieu, au théâtre de l'Alhambra, le lendemain
dimanche, 5 novembre, à 2 1/2 heures de relevée.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Lundi soir a eu lieu, au Jardin
zoologique, sous les auspices du Peter
Benoit-Fonds, l'exécution de l'oratorio De Oorlog,
de Peter Benoit. Le Guide musical ayant déjà ana-
lysé l'œuvre puissante et merveilleuse du musicien
anversois, je me bornerai à dire un mot de l'inter-
prétation.
Elle a été remarquable, et le public a fait ovation
à l'excellent capellmeister M. Keurvels et à ses
vaillantes phalanges. On a bissé l'air caractéris-
tique de YEsprit railleur, que M. Fontaine et les
chœurs ont interprété avec brio. Tous les solistes
méiitent des éloges. Mme Soetens-Flament,
M VF. Collignon, Judels, De Backer et Swolfs.
Cette semaine, au Théâtre royal, reprises de
Mireille, Faust et Boccace.
Aux Nouveaux-Concerts, nous aurons cet hiver
quatre séances de musique de chambre. G. P.
LA HAYE. — Le Dr Ludwig Wùllner est en
ce moment le héros musical de la Hollande.
Partout où il se fait entendre, salles combles,
succès triomphal. Ludwig Wùllner est fils du
Dr Frans Wùllner, l'ancien directeur du Conserva-
toire de Cologne et des Concerts du Gùrzenich, à
Cologne. Né en i858 à Munster, il commença par
étudier la philologie, mais il abandonna bientôt
cette science stérile et, en 1887, entra au Conserva-
toire de Cologne. Une année après, il se produisit
dans des concerts. Devenu acteur en 1889. il fit
partie pendant six ans de la célèbre troupe grand-
ducale de Saxe-Meiningen, ce qui ne l'empêcha
pas de faire assidûment de la musique avec Brahms
et de donner des séances de Lieder. Depuis 189.5,
Ludwig Wùllner s'est voué complètement au
chant, et surtout à l'interprétation de Lieder. Parmi
ceux qu'il interpréta ici à sa première séance, le
Doppelgànger de Schubert, Der Steiuklopfcr de Ri-
chard Strauss, Les Deux Grenadiers de Schumann,
pour n'en citer que quelques-uns, ont fortement
impressionné l'auditoire.
Un autre grand succès à La Haye a été la
séance donnée par la Société des Concerts d'instru-
ments anciens de Paris, qui s'est fait-entendre à la
société De Toekomst, devant un nombreux audi-
toire.
Avant de s'embarquer pour l'Amérique, M. Men-
gelberg a dirigé le premier concert annuel de la
société Cecilia (Association des Artistes musi-
ciens), à Amsterdam. Au programme figuraient la
quatrième symphonie de Schumann, le poème
symphonique Heldenleben de Richard Strauss et
le cinquième des concertos de J.-S. Bach. Ce
concerto, écrit pour piano, violon et flûte et
accompagnement d'instruments à cordes, a été
exécuté dans la perfection par MM. Mengelberg,
Timmner et Scheers. Ed. de H.
LIEGE. — La dernière période de notre
Exposition aura été tout particulièrement
favorable aux compositeurs belges, qui ont eu
l'occasion de tenir en mains un bon orchestre de
symphonie, recruté parmi les professeurs de notre
Conservatoire ou les instrumentistes les plus com-
plets sortis de cet établissement, et dirigé par
MM. O. Dossin et M. Lejeune. Il y a eu aussi des
révélations, comme lors de la Cantate- patriotique,
écrite avec vigueur et sonorité par un lout
jeune Liégeois, M. Emile Mawet. Une seconde
exécution, sous sa direction, dépassa même, en
enthousiasme populaire, le succès de la première
audition officielle.
C'était le i5 octobre, dans la vaste salle des fêtes,
où étaient réunis, à côté de l'orchestre permanent
et de nos premières sociétés chorales, des solistes
comme Mme Fassin-Vercauteren et M. Seguin.
A. cette même séance, ces deux artistes mirent en
relief une série de Lieder sur des poésies de Ver-
laine, écrits avec une véritable distinction par
M. Lucien Mawet et que le Guide a déjà appréciés
favorablement.
En octobre encore, le concert Léon Dubois
obtint un succès retentissant, et le jeune maître
fit connaître ici, dans des conditions de réalisation
émouvante : Le Mort, son chœur descriptif si
coloré; Les Extatiques, chanté par la Concorde de
Verviers sous la direction de F. Duysings ; enfin,
deux esquisses dramatiques chantées avec passion
et un art accompli par Mlle Poirier.
L'excellente cantatrice bruxelloise avait brillé
non moins dans une précédente soirée, réservée
aux productions instrumentales et vocales de
6g+
LE GUIDE MUSICAL
M. G. Huberti . Sous la direction de ce maître, on
remarqua notamment des fragments inspirés de sa
Symphonie funèbre.
L'heureux et fécond auteur de Jean Michel et de
Martille, Albert Dupuis, tint aussi le bâton avec
éclat, dans un programme exclusivement à lui.
Enfin, des milliers d'auditeurs qui se renouve-
laient chaque jour, profitèrent d'exécutions mo-
dèles comme celle de la géniale sj'mphonie en ré
du maître de Liège César Franck. En regard des
noms des compositeurs allemands, français, ita-
liens, anciens et modernes, des Russes, des Scan-
dinaves, s'inscrivirent les noms de nos meilleurs
musiciens flamands et wallons.
Signalons à cette place le juste et éclatant hom-
mage rendu par M. Maurice Kufferath à notre
art national, lors de sa récente conférence sur la
Musique belge.
Devant un auditoire compact, l'actif direc-
teur de la Monnaie retraça ses grandes lignes
historiques et exprima, en termes élevés et
prophétiques, sa confiance en l'avenir de cet art,
cultivé en Belgique mieux et plus que partout
ailleurs, et qui compte, à l'heure actuelle, une
pléiade active, vigoureuse, instruite, de composi-
teurs et de virtuoses.
Dans ce dernier domaine, citons les 12 concerts
d'orgue donnés sur un excellent instrument de la
maison Van Bever, de Bruxelles, par un remar-
quable lauréat de notre Conservatoire, M. Louis
Lavoye. Ces récitals constituaient un résumé com-
plet de l'histoire de l'orgue, ils commençaient aux
primitifs, pour s'étendre à J.-S. Bach et atteindre
ensuite aux productions les plus modernes.
Ces séances instructives et élevées ont affirmé
la technique serrée que possède l'organiste lié-
geois, ses complètes connaissances du style ainsi
que sa compréhension des maîtres. A. B. O.
LONDRES. — La saison italienne de Co-
vent-Garden a obtenu un succès légitime.
Mme Giachetti, MM. Sammarco et de Marchi ont
donné une interprétation vivante de la Tosca de
Puccini. L'auteur, présent à la première, a été
acclamé par une salle enthousiaste. On a donné
aussi Madame Butterfly. D'autres opéras italiens ont
été bien accueillis, Manon Lescaut a fait valoir la
belle voix de M. Zenatello, et Le Trouvère celle
de M. Stracciari.
Le festival musical de Bristol a été intéressant.
Au programme, la Fantaisie fantastique et Lelio de
Berlioz, une symphonie en ut de Mozart et la pre-
mière exécution de Taillefer de Richard Strauss.
La seconde journée a été consacrée à une exécu-
tion de Lohengrin et la troisième à Marino Faliero,
une scène pour orchestre et chœur de M. J. Halle-
rooke, un compositeur anglais de la jeune école,
qui a été favorablement appréciée.
Les concerts-promenades du Queen's Hall ont
pris fin. La nouveauté la plus marquante de cette
longue série d'auditions a été la symphonie de
M. Hamilton Hartz, plus connu dans le monde
musical comme un brillant et distingué accompa-
gnateur. Cette œuvre a fait la meilleure impres-
sion et a bénéficié de comptes-rendus flatteurs.
De multiples récitals ont émaillé la saison
d'automne. MM. Crickboom, Wilhelm Backhaus,
le pianiste F. Lamond et miss Marie Hall ont
charmé de nombreux auditeurs. Mischa Elman,
le violoniste prodige, a fait entendre un nouveau
concerto de Glazounow.
Le 3 novembre prochain, à Queen's Hall, Richard
Strauss conduira sa Symphonia domestica.
N. G ATT Y.
YERVIERS. — Le premier concert de la
Société d'Harmonie se donnait mercredi
18 courant, avec le concours de Mme Nina Falierb-
Dalcrozë, cantatrice des Concerts Colonne et
Lamoureux de Paris ; de Mlle Juliette Wihl, pia-
niste à Bruxelles; de M. Jacques Gaillard, violon-
celliste à Bruxelles, et de l'orchestre de la Société,
sous la direction de M. Louis Kefer.
Ce nous fut un très vif plaisir de réentendre la
charmante diseuse qu'est Mme Faliero-Dalcroze.
Elle a détaillé de sa belle voix souple et étendue
l'air de Suzanne et l'air de Chérubin des Noces de
Figaro de Mozart, et dit de charmantes mélodies
de Saint-Saëns, Brahms et Jaques-Dalcroze.
Mlle Juliette Wihl est une pianiste d'avenir.
Avec une belle vaillance, la jeune artiste a inter-
prété la Fantaisie hongroise de Liszt pour piano et
orchestre et fait preuve de grandes qualités de
virtuose dans l'exécution de pièces pour piano
seul de Schumann, Liszt et Godard. Les Variations
symphoniques de Boëllmann et le très beau poème
de V. Vreuls ont fourni à M. Jacques Gaillard
l'occasion de nous prouver qu'il est resté l'artiste
probe et consciencieux que l'on connaît.
L'orchestre a fourni une exécution bien
nuancée, homogène et colorée de l'Ouverture pour
Faust et de la Huldigungsmarch de R. Wagner et du
Triptyque symphonique de Jan Blockx, que nous
entendions pour la première fois à Verviers, et
LE GUIDE MUSICAL
695
dont les première et troisième parties nous ont
vivement intéressé. E. H.
NOUVELLES
Il a failli se produire un gros procès entre
M. Albert Carré et le spirituel et mordant Willy,
c'est-à-dire M. Gauthier- Villars. Willy avait, dans
une chronique un tantinet taquine, laissé entendre
que, pour se faire jouer à l'Opéra-Comique, il fallait
avoir fait un gros héritage qu'ainsi deux jeunes
auteurs. MM. Sylvio Lazzari et Chapuis, n'ayant
pas d'oncle d'Amérique, attendaient depuis long-
temps sous l'orme que M. Carré voulût bien don-
ner leurs partitions acceptées depuis longtemps.
M. Carré, tout d'abord, à mal pris la chose, ce
qui se comprend, et il a assigné M. Gauthier-
Villars en 100,000 francs de dommages-intérêts.
Mais Willy s'est empressé de donner satisfac-
tion à M. Albert Carré. Dans une lettre au Figaro,
il s'explique ainsi :
« Dans l'exploit que j'ai reçu de l'avoué Cahen,
le directeur de l'Opéra-Comique prétend que je
l'ai accusé de chantage, ce qu'il serait bien en
peine de prouver... Je lui ai simplement reproché
de ne pas jouer certaines pièces après les avoir
reçues : il n'est pas le seul.
» Mais comment auraits-je pu accuser M. Albert
Carré de vénalité alors que je le sais, sous ce
rapport, inattaquable... ? »
Ayant lu cette lettre, M. Carré s'est empressé de
son côté d'écrire au Figaro ceci :
« Mes conseils, d'accord avec mon propre senti-
ment, estiment que puisque M. Willy a reconnu
son erreur, il n'y a plus lieu de la lui démontrer
devant un tribunal.
» Je le regrette un peu. C'était une occasion de
m'expliquer sur le cas de M. Lazzari et sur celui
de M. Chapuis et de rétablir la vérité. Ce sera
pour une autre fois. »
Donc, il n'y aura pas de procès.
Félicitons les deux parties en cause.
— Ses insuccès d'estime ne découragent pas
M. Siegfried Wagner, et il persévère à vouloir se
créer une situation comme compositeur. On a joué
le i3 octobre, à Hambourg, son troisième ouvrage,
Brader Lustig. qu'on pourrait traduire par Frère
Jovial. Le sujet est encore une fois emprunté aux
légendes des frères Grimm, notamment au conte de
l'Empereur Othon à la grande barbe et à la Nuit de Saint-
André. L'action se passe au dixième siècle, dans
une petite ville de Franconie. D'après les croyan-
ces populaires, la nuit du 3o novembre au 1er
décembre, qui suit le jour de la fête du saint,
renferme des heures bénies pendant lesquelles les
jeunes gens et les jeunes filles peuvent voir leurs
épouses et époux futurs sous forme de fantômes.
Le personnage principal, ce Bruder Lustig, autre-
ment dit Frère Jovial, ne quitte guère la scène
pendant les trois longs actes de l'ouvrage. Son vrai
nom est Henri de Kempten, mais, depuis le jour où
un moine, faussement réputé saint, a séduit sa
sœur, il a pris le surnom de Bruder Lustig et s'est
rendu à la cour de l'empereur Othon. Là, il est
apprécié du souverain et de tous à cause de sa
belle humeur. Tombé en disgrâce pourtant, il
regagne la faveur impériale en délivrant son
maître dont la couronne et la vie étaient menacées
pendant une révolte. On dit que la musique est
mieux construite dans Bruder Lustig que dans les
précédents opéras de l'auteur, surtout si l'on
envisage les deux premiers actes. Réservons pour
plus tard l'opinion définitive à émettre sur l'œuvre.
— Au Lyrico de Milan, vient d'avoir lieu la
première représentation, en Italie, du Jongleur de
Notre-Dame de Massenet.
— Au théâtre de la Scala, à Milan, la saison
s'ouvrira, comme d'habitude, le 26 décembre et
durera quelques semaines de plus que de coutume,
pour permettre de poursuivre les représentations
jusqu'à l'ouverture de la future exposition.
Le répertoire comprendra au moins dix pièces,
parmi lesquelles on cite : Fra Diavolo, La Traviata,
La Dame de pique, de Tschaïkowski; Loreley,
d'Alfred Catalani; Resurrezione, d'Alfano, le nou-
vel opéra de M. Alberto Franchetti, écrit sur
l'adaptation lyrique du drame de M. Gabriele
d'Annunzio, La Figlia di Jorio.
Au Théâtre lyrique, la saison durera du Ier octo-
bre au 10 décembre. 0.n n'y jouera que des
œuvres d'auteurs étrangers encore inconnues à
à Milan; entre autres, Manru, de Paderewski, La
Fiancée vendue, de Smetana, et Le Jongleur de Notre-
Dame.
Au théâtre Dal Verme enfin, deux saisons : une
en octobre et novembre, avec Madame Butterfly, La
Juive, Lucrèce Borgia, et deux nouveautés : Albatro,
de Pacchieroti, et Jana, de Virgilio. Le répertoire
de la deuxième saison (Carnaval) comprendra :
Carmen, Mignon, Cendrillon et André Chénier.
— Plusieurs scènes allemandes ou autrichiennes
6g6
LÉ GUlDË MUSICAL
ont commémoré le 5 octobre dernier, par de
brillantes reprises d'opéras d'Offenbach, le vingt-
cinquième anniversaire de la mort du maître célè-
bre. A Vienne, entre autres, le théâtre An der
Wien a monté la Grande-Duchesse de Gêrolstein.
— M. Castelbon de Beauxhostes, le dilettante
opulent et avisé à qui ses compatriotes du Midi
donnent, non sans quelque fierté, la qualification de
« Mécène biterrois », se propose de reprendre, la
saison d'été prochaine, aux Arènes de Béziers, la
Vestale de Spontini. La Vestale, tragédie lyrique en
trois actes, fut jouée pour la première fois à l'Aca-
démie impériale de musique le n décembre 1807.
Ce chef-d'œuvre, refusé d'abord par le jury
de l'Opéra, fut quand même mis â la scène sur
l'ordre de l'impératrice Joséphine, et après des
répétitions qui durèrent une année entière, La
Vestale vit le feu de la rampe et obtint un éclatant
succès, qui se perpétua pendant trente ans. L'ou-
vrage fut repris à l'Opéra le 16 mars 1 85+, puis
abandonné et oublié. Il a toutefois été exécuté
encore assez fréquemment, soit en entier, soit par
fragments, dans les concerts, notamment au Con-
servatoire de Bruxelles, sous la direction de
M. Gevaert, et l'hiver dernier à Lille, sous la direc-
tion de M. Maurice Maquet. C'est Mme Félia Lit-
vinne qui avait repris le rôle de la Vestale.
— Le Centraltheater de Berlin a donné non sans
succès, le 11 octobre dernier, la première représen-
tation d'une légende scénique de Mme Rosa
Dodillet, musique de M.Arthur Peisker, intitulée :
La Petite Princesse Goldtraut.
— L'illustrissime Pietro Mascagni s'attaque à
Euripide. Il se propose, dit-on, de mettre en
musique YAlceste du grand tragique sur une traduc-
tion en vers italiens de M. Ugo Flores. On prétend
qu'avec l'aide d'un savant helléniste, il s'est mis à
étudier sérieusement le grec pour se familiariser
avec ses beautés. Pauvre Euripide !
— Un nouvel cpéra-comique en un acte, La Belle
meunière, sera représenté, au cours de la saison
présente, au théâtre de la Cour, à Cassel. Le
compositeur, M. Otto Dorn, qui a déjà fait repré-
senter deux opéras, Afraja (Gotha, i8ç)i)et Maerodal
(Cassel, 1901), a tiré le texte de son nouvel
ouvrage d'une pièce de Mélesville.
— Un abonné nous écrit pour nous faire part de
son indignation de ce que les orgues de foire et de
carrousel puissent massacrer impunément les chefs-
d'œuvre de nos grands compositeurs, tels que
Carmen, Faust, Les Huguenots, etc., sans parler des
fanfares de la campagne et des orgues-pianos.
Nous partageons tout à fait les sentiments de
notre abonné. Mais qu'y faire? C'est aux auteurs et
éditeurs à interdire, s'ils le veulent, l'exploitation de
leurs ouvrages par les orchestrions, orgues de
Barbarie, et autres mécaniques plus ou moins
musicales.
— Le conseil artistique du Conservatoire de
Saint-Pétersbourg a décidé de fermer cet établis-
sement. On sait l'indignation qu'a causée dans le
personnel enseignant, aussi bien que parmi les
élèves, l'attitude prise par le conseil académique
à l'égard du grand compositeur Rimsky-Korsa-
kow. La mesure qui vient d'être prise est la
conséquense de l'hostilité des étudiants contre le
conseil.
— On a inauguré la semaine dernière à Rouen,
dans le jardin Solférino, un monument élevé par
souscription à la mémoire du gentil chansonnier
Frédéric Bérat, le délicat poète-musicien dont les
succès étaient éclatants il y a une soixantaine
d'années, et dont, entre vingt autres, deux chan-
sons surtout obtinrent une popularité prodigieuse :
Ma Normandie et la Lisette de Béranger, que Déjazet,
qui y était inimitable, promena par toute la
France.
M. Arthur Pougin rappelle dans le Ménestrel, en
quelques mots, la vie de l'aimable -troubadour nor-
mand, qui naquit à Rouen le 11 mars 1801, dans la
maison qui porte le n° 23 de la rue Saint-Étienne-
des-Tonneliers, et qui mourut à Paris le 2 décembre
i855. Son père, qui était négociant, voulait lui
faire parcourir aussi la carrière du commerce, et
lui fit donner une bonne éducation. Il le plaça à
cet effet dans l'institution Sueur, rue des Arsins,
où, comme l'enfant montrait du goût pour la
musique, on lui donna aussi un professeur spécial,
si bien que Bérat devint très fort... sur la clarinette.
Ses études terminées, il fut envoyé à Paris, où il
entra dans la maison Chevreux-Aubertot, qu'il
quitta au bout de sept ou huit ans pour passer
dans les bureaux de M. Mercier, ancien député.
A cette époque, son frère Eustache, son aîné de
dix ans, s'était déjà fait connaître lui-même comme
chansonnier, et avait obtenu des succès avec la
Lanterne magique, le Feu, Colette, J'ai perdu mon
coutiau, etc. Frédéric songea à marcher sur les
traces de son frère, qu'il devait bientôt éclipser.
Tout en faisant consciencieusement son métier
d'employé, il avait appris seul à jouer un peu de
piano, et s'était lié avec Plantade, qui l'avait mis
à même d'écrire et d'accompagner correctement
ses mélodies. Comme il avait une voix agréable,
il commença à se faire connaître dans le monde en
chantant lui-même ses romances et ses chansons,
LÉ GUIDE MUSICAL
697'
et comme elles étaient jolies, elles obtinrent un
succès qui dépassa les bornes de l'intimité.
1 Quelques artistes s'en emparèrent, qui n'étaient
autres que Levassor, Achard, Darcier, Virginie
Déjazet, Mmes Gaveaux-Sabatier, Lefébure-Wély,
Iweins d'Hennin, qui les lancèrent dans le
public. C'est alors que la vogue s'attacha à
tous ces gentils petits poèmes : Bérénice, le Mar-
chand de chansons, Jean le Postillon, Ma petite Toinette,
Fanchette, Mon petit Pierre, les Deux Frères savoyards,
et dans le genre comique, la Noce à mon frère André,
les Quafsous du pHit Nicole, Au diable les leçons! le Petit
Cochon de Barbarie... Mais son double triomphe, ce
fut d'abord Ma Normandie, dont il se vendit plus
de 40,000 exemplaires, et la Lisette de Béranger, à
laquelle il dut l'amitié du vieux chansonnier et
celle de Déjazet, son interprète, qui, deux jours
après la mort de Bérat, écrivait à un ami :
« ... Vous avez appris sans doute la mort de mon
pauvre Bérat ! Hélas! à peine revenue des doulou-
reux événements dont vous avez été le témoin, j'ai
en à verser de nouvelles larmes sur la perte d'un
ami, l'auteur de ma chère / iselle, qu'il m'a fallu
chanter le jour même de cette fatale lettre de
faire part. Aussi ai-je eu toute les peines du monde
à vaincre les sanglots qui à chaque minute venaient
étouffer ma voix. Il en était si fier, de sa Lisette!
c'était la préférée de ses enfants. Le lendemain,
j'ai appris qu'avant de mourir, il avait demandé
Déjazet et Béranger. L'illustre chansonnier a été
plus heureux que moi, il lui a dit adieu ! Si j'avais
été prévenue de suite, je serais allée lui serrer la.
main. Dieu ne l'a pas voulu !... » — ■ Frédéric Bérat
a écrit une centaine de chansons, dont quelques-
unes sont en leur genre de petits chefs-d'œuvre, et
dont certaines sont tout empreintes de tendresse et
d'émotion, parfois d'une véritable mélancolie, tant
au point de vue de la musique que de la poésie,
l'une se mariant d'ailleurs merveilleusement avec
l'autre. Il a donné, sous ce double rapport, une
note bien personnelle et qui n'appartient qu'à lui.
— On a inauguré il y a quelques semaines, à
Castelnaudary, sa ville natale, un monument à la
mémoire du poète Alexandre Soumet, aujourd'hui
bien oublié, mais qui, à l'époque de la Restaura-
tion, obtint d'éclatants succès et peut en quelque
sorte être considéré comme un des précurseurs du
romantisme, avec ses belles tragédies de Clytemnes-
tre, Saiil, Cléopdtre et Jeanne d'Arc. Si ce ne sont pas
là des chefs-d'œuvre, ce sont du moins des œuvres
mâles, d'un souffle dramatique puissant et fertiles
en beaux vers. Soumet a été incidemment mêlé à
la musique. Il fut, avec Ancelot et Guiraud, l'un
des auteurs de Pharamond, représenté à l'Opéra le
10 juin 1825 avec la musique de Berton, Boïeldieu
et Kreutzer, et c'est lui qui écrivit le livret du Siège
de Corinthe, avec lequel Rossini prit possession de
la scène française le 9 octobre 1826. Le buste inau-
guré récemment à Castelnaudary est l'œuvre du
sculpteur M. Guignard.
— L'inauguration du monument de Glinka aura
lieu très prochainement à Saint-Pétersbourg. Le
maître Mili Balakirew a composé, en l'honneur du
fondateur de l'école russe, une cantate (soli,
orchestre et chœurs) qui sera exécutée à cette»
cérémonie.
Ajoutons que notre collaborateur M.-D. Calvo-
coressi travaille à la traduction française du texte
de cette cantate.
— Il s'est constitué à Jesi un comité pour l'érec-
tion d'un monument à l'immortel Pergolèse, à
l'occasion du second centenaire de sa naissance,
le 3 janvier 1910. Beaucoup de villes ont tenté
d'usurper à Jesi l'honneur d'avoir donné le jour au
puissant maître; mais il existe heureusement des
documents irréfutables sur sa naissance et sur sa
mort.
Le comité a commencé à lancer des listes de
souscription et fait un appel à toutes les com-
munes d'Italie, aux artistes dramatiques et lyri-
ques, à tous les Italiens dans tous les rangs de la
société, de façon que chacun concoure à éterniser
par le marbre cette gloire de l'Italie.
— La profession de cantatrice américaine n'a
rien que de fort agréable, si l'on s'en rapporte aux
journaux d'outre-mer. Ceux-ci nous apprennent en
effet qu'une des artistes les plus renommées des
Etats-Unis, MUe Liliann Blauvelt, vient de signer
un traité qui lui assure des appointements de
10,000 francs par semaine pour quarante-deux
semaines à l'année. Et comme ledit traité a une
durée de six ans, c'est une somme totale de 2 mil-
lions 5 20 mille francs que la cantatrice aura
encaissée à la fin de son engagement.
— Faut-il le dire? Le musée de l'Opéra de Paris
vient de s'enrichir d'une paire de bretelles ayant"
appartenu à Rossini. Elles lui avaient été offertes
par une admiratrice. Elles sont en soie blanche et
brodées en couleur à la main par un très curieux
point de chenille. Dans des fleurs sont enlacées les
lettres R. J. (Rossini, Joachim) et J. N., chiffre
de la donatrice. Ces bretelles n'ont jamais été
portées et ont été conservées longtemps dans la
famille de Rossini.
698
le guide musical
BIBLIOGRAPHIE
Emile Baumann. — Les grandes formes de la musi-
que. L'œuvre de Camille Saint-Saëns. — Paris,
Ollendorff, 1 vol. in-12.
Si jamais livre fut conçu avec enthousiasme,
écrit avec amour et parfait avec un raffinement de
dilettante subtil et essentiellement lettré, c'est bien
celui-là, dont on comprend que l'auteur ait eu
peine à se détacher, comme d'un beau rêve, et qui
nous fait, en effet, à la lecture, l'effet d'un rêve,
pénétré et échauffé par le rayonnement d'une
seule œuvre et d'un seul artiste : M. Camille Saint-
Saëns. En vain les grandes « formes » de la musi-
que (symphonies, drames lyriques, compositions
de piano ou d'orchestre, mélodies ou oratorios ..)
sont-elles définies et mises en relief, avec les traits
caractéristiques des maîtres de l'art qui les ont
illustrées, depuis Bach ou Palestrina, depuis Gluck
ou Beethoven, un seul maître, une seule intelli-
gence créatrice domine tout, dépasse tout, est le
sommet et l'aboutissant de tout, M. Camille Saint-
Saëns.
Et sans doute, il est la cause seule et la raison
d'être même de ce livre, et toutes les considéra-
tions annexes, les regards sur le passé, les conclu-
sions sur le présent, ne sont là que pour mieux
faire ressortir et mettre en valeur son oeuvre à lui
et le génie dont elle est sortie. Mais je ne sais si
l'auteur s'est bien rendu compte de ce que l'effet
produit sur le lecteur pouvait être excessif et
dépassait assurément sa pensée. Il semble un peu
que chacune de ces formes de la musique, si
variées qu'elles soient, ait dû attendre sa pleine et
définitive expression jusqu'au jour où le maître
français y a attaché sa pensée, et que, entre les
mains des maîtres précédents, elle ne se soit déve-
loppée que comme une suite de préparations. Et
je n'ai pas besoin d'insister sur ce que cette imagi-
nation'offre de paradoxale. M. Baumann n'y a pas
pris garde à cause de son émotion même et de sa
joie « dans l'analyse, parfois volontairement
abstraite, des œuvres qu'il voulait présenter à l'ad-
miration du lecteur.
» Il nous aurait déplu, dit-il, qu'au lieu de réflé-
chir sur le courant d'une synthèse lyrique l'ordre
vivant des formes, la vibration émue des images
sonores, cette étude ressemblât aux réductions de
pierres des cathédrales, que les statues du moyen-
âge retiennent entre leurs mains. En un sens, pour-
tant, abstraire est une nécessité bienfaisante :
une courte phrase générale, quand elle condense
une somme de faits, peut être plus grosse de vie
que des milliers de sensations notées bout à bout..»
M. Baumann en note beaucoup, cependant, de
ces sensations, et avec une acuité d'analyse et de-
définition musicales qu'il est rare de trouver au
même degré dans les ouvrages de critique d'art.
Cetteanalyse est d'ailleurs essentiellement littéraire,
comme je l'ai dit, et ce n'est pas le moindre prix
de ce volume d'être rédigé par un éciivain. Peut-
être trouvera-t-on un peu subtile parfois l'expres-
sion de la définition analytique, un peu précieuse
de forme, mais l'image est généralement juste. Tel'
ce passage curieux, à propos d'un motif bien connu-
de Samson et Dalila :
« L'abondance des imitations, des mouvements
contraires, prête à des idées très simples une extra-
ordinaire ampleur. Sur Ah ! réponds à ma tendresse,
la circulation lente et complexe des cordes semble
répéter à l'infini, dans des miroirs flamboyants, la
forme de Dalila... Dans les Cygnes de la Nuit fi er-
sune,les premiers violons sont divisés en trois parties,
les deuxièmes aussi, les violoncellistes en quatre ;
des quintes et des sixtes clapotent fragmentées
entre ces palpitations innombrables, comme les
ondes d'un lac, où des ailes humides éparpilleraient
une rosée de lumière. »
Ces citations peuvent suffire, entre bien d'au-
tres, à caractériser le style de l'auteur et son
attrait particulier. Il est plastique plus encore que
littéraire, et ce jugement sur Mendelssohn le
prouve bien : « Ses phrases ont Pair dessinées
d'après l'ovale d'une Joconde : grasses, avec de
molles flexuosités, et comme trempées dans l'or
bruni d'un crépuscule. » Plus d'un de ces juge-
ments est formulé d'une façon heureuse, discutable
parfois, personnelle en tous cas, et laisse entendre
une connaissance sérieuse de l'ensemble des
œuvres musicales. Mais cette connaissance est
surtout infinie quand il s'agit de M. C. Saint-Saëns,
et le fruit qu'on peut tirer de cette étude d'une
masse d'oeuvres aussi intéressante que variée doit
rendre indulgent pour ce que son appréciation offre
souvent d'excessif, on serait tenté de dire : d'un
peu naïf aussi. Mais quoi ! d'autres exemples ont
montré qu'on ne comprend bien et qu'on n'expli-
que bien que ce qu'on admire bien.
H. de C.
Ad. Aderer. — Hommes et choses de théâtre. Paris,
Calmann-Lévy, 1 vol. in-12.
Ce volume essentiellement documentaire, — car
il renferme surtout les interviews personnels, les
lettres inédites, les recherches originales qui ont
eu pour occasion telle première représentation ou
telle reprise de pièce, telle mort d'écrivain, et que
M. Adolphe Aderer a publiés successivement dans
LE GUIDE MUSICAL
<?99
le Temps, avec ses propres notes de témoin sagace
et fureteur, — contient peu de pages relatives à la
musique. La principale est relative à une conver-
sation avec Zola, en 1897, T^ a servi de texte, en
partie, à l'article récemment publié ici par
M. Julien Torchet. Bien d'autres cependant peu-
vent intéresser les musiciens comme les amateurs
de théâtre, car le champ est vaste, les renseigne-
ments inédits nombreux et variés, et toujours soi-
gneusemeut datés. De Balzac à Catulle Mendès,
de Victor Hugo à Coppée, de Musset à Paille ron,
de Ponsard à Sardou, de l'un à l'autre Dumas...
tout le théâtre français moderne est à peu près
représenté. Signalons encore une page de musique
bien curieuse : certaine réponse de M. V. Sardou
au sujet d'un opéra, d'un drame lyrique à spec-
tacle qu'il aurait rêvé de donnera M. Massenet,
en puisant dans Y Odyssée d'Homère : « Quels beaux
opéras et quelles belles féeries dans ce vaste
poème !... Et comme le talent descriptif de
Massenet y pourra trouver son compte ! »
H. de C.
— Album pour enfants petits et grands. (Paris, édi-
tion mutuelle).
Voici un recueil édité par la Schola Cantorum et
qui contient des pièces à deux ou à quatre mains,
signées par chacun des musiciens de ce groupe
d'art. Il est difficile de parler en détail de tous les
morceaux réunis sous la charmante couverture en
couleurs dessinée par M. Maurice Denis. MM. Vin-
cent d'Indy, Bordes, de Bréville y voisinent avec
les meilleurs élèves de l'école (dont certains déjà
en passe de devenir des maîtres) et aussi avec des
débutants ou presque, tels que Mlle Delva, M. Jean
Gay et quelques autres, à qui il faut souhaiter de
bien continuer une carrière commencée sous de
tels auspices.
Il faut signaler spécialement (puisqu'on ne peut
mentionner tout) la spirituelle fantaisie de M. Al-
beniz Yvonne en visite, une jolie page de M. Estienne
et l'exquis Soldat de plomb de M. Déodat de Séve-
rac. Tout le recueil, d'ailleurs, vaut d'être lu et
intéressera bien sûr non seulement les jeunes pia-
nistes, à qui il est destiné, mais aussi quiconque le
feuillettera. M.-D. C.
pianos et tbarpes
trarù
Bruxelles : 6, rue Xambennont
paris : rue ou flftail, 13
— mi h ii m mu ii ■■■"" ■■■■
NÉCROLOGIE
De Toulouse, on annonce la mort, après une
longue maladie, de M. Alphonse Moulinier, fon-
dateur et directeur de h 'Art méridional. Intelligence
très vive et très ouverte, M. Moulinier, après avoir
exercé pendant quelque temps la profession
d'avocat, s'était entièrement dévoué à l'art et
avait pratiqué tout à la fois avec talent la sculpture
et la musique. Comme sculpteur, il avait exposé
plusieurs fois au salon, et on lui doit, entre autres,
les bustes de plusieurs artistes, le pianiste Arthur
De Greef, le violoniste Petchnikoff, M. Georges
Fevdeau, etc. Comme compositeur, il a produit
de nombreuses romances, diverses œuvres instru-
mentales et la musique d'un ballet, Cyris et Mintha,
qui fut représenté à Toulouse, sur le théâtre du
Capitole, en 1901. M. Moulinier était âgé de
cinquante ans.
— De Naples, où il était professeur au Conser-
vatoire, on annonce la mort du pianiste Ferdinandô:
Bonamici, qui était aussi un compositeur de talent.
Entre autres ouvrages, il s'est fait connaître par
trois opéras : Lida Wilson, représenté à Pise en
1878, Cleopatra, donné à la Fenice de Venise en
1879, et Un matrimonio nella lima.
— Le compositeur néerlandais Henri Brandts-
Buys, qui a été pendant de nombreuses années
directeur de la société chorale Oefening Baart
Kunst, à Amsterdam, vient de mourir à Ede, à
l'âge de quarante-sept ans.
— On nous annonce de La Haye la mort, à
l'âge de quatre-vingt-deux ans, du violoniste Louis
Offermans, mari de la cantatrice bien connue
M me Offermans- Van Hove et qui a été pendant de
nombreuses années premier violon à l'Opéra royal
de La Haye.
7oo
LE GUIDE MUSICAL
REPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPERA. — Tannhâuser ; Samson et Dalila ; La Ma-
ladetta ; Le Freischùtz (reprise) ; Le Jugement de Paris
(symphonie, première audition) ; Roméo et Juliette.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Barbier de Séville; La
Fille du régiment; Lakmé ; Cavalleria rusticana;
Mireille; Louise; La Vie de Bohème; Carmen; Wer-
ther ; Le Barbier de Séville ; Cavalleria rusticana.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE.— Manon;
Louise; Les Huguenots; Lakmé; Hamlet; Faust;
Hérodiade; Le Postillon de Lonjumeau.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Samedi 4 novembre. — A 8 ^ heures, à la Grande
Harmonie, premier concert Delune, avec le concours
de M. Eug. Ysaye.
Dimanche 5 novembre. — A 2 Y<i heures, audition popu-
laire du même concert, à l'Alhambra.
Lundi 6 novembre. — Salle Erard, séance Alberto
Bachmann, violoniste, et Sidney Vantyn, pianiste.
Mardi 7 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
Mme Fernande Kufferath, violoncelliste, avec le con-
cours de M. Henri Seguin, baryton.
Jeudi 9 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
Mme Auguez de Montalant, cantatrice; MM. Cornelis
Liégeois, violoncelliste, et Ricardo Vinès, pianiste.
Jeudi 9 novembre. — A la salle Erard, premier concert
du Cercle du quatuor vocal et instrumental. Au pro-
gramme : Trio de Tschaïkowsk-y et Sonate de Paul
Juon (première exécution), ainsi que des mélodies et
duos de Rubinstein et Tschaïkowsky. Pour terminer, le
« Minespiel » de Schumann et la deuxième Suite de
S;hutt.
Jeudi 16 novembre. — A la Grande Harmonie, récital
de piano Mark Hambourg.
ANVERS
Concerts populaires, sous la direction de M. Constant
Lenaerts. Programme : 1. Faust-Ouverture (R. Wagner);
2. a\ Memorare, à quatre voix (E. Wambachl ; bj Gloria
de la Missa Papae Marcelli (G. -P. da Palestrina);
cj Ronde Bretonne, à huit voix (L.-A. Bourgault-Ducou-
dray); dj Chanson joyeuse de Noël, xvuie siècle (F. -A.
Gevaert); 3. Faust-Symphonie (en trois parties, d'après
Goethe), pour orchestre, orgue, ténor solo et chœurs
(F. Liszt). Ténor solo : M. C. Willen.
Mercredi 8 novembre. — A 8 heures, concert d'orgue,
au Jardin Zoologique d'Anvers, par M. L. Vilain. Pro-
gramme : 1. Prélude et fugue en la mineur (Bach);
2. Concerto en ré (Haendel); 3. Sonate en fa (Mendels-
sohn); 4. Allegro de la cinquième symphonie (Widor);
5. Symphonie en ré mineur pour orgue et orchestre
(Guilmant).
GAND
A CAPELLA GANTOIS
Programme général des Auditions :
Le 3 décembre 1905. — Exécution de la cantate
d'église « Gottes Zeit » de J.-S. Bach (soli, chœurs et
orchestre).
Le 14 janvier 1906. — Audition consacrée aux œuvres
du maître français L.-A. Bourgault-Ducoudray.
Le 4 mars 1906. — Audition consacrée aux œuvres de
G. -F. Haendel, avec le concours de M. Franz De Vos,
pianiste.
Le 29 avril 1906. — La musique populaire flamande.
Les concerts auront lieu, à 5 J-£ heures précises, au
local du Cercle Artistique et Littéraire, Rempart Saint-
Jean, à Gand.
S'adresser à la maison Beyer, 14, rue Digue de Bra-
bant, Gand.
LYON
SOCIÉTÉ DES CONCERTS
Mardi 28 novembre. — Premier concert (soirée), avec
le concours de M. E. Ysaye, pianiste.
Dimanche 24 décembre. — Deuxième concert (mati-
née), avec le concours de Mlle de la Rouvière et des
chœurs de la Schola Cantorum Lyonnaise. Exécution
Rue de l'Ecuyer, 46-48
BRUXELLES *~ téléphone 1902
J. B. KATTO
Editeur de musique
Viennent «le Paraître :
C. Lecail. - patrie Radieuse
Chœur à 2 voix avec accompagnement de Piano, de Symphonie ou d'Harmonie
Partition Fr. 3 — Chaque partie .... Fr. o 5o
J. Rayée. - La Chanson Populaire
DE L'HISTOIRE DE BELGIQUE DEPUIS CÉSAR JUSQU'A NOS JOURS
Partition Fr. 4 — Libretto Fr. 1 —
Mise en scène pour fêter le Jubilé National de 1905
LE GUIDE MUSICAL yoi
rection de Concerts
TKOPF ET H>ERTEI_
Montagne de la Cour, 45, BRUXELLES
La maison se charge de l'organisation
des concerts
a TITRE GRACIEUX
Correspondances avec Londres, Paris, Berlin, Leipzig,
Munich, Amsterdam.
SCHOÏÏ FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
BUREAU DE CONCERTS
Directeur : C. FICHEFET
Arrangement et organisation de concerts et de tonrnées pour la Belgique et
l'étranger. — Engagements pour tous pays. — Représentant pour la
Belgique, des principales agences de l'étranger.
ené Devleeschouwer
organisateur
d'Auditions Musicales
30, rue des Eburons
(Quartier Nord-Est)
BRUXELLES
SANDOZ, JOBIN & Cie
Office international d'Edition XvÊvisiosile et Agence Artistique
PARIS LEIPZIG NEUCHATEL (suisse)
28, Rue de Bondy 94, Seeburgstrasse 3, Rue du Coq d'Inde
VIENT DE PARAITRE :
LE CHANSONUIER JAQUES -DALCHOZE
Ce chansonnier est en vente chez les Editeurs et
dans tous les magasins de musique au prix de
OPINION DE LA PRESSE :
3 FR. NET
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N<>. 101. Le cœur de ma mie.
«
4— *■
(Tiré des Chansons populaires.)
E. Jaques-Dalcroze
■h:
Le cœur de ma mie est pe-tit, tout pe
pe-tit; J'en ai l'a -me ra-vie, mon a - mour
rem-plit.
PIANOS PLEYEL
Agence générale pour la Belgique
0©9 Rue Royale» à Bruxelles
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Médaille d'Or à l'Exposition Universelle de Paris 1900
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(ENTRESOL^ BRUXELLES
STEINWAY & SONS
NEW-YORK — LONDRES — HAMBOURG
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F R. M U SO H
SS4, rue Royale, »»4
5iâe année. — Numéro 4.5.
5 Novembre igoS.
LA
FACTURE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
EN BELGIQUE
(Suite. — Voir le dernier numéro)
CLAVECINS ET PIANOS
LE grand centre de la facture des
clavecins dans nos provinces est
Anvers, où s'illustra le génie des
Ruckers.
L'efflorescence de cette industrie chez
nous coïncide avec la vogue presque
subite de l'instrument, remplaçant l'an-
tique clavicorde. La construction des
clâvicordes et des premières épinettes
constituait simplement une branche de la
facture d'orgue; mais dès la moitié du
XVIe siècle, le clavecin absorbe à lui seul
l'activité de nombreux et renommés arti-
sans, et c'est à ce moment que les Ruckers
entrent en scène.
Ils sont quatre : Hans « le vieux » (vers
i555-i5g8) et ses fils Hans, dit Jean, « le
jeune » (1572-1642?), et André « le vieux »
(1579- après i65i), enfin, le fils de ce der-
nier, André «le jeune » (1607- ?) (1).
L'Italie, l'Allemagne et les Pays-Bas
comptaient à ce moment un grand nombre
de facteurs renommés ; mais le plus célèbre
(1) Rappelons ici le nom de ce mystérieux Christophe
Ruckers (de Termonde ?), homonyme, compatriote, con-
frère et contemporain des Ruckers d'Anvers, avec les-
quels sa parenté n'a pu être établie et dont on ne con-
naît que deux clavecins.
fut Hans Ruckers, auquel le clavecin dut
ses plus notables perfectionnements : em-
ploi combiné des cordes de cuivre et
d'acier ; extension du clavier vers le grave ;
incorporation, à l'instrument ordinaire,
d'une octave aiguë (représentée jusque-là
par une épinette que l'on plaçait au-dessus
du clavecin), les deux claviers, réunis dans
le même instrument, pouvant être combi-
nés au moyen d'un registre à traction. On
attribue également à Hans Ruckers l'adap-
tation au clavier des registres de l'orgue,
correspondant à divers jeux ou systèmes
indépendants de sautereaux fournissant
chacun des timbres particuliers ; de même
(mais plus dubitativement encore) pour la
division du clavier par quarts de tons et
l'approfondissement de la caisse.
La renommée de Hans Ruckers s'étendit
aux autres facteurs du nom, particulière-
ment à ses fils Jean et surtout André « le
vieux » (dont Hasndel utilisa un grand cla-
vier, actuellement au South Kensington).
Les clavecins des Ruckers (construits dans
les deux formats alors en usage, à queue et
oblong) se distinguent non-seulement par
leurs exceptionnelles qualités musicales, la
rondeur et la richesse du timbre, dues
notamment au soin apporté à la construc-
tion de la table (choix du bois, gradation.
704
LE GUIDE MUSICAL
dans les épaisseurs, etc.), mais aussi par le
luxe extérieur, qui occasionna malheureu-
sement la perte de tant d'instruments de
ce temps. Pour orner les leurs, les Ruckers
employaient les procédés les plus coûteux
et les plus raffinés et faisaient appel aux
artistes les plus renommés de leur temps
(on cite un Jean Ruckers décoré par
Rubens), tandis que Plantin leur fournis-
sait ses jolies frises imprimées, ses fonds
en imitation de bois; puis, ce sont des
sculptures pleines de goût, c'est l'illustra-
tion traditionnelle des tables, ornées de
fleurs, d'insectes et d'oiseaux peints à
l'aquarelle et percées de la rosette habi-
tuelle, les devises religieuses ou philoso-
phiques, etc.
Le luxe des claviers de Ruckers corres-
pond à la qualité de leur clientèle. Ils
étaient les fournisseurs des riches et des
grands et vendaient leurs instruments jus-
que 3,ooo francs, somme énorme pour
l'époque. Leur renommée s'étendait bien
au-delà des Pays Bas (ils exportaient dans
tous les pays de l'Europe occidentale et
jusqu'en Orient) et elle persista bien après
eux. La plupart des instruments, au nom-
bre d'une septantaine environ, qu'il nous
ont laissés, portent la trace de remanie-
ments plus ou moins nombreux, d'après
des perfectionnements imaginés ultérieu-
rement : on préférait remanier et abîmer
les vieux Ruckers que d'acquérir des
instruments nouveaux. — Au surplus, les
Ruckers eux-mêmes travaillaient, pour
ainsi dire, empiriquement et d'inspiration,
comme les grands luthiers; on ne trouve
pas deux de leurs instruments semblables
l'un à l'autre, non-seulement dans le décor,
mais aussi dans l'ordonnance intérieure.
Nous avons dit qu'Anvers était à cette
époque un des principaux centres de la
facture des clavecins. Du XVIe au xvine siè-
cle, De Burbure n'y compte pas moins
d'une quarantaine de facteurs. En i558,
dix d'entre eux sollicitent leur admission
dans la gilde de Saint-Luc, qui était celle
des peintres, sculpteurs, graveurs, librai-
res, etc. On en avait déjà reçu quelques-
uns antérieurement, mais en qualité d*or-
nemanistes, tandis qu'à partir de i558, ils j
forment une section spéciale de la gilde, \
avec un règlement particulier, — un de ces
règlements corporatifs qui assuraient en ce
temps, avec la conservation des procédés,
la dignité et la maîtrise professionnelles.
Parmi eux, il faut citer en première ligne
Jean Couchet (mort en i655), gendre de
Hans Ruckers, dont il atteignit presque
la renommée, grâce à de notables per-
fectionnements. Jusque-là, dans les cla-
vecins à double clavier, le clavier supé-
rieur, s'il ne commandait pas Yottavina,
servait de transpositeur. C'est Couchet,
dit-on, qui imagina de lui confier les mêmes
intonations qu'au clavier inférieur, mais
sur une seule corde, au lieu des deux ou
trois de ce dernier, pour ménager des alter-
nances de piano et de for te : procédé adapté
ensuite à tous les clavecins existants. La
renommée de Jean Couchet devait s'éten-
dre au loin, car il livra un clavecin à deux
claviers à Chambonnières (le fondateur de
l'école française du clavecin) et Vander
Straeten découvrit à Madrid une rosette à
sa marque.
A Anvers encore, on compte, au xvie siè-
cle : Chr. et M. Blommesteyn, Eew. ou
Ed.Wolfaert,J. et A. Aelbrechts, P. Voren-
berch et G. Carest (d'origine colonaise),
Hans Van Ceulen (de Cologne?), qui livre
en i5i2 un clavicenon à Eléonore d'Autri-
che [laquelle achète en i5o8 un clavecin à
Ant. Moers (1)]. J. Van Peborg, J. Die-
ricxen, G. Gompaerts, L. Van Diepenryck,
L. Grouwels ou Grouwelus [dont on a un
clavecin avec le clavier d'octave situé à côté
du clavier principal, disposition dont trois
spécimens seulement existent encore (2)],
(1) Ce « Moers » était sans doute apparenté avec un
Marc Moers, à Lierre, qui fabrique un clavicorde pour
Charles-Quint (voir ci-dessous, facteurs d'orgues).
(2) De Burbure cite un « Hans Growuels » entré en
1579 dans la gilde de Saint-Luc et dont Snoeck possédait
un clavecin ; nous ne nous expliquons pas le silence
des historiens sur Louis Grouwelius, dont le clavecin
cité ci-dessus est à New-York, tandis qu'un autre est
conservé au South Kensing'ton à Londres.
LE &UIDÈ MUSICAL
7o5
Àrn. Van der Elst, G. Leest et Alb. Van
Neer (originaires de Juliers), Gh. Van den
Bogaerde (de Gand), H. Moermans,
S. Moyns, Hans Bos ou Bossius, M Van-
der Biest, L. et J. Theeuwes ou Teeus, qui
livre un claviorganum à la cour de Ferrare;
au XVIIe siècle, D. Bader (d'abord facteur
d'orgues, puis de clavecins, originaire de
l'Allemagne, où il retourne par la suite),
Thomas VVatson (un nom de consonnance
anglaise), C. et S Haghens, M. Immenraet
(Allemand), A. Joannes, R. Leums, Chr.
Pelle, enfin Georges Britsen dont l'atelier,
continué par son fils et son petit-fils, livre
pendant un siècle des instruments très
estimés.
Mais ce magnifique élan ne se soutient
pas et dès le début du xvine siècle nous
voyons le nombre des facteurs se raréfier
et dégénérer leur art. Notons encore J. Van-
den Elssche et Fr. Van Nuffel, à Anvers,
Albert Delin, à Tournai, sur lequel on n'a
d'autres documents que ses instruments
mêmes, datés de 1750 à 1770 et d'assez
médiocre qualité. Une renommée considé-
rable s'attache en ce temps à Mattia de
Gand (1), fiammengo, établi à Rome, qui
bénéficiait de la décadence dans laquelle
était tombée la facture italienne, — laquelle
ne produisait plus guère que des épinettes
pour accompagner le chant, — ainsi qu'au
Hessois J.-D. Dulcken, établi à Anvers
vers le milieu du xvnr siècle. Un autre
nom encore s'impose par son vif éclat et
mérite de nous fixer un instant, celui de
Pascal Taskin, le célèbre facteur parisien,
natif de Theux. N'est-il pas intéressant de
constater que la facture du clavecin dans
les pays septentrionaux se limite pour ainsi
dire, à près de trois cents ans de distance,
par des Flamands et des Wallons, ici Tas-
kin, là Ruckers ?
Nous sommes arrivés au tournant le plus
important de l'histoire des instruments à
cordes et à clavier : le clavecin commence
à céder le pas au piano, de plus en plus
(1) On ne sait si « di Gand » traduit le nom de « Van
Gent » ou s'il s'agit d'un sobriquet désignant l'origine
de l'artiste.
perfectionné et qui, malgré l'opposition de
ses détracteurs, gagne chaque jour des
partisans. Il est même curieux d'observer
l'effort du clavecin à se rapprocher de son
rival, non-seulement dans sa forme, plus
rigide et plus lourde, mais aussi dans ses
qualités essentielles, la plénitude sonore et
le nuancement,— comme dans ces clavecins
de Broadwood dont les cordes robustes et
la « jalousie vénitienne » pour les < > font
presque un piano. D'autre part, le principe
même du clavecin, par la multiplication
des registres et des jeux, semblait avoir
atteint son extrême développement ; — « le
clavecin à buffle » de Taskin le porta à son
comble.
Pascal Taskin (Theux 1723-Paris 179,5),
le plus célèbre facteur de son temps, émigra
à Paris et entra dans l'atelier de F.-E. Blan-
| chet (1), auquel il succéda, et dont il épousa
plus tard la veuve. En 1768, il imagina
son clavecin « à buffle », pourvu, outre
les combinaisons usuelles, d'un rang de
sautereaux garnis, non de pointes de plu-
mes de corbeau, mais de plectres de cuir :
effet nouveau qui valut à l'inventeur un
succès considérable (2). Il s'avisa en outre
de soumettre le mouvement des jeux de
buffles et de plumes à un tirant mû par le
pied de l'instrumentiste, de manière à pro-
duire, sans changement de clavier ni trac-
tion de registre, des modifications graduées
du timbre. Enfin, en 1776, il construisit un
(1) Vander Straeten, renversant les rôles, fait erroné-
ment de Blanchet l'élève de Taskin.
(2) «... Il en résulte des sons veloutés et délicieux. . .
En appuyant plus ou moins fort sur le clavier, on obtient
des sons nourris, moelleux, suaves ou plutôt voluptueux
pour l'oreille la plus épicurienne. Désire-t-on des sons
passionnés, tendres, mouvants? Le buffle obéit à l'im-
pression du doigt ; il ne pince plus, mais il caresse la
corde; le tact enfin, le tact seul du claveciniste suffit
pour opérer alternativement, et sans changer de clavier
ni de registre, ces vicissitudes charmantes. » (Trou-
flaut, Lettre sur lés clavecins en peau de buffle, inventés par
M Pascal Taskin) . On voit ici la préoccupation domi-
nante de l'époque, la recherche d'une souplesse expres-
sive plus grande dans les instruments à cordes et à cla-
vier, desideratum que seul le piano devait réaliser.
— Taskin imagina encore, en 1790, YArmandine, sorte de
harpe-psaltérion (au Musée du Conservatoire de Paris),
706
LE GUIDE MUSICAL
piano-forte qui, soumis à une commission
académique, lui valut de vifs éloges et
excita l'intérêt de Couperin et de Balbâtre.
Le facteur du roi, Chiquelier, étant décédé
en 1772, Louis XV fit proposer ces fonc-
tions à Taskin, mais celui-ci refusa pour
pouvoir se consacrer entièrement à ses tra-
vaux et, se trouvant sans descendance, fit
accepter à sa place son neveu et élève
Pascal-Joseph (1).
Pendant ce temps, la facture instrumen-
tale déclinait de plus en plus chez nous,
nous l'avons dit. Les catalogues nous trans-
mettent quelques noms : J.-P. Bull, élève
de Dulcken, et J. Heineman (facteur aveu-
gle) à Anvers, P.-D. Boder, Van Casteel
(ou Vanden Casteele) à Bruxelles, J. -F. Ma-
theus à Aerschot. La veuve de Dulcken,
ne parvenant plus à vendre ses instruments
à Anvers, vient s'établir à Bruxelles sans
plus de succès et finit obscurément (2). On
commençait aussi à fabriquer dans le pays
le « piano carré » de Frederici. Mais cla-
vecins et pianos arrivaient en foule de
Suisse, de Hollande, de France, d'Allema-
gne, d'Autriche, surtout d'Angleterre. Les
fabricants indigènes réclamèrent des droits
protecteurs et satisfaction leur fut donnée
en 1786 par l'imposition du droit exorbi-
tant de i3o florins pour chaque instrument
de provenance étrangère entrant dans les
Pays Bas. On voit que les protectionnistes
du temps n'y allaient pas de main-morte.
Au surplus, les grands événements politi-
ques tout proches ne devaient pas permettre
(1) Né à Theux en 1750, mort à Versailles en 1829.
Arriva en 1763 à Paris pour travailler dans l'atelier de
son oncle, dont il devint rapidement le meilleur élève
et occupa les fonctions de facteur du roi depuis 1773
jusqu'à la Révolution. Il épousa la fille de Blanchet
(dont son oncle avait épousé la veuve), qui lui donna
deux filles et deux fils : Antoine-Joseph, 1778-18 10, qui
embrassa la carrière des armes, et Henri-Joseph, 1779-
i852, claveciniste précoce, compositeur de trois opéras
demeurés inédits et qui s'essaya dans l'historiographie
musicale.
(2) Constant Pierre relève, parmi les facteurs de cla-
vecins parisiens entrés de 1783 à 1785 dans la corpora-
tion, un Louis Dulcken, en 1783 rue Vieille du Temple,
en 1788-1789 rue Mauconseil.
longtemps aux facteurs belges de recueillir
les fruits de la sollicitude gouvernementale.
Quant à la gilde de Saint-Luc à Anvers,
elle ne comptait plus, en 1740, que trois
membres de notre industrie, auxquels on
continuait néanmoins d'appliquer le règle-
ment corporatif. Quelques années après,
l'intéressante institution était emportée
dans le tourbillon révolutionnaire.
Parmi ceux qui fabriquèrent chez nous
le piano carré, pendant la période troublée
de la domination française, notons Louis
Fétis à Mons (1) et, à Bruxelles, Adrien et
M. Bremers, lequel fabriquait aussi le cla-
vecin « à buffle » et qui prit l'initiative de la
requête en faveur des droits protecteurs ;
Symph. Ermel à Gand, Eugène et Philippe
Ermel à Mons, — ce dernier établi plus
tard à Bruxelles avec le titre de « facteur
de la Cour du prince d'Orange ».
A partir de la Restauration et plus
encore à partir de la constitution du
royaume de Belgique, la facture indigène,
suivant la progression générale de l'indus-
trie nationale, prend un essor de plus en
plus vif et, la facture allemande n'ayant
pas encore commencé le mouvement qui
Ta conduite à un si remarquable dévelop-
pement, Fétis put en toute vraisemblance
écrire, en i855, que « les pianos belges
seuls soutiennent la comparaison avec les
français ». Le piano-buffet ou pianino de
Hawkins (1800), se répandant peu à peu,
avait écourté la carrière du piano carré
et nos constructeurs, avec leurs concur-
rents étrangers, entreprirent le nouveau
modèle. Vers la moitié du XIXe siècle, on
cite les Berden, les Vogelsang, les Stern-
berg, Gunther, Groetaers, Hoeberecht et
Lichtenthal, « dont les produits, en ce
genre, sont aussi estimés que ceux des
Allemands ». (Pontécoulant.) L'activité
se manifeste par une surabondance d'in-
ventions de tous genres patentées par les
(1) L'auteur de la Biographie universelle ne souffle mot
de ce facteur, — un confrère en art, concitoyen, con-
temporain et homonyme, qu'il n'a pu ignorer.
LE GUIDE MUSICAL
707
prénommés, ainsi que par les Fauvielle,
Florence, Aerts, Vandercruyssen, Damme-
kens, Fiévet, Lacroix, Rouchette, Trots,
Van Lair, Jaunart, Haffer, Stocker, Themar
et Roll, se rapportant à la construction du
piano : nouveaux systèmes de chevilles,
d'échappements, marteaux renversés, intro-
duction de châssis en fonte ou élimination
de tout métal, jeu « tremblé », transposi-
teurs, disposition nouvelle de la table
d'harmonie, pianos à double clavier, com-
binaison de cordes croisées et de cordes
obliques, etc.
Un des plus intéressants facteurs de ce
temps est Lichtenthal, de Bruxelles, établi
plus tard à Saint-Pétersbourg, avec ses
pianos à cordes obliques, ses buffets petit
format, ses grands instruments à queue à
double table d'harmonie « afin de partager
le poids des cordes » et dont la caisse des-
sine deux courbes rentrantes symétriques
au lieu de la courbe unique du format
usuel, enfin le mécanisme compliqué de
son piano « à sons continus », au moyen
d'archets sans fin, que nous avons déjà eu
l'occasion de citer (1).
[A suivre.) Ernest Closson.
A PROPOS D'ARMIDE
Notules rétrospectives
Puisqu'on reparle d'Armide, puisque Pa-
ris et Bruxelles l'applaudissent con-
curremment et à l'envi en ce moment,
les curieux ne seront peut-être pas
fâchés de savoir à quelle source principale puiser
pour se rendre compte de l'effervescence produite
à Paris en 1777 par l'œuvre du maître allemand, et
des discussions passionnées dont elle fut l'objet,
comme les précédentes. Ce n'est pas une révéla-
(1) Le Geigenwerck du Musée du Conservatoire, IV; voir
Guide musical 1904, p. 405.
tion, tant s'en faut, et il n'est pas un chercheur
qui n'ait, par une fréquente expérience, appris à
interroger le Journal de Paris sur les choses litté-
raires et artistiques de la fin du xvme siècle. Mais
le petit relevé suivant pourra être commode à
l'occasion.
C'est en 1777 précisément que le petit journal
quotidien, de format in-8° carré, fut fondé, et tout
de suite, il entretint ses lecteurs de ce qui était
alors « la question Gluck », et fit campagne contre
La Harpe et les critiques de Gluck. Du 8 mars au
17 juin, on ne compte pas moins de treize articles
ou lettres à propos d'Iphigénie en Auïide (en pleine
vogue depuis 1774) et des opéras du maître en
général : ce sont surtout les cinq lettres de l'Ano-
nyme de Vaugirard, avec les répliques qu'elles
soulevèrent. Mais à partir du 24 septembre, lende-
main de la première représentation d'Armide, c'est
bien mieux encore :
24 septembre. — Compte-rendu de la première
représentation.
27 » Compte-rendu de la seconde.
ier octobre. — Compte-rendu de la troisième
(coupure de la seconde appari-
tion, scène d'Ubalde et du
chevalier danois au quatrième
acte.
12 » Lettre de Gluck à La Harpe
(très importante et très amu-
sante).
16 » Lettre de Fabre à Gluck.
21 » Lettre de Gluck à l'Anonyme de
Vaugirard.
23-26 » Réponse de l'Anonyme (en qua-
tre numéros).
28 » Profession de foi d'un amateur,
à La Harpe.
3o » Lettre à l'Anonyme; autre lettre
d'un ignorant en musique, à
La Harpe.
3i » Lettre aux auteurs du journal.
2 novembre. — Vers à l'Anonyme (ils sont bien
connus :
... Mais tout cela n'empêche pas
Que votre Armide ne m'ennuie.
3 » Vers d'un homme qui aime la
musique et tous les instru-
ments, excepté La Harpe.
Mais, ma foi La Harpe m'ennuie.
3 » Lettre aux auteurs du journal.
9-1 1 » Lettre de l'Anodine de Vaugi-
rard aux auteurs du journal
(en trois numéros. Cet ano-
7o8
LE GUIDE MUSICAL
nyme est tout de même un peu
loquace.)
14 » Vers d'un ignorant, comme les
trois quarts du monde, en
musique, et sans doute en
poésie, mais sensible autant
que personne (voyez le texte
plus loin).
17 » Lettre de Thibaudois de Gobe-
mouche, à La Harpe.
26 » Lettre du serpent d'une paroisse
de village à La Harpe.
28 décembre. — Couplets de Saurin à Gluck
(voyez plus loin).
Ces couplets sont comme la conclusion de cette
campagne ; on y peut joindre d'autres vers, parus
dans le numéro du 10 janvier 1778, et, dans celui
du 12, une « Lettre de MM. les Amateurs à M. le
chevalier Gluck, et réponse de celui-ci ». Il y a
ensuite une petite accalmie, au cours de la nou-
velle année : huit articles au plus, relatifs à des
modifications apportées au dénouement d'Alceste,
ou plutôt au rétablissement de la version Gluck,
corrigée à tort (17 mars); à des reprises à'Iphigênie
(126e, 18 juin; puis 12 juillet, début de la Saint-
Huberti; puis 26 septembre), etc. Mais avec le
19 mai 1779, c'est-à-dire avec Iphigénie en Tauride,
la campagne reprend de plus belle et plus ardente
que jamais ; d'autant que ce n'est plus aux
lullistes, aux partisans d'un musicien plus que
séculaire qu'on a affaire, mais aux piccinnistes, à
ceux d'un musicien bien vivant et bien répliquant.
La guerre devient très vive, très personnelle et
s'étend à toute l'œuvre de Gluck, qui parfois se
voit contraint de répondre lui-même (par exemple
les 18, 27 et 28 juillet) quand on l'accusa d'avoir,
pour Orphée, emprunté un air à B^rtoni, et qu'il
répondit ou fit répondre en donnant l'origine de
son air, un de ses anciens opéras à lui : assertion
longtemps controuvée et parfaitement reconnue
vraie, notamment par M. Wotquenne dans son
récent catalogue thématique des œuvres de Gluck.
Voici — car elles sont moins connues que celles
pour ou contre La Harpe — les deux petites
pièces de vers inspirées par Armide et publiées les
14 novembre et 28 décembre 1777 :
Vers
d'un ignorant, comme les trois quarts du monde,
en musique, et sans doute en poésie,
mais sensible autant que personne
Allemand ou François, qu'importe qui m'éclaire?
Je suis, en fait de goût, neutre sur le pays.
Iphigénie, Orphée. Alceste. ont su me plaire :
A_ Gluck, effrontément, j'ose donner le prix.
Laissez mûrir Armide; Armide, Armide même
Renferme des beautés, et d'un ordre suprême!
Pour l'ancien genre enfin, bataille qui voudra,
A Jacques, Pierre ou Paul, que la palme demeure;
Messieurs de Vaugirarà, La Harpe, et ccetera,
Ou pour, ou contre Armide, écrivez : — moi, j'y pleure.
Couplets
à M. Gluck, par M. Saurin
(Sur l'air : Du haut en bas)
Ton art divin,
Puissant maître de l'harmonie,
Ton art divin
En miracles s'épuise en vain;
Plus tu triomphes, plus l'envie
Montre de fureur et décrie
Ton art divin.
De tous les temps,
Ce fut aventure pareille,
De tous les temps
Laisse dire les mécréans ;
Reine du cœur et de l'oreille,
Ta lyre sera la merveille
De tous les temps.
H. DE C.
Monsieur le Rédacteur en chef,
Dans un récent article de tête sur Armide,
l'un de vos collaborateurs assurait que l'exécu-
tion du chef-d'œuvre de Gluck qui se prépare
au théâtre de la Monnaie sei'ait la première de
l'ouvrage à Bruxelles. C'est une erreur.
Armide, en effet, fut joué déjà au théâtre de
la Monnaie; mais cela remonte assez loin,
à 1823. Une nouvelle direction, celle de
Langle, venait de succéder à la direction de la
basse-taille Benard, qui avait détenu le privi-
lège du théâtre de la Monnaie depuis 181c. La
nouvelle direction tint à honneur de se dis-
tinguer par l'éclat donné aux spectacles, et cette
année 1823 fut, en effet, l'une des plus remar-
quables qu'ait connu le théâtre de la Monnaie
dans le passé. La saison, ouverte le 21 avril,
fut marquée par une longue série de représen-
tations de Talma et des reprises à'Iphigênie en
Aulide de Gluck, de la Vestale de Spontini.
Vestris fils, « premier danseur, élève de son
père », comme disent les affiches du temps,
vînt en novembre danser quelques représen-
tations dans le ballet de Çlavy. Dès le mois
LE GUIDE MUSICAL
709
d'octobre, les journaux du temps annonçaient
la mise à l'étude « de l'opéra d'Armide de
Gluck ». La première, la vraie première à
Bruxelles, eut lieu le 23 décembre 1823, avec
un succès éclatant. Grâce à l'obligeance de
M. Van Malderghem, l'éminent archiviste, j'ai
pu consulter à la Bibliothèque de la ville de
Bruxelles les journaux du temps. Ils sont
amusants à relire.
Le Journal de la Belgique, du jeudi iS dé-
cembre, s'exprimait ainsi :
La première représentation d'Armide a eu, hier,
beaucoup de succès, Le charme de la musique de
Gluck est toujours incontestable et la manière dont
celle-ci a été exécutée en général ne l'a point
détruit. Le talent supérieur de Mlle Lemesle dans
la tragédie lyrique est tellement reconnu qu'il
serait difficile d'ajouter des éloges qu'elle y mérite
toujours; son jeu noble, expressif, passionné et sa
belle voix dramatique sont là dans leur élément;
l'essor qu'elle leur donne est complet. Cette char-
mante actrice a été redemandée après la pièce et
est venue recevoir le complément des témoignages
unanimes de satisfaction qui lui a valu chaque
scène du beau rôle d'Armide.
Nous aurions bien quelques observations à faire
sur quelques chants de coryphée et sur la longueur
de quelques intermèdes ; mais, tout pour l'éloge, est
l'impression dominante que nous a laissée l'ensem-
ble de cette interprétation.
Un autre journal Y Ami du Roi et de la Patrie
est plus explicite encore. Dans son numéro du
1$ décembre il se borne à constater que
« l'opéra Armide a excité les plus vifs trans-
ports d'admiration au Grand-Théâtre », que
« le public a voulu revoir Mlle Lemesle après
la pièce et que cette grande comédienne avait
en tout justifié cet honneur dans tout le cours
de son rôle ». Mais dans le numéro du 28 dé-
cembre 1823, il publie un long compte rendu
qui ne prend pas moins d'une colonne et qui
est tout à fait curieux. J'ignore le nom du
critique de l'Ami du Roi et de la Patrie, mais
c'était assurément un admirateur fervent de
Gluck et de ses disciples, car il n'est pas tendre
pour les jeunes compositeurs d'Italie dont « la
gloire naissante » commençait à remuer énor-
mément le public et à faire pâlir celle de leurs
prédécesseurs. Rossini en particulier semble
lui avoir été antipathique. C'est ainsi que
quelques jours avant la première d'Armide,
Y A mi du Roi et de la Patrie publiait cette note
plutôt aigre-douce à propos des triomphes que
Paris décernait à ce moment à celui qui se
faisait appeler, dès lors, le Cygne de Pesaro.
L'enthousiasme des Parisiens pour le signor
Rossini va toujours en croissant : ils ne savent
plus quels élans donner à leurs transports, ni
qu'inventer pour célébrer le séjour du maestro à
Paris; jamais compositeur français n'a reçu après
sa mort les honneurs qu'ils accordent à Rossini
vivant, ils commettent mille inconséquences au
sujet de l'auteur du Barbier et ils ne songent seule-
ment pas à rendre hommage à la mémoire de
Grétry, de Méhul, de Dalayrac, dont les ouvrages
font la gloire de l'école française. A la représenta-
tion à bénéfice de Garcia au Théâtre italien, où
l'on donnait Oteïlo, l'un des ouvrages de Rossini, le
modeste auteur s'était étalé dans une loge de la
première galerie, afin d'être exposé aux regards de
tous les spectateurs ; à son entrée dans la salle, il
fut accueilli par trois salves d'applaudissements
accompagnés de bravo et les dames firent ba-
lancer leur mouchoir pour exprimer leur joie.
Ces quelques lignes sont intéressantes, car
elles indiquent les tendances qui divisaient à
ce moment le public. Rossini et Meyerbeer
devaient, peu après, rejeter tout à fait dans
l'ombre Gluck, Spontini, Méhul, etc., et les
misonéistes, dont était le critique de Y Ami du
Roi et de la Patrie, avaient raison d'appréhender
les succès de la nouvelle école. C'est ce qui
explique le préambule de l'article qu'il consa-
cra dans le numéro du 28 décembre, à la pre-
mière à! Armide. Il est bien amusant dans son
emphase.
Les chants harmonieux de l'auteur des deux
Iphigénie et d'Orphée viennent encore de prouver
que ce n'est pas avec des vains frédons (sic} qu'on,
peut prétendre à la gloire de régner dans l'empire
d'Euterpe et de Polymnie, et les dilettantes con-
viendraient de leur défaite, s'ils voulaient être de
bonne foi ; ils cesseraient enfin, de comparer leur
compositeur favori aux auteurs des partitions
d'Armide, de Don Juan, d' Œdipe, de Joseph, d'Ana-
çréon. Mais puisqu'après avoir joui du plaisir
d'admirer Raphaël, ils ne se refusent pas d'admirer
le Poussin, Rubens et David, ils sentiront un jour,
en vrais amis des beaux-arts, qu'il est dans l'inté-
rêt de leurs jouissances de ne pas se refuser celle
de pouvoir tour à tour applaudir aux chefs-d'œuvre
7io
LE GUIDE MUSICAL
des Gluck, des Sacchini, des Mozart et même des
Rossini.
Suit une longue analyse du sujet. Après
quoi notre critique parle en détail de l'inter-
prétation.
Mlle Lemesle a joué et chante le rôle d'Armide
d'une manière admirable; une Armide aussi belle
que Mlle Lemesle, pourrait se passer des prestiges
de son art pour faire perdre l'esprit aux chevaliers
de l'armée de Godefroi sans en excepter l'ermite
Pierre. L'impression que cette actrice a faite dans
cette soirée, est telle, que le public a voulu la
revoir après la chute du rideau ; cet honneur est
rarement accordé à nos artistes et il n'en est que
plus flatteur pour Mlle Lemesle.
Desfossés a laissé à désirer dans le rôle de
Renaud, mais il a fait ce qu'il a pu, et l'on doit lui
savoir gré de sa bonne volonté. Eugène a été
excellent dans le personnage d'Hidraot ; les rôles
secondaires d'Ubalde, du Chevalier danois et de la
Haine ont été joués par Camoin, Delos et
Mme Rousselois.
L'orchestre qui nous donne rarement occasion
de faire son éloge s'est distingué par la manière
dont il a accompagné, il a été terrible et impétueux
dans les grandes masses, doux et vaporeux dans
les passages mélodieux, dont ce bel ouvrage
abonde, et à l'exception de deux coryphées qui
ont chanté horriblement faux au premier acte, cet
opéra a été exécuté d'ensemble.
Nous ne terminerons pas cet article sans donner
des éloges à M. Langle, pour les soins qu'il a porté
dans la mise en scène à1 Armide, à M. G pour
ses beaux décors, et à M. Petipa pour l'ordon-
nance de ses ballets.
Complétons ces données. M]ie Lemesle, dont
il est question ici paraît avoir été une artiste
de réel talent. Elle fit partie pendant plusieurs
saisons de la troupe de la Monnaie, et demeura
l'artiste préférée du public bruxellois à côté de
Mlle Lesueur. Elle avait, avant Armide, paru
dans Iphigènie et dans Clytemnestre. Le ténor
Desfossés n'a pas laissé de traces. C'était un bon
artiste, sans valeur exceptionnelle. Eugène,
était la basse-taille; Mme Rousselois, chargée
du rôle de la Haine, était la duègne de la
troupe.
Les chœurs comprenaient une trentaine de
voix.
Quant à l'orchestre, il était composé comme
suit ; 6 premiers violons, 6 seconds violons;
2 altos; 2 flûtes; 2 hautbois; 2 clarinettes;
2 cors; 2 bassors; 3 violoncelles; 2 contre-
basses, 2 trompettes, i timbalier. Total,
32 instrumentistes. Le chef d'orchestre qui n'est
pas nommé dans les comptes rendus du temps
était Ch. Borremans, qui avait le titre de
« maître de musique ». Il a laissé un certain
nom. Mais à en juger par ce que V Ami du Roi
et de la Patrie disait de lui, on aura quelque
peine à se figuier une exécution bien châtiée
sous sa direction. Il écrit ce qui suit à propos
de la représentation à' Iphigènie en Aulide qui
avait précédé de quelques semaines Armide :
Ce bel opéra de Gluck a été exécuté d'une
manière plus satisfait ante qu'on n'a l'habitude
de le voir par nos acteurs; mais l'orchestre ne
l'a point accompagné avec ce soin religieux qu'on
avait droit d'attendre de MM. les musiciens,
lorsqu'ils ont à exécuter une conception aussi
sublime ; c'est surtout à celui qui conduit que nos
reproches s'aelressent pour la détestable manière
qu'il a adoptée de battre la mesure; il peut être
nécessaire que le bâton se fasse entendre lorsqu'on
accompagne les chœurs, et principalement ceux
qu'on exécute dans les coulisses, parce qu'un
groupe de chanteurs aussi éloigné, ne peut enten-
dre l'orchestre quelque nombreux qu'il soit, par la
raison que chacun chante à l'oreille de son voisin;
mais dans ce cas même, il doit encore en ménager
le bruit.
Cette façon de battre la mesure devait être
bien désagréable. Mais en ce temps-là il s'en
passait sans doute bien d'autres. On a fait des
progrès depuis. Un vieil abonné.
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS COLONNE. — La séance de
dimanche dernier, au Châtelet, n'a été qu'une
longue suite de succès, d'ovations et de triomphes
pour Mme Félia Litvinne, Wagner et Berlioz, pour
Lalo, pour Colonne et son orchestre.
LE GUIDE MUSICAL
7iï
La noble ouverture du Roi d' Fs ouvrait la séance.
Cette page symphonique, d'une si grande variété
de coloris se nuançant graduellement depuis
l'entrée sombre du quatuor jusqu'à l'étincelante
péroraison que rehaussent des cuivres éclatants
après avoir passé par les moelleuses sonorité de la
célèbre phrase du violoncelle, a été fort remar-
quablement interprétée.
De la seconde audition des Troyens, on avait
supprimé la marche bruyamment décorative, le
chœur et Varioso à vocalises du premier acte ainsi
que les airs de ballet, plutôt incolores. Restaient
donc le petit entr'acte du II, d'une grâce un peu
maniérée, le chant archaïque d'Iopas que M. Pla-
mondon a dit avec plus de force et d'ampleur que
la première fois, le très scénique quintette où se
fondaient dans l'ensemble les jolies voix de
Mlle Suzanne Richebourg et de Mme Boyer de
Lafory, le septuor avec chœur d'une poésie toute
virgilienne, délicieux prélude aux invocations à la
nuit que vont chanter Enée et Didon, enfin la
scène touchante de la mort. Mme Litvinne a été
splendide de sentiment dramatique et de pathé-
tique en interprétant ces pages célèbres, et
M. Saléza, qui lui donnait avec style la réplique
dans le duo, eut pour le rôle d'Enée de chaleureux
élans. La Chasse royale, traduite avec une impecca-
ble précision, a été, elle aussi, vigoureusement
applaudie.
Avant de s'attaquer à la scène finale de Siegfried,
M. Burgstaller a trouvé des accents d'héroïque
tendresse, dans le chant d'amour de la Walkyrie
qui a été bissé, et des éclats superbes dans la scène
de la forge. La voix bien timbrée et d'un métal
plein de souplesse s'est mue très à l'aise dans ces
deux fragments classiques. Dans Siegfried, il a
triomphé aux côtés de Mme Litvinne. Il a dit
successivement avec inquiétude, fierté et passion
les principaux traits de ce rôle écrasant. Quant à
Mme Litvinne, elle a été admirable de tendresse
exquise, de dignité et de grandeur dramatique.
Après la sublime évocation aux clartés du soleil
que, déesse guerrière chevauchant les nuées,
Brunnhild jadis contemplait face à face, elle a
montré la Walkyrie déchue devenue femme par
l'amour lorsque la Pitié l'eut chassée du Walhall.
Les deux artistes, dans le formidable appel de
passion triomphante qui termine l'acte, ont victo-
rieusement lutté contre l'orchestre tumultueux, au
millieu même de cet orchestre dont Wagner a déme-
surément grandi les sonorités parce qu'il le cache
sous la scène. Et les voix, portées par le texte
allemand, n'ont pas été submergées par la tempête
instrumentale. D'ailleurs, l'orchestre, supérieure-
ment dirigé par M. Colonne, a été tout le temps à
la hauteur de sa tâche aussi bien dans les teintes
noyées du nocturne des Troyens que dans les
irradiantes fulgurations de la « Traversée du Feu »
F. de Ménil.
CONCERTS LAMOUREUX. — Parmi
les œuvres très diverses qui étaient réunies sur le
programme de ce troisième concert, il importe de
signaler à part deux pièces de M. Pierre Kunc,
parce qu'elles furent offertes pour la première
fois, et le Tasse de Liszt, parce que c'est une
œuvre qu'on entend fort rarement et qui fait
partie d'une série de compositions orchestrales
très mal jugées d'ordinaire. Je sais bien que ce
Tasse n'est pas une des pages capitales de Franz
Liszt, et qu'on peut y relever de graves défauts.
Mais, tel qu'il est, ce poème symphonique aurait
pu être le chef-d'œuvre de tout autre compositeur
que l'auteur de la Faust ou de la Dan te- Symphonie.
Tout le début est d'une parfaite pureté de lignes,
d'une grande intensité d'expression; après, la mu-
sique s'italianise (volontairement sans doute"! sans
pourtant perdre toute sa noblesse. L'orchestration
en est superbe de bout en bout.
Ce dont il faut féliciter M. Pierre Kunc, c'est de
n'avoir affirmé, dans ses deux pièces intitulées Au
matin et Danse aux lanternes (elles font parties d'une
suite, Eté pastoral), aucune ambition démesurée ni
inassouvissable. Il a évidemment voulu écrire dix
minutes de musique agréable, élégante, acces-
sib'e, et il l'a fait. Je ne dirai pas qu'une person-
nalité extrême, un souffle puissant caractérisent
l'inspiration de M. Kunc; en écoutant ses Impres-
sions du Languedoc, je n'ai pu m'empècher de songer
à la si différente vision du même pays que nous
avait révélée, naguère, une suite de piano de
M. Déodat de Séverac... Mais de telles comparai-
sons ne sont ni justes, ni utiles. Il reste vrai que
la musique de M. Pierre Kunc, en l'occurrence
tout au moins, est assez superficielle; mais elle
n'est point dénuée d'agrément. C'est déjà quelque
chose. Dirai-je encore que le titre de la seconde
pièce semblait promettre des oppositions de
lumière et d'ombre, des aspects nocturnes que la
musique n'évoque pas un seul instant? Je me
trompe peut-être.
M. Lucien Capet a fort bien joué le concerto de
violon de Brahms. Mais pourquoi faut-il que plus
loin, dans le même programme, ait figuré le pré-
lude du troisième acte des Maîtres Chanteurs? En
712
LE GUIDE MUSICAL
un instant, cette juxtaposition a montré, mieux
que tout commentaire, combien la gravité est
différente de la lourdeur, la profondeur, de l'en-
nui et la force d'expression, de la creuse rhéto-
rique.
L'ouverture de Phèdre, de Massenet, et la sym-
phonie en ré mineur de Schumann furent encore
jouées. Il n'y a aucune observation particulière à
faire sur ces deux exécutions.
M.-D. Calvocoressi.
CONCERTS EDOUARD RISLER. L'émi-
nent virtuose du piano a commencé, le samedi
28 octobre, à la salle Pleyel, l'audition des sonates
de Beethoven. Ainsi que nous l'avons annoncé,
ces séances se continueront chaque samedi jus-
qu'à l'achèvement des trente-deux sonates du
maître des maîtres.
A la première, M. Risler a fait entendre, la
Sonate facile (titre porté sur l'édition originale1, en
sol, op. 49, œuvrette en deux parties que les
enfants abordent au début de leurs études, fiers
de montrer à leurs familles qu'ils peuvent jouer
aussi mal qu'un autre la musique classique.
M. Risler l'a exécutée avec une simplicité char-
mante et une très jolie sonorité. Puis sont venues
les trois sonates en fa mineur, en la et en ut, op. 2,
« dédiées à M. Joseph Haydn, docteur en mu-
sique », et publiées ensemble en 1796, bien avant
la sonatine précédente, œuvre de jeunesse, que
Beethoven ne s'était décidé à faire éditer que long-
temps après celles-ci, comme le prouve la clas-
sification Ces trois compositions, qui rappellent
en maint endroit le style de Mozart, laissent
entrevoir le génie et la personnalité du maître,
notamment dans les trois adagios et le finale
de la sonate en fa mineur. L'interprétation
en a été admirable d'expression juste et de
« mesure », terme que je prends dans les
deux sens : pondération et stricte observance des
rythmes. Un confrère facétieux a imprimé naguère
que M. Risler jouerait beaucoup mieux sur un
Erard. Cette appréciation me semble un peu exa-
gérée ; comment se pourrait-elle justifier, puisque
l'artiste a atteint la perfection sur un Pleyel?
Julien Torchet.
— Le premier concert avec orchestre de la sai-
son à la Société J.-S. Bach, aura lieu salle de
l'Union, 14, rue de Trévise, le mercredi 22 novem-
bre, à 9 heures (répétition générale le mardi 21, à
4 heures). Au programme : Les deux concertos pour
trois pianos et orchestre (MM. Louis Diémer,
Lazare Lévy, Georges de Lausnay\ la cantate
nuptiale O Holder Tag (O jour heureux) (Mlle Eléo-
nore Blanc) et une cantate sacrée, Liebster Jesu,
mein Verlangen (Mon bien-aimé Jésus) (Mlle Noiriel,
M. Jean Reder). Orchestre sous la direction de
M. G. Bret. Le 29 novembre, premier concert
d'orgue et de musique de chambre, avec le con-
cours de Pablo Casais, qui interprétera une suite
pour violoncelle seul, de M1Ie Boutel de Mouvel
de M. Henri Dallies, organiste de laMadeleinc.etc.
Rappelons que la Société Bach donne douze
concerts par an. Prix des places par abonnement
aux douze concerts et aux six répétition générales,;
5o, 40 et 35 francs.
Cotisation de membre honoraire : 25 francs.
Pour tous renseignements, s'adresser à M.Daniel
Heirmann, directeur adjoint de la Société Bach,
gbis, rue Méchain.
— M. Nestor Lejeune, violoniste, professeur à
la Schola Cantorum, annonce avec son quatuor,
MM. L. Claveau, 2e violon ; J. Englebert, altiste;
E. de Bruyn, violoncelliste, cinq séances de musi-
que de chambre ancienne et moderne, en février
et mars 1906, à la salle /Eolian, 32, avenue de
l'Opéra.
Au programme : Des quatuors à cordes de
Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Franck,
d'Indy, Chausson, Magnard, Samazeuilh. La
sonate pour violon et piano de d'Indy, la sonate
pour violoncelle et piano de J. Huré, des oeuvres
pour piano de d'Indy et P. de Bréville et des mélo-
dies de M VI. Coindreau, Labey, de Castéra et
M"e Selva.
— La séance d'ouverture des Concerts Clémandh
au Théâtre Molière (faubourg Saint-Denis), le jeudi
26 obtobre, a obtenu un plein succès devant un
public trop clairsemé, et qui s'accroîtra, si l'on en
juge par l'effet de cette première matinée. Le pro-
gramme, très heureusement éclectique, allait de
Meyerbeer (Marche aux flambeaux), de Weber
(ouverture de Frcyschiitz et Invitation à la valse,
orchestrée par Berlioz), de Berlioz lui-même, le
grand méconnu, aujourd'hui si hautement réha-
bilité (marche des pèlerins de Harold en Italie), à
Wagner (marche-prélude du troisième acte de
Lohengrîn), à Lalo (concerto pour violon et or-
chestre), à M. Leroux (fragments des Perses), à
M. Bruneau (entr'acte de Messidor). Une première
audition du Rêve de Bachylis, poème symphonique
(vers d'Edouard Noël, musique de M. A. Luigini),
nous a permis d'applaudir la manière ferme et
vibrante dont MIle Claude Ritter a déclamé les
beaux vers du poète, et la symphonie de M. Lui-
LE GUIDE MUSICAL
7i3
gini, agréable et non sans originalité, dont l'instru-
mentation se ressent des qualités éminentes de
chef d'orchestre de l'auteur.
Dans le concerto de Lalo, M. A. Bachmann
s'est montré très brillant violoniste, sachant allier
la pureté d'une sonorité pleine de charme à de
beaux effets de fougue et d'entrain. On l'a chaude-
ment rappelé.
L'orchestre, que M. Clémandh conduit avec
autant de feu que de précision, a exécuté les
morceaux symphoniques d'une façon remarquable
et très sûre, qui fait autant d'honneur aux éléments
dont il se compose qu'au chef dont il suit les
mouvements. J. G.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La première représentation à.' A rmide est fixée déci-
dément au mardi 7 novembre. On a répété géné-
ralement vendredi soir et l'impression produite
tant par la partition de Gluck que par l'inter-
prétation musicale et la mise en scène a été con-
sidérable. Assistaient seuls, à cette répétition les
critiques des journaux bruxellois et les artistes de
la maison.
Dans le répertoire de la semaine, il n'y a à signa-
ler qu'une très bonne reprise de Rigoletto qui a
valu un brillant succès à Mlle Aida. La charmante
artiste abordait pour la première fois le rôle de
Gilda et elle y a été tout à fait délicieuse. Très
applaudis comme de coutume MM. Léon David
et Henri Albers.
— Nous avons récemment annoncé la constitu-
tion à Bruxelles d'une Scola musicœ qui se propose
une mission esthétique assurément intéressante;
celle de parfaire l'éducation des gens du monde et
des jeunes artistes qui ne suivent pas les cours de
nos grandes institutions musicales officielles.
Samedi dernier a eu lieu l'inauguration de la
nouvelle institution.
En une allocution de forme élégante, M. F.-Ch.
Morisseaux a esquissé la raison d'être et le but de
l'école nouvelle, salué les maîtres qui la couvrent
de leur patronage, MM. Ysaye, Huberti, De Greef
qui assistaient à la séance. Deux points de ce
discours sont à retenir : d'abord, que les fonda-
teurs de la Scola mu$ic(ç, comprenant l'absolue
nécessité d'une culture d'art générale et non pure-
ment technique, tendront de toutes leurs forces à
faire de leur institution un centre éducatif autant
qu'enseignant, où les talents en herbe pourront
s'épanouir dans une atmosphère de chaude confra-
ternité ; ensuite, que l'on y fera large place à la
musique belge, sans oublier, bien entendu, —
l'orateur ne l'a pas dit, mais c'est l'évidence, — les
grands classiques sans lesquels il n'est point
d'instruction solidement assise.
Constatons que le nouvel institut musical est fort
bien installé, au n° 90 de la rue Gallait, dans un
vaste immeuble dont l'adaptation à sa destination
nouvelle est excellente; il y a notamment là une
petite salle de concerts tout à fait charmante de
proportions, d'aspect, de décoration, et, par sur-
croît, de très belle sonorité : la musique de chambre
y trouvera l'asile qui lui a fait défaut jusqu'à
présent à Bruxelles; et de la sorte la Scola devien- '
dra bientôt un vivant foyer d'art.
La partie musicale de cette soirée fut vraiment
attachante; M. Emile Chaumont, très en progrès, a
joué avec une élévation de style, une énergie
nerveuse, une qualité de son remarquables la
sonate de Jongen, dont chaque audition fait
pénétrer davantage la noble invention et la belle
ordonnance. M. Bosquet, coloré et rythmique à
souhait, fut son digne partenaire. Les deux mou-
vements du quatuor inachevé de Lekeu — avec
leurs élans d'énergie passionnée et leurs retours
de si pure tendresse — produisirent la plus pro-
fonde émotion, interprétés par Chaumont, Van
Hout, Miry et Bosquet. Et M1Ie Wybauw, par ses
mérites de musicienne pénétrante autant que par
la belle qualité de sa voix, mit en plein relief
l'agrément et la poésie de deux mélodies de Ma-
thieu, ainsi que l'intensité descriptive et le souffle
dramatique de deux Lieder nouveaux d'Huberti sur
des poèmes tirés de La Mer, de Richepin ; l'un
martelé, ironique et sauvage (A la dérive) ; le
second apaisé, berçant, évocateur d*infmi (Brume
de midi). La ligne mélodique en est pure et suivie,
l'harmonie savante et savoureuse, le sentiment
profondément juste; et lorsque le revêtement
orchestral leur donnera toute leur valeur, ces poè-
mes vocaux prendront rang parmi les toutes
meilleures productions du genre.
— A la demande générale et grâce à la géné-
reuse intervention des pouvoirs publics, la maîtrise
de la collégiale des SS. Michel et Gudule, dirigée
par M, Marivoet, fera réentendre le i5 de ce
7H
LE GUIDE MUSICAL
mois, à l'occasion de la fête patronale du Roi, le
Te Deutn composé par M. Edgar Tinel pour les
fêtes jubilaires du soixante-quinzième anniversaire
de l'indépendance nationale et qui fut exécuté pour
la première fois, on s'en souvient, le 21 juillet
dernier, lors de la mémorable fête patriotique.
Une répétition de l'œuvre aura lieu en la collé-
giale le mardi 14. novembre, à midi. Le public sera
admis à cette répétition. La partition y sera exé-
cutée trois fois de suite, dont l'une, la deuxième,
avec accompagnement d'orgue seulement. La
transcription de la partie orchestrale sera jouée
par M. Saemen, organiste de la collégiale.
Cette répétition « expérimentale » est destinée à
fournir des éléments de conviction décisifs aux
amateurs qui s'intéressent à la question encore
controversée de savoir si, à l'église et étant
données certaines circonstances particulièrement
pompeuses et même extra-liturgiques, pourrait-on
dire, telles que, par exemple, la célébration des
Te Deum patriotiques, l'emploi de l'orchestre, dès
lors incontestablement légitime, l'emporte ou non
sur un simple accompagnement d'orgue ; l'orches-
tre employé concurremment avec l'orgue d'ailleurs,
et traité comme l'exigent les lois du style musical
religieux, proportionné, en outre, aux dimensions
du lieu où il se fait entendre, et, enfin, disposé
conformément aux conditions acoustiques de ce
lieu, lesquelles diffèrent d'une église à l'autre,
comme on sait.
— Dimanche prochain a lieu la distribution des
prix du Conservatoire : Symphonie de Haydn,
Rapsodie pour orchestre à cordes et Variations pour
instruments de cuivre, de Gilson ; chœurs anciens
harmonisés par Gevaert, solos de chant, de piano
et de violon.
— Pour rappel, samedi-dimanche 11- 12 novem-
bre, premier concert populaire, sous la direction
de M. Sylvain Dupuis et avec le concours de
M. Pablo Casais, l'exquis violoncelliste qui a
produit l'année dernière, une si vive sensation à
Bruxelles. Au programme : La Mer de Gilson
(récitant, M. Vermandèle); le concerto pour
violoncelle et orchestre de Dvorak (première
audition), M. P. Casais; l'ouverture du Barbier de
Bagdad de Cornélius (première audition); Elégie de
Fauré, et Kol Nidrei de Max Bruch, pour violon-
celle, M. P. Casais ; Fête populaire de F. Leborne
(première audition).
La vente des places est ouverte chez Schott.
— M. Eugène Ysaye compte organiser quelques
soirées de musique de chambre à la Grande Har-
monie .
— MM. Emile Bosquet, pianiste, et Emile
Chaumont, violoniste, donneront, en novembre et
décembre prochains, une nouvelle audition des dix
sonates pour piano et violon de Beethoven, qui
leur ont valu, l'hiver dernier, l'éclatant succès qu'a
constaté l'unanimité de la critique. Cette audition
aura lieu en trois séances à la salle Erard, 6, rue
Lambermont, les vendredis 17 novembre, Ier et i5
décembre, chaque jour à 8 1/2 heures.
Pour les places, s'adresser chez MM. Schott
frères, éditeurs de musique, 56, Montagne de la
Cour.
CORRESPONDANCES
AN VBRS. — Lundi soir a eu lieu, au Théâtre
royal, le premier concert populaire de la
saison. L'A Capella gantois, dirigé par M. Hulle-
broeck, y a exécuté avec une belle homogénéité
de voix et d'ensemble, le noble Gloria de la Messe
du pape Marcel de Palestrina, une charmante Ronde
bretonne de Bourgault-Ducoudray ainsi que la Chan-
son joyeuse de Noël, harmonisée par M. Gevaert,
et un intéressant In memorian de M. Wambach.
Le tout exécuté avec un succès d'enthousiasme,
qui a forcé l'A Capella d'ajouter en bis un petit
chœur de style vif.
Enfin, avec l'orchestre, qui s'est également fort
bien comporté, nous avons entendu la Faust-Sym-
phonie de Liszt, qui a paru assez monotone et
vieillotte après la Faust-Ouverture de Wagner, par
laquelle le concert avait débuté.
Le i3 novembre, grand concert à la Société
royale d'Harmonie, avec le concours de Mme Marie
Bréma, MM. César Thomson et Aug. De Boeck.
G. P.
BUCAREST. — L'Opéra a rouvert ses
portes le 16 octobre.
Parmi les œuvres dont on annonce la représen-
tation, on remarque : Mefistofele de Bcïto, Lakméde
Delibes, Fédora de Giordano, Mireille de Gounod,
Manon Lescaut de Puccini, Hamlet d'A. Thomas,
Lohengrin et Tannhâuser.
Le corps de ballet, entièrement composé d'élé-
ments roumains, exécutera entre autres : Çoppélia
et Maladetta, Michel Margaritesco.
LE GUIDE MUSICAL
*5
BORDEAUX. — Grand- Théâtre : Débuts
pacifiques, favorables pour la plupart des
artistes, enthousiastes pour quelques-uns. Citons
seulement les meilleurs : Mn,es Clément, Dhumon,
Legrand, Magne, Rolland; les ténors Gautier, Gra-
nier et Morati ; les barytons Auber et Cotreuil, la
basse Sylvain. — Accueil particulièrement sympa-
tique au premier chef d'orchestre Montagne. — En
attendant les nouveautés, le répertoire sévit :
Huguenots, Juive, Guillaume Tell, Hamtet, et des
Donizetti et des Verdi... On nous promet d'ailleurs
pour bientôt : Don Juan, Orphée, quoi encore?
Constatons seulement que M. Fréd. Boyer, décou-
ragé sans doute par le trop médiocre accueil fait
par le public bordelais aux Maîtres Chanteurs, il y a
deux ans, à la Walkyrie, l'an dernier, n'a inscrit
cette année à son programme aucune nouvelle
œuvre de Wagner.
Nous avons eu aussi, pendant ce mois d'octo-
bre, une bien intéressante série de quatre concerts
donnés par le petit pianiste prodige Horzowski.
Vraiment oui, cet enfant est prodigieux. Par la
mémoire surtout. On aurait vite fait le compte des
grands virtuoses capables de donner ainsi, coup
sur coup, en quatre soirs, quelque chose comme
trois ou quatre cents pages de musique (Bach,
Mozart, Beethoven, Schumann, Chopin, Grieg,
etc., etc.). D'autre part, le jeu du petit virtuose
est loin d'être insignifiant. Sans doute, c'est un peu
trop le jeu d'un enfant... Mais, par moments, une
réelle émotion s'éveille, et, en tous cas, l'exécution
est toujours propre et nette. A. L.
GAND. — La saison théâtrale, qui s'annon-
çait si brillamment, a été contrariée par l'in-
suffisance de divers artistes, dont le public récla-
mait le remplacement. Pétitions, contre-pétitions,
manifestations pour et contre l'admission définitive
de tel chanteur, tout a rendu la marche normale
de l'exploitation théâtrale pénible. Non pas que
les spectacles n'aient offert une variété à laquelle
nous n'avons certes pas été habitués, mais la
mise à la scène de nouvelles œuvres importantes
a dû forcément être retardée jusqu'à ce que les
remaniements exigés par les prétentions du public
aient pu être opérés. Parmi les nouveautés annon-
cées, la direction a monté, avec infiniment de soins,
Arnica, de Mascagni.
L'œuvre n'est pas sans intérêt ; l'action est d'un
caractère violemment passionnel à certains épi-
sodes, la partition de Mascagni est analogue à ses
œuvres antéreures.
L'interprétation, excellente en tous points, était
confiée à M^ Feltesse (Arnica) MM. Dubois
(Giorgio^ De Smet (Camoeni). Marcus.
— La direction du théâtre, voulant s'associer aux
fêtes qui ont été données à l'occasion du soixante-
quinzième anniversaire de l'indépendance belge,
a décidé d'organiser pour les i3 et i5 décembre
prochain un festival Jan Blockx. On exécutera à
cette occasion les deux opéras du compositeur
flamand : Princesse d'Auberge et La Fiancée de la Mer.
Rien ne sera négligé pour donner l'éclat voulu à
cette solennité artistique.
LA HAYE. — Le premier concert donné
au Concertgebouw d'Amsterdam après le
départ de M. Mengelberg pour New- York, a été
dirigé par le célèbre pianiste Ferruccio Busoni,
avec le concours de son élève M. Egon Pétri,
le fils du violoniste néerlandais M. Henri Pétri,
professeur au Conservatoire de Dresde. Busoni
a prouvé une fois de plus qu'il est un des premiers
pianistes contemporains, et le duo pour deux
pianos de Liszt, qu'il a joué avec M. Pétri, avec
une perfection incomparable, a provoqué un
enthousiasme indescriptible. Mais Busoni a voulu
aussi se faire connaître comme compositeur et
avait mis sur le programme deux ouvrages de sa
composition, un concerto pour piano avec orches-
tre et chœur d'hommes et une suite pour orchestre
sur un drame indien, Turandot. Les deux œuvres
ont été bien accueillies.
Le prochain concert du Concertgebouw sera un
concert national, où seront exécutés trois ouvrages
de compositeurs néerlandais, de Wagenaar, de
van Anrooy et de Catherine van Rennes. Il y aura
ensuite un concert dirigé par le compositeur
français M. Gabriel Pierné.
A La Haye, le second concert du Dr Wùllner a
été plus enthousiaste encore que le premier. L'émi-
nent artiste nous a fait entendre entr'autres six
Lieder adorables de Hugo Wolff, qui ont transporté
l'auditoire.
M. Wùllner nous reviendra pour un des con-
certs de la société Diligentia, dont le premier est
fixé au 29 novembre, avec le concours de la chan-
teuse Mme Misz-Gmeiner, Parmi les autres solistes
qui s'y feront entendre, on cite déjà Mme Krauss-
Osborne, le pianiste Godowsky et les violonistes
Kreisler et Annie de Jong.
Au Théâtre royal français de La Haye, nous
avons eu une bonne reprise de Samson et Dalila
?i.6
LE GUIDE MUSICAL
pour la rentrée de Mme Dalcia et les débuts du
fort ténor M. Fonteix et du baryton M. Danse, qui
ont fait bonne impression. Au premier jour, la Juive,
pour le premier début de notre nouvelle falcon,
Mme Armande Bourgeois.
L'Opéra Italien a ouvert sa saison théâtrale à
Amsterdam par la Gioconda de Ponchielli et il don-
nera la même représentation à La Haye, dans la
salle de théâtre du Jardin zoologique, vendredi
prochain.
M. Henri Viotta est allé donner quatre concerts
en province avec le Residentie-Orkest, considéra-
blement augmenté et complété, et le concours de
DOtre contralto Mlle Tilly Koenen et du pianiste
M.Lamond, à Amsterdam, Rotterdam, Utrecht et
Bois-le-Duc. Grand succès, mais salles demi-plei-
nes. Des travaux importants étant en train de se
faire à notre Conservatoire des Arts et Sciences,
les matinées symphoniques avec le Residentie-
Orkest à La Haye ne pourront commencer qu'à la
fin de novembre.
Au premier jour, nous aurons à La Haye la pre-
mière séance du Quatuor parisien, MM. Hayot,
André, de Nayer et Salmon, qui viendront faire
leur tournée annuelle en Hollande, et les repré-
sentations de Sigrid Arnoldson au Théâtre royal
français. Ed. de H.
TONDRES. — M. Mathieu Crickboom le
_j réputé violoniste belge a donné la semaine
dernière un concert où il a été fort applaudi. Son
programme comprenait la Follîa de Corelli, la
romance en fa de Beethoven, la suite en mi pour
violon seul de Bach, le concerto de Wieniaswky
et différentes pièces dont un poème de sa compo-
siton. Toutes ces œuvres ont été exécutées par le
virtuose avec une sûreté et une maîtrise remar-
quables. Son interprétation absolument classique
commandait le respect et retenait l'attention. Son
plus grand succès fut peut-être le concerto de
Wieniawsky dont la romance fut exécutée avec
une grande finesse et une grande pureté de senti-
ment. Le finale fut enlevé très brillamment.
Le poème de M. Crickboom, un peu vague
d'expression, contient plusieurs passages d'un
grand effet pour le violon. Mme Crickboom a
accompagné d'une façon parfaite son mari.
NOUVELLES
Les contemporains de C.-M. de Weber, dont
l'Opéra de Paris a repris la semaine dernière le
Freyschùtz, lui ont fait ce reproche assez plaisant
de s'être occupé de dessin, de peinture à l'huile,
de gravure à l'eau-forte et de lithographie, au
grand détriment de son art, de la musique; et c'est
à douze ans cependant que Weber composa sa
première partition La Force de V amour et du vin; à
quatorze ans qu'il fit jouer son deuxième ouvrage
La Fille des Bois (Sylvana), et à seize ans, il se for-
mait tout un nouveau plan de doctrines musicales
« approprié à ses besoins ». Il ne fallut rien
moins que les Chants patriotiques qu'il écrivit en
i8i3 contre la domination de la France pour le
faire reconnaître par les Aristarques de son pays
comme un « élu de l'Art ». C'est en chantant les
chœurs de fière allure du compositeur dédaigné
jusqu'alors que toute la jeunesse de Prusse se
souleva, s'organisa et marcha contre les armées
françaises.
Ce fut un enthousiasme général. Ce fut l'aurore
de la gloire. Ce fut, dit un de ses biographes,
« l'explosion du talent qui se signala plus tard dans
trois ouvrages significatifs pour l'histoire de la
musique, le Freyschùtz, Euryanthe et Obéron, signi-
ficatifs nonobstant les imperfections qui les dépa-
rent ».
Le Freyschùtz (le Franc Archer), écrit en 1819
et en 1820, fut donné le 18 juin 1821 au Théâtre de
Kœnigstadt, à Berlin, et obtint « le succès le plus
brillant, le plus populaire, le plus universel qu'ait
jamais eu un opéra allemand ». Cinq ans plus tard,
Weber mourait à Londres, où il était allé diriger
les représentations de ce même Franc Archer; et
les transports d'enthousiasme que sa présence fai-
sait éclater à Covent Garden et à Druiy-Lane ne
le consolaient pas d'être séparé des siens. Les
dernières lignes qu'il traça étaient desinées à sa
femme : « Que Dieu vous bénisse tous et vous con-
serve en bonne santé ! écrivait-il. Que ne suis-je
au milieu de vous!... Je n'irai point â Paris. Qu'y
ferais-je ?... Je ne puis plus ni marcher, ni parler.
Que puis-je faire de mieux que de me diriger tout
droit vers mes pénates?... » Il ne revit point ses
chères pénates; il mourut trois jours après. Il avait
quarante ans.
Le Freyschùtz avait été donné en juin 1821 pour
la première fois. C'est en juin 1826 que Weber
mourait. C'est en juin 1841 que Berlioz et Paccini
adaptaient le Freyschùtz et le faisaient représenter
à l'Académie royale de musique.
LE GUIDE MUSICAL
717
— Au commencement d'octobre s'est tenu le
traditionnel festival de musique de Sheffield. Il y
avait au programme quatre ouvrages de grande
importance : la messe en si mineur de Bach, le
Messie de Hasndel, le Requiem de Mozart et la Dam-
nation de Faust de Berlioz. C'est M. Félix Weingart-
nér qui a dirigé le festival. Il fut remarquable dans
le Messie de Hsendel, qu'il a conduit avec beaucoup
de virilité et de finesse ; la Damnation de Faust de
Berlioz lui a valu un véritable triomphe.
Parmi les nouveautés jouées à ce festival, il
faut citer une composition de M. Nicolas Gatty
sur l'Ode au Temps, de Milton, et trois œuvres de
M. Weingartner qui étaient exécutées pour la pre-
mière fois en Angleterre, notamment sa symphonie
en mi mineur.
Le reste du programme (six concerts en tout)
peut être rapidement résumé. Il comprenait Le
Paradis et la Péri de Schumann, la Légende de
Frithjofde Max Bruch et Nœnie de Brahms.
— Le célèbre compositeur russe Glazounow,dont
on sait les démêlés avec le comité du Conserva-
toire de Saint-Pétersbourg, vient de terminer un
concerto de violon {la mineur), que le jeune violo-
niste prodige Misha Ellman vient de faire enten-
dre pour la première fois au Queen's Hall de
Londres.
Le concerto comprend quatre parties reliées
entre elles, sans interruption.
Le mouvement lent contient une mélodie d'un
caractère tendre traitée avec beaucoup d'habileté.
La partie suivante, intitulée Agitato, a plusieurs
passages brillants pour le soliste, et une particu-
larité de sa structure est le retour au premier mou-
vement.
Le concerto tout entier a eu un très vif succès et
augmentera de plus en plus la popularité du
compositeur.
— Une opinion du maestro Mascagni. — Ce
musicien napolitain rendait récemment un bel
hommage à cette ignorance prodigieuse et à cette
complaisance pour soi qui ont perdu l'école ita-
lienne. « Vous me direz, déclarait-il dans une
interview, que les pays septentrionaux ont vu
naître beaucoup de compositeurs et produit une
littérature musicale admirée aujourd'hui dans
l'univers entier. Il est vrai; mais le musicien du
Nord ne jabrique sa musique qu'à force d'études,
de culture, d'éiudition, de science, tandis que
l'artiste latin, et surtout italien, la crée par
une impulsion, spontanément, inconsciemment.
Ecoutez-moi bien : la musique du savant est ver-
ticale ; la musique de l'artiste est horizontale. »
Sachons lire entre les lignes, remarque à ce pro-
pos notre confrère Y Occident : M. Mascagni est un
pur artiste, sa musique étant, de toute notoriété,
une horizontale.
Nous ajouterons que le mot de M. Mascagni
n'est même qu'une mauvaise parodie d'une ex-
pression de Richard Strauss qui, parlant de l'har-
monie moderne, constatait qu'avec le chroma-
tisme, l'harmonie se développait dans le sens
horizontal alors qu'autrefois, du temps de la basse
chiffrée, toute composition étant établie sur des
successions d'accords qui formaient comme les
colonnes d'une architecture, elle se développait
en quelque sorte dans le sens vertical. Ce n'est
qu'une image. Mais on voit que M. Mascagni n'en
a pas compris la portée ni le sens.
— Au congrès artistique international qui s'est
tenu dernièrement à Venise, le peintre allemand
Georges Fuchs a lu un travail sur les « modifica-
tions à apporter à la décoration théâtrale afin
qu'elle réponde pleinement aux exigences artisti-
ques modernes ». Il a proposé ensuite le vote de
l'ordre du jour suivant : « Le congrès fait des
vœux pour que les artistes et les amateurs d'art, et
aussi la presse qui s'intéresse à cette question, pro-
voquent une réforme du théâtre et influent en ce
sens sur les architectes, peintres et décorateurs
modernes, exerçant une pression spéciale sur ceux
qui sont appelés à diriger les choses théâtrales. »
Cet ordre du jour a été adopté à l'unanimité.
— Nous avons parlé de l'assignation par laquelle
M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique,
demandait à notre confrère Willy cent mille francs
de dommages-intérêts.
A la suite de la lettre de M. Willy que nous
avons reproduite, M. Albert Carré, considérant
cette lettre comme une rétractation, avait renoncé
à son instance.
Or, M. Willy nous fait savoir aujourd'hui « qu'il
prétend ne rien retirer du tout et qu'il pense que,
puisque personne ne veut de débat judiciaire, l'in-
cident doit être tranché par la direction des beaux-
arts ou., par la Chambre des députés ».
— M. Camille Saint-Saëns, nous apprend le
Ménestrel, termine en ce moment l'orchestration du
troisième acte de son nouvel ouvrage, L'Ancêtre,
destiné au théâtre de Monte-Carlo. Il a reçu les
maquettes des trois décors exécutés par M. Vis-
conti, l'habile peintre décorateur du Casino. Ces
décors seront extrêmement pittoresques et d'une
vérité saisissante : M. Visconti est allé se docu-
7i8
LÉ GUIDE MUSICAL
menter en Corse, où se déroule, comme on le sait,
le drame lyrique que l'illustre compositeur a dédié
à S. A. R. le prince de Monaco.
— On va ouvrir à Vienne, dans le cours du mois
de novembre, un théâtre dont les spectacles seront
exclusivement réservés aux enfants. On donnera à
ce théâtre, trois fois par semaine, des pièces
adaptées à leur usage, mais qui, cependant, seront
jouées par des adultes. Les représentations auront
lieu dans l'après-midi des jours de vacances sco-
laires, ou les autres jours, après la fermeture de
l'école. Les ouvrages seront choisis pour trois
catégories de jeunes spectateurs : d'abord, enfants
de sept à neuf ans ; puis, de neuf à onze ans ; enfin,
de onze à quatorze ans. L'affiche fera connaître,
chaque fois, à quelle catégorie de spectateurs est
destinée la représentation.
— Le duc de Norfolk, l'un des archi-millionn ai-
res et des chefs du parti catholique d'Angleterre,
vient d'adresser au cardinal Merry del Val une
somme de 25,ooo livres sterling (625, ooo francs),
avec prière d'employer cette somme pour le renou-
vellement des instruments de la musique de la
garde palatine.
— On annonce de Boston :
« Parmi les intéressantes nouveautés que doit
monter cette saison la célèbre société Symphony
Orchestra, figurent entre autres œuvres : la Psyché,
de César Franck ; le Kremlin, d'Alexandre Glazou-
now, l'ouverture du Tasse, d'Eugène d'Harcourt,
et un ouvrage inédit de Gustave Mahler. »
BIBLIOGRAPHIE
Chants et chansons populaires du Languedoc, recueillis
et publiés, avec la musique notée et la traduction
française, par Louis Lambert. — Paris, Welter,
2 vol. in-8°.
On récolte depuis quelques années, de tous les
côtés, les textes de chansons populaires qui sont
demeurés encore dans la mémoire des vieillards
de nos provinces ou déjà ont été conservés par la
curiosité des amateurs fidèles de nos traditions
populaires. Il était temps, plus que temps, sous
peine de pertes irrémédiables, dont on ne s'aper-
cevait que trop et qu'on déplorait déjà bien avant
d'avoir pris le parti d'une publication méthodique.
C'est qu'aussi rien n'est plus délicat et souvent
difficile qu'un pareil travail. Celui que nous signa-
Ions ici et dont l'achèvement, comme l'exécution
typographique, mérite tous les éloges et tous les
remerciements, avait commencé de paraître dans
une revue spéciale dès 1874. Aujourd'hui, après
de nouvelles recherches et un arrêt de trente ans
dans la publication, il nous apporte une collection
de plus de quinze cents chants ou versions diffé-
rentes. Ce nombre même a empêché l'auteur de ce
précieux ouvrage de continuer, comme il avait fait
en 1874-75, à donner les commentaires comparatifs
dont il avait fait suivre chaque texte pour le rap-
procher de ceux des autres recueils connus. Il se
borne à donner le texte, la musique et la traduc-
tion, avec la source où il a puisé, source orale
toujours. Il y ajoute les explications nécessaires à
l'intelligence de la pièce et de sa place dans la vie
populaire (depuis les jeux d'enfants, les chants du
premier âge, les rondes, jusqu'aux facéties de mé-
nages mal assortis, en passant par les danses rusti-
ques, les chansons d'amour et d'épousailles, etc.);
Le recueil est des plus variés et des plus amusants
qui soient. H. de C.
I a Musica popular Baskongada; conferencia... por
D. R. M. de Azkue. — Bilbao, 1901, in-40.
Puisque nous parlons de chants populaires du
midi de- la France, il n'est pas hors de propos de
signaler ici aux curieux une petite collection très
originale de mélodies choisies parmi les plus
populaires en pays basque. Elles sont au nombre
de quatorze, précédées d'une érudite conférence
où les curieux qui connaissent l'espagnol trouve-
ront la version castillane de ces textes basques,
avec d'intéressants détails clairement exposés par
D. R. M. de Azkue. Faisons d'ailleurs remarquer
tout de suite que ce n'est nullement de la musique
espagnole, bien que géographiquement née en
Espagne (d'ailleurs, plusieurs de ces morceaux se
trouvent aussi du côté français de la frontière). Il
n'est rien de plus indépendant que ces mélodies,
comme leurs textes, sans analogues au monde,
comme chacun sait. Le choix est d'ailleurs fait de
manière à donner des spécimens de tous les
genres : mélodies religieuses (Les Rois mages,
Prière au Sauveur, Dialogue entre une jeune fille et
la Vierge Marie), berceuses, chants élégiaques,
satiriques, épiques même, chansons d'amour
aussi, bailes et zortzikos. La plupart de ces mélo-
dies sont biscayennes. Inédites, et recueillies entre
beaucoup d'autres par le conférencier, celles qui
ont fait l'objet de cette publication pour piano et
chant ont été exécutées pour la première fois à
Bilbao en igor. H. de C.
LE GUIDE MUSICAL
719
Les Maîtres français du violon au xvme siècle. Edition
J. Jongen et J. Debroux. Paris, B. Roudanez,
éditeur.
Tous ceux qui suivent les concerts si intéressants
pour l'histoire du violon que donne chaque année
M. Joseph Debroux, et qui goûtent comme il le
mérite le style délicat, clair, abondant de ces
maîtres déjà si anciens et pourtant si jeunes
(d'ailleurs rendus avec la dernière perfection par
le remarquable violoniste), apprendront avec plai-
sir que les principaux d'entre ces morceaux ainsi
présentés vont successivement voir le jour, en
petits fascicules indépendants, gravés de coquette
façon par un éditeur qui débute, et précédés
chacun de leur vieux titre en fac-similé. Déjà huit
sonates ont ainsi paru, portant les noms de J.-B.
Senallié {mi majeur), Jacques Aubert [fa majeur),
François Du Val {la majeur), J. Ferry Rebel (ré
mineur), J.-P. Guignon (50/ majeur), François
Francœur {sol mineur), Branche {sol mineur) et
L'Abbé (ré majeur). L'édition comprend une par-
tition pour piano (réalisation de la basse, avec le
texte original du violon), et une partition de
violon (avec les quelques modifications d'écriture
ou indications que nécessite l'exécution moderne.
Nous ne saurions trop applaudir à cette intéres-
sante entreprise et féliciter les artistes qui s'en
occupent. H. de C.
pianos et Darpes
trarè
Bruxelles : 6, rue Xambermont
paris : rue ou flftail, 13
ÉCROLOGIE
M. Jules Danbé, ancien chef d'orchestre de
l'Opéra-Comique, est mort lundi en son domicile à
Paris. Il avait soixante-quatre ans.
M. Danbé avait appartenu de longues années à
l'Opéra-Comique, où il avait tenu le bâton de chef
d'orchestre s la salle de 'a place du Châtelet. Il
avait été également chef d'orchestre lors de la
tentative de théâtre lyrique au théâtre de la
Renaissance. Il dirigeait en dernier lieu les con-
certs classiques donnés au théâtre de l'Ambigu.
Il y a quelques années, il avait été atteint de
brûlures, par suite d'accident, mais n'avait pas
tardé à se remettre.
M. Danbé était chevalier de la Légion d'hon-
neur, officier de l'instruction publique.
— A Monteripido, près de Pérouse, vient de
mourir un artiste distingué qui, connu d'abord
sous son nom véritable de Mattia Cipollone, le fut
ensuite, après avoir pris les ordres et être devenu
moine franciscain, sous celui de Père Cristoforo
da Lanciano. Ancien élève du Conservatoire de
Naples, il avait enseigné le piano et le contrepoint
en cette ville ainsi qu'à Palerme, puis était devenu
un organiste remarquable. Maître de chapelle de
la cathédrale de Sulmona en 1873, il publiait en
cette ville un écrit intitulé Opinioni sulla musica con-
tem£oranea, et trois ans après, le 25 février 1876, il
faisait représenter, par les élèves de l'école magis-
trale de Sulmona^ un opéra en trois actes intitulé
Eugenia d'Albassini. Devenu ensuite maître de la
chapelle et organiste de la célèbre basilique de
Sainte-Marie-des-Anges, à Assise, il y acquit une
grande renommée, et les étrangers qui visitaient
Assise ne manquaient pas de se rendre à ses con-
certs d'orgue. Comme compositeur, il a écrit non
seulement beaucoup de musique religieuse et pro-
fane, mais aussi de nombreux morceaux de musique
militaire.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. —Salammbô; Le Freischùtz ; Les Hugue-
nots; Tannhâuser.
OPÉRA-COMIQUE. — La Traviata, la Fille du
régiment; Mignon; Grisélidis; Carmen; Le Barbier
de Séville, la Fille du régiment; Lakmé, les Noces de
Jeannette; Le Jongleur de Notre-Dame, le Chalet; La
Vie de Bohème; Werther.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — La Fille
du Régiment, Bonsoir, Monsieur Pantalon; Princesse
Rayon de Soleil ; Rigoletto ; Faust ; Carmen ; Les Hu-
guenots ; Rigoletto, Coppélia.
720
LE GUIDE MUSICAL
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Lundi 6 novembre. — Salle Erard, séance Alberto
Bachmann, violoniste, et Sidney Vantyn, pianiste.
Mardi 7 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
jyjme Fernande Kufferath, violoncelliste, avec le con-
cours de M. Henri Seguin, baryton.
Jeudi 9 novembre. — A la Grande Harmonie, concert
Mme Auguez de Montalant, cantatrice; MM. Cornelis
Liégeois, violoncelliste, et Ricardo Vinès, pianiste.
Jeudi 9 novembre. — A la salle Erard, premier concert
du Cercle du quatuor vocal et instrumental. Au pro-
o-ramme : Trio de Tschaïkowsky et Sonate de Paul
Juon (première exécution), ainsi que des mélodies et
duos de Rubinstein et Tschaïkowsky. Pour terminer, le
« Minespiel » de Schumann et la deuxième Suite de
Schûtt.
Dimanche 12 novembre. — A 2 heures, au théâtre
royal de la Monnaie, premier concert populaire, sous la
direction de M. Sylvain Dupuis et avec le concours de
M. Pablo Casais, violoncelliste. Au programme : « La
Mer », de Gilson (récitant, M. Vermandèle); le concerto
pour violoncelle et orchestre, de Dvorak (première audi-
tion), M. P. Casais; l'ouverture du « Barbier de
Bagdad », de Cornélius (première audition); «Elégie,
de Fauré, et « Kol Nidrei », de Max Bruch, pour vio-
loncelle, M. P. Casais ; « Fête populaire», de F. Leborne
(première audition).
Jeudi 16 novembre. — A la Grande Harmonie, récital
de piano Mark Hambourg.
Dimanche 19 novembre. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra, deuxième Concerts Ysaye,
sous la direction de M. Eugène Ysaye, avec le concours
de M. Ferruccio Busoni, pianiste. Programme : 1. Vi-
viane, poème symphonique (E. Chausson); 2. Concerto,
n° 5 (C. Saint-Saëns\ M. F. Busoni; 3. Symphonie
(inédite), première audition (A. Dupuis); 4. Pièces pour
piano seul (X. X. X.), M. F. Busoni; 5. Rapsodie pour
orchestre, première audition (V. Vreuls). — Répétition
générale, même salle, samedi 18 novembre, à 2 h, J|.
ANVERS
Mercredi 8 novembre. — A 8 h. J^, à la Société royale
de Zoologie : Concert avec le concouts de M. Léandre
Vilain, organiste. Programme : 1. Egmont-Ouverture
(L. Van Beethoven); 2. Concerto en ré, pour orgue
(Hsendel) ; 3. Prélude et fugue en la mineur (J.-S. Bach) ;
4. Symphonie en ré mineur, pour orgue et orchestre
(Guilmant); 5. Sonate en fa, pour orgue (F. (Mendels-
sohn); 6. Allegro de la cinquième symphonie (Widor);
7. Huldigungsmarsch (R. Wagner).
Mercredi 15 novembre. — A 8 h. %, à la Société royale
de Zoologie : Concert avec le concours de M. A. Van
Dooren, pianiste.
GAND
CERCLE DES CONCERTS D'HIVER
Samedi 18 novembre. — A 8 heures, concert sous la
direction de M. Ed. Brahy, avec le concours de
Mme Myz-Gmeiner et de Mme Juliette Wihle, pianiste.
Samedi 16 décembre. — A 8 heures, deuxième concert
sous la direction de M. Ed. Brahy, avec le concours de
M. Jacques Tibbaut, violoniste.
A CAPELLA GANTOIS
Programme général des Auditions :
Le 3 décembre 1905. — Exécution de la cantate
d'église « Gottes Zeit » de J.-S. Bach (soli, chœurs et
orchestre).
Le 14 janvier 1906. — Audition consacrée aux œuvres
du maître français L.-A.. Bourgault-Ducoudray.
Le 4 mars 1906. — Audition consacrée aux œuvres de
G. -F. Haendel, avec le concours de M. Franz De Vos,
pianiste.
Le 29 avril 1906. — La musique populaire flamande.
Les concerts auront lieu, à 5 y% heures précises, au
local du Cercle Artistique et Littéraire, Rempart Saint-
Jean, à Gand.
S'adresser à la maison Beyer, 14, rue Digue de Bra-
bant, Gand.
LYON
SOCIÉTÉ DES CONCERTS
Mardi 28 novembre. — Premier concert (soirée), avec
le concours de M. E. Ysaye, pianiste.
Dimanche 24 décembre. — Deuxième concert (mati-
née), avec le concours de MUe de la Rouvière et des
chœurs de la Schola Cantorum Lyonnaise. Exécution
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Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaqtjes-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de repas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
No 152. Tout simplement. (Tiré des Propos du Père David.)
E. Jaques-Dalcroze-
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C'est si sim-ple d'ai-mer De sou-rire à la vi - e De se Iais-ser char-mer Lors -que c'est notre en-vi - e.
PIANOS PLEYEL
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Siûe annÈk. — '■ Numéro 4e.
12 Novembre igo5.
LA
FACTURE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
EN BELGIQUE
(Suite. — Voir le dernier numéro)
ORGUES
Ce sont les pages les plus brillan-
tes de l'histoire de la facture
instrumentale dans nos provin-
ces que nous venons de parcou-
rir. Non que les autres branches de cette
industrie aient été moins cultivées chez
nous que les précédentes : si, en effet, on
s'étonne qu'à Anvers, où florissait toute une
pléiade de facteurs de clavecins, de Bur-
bure compte à peine, à un moment donné,
quelques luthiers et un seul facteur d'instru-
ments à vent, c'est qu'Anvers était surtout
un centre pour la facture du clavier et que
les autres branches n'en étaient pas moins
bien représentées dans les principales villes
du pays. Mais il n'en est pas moins vrai que
si quelques noms marquants, les Decomble,
les Brebos, les Forcivil, les Tuerlinckx,
s'offriront encore à nous, nous ne rencon-
trerons plus des Ruckers, des Taskin et
des Melchior de Haze ; quant à l'évolution
et aux perfectionnements proprement dits
de la facture instrumentale, il faudra pous-
ser jusqu'aux succès retentissants et
presque actuels d'Ad. Sax pour y trouver
une intervention marquée de nos compa-
triotes.
La facture d'orgue fut de tous temps flo-
rissante dans nos provinces, surtout aux
xve, xvie et xviir siècles (ce dernier vit
l'érection des grandes orgues de Sainte-
Gudule à Bruxelles, de Saint-Paul à An-
vers, de Saint-Rombaud à Malines). Les
guerres de religion la favorisèrent indirec-
tement, en causant la destruction d'un
grand nombre d'instruments qui durent
être remplacés (1). Il ne paraît pas cepen-
dant que chez nous la dite industrie ait
dépassé en importance la facture alle-
mande, ni celle des nombreux maîtres
d'orgues hollandais, les Confluentius, les
(1) Au xvie siècle, à Anvers et à Gand, presque toutes
les orgues furent détruites, les tuyaux promenés à tra-
vers les rues et profanés. L'usage de l'orgue demeura
interdit jusqu'au début du xvue siècle v
7H
LE GUIDE MUSICAL
Duyschot, les Schnitger, les Bàtz, les
Lohman et tous ceux de l'école d'Utrecht.
La facture indigène remonte haut, puis-
qu'on voit, en i2o3, un Stiévin Van Holle-
beke, facteur à Ypres, charge de réparer
les orgues de Bierbeek, instrument datant
du XIe siècle.
A la fin du XIIIe siècle, on signale à Bruges
un facteur du nom de Waltero ; au XIVe, à
Bruges encore, Jan Van Aalst et un nommé
Visé ou Vyre, qui surveille le transport, de
Bruges à Arras, d'un orgue d'oratorio :
c'était d'ordinaire le facteur même qu'on
chargeait de la direction de ce genre de
transports, dont on imagine l'importance
et les difficultés à cette époque; — encore,
ceci n'était-il rien en comparaison du cas de
cet autre facteur néerlandais (son nom ne
nous a malheureusement pas été conservé),
auquel Philippe le Hardi commandé en
1399 un orgue monumental, à transporter
« par forche de gens, tant par eau que par
terre », de Gand à Conflans, près Paris !
Au XVe siècle, les facteurs d'orgues sont
déjà nombreux chez nous et paraissent
jouir d'une renommée assez étendue, à en
juger par les nombreuses commandes qui
leur arrivent de l'étranger. Ce sont J. Van
Steenken à Aerschot, qui fournit en. 1439,
à Philippe le Bon, un orgue pour sa cha-
pelle à Dijon et qui s'engage, moyennant
une pension, à offrir en option au duc tout
instrument nouveau sorti de ses mains (le
même semble avoir construit des orgues
mécaniques); puis Josse Lemonnier à Bru-
xelles, à Anvers Ph. Delannoy et Guy,
auquel Philippe le Bon confie la réparation
de son orgue du château d'Hesdin, Marc
Sproncholf à Bruges, Swynnen, Van Helen
et Vander Phalisien — un prêtre — à
Louvain, Josse Demuldre à Termonde,
Piètre à Tournai.
Dès la fin du XVe siècle, Anvers s'affirme
comme un véritable centre pour notre
industrie. Celle-ci occupait d'ailleurs ac-
cessoirement un grand nombre de facteurs
de clavecins : tel était le cas des Ruckers
et des Couchet, tel aussi celui de Ant.
Mors, que nous avons déjà vu vendre des
clavicordes à Charles-Quint et qui lui four-
nit également, de 1514a i5i5, trois orgues
par l'intermédiaire de Bredemer, tandis
que son frère Henri, de Lierre, fournit en
i5iy des orguettes au même monarque, à
destination de l'Espagne. A Anvers encore,
on remarque : Josse et Jean De Buus (peut-
être parents de Jacques De Buus, le célè-
bre organiste de Saint-Marc, à Venise) ;
de la fin du XVe au commencement du XVIe
siècle, Danneels, Ph. Snoeck (natif de
Tournai), D. Van Distelen ou Vanden Dis-
telen, Harno ou Hamo ; plus tard, C. De
Moor (1), l'Allemand Hans Golfius, auteur
de grandes orgues à Rotterdam, J. Ver-
donck, enfin Gilles Brebos, — celui-ci une
figure réellement intéressante.
Gilles Brebos (2), natif de Malines, tra-
vaille à Louvain en i56o, puis à Anvers; il
part ensuite pour Madrid, où il entreprend,
à l'Escurial, la construction de quatre
orgues, achevées par son fils Gaspard, parti
probablement avec lui. Ces quatre instru-
ments, comprenant ensemble près de
7,000 tuyaux, existeraient encore, comme
un témoignage de l'excellence de la
facture d'orgue néerlandaise du temps.
Gilles Brebos mourut en 1584, Gaspard
deux ans plus tard. Gilles eut deux autres
fils, Michel (-j- i5go) et Jean (+ 1609), qui
exerça également à Madrid et remplit les
fonctions de templador royal, probablement
en remplacement de Gaspard. On dit de
Jean Brebos qu'il arrangea le clavecin de
la reine à Valladolid, l'orgue de la chapelle
de l'Alcazar, qu'il fabriqua un claviorgue
et des régales. Après Jean Brebos, les
fonctions de templador sont remplies (de
(1) On se demande (étant donnée l'orthographe fan-
taisiste des noms propres dans les archives du temps)
si celui-ci n'est pas de la même famille que les Mors,
dont il a déjà été question. Vander Straeten fait remar-
quer que « De Moor» (» le Maure »), latinisé, fournit
« Maurus », d'où éventuellement, par contraction,
« Mors » ou « Moor s ».
(2) Vander Straeten suggère fort plausiblement,
comme origine de ce nom singulier, « Vanden Bree-
denbos ».
Le Guidé musical
72S
l5g3 à i6o3) par un autre facteur néerlan-
dais estimé, Mathieu Langhedul d'Ypres.
Vers la même époque, notons à Bru-
xelles Fr. Vander Elst, à Roulers R.Vander
Keere, à Mons Jean Crinon, — invité en
i536 à venir montrer ses instruments à
Bruxelles, — à Ypres J. Stoop, à Diest
S. Monkens, à Gand Th. Keygerman,
H. Van Sachmoortere, Ch. Blancart.
Au xvue siècle, on signale à Anvers Bre-
mer et l'Allemand Von Haghen, à Gand
J. Anthony et P. Wyckaert, religieux domi-
nicain. Il n'est pas le seul exemple de reli-
gieux s'occupant d'organologie musicale,
spécialement de la fonte des cloches et de
la construction des orgues, deux instru-
ments proprement religieux, dont l'indus-
trie se perfectionna notoirement sous
l'influence de l'Eglise (1). Nous avons
signalé Vander Phalisien de Louvain,
ainsi que l'ecclésiastique namurois Poi-
gnard, qui fut exercer en Espagne son
talent de campanologue ; on incline à
croire que Christophe Ruckers, le campa-
nologue et facteur de clavecins, était éga-
lement dans les ordres, à cause de la
qualification de lier qui lui est appliquée
dans les documents du temps. En matière
de facture d'orgues, on signale également,
au xviie siècle, un moine maestrichtois,
nommé Séverin, qui travailla à Liège, tan-
dis qu'un jésuite flamand, Guillaume Her-
mann, se rendait célèbre en Italie par la
construction de Forgue monumental de la
cathédrale de Côme, ainsi que d'autres
orgues à Gênes et à Carignano.
On est sans renseignements sur un cer-
tain Ch. Royer, facteur à Bruxelles, qui
construisit en i65j l'orgue de la cathédrale
de Marseille et qu'il faut peut-être rappro-
cher d'un J. Le Royer, « maistre des
orgues » de la cour de Bruxelles en 1673.
Au xvine siècle ce sont, à Anvers encore,
A. Hellemans, Pesscheur ou Pescheur,
(1) On dit de l'évêque anglais Saint-Duncan qu'il
coula de ses propres mains, en 988, deux cloches pour
l'abbaye d'Abington et qu'il y construisit également un
orgue; il aurait fait de même pour d'autres églises et
monastères anglais.
G, Davids, qui fut le premier maître de
Van Peteghem, P.-J. Devolder, enfin
J.-B. Forcivil, plus tard facteur delà cour
du duc de Lorraine. Celui-ci (décédé vers
1732) est un des meilleurs facteurs de son
temps. On lui doit notamment l'orgue de
Sainte-Gudule, un des plus importants du
pays. C'est chez lui que se forme P. Van
Peteghem (1708-1787), plus tard établi à
Gand, fondateur d'une famille qui, durant
cent cinquante ans, construisit une quan-
tité énorme d'orgues ; P. Van Peteghem
lui-même enseigna Dell Haye, le principal
représentant d'une autre famille qui, du
xviie au xixe siècle, plaça plus de deux
cents instruments en Belgique et en
Hollande. Trois autres élèves de Forcivil
en même temps que Van Peteghem,
Vander Hagen, J. Gosno et E. Le Blas,
travaillèrent, le premier à Gand, les
deux autres à Bruxelles. A Bruxelles
encore exerçaient J. De Boden, facteur de
la cour en 1742, et J.-B. Goyenant (Joye-
nant). Citons en outre : J. Boché à Nivel-
les, J.-B. Le Picard, probablement à Liège,
qui fit l'important orgue de Notre-Dame à
Saint-Trond, P. Van Overbeeket Ch. Dil-
lens à Malines, A.-J. Berger à Bruges,
J. Nau à Louvain, J. Vanden Eynde à
Ypres, les frères Deryckere à Courtrai,
J. Tits à Hoogstraeten, J. Smit à Saven-
them, etc., etc.
Nous nous arrêtons ici, avec les facteurs
de la première moitié du XIXe siècle,
Merklin, H. Loret, de Volder (Bruxelles),
F. Loret (Malines), Clerinckx (Saint-
Trond), Van Dinter (Tirlemont), P. -H. An-
nessens (Ninove), Van Houtte-Vande Poel
(Waereghem), Smet-Van Tienen (Dufïel),
Hooghuis (Bruges) et ce P. Loncke, de
Hoogstade près Furnes, un autodidacte
« intégral » dans sa délicate industrie.
Si celle-ci conservait son activité en Bel-
gique, il semble qu'elle n'y mît pas grand
empressement à suivre les progrès techni-
ques réalisés dans ce domaine à l'étranger,
vers la même époque. C'est ce que formula
Fétis, en i85o, dans une note « sur l'état
actuel de la facture des orgues en Belgique,
72e
LE GUIDE MUSICAL
comparée à sa situation en Allemagne, en
France et en Angleterre », note qui excita,
comme on pense, un vif émoi chez les inté-
ressés et valut à l'auteur, outre une réplique
fort digne du facteur Hippolyte Loret et
un article plutôt vif de l'abbé Janssen,
dans le Diapason (i), de virulentes attaques
dans la presse quotidienne; on en appelait
même au gouvernement ! Quelques années
après, revenant sur le même sujet, Fétis
constatait les progrès réalisés par l'indus-
trie nationale grâce, affirmait-il, à cette
intervention énergique qui effectivement,
étant donné le crédit énorme du musico-
logue, ne put que stimuler les énergies et
galvaniser l'initiative. Il citait en exemple
l'entreprenant Merklin (2), le restaurateur
du fameux orgue de Fribourg, auteur d'un
nombre prodigieux d'instruments, qui
constituait à Bruxelles une société puis-
sante et, à Paris, ne craignait pas d'entrer
en concurrence avec Cavaillé ; — mais il
oubliait que Merklin, comme son associé
Schulze, comme Ruef à Saint-Trond et
d'autres, était Allemand d'origine.
[A suivre.) Ernest Closson.
(1) Dans son article, Janssen ne manque pas de
relever une bévue acoustique de Fétis (ou ce qu'il
considère comme tel), recommandant l'emploi du
sapin au lieu du chêne pour la construction des
tuyaux, « parce que le sapin est plus riche en qualités
vibratoires ». Plus loin, Janssen s'embarque dans
une diatribe assez malavisée contre les leviers de
Barcker, prônés avec raison par Fétis. — Cet article
précédait de quelques semaines les attaques retentis-
santes livrées, dans le même journal, au compositeur
Fétis et à son protégé Lemmen et où les quintes
directes, les octaves cachées et les fausses relations des
compositions de l'un et de l'autre étaient impitoyable-
ment épluchées, avec citations musicales a l'appui. On
s'évertua vainement, à l'époque, à découvrir les auteurs
des dits articles, dont l'inspirateur n'était autre que
Ferdinand Kufferath et le rédacteur Félix Delhasse.
(Voir notre article Kufferath et Fétis, dans la Jeune Bel-
gique da iei'août 1896.J
(2) Décédé il y a quatre mois, le 10 juillet, âgé de
quatre-vingt-six ans, à Nancy.
|V|IÂRKA, d'Alexandre Georges j
A L'OPÉRA-COMIQUE
IARKA, OU LA FILLE A l'OuRSE,
tel est le titre d'un roman du
poète sonore et passionné Jean
Richepin, paru en i883 et dont
un pittoresque tableau de mœurs bohémiennes
et romanichelles faisait le prix. Quelque temps
après, le musicien Alexandre Georges, le
savant professeur de l'école Niedermeyer et le
futur auteur de Charlotte Corday, épris des
pages d'étrange et sauvage lyiisme qu'il avait
trouvées éparses dans le toman, faisait exécuter,
avec orchestre, aux Concerts Lamoureux, Les
Chansons de Miarha, qui rapidement firent le tour
du monde et mieux que toute autre œuvre ont
répandu la renommée de son talent. Telle est
l'origine de cette comédie lyrique en trois actes
et un prologue que l'Opéra-Comique vient de
représenter sous le nom tout court de Miavka.
Il est toujours un peu dangereux, maint
exemple l'a prouvé, de tirer une pièce, surtout
lyrique, d'un roman, surtout de mœurs; il l'est
plus encore d'écrire une partition spécialement
en vue de l'enchâssement de pages musicales
précédemment composées et qu'on veut mettre
en valeur d'une façon nouvelle. Les auteurs de
Miarka, le poète et le musicien, s'en sont natu-
rellement doutés, et sans changer la forme
simplement épisodique de leur donnée, ils ont
insisté sur son caractère légendaire et en
quelque sorte symbolique, qui lui donne un
peu l'aspect d'une ballade en action et en
quatre ou cinq parties Et le reproche de
décousu et d'obscurité qu'on leur pourrait
faire tombe un peu, de la sorte. Je suis con-
vaincu, toutefois, qu'ils auraient obtenu un
résultat plus élevé, plus séduisant, plus
lyrique en accentuant davantage encore l'im-
pression mystérieuse de légende qui est le fond
même et le prix de cette action, en dégageant
celle ci de son milieu trop réel et trop actuel.
Je sais bien que ceci aussi est un symbole. Il
faut que Miarka se meurtrisse et lutte, dans
l'exil, dans l'ignorance ou le mépris, sans
aliéner jamais sa liberté ni sa foi, pour mériter
sa délivrance finale et son retour parmi ceux
de sa race; il faut que l'hirondelle ait étouffé
LE GUIDE MUSICAL
727
tout l'hiver dans les demeures humaines avant
de s'échapper au grand air : « Miarka naît,
Miarka grandit, Miarka s'instruit, Miarka
n'aime pas, Miarka se défend, Miarka s'en
va... » telles sont les « légendes » (inscrites en
tête de la partition) de cette ballade en images.
Pourtant, j'aimerais mieux que la réalité où se
heurte ici le rêve fût moins banale, moins
quelconque, moins immédiate, reportée à des
temps très lointains, très incertains. La
« petite histoire » ici me gêne.
La Vougne, la sauvage romani, dont le fils
avait pris pour femme une paysanne, a été
pour ce fait chassée de sa tribu. Mais elle a vu
dans les cartes, et dans ses livres, qu'un jour
viendrait où la tribu repasserait aux mêmes
lieux, son jeune roi en tête, à la recherche de
la fille née de ce mariage, pour la prendre et la
couronner. Et la Vougne attend, guette ce
retour, sans bouger, tout en élevant sa petite-
fille, sa Miarka, en vue du grand jour de la
délivrance, de la réhabilitation; elle l'instruit
de tous les rites, de toutes les chansons, de
tous les souvenirs de sa race; elle la défend des
tentations étrangères, même de la bonté ou de
l'amour qui la détourneraient du but sacré.
Un prologue nous montre le lieu de l'action,
un petit village de Thiérache, dans le nord de
la France. Des vanniers, des laveuses, chantent
en travaillant; un innocent, Gleude, passe en
sifflant aux oiseaux; un maître d'école, que
tout ce bruit dérange dans sa classe, s'indigne
et fait plus de bruit encore ; enfin, une foule
houleuse envahit la scène, poursuivant la
bohémienne qui traîne vers la rivière sa petite
voiture couverte : c'est la Vougne, qui vient
baptiser à sa façon l'enfant qui vient de naître.
La foule ricane mais laisse faire, car M. le
maire la contient : c'est un homme éclairé, folk-
loriste avec passion, qui s'intéresse singulière-
ment aux romanichels et défend leur liberté
quand ils passent. Pour plus de sûreté, il
installe la vieille dans un coin de sa propriété,
où nous la retrouvons au premier acte, dix-huit
ans plus tard, indépendante toujours, car,
malgré l'hiver, elle campe en plein air, et plus
haineuse que jamais contre la bienveillance
trop questionneuse du maire, contre cette
hospitalité qu'elle est forcée d'accepter puisque
l'heure n'est pas venue pour elle du départ,
contre Gleude aussi, dont elle voit l'amour
éclaircir les idées, un amour qu'elle ne veut pas
pour Miarka...
Cependant Miarka a dix-huit ans, et il est
temps de lui révéler son avenir, pour l'arracher
aux séductions bourgeoises. La Vougne évoque
le rêve dans la nuit qui endort Miarka : et
voici le fond de la scène qui se peuple des
libres enfants de la tribu, mêlant leurs chants
et leurs danses, en attendant leur jeune roi, qui
paraît sur son cheval et donne l'ordre du
départ ; du départ à la recherche de Miarka la
promise...
Au second acte, la Vougne a consenti
pourtant à laisser Miarka sous le (oit de M. le
maire et de sa sœur, car elle se mourait et la
voici qui revit au printemps. Mais l'esprit
aussi de Miarka est fortifié : Miarka n'aime
pas, si touchant que soit l'amour timide de
Gleude; et Miarka se défend, car un moment
vient où la brute se réveille chez l'innocent, qui
se jette sur elle et qu'elle repousse sur le sol,
comme un chien. Et c'est la dernière épreuve :
il faut partir enfin, les cartes l'ont dit. La
Vougne exulte et, dans une malédiction sau-
vage contre ses hôtes, entraîne Miarka toute
pâle, au milieu du feu qu'elle jette sur cette
demeure trop hospitalière !
Enfin, avec le dernier acte, voici la grande
route et la Vougne épuisée qui se meurt :
Miarka l'assiste, et aussi Gleude, qui les a
suivies, dévoué jusqu'au bout. Mais ne verra-
t-elle donc pas le jour promis pour sa gloire?
Si, une marche bien connue retentit au loin...
Gleude pourrait peut-être la détourner, mais
il n'ose... C'est la tribu, c'est le roi, c'est le
triomphe. Sous les yeux ravis de la vieille qui
s'éteint, la fête nuptiale est célébrée, le man-
teau de reine couvre Miarka... Miarka s'en
va !.. .
Ceux qui connaissent les Chansons de Miarka
trouveront facilement leur place en cette série
d'épisodes. Le prologue nous fait entendre,
dans la bouche de la Vougne, l'Hymne à la
rivière (« Dans l'eau qui court sans but... », et
l'Hymne au soleil (« Soleil qui flambes... »), pour
le baptême de Miarka. Le premier acte égrène
la chanson de la Paroli (« Je suis la parole et
728
LE GUIDE MUSICAL
je suis tout ») et celle de Y Eau qui court (« Si l'eau
qui court pouvait parler »), que répète Miarka,
instruite par sa grand mère. Et celle-ci défie
M. le maire aux sons de la chanson du Savoir
(« Le savoir est pareil à l'eau »). L'évocation
du rêve nous fait entendre le chœur de la Pous-
sière (« Poussière, je ne te crains pas ») ; et
quant au troisième acte, il comprend la chan-
son des Nuages (« Nuages, nuages, que vous
êtes loin! ») et celle de la Pluie (« La pluie, la
pluie aux doigts verts »), auxquelles la Vougne
mourante répond par YHymne des morts (« Ne
crois pas que les morts soient morts... »). Et
l'œuvre se conclut aux accents légers de la
chanson de Miarka s en va (« Miarka était une
hirondelle... »).
Tout le cahier original est ainsi égrené, et
dans les mêmes tonalités. S'il manque ici une
chanson, celle des Deux baisers, c'est qu'elle
apparaît dans l'orchestre, au prélude du pre-
mier acte. Et sans doute ces diverses pages,
souvent originales et poétiques et d'une expres-
sion pénétrante, en dépit de certains abus,
sauts d'octaves continuels (comme dans YHymne
au soleil) ou répétitions infinies (comme dans les
Nuages), qui en alanguissent ou en alourdissent
singulièrement l'accent et la réelle saveur, ces
diverses pages sont bien le fond même et la
raison d'être de toute la partition; mais préci-
sément parce qu'elles forment comme une
série de tableaux, d'évocations complètes en
elles-mêmes, cette partition ne va pas sans en
souffrir. Le « remplissage » n'est pas toujours
heureux, ni surtout ne soutient pas toujours le
style des pages enchâssées. Les longueurs du
dialogue et son terre-à-terre ne sont pas assez
relevés de véritables idées et d'inspirations
fécondes. L'ensemble ne dépasse pas un niveau
assez humble, alors qu'il semble que le plus
débordant lyrisme n'eût pas été hors de pro-
pos. Les ensembles du début ont pourtant une
verve aimable, les danses du rêve de Miarka
ont une couleur pittoresque, la scène où la
jeune fille se défend contre la brutalité inatten-
due de Gleude est traitée avec âpreté, le finale
de la fête nuptiale a de la chaleur, les phrases de
la Vougne, en général, sont marquées d'un
accent vigoureux et incisif, et un peu partout,
dans l'orchestre, on sent, au choix des sono-
rités et à leurs alliances, par exemple dans
l'emploi des harpes, des flûtes, des cordes, que
le musicien a le sentiment des effets délicats et
évocateurs d'images. C'est la cohésion qui
manque à tout cela, et l'unité d'inspiration,
pour soulever l'œuvre d'un vrai souffle de vie.
Mais comme elle est mise en valeur! Quelle
étonnante réussite de plus à l'acquit de
M. Albert Carré et de tous les artistes ses colla-
borateurs! Sur la scène, c'est Mme Héglon, qui
jamais à l'Opéra n'avait paru aussi dramatique,
aussi impressionnante de vérité et de force
que dans cette Vougne magnifique et terrible,
dont son articulation sonore fait valoir à mer-
veille les phrases nerveuses, que sa physiono-
mie expressive et son ajustement pittoresque
rendent criante de réalité, et qui devient si tra-
gique à ses derniers moments. C'est Mme Mar-
guerite Carré, dont la beauté va de pair avec la
finesse de diction, pour nimber de jeunesse et
de grâce l'exquise figure de Miarka comme
pour en relever les curieuses et difficiles chan-
sons. C'est M. Jean Périer, dont le rôle du mi-
sérable Gleude restera une de ses plus parfaites
créations, une de celles qui auront fait valoir
avec le plus de variété son entente si intelligente
des dessous du personnage et de son caractère
intime. Il a eu une ovation interminable après
sa scène de violence du second acte. Et
d'ailleurs le succès de ces trois interprètes a
été unanime et continuel. Il n'a pas été moindre
pour l'orchestre, si souple et si chatoyant sous
la ferme main de M. Luigini. Il a tenu du
ravissement devant la mise en scène, tantôt
amusante par le détail et tantôt dramatique par
les larges touches ; devant ces décors mou-
vants, vivants presque; devant cette sorte de
vibration de lumière, dont le réglage, dans le
rêve de Miarka par exemple, devient du grand
art. Henri de Curzon.
LE GUIDE MUSICAL
729
LES DROITS DES MUSICIENS
La Société des Auteurs et Compositeurs
de musique fait beaucoup parler d'elle
depuis quelques jours. Elle a défendu
à un de ses membres, M. Michel
Carré fils, de donner sa pièce, Volcan d'amour, à
M. Richemont, directeur des Folies-Dramatiques,
qui a été mis en interdit par la dite société pour
avoir des intérêts communs avec un autre direc-
teur, celui de l'Athénée. Pour tourner la difficulté
— ou la loi — le journal le Matin s'est substitué
à M. Richemont, a pris possession de sa salle
et monté la pièce à son propre compte supposé.
« Il ne reste plus en France qu'une seule
Bastille à prendre, a dit le Matin, et nous
la prendrons. » Sans trop souhaiter qu'on la
démolisse complètement, je pense qu'il y aurait
lieu d'apporter de grandes réformes non seu-
lement dans la constitution de la Société qui
nous occupe, mais aussi dans celle d'une autre,
appelle « la petite sœur », je veux parler de la
Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs.
Les auteurs français, on le sait, ont deux
sociétés chargées de les représenter : i° la Société
des Auteurs et Compositeurs dramatiques, qui
défend les intérêts de ses membres auprès des
administrations théâtrales et perçoit un tant pour
cent sur les représentations (le taux est variable
suivant les théâtres) ; 20 la Société des Auteurs,
Compositeurs et Editeurs de musique, qui a pour
objet de percevoir des droits dus à ses membres
sur des morceaux de musique, symphonies, ouver-
tures, fantaisies instrumentales, chansons, ro-
mances, exécutés dans les cafés-concerts et les
lieux publics (le taux est également variable ; sou-
vent, on s'arrange avec elle par abonnementj.
Avant la création de ces deux sociétés, les
auteurs s'entendaient avec les directeurs des
théâtres, qui, suivant la réputation de ceux-là, ou
leur achetaient leurs œuvres au prix ferme, ou
leur donnaient une somme déterminée à chaque
représentation. On citait, par exemple, Désaugiers
et Gentil, les auteurs de la Chatte merveilleuse, qui
touchaient à eux deux un louis par soirée, tandis
que le directeur des Variétés, où était jouée cette
féerie, faisait des recettes de plus de quatre mille
francs pendant cinq cents représentations : soit
deux millions au directeur et deux cent cinquante
louis seulement à chacun des auteurs.
Frappé de cette injustice, Eugène Scribe eut
l'idée de fonder, en 1829, une société qui, ayant
réuni et coalisé tous les auteurs et compositeurs
dramatiques, contraignit les directeurs à accepter
ses conditions, dont la plus importante, la plus
fructueuse, fut la perception obligatoire d'un tan-
tième sur la recette journalière. Heureuse révolu-
tion dont Scribe profita le premier, puisque, dit-on,
il laissa une fortune qui dépassa quatre millions.
Mais tandis que les dramaturges devenaient de
gros propriétaires bien rentes, les compositeurs de
symphonies, de romances, de chœurs, de chan-
sons, de musiques de danse, les petits paroliers
de couplets, restaient pauvres comme Job.
Un jour, vers iS5o, Paul Henrion entra dans un
café-concert des Champs-Elysées, Paul Heniion,
l'auteur très célèbre alors d'une foule de romances
et chansonnettes (qui n'a pas entendu Pauvre
bouquet, /leurs aujourd'hui fanées?). Il commande un
mazagran — terme alors à la mode — et, tout en
sirotant son café additionné de beaucoup de sucre
et d'eau, entend une demi-douzaine de morceaux
de musique qui étaient précisément de lui. Il y
avait foule à ce concert, on applaudissait, on
bissait les œuvres de notre compositeur. Lui était
ravi de son succès. Au moment de partir, il est
arrêté par un garçon :
— Monsieur, vous n'avez pas payé votre ma-
zagran.
— Parfaitement; je m'appelle Paul Henrion.
— Charmé de vous connaître; mais il faut payer.
— Comment? payer ma consommation? Payez-
moi d'abord ma musique, nous verrons après.
On se dispute, survient le patron de l'établisse-
ment, qui soutient son droit. Henrion persiste
dans le sien, les spectateurs prennent parti moitié
pour l'un, moitié pour l'autre. De guerre lasse, on
laisse partir notre Henrion... sans payer.
De cette victoire naquit « la petite sœur ».
Henrion s'aboucha avec un parolier, dont je ne me
rappelle plus le nom, avec son éditeur Colombier,
et ces trois hommes, autour desquels se groupèrent
bientôt les musiciens, les petits poètes et tous les
éditeurs de musique, obtinrent les mêmes résultats
que la sœur aînée : la perception des droits
d'auteur, non plus dans les théâtres, mais dans
les bals, concerts, bouibouis, etc.
*
Jusqu'ici, tout est bien. Reste la question du
partage des droits entre les intéressés. Je crains
que, là, tout n'aille au plus mal. Je vais essayer
de le démontrer, et le ferai en toute liberté, car le
sujet me tient au cœur. Si, jusqu'ici, on ne l'a
traité nulle part, c'est que les journaux, rédigés
par un grand nombre de paroliers (mettons libret-
tistes), ont paru peu disposés à accueillir les raisons
contraires à leurs intérêts.
73o
LE GUIDE MUSICAL
Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule et serait peu permise.
Mais au Guidé musical, elle n'est pas seulement
autorisée, elle est obligatoire. Nous allons donc
dire tout haut ce que les gens sensés — et non
intéressés — pensent tout bas.
Et d'abord examinons ce qu'est le librettiste de
nos jours.
A part une dizaine (je ne les désigne pas, pour
ne pas offenser les autres), la confrérie se compose
trop souvent des fruits secs de la littérature et de
la poésie.
Ils ont peu d'imagination. Ils empruntent le
sujet de leurs opéras aux tragédies, aux légendes,
aux drames et aux romans célèbres ou simplement
en vogue.
Ils ont peu de style. Ils abusent du droit de ne
pas écrire en français. Je pourrais citer des
exemples fameux, s'ils nétaient pas dans toutes les
mémoires.
Ils savent rarement faire le vers. Ils rimaillent
tout au plus, chevillent sans honte et forgent des
alexandrins dénués de sens.
Souvent ils se mettent à deux pour bâtir un
scénario; ils s'adjoignent un troisième collabo-
rateur, le poète! qui découpe le dialogue en lignes
d'inégales longueurs. « Un tel, disait Théophile
Gautier, n'écrit pas en prose; ce n'est pas dire
pour cela qu'il écrit en vers. »
Un librettiste qui se respecte peut vous confec-
tionner malproprement douze pièces par an,
treize dans les années bissextiles.
Berlioz avait pensé, sans doute, qu'il ne ferait
pas plus mauvais que les autres ; résolu à s'affran-
chir du joug de ces messieurs, il s'est mis à écrire
lui-même ses livrets. M. Gustave Charpentier,
l'auteur de la triomphante Louise, en a fait autant,
et il a joliment réussi.
* * *
Dans toute association, les bénéfices sont par-
tagés au prorata du capital versé, ou selon la
somme et l'importance du travail employé à l'ex-
ploitation commune.
lien va tout autrement pour l'association entre
auteur et compositeur.
Le capital versé par l'un et l'autre est inégal.
Le librettiste n'apporte à l'œuvre que son habi-
leté, plus ou moins grande, d'arrangement et
d'adaptation, puisque, la plupart du temps, il
prend les idées d'autrui (Faust, Roméo, Mireille,
Hamlet, Othello, Rigoletto, Emani, le Cid, Manon,
Carmen, Sapho, etc.). Souvent même, sa principale
besogne consiste à opérer des coupures dans des
pièces toutes faites, de façon à ramener le drame,
qu'un autre a créé, dans les proportions d'un opéra.
Plus il a copié de scènes, plus il est félicité. A-t-il
gardé des vers entiers de l'ouvrage, on le loue de
son respect pour le génie du poète.
Le compositeur, lui, donne ses idées, puisées
dans son fonds. Il n'emprunte rien à personne; à
proprement parler, il est inventeur. S'il imitait la
\ musique de quelqu'un, on lui reprocherait l'absence
J d'originalité; s'il copiait, on le traiterait avec
raison de plagiaire.
Le librettiste profite de ses larcins. Le musicien
en tirerait de la honte.
L'apport du librettiste est presque nul, en quel-
que sorte réduit aux acquêts. L'apport du musi-
cien dépasse de beaucoup celui de son associé.
Les bénéfices doivent donc, en toute équité,
être majorés en faveur du compositeur.
D'autre part, en additionnant les heures de tra-
vail employées par les deux collaborateurs, qui
hésite à reconnaître que le temps matériel consa-
cré à l'œuvre commune est minime chez le libret-
tiste et considérable chez le musicien?
Un livret peut s'improviser en quelques jours ;
d'ailleurs, il est contenu tout entier dans une mince
brochure in-12.
Une partition à grand orchestre renferme de
mille à douze cents pages papier jésus.
En outre, si l'on ne compare que le côté pure-
ment attractif d'un opéra, on remarquera que le
nom du librettiste n'a aucune influence sur la
recette. Que le livret soit signé X ou Y, il n'amène
pas un auditeur de plus. Au contraire, le nom du
musicien exerce une action certaine sur la loca-
tion : on se battra pour trouver une place aux
représentations d'une œuvre signée Massenet,
Saint- Saëns, sans se préoccuper le moins du
monde des noms de leurs collaborateurs.
Enfin, dernier argument : on n'a jamais vu un
livret, quelque remarquable soit-il, sauver une
partition. Par contre, souvent la musique a
triomphé de l'ineptie du livret (Guillaume Tell,
V Africaine, Freischùtz, Fidelio, etc.).
Quiconque est de bonne foi conclura que le
capital du librettiste, comparé à celui du compo-
siteur, est à peu près dans les proportions de un à
vingt.
# * *
Eh bien, les droits du librettiste et du com-
positeur sont absolument égaux. Ainsi le veulent
les statuts des deux sociétés, la petite et la grande.
Etonnez-vous, après cela, que les fournisseurs
des musiciens célèbres soient morts puissamment
riches !
LE GUIDE MUSICAL
73i
Leur marchandise, exigeant peu de main-d'œu-
vre, est livrée aussitôt que commandée. Ce sont
des commerçants en gros, pas même des indus-
triels, la matière première — drames et romans
d'autrui — leur étant fournie gratuitement.
La production du musicien est forcément li-
mitée ; petit détaillant, il meurt laissant en
moyenne une demi-douzaine de partitions tout au
plus.
* * *
Le contrat qui lie les collaborateurs est vérita-
blement léonin.
Si un compositeur fait exécuter une ouverture
d'opéra, un ballet détaché de ce même opéra, un
entr'acte, morceaux purement symphoniques, sans
paroles, par conséquent, le librettiste partage
encore les droits avec le compositeur. Il n'a rien
fait, mais il touche tout de même, chaque trimes-
tre, à la petite Société, une somme égale à celle du
musicien.
Le plus fort, c'est que la dite petite Société pré-
lève, dans les concerts, un droit au profit des éditeurs,
sous prétexte qu'elle a été fondée, il y a plus d'un
demi-siècle, par un groupe de compositeurs, d'au-
teurs et d'éditeurs.
Si vous discutez avec ces derniers sur l'absurdité
du revenu qui entre dans leurs poches, ils vous
répondent que l'impôt est très juste, qu'il leur est
dû, parce que leurs prédécesseurs ont aidé à créer
la Société.
A la rigueur, je consens à admettre que les pre-
miers fondateurs — il n'en survit aucun — aient
profité des avantages établis dans le règlement
d'une société qu'ils avaient eu l'ingéniosité de fon-
der. Mais les autres, les successeurs, en vertu
de quel principe viennent-ils encore enlever une
part des droits aux producteurs ?
Parce qu'il a plu à un groupe d'associés d'accor-
der à des éditeurs un privilège, il ne s'ensuit pas
que ce privilège individuel et personnel doive être
continué en faveur d'une classe de gens qui n'ont
rien fait pour le mériter.
Il y a concordat, dit-on ; mais un concordat est
un traité qui lie seulement les signataires ou ceux
au nom desquels on prend des engagements.
Vous voulez aujourd'hui vous établir éditeur de
musique. La petite Société pourrait vous dire :
« Vous ne percevrez aucun droit sur les ouvrages
que vous publierez. » Vous êtes prévenu ; libre à
vous de ne pas acheter une maison d'édition.
Il résulte de ce qui précède : qu'il faut de toute
équité reviser les statuts des deux sociétés de
façon que chacun soit rémunéré selon son mérite
et son travail.
Si l'on ne peut y parvenir, que les jeunes com-
positeurs qui n'appartiennent encore à aucune so-
ciété en fondent une nouvelle.
■Les statuts qui sauvegarderaient leurs intérêts
seraient très simples ; ils tiendraient en quelques
articles.
Attendu :
i° Que les compositeurs achètent aux paroliers
les livrets dont ils ont besoin moyennant un prix
convenu (comme c'est d'usage en Italie);
2° Que les éditeurs vendent et exploitent, à leurs
risques, périls et avantages, de la musique ache-
tée aux producteurs, c'est-à-dire aux compositeurs.
La Nouvelle Société décide et arrête :
Les compositeurs touchent intégralement les droits sur
la recette, sans partage aucun avec les librettistes et les
éditeurs.
On bat le fer quand il est chaud. Il est tout
rouge en ce moment. Prenez garde, petite et
grande sœur : si vous ne faites pas de concessions,
le Volcan d'amour pourrait bien vous incendier et
vous abolir, et on ne vous plaindra pas.
Julien Torchet.
LA SEMAINE
PARIS
CONGE RTS COLONNE. — Si les ouvrages
lyriques de M. Alfred Bruneau n'obtiennent pas
tous au théâtre le succès qu'ils méritent, les mor-
ceaux symphoniques qu'on en extrait reçoivent
toujours dans les concerts le meilleur accueil. C'est
ainsi que, le dimanche 5 novembre, le prélude de
Y Enfant-Roi a été très chaudement applaudi par les
abonnés du Châtelet. J'espérais pour le composi-
teur que cette page colorée, vigoureuse, expres-
sive aussi, serait discutée par quelques ennemis
(n'en a pas qui veut>; elle n'en a rencontré aucun :
elle eut même été bissée, si M. Colonne n'eût craint
d'allonger le programme.
Elle était précédée de l'ouverture de Sigurd, exé-
cutée somptueusement par l'orchestre toujours
plein de juvénilité, moins jeune pourtant que son
chef, sur lequel les années n'ont pas de prise. Bien
que cette ouverture ait fait un extrême plaisir, je
ne pense pas qu'elle soit bien à sa place sur un
732
LE GUIDE MUSICAL
programme de concert. L'ouvrage de M. Reyer
étant au répertoire de l'Opéra, il est à supposer
que les amateurs en connaissent l'ouverture ; mais
on m'assure qu'à l'Académie nationale de musique,
on la supprime comme «faisant longueur »! Alors,
mettons que je n'ai rien dit et remercions au con-
traire M. Colonne de réparer la faute d'autrui. Il
est encore des ouvertures d'opéras qui vaudraient
d'être réentendues : celle, par exemple, du Roi de
Lahore, de Massenet, superbe partition injustement
délaissée, ou bien celle de Sémiramis, ouvrage de
Rossini démodé non sans raison, mais dont l'ou-
verture a gardé toute sa verve et toute sa fraî-
cheur.
Après l'intermède symphonique de Rédemption,
dont la belle interprétation a excité de nouveau
l'enthousiasme, et le Roi des Aulnes, intelligemment
chanté par Mme Kutscherra, s'est déroulée une par-
tie du cycle Beethoven. M. Colonne a donné les
deux premières symphonies du maître et les a
dirigées et nuancées de façon à se faire applaudir...
comme un capellmeister. Pour un instant on avait
oublié que M. Colonne est Français, car il est bien
entendu, n'est-ce pas? que seul un chef d'orchestre
allemand a reçu du ciel le don de comprendre la
musique de Beethoven.
Les fragments d'Egmont, surtout la pathétique
ouverture et la romance « C'est l'amour qui trou-
ble ainsi mon cœur », qu'on a fait bisser à Mme
Kutscherra, ont remporté le même triomphe que
les deux symphonies.
On sait que Beethoven, passionné pour le génie
de Gœthe, avait composé une musique de scène
pour illustrer la tragédie du poète. On sait aussi
qu'elle a pour sujet l'insurrection de la Flandre,
soulevée par le comte d'Egmont, comprimée par
le duc d'Albe et achevée par la décapitation du
célèbre patriote (i568). Mais on ignore peut-être le
détail suivant: Le château du comte d'Egmont, dit
« château de Gaesbeek ». existe encore ; il est la
propriété de Mme la marquise Arconati-Visconti,
une Française, fille d'Alphonse Peyrat, qut fut vice-
président du Sénat, et sera légué à l'Etat belge par
la généreuse donatrice. Il n'est pas sans intérêt
d'ajouter que le marquis Arconati-Visconti, décédé
il y a quelques années, avait été un grand admira-
teur de Berlioz ; il avait assisté à toutes les repré-
sentations des Troyens, et ce fut au moment de se
rendre à une fête préparée en son honneur par
le gentilhomme italien que le pauvre composi-
teur apprit la mort de son fils unique.
Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. - Du classique
et du très classique, du moderne et du très mo-
derne, du grandiose et du fantasque, tel était le
programme intéressant et varié de dimanche der-
nier. D'une façon générale, l'exécution a surtout
brillé par le fini et la virtuosité pittoresque ou déli-
cate des sonorités. Il est impossible de jouer avec
plus de finesse la Symphonie inachevée de Schubert,
et de légèreté piquante le concerto en ré mineur de
Hsendel, pour cordes. Le Cafiriccio espagnol de
Rimsky-Korsakow, ce rendez-vous de toutes les
sonorités possibles et imaginables, a été enlevé
avec brio, dans toute sa verve étourdissante, et
quant à l'ouverture de Tannhcenser, puissante et
d'un romantisme si classique au fond, les plus vifs
éloges doivent être adressés à M. Chevillard pour
la façon dont il a su faire ressortir les traits des
violons sur le thème souverain des trombones.
Pour finir, la P 'ouvrée fantasque de Chabrier, orches-
trée très curieusement par Félix Mottl.
Deux petites nouveautés seulement, dont l'une
encore relative : le Cygne de Tuonela, assez courte
légende pour orchestre de Jean Sibelius, le com-
positeur finlandais le plus en vue actuellement (sur
lequel on aurait été reconnaissant au programme
de donner quelques renseignements). Le vol ma-
jestueux et le chant mystérieux du cygne parmi
les ondes noires du fleuve de Tuonela, de l'empire
des morts, sont caractérisés par un cor anglais di-
rectement issu de celui du troisième acte de Tristan,
sur un fond de cordes : l'ensemble est harmonieux,
mais non sans monotonie. Ce défaut n'est certes
pas celui de la Chevauchée de la Chimère, la nouvelle
page de M. Gaston Carraud, un poème sympho-
nique enfiévré, vibrant, volontairement décousu,
voire incohérent, très curieux dans son développe-
ment sonore, haletant, plein de bonds, où la
course fantasque frémit constamment sous les
broderies de l'imagination du cavalier, où le ravis-
sement de son ascension chimérique s'éteint avec
son dernier souffle, en quelques notes éparses suc-
cédant à un essor suprême. Les œuvres, trop rares,
de M. G. Carraud sont toujours suggestives et
attachantes H. de Curzon.
CONCERTS EDOUARD R1SLER. — La
deuxième séance consacrée aux sonates de Bee-
thoven a présenté plus d'intérêt encore que la
première : c'est qu'à mesure que s'élargit le génie
du maître, s'élargit aussi le talent de l'interprète.
Le concert, qui avait commencé par la seconde
LE GUIDE MUSICAL
733
« sonate facile », op. 49, en sol mineur, un pur
bijou mélodique, a continué par la « grande
sonate », op. 7, en mi bémol, œuvre composée
dans la joie de l'esprit et du cœur, et s'est achevé
par l'exécution des trois sonates en ut mineur, en
fa et en ré, op. 10, où Beethoven, affranchi des
liens en lesquels l'avaient tenu jusqu'ici Haydn et
Mozart, étend librement les ailes de son génie.
Artiste toujours dans les trois compositions, il est
plus encore dans la sonate en ré, — il est humain.
Ecoutez le largo; est-il une musique plus doulou-
reuse et plus poignante? Qui, avant lui, a su
exprimer les souffrances du corps et de l'âme? —
M. Edouard Risler les a traduites en pianiste
impeccable et senties en grand musicien. L'impres-
sion qu'il a produite sur les auditeurs de la salle
Pleyel a été si vive, qu'après le morceau final,
on l'a acclamé et rappelé, moins pour fêter un
virtuose que pour remercier l'artiste de l'émoi ion
profonde qu'il avait fait naitre dans tous les cœurs.
J. T.
— M. Armand Parent a organisé, avec l'aide de
M. A. Bruneau, au Salon d'Automne (Grand
Palais), des séances de musique de chambre qui
ont le plus grand succès. Des œuvres de César
Franck, V. d'Indy, Fauré, Magnard, Debussy,
Lekeu, défilent devant un pnblic fort nombreux où
l'on a pu voir des auditeurs comme M. Dujardin-
Beaumetz, le secrétaire d'Etat des beaux-arts, ou
M. Octave Maus.
Nous apprenons, à ce propos, que les huit séan-
ces consacrées à la première partie du cycle Beet-
hoven ne seront pas les seules offertes au public
par M. A. Parent à la salle ^Eolian cet hiver, mais
que quatre séances seront spécialement consacrées
à la musique française moderne, avec plusieurs
auditions nouvelles, entre autres un trio d'Albéric
Magnard.
— M. Bienvenu-Martin, ministre de l'instruc-
tion publique, a ratifié les désignations faites par
le Conseil supérieur du Conservatoire.
M. Bouvet est nommé professeur titulaire d'une
classe d'opéra; MM. Caussade et Gédalge, pro-
fesseurs titulaires des classes de contre-point et
de fugue nouvellement créées; M. Truffier, de la
Comédie-Française, est nommé professeur de dé-
clamation en remplacement de M. Le Bargy,
démissionnaire ; M. Laugier, de la Comédie-
Française, est nommé professeur de déclamation
en remplacement de M. de Féraudy, démis-
sionaire.
M. Pierre Lalo, critique musical, est nommé
• membre du Conseil supérieur de l'enseignement
du Conservatoire national de musique, en rem-
placement de M. Gédalge.
— M. Julien Tiersot, sous-bibliothécaire du
Conservatoire, vient de s'embarquer pour l'Amé-
rique du Nord, où il a été invité, par la Fédération
de l'Alliance française aux Etats-Unis et au Ca-
nada, à faire, dans les principales villes affiliées
à cette association, des conférences sur la musique
française. Il a été en outre chargé par le ministre
de l'instruction publique d'une mission scientifique
à l'effet de poursuivre ses études d'ethnographie
musicale chez les peuples indigènes habitant les
régions qu'il aura à parcourir.
— La maison Costallat a changé de domicile.
Elle est maintenant au n° 60 de la même rue de la
Chaussée-d'Antin, installée dans des locaux tout
neufs qui constituent vraiment le dernier cri d'un
magasin d'éditeur de musique. Nous avons eu la
curiosité d'y faire un petit voyage, sous-sols com-
pris. Quand on songe que tout le fonds de la mai-
son Breitkopf et Haertel s'y trouve également, on
peut croire à leur importance ; mais ce sont leurs
dispositions méthodiques surtout qui sont intéres-
santes à examiner. Une pièce assez grande, et qui
peut être doublée, a été aménagée spécialement
pour des auditions, notamment celles des orgues
Estey, ces admirables instruments, d'ailleurs si
pratiques, dont la sonorité chaude et veloutée fait
l'effet, même dans une petite pièce, des grandes
orgues d'une église entendues du fond de la nef.
C'est une impression qui surprend toujours.
C.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Première représentation d'Armide, le mardi 7 no-
vembre. Belle et inoubliable fête d'art, que cette
première représentation d'Armide, qui marquera
une date glorieuse dans les annales de la direction
actuelle, à côté du Crépuscule des Dieux, de Tristan
et d'A Iceste.
Exécution musicale, interprétation vocale, réa-
lisation scénique et décorative, ce fut un ensemble
harmonieux et délicat, puissamment évocateur
d'émotions diverses, tendres et charmantes ou ter-
734
LE GUIDE MUSICAL
ribles et tragiques, qu'il est bien rare d'obtenir au
théâtre où, malgré les soins les plus attentifs, tant
d'éléments faillibles d'exécution peuvent contra-
rier les intentions des dirigeants. Cette fois, il ne
s'est pas produit une disparate, et cette belle repré-
sentation d'un chef-d'œuvre a été d'un bout à
l'autre un enchantement. J'ai souvenance de plus
d'une exécution théâtrale d'Armide, à Vienne, à
Francfort, à Wiesbaden, à l'Opéra de Paris tout
récemment; je n'ai éprouvé nulle part la sensation
d'une aussi complète homogénéité, d'une aussi
parfaite concordance de tous les éléments de l'exé-
cution. Voilà une représentation de grand style !
Grâce à un admirable ensemble, le chef-d'œuvre
de Gluck, si varié dans ses effets, si puissant dans
sa gradation continue, nous est apparu dans toute
la splendeur de sa grâce et de sa richesse mélo-
diques.
Dans la préface de son édition d'Armide, M. Ge-
vaert parlant des édifices qui ont remplacé les
anciennes salles de spectacles de Paris, émettait le
doute qu'elles fussent construits de manière à pro-
duire VArmide dans de bonnes conditions. La scène
et la salle de l'Opéra actuel lui semblaient, avec
raison, bien vastes pour que l'orchestre de Gluck
puisse trouver dans un aussi grand vaisseau tout
son éclat et toute sa force. Les appréhensions de
M. Gevaert étaient justifiées. Il est certain que
beaucoup de détails délicats de l'instrumentation,
comme aussi bien des accents de la partie vocale
se sont trouvés noyés et perdus à l'Opéra. C'est
un élément important qui explique peut-être la
lassitude qu'y font peser sur le spectateur le
quatrième et le cinquième actes. La lenteur exagé-
rée des mouvements de certains morceaux aug-
mente encore l'impression de langueur et de
longueur, en dépit de nombreuses coupures.
Ici cette impression n'a pas été ressentie, sauf
peut-être à la scène de Mélisse (au quatrième acte)
qui a du reste été supprimée, comme il est de tra-
dition (i), dès la seconde représentation. Tout
l'ensemble a eu plus de nerf, de mouvement,
d'action, grâce sans doute avant tout à l'admirable
puissance dramatique de Mrae Litvinne, dans le
rôle principal, mais grâce aussi à l'animation
donnée aux récitatifs insupportables quand ils
sont emphatiquement psalmodiés, merveilleuse-
ment expressifs quand on en sait rendre la variété
d'accent et la souplesse de rythme. Je crois bien
que c'est à M. Gevaert que l'on doit les mérites
particuliers de l'interprétation de la Monnaie
à ce point de vue. J'ai eu la rare fortune de
(i) Cette scène fut coupée par Gluck lui-même dès la
troisième représentation en 1777.
pouvoir assister à l'une des répétitions au piano,
que le vénérable maître a faites au théâtre et
ce fut un régal précieux en même temps qu'une
instructive leçon de déclamation lyrique. Il suffit
d'ailleui s de comparer les éditions courantes de
VArmide avec celle que M. Gevaert a publiée chez
Lemoine, pour se rendre compte immédiatement
de l'importance de cet élément. Voyez, par
exemple, avec quel soin sont notées les alterna-
tives de mouvement, les suspensions, les retards,
les silences prolongés qui donnent tant de force
aux deux grands monologues d'Armide, à la fin du
deuxième et du cinquième actes. Suivez intelli-
gemment ces indications, ces pages prendront une
vie et une puissance surprenantes. Mais le tout
n'est pas d'indiquer des intentions, il faut encore
que celles-ci soient exécutées. Sous ce rapport
l'œuvre de Gluck a eu la fortune appréciable de
rencontrer à la Monnaie un personnel hautement
compréhensif qui s'est donné cœur et âme tout à
lui, depuis les directeurs et leur régisseur général*
M. De Béer, jusqu'aux moindres interprètes. Ce
n'est certes pas en y entendant Mme Litvinne,
que Berlioz aurait osé écrire ce qu'il disait de
Mme Charton-Demeur (et ce qu'il aurait dit sans
doute de plus d'une autre interprète moderne et
actuelle du rôle) « qu'elle pataugeait dans le
sublime ».
Bien des détails intéressants, soit de l'exécution
vocale, soit de l'exécution scénique, seraient à
signaler qui apportent le mouvement, la variété,
le pittoresque et la vie dans ce chef-d'œuvre dont
les beautés ne sont plus à découvrir : ainsi le joli
défilé des peuples de Damas venant déposer leurs
offrandes aux pieds d'Armide, l'émouvante entrée
du chevalier blessé et mourant, la belle fureur du
peuple ameuté par Hidraot et Armide contre les
soldats chrétiens; au second acte la surprenante
transformation du désert en un site ravissant au
bord d'une rivière où gracieusement évoluent les
nymphes et les naïades ; l'enlèvement de Renaud
et d'Armide, réalisé d'une façon extrêmement poé-
tique ; les beaux groupements et la couleur fantas-
tique de la scène fameuse des Furies ; le charmant
épisode des compagnons et compagnes de Lucinde
et de Mélisse s'efforçant d'arrêter par leurs jeux et
leurs enchantements la marche des chevaliers qui
sont à la recherche de Renaud; le superbe tableau
du cinquième acte avec l'écroulement du palais
d'Armide à la place duquel s'étend un désert aride
sous un ciel tumultueux où des lueurs rouges
mettent la terreur et le désespoir que chante l'or-
chestre ; tout cela est tour à tour délicieux ou sai-
sissant.
LE GUIDE MUSICAL
?35
11 faut louer aussi sans réserve le soin donné par
le maître de ballet, M. Ambrosiny, à l'exécution
de toute la partie chorégraphique, dont le rôle
est si important dans l'œuvre de Gluck. On
a compris enfin que ce ne sont point là de
simples divertissements, s'intercalant d'une façon
arbitraire dans le spectacle et faisant diversion
au drame. On ne voit pas, ici, ces dames du ballet
entrer en bloc et par paquets avec leur banal
sourire et les bras en rond comme cela se fait
encore ailleurs ; délicatement et avec beaucoup de
tact, tantôt isolément, tantôt par groupes, selon la
situation, elles sont adroitement introduites sur
la scène et se trouvent en place au moment où
doit commencer la danse ; et celle-ci consiste
plutôt en évolutions rythmiques qu'en pirouettes,
ronds de jambe, pointes, entrechats, etc., que ne
supportent pas la noblesse de style et l'expression
mélodique intense des ballets de Gluck.
Ajoutez à cette compréhension du style de
l'œuvre, la richesse pleine de goût des costumes
esquissés par M. Fernand Khnopff, les décors poé-
tiques et profonds de M. Dubosq et mille détails
fins ou suggestifs de mise en scène, des change-
ments à vue opérés comme par enchantement, des
effets de lumière savamment gradués, et vous
comprendrez les acclamations sans fin, l'enthou-
siasme général qui ont accueilli cette triomphante
Armide.
Parmi les interprètes du chant, la première
place revient naturellement à Mme Litvinne, la
plus belle voix qu'il y ait en ce moment, l'artiste
lyrique dont la noblesse de style et l'intelligence
musicale et scénique sont le mieux adaptés au
grand art de Gluck. Elle a été admirable d'un bout
à l'autre de son rôle; sombre et orgueilleuse au
premier acte ; merveilleusement hésitante et éna-
mourée au second; suprêmement désespérée au
troisième; pathétique jusqu'au sublime dans la
scène finale, que jamais on n'a joué avec plus
de puissance et d'émotion. Son partenaire princi-
pal, le faible Renaud, a trouvé en M. Laffitte
un interprète distingué d'allure, charmant de
tendresse dans les parties délicates de son rôle,
plein d'éclat dans les parties héroïques. Les autres
rôles, — ils sont nombreux et aucun d'eux n'est
secondaire, — ont été tenus par des artistes excel-
lents : Mmes Maubourg et Carlhant, confidentes
pleines de séduction ; Mme Eyreams, exquise
Naïade ; MUe Bourgeois, Haine à la déclamation
incisive et au geste large; M. Bourbon, Hidraot
plein d'autorité; MM. Decléry et Altchevsky,
Ubalde et Chevalier danois de belle et vivante
allure; M. Forgeur, Artemidore attristé; M. Artus,
un Aronte mourant d'une façon impressionnante ;
Mlle Mary Das, une débutante très remarquée, déli-
cieuse Lucinde; M"e Massart, Mélisse avenante,
et Mme Lambert, Amante agréable; KUe Boni
qui a délicieusement dansé avec Mme Carrère
(Berger et Bergère) la gavotte du quatrième acte,
et mimé en Amante abandonnée, la célèbre Sicilienne
du cinquième acte; les chœurs et l'oichestre
enfin, merveilleusement stylés et tenus magistra-
lement en main par M. Sylvain Dupuis. En un mot,
c'est un ensemble exceptionnellement harmonieux
et soigné, un spectacle d'art d'une perfection
rarement égalée. A. B.
— Les prix ont été donnés dimanche dernier au
Conservatoire. Cette distribution était jadis une so-
lennité. Elle perd ce caractère tous les ans un peu
plus. Il semble qu'on ne la conserve que par tra-
dition. M. Fétis ne fait plus son discours. Les
professeurs n'y viennent plus que rares. On n'ap-
pelle que les premiers prix et la plupart brillent
par leur absence. Mais M. Gevaert est là, avec le
bourgmestre et la commission administrative, dont
l'allocution présidentielle est brièvement pronon-
cée par M. De Mot, et le petit concert final
s'exécute comme d'habitude. Cela suffit à attirer et
retenir le monde dans la salle, où il faut constater
la présence de Mme la comtesse de Flandre dans
la loge royale.
L'orchestre de M. Van Dam exécute d'abord
la symphonie d'Haydn, et l'œuvre du vieux père de
la symphonie est excellemment rendue. Un petit
groupe de voix mixtes nous donne ensuite quelques-
unes de ces vieilles chansons dont le maître de
céans a harmonisé si joliment tout une collection.
Puis c'est une Rapsodie pour quatuor à cordes que
M. Paul Gilson a écrite à l'intention de la classe
d'orchestre dirigée par M. Agniez. L'effet en est
très grand et l'exécution applaudie.
Viennent alors les solistes choisis parmi les
premiers prix du dernier concours : M. Godart, un
beau ténor, élève de M. Demest, à la voix écla-
tante et excellemment posée, qui dit, comme l'an-
née dernière, le grand air de Joseph; Mlle Jean,
jeune élève de M. Thomson, qui enlève avec une
justesse impeccable Yallegro du concerto de Bee-
thoven; MUe Maes, élève de Mme Cornélis, qui
nous donne Y « Ombre légère » du Pardon; enfin
M. Laoureux, le tout jeune fils du violoniste bien
connu, dont on n'a pas oublié le brillant concours
qui le sacra d'emblée artiste accompli, dans la
736
LE GUIDE MUSICAL
classe de M. De Greef ; il nous a joué cette fois le
vétilleux scherzo en ut dièse majeur de Chopin. Et
ce n'est pas seulement un virtuose du piano ; la
lecture du palmarès nous apprend que M. Marcel
Laoureux a remporté aussi le premier prix d'har-
monie théorique dans le cours de M. Gilson.
C'est du reste le cas de Mlle Marguerite Wouters,
lauréate récente du prix Van Cutsem, qi i emporte
chez Mlle Samuel, à l'âge de quinze ans, le pre-
mier prix avec distinction d'harmonie pratique.
Et puisque nous y sommes, citons encore le pre-
mier prix de fugue, classe de M. Tinel, décerné à
M. Henry Sarly, de Tirlemont, ainsi que les deux
diplômes de virtuosité accordés pour le chant à
Miles Marguerite Das et Berthe Seroen.
Voilà pour les élèves, mais il serait injuste de ne
pas mentionner tout spécialement le clou de ce
concert, qui l'a magistralement terminé par une
autre œuvre due à la plume féconde du composi-
teur Paul Gilson et brillamment exécutée par la
fanfare de M. Seha. On connaît la prédilection de
M. Paul Gilson pour les études détachées de
familles d'instruments. Ses variations pour les
cuivres sont dans ce genre une œuvre tout à fait
digne d'attention. Sans parler de la simplicité des
lignes mélodiques, qui devient toujours plus mar-
quée chez le compositeur, la richesse de ses
combinaisons rythmiques, la belle sonorité des
instruments mis en œuvre, l'inépuisable variété de
ses développements, tout cela fait œuvre maîtresse
et ce n'est pas un mince mérite pour M. Seha de
l'avoir ainsi comprise et rendue avec une admi-
rable justesse de nuances et d'articulation.
— Le très nombreux public qui assistait samedi,
à la Grande Harmonie, au premier des Nouveaux
Concerts de Bruxelles a chaleureusement ovationné
leur organisateur, M. Louis Delune, pour ses
belles exécutions de la symphonie en mi bémol
de Schumann, de la suite en si mineur de J.-S. Bach
et de la symphonie pour orchestre et violon prin-
cipal de M. V. Vreuls. M. Delune a dirigé son
orchestre avec autorité, et il a su dégager sans
effort, par sa compréhension sympathique, toutes
les beautés de ces œuvres. La symphonie de
M. Vreuls est remarquable. Elle s'impose par
l'originalité des ses idées, le bel agencement de
ses parties et la richesse — peut-être excessive
parfois — de ses développements.
M. Eugène Ysaye a joué le concerto en mi de
J.-S. Bach. C'est dire qu'il a communiqué à son
auditoire enthousiasmé les plus belles émotions
que puisse donner la musique.
— MM. Alberto Bachmann, violoniste, et Sid-
ney Vantyn, pianiste, ont donné lundi dernier, à la
salle Gaveau, un concert qui avait attiré beaucoup
de monde.
M. Bachmann a certainement du talent, mais
malgré ses belles qualités, son jeu a paru manquer
de souplesse et de sûreté, et le concerto de Lalo,
qu'il a interprété, aurait demandé une exécution
plus vibrante et plus vivante; par contre, il a joué
Vadagio du neuvième concerto de Spohr et deux
petites œuvres de lui : Sarabande variée et Jota
aragonesa, d'une façon charmante.
M. Vantyn a fait valoir son jeu souple et éner-
gique à la fois dans différentes pages de Chopin.
Schumann, Brahms, Liszt, etc. Il a reçu un tiès
bon accueil.
La séance commençait par la sonate pour piano
et violon, en sol majeur, de Rubinstein, enlevée
avec brio par les deux vaillants artistes. J. T.
— Le quatuor Zimmer donnera en janvier la
première de ses séances annuelles.
Il se propose de faire entendre cet hiver les qua-
tuors en ut majeur (op. 54) et en sol majeur (op. 76)
de Haydn ; en 50/ majeur, Kôchel n°387, de Mozart;
si bémol majeur (op. 18), fa majeur (op. 59), la mi-
neur (op. i32) de Beethoven; la mineur (op. 29Ï de
Schubert; fa majeur 'op. 41) de Schumann; la
mineur (op. 5i) de Brahms; mi majeur d'Albé-
ric Magnard ; sol mineur de Guy Ropartz, et ré
majeur de Franck.
— Mme Clotilde Kleeberg-Samuel donnera son
récital de piano annuel le jeudi 7 décembre, à
8 1/2 heures du soir, à la Grande Harmonie ; le
programme sera consacré aux œuvres de Beetho-
ven.
A cette occasion, nous annonçons avec plaisir
à nos lecteurs que Mme Kleeberg-Samuel, qui a
repris ses leçons depuis le i5 octobre, compte se
consacrer de plus en plus à l'enseignement supé-
rieur du piano, tout en continuant sa brillante
carrière de virtuose.
— M1Ie Louise Derscheid, pianiste, Mme Ga-
brielle Zimmer, cantatrice, et M. Albert Zimmer,
donneront le 6 décembre une séance de musique de
chambre consacrée à Beethoven, Schubert,
Brahms et Gabriel Fauré.
— Le jeune violoncelliste M. G. Pitsch annonce
pour le mardi 14 novembre, à la salle Erard, une
séance de musique moderne, avec le concours de
Mme Bathori, cantatrice de la Scola de Milan et
de MUe V. Pitsch, pianiste.
LE GUIDE MUSICAL
737
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Le Théâtre lyrique flamand a
donné la première en Belgique des Femmes
curieuses de Wolf-Ferrari.
Œuvre pimpante et jolie, véritable Watteau
musical ! Le livret a été écrit par le comte Luigi
Sugana, d'après Goldoni. Dans les Femmes curieuses
figurent encore les personnages classiques de la
farce italienne : Arlequin, Colombine, Pantalon.
M. Wolf-Ferrari, qui est directeur du Conserva-
toire de Venise, est d'origine viennoise. Sa partition
en témoigne. D'inspiration mélodique distinguée
et originale toujours, elle possède aussi les solides
qualités des œuvres allemandes.
Dans les Femmes curieuses, M. Wolf-Ferrari a mo-
dernisé Mozart et Weber. Il y a des perles dans sa
partition. Signalons, entre autres pages exquises,
l'intermède entre le premier et le second
tableau; tout le premier tableau du second acte,
très animé ; un duo d'amour et un capiteux « inter-
mezzo ». L'interprétation de cette œuvre a été
excellente. MM. Moes, Tokkie, De Backer, Colli-
gnon, Steurbaut et Mmes Judels, Arens, Bierlee et
Ferreman, méritent tous les éloges.
Samedi n, le même théâtre donnera la pre-
mière de Genesius, du capellmeister Weingartner,
sous la direction du compositeur. Celui-ci dirigera
également les deux exécutions suivantes des mardi
14 et jeudi 16 novembre.
La première de Chérubin au Théâtre royal aura
lieu le 21 novembre. G. Peellaert.
LA HAYE. — Le Wagner- Ver ein néerlan-
dais a donné les 9 et n novembre au Théâtre
communal d'Amsterdam, sous la direction de
M. Henri Viotta, deux représentations de Tristan
et Isolde, avec la distribution suivante : Tristan,
M. Friedrich Carlen, du théâtre de Mannheim ;
Kurwenal, M. Joachim Kromer, du théâtre de
Mannheim ; Marke, M. Hans Schuetz, de Leipzig ;
Melot, M. Martien Smits, d'Arnhem; Isolde,
Mile pélicie Kaschowska,du théâtre de Darmstadt;
Brangaene, Mme Preuse Matzenauer, de Munich;
orchestre, celui du Concertgebouw.
Le concert national donné le jeudi 2 au
Concertgebouw d'Amsterdam a été fort inté-
ressant. On a exécuté de Johan Wagenaar : Levens-
zomer, fantaisie pour orchestre ; Fantaisie sur un
vieil air populaire pour chœur d'hommes et orches-
tre ; ouverture pour le drame Cyrano de Bergerac et
fragments de la cantate humoristique Le Doge de
Venise. C'est la fantaisie Levenszomer et surtout
l'ouverture de Cyrano de Bergerac qui ont eu le plus
de succès. De Peter van Anrooy, on a entendu des
fragments symphoniqucs sur un conte de Noël, Das
Kalte Herz, de Hauff, ouvrage fort bien orchestré,
qui n'égale pas toutefois la Rapsodie hollandaise du
même auteur. On sait que Mme Catharina van
Rennes, dont les Kinderlieder sont universellement
réputés, excelle surtout dans la composition des
chœurs de femmes et d'enfants. Elle nous a fait
entendre à ce concert une cantate, De Leven Zon-
nestralen, qui, pour renfermer des pages intéres-
santes, est inférieure cependant à ses autres
œuvres.
Le Conservatorium Kwartet d'Amsterdam, com-
posé de MM. Flesch, Noach, Meerloo et Mossel, a
donné, avec le concours du pianiste Rôntgen, sa
première séance annuelle. Au programme, un
quatuor de Borodine, un quintette de César Franck
et une sonate pour violon seul de Max Reger,
admirablement jouée par le violoniste Cari Flesch.
A La Haye, nous avons eu, à la première séance,
un quatuor parisien, composé de MM. Hayot,
André, de Nayer et Salmon, des quatuors de
Mozart, de Brahms et de Beethoven (op. 59). Ces
vaillants artistes, à leur seconde séance, nous
feront entendre un quatuor de Claude Debussy.
Au premier concert annuel du Haagsche
Trio, MM. Textor, Hack et van Isterdael, ont
joué excellemment le premier trio de Saint-Saëns,
une œuvrette ravissante de Rameau et le trio
(op. 97) de Beethoven. Mme Viotta- Wilson a dit
avec beaucoup d'expression le Lieder-Cyclus Dolo-
rosa, de Jensen. Elle a obtenu un succès enthou-
siaste.
Au Théâtre royal de La Haye, excellente reprise
de la Juive, de Halévy, pour la continuation des
débuts delà troupe de grand-opéra, Mme Armande
Bourgeois, notre nouvelle falcon. a été acclamée
dans le rôle de Rachel, M. Marcoux dans celui du
cardinal et M. Fonieix dans celui d'Eléazar. Au
premier jour, reprise du Pardon de Phërmel, de
Meyerbeer. Ed. de H.
IIÉGE. — Le Conservatoire vient de publier
_^J les dates des trois grands concerts annuels :
samedi 18 novembre, samedi 3 février et samedi
3i mars.
Les solistes engagés pour ces séances sont :
Mmes Marie Bréma, Palasara, MM. Mark Ham-
bourg, Oliveira, Gaston Dubois (de l'Opéra) et
Henri Seguin.
738
LE GUIDE MUSICAL
Aux programmes figurent la. neuvième sympho-
nie de Bruckner, le final du Ier acte de Parsifal, la
Cantate pour tous les temps de J.-S. Bach et d'autres
œuvres importantes.
Le concert dit de la Distribution des prix est
fixé au samedi 23 décembre. P. D.
MUNICH. — Un peu avant de quitter
Munich, M. l'intendant von Possart s'esc
acquitté d'une dette d'honneur en représentant le
Freischiïtz de Weber avec une mise en scène toute
nouvelle. A vrai dire, il ne nous a pas donné le
Freischiïtz de Weber, mais l'œuvre du maître trans-
formée selon son piincipe, d'ailleurs contestable,
d'ajouter à l'ouvrage d'un auteur des détails de
réalisation scénique sans rapport avec lui. Il a
transformé le Freischiïtz en pièce à grand spectacle,
et la musique de Weber était menacée d'être sacri-
fiée complètement, si le bâton du chef d'orchestre
ne s'était trouvé dans la main de Mottl. Aussi, dès
les premières mesures, l'auditeur a-t-il été complète-
ment rassuré. Il faut dire à la louange de M. von
Possart que les décors et costumes du Freischiïtz
étaient vraiment très beaux, si même M. l'inten-
dant avait représenté le comte tchèque Ottakar
sous les traits, plutôt rébarbatifs, d'un affreux
cosaque. Il a d'ailleurs poussé le scrupule jusqu'à
ne rien changer au texte de Kinds, dont il a res-
pecté les pages les plus niaises. Comme on le
pense bien, la partition a été magistralement inter-
prétée sous la direction de Mottl, auquel le public
a fait une ovation chaleureuse ainsi qu'à M. von
Possart.
Pour commémorer l'anniversaire de Pierre
Cornélius, M. Mottl a donné une représentation,
abonnement suspendu et à prix réduits, du
Barbier de Bagdad, que les bourgeois de Munich
— chose presque invraisemblable — sont venus
applaudir en foule ! Nous devons également de très
vifs remerciements à Téminent capellmeister qui,
avec des ressources chorales bien médiocres, est
parvenu à donner une exécution superbe de la
messe de Bach. A cette occasion, on a inauguré le
nouvel orgue de l'Odéon, acheté à l'incitation de
M. Mottl.
Le successeur de M. Weingartner aux Concerts
Kaim, le jeune et talentueux Finlandais Georges
Schneevoigt, s'est affirmé chef d'orchestre de race
en dirigeant de façon superbe la symphonie sur
Faust de Liszt.
Dr Istel.
NOUVELLES
La ville de Bilbao s'apprête, avec raison, à fêter
le centenaire d'un compositeur qui eût pu être un
de ses plus glorieux enfants, si la mort ne l'avait
très prématurément fauché, et qui nous appartient
austi un peu, car il fut élève du Conservatoire de
Paris et même répétiteur : Arriaga, — D. Juan
Crisostomo de Arriaga y Balzola. — Né à Bilbao
le 27 janvier 1806, il avait montré de très bonne
heure une richesse d'invention musicale et un
talent d'écriture dont la facilité tenait du prodige.
Venu à Paris, dès 1821, sur la réputation de notre
Conservatoire, il stupéfiait le directeur Cherubini
en lui présentant une fugue à huit voix sur les mots
du Credo : a Et vitam venturi sseculi », et entrait
dans la classe de contrepoint et fugue, dirigée par
Fétis. En 1823, il y obtenait le seul prix décerné
et était aussitôt nommé répétiteur de la classe. En
1826, le 12 janvier, avant d'avoir achevé même sa
vingtième année, il mourait, dévoré par le surme-
nage même de ses facultés intellectuelles. Il lais-
sait quelques quatuors, de la musique de chambre
et d'orchestre, de la musique religieuse aussi : tout
est resté inédit, sauf trois quatuors, gravés à cette
époque. Peu de carrières aussi fécondes en pro-
messes auront été brisées aussi tôt.
Il est intéressant cependant d'étudier son carac-
tère, son orginalité, et de faire revivre autant
que possible cette jeune flamme si vite éteinte. La
municipalité de Bilbao l'a pensé aussi, et le con-
cours qu'elle ouvre, à l'occasion du centenaire
prochain d' Arriaga, obtiendra sans doute d'atta-
chants résultats.
En voici les données, qu'on nous communique :
Un concours public est ouvert, par l'Ayunta-
miento de la ville de Bilbao, en vue de la meilleure
monographie inédite du maître Arriaga, conte-
nant sa biographie et une étude critique de ses
œuvres.
Les conditions de ce concours sont les suivantes:
i° Les monographies qui seront destinées à y
prendre part devront être présentées au secrétariat
de l'Ayuntamiento avant le i5 janvier prochain. —
Elles devront porter une devise, qui sera repro-
duite sur l'enveloppe cachetée renfermant le nom
de l'auteur ;
20 Le prix du concours sera de 5oo pesetas, ou
un objet d'art de même valeur, au choix du béné-
ficaire ;
3° Un jury sera nommé par l'Ayuntamiento pour
classer les manuscrits présentés.
Mais ce que je n'ai pas dit, c'est que non seule-
ment les œuvres d' Arriaga sont en majeure partie
inédites, mais elles sont encore en majeure partie
LE GUIDE MUSICAL
739
perdues. De là la création d'une autre série de prix
en vue du centenaire de l'artiste, dont voici encore
les données :
i° Un prix de 3, 000 pesetas sera accordé à qui
pourra présenter la fugue à huit voix dont il a été
parlé plus haut ;
20 Deux autres prix de 1,000 pesetas récompen-
seront la découverte de la messe à quatre voix et de
toute autre composition inconnue d'Arriaga;
3° La copie de ces œuvres, si elle est produite,
devra être accompagnée de l'historique du manus-
crit original et des preuves à l'appui de son
authenticité;
40 Ces copies seront reçues jusqu'au 3 1 décem-
bre de l'année courante ;
5° Une commission spéciale décidera de l'au-
thenticité des compositions présentées.
Cette annonce est d'autant plus intéressante à
enregistrer ici, que les manuscrits perdus d'Ar-
riaga doivent vraisemblablement se trouver en
France, s'ils peuvent encore se trouver. On ne sau-
rait trop applaudir, au surplus, à une initiative
artistique aussi respectueuse du passé et aux efforts
d'une ville pour retresser la couronne de gloire de
l'un de ses fils trop oublié, Nous tiendrons nos
lecteurs au courant des résultats des concours.
H. de C.
— Pendant le mois d'octobre, une série d'inté-
ressantes conférences sur la musique ont été
données à Londres. L'une d'elles a été consacrée à
Lully et à l'histoire de l'opéra français au xvne
siècle. Le conférencier, M. Frédéric Bridge, avait
un orchestre d'instruments à cordes qui a fait
entendre d'intéressants fragments des œuvres
capitales du maître qui a si complètement absorbé
en sa personne la gloire qui aurai dû revenir à son
prédécesseur Cambert.
— - Une pièce bien singulière, dont on ne
connaissait rien jusqu'ici, vient d'être terminée et
sera jouée dès la saison présente au Kaiitheater de
Vienne. Il s'agit, à proprement parler, de trois
pièces qui, réunies, forment un ensemble drama-
tique. C'est là l'œuvre de trois écrivains viennois
dont la renommée n'a pas encore proclamé les
noms. Ils ont mis à la scène trois épisodes tirés de
la vie amoureuse de l'aventurier vénitien du xvine
siècle Casanova. Et le chef d'orchestre du théâtre,
M. Kapeller, a fourni la musique. Fournir est ici
bien le mot, car il ne s'agit pas de motifs
nouveaux, mais d'une adaptation de morceaux
choisis parmi les ouvrages célèbres de Lanner et
de Strauss, ou même d'autres compositeurs ayant
obtenu des succès populaires.
Ce n'est pas la première fois qu'une œuvre
musicale inspirée par les aventures de Casanova
aura été mise sur la scène. On a donné à l'Opéra
de Leipzig, en 1 841, un opéra de Lortzing portant
pour titre le nom même du 'célèbre Italien. Le
livret était une adaptation libre d'un vaudeville
français. Plus récemment, on a entendu à Liegnitz
(21 novembre 1890), Casanova, opéra-comique en
trois actes, paroles de Born et Hattendorf, musique
de Pulvermacher. Ce dernier ouvrage ne semble
avoir laissé aucune trace : celui de Lortzing
n'avait pas réussi non plus.
— Le conseil municipal de Lubeck a voté une
somme de 1,750,000 francs pour la construction
d'un nouveau théâtre.
— M. Engelbert Humperdinck, le compositeur
bien connu de Hœnsel et Gretd, vient de terminer
un opéra romantique, le Miracle de Cologne, qui sera
joué cet hiver à Munich et a Vienne. Cet ouvrage
a été écrit à Tegernsee, dans le Tyrol, chez
l'auteur du livret, M. Rainer-Simons, directeur du
Jubilœumstheater de Vienne. '
— M. Richard Strauss a passé dernièrement
quelques jours à Dresde pour surveiller les études
et diriger les premières répétitions de son drame
musical Sàlomé, dont la première représentation à
l'Opéra royal est actuellement fixée, au 20 novem-
bre prochain.
— Les journaux anglais annoncent qu'on a volé
à Londres, dans une maison de Southsea, un
violon de Stradivarius estimé plus de trente mille
francs.
— La municipalité de Worcester vient de con-
férer le titre de citoyen bien méritant à M. Edward
Elgar, le compositeur dont l'Angleterre se montre
fière à juste titre et qui est né en cette ville il y a
quarante-huit ans. Le maire, en lui faisant con-
naître cette nomination, l'a appelé le plus grand
citoyen de Worcester.
— Le musée Beethoven, à Bonn, s'est enrichi
tout récemment d'une relique très importante :
c'est le clavier de l'orgue dont Beethoven a joué
très souvent pendant sa jeunesse. Cet orgue se
trouvait encore il y a quelques mois dans l'église
Saint-Rémi, à Bonn. Il a dû en être enlevé par
suite de réparations et vient d'être cédé au musée.
Ses vieilles touches noires évoquent tous les sou-
venirs d'adolescence du maître alors qu'il suppléait
son père comme organiste à la chapelle de la cour
électorale et qu'il osait en remontrer avec assu-
rance aux artistes les plus réputés de la mai-
740
LE GUIDE MUSICAL
trise. En quittant Bonn, Beethoven abandonna
l'orgue ; il nous en a donné lui-même la raison en
déclarant un jour « que ses nerfs n'avaient pu
supporter la puissance de cet instrument gigan-
tesque ».
pianos et Ibarpes
tran)
Srnselleô : 6, rue OLambermont
paris : rue ou /ifcail, 13
NÉCROLOGIE
On annonce d'Italie la mort de plusieurs
artistes. A Ravenne, à l'âge de cinquante-neuf ans,
le compositeur Giulio Mascanzoni, professeur
d'harmonie et de contrepoint à l'Académie phil-
harmonique de cette ville. Ancien élève de Lauro
Rossi au Conservatoire de Naples, il s'était fait
connaître par un grand nombre de romances et
plusieurs pièces symphoniques, et il avait fait
représenter à Bologne, en 1879, un opéra intitulé
Cloe.
— A Casatenuova de Brianza, un autre compo-
siteur, Carlo Galli, qui depuis trente-cinq ans
était directeur de la chapelle Saint-Ambroise, à
Milan. Il a écrit de nombreuses compositions reli-
gieuses.
— A Bologne, Mme Clementina Fanti, cantatrice
qui jouit jadis d'une grande renommée et se fit
applaudir sur les grandes scènes de l'Italie et de
l'étranger. Elle était âgée de quatre-vingt-dix-sept
ans. Son portrait figure, avec ceux de grands
artistes italiens, dans la salle du Lycée musical de
Bologne.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Le Freischùtz ; Salammbô; Armide.
OPÉRA-COMIQUE.— Carmen; Mignon; Lakmé;
Miarka (d'Alex. Georges, première, mardi) ; Le Jongleur
de Notre-Dame, Cavalleria rusticana; Miarka; Manon;
Miarka.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Prin-
cesse Rayon de Soleil ; Faust; Le Barbier de Séville;
Armide (première, mardi); La Fille du Régiment et
Bonsoir, Monsieur Pantalon; Armide.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Mercredi 22 novembre. — A 9 heures du soir, en la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, premier concert
avec orchestre de la Société J. -S. Bach. Programme :
Concerto pour tiois pianos et orchestre en ut majeur
(MM. Louis Diémer, Lazare Lévy\ Georges Casella) ;
Cantate nuptiale « O Holder Tag" » (O jour heureux),
paroles françaises de M. Bret (Mllc Mathieu d'Ancy);
Concerto pour trois pianos et orchestre en ré mineur
(MM. Louis Diemer, Lazare Lévy, Georges Casella);
Cantate sacrée « Liebster Jesu mein Verlangen » (O
mon Jésus, mon seul désir), paroles françaises de M.
Bret (Mlle Noiriel, M. Jan Reder). - Organiste, Mlle
Nadia Boulanger; violon solo, M. David Herrmann;
hautbois, M. Mondain.
Mercredi 29 novembre. — A 9 heures du soir, en la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, concert d'orgue et
de musique de chambre de la Société J.-S. Bach, avec
le concours de Mlle Boutet de Monvel, de MM. Joseph
Debroux et Henri Dallier.
BRUXELLES
Dimanche 12 novembre. — A 2 heures, au théâtre
royal de la Monnaie, premier concert populaire, sous la
direction de M. Sylvain Dupuis et avec le concours de
M. Pablo Casais, violoncelliste. Au programme : « La
Mer », de Gilson (récitant, M. Vermandèle); le concerto
pour violoncelle et orchestre, de Dvorak (première audi-
tion), M. P. Casais; l'ouverture du « Barbier de
Bagdad », de Cornélius (première audition) ; ce Elégie,
de Fauré, et « Kol Nidrei », de Max Bruch, pour vio-
loncelle, M. P. Casais; « Fête populaire», de F. Leborne
(première audition).
Mardi 14 novembre. — - A la salle Erard, séance de mu-
sique morderne donnée par M. G. Pitsch, avec le con-
cours de Mme Bathori, cantatrice de la Scola de Milan
et de MUe V. Pitsch, pianiste.
Mercredi 15 novembre. — A la Grande Harmonie, con-
cert Mme Fernande Kufferath, violoncelliste, avec le
concours de M. Henri Seguin, baryton.
Dimanche 19 novembre. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra, deuxième Concerts Ysaye,
sous la direction de M. Eugène Ysaye, avec le concours
de M. Ferruccio Busoni, pianiste. Programme : 1. Vi-
viane, poème symphonique (E. Chausson); 2. Concerto,
n° 5 (C. Saint-Saëns\ M. F. Busoni; 3. Symphonie
(inédite), première audition (A. Dupuis); 4. Pièces pour
piano seul (X. X. X.), M. F. Busoni; 5. Rapsodie pour
orchestre, première audition (V. Vreuls). — Répétition
générale, même salle, samedi 18 novembre, à 2 h. y%.
Jeudi 23 novembre. — A 8 1/2 heures du soir, en la
salle de la Grande Harmonie, Séance inaugurale du
Groupe des Compositeurs belges (musique de chambre,
mélodies, chœurs). — Œuvres de Agniez, Alpaerts,
Cluytens, Daneau, De Greef, Henge.
Jeudi 30 novembre. — A 8 h. J/2 du soir, à la salle
Erard, séance de harpe, par Mlle Gaëtane Britt, avec le
gracieux concours de Mme Miry-Merck, cantatrice,
M. Henri Merck, violoncelliste, M. Ernest Britt, pia-
niste. Au programme : Œuvres de C. Saint-Saëns,
LE GUIDE MUSICAL 74r
BREITKOPF & HyERTEL, Éditeurs, a Bruxelles
Montagne de la Cour, 45,
Fient de Paraître :
Richard WAGNER
à Mathilde Wesendonk
JOURNAL ET LETTRES 1853-1871
Traduction autorisée de l'Allemand par Préface de
Georges Khnopff Henri Lichtenberger
= Tome I et II à fr 3,50 net =
SCHOTT FRERES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
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Dirigé par M. C. FICHEFET
Lundi 20 et mardi 21 novembre, an Théâtre de l'Alhambra
DEUX SÉANCES DE DANSES
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Au programme : « IPHIGÉNIE » de Gluck
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Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez:
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
No f52. Tout simplement. (Tiré des Propos du Père David.)
E. Jaques-Dalcroze:
|M^r n\r^m^^^^^r^
h:
C'est si sim-ple d'ai-mer De sou-rire à la vi - e De se lais-ser char-mer Lors -que c'est notre en - vi - e.
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5ime année. — Numéro 47.
19 Novembre igoS.
LE CENTENAIRE DE FIDELIO
LE 20 novembre i8o5, à Vienne, le
théâtre An der Wien donnait à ;
ses habitués, fortement mélangés j
d'officiers français (car la ville i
était en pleine occupation française), la \
première représentation d'un opéra en |
trois actes intitulé Fidelio ou l'Amour con-
jugal, dont le livret avait été traduit fidèle-
ment du français de Bouilly par le poète
viennois Sonnleithner, et dont la musique
était de l'auteur de la récente Symphonie
héroïque : Louis van Beethoven. L'histoire
de cette œuvre, issue d'un enthousiasme
inattendu du maître pour le sujet qu'il lui
avait été donné de suivre à travers une ver-
sion italienne mise en musique, quelques
années auparavant par Paer. est plutôt
mouvementée. L'original français avait paru
sur la scène de l'Opéra-Comique de Paris,
le Ier ventôse de l'an vi, sous le titre de
Léonore ou V Amour conjugal. Ce titre avait
séduit Beethoven comme un hommage
possible à l'amie dévouée de sa jeunesse,
Eléonore de Breuning. Il fut très mortifié
d'y voir substituer, par le directeur du
théâtre, celui de Fidelio. Sous sa pre-
mière forme, l'œuvre n'eut d'ailleurs aucun
succès et disparut au bout de trois jours.
De fait, si l'essentiel de la partition défi-
nitive s'y trouvait déjà, et c'est pourquoi
c'est bien son centenaire qu'on doit célé-
brer en ce moment, un second Fidelio
parut en scène le 29 mars 1806 (suivi d'une
partition pour piano et chant rétablissant
le nom de Léonore), et un troisième le
23 mai 1814 (suivi d'une nouvelle partition
portant décidément le nom de Fidelio).
Sans entrer dans le détail de ces deux
remaniements, tous deux en deux actes, on
peut rappeler au moins que la seconde
version, en réunissait les deux premiers
actes en un seul, avait supprimé plusieurs
morceaux et abrégé sensiblement le finale,
et que la troisième, plus profondément
retouchée encore, tout en sacrifiant quel-
ques pages, nous a valu le grand récitatif
de Léonore, une partie de l'air de Flo-
restan, et d'importants fragments des deux
finales (1). Comme Don Juan ou le Frei-
schùtz, toutes ces versions de Fidelio com-
portent un important parlé, qu'il n'y a pas
de beaucoup meilleures raisons de rem-
placer par des récitatifs postiches.
(1) Sur toute cette histoire, consulter le Catalogue
thématique des œuvres de Beethoven, par Nottebohm, et
les deux éditions de Fidelio (la seconde version spécia-
lement, éditée par Otto Jahn), parus chez Breitkopf et
Hsertel, ainsi que le Beethoven de Victor Wilder, le plus
original et le plus soigné des livres laissés par ce labo-
rieux critique.
74+
LE GUtDE MUSICAL
Quatre ouvertures avaient successive-
ment été composées par Beethoven: une
première, tout de suite mise de côté, avait
été remplacée par une seconde, pour la
soirée du 20 novembre i8o5. Pour la
reprise de 1806, une troisième fut écrite,
toujours dans le même ton d'tit majeur et
empruntant cette fois quelques motifs
essentiels à la seconde : c'est la célèbre
ouverture dite de Léonore. Enfin, le grand
remaniement de 1814 amena Beethoven à
écrire la vibrante quatrième, dite de
Fidelio, qui est en mi.
On sait que le succès fut, cette fois,
décisif et prolongé, que même il était
réservé à Beethoven, devenu sourd, hélas !
d'assister à des reprises et de voir des
Léonore qui durent lui persuader qu'après
tout, il ne s'était pas trompé en écrivant
avec tant de passion cette partition long-
temps malechanceuse. La mimique émou-
vante, le jeu dramatique et expressif de
Wilhelmine Schrœder, qui venait de
débuter dans la Flûte enchantée et le Fret-
schûtz et avait demandé pour elle (en 1822)
une reprise de Fidelio et son cri d'angoisse,
ce cri formidable que Beethoven entendit
encore, apportèrent au maître, avec l'en-
thousiasme du public, une satisfaction
profonde, qu'il ne déguisa pas.
Mais que de tribulations et que de tem-
pêtes avant d'en arriver là! Beethoven
avait mis toute son âme à la préparation
de son œuvre : ses carnets de notes mon-
trent combien il a dû tourner et retourner
ses idées avant de choisir la plus parfaite;
et il n'est pas de cas, déclare Otto Jahn,
qui les analysa, où de cette « poussière
musicale », de ce chaos d'esquisses, il
n'ait dégagé, avec une impeccable sûreté,
la forme la plus appropriée à la situation
et à l'expression voulue. Mais quand il
s'agit de la réalisation pratique de toutes
ces idées, de leur mise en scène, de leur
mise en valeur, que de déceptions pour
l'imagination d'ailleurs peu patiente du
maître! Des interprètes inhabiles : une
Léonore à peine débutante : Anna Midler,
avec un Florestan sur le retour et essouf-
flé : Demmer ; un public clairsemé, et
d'ailleurs préoccupé de tout autre chose
que de musique ; une critique froide et
aveugle incro3^ablement, si l'on en juge
par les extraits vraiment surprenants qu'en
donne Victor Wilder... Il y avait de quoi
décourager.
Et de fait, Beethoven lui-même eut un
moment d'abattement. Sa lettre à Meyer,
le régisseur du théâtre, traite de massacre
l'exécution de l'œuvre et déclare qu'on
peut bien effacer de la partition toutes les
indications de piano, de forte ou de cres-
cendo, puisqu'on n'en suit aucune : « Je
perds toute envie de jamais rien écrire
encore, si je dois l'entendre exécuté ainsi. »
Son entrevue avec le violoniste Baillot, qui
lui avait présenté Reicha, montre un vrai
découragement sous la rancune. Cepen-
dant, on pensait à en appeler à une nouvelle
épreuve; on commença par chercher un
autre ténor, et on le trouva dans un
amateur à la fois vibrant et bon musicien,
Roeckel. Restait à obtenir des coupures,
un remaniement de l'œuvre ; la séance fut
orageuse : jamais, nous rapporte-t-on, les
amis de Beethoven ne l'avaient vu dans
un tel état de surexcitation. Du moins
le succès répondit-il complètement à ces
sacrifices ? Evidemment non, ou pas assez
pour changer les idées du maître; car,
en dépit de la faveur de l'élite des
auditeurs, et aussi d'une interprétation
plus intelligente, plus soignée, le grand
public persistait à s'abstenir. Et puis
Beethoven n'aimait pas beaucoup qu'on
voulût lui prouver qu'il s'était trompé, et
la critique lui avait déclaré tout net « que,
s'il possédait très évidemment un sentiment
esthétique des plus élevés, et s'entendait
à merveille à rendre en musique l'expres-
sion des paroles, il semblait qu'il n'eût pas
le jugement nécessaire pour apprécier et
juger la valeur littéraire des textes qu'on
lui donne à composer ». Aussi, dans une
boutade, retira-t-il lui-même de l'affiche la
pièce incomprise.
Et jusqu'en 18 14, s'il y pensa, il n'en
laissa plus rien voir. Pourtant, l'aventure
LE GUIDÉ MUSICAL
745
l'avait certainement fait réfléchir, à cette
date, et quand il revint à l'esprit de ceux
qui présidaient aux destinées de l'Opéra
de Vienne que Fidelio pourrait bien pro-
fiter de la vogue obtenue depuis huit ans
par tant de chefs-d'œuvre, Beethoven, très
satisfait, fut le premier à poser comme
condition de l'entreprise qu'il remanierait
sur nouveaux frais toute sa partition.
C'est ici que Treitschke entre en scène,
Treitschke, le poète du théâtre, qui donna
à tout le texte une allure plus littéraire et
imagina la vision de Florestan. Lui-même
a laissé le récit de cette éclosion mémo-
rable : discussion au sujet de l'invraisem-
blance d'un air de bravoure chanté par un
prisonnier qui se meurt de faim ; inspira-
tion soudaine venue au poète de tourner
en délire et en vision prophétique cette
angoisse même qui s'exalte; allées et
venues fiévreuses de Beethoven agité par
ce thème nouveau; improvisation sou-
daine et précipitée au piano à la recherche
de la mélodie, pendant des heures et des
heures, et départ furibond sans toucher au
souper... toute la scène y est. Au fond,
cela ne marchait guère; le beau feu du
maître s'éteignait à chercher comment
retoucher la vieille partition, et il jurait
que, sans l'adresse de son arrangeur litté-
raire, il aurait tout abandonné. Plus rien
ne le satisfaisait, et il s'avouait à lui-même
que c'est tout autre chose de se livrer à
l'enthousiasme ou de travailler sur de
mûres réflexions.
Du moins put-il conclure, cette fois, qu'il
n'avait pas persévéré en vain. Préparée
sans hâte, avec intelligence, dans de
bonnes conditions, à l'aide d'artistes sûrs,
la reprise fut vraiment solennelle : « Tous
les morceaux ont été applaudis avec trans-
port, ou, pour mieux dire, avec fureur »,
déclare un témoin. « A peine le rideau
tombé, M. Van Beethoven a été rappelé
par les acclamations de toute la salle et
salué de cris enthousiastes », dit un autre.
Et ce qui vaut mieux, le triomphe fut
durable, définitif.
On ne saurait se dissimuler qu'il ne fut
jamais tel en France. Jamais, ou presque
jamais, le respect, voire l'admiration pour
la musique n'ont pu faire passer par-
dessus le peu d'attrait du sujet, quelque
remarquables que fussent parfois les inter-
prètes. Fidelio eût-il eu meilleur chance
si, comme le Freischùtz, il eût été adroite-
ment déguisé pour mieux saisir les imagi-
nations, s'il eût eu son Robin des bois?...
Ceci n'est pas une question en l'air, et il
n'a pas tenu à Castil-Blaze que l'essai ne
fût fait. M. Jean Chantavoine n'a-t-il pas
découvert (1) une partition gravée de
« Léonore, mélodrame en trois actes suivis
d'un épilogue, d'après Bouilly, paroles de
Castil-Blaze, musique de Beethoven... », où
l'aimable liberté des arrangements dépasse
encore celle qui a présidé au remaniement
du Freischùtz? Pour en donner une idée, le
: duo de Pizarre et Rocco est remplacé par
une « complainte » à deux voix, de Marce-
line et Léonore, sur l'allégretto de la sym-
phonie en la. Le finale de celle-ci reparaît
à l'épilogue, où l'on voit Florestan chanter
Adélaïde d'un bout à l'autre, non sans la
facile substitution d'Eléonore à Adélaïde.
Pour en revenir aux représentations
sérieuses et à peu près exactes de Fidelio
à Paris, en voici, je crois, le tableau
complet :
Opéra allemand (salle Favart) : 1829
(3o mai), i83o (8 mai), i83i (18 juin).
Direction de Roeckel, avec le ténor
Haitzinger et Mme Schroeder-Devrient.
Opéra allemand (salle Ventadour) : 1842
(8 mai).
Opéra italien : i852 (3i janvier).
Avec Calzolari, Beletti, Susini, Mmcs So-
phie Cruvelli et Corbari. Succès très
médiocre, insuccès plutôt; interprétation
d'ailleurs insuffisante, sauf pour Susini,
dans Rocco, et Mme Cruvelli.
Théâtre lyrique : 1860 (5 mai).
Traduit en trois actes par J. Barbier et
Michel Carré : onze représentations avec
Guardi, Serène, Battaille (Rocco), Fro-
mant; Mmes Pauline Viardot et Amélie
(1) Revue d'histoire et de critique musicales, déc. 1901.
746
LE GUIDE MUSICAL
Faivre. Des transpositions très domma-
geables ont gâté le rôle de Léonore, de-
venu trop élevé pour l'admirable artiste,
mais de quelle passion ne le transfigura-
t-elle pas !
Opéra italien : 1869 (25 novembre).
Avec Fraschini, Palermi, Agnesi, Ciam-
pi; Mmes G. Krauss et Ricci. Excellente
reprise, la meilleure peut-être de l'œuvre
de Beethoven, et succès considérable
d'interprétation. « Il y a longtemps (dé-
clare le Moniteur universel sous la plume
de X. Aubryet) que MUe Krauss est une
grande cantatrice et que son haut mérite
reste en partie éclipsé par l'inattention du
public; cette fois, elle a passé diva comme
Fidelio a passé chef-d'œuvre, même auprès
des réfractaires : l'œuvre et la virtuose ont
apparu radieuses, ainsi que nous le pres-
sentions pour toutes les deux. »
Opéra-Comique : 1898 (3o décembre).
Version Antheunis, avec récitatifs de
M. Gevaert et division en trois actes
(comme dans le premier Fidelio de i8o5).
L'œuvre de Beethoven avait été inaugurée
dans ces conditions à Bruxelles, au théâtre
de la Monnaie, le 11 mars 1889, avec
Chevallier (Florestan), Seguin (Pizarre),
Gardoni (Rocco), Gandubert (Jaquino),
Renaud (Don Fernando); Mmes Rose
Caron et Falize. Très belle interpré-
tation, où Mme Caron surtout fut exquise
de poésie et de passion. A Paris, c'est elle
encore qui naturellement reparut dans le
premier rôle, avec M1,e Laisné, avec
Vergnet, engagé de même tout exprès pour
Florestan, Bouvet (Pizarre), G. Beyle
(Rocco), Carbonne (Jaquino) et Gresse (D.
Fernando). Très beau succès d'art, qui a
fait le plus grand, honneur à la direction de
M. Albert Carré, et maintint longtemps
la pièce au répertoire. On y a entendu
encore par occasions: Mmes Auguez de Mon-
talant (1899) et Jeanne Raunay (1901,
dernière reprise), MM. Léon Beyle (1900),
succédant à Vergnet, Vieuille (Rocco) et
Albers (Pizarre).
Maintenant, reparlerai -je du chef-d'œu-
vre lui-même, puisque son centenaire m'en
donne l'occasion? Oui, ne fût-ce que pour
rappeler ce qui a été écrit de plus caracté-
ristique, à mon sens, sur sa force radieuse
et originale : la lettre adressée au directeur
de Y Art moderne, de Bruxelles, le i5 mars
1889, à la suite de la représentation de la
Monnaie, par M. Teodor de Wyzewa, let-
tre que le pénétrant critique a d'ailleurs eu
l'heureuse idée de reproduire dans son
livre : Beethoven et Wagner. Elle est fort
amusante, car l'auteur y confesse ses dé-
dains juvéniles et néo-wagnériens avant
d'en arriver aux conclusions qu'un juge-
ment plus mûr et mieux informé lui dicte
en lui révélant le véritable esprit de l'œu-
vre et le pourquoi de l'enthousiasme in-
compris de Beethoven.
Pourquoi le drame est-il si beau, est-il
même « le seul drame complet qu'il y ait
dans la musique » ? C'est qu'il est le seul
« où l'essence de la musique, qui est
l'expression des sentiments, agisse par elle-
même, sans aucun secours étranger. Et
quelle musique, et quels sentiments ! Un
sujet idéal, le plus beau qui soit : un cœur
de femme, n'ayant à faire que d'être ému,
et ayant à l'être de toutes les émotions
possibles : l'amour, le regret, la crainte,
l'espoir, la haine, la supplication, la feintise,
la reconnaissance, la pitié, la passion sen-
suelle triomphante. Voilà quelques-uns des
sentiments que le livret de Fidelio a
octroyés à Léonore. Voilà pourquoi Bee-
thoven a pu choisir ce sujet, l'a refait lui-
même, trois fois....
« Mais ce n'est rien d'avoir un beau
sujet, il faut encore le traiter bellement. Et
c'est là que Fidelio commence à être une
incomparable merveille. Chacune de ces
émotions de Léonore, elle y est non seu-
lement traduite, comme elle l'eût été chez
Gluck, elle y est poussée jusqu'à fond,
saisie dans son essence dernière. Que l'on
prenne la partition d'orchestre : il n'y a pas
une note qui n'ait un sens et une préci-
sion d'une profondeur étonnante. Autour
des émotions de Léonore, centre de l'œu-
vre, Beethoven a disposé un drame, un
fragment de vie, avec divers personnages
L-E GUIDE MUSICAL
747
ayant des émotions à eux, des émotions
qu'ils expriment avec plus ou moins d'in-
tensité, suivant qu'ils touchent de plus ou
de moins près au sujet central. Florestan,
qui y touche le plus, n'a qu'un rôle assez
court, mais en réalité énorme. Que l'on
cherche, parmi les sentiments qu'il pou-
vait avoir, celui qu'il n'a pas eu, et qui ne
soit pas rendu tout entier dans les deux
ou trois scènes de ce rôle accessoire ! »
On dira : Si l'œuvre est belle, harmo-
nieuse, musicalement séduisante, comme
tout ce qu'écrit Beethoven, n'est-elle pas
aussi d'une coupe et d'une suite bien
surannés, bien simples et comme timides ?
Soit! Mais peut-être y a-t-il plus d'une
façon d'innover et de se montrer original,
hardi même : c'est, par exemple, lorsqu'en
employant des formes consacrées, on leur
attribue un sens qu'elles n'avaient pas
encore. « L'opéra de Beethoven est fait de
duos, trios, etc., mais le duo, le trio, toutes
ces formes ont pour lui un sens particulier.
Chacun des personnages y joue son rôle
très distinct : que l'on compare le duo de
Léonore et de Rocco au premier acte, et le
duo de Florestan et de Léonore à la fin du
tableau suivant! Les récitatifs et airs ? Oui,
mais voyez comme l'air marque un état
spécial, un état plus général, plus durable,
sortant par degré des états plus brefs qui
l'ont précédé. Voyez l'air de Léonore, com-
posé, sans toutefois sortir des règles de
Varia, comme les plus puissants récitatifs
de Tristan, c'est-à-dire avec l'émotion pour
seule base... »
C'est bien le caractère spécial de cette
partition de Fidelio, à la fois pleine d'inno-
vations et fidèle au cadre ancien : « en
apparence, un opéra à l'italienne; en réa-
lité, ou plutôt en dedans, un drame musi-
cal, sans un élément étranger ». Et puis
n'y a-t-il pas l'orchestre, le plus significatif
trait d'union entre l'œuvre de Beethoven
et le drame moderne? L'orchestre, « il ne
cesse pas de paraître accompagner le
chant, et il ne cesse pas de donner
la base expressive, d'être en réalité, et
autant que dans les drames de Wagner,
la partie traductrice et significative ».
Seulement, avec tout cela, il n'en reste
pas moins certain qu'il faut un amnement
particulier d'esprit et de goût pour assister
à cette action de Fidelio comme Beethoven
eût voulu qu'on y assistât, pour entrer un
moment dans cette grande ârne de musi-
cien-penseur, et ne voir dans l'action qui
se déroule sur la scène matérielle que
l'étoffe idéale qu'il a vue, lui, sur celle de
son imagination; enfin, pour ne pas sépa-
rer, comme on serait tenté de la faire, la
musique du poème, tout en ne prenant du
poème que ce qu'il comporte de général et
d'éternel. -Conditions diverses, impressions
délicates et subtiles, qui font assez com-
prendre que Fidelio n'ait jamais été et ne
puisse être très populaire... Ce n'est peut-
être pas un mal, mais c'est dommage tout
de même. Henri de Cuezon.
LA FACTURE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
EN BELGIQUE
(Suite. — Voir le dernier numéro)
LUTHERIE
histoire rétrospective de la
lutherie dans nos provinces
s'arrête bien en-deçà de celle de
la facture des instruments à cla-
vier, cela pour diverses raisons. Avant les
grandes écoles italiennes, la lutherie, con-
sidérée dans son ensemble, existait à peine
comme métier d'art et ceux qui l'exerçaient
se confondaient dans la foule des arti-
sans (i). Encore distinguait-on entre les
facteurs d'instruments nobles et « truands »;
c'est ainsi qu'on trouve la mention d'un
Henri Boghart, « faiseur de bas instru-
ments » à Bruxelles, qui livre à la duchesse
de Bourgogne, en 1436, deux vielles desti-
nées à deux mendiants aveugles protégés
de la duchesse. En ce qui concerne plus
(r) Les facteurs de violes étaient simplement affiliés
aux corporations de menuisiers.
748
LE GUIDE MUSICAL
particulièrement les anciens instruments à
cordes pincées dont la vogue précéda, dans
la musique da caméra, celle des archets, nos
facteurs (comme Rakeman à Bruges vers
1450, Jaspers, Artus Borlon et Van Ees-
broeck à Anvers au xvie siècle) ne parais-
sent pas avoir joui d'une renommée particu-
lière, les luths d'Allemagne et de Hollande
étant généralement préférés.
Un fait à noter est l'ancienneté chez nous
de la forme modernisée de la viole, le
violon. Alors qu'à la fin du xvne siècle,
Houyet, — un Namurois, — construit encore
l'antique « trompette marine », dès 1 55g un
certain Pietro Lupo, d'Anvers, vend à un
musicien député par le magistrat d'Utrecht
« cinq violons renfermés dans leur étui » .
Un autre fait intéressant est le grand
nombre de luthiers flamands qui travaillent
au pays classique de la lutherie, en Italie.
Vander Straeten signale l'afflux énorme des
artisans néerlandais venant, aux xvne et
XVIIIe siècles, exercer leur art en Italie,
grâce à des subventions, à des fondations
consacrées à cet objet tant par des com-
munautés que par de riches particuliers.
La rue des Luthiers, via dei Liutari, à
Rome, comptait de la sorte, de la fin du
XVIe au commencement du xvne siècle,
toute une série de luthiers flamands, Mat-
teo Buccherberg, Giovanni Andréa, de
Albertis, Magno Craile, Coppo, Giovanni
Hec et d'autres. Mais le même historien
observe que ce mouvement n'a rien de
commun avec l'émigration des maîtres
musiciens de la grande école néerlandaise.
Loin d'enseigner l'Italie, les luthiers fla-
mands viennent lui demander les secrets
de leur art et c'est ainsi que toute l'an-
cienne lutherie néerlandaise est générale-
ment inspirée des écoles illustres de
Brescia et de Crémone.
A partir du xvne siècle, cet art prend
chez nous un essor assez important. Déjà
deux noms intéressants nous arrêtent, les
Willems et Borbon. Les premiers, à
Gand (1), sont au nombre de trois : Geor-
(1) Vidal dit erronément Anvers.
ges, travaillant de 1642 à 1693, Henri, de
i65i à 1700, et un autre Henri, de 1700 à
1743; on conserve d'eux de nombreux vio-
lons et violes très bien faits. Gaspard Bor-
bon ou Bourbon, luthier de la cour de Bru-
xelles en 1673, s'inspire habilement de son
célèbre homonyme de Brescia, — poussant
parfois la conscience jusqu'à poser dans
ses instruments l'étiquette de Gasparo da
Salo. Vers la même époque travaillaient
Sches à Bruges, De Poilly et Le Jeune à
Ypres, P. Pettre à Liège, Vander Linden à
Bruxelles et, à Anvers, Verbruggen, Daniel,
Huysmans, Vander Slagmeulen et Pierre
Borlon (ou Porlon), sans doute un descen-
dant du fabricant de luths et cithares qui
livra en 1647, au jubé de la cathédrale,
une contrebasse encore actuellement en
usage, après trois siècles de bons ser-
vices (1).
Au siècle suivant appartient la figure la
plus intéressante de l'industrie du violon
en Belgique, Ambroise De Comble de
Tournai qui, d'après Fétis, aurait travaillé
avec Stradivari (2). Les historiens envi-
sagent généralement ici une personnalité
unique, mais d'après les renseignements
réunis par M. V. Mahillon, deux luthiers
au moins de ce nom, diversement ortho-
graphié, travaillèrent à Tournai : Ambroise
Decombre, vers 1710, l'élève de Stradivari,
dont il s'approprie parfois l'étiquette (3),
(1) Communication obligeante de M. Em. Wambach,
maître de chapelle.
(2) Vander Straeten fait remarquer, non sans raison,
que ce détail important est sujet à caution, Fétis ne
donnant aucune preuve de son assertion. En outre, la
Biographie tiniverselle plaçant la naissance du luthier
en i655, Vander Straeten conteste également cette
date, pour la raison qu'on a des De Comble datés de
cent ans plus tard; mais il ne songeait pas qu'il pût y
avoir deux générations de luthiers de ce nom.
(3) La malhonnêteté des artisans signant leurs produits
du nom d'un maître célèbre s'appuie malheureusement
sur une véritable tradition. Stradivari lui-même signa
pendant vingt-trois ans ses violons du nom de son
maître Nicolas Amati ; Lupot vendait de ses caisses à
son confrère Pique, qui les signait, etc. On sait que
les faux en matière de lutherie constituent aujourd'hui
une des manifestations les plus répandues du « tru-
quage ».
LE GUIDE MUSICAL
749
et Ambroise Décomble ou De Comble, de
i75o à 1785. Les instruments signés de ce
nom sont estimés pour l'élégance et la
justesse de leurs proportions, mais certains
leur reprochent leurs épaisseurs trop
réduites, ainsi que quelque négligence
dans le choix du bois ou le fini de la main
d'œuvre (1).
A Bruxelles travaillaient vers la même
époque J. -H. Rottenburgh, « près de Saint-
Jean », de 1672 à 1726 (2), dont la lutherie
se rapproche plutôt du style allemand,
ainsi que Bauwens et B.-J. Boussu (ou de
Boussu), ce dernier établi à Etterbeek vers
1750-1780 et auteur d'instruments estimés,
à vernis jaune, dans le style d'Amati.
Les comptes de la chapelle de la Cour
de Bruxelles fournissent ici quelques noms
intéressants, à commencer par celui de
Marc Snoeck, fils d'Egide Snoeck, l'élève
et le successeur de Gaspard Borbon, et
dont un certain nombre de bons instru-
ments nous sont restés. Ce Marc Snoeck
— ou « Broché » (brochet), comme il signe
parfois en traduisant son nom — fut nommé
(1) Hart le juge comme suit : « . . , Il fut un des
meilleurs facteurs de l'ancienne école française (sic).
On affirme qu'il travailla dans l'atelier d'Antoine Stra-
divari, et à en juger par le caractère de son travail,
surtout par la qualité de son vernis, il n'est pas invrai-
semblable qu'il ait reçu des leçons du grand Crémonais.
Le vernis est du genre italien; il a beaucoup de corps et
affecte une riche tonalité rouge. La lutherie en elle-
même est d'un faire assez grossier, et pour cette raison
peu agréable à l'œil. Au point de vue du patron si
pas à celui de l'exécution, ces instruments rappellent
les Stradivari d'après 1732 et on pourrait en conclure
qu'ils ont été copiés sur ces derniers. Le modèle est
grand et plat, le bois abondant. Ils méritent de fixer
l'attention des artistes et des amateurs, tant par leur fac-
ture adroite que par l'excellence des matériaux. Le son
est ample et se distingue souvent par cette richesse si
appréciée dans les instruments italiens, — qualité due
ici à la souplesse d'un vernis de tout premier choix. On
possède également quelques altos et violoncelles du
même luthier. » (The Violin.)
(2) Vidal l'appelle « Rottenbrouck ». — Il est
évidemment apparenté à la famille des facteurs d'in-
struments à vent du même nom (voir plus bas), mais
nous avouons n'avoir pu, jusqu'à plus ample infor-
mation, démêler cette généalogie particulièrement
compliquée.
luthier de la Cour en 1722 et décéda en
1762. La composition le tenta et il écrivit
en 1703 un ballet pour le théâtre de la
Monnaie. Son atelier, enseigné « Au Roi
David », fut sans doute discuté, à en juger
par cette étiquette, au fond d'un instrument
confié à ses soins : Cette bas par Marc
Snoeck réparé pour faier voter à ces envieux
mon adresse est près de l'Eglise de Saint-
Gery à Bruxelles, encien luthier lj48. Son
fils Henri lui succéda dans ses fonctions
à la Cour, mais, notoirement incompétent,
on s'en débarrassa bientôt en le plaçant
parmi les seconds violons de la chapelle.
Il fut remplacé comme luthier par Gille
Michiels — sans doute un parent d'Egide
Michiels — dont l'étiquette libelle ainsi
l'adresse : recht over de zwerte susters kerke
tôt Brussel (en face de l'église des Sœurs
noires à Bruxelles). Enfin, c'est H.-J.
Delannoy, « dans le Boitrgendael », depuis
la mort de Michiels « le seul et unique bon
ouvrier dans ce genre », affirme dans un
rapport Croet, le maître de chapelle de la
Cour. Il exista plusieurs luthiers du même
nom, car on a également des étiquettes
de J.-J. (1753), S. -S. (1774) et F. -J. De-
lannoy (« fils » 1777).
Toujours au xvme siècle, on trouve à
Anvers un assez grand nombre de luthiers,
en première ligne Mathieu Hofman qui
confectionne, de 1700 à 1725, un grand
nombre de bons instruments, genre Amati
et Guarneri (il faut sans doute le distinguer
d'un autre Mathieu Hofman travaillant,
dans la même ville, de 1660 à 1691); puis
L.-J. De Ligne, F.-J. Wilmet, L. Somers,
N. Bul. Vers le milieu du xvnr siècle
encore travaillent à Gand H. Lorret et
J. Renaudin, à Liège Palate, — dont on a
quelques instruments bien faits, de style
italien, — à Tournai Depelchin ou Deple-
chin, à Mons Simonet et Foncé.
Nous nous arrêtons au premier quart du
xixe siècle, avec J. Sohet et Al. Xéneumont
à Liège, Berger, Van Hese et Lamblin
à Gand, A. Houzé à Tournai et, à Bru-
xelles, Bastien père et fils (A la Lyre
d'Apollon) et A. Gygot, dont Giïllet connaît
75o
LE GUIDE MUSICAL
« un charmant violon, vernis de l'école des
Médard ».
[A suivre.) Ernest Closson.
CROQUIS D'ARTISTES
M^e BILBAUT-VAUCHELET
Au temps où je commençais la série
de ces « croquis » aujourd'hui
plus espacés, le nom de Mme Bil-
baut-Vauchelet fut des premiers,
comme on peut bien penser, à venir sous ma
plume. Mais à cette époque, déjà ancienne,
l'exquise artiste n'avait pas depuis si longtemps
quitté la scène, qu'on ne pût espérer de l'y voir
revenir un jour ou l'autre; et j'ai attendu
l'occasion, qui ne se présenta point. Pourquoi
la cherché-je aujourd'hui? C'est que le nom de
Mme Bilbaut-Vauchelet Nicot a reparu cette
année, au moins dans l'intimité de quelques
concerts; c'est que, avec son nom, un écho de
sa voix si pure, un reflet de son talent, de sa
grâce, de tout ce qui nous charmait tant chez
elle, nous est revenu en la personne de sa fille
(et l'un de nous l'a signalé ici même avec joie).
C'est aussi que je me repioche, en vérité,
comme une ingratitude, d'y avoir paru re-
noncer.
Je dois à Mme Bilbaut-Vauchelet et à son
mari aussi, ce charmant Nicot, ma première
impression lyrique au théâtre. C'était da::s le
Pré-aux-Clevcs, que je n'ai plus jamais revu
depuis, sinon par eux, joué à mon gré. "Ces
deux artistes avaient successivement débuté
dans la pièce, dont les rôles de Mergy et
d'Isabelle étaient parmi les meilleurs de leur
répertoire. Il n'était pas encore question de
mariage entre eux à cette époque, mais comme
ils semblaient unis et fondus de talent expressif
et vrai! Quelle pureté dans leur méthode
vocale, quelle jeunesse et quelle sincérité dans
leur jeu ! C'était un régal de délicats.
Plus d'une affinité régnait du reste entre eux, I
ne fût-ce que dans leur façon de comprendre I
l'art. Aimaient-ils vraiment le théâtre? A peine I
dix ans de carrière, et l'un après l'autre, ils se
réfugièrent, comme au port, dans une retraite
prématurée. Mais quels artistes achevés et
quels maîtres, indépendamment de la scène !
Charles Nicot, né à Mulhouse en 1843, dans
une famille de quatorze enfants, — tous si
joliment doués qu'on ne les appelait que la
famille des rossignols, — avait été élève de
Révial et était sorti du Conservatoire en 1868,
avec ses trois prix. Optant pour l'Opéra-
Comique, il y avait aussitôt paru avec le plus
vif succès, mais pour le quitter très vite, à la
suite de quelques froissements, et ce n'est
qu'en 1875, quand on vint le chercher tout
exprès, qu'il reparut sur cette même scène où
son art dès lors consommé, sa voix souple et
pénétrante, la finesse de son jeu ravirent pen-
dant huit ans les amateurs de style pur et de
goût délicat. Rappelerai-je ses principaux
rôles? Le Pré- aux- Clercs, Richard Cœur de lion,
La Dame blanche, Philêmon et Baucis, L'Eclair,
L'Etoile du Nord, Le Caïd, Le Maçon, et, entre
autres nombreuses créations diverses, La Sur-
prise de l'amour (1877), Suzanne (1878) et L'Amour
médecin (1880)... lui valurent les succès les plus
flatteurs et d'unanimes sympathies.
Mais ceux qui accueillirent, avec ou sans
lui, Mlle Juliette-Marie-Angélique Bilbaut-
Vauchelet furent bien plus éclatants encore.
Dès sa première apparition sur la scène, c'est
une impression vraiment enchanteresse qu'elle
produisit. On savait qu'elle abordait le théâtre
presque à regret, et pourtant, elle avait tout de
suite tout ce qu'il exige pour réussir : non seu-
lement une voix exquise et parfaitement assou-
plie, mais un goût achevé, don plus que talent,
et signe d'une nature affinée d'artiste ; non
seulement une adresse naturelle et spirituelle
de comédienne, mais une grâce élégante et
essentiellement distinguée ; enfin, pour cou-
ronner le tout, une beauté délicate, pénétrante,
faite de douceur et de sérénité, le charme
même.
Elle était née à Douai, le 26 septembre i855,
d'une famille de musiciens, et après ses pre-
mières études techniques à l'Ecole de musique
LE GUIDE MUSICAL
75i
de sa ville natale, après leur achèvement au
Conservatoire de Paris dans les classes de
chant et d'opéra-comique, et les prix qui les
avaient couronnées en 1874 e* 1875, elle était
rentrée tout simplement à Douai, pour repren-
dre sa place parmi les siens et dans l'enseigne-
ment du chant. Il fallut les pressantes instances
de ceux que ses concours parisiens avaient
justement frappés pour la ramener à Paris. De
même, mais bien plus tard encore, un de ses
fières partait à son tour pour cueillir le prix de
trombone et prendre place dans les orchestres
de l'Opéra et du Conservatoire.
M1,e Bilbaut-Vauchelet débuta le 3 décembre
1877, dans le personnage d'Isabelle du Pré-
aux-Clercs, un rôle qui semble d'abord aisé,
parce que la timidité y est nécessaire, mais qui
doit être relevé par une grâce et une noblesse
naturelles, cù de plus expertes qu'une débu-
tante échouent souvent. Celle-ci fut simplement
elle même, et séduisit tous les auditeurs : c'est
une vraie ovation qui l'accueillit dès son pre-
mier air, aussitôt bissé, et telle que les annales
du théâtre en contiennent peu d'aussi sponta-
nées. Quant aux rôles suivants, ce fut l'enthou-
siasme affermi encore par la sécurité : on sentit
tout de suite que non seulement on ne s'était
pas trompé au premier abord, mais qu'on
pouvait tout attendre de l'artiste, même l'im-
prévu.
Athénaïs des Mousquetaires de la Reine, Cata-
rina des Diamants de la Couronne, Prascovia de
l'Etoile du Nord étaient bien faites pour mettre
en lumière avec plus de grâce et de liberté que
tout autre rôle cette séduisante beauté et cette
pénétrante distinction qui, chez la jeune femme,
achevaient une voix aussi souple que suave. Dans
Catarina en particulier, le succès de Mlle Bil-
baut-Vauchelet fut d'autant plus éclatant qu'il
venait après une reprise malencontreuse où
l'œuvre d'Auber aurait vraisemblablement som-
bré à jamais sans le secours inespéré de cette
débutante, à laquelle elle dut un long regain de
vogue. Prascovia ne fut pas applaudie avec
moins de transports, en sa gracieuse simplicité,
aux côtés de Danilowitz, si preste et élégant
sous la figure de Nicot. En somme, tout le
poids du répertoire, en cette année de l'Expo-
sition de 1878, porta sur la nouvelle étoile et
ses quatre lôles (1), en dépit de la vogue écla-
tante de Mme Galli-Marié et des débuts triom-
phants de Mme Isaac...
Cette radieuse année n'était d'ailleurs pas
achevée qu'un nouveau rôle, une création cette
fois, allait encore souligner le charme de cette
poétique nature : la Suzanne de M. Paladilhe.
Personnage complexe, dans une anecdote
romanesque, cette jeune Anglaise qui court les
routes sur un coup de tête, puis qu'on revoit
sous le costume d'étudiant, enfin dans les
atours d'une actrice célèbre. Il fallait un tact
extrême dans la variété des effets pour l'incar-
ner à son avantage, jusqu'au dénouement/ où
elle épousait (une fois de plus) le brillant offi-
cier de marine qu'était Nicot. Mme Bilbaut-
Vauchelet n'a guère joué de rôle dont la com-
position lui ait fait plus d'honneur ; pas même
cette exquise Ariette de Jean de Nivelle, qui
eut un bien autre succès en 1880 et qui a laissé
un souvenir ineffaçable de passion jeune et de
grâce émue au service d'une voix idéale.
Quel dommage, pourtant, qu'elle n'ait pu
attacher son nom à quelque création durable
et d'un vrai mérite ! Car ce n'est pas la Taverne
des Trabans, à coup sûr (en 1881), ni Galante
Aventure (en 1882) qui demeureront dans les
mémoires. En revanche, que les plus purs et
les plus élevés parmi les chefs-d'œuvre du
répertoire étaient donc bien faits pour mettre
en vive lumière ses précieuses qualités de
style et de charme ! A côté du Pré-aux-Clercs,
dont on ne se lassait pas, c'est la Flûte enchantée
où elle brilla d'abord (en 1879), dans l'étince-
lante Reine de la nuit, aux côtés de Mme Car-
valho, qu'elle devait remplacer plus tard (en
i883) dans Pamina, et dont elle rappelait si
étonnamment la limpide voix de sa jeunesse.
C'est encore Joseph, où je ne sache pas que
jamais Benjamin ait été aussi touchant, aussi
délicat, et où Mme Bilbaut-Vauchelet fut accueil-
lie par de véritables ovations. Puis les Noces de
(1) M. E. Stoullig- cite dans ses Annales du Théâtre et de
la Musique la marche ascendante des appointements de
l'artiste, en cette année 1877-1878, qui, à chaque nou-
veau rôle, croissaient à proportion, et que l'enthousiasme
de Carvalho finit par porter jusqu'au quintuple du
chiffre primitif.
752
LE GUIDE MUSICAL
Figaro, où Chérubin, moins enfant mutin avec
elle, qu'avec Mme Van Zandt, prit aussi plus
de charme séducteur, et où elle rivalisa une
fois de plus, de style et de pureté, avec Mme
Carvalho, dont le rôle de la Comtesse fut le
dernier sur la scène. Enfin, Carmen, où elle fut
Micaëla quand Mme Galli-Marié reprit son rôle,
à la rentrée en i883, une Micaëla d'une candeur
et d'une grâce adorables...
Ce répertoire resta dès lors sans s'étendre
deux ans encore, puis la retraite et la vie de
famille furent les plus fortes..., et l'éducation
de cette petite fille chez qui nous retrouvons
aujourd'hui la voix et la méthode qui nous
charmaient tant alors. Une dernière fois,
Mme Bilbaut-Vauchelet a paru sur la scène, en
1890, à l'Odéon, quand la Société des Grandes
auditions musicales monta Béatrice et Bènédict,
de Berlioz. Qui, en effet, avec cette grâce
souple et cet esprit mordant, eût aussi juste-
ment rendu le rôle de la capricieuse Béatrice, qui
l'eût chanté avec cette voix divine, moelleuse
comme une caresse? Mais pourquoi prendre
congé du public en lui laissant une aussi rare
impression? C'était très adroit p:ut-être :
n'était-ce pas un peu cruel aussi?
Voici, pour conclure, l'état des rôles de cette
trop brève carrière :
1877. — Le Pré- aux -Clercs : Isabelle.
1878. — Les Mousquetaires de la Reine : Athénaïs.
Les Diamants de la Couronne : Catarina.
L'Etoile du Nord : Prascovia.
Suzanne : Suzanne (création).
1879. — La Flûte enchantée : La Reine de la nuit.
1880. — Jean de Nivelle : Ariette (création).
1881. — La Taverne des Trabans : Fideline (création).
1882. — Galante Aventure: Armande (création).
Joseph : Benjamin.
i883. — Les Noces de Figaro : Chérubin.
La Flûte enchantée : Pamina.
Carmen : Micaëla.
1890. — Béatrice et Bènédict : Béatrice (création).
Henri de Curzon.
\0
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS COLONNE. — Quelques fana-
tiques de Berlioz estiment que l'art français n'a
pas produit d'ouvertures qui égalent celle du Roi
Lear. Nous nous permettons de lui préférer l'ou-
verture du Carnaval romain, non parce qu'elle est
plus populaire et que, d'ailleurs, elle le mérite,
mais pour son chaud coloris, sa verve et sa belle
tenue. On sent que le maître, délivré du souci
littéraire, ne songeait plus, en l'écrivant, qu'à faire
œuvre d'art, rien que de la musique. M\ Colonne
l'a conduite, dimanche dernier, avec une maestria
et un entrain irrésistibles.
Par coquetterie, il avait fait suivre ce tableau,
si largement peint, d'une composition toute de
finesse et de légèreté, afin de mieux montrer, par
contraste, la souplesse de son bras et sa vive
compréhension de toutes les musiques. C'est du
Rouet d'Omphale (titre entaché d'anachronisme) que
je veux parler, du poème symphonique de Saint-
Saëns, le premier en date et celui que peut-être
je préfère des quatre quand je n'ai plus dans
l'oreille la Danse macabre. Lorsque Saint-Saëns
n'était ni célèbre, ni membre de l'Institut, un musi-
cographe, qui ne craint pas plus qu'un autre de se
contredire, écrivait à propos de ces poèmes : « Ces
compositions, remarquables par un savoir profond,
de grandes qualités de facture et la science de
l'orchestre, laissaient toujours à désirer sous le
rapport de la clarté, de l'inspiration, du vrai sen-
timent musical. » Ces choses-là s'imprimaient en
1880, mais depuis...
Une Ballade pour flûte, barpe et petit orchestre,
de M. Périlhou, terminait la première partie du
concert. Cette œuvre nouvelle n'ajoutera rien à
la réputation de l'auteur, elle ne la diminuera pas
non plus. La grâce n'y manque pas, assurément;
mais dans ses compositions précédentes entendues
au Châtelet et à la Société des Instruments à vent,
il nous avait habitués à une palette p'us cha-
toyante et à des harmonies plus délicates et plus
imprévues. Il se pourrait que cette ballade, dont
le motif principal rappelle un thème connu, ait
été sortie d'un carton où elle restait enfermée
depuis longtemps. On a beaucoup applaudi le
flûtiste Blanquart et Mme Provinciali-Celmer.
M. Colonne avait réservé la seconde partie du
programme pour la continuation du cycle Beetho-
ven. Le concerto en sol, que les pianistes exécutent
rarement, de peur sans doute d'en tirer peu de
LE GUIDE MUSICAL
753
profit personnel, a valu d'ailleurs à M. Diémer
un très vif succès. Quoi qu'il interprète, ce grand
artiste donne à ses élèves, si illustres soient-ils,
l'exemple d'un jeu égal et sûr, d'une correction
qui n'a pas d'égale, d'un goût délicat, d'un style
sobre et d'une expression toujours contenue. Il
n'est pas de ces virtuoses qui « emballent » sur le
moment, mais de ceux qui vous conquièrent lente-
ment et vous laissent des souvenirs de plus longue
durée.
A la fin de la saison, le baryton Frôlich avait
fait entendre au concert du Conservatoire les Sir
Jieder de Gellert. C'est M. Jan Reder qui les a
chantés dimanche au Châtelet. Les deux barytons
ont été autant applaudis dans les deux salles, et
l'impression du public, pourtant si différent, a été
la même, puisqu'il a bissé ici et là le quatrième
chant. Le mois dernier, M. Henri de Curzon a
publié dans le Guide musical, puis réuni en brochure,
une suite d'études remarquables sur les Lieder et
airs détachés de Beethoven. J'y retrouve précisément
l'analyse de ces six Lieder; je me permets de les
reproduire, certain, après avoir entendu ces mélo-
dies et relu l'analyse de notre rédacteur en chef,
que mon appréciation ne vaudrait pas la sienne :
« Voici le cahier des Six Lieder de Gellert (op. 48),
dédié au comte de Browne et dont le caractère
spécial est une piété profonde avec une élévation
et une majesté toutes religieuses, sur un accompa-
gnement qui souvent donne l'impression de l'or-
gue. La simplicité large et classique de la Prière,
l'accent pénétrant de la Mort et de ses cloches
funèbres, surtout la noblesse superbe et grandiose
de la Gloire de Dieu dans la nature (ce chant qui
a été bissé), sont dignes des plus hautes inspira-
tions beethovéniennes. Mais c'est le Chant de péni-
tence qui est la page la plus belle, et la plus déve-
loppée aussi, avec ses deux parties en opposition,
la première d'une onction admirable, et la seconde
comme un cri de joie du plus fier caractère. » Ajou-
tons que ces six cantiques, composés par Beetho-
ven avec accompagnement de piano, ont été
chantés avec une transcription d'orchestre faite
respectueusement par M. Henri Rabaud, c'est-à-
dire sans qu'il y ait ajouter des dessins, des con-
tre-sujets, comme en a donné un fâcheux exemple
M. Weingartner dans l'Invitation à la valse.
Le brillant concert s'est achevé par l'exécution
de la Symphonie héroïque, qui a soulevé l'enthou-
siasme général et fait acclamer et M. Colonne, et
son orchestre. Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. - Ecole alle-
mande, école russe, école française, toutes trois
sont représentées au programme ce dimanche
12 novembre. Que de sensations diverses en un
concert, et par quel merveilleux enchaînement
misical arrivons-nous à goûter tant d'âmes di-
verses en si peu d'instants !
L'ouverture de Manfred évoque, quelques mi-
nutes, le héros romantique et désespéré que
conçut Byron et que chanta Schumann. Puis,
majestueuse, noble, grave, débute la symphonie
en ré mineur de César Franck. Comment rendre
ici la beauté de l'exécution, la compréhension
profonde, l'intelligence du texte, la netteté d'in-
terprétation qui valurent à M. Chevillard et à son
remarquable orchestre des ovations méritées? Le
largo si majestueux, les oppositions de Y allegro,
d'une telle plénitude de contours, l'adorable déli-
catesse de Y allegretto, la fouge du finale reçurent ici
leur définitive expression. Une fois de plus, une
admiration émue se leva en nos âmes pour le
maître immortel que fut César Franck. Celui qui
parlait si fier langage et connaissait de tels accents
avait le droit de rompre la joie du silence.
M. Lefèvre-Derodé nous donna une page sym-
phonique intitulée Soleil couchant. Quelle tâche diffi-
cile il s'était imposée en récrivant! La musique,
évocatrice non de formes, mais de mouvements,
chargée de traduire un sonnet descriptif de J.-M.
de Heredia!... La houle marine déferle en molles
vagues, la campagne s'endort, l'angelus tinte, les
bergers rappellent leurs troupeaux et, sur un cres-
cendo orchestral bien amené, le soleil ferme « son
rouge éventail ». Le public réserva un accueil
bienveillant à ce tableau musical un peu frag-
menté.
Habile interprétation de l'ouverture du Freyschûtz.
Les cordes y font miroiter les soies brillantes de
leurs gammes, l'auditoire frémit d'aise, M. Chevil-
lard est applaudi. Encore plus l'est-il après la
floraison, l'éblouissement, le vertige sonore du
Capriccio espagnol de Rimsky-Korsakow. Pâli par
tant d'éclat, mais si sincère, Berlioz redit l'éternel
amour de Roméo souffrant de Juliette jusque chez
Capulet, et Lohengrin clôt le concert avec l'intro-
duction du troisième acte. M. Daubresse.
CONCERTS EDOUARD RISLER. - Les
sonates, comme les livres, ont leur destinée. Le
soir que Raoul Pugno et Eugène Ysaye jouaient
la Sonate dédiée à Kreutzer, on n'aurait pas trouvé,
à la salle Pleyel, la moindre place pour y mettre
75+
LE GUIDE MUSICAL
le plus riche amateur. Il en est allé de même pour
la Pathétique, promise pour la troisième séance de
M. Risler : les salons étaient combles. A peine
justifie-t-elle le titre que lui a donné Beethoven, si
ce n'est peut-être dans l'introduction. Le virtuose
l'a supérieurement exécutée, surtout le rondo final.
Les deux sonates en mi et en sol, op. 14, au dire
de l'imaginatif Schindler, exposeraient un débat
entre deux amoureux, lutte qui se terminerait par
la défaite aux dernières notes du scherzo de la sonate
en sol. L'érudit confrère M. Charles Malherbe ne
ne le croit pas; nous non plus.
L'andante en ut, avec sa forme variée, est d'un
caractère trop placide pour décrire un pareil
roman sentimental. Ce qui n'est pas douteux, c'est
que ces deux compositions, avec ou sans pro-
gramme, sont empreintes de douceur et de séré-
nité ; elles feraient penser à cette fine observation
de Bernardin de Saint-Pierre : « Il y a dans la
femme une gaîté légère qui dissipe la tristesse de
l'homme ». La sonate en si bémol, op. 22, d'une
couleur plus accentuée que les œuvres précé-
dentes, plus expressive aussi, plus attendrie (reli-
sez l'andante en mi bémol], a été admirablement
traduite par M. Risler; l'éminent artiste a trouvé,
à l'aide des deux-pédales, des sonorités charmantes
et tout à fait jolies, notamment dans le rondo de
la fin. Inutile d'ajouter qu'il n'a pas commis la
plus petite erreur de mémoire. « La plupart des
auditeurs, disait-il après la séance, suivent texte
en mains : impossible de tricher ». J. T.
— Les Concerts Le Rey ont fait dimanche, à
Marigny, leur annuelle réouverture. Sans possé-
der ni l'expérience, ni les moyens matériels de
leurs grands devanciers, l'orchestre de l'associa-
tion artistique Le Rey peut rendre de façon très
suffisante les œuvres musicales exemptes d'une
excessive polyphonie. C'est ainsi que la symphonie
en ré de Beethoven a été bien traduite dans ses
grandes lignes et dans quelques détails.
La fantaisie pour piano et orchestre de M. A.
Duvernoy a obtenu le plus vif succès ; cette œuvre
relativement récente, dédiée au pianiste Philipp,
était jouée pour la première fois, je crois, dans une
grande salle à Paris. D'une inspiration très franche
et très chaude, cette fantaisie se divise en trois
parties, dont un andante très expressif; le public
a particulièrement goûté le thème énergique du
premier morceau, d'un habile développement ; le
final, traité en forme de tarentelle humoristique,
présente de jolis dessins harmoniques. Cette
œuvre, d'une orchestration vivante et colorée
a été parfaitement mise en valeur par une des
élèves de l'auteur, M ne Lamy, lauréate du Con-
servatoire de l'an passé.
Mme Benda, sœur de M^e Le Bargy, a chanté du
Schumann, et Mme Bureau-Bertholet, du Gluck.
Ch. C.
— La première des soirées d'art de M. Barrau
a eu lieu le jeudi 9 novembre à la salle des Agri-
culteurs. Le programme comprenait principale-
ment les deux premiers quatuors de Beethoven,
fort remarquablement exécutés par le Quatuor
Capet, et des mélodies de Beethoven, de Giordani,
de M VI. Ch. Bordes, Grieg et Léon Moreau, chan-
tés par Mme Raunay, très en voix et qui obtint un
vif et juste succès. Ce qui détonna étrangement dans
le programme, ce furent d'abord l'arrangement
pour harpe d'une Egyptienne pour clavecin de
Rameau, et la peu intéressante étude de virtuosité
présentée sous le nom de Légende (d'après les Elfes
de Leconte de Lisle). Ce sont là deux petites
erreurs d'une excellente instrumentiste, erreurs
sur lesquelles il faut glisser. C.
— La deuxième matinée des Concerts Clémandh
a eu lieu jeudi, et n'a pas été moins heureuse que
la première. L'orchestre est jeune, ardent, disci-
pliné (puisse-t-il, pour lui et pour ceux qui l'éeou-
tent, ignorer les syndicats!). Il a joué avec beau-
coup d'entrain et d'ensemble la superbe et peu
commode ouverture du Tannhàuser, l'intéressante
page de YEnterrement d'Ophélie, de M. Bourgaûlt-
Ducoudray (sous la direction de l'auteur) ; un très
bon Prélude symphonique (première audition), œuvre
de style clair et classique, de M. André Gresse ;
l'entr'acte de Messidor (redemandé). L'exécution de
la symphonie en sol mineur de Mozart a été un peu
plus hésitante, comme si les jeunes éléments dont
l'orchestre se compose étaient moins préparés
pour le classique pur. Je passerai aussi un peu vite
sur deux poèmes pour chant et orchestre (chan-
teuse : Mlle Andrée Lorec) de M. G. Spronck,
dont l'idée m'a paru confuse et se dégage pénible-
ment. Mais je ne puis omettre le concerto en mi
bémol (piano) de Liszt, que M. Maurice Dumes-
nil a exécuté avec une fougue bien adaptée à la
manière fantaisiste et romantique du maître hon-
grois. Au demeurant, bonne matinée et qui mérite
d'appeler l'attention du public du jeudi sur les
Concerts Clémandh. Le théâtre Molière est un peu
loin pour bien des gens, sans doute ; mais, si l'on
me passe l'expression familière, « cela vaut le
voyage ». J. G.
— La saison des concerts particuliers vient de
s'ouvrir à la salle Pleyel par la soirée musicale
LE GUIDE MUSICAL
755
offerte par M1,e Elisabeth Déliiez. Elle ne pouvai
commencer plus galamment. La voix de cette
aimable cantatrice, d'un joli timbre, est pleine de
fraîcheur et de jeunesse. Elle semble convenir à
l'interprétation des mélodies tendres et gracieuses
plutôt qu'aux œuvres passionnées. Mais, comme
l'artiste aime et comprend toutes les musiques, elle
les traduit avec le meilleur goût et une vive intel-
ligence. On ne saurait trop la louer de la compo-
sition de son programme : les œuvres classiques
en occupaient la première partie, et la seconde
était consacrée tout entière aux musiciens moder-
nes. Deux Lieder de Beethoven, Die Trommel geriih-
ret Le Tambour battant, Freudvoll und Leidvoll
Joie et Douleur, ont été dits dans un style très
pur, ainsi qu'un air des Noces de Figaro. Les cinq
premiers Lîeder de l'Amour d'une femme, de Schu-
mann, ont été fort applaudis ; ils l'eussent été
davantage encore, s'il y eût eu plus de communion
intime entre l'accompagnement et le chant. Des
mélodies de César Franck, de Vincent d'Indy, de
Chausson, de Lalo, de Chabrier, ont obtenu beau-
coup de succès ; mais la ronde de Lekeu, d'un
tour si expressif, et l'exquise Mandoline (bissée)
de Claude Debussy ont semblé faire le plus de
plaisir.
Mlle Elisabeth Delhez avait demandé le précieux
concours de M. Jean Ten Hâve. Je n'ai pas à faire
de nouveau ici l'éloge du virtuose; on sait qu'il est
très recherché et très apprécié dans les concerts.
Parmi les morceaux qu'il a bien voulu exécuter,
je signalerai le médiocre Rigaudon de Raff, qu'il a
joué avec une virtuosité indéniable, tout en regret-
tant que cet excellent violoniste ait cru devoir
faire une concession au public; une sarabande de
Ries et une délicieuse sonate de Hsendel, dont la
finale, d'une extrême élégance, rappelle le motif
« Liberté », chanté au premier acte du Jongleur de
Notre-Dame. Accompagné à ravir par M. E. Wag-
ner (pourquoi ce parfait musicien n'a -t -il pas
accompagné aussi les Lieder?), M. Ten Hâve a été
rappelé plusieurs fois ainsi que Mlle Elisabeth
Delhez. J. T.
— La Juive a été donnée intégralement, diman-
che, dans une matinée de gala au Palais du Tro-
cadéro, au profit de l'Assistance immédiate.
L'œuvre d'Halévy n'était pas seulement chantée,
mais représentée en costumes, avec orchestre,
chœurs, corps de ballet même ; seul, le décor,
remplacé par une tenture, est resté invariable,
comme dans le théâtre antique. Notons en M. An-
saldy un Eléazar chaleureux, et en M. Andrieux
un Léopold de tenue et de bonne allure; M. Vérin
a eu du succès dans le rôle du Cardinal. Mais c'est
surtout à MUe Minnie Tracey que sont allés les
applaudissements les plus vifs et les plus con-
stants. Cette artiste, dont l'excellente voix est con-
duite avec un grand art, a fait aussi valoir, dans
le rôle de Rachel, de hautes qualités de tragé-
dienne, notamment dans le deuxième acte (l'air :
« Il va venir », le duo avec Léopold, le trio final).
Dans l'ensemble, enfin, cette représentation, de
caractère populaire, a fait grand effet devant une
salle comble. t g.
— Le Journal officiel an 11 novembre contient une
instruction ministérielle pour l'enseignement du
chant au Conservatoire. 'Nous en extrayons les
prescriptions suivantes :
« La réforme de l'enseignement du chant tend à
cultiver tous les genres de musique vocale, et non
plus seulement le genre dramatique ; aussi le recru-
tement des élèves devra-t-il être plus étendu et
plus varié. On ne formera pas uniquement des
chanteurs de théâtre, mais des solistes de concert
ou d'église et des professeurs.
» On tiendra la main à ce que la première année
d'études soit entièrement et dûment consacrée à
des exercices et vocalises, l'avenir des élèves étant
d'autant plus assuré qu'ils auront donné plus de
temps au travail technique de leur voix. Cependant,
les professeurs sont engagés à corriger l'austérité
de cette étude à l'aide de quelques morceaux
italiens, du xvne siècle particulièrement (en langue
italienne).
» Les élèves admis aux examens semestriels
auront, d'accord avec les professeurs, la plus
grande latitude dans le choix de leurs morceaux,
et pourvu que ceux-ci aient un véritable intérêt
musical, ils pourront être choisis aussi bien parmi
les cantates ou les mélodies que dans les réper-
toires dramatiques, tout en prouvant l'étude de
styles divers.
» Voici la liste des auteurs qu'il conviendrait de
faire entrer dans les programmes d'enseignement :
» i° Ecole italienne : Caccini, Péri, Monteverde,
Carissimi, Scarlatti, Durante, Clari, Pergolèse,
Léo, Jomelli, Ciamrosa ;
» 20 Ecole allemande : Bach, Hœndel, Haydn,
Schubert, Beethoven, Weber, Schumann;
» 3° Ecole française : Lulli, Rameau, Gluck,
Philidor, Monsigny, Grétry, Dalayrac, Méhul.
» De plus, une liste d'œuvres sera imposée à
l'étude des élèves en vue du cours d'histoire de la
musique professé par M. Bourgault-Ducoudray,
afin que les morceaux proposés comme exemples
puissent toujours être exécutés. »
756
LE GUIDE MUSICAL
L'arrêté que suit cette instruction porte à dix le
nombre des classes de vocalisation et chant, cha-
cune d'elles comptant dix élèves au maximum.
Deux professeurs supplémentaires (sans traite-
ment) ont été nommés à cet effet. D'une façon
générale, dans l'utilisation des voix pour l'inter-
prétation des scènes des classes de déclamation
lyrique, l'avis du professeur de chant, qui a la
responsabilité des voix, devra être prépondérant.
— M. Georges de Lausnay ne pourra interpréter
le concerto de Bach, avec M. Diémer, aux con-
certs Gustave Bret, comme nous l'avions précé-
demment annoncé, par suite d'un engagement en
province.
Ajoutonsque le jeune pianiste vient d'être engagé
à Marseille et à Lyon.
— Parmi les œuvres manuscrites qui lui ont été
adressées, la Société des Auditions modernes a
retenu les suivantes :
Sonate pour piano et violon, de Jules Mouquet.
Sonate pour piano et violoncelle, de Anselme
Vinée.
Scherzo pour piano, violon et violoncelle, de
Henri Bogé (de Cherbourg"!.
Quatuor à cordes, de V. Dyck.
Ces œuvres, toutes inédites, seront exécutées
pour la première fois à la salle Pleyel, le 7 décem-
bre prochain, par MM. Jean Canivet, Paul Ober-
dœrffer, fondateurs de la Société, MM. H. Stenger,
Gravrand et Jurgensen.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Par suite de la mort de S. A. R. le comte de
Flandre, le théâtre de la Monnaie a clos ses
portes pour quelques jours et fera relâche jus-
qu'après les funérailles du prince. Il rouvrira
jeudi avec Armide.
Les représentations nu chef-d'œuvre de Gluck
se sont poursuivies, cette semaine, avec un éclat
extraordinaire et au milieu de l'enthousiasme le
plus chaleureux du public. Jeudi, M. Camille
Saint-Saëns assistait à la représentation, qu'il a
suivie du commencement à la fin. Après le troi-
sième acte l'illustre maître a tassé sur la scène où
il a été très entouré naturellement. Le célèbre
compositeur n'a pas caché sa Satisfaction de Cette
« délicieuse exécution » du chef-d'œuvre de Gluck.
D'autre part M. Massenet a passé trois jours à
Bruxelles et il a répété au théâtre avec les artistes
de Chérubin, dont il a paru enchanté.
Mercredi, bonne reprise de Mignon avec Mmes
Eyreams, Korsoff, Tourjane; MM. David, Forgeur
et D'Assy. Mlle Korsoff qui paraissait pour la pre-
mière fois dans Philine y a remporté un vif succès
de virtuosité.
CONCERTS POPULAIRES. - Si les Con-
certs populaires de cet hiver devaient présenter
le même intérêt artistique que le premier de la
série, donné dimanche dernier au théâtre de la
Monnaie, M. Sylvain Dupuis pourrait se dire qu'il
a comblé le vœux du public bruxellois. Quel
sympathique virtuose que le violoncelliste espa-
gnol M. Pablo Casais, et avec quelle maîtrise il a
interprété le concerto de Dvorak, Y Elégie de Fauré,
le Kol Nidrei de Max Bruch et, pour finir, le Pré-
lude de Bach! Netteté admirable du son, fermeté
et délicatesse du jeu, art suprême à triompher des
difficultés et à exprimer les plus délicates pensées,
M. Pablo Casais possède toutes les qualités des
artistes de race, et ce ne fut pas un des moindres
plaisirs de ses auditeurs que d'admirer la simplicité
charmante avec laquelle se manifeste un talent
d'aussi bon aloi. Le public, comme bien on pense,
n'a pas ménagé ses applaudissements à M. Casais.
Il l'a rappelé jusqu'à cinq fois. Aussi bien, après
l'audition de La Mer de M. Gilson au début
du concert, l'auditoire était gagné. L'orchestre
de M. Sylvain Dupuis, que la baguette de rémi-
nent capellmeister conduisait avec sûreté, a vaincu
en se jouant les difficultés d'interprétation de
cette œuvre complexe, d'une noble inspiration
poétique, très haute en couleurs, qui, dès son
apparition, s'est mise au rang des compositions
les plus remarquables de l'école belge.
M. Vermandele a déclamé les vers plutôt piètres
de M. Eddy Le vis qui commentent la symphonie
de M. Gilson. Il a fallu tout le talent du distingué
professeur pour dissimuler les défauts de cette
paraphrase inutile. Enfin, l'orchestre a joué l'ou-
verture du Barbier de Bagdad de Peter Cornélius,
qui a été applaudie favorablement, et la Fête
populaire de M. Fernand Leborne.
A son prochain concert, le 3 décembre, M. Syl-
vain Dupuis donnera une œuvre de M. Claude
A. Debussy, la Mer, esquisses symphoniques
qui viennent d'être accueillies si favorablement à
Paris et qu'il sera certainement d'un haut intérêt
de comparer avec la Mer de M. Paul Gilson. Deux
LE GUIDE MUSICAL
757
autres oeuvres nouvelles figurent au programme :
un poème sy m phonique de Fr. Delius, Paris,
impressions de nuit, et une suite symphonique de
M. Auguste Dupont fils, tirée de son drame
lyrique M organe, joué l'hiver dernier à Anvers. La
soliste de cette matinée sera Mlle Steffi Geyer,
une jeune violoniste hongroise, élève de Jeno
Hubay, qui fait fureur en Autriche et en Alle-
magne. La jeune artiste jouera le concerto de
Goldmark et le rondo de Saint-Saëns. E. B.
— Il y avait longtemps que Mme Fernande Kuf-
ferath n'avait donné un concert à Bruxelles, et c'est
avec un vif plaisir que nous avons entendu et
applaudi la charmante violoncelliste, mercredi
dernier, à la Grande Harmonie.
Mme Fernande Kufferath comprend ce qu'elle
joue et l'interprète d'une façon personnelle, quoi-
que très classique ; jamais les variations sympho-
niques de Boëllmann ne m'ont paru aussi belles ;
Y Aria de Bach ainsi que Alendlied de Schu-
mann ont été exécutés avec une pureté de style
vraiment remarquable.
M. Seguin prêtait son concours ; il a chanté en
véritable artiste l'air d'Elie de Mendehsohn, la
Légende de saint François d'Assise de Th. Dubois et
la Danse macabre de Saint-Saëns ; on lui a fait un
gros succès.
M. Richard Hagemans accompagnait au piano ;
ce ne fut pas toujours très heureux. J. T.
— Jamais le nom de virtuose ne peut être mieux
employé qu'en parlant de M. Mark Hambourg;
mais tout excès est un défaut, et vraiment ce jeune
pianiste abuse par trop de son extrême vélocité,
qui, par moments, n'a rien d'artistique.
Au programme, du Bach, la sonate Appassionata
de Beethoven, que M. Hambourg a interprétée
d'une façon originale et intéressante. Puis la Bal-
lade de Gi ieg et beaucoup de Chopin, et pour finir,
quelques pages de haute virtuosité de Rubinstein,
Rachmaninof, Liszt et surtout les variations sur
un thème de Paganini de M. Mark Hambourg, qui
dépasse en acrobatie tout ce qu'on avait entendu
jusqu'ici.
En résumé, une séance assez longue et beau-
coup trop de morceaux à effet. J. T.
— La Croisade des enfants, le chef-d'œuvre de
Gabriel Pierné, qui obtient en ce moment les plus
grands succès dans tous les centres musicaux, et
qui fut couronné l'an passé par la ville de Paris,
va être exécutée partiellement, la veille de la Saint-
Nicolas, par l'école de musique de Saint- Josse-
Schaerbeek, sous la direction de M. Gustave Hu-
berti. La seconde partie seulement de cet ouvrage
considérable sera exécutée par les 25o chanteurs de
l'école. Elle décrit les péripéties et les souffrances
de la marche des jeunes croisés conduits par une
aveugle et une voyante. Quatre groupes de chœurs
d'enfants se répondent alternativement, donnant
l'illusion de la foule en marche chantant à travers
la campagne Ce sera le clou de cette audition, à
laquelle M. Eugène Ysaye a bien voulu promettre
son concours. Les chœurs d'enfants chanteront
encore des rondes de Jaques-Dalcroze, des chœurs
mixtes des œuvres de César Franck, de vieilles
chansons wallonnes harmonisées par M. Albert
Dupuis.
— L'Association des chanteurs de Saint-Boni-
face interprétera, sous la direction de M. H. Car-
pay, le dimanche 26 novembre, à 10 heures du
matin, à l'occasion de la fête de sainte Cécile :
Introït : Sacerdotes Dei, en plain-chant ; messe en
l'honneur de Notre-Dame de Lourdes, à cinq voix,
sans accompagnement, de E. Tinel; Graduale :
Gloria et honore — Alléluia; Offertoire : Inveni David ;
Du m aurora finem daret, à quatre voix et orgue,
de Aug. De Boeck; Communion : Posuisti, Domine;
sortie: Allegro de Mendelssohn, Organiste : M. Aug.
De Boeck.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Au grand concert donné lundi
à la société d'Harmonie, devant un public
nombreux, César Thomson, admirable interprète
des vieux maîtres italiens, provoqua l'enthou-
siasme de l'auditoire en exécutant avec une maî-
trise impeccable le concerto de Tartini, une cha-
conne de Vitali, qu'accompagnait à l'orgue le
talentueux compositeur M. De Boeck, une fantai-
sie de Paganini et, en « bis », la première partie du
concerto de Max Bruch. On fit aussi un beau suc-
cès à Mme Marie Bréma, l'éminente cantatrice
wagnérienne, qui chanta la scène finale du Crépus-
cule des Dieux, l'air d'Orphée : « J'ai perdu mon
Eurydice ». L'orchestre, dirigé par M. Lenaerts,
exécuta la troisième symphonie de Saint-Saëns,
« le Vendredi-Saint » de Parsifal et la « Marche
funèbre » du Crépuscule des Dieux. G. P.
758
LE GUIDE MUSICAL
LA HAYE. — Deux représentations de Tristan
et I solde données au Théâtre communal
d'Amsterdam par le Wagner-Verein néerlan-
dais, sous la direction de M. Henri Viotta, ont
obtenu, comme toujours, un très grand succès.
Mme Kaschowska a été admirable dans le rôle
d'Isolde et Mme Preuze Ratzenauer a chanté d'une
voix superbe le rôle de Brangaine. M. Kromer
(Kurwenal), M. Schuetz (Marke), méritent plus
d'éloges que M. Carlen, qui n'a pas toujours été à
la hauteur de sa tâche dans le rôle de Tristan.
L'orchestre et son chef, M. Viotta, ont été acclamés
à la fin de la représentation.
Au Théâtre royal de La Haye, MmeSigrid Arnold-
son, dont la voix reste toujours jeune, fait en ce
moment les délices du public. Elle a chanté
Mignon; elle chantera Faust et Carmen. On a repris
aussi avec succès le Pardon de Ploërmel de Meyer-
beer, avec Mlle Caux (Dinorah), le ténor M. Gau-
thier et le baryton M. Edwy, tous trois très
applaudis.
La troupe italienne de M. Castellono qui donna
cet été des représentations à Bruxelles, a com-
mencé une série de représentations dans la lugubre
salle du Théâtre du Jardin zoologique par la
Gioconda de Ponchielli et le Trovatore de Verdi.
Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Pour vous dire un mot des concerts, le Quatuor
parisien a exécuté des quatuors de Haydn, de
Schubert et de Claude Debussy à sa seconde
séance, et il a donné un concert d'adieu populaire
dans la grande salle du Concertgebouw, qui était
archi-comble.
Au premier concert annuel du Toonkunst-
Kwartet de La Haye, MM. Hack, Voerman,
Verhallen et van Isterdael ont joué excellemment
un quatuor de Grieg et le quintette de César
Franck, avec le concours du pianiste Textor, tan-
dis que notre charmante concitoyenne Mlle Nico-
line van Eyken s'est fait vivement applaudir dans
des Lieder de Hugo Wolf, de Reynaldo Hahn et
de Dalcroze. Ed. de H.
LONDRES. — Le 3i octobre, la San Carlo
Company a joué à Covent-Garden le Méphis-
tophélès de Bo'ito, que l'on n'avait plus entendu
ici depuis nombre d'années. L'œuvre a été très
applaudie. Au même théâtre, on a donné, avec
plein succès, une excellente représentation de
Madame Butterfly de.Puccini.
Aux concerts-promenades de la saison dernière
au Queen's Hall, on nous a fait entendre deux
nouveautés intéressantes : Variations pour orchestre
de Granville-Bantock et la quatrième symphonie
de Gustave Mahler.
Le dernier des festivals provinciaux de cet
automne a été organisé à Norwich (Norfolk), le
28 octobre. On y a exécuté, entre autres choses,
une œuvre chorale pleine d'humour, The pied Peper
oj Hametin, de S. Hubert Parry, d'après le poème
de Browning ; une cantate de S. Mancinelli, le
réputé chef d'orchestre du Royal Opéra; le Te
Deum et le Messie de Stanford ; enfin, les Apôtres,
d'Elgar. Le violoniste Kreisler s'y est produit,
notamment, dans le concerto de Bach.
Le 3o octobre, au Queen's Hall, on a exécuté
également les Apôtres, d'Elgar et le 4 octobre/
dans le même local, Richard Strauss a dirigé de
façon magistrale sa Symphonie domestique. M. Wood
y a dirigé les variations d'Elgar, et le concerto
pour violons, violoncelles et basses de Bach, que
l'on n'avait jamais entendu à Londres.
Parmi les récitals, nous devons noter celui de
M. Abbiate, violoncelliste distingué ; celui du ténor
M. Elmes, et le concert donné par le Trio phil-
harmonique de Berlin. N. Gatty.
MADRID. — Nous recevons le programme
général des concerts de la Société philhar-
monique de Madrid qui auront lieu au Théâtre
espagnol pendant la saison d'hiver, du 22 novem-
bre, au 14 mai. Nous y relevons les noms des
artistes suivants : Mme Wanda Landowska (cla-
vecin et piano, novembre), Mmes Maria Gay et
Maria-Luisa Ritter (Lieder et piano, décembre),
M. Hayot et son quatuor (quatuors, février), M. :
Arnold Rose, de Vienne, et son quatuor (quatuors,
mars), MM. Edouard Risler, André Hekking et
Louis Frôlich (piano, violoncelle, Lieder, avril),
enfin MM. Raoul Pugno et Eugène Ysaye (piano
et violon, mai).
NOUVELLES
— La question de savoir si des représentations
wagnériennes continueront à avoir lieu au Prinz-
regenten-Theater de Munich, pendant la saison
estivale, semble se résoudre par l'affirmative. La
municipalité de la capitale bavaroise apprécie
fortement la campagne qu'on mène pour le main-
tien de ces représentations, qui attirent tous les
ans de nombreux étrangers.
LE GUIDE MUSICAL
75g
. Bayreuth, comme bien on pense, voit d'un
mauvais œil le festival munichois, qui lui crée une
concurrence sensible, et fait tout son possible,
dit-on, pour le faire échouer.
_— On ne s'ennuie décidément pas dans les théâ-
tres de la province française. Dernièrement c'était
à Rouen que le maire était obligé d'intervenir
entre la direction du théâtre et les abonnés pour
rétablir l'ordre et le calme dans la salle du Théâ-
tre des Arts.
Aujourd'hui, c'est à Nantes que les directeurs du
théâtre Graslin ont maille à partir avec cette en-
geance insupportable que sont les abonnés des
théâtres en province.
A la suite des protestations unanimes soulevées
par le premier vote de la commission, le 3o octo-
bre, refusant à une forte majorité un certain nombre
d'artistes de la troupe, le maire avait pris un arrêté
annulant le vote et déclarant qu'il sera procédé,
dans une prochaine séance et sur convocation
régulière, au vote par appel nominal et public sur
le refus ou l'admission des artistes en cause.
Donc, mercredi dernier, 8 novembre, les mem-
bres de la commission théâtrale se réunissaient,
à 5 heures, au foyer des artistes du Grand Théâtre.
Avant de procéder au vote, un certain nombre
d'abonnés protestèrent contre l'arrêté pris par le
maire, parce qu'il n'était pas légal et que le vote
primitif devait être acquis. Après avoir bien tergi-
versé pendant une demi-heure, les grincheux se
décidèrent enfin à voter. Il y avait 35 votants.
Au premier tour, les résultats sont les suivants :
M. Lussiez, basse noble, 19 oui, 14 non, 2 absten-
tions; Mme Martin-Delaras, 19 oui, 14 non et
2 abstentions; Mlle de Perre est ajournée.
Ces résultats soulevèrent des protestations de
la part de certains abonnés. L'un d'eux s'écrie :
« C'est une comédie ! » C'est le signal de la
retraite, car quatorze abonnés quittèrent aussitôt
le théâtre.
Cinq nouveaux abonnés, inscrits depuis le 3i oc-
tobre, n'ayant pu être admis à participer au vote,
parce qu'ils n'étaient pas inscrits sur une cer-
taine liste, ont requis un huissier pour constater
le fait.
Le même jour, au commencement du second
acte de la Favorite, un bruit de dispute attira les
spectateurs dans la galerie des premières.
M. Fille, directeur, était aux prises avec plu-
sieurs membres de la commission !
La discussion était très vive. M. Fille tenait
tête à ses adversaires, qui étaient bien une demi-
douzaine et discutaient avec des termes parfois peu
parlementaires.
Finalement, M. Fille partit, entraîné par M.
Merlant, adjoint au maire, qui était survenu, et
les membres de la commission durent se retirer
devant les protestations du public, qui prenait
parti pour M. Fille et commençait à se fâcher.
Notre confrère Nantes lyrique émet au sujet de
ces grotesques incidents les réflexions suivantes :
« Il est à peu près certain que le système actuel-
lement en vigueer à Graslin pour l'admission des
artistes ne sera pas maintenu. Personne ne le
regrettera, sauf ceux qui prennent un abonnement
moins par amour de la musique que par le désir
de jouer au personnage important. »
— On prépare, au Théâtre social de Trévise, la
première représentation d'un grand drame lyrique
nouveau, les Euménides, qui sera représenté
aussitôt après à Berlin. L'auteur, M. Filippo
Guglielmi, compositeur encore inconnu au théâtre,
a été, dans sa jeunesse, lié d'amitié avec Liszt.
Natif de Tivoli, il fit son éducation musicale à
Naples, et lorsqu'il revint à Tivoli, il y trouva le
vieux maître, qui habitait alors la villa d'Esté,
Liszt le prit en affection, le guidant et lui donnant
des conseils pour ses premières compositions.
— Une idée de la richesse aux Etats-Unis est
fournie par ce qui se dépense dans les théâtres
américains. Ces théâtres, au nombre de trois mille
environ, sont tous des édifices monumentaux.
Le théâtre de l'Opéra, à Broadway (New- York),
coûta i5 millions. D'autres théâtres de cette ville,
comme le Critérium et le Nouvel Amsterdam, ont
coûté chacun 10 millions ; le gigantesque hippo-
drome de la sixième avenue coûta 17 millions et
demi.
Les dépenses dans les théâtres sont énormes. On
a calculé que la moyenne était de 12 à 52 mille
francs par œuvre.
Les recettes par théâtre, en cas de succès, dé-
passent no mille francs par semaine.
Durant trente-trois semaines de saison théâtrale,
on a relevé que les théâtres de New- York
recevaient du public environ 77 millions ; ceux de
Chicago 36, ceux de Philadelphie 21, ceux de San-
Francisco 10, ceux de Washington S, sans compter
ceux de Pittsburg, Cincinnati et la Nouvelle-
Orléans.
Dans le cours d'une année théâtrale, le public
nord -américain dépense donc plus de 160 millions
de francs.
— Les bijoux du roi wagnérien Louis II de
760
LE GUIDE MUSICAL
Bavière, vendus aux enchères à Londres le mois
dernier, n'ont permis de réaliser qu'une somme
totale de i8,525 francs. Une garniture de costume
de cour, en saphirs et diamants, a été adjugée
5,ooo francs. Une tiare avec saphirs et brillants
est montée à 3,625 francs. Un bracelet avec
quatre miniatures sur émail représentant des
scènes d'opéras de Wagner n'a pas pu dépasser
2,400 francs. Le reste n'a trouvé d'amateurs qu'à
des prix beaucoup moins élevés.
— Le Lyceum Club, institut international qui
a ses deux sièges principaux à Londres et à
Berlin, ouvre un concours musical spécialement
réservé aux femmes compositeurs, de quelque
nation que ce soit. Les œuvres de tout genre, soit
instrumentales, vocales, symphoniques ou cho-
rales, sont admises à ce concours, sous la seule
condition qu'elles n'aient jamais été exécutées en
public. Le concours sera clos le Ier mai 1906 et
d'ici là, les manuscrits devront être adressés au
secrétariat du Lyceum Club de Londres.
— M. Cumming, professeur de la Guildhall
School of music, de Londres, a découvert cinq auto-
graphes de Haydn, Henry Bishop, Winters, Ci-
priani Potter et Weber. L'autographe de Haydn
est une marche écrite en 1792 et donnée la même
année en présence du maître, au festival de la
société royale des musiciens ; celui de Weber est
aussi une marche; le manuscrit porte l'inscription
suivante : « Marche composée spécialement pour
la Société royale des musiciens, par Cari Maria
von Weber ». Ce morceau a été joué pour la pre-
mière fois à un dîner d'anniversaire de cette
société, le i3 mars 1826.
pianos et Ibarpes
irnrb
Bruxelles : 6, rue Xambermont
paris : rue ou flDail, 13
NÉCROLOGIE
— De Londres, on annonce la mort d'un artiste
italien, Giuseppe Razzano-Romano, depuis de
longues années fixé dans cette ville, où il fut pro-
fesseur de chant à l'école de musique de Guildhall.
Il eut parmi ses élèves particuliers le prince Arthur
de Connaught. Il était né à Naples en i833.
— A Atlantic City (États-Unis), un jeune orga
niste, Frédéric Crowell, s'est suicidé, à peine âgé
de trente ans.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Samson et Dalila, La Maladetta; Faust;
Le Freischùtz, Coppélia; Roméo et Juliette.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Barbier de Séville, La
Fille du Régiment; Carmen; Mignon; Miarka; Le
Jongleur de Notre-Dame, Cavalleriarusticana; Miarka;
Louise; Miarka.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Manon;
Faust; Armide; Mignon; Armide.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Mercredi 22 novembre. — A 9 heures du soir, en la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, premier concert
avec orchestre de la Société J. -S. Bach. Programme :
Concerto pour tiois pianos et orchestre en ut majeur
(MM. Louis Diémer, Lazare Lévy, Georges Casella) ;
Cantate nuptiale « O Holder Tag » (O jour heureux),
paroles françaises de M. Bret (Mlle Mathieu d'Ancy);
Concerto pour trois pianos et orchestre en ré mineur
(MM. Louis Diemer, Lazare Lévy, Georges Casella);
Cantate sacrée « Liebster Jesu mein Verlangen » (O
mon Jésus, mon seul désir), paroles françaises de M.
Bret (Mlle Noiriel, M. Jan Reder). — Organiste, -MU»
Nadia Boulanger; violon solo, M. David Herrmann;
hautbois, M. Mondain.
Mercredi 29 novembre. — A 9 heures du soir, en la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, concert d'orgue et
de musique de chambre de la Société J.-S. Bach, avec
le concours de Mlle Boutet de Monvel, de MM. Joseph
Debroux et Henri Dallier.
BRUXELLES
Dimanche 19 novembre. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra, deuxième Concerts Ysaye,
sous la direction de M. Eugène Ysaye, avec le concours
de M. Ferruccio Busoni, pianiste. Programme : 1. Vi-
viane, poème symphonique (E. Chausson); 2. Concerto,
n° 5 (C. Saint-Saëns), M. F. Busoni; 3. Symphonie
(inédite), première audition (A. Dupuis); 4. Pièces pour
piano seul (X. X. X.), M. F. Busoni; 5. Rapsodie pour
orchestre, première audition (V.Vreuls).
Lundi 20 et Mardi 21 novembre. — Deux séances de
danses données par Miss Isadora Duncan au théâtre de
l'Alhambra. Au programme : Ifihigénie de Gluck.
Jeudi 23 novembre. — A 8 1/2 heures du soir, en la
salle de la Grande Harmonie, Séance inaugurale du
Groupe des Compositeurs belges (musique de chambre,
mélodies, choeurs). — Œuvres de Agniez, Alpaerts,
Cluytens, Daneau, De Greef, Henge.
LE GUIDE MUSICAL
761
BREITKOPF & hŒRTEL, Éditeurs, a Bruxelles
Montagne de la Cour, 45,
Vient de Paraître :
Richard WAGNER
à Mathilde Wesendonk
JOURNAL ET LETTRES 1853-1871
Traduction autorisée de l'Allemand par Préface de
Georges Khnopff Henri Lichtenberger
= Tome I et M à fr 3,50 net =
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
Vient de Paraître :
JOSEPH JONGEN
Sonate pour Violon et Piano
Prix : fr. 7.50 net
Vient de Paraître le grand, succès du
à la MAISON BEETHOVEN THÉÂTRE DE LA MONNAIE
G. OERTEL, 17, rue de la Régence, Bruxelles
La deuxième Edition de la Partition
Piano et chant, texte français-flamand, de
Princesse Rayon de Soleil
Légende féerique en quatre actes
Poème de POL DE MONT, musique de P. GILSON
-, ; — Prix : 20 Francs ==
Pour paraître prochainement à la même maison. — En souscription, au prix de 7,50 fr.
la partition piano et chant de L 1 D 1 A drame lyrique en i acte
Poème d'ALEXANDRA MYRIAL ===== Musique de Jean HAUTSTONT
SÂNDOZ, JOBIN & Cie
Office international d'Edition JVCvisioale et Agence -A.r"tistiqvie
PARIS LEIPZIG NEUCHATEL (suisse)
28, Rue de Bondy
94, Seeburgstrasse
3, Rue du Coq d'Inde
VIENT DE PARAITRE :
LE CHANSOOIEE JAQUES -DALCHOZE
Ce chansonnier est en vente chez les Editeurs et
dans tous les magasins de musique au prix de
OPINION DE LA PRESSE :
3 FFL net
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura,
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entré ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 105.
Hardi! Jean-Louis. (Tiré des Chansons populaires.)
E. Jaques-Dalcroze
i
f— tï-fr
^
£
*=£
Que fais - tu dans ton jo- H champ? Har-di! Jean-Louis Vlàl'jour qui s'iè - ve, Que fais - tu dans ton jo li champ?
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Siùte annÈe. — Numéro 48.
26 Novembre 1905.
LETTRES DE RICHARD WAGNER
à MATHILDE WESENDONCK
ES lettres, dont l'excellente et très
fidèle traduction française de
M. Georges Khnopff avait été
publiée d'abord dans la Revue
de Paris, viennent de paraître réunies en
deux élégants volumes (1). Ceux qui les
avaient lues dans la revue jaune les reliront
avec plus d'émotion encore dans l'édition
définitive, où leur réunion forme un tout
complet, étonnamment passionnant et du
plus haut intérêt. Aucun document n'est
plus précieux pour la compréhension de la
personnalité de Wagner. Ailleurs, dans ses
belles lettres à Liszt,dans sa corresponance
avec Otto Wesendonck, le mari de Ma-
thilde, c'est l'artiste, c'est le penseur qui
parlent. Dans ces lettres à la Muse qui fut
la consolatrice de l'exilé au temps du séjour
en Suisse, c'est l'homme tout entier qui se
révèle avec son extrême sensibilité, ses
délicatesses exquises de sentiment et son
égotisme phénoménal, dans sa grandeur
morale et dans sa misère d'être passionnel.
Comme l'écrivait naguère Ed. Schuré, « on
voit le geste, on entend la voix, et parfois
on croit voir ce cœur qui palpite, bondit, se
contracte pour rebondir encore, dans la
succession rapide et la simultanéité verti-
(1) Paris, O. Mieth; Bruxelles, Breitkopf et Hârtel.
gineuse des émotions (1) ». Cette corres-
pondance reste ainsi le témoin authentique
et sincère d'un des drames passionnels les
plus émouvants qui se puissent imaginer.
Elle nous redit dans tous ses détails vrais
l'histoire de cet épisode de sa vie d'où
devait naître l'œuvre la plus prodigieuse
du xixe siècle, ^Tristan et Isettlt, et qui
faillit conduire Wagner à « cette mort par
détresse d'amour » qu'il chante d'une voix
si éperdûment douloureuse dans son œuvre
suprême.
Au fond, l'aventure n'aurait rien que de
banal, si les circonstances dans lesquelles
elle se développe ne l'entouraient d'un
charme exceptionnellement intense de poé-
sie et de noblesse.
Depuis sa participation au mouvement
révolutionnaire de Dresde en 1849, Wa-
gner vivait exilé avec sa femme Minna,
dans une petite ville suisse, Zurich. Il y fit,
en i852, la connaissance de Mathilde
j Wesendonck, femme d'un riche commer-
| çant allemand, représentant européen
d'une grande maison de soieries de New-
, York, homme de belle droiture, nature
! généreuse et chevaleresque, qui aimait à
(1) Revue des Deux Mondes du i& décembre 1904 : La
Genèse de Tristan.
764
LE GUIDE MUSICAL
recevoir les poètes et les artistes et à qui
sa grande fortune permettait de les secou-
rir au besoin de façon princière. Introduit
dans cette hospitalière demeure, Richard
Wagner ne tarda pas à en devenir l'hôte le
plus assidu. Il avait près de quarante ans ;
Mathilde en avait vingt-quatre. Elle était
belle et artiste, poète et musicienne. L'as-
cendant du maître sur la jeune femme
devint rapidement de la fascination. Elle
obtint de son mari qu'il aménageât dans
leur vaste propriété une petite habitation
où le maître pût travailler tranquillement
loin des bruits de la ville et des importu-
nités des voisins. C'est cette habitation que
Wagner appelait « l'Asile » et dont il parle
si souvent dans ses lettres. Presque quoti-
diennement Wagner passait quelques
heures dans la famille de ses amis. Il lisait
ses œuvres à Mathilde, lui jouait du Bee-
thoven, l'initiait aux grandes compositions
symphoniques du maître de Bonn. Mme
Wesendonck nous a elle-même laissé des
notations exactes sur ses premiers rapports
avec le maître :
Il était heureux quand j'étais capable de le
suivre et que mon enthousiasme s'allumait au
sien.... En l'année 1854. il m'introduisit dans la
philosophie de Schopenhauer. En général, il me
rendait attentive à toute production remarquable,
littéraire ou scientifique. Il me lisait le livre ou en
discutait les idées avec moi. Ce qu'il composait le
matin, il avait l'habitude de me le jouer le soir,
entre cinq et six, à l'heure du crépuscule. Il appor-
tait la vie là où il se montrait. Quand on le voyait
quelquefois entrer dans la chambre visiblement
fatigué et abattu, il était beau de voir comme,
après un court moment de repos, les nuages
amassés sur son front se dissipaient, et le rayon
qui glissait sur ses traits lorsqu'il se mettait au
piano.... A lui seul je dois le meilleur de ce que je
sais. Les années passées à Zurich furent pour
Wagner un temps de recueillement, de travail et
de critallisation qu'on ne saurait enlever de sa
biographie sans déchirer violemment le fil de son
développemeni. Il partit transformé.
Il partit, en effet, le jour où il s'aperçut
que cette intimité intellectuelle était deve-
nue une dévorante passion et que cette
passion devait les conduire tous deux à
une catastrophe : elle, la femme si tendre-
ment unie à sa famille ; lui, l'artiste lié à son
bienfaiteur par les devoirs sacrés de la
reconnaissance.
C'est toute l'histoire poétique de ce
grand et profond amour qui revit dans la
Correspondance que M. G. Khnopff vient
de rendre accessible au public de langue
française par sa remarquable traduction.
Elle offre une prodigieuse succession
d'éclairs sentimentaux, et l'exemple su-
perbe d'une volonté victorieuse de l'aven-
ture qu'elle-même avait développée.
La malignité bourgeoise s'est hâtée de
chercher à ternir ce bel et noble attache-
ment du grand artiste et de la jeune femme.
S'il est certain que jamais Wagner ne vit
d'aussi près l'amour qu'en baignant ses
regards dans les grands yeux tendres de
Mathilde Wesendonck, il est certain aussi
qu'aucun désir vulgaire ne vint abaisser ce
haut sentiment. Leur amour se déclara
en septembre i85y, le jour où Wagner
apporta à son amie, qu'il trouva seule,, le
poème de Tristan. Laissons la parole à
Wagner pour évoquer cette scène : il l'a
notée dans le Journal qu'il rédigea à Venise
un an plus tard, après la séparation qui
suivit la crise fatale.
Il y a un an aujourd'hui, je terminai le poème de
Tris: an et je t'apportai le dernier acte. Tu me
conduisis à la chaise devant le sofa, tu m'em-
brassas et me dis : « Maintenant, je n'ai plus rien
à souhaiter. » Ce jour-là, à ce moment-là, je
renaquis vraiment. Ma vie d'autrefois avait trouvé
sa conclusion : dès lors commençait une existence
nouvelle. Dans cet instant merveilleux, je vécus
vraiment. Tu sais comme je l'ai goûté ! Non pas
avec turbulence, emportement, enivrement, mais
solennellement, profondément, me sentant recon-
forté, libre, regardant devant moi comme pour
toute éternité... Du monde, je m'étais, doulou-
reusement, de plus en plus détaché. Tout en moi
aboutissait à la négation, à l'hostilité... Doulou-
reux était devenu même mon travail d'artiste, car
il y avait en moi le désir intense, l'inapaisé désir de
trouver, au lieu de cette négation et de cette
hostilité, l'affirmation de moi-même, la communion
avec moi-même. Ce moment-là me les octroyait
avec une si indubitable certitude, que j'eus la
LE GUIDE MUSICAL
765
sensation d*une heure solennelle et sacrée. Une
femme timide et hésitante se jetait, avec un cou-
rage sublime, dans l'océan des souffrances et des
douleurs pour me créer ce moment splendide,
pour me dire : « Je t'aime...! » Ainsi tu te
vouais à la mort afin de me donner la vie;
ainsi je recevais ta vie, pour quitter le monde
avec toi, souffrir avec toi, mourir avec toi...
Alors le sortilège de l'inapaisé désir était annihilé !
Et tu sais aussi que plus jamais depuis je n'ai été
en désaccord avec moi-même. Le trouble et
l'angoisse ont pu s'emparer de nous, même tu as
pu être emportée par l'illusion de la passion; mais
moi, tu le sais, je suis resté toujours le même, et
mon amour pour toi ne pouvait plus, depuis ce
moment terrible, perdre son parfum, perdre ne
fût-ce qu'un atome de ce parfum. Toute amer-
tume s'en était allée; je pouvais m'égarer, devenir
la proie de la douleur, mais pour toujours je savais
clairement que jamais cette lumière ne s'éteindrait,
que ton amour était mon bien suprême, et que sans
lui mon existence serait en contradiction avec elle-
même.
Merci, mon bel ange plein d'amour !...
Les suites de l'incident sont connues.
Pendant de longs mois encore, les deux
amants se rencontrèrent à Zurich, résis-
tant à leur passion, retenus par leur
devoir.
« Les luttes formidables que nous avons
soutenues, comment pouvaient-elles finir
autrement que par la victoire remportée
sur toutes nos aspirations, sur tous nos
désirs, » écrivait encore Wagner au cours
de l'été de i858, s'adressant à son amie; et
il ajoutait :
Quand, il y a un mois, j'exprimai à ton mari ma
décision de rompre toutes relations personnelles
avec vous deux, j'avais ..renoncé à toi. Cependant,
je ne me sentais pas encore tout à fait pur; je me
rendais compte que seule une séparation complète
ou bien... une union absolue pouvait sauver notre
amour de ces terribles proximités auxquelles nous
l'avions vu exposé dans ces derniers temps. Ainsi,
en face du sentiment que notre séparation était
nécessaire, se trouvait la possibilité d'une union,
sinon voulue, du moins conçue. De là une tension
nerveuse que nous ne pouvions supporter ni l'un
ni l'autre. Je me confessai à toi et il nous apparut
avec évidence que toute autre possibilité eût con-
stitué un crime, dont la pensée même était intolé-
rable Mon enfant, il ne m'est plus possible de
m'imaginer qu'un unique salut et il ne peut me
venir que du plus profond de mon cœur, non plus
de telle ou telle cause extérieure. Il a nom : la
paix! l'apaisement absolu imposé au désir! Noble
et digne victoire! Vivre pour d'autres, pour
d'autres... sera notre propre consolation !.... Ces
derniers mois m'ont sensiblement blanchi les che-
veux aux tempes ; en moi une voix appelle instam-
ment le repos, ce repos que je faisais déjà désirer,
il y a de longues années, à mon « Hollandais »
dans le Vaisseau J 'an. 'âme. C'est l'intense aspiration
vers une patrie, un foyer, et non à une jouissance
exubérante de la vie passionnelle. Une femme fidèle
et d'un dévouement splendide pouvait seule pro-
curer cette patrie à mon héros. Vouons-nous à
cette belle mort, qui enveloppe et apaise toutes
ces aspirations, tous ces désirs. Mourons bien-
heureux, avec un regard lumineux et calme, avec
le divin sourire de la victoire bellement remportée !
Et nul ne doit pâlir quand nous sommes vainqueurs.
Finalement, Wagner prit la résolution
de quitter furtivement Zurich et il alla se
réfugier d'abord à Genève, puis à Venise.
C'est là, on le sait, qu'il écrivit la partition
du second acte de Tristan dans une ivresse
d'amour, de douleur et de force créatrice.
Plus tard, le calme revint, l'apaisement
se fit. Otto Wesendonck, loyalement
instruit de tout, ne garda pas rancune à
l'artiste et pardonna à sa femme. Après un
an de séparation, ils reprirent leur corres-
pondance, ils se revirent, et les relations
restèrent amicales entre eux jusqu'à la
mort de Wagner. Ce qui faisait dire à
celui-ci, dans une lettre qu'il leur adressait
de Paris (novembre 1 85g) :
Mes enfants, que nous soyons trois, voilà tout de
même une grande merveille ! C'est incomparable,
c'est mon et votre plus magnifique triomphe! Nous
sommes incroyablement au-dessus de l'humanité !
Ce qu'il y a de plus noble devait devenir Vérité, un
jour; et le vrai n'est si incompréhensible que
parce qu'il est tellement exceptionnel et unique.
Je ne sais pourquoi M. Khnopff, voit
dans ces mots, une allusion au Christ.
Lorsque Wagner dit ici que ce qu'il y a de
plus noble est devenu vérité, il veut parler
simplement de ces relations avec ses deux
amis, si supérieures aux conventions ba-
nales et à la compréhension courante, si
libres de préjugés.
766
LE GUIDE MUSICAL
Toute la genèse, le développement et
la conclusion apaisée de ce drame si
humain et si profond, on les retrouve dans
ce recueil. Il comprend cent quarante-huit
lettres de Richard Wagner à M'"e Wesen-
donck, le Journal qu'il rédigea pendant son
séjour à Venise et lui confia; enfin quatorze
lettres de Mathilde à Richard Wagner.
Nulle part peut-être, comme le dit M. Lich-
tenberger dans sa préface, Wagner ne nous
apparaît si humainement grand que dans
les pages frémissantes où palpite et saigne
la blessure secrète qui l'atteignait en plein
cœur, et il est heureux qu'elles nous aient
été conservées. Mme Wesendonck les avait
soigneusement réunies. On prétend que
Wagner aurait désiré les anéantir. C'est
tout au moins ce qui se dit à Wahnfried.
Mais dans son testament, Mme Wesen-
donck exprimait sa volonté formelle
qu'elles fussent publiées ainsi que le
Journal de Venise. Félicitons-nous que ces
précieuses confidences nous aient été
révélées. Elles constituent un document
d'une valeur exceptionnelle qui nous
permet de mieux comprendre comment
surgit dans la vie du maître ce sentiment
si élevé du renoncement et de la pitié qui
transfigura sa glorieuse vieillesse et dont le
rayonnement illumine de sa clarté Tristan,
les Maîtres Chanteurs et Parsifal.
Maurice Kufferath.
LA FACTURE DES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
EN BELGIQUE
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
INSTRUMENTS A VENT
ci plus que partout ailleurs, nous
manquons de tout renseignement
sur les fondateurs de notre indus-
trie aux Pays-Bas. Comme la luthe-
rie du même temps, l'art grossier des pre-
miers facteurs d'instruments à vent ne
jouit, chez leurs contemporains, d'aucune
considération spéciale. Mais l'obscurité
qui les entoure s'épaissit de ce fait que si
les luthiers, eux, signaient leurs œuvres,
l'usage ne s'établit que petit à petit et par-
tiellement chez les facteurs d'instruments
à vent ; et quand enfin il se généralise,
ceux-ci négligent complètement (à quel-
ques rares exceptions près) de dater leur
estampille.
Cependant, il n'est pas douteux que cette
branche industrielle fut prospère en Bel-
gique dès le XVe, le XIVe, voire le XIIIe siè-
cle. Les documents manuscrits et graphi-
ques du temps nous édifient sur le grand
nombre de trompes, de trompettes, de
cromornes, de flûtes, de hautbois de toutes
dimensions employés par les bandes com-
munales, les serments, les gens de police
et de guerre, — sans compter ces trompettes
d'argent dont il est question dans les vieil-
les chroniques flamandes. On a tour à tour
affirmé et nié l'existence de ces fameuses
trompettes, dont les communes flamandes,
au temps de leur grandeur, possédèrent,
dit-on, un grand nombre (cent-vingt de ces
instruments auraient retenti à Bruges au
retour de Philippe-le-Bon du Portugal, en
1728, une de ces fêtes où le luxe et l'opu-
lence des communes s'étalaient avec un
éclat inouï). La valeur « monnayable » de
ces précieux instruments n'expliquerait que
trop leur disparition, et quant à leur exis-
tence, elle n'a rien d'invraisemblable :
Snoeck relate qu'il est de tradition, à Gand,
qu'un de ces appareils existait encore à
l'hôtel-de-ville en i85o; lui-même affirme
en avoir connu deux spécimens, quelques
années plus tard, entre les mains d'un mu-
sicien gantois.
Quoiqu'il en soit, et malgré l'activité cer-
taine des facteurs du temps, nous ne savons
rien de ces modestes artisans, qui se ran-
geaient dans la corporation des chaudron-
niers ; à peine si quelques noms nous sont
parvenus, comme, au XVe siècle, les fai-
seurs de trompes et de trompettes Jean de
Thouraine à Bruxelles et Pierre Bogaerts
à Anvers et, à Bruges, un certain Louis
LE GUIDE MUSICAL
767
Willay, chez lequel Philippe-le-Bon fait
acheter un triple accord de bois (quatre
bombardes, quatre douçaines et quatre
flûtes), pour être offert à Nicolas III, duc
de Ferrare, dont la plupart des instrumen-
tistes de cour étaient Néerlandais. C'est
donc beaucoup plus tard, à partir de la fin
du xvii" siècle, que commence notre énu-
mération. Encore la chronologie en de-
meure-t-elle vague pour tous les facteurs
dont l'état-civil reste à examiner.
En l'absence provisoire de ces données,
comme aussi de firmes datées, l'apparence
seule des instruments permet de conjectu-
rer approximativement l'époque du fac-
teur. Ce sont les flûtes, traversières ou à
bec, simples ou « harmoniques » (flûtes à
bec composées de tuyaux parallèles, avec
systèmes indépendants de trous), les divers
instruments du type clarinette (anche bat-
tante) et hautbois (anche double), dont les
clefs se multiplient petit à petit, dont la
construction se perfectionne lentement,
laborieusement, jusqu'à la réforme de
Boehm; c'est toute l'histoire des instru-
ments à embouchure, depuis les trompet-
tes naturelles et le cor simple jusqu'aux
types modernes, depuis les tons de re-
change jusqu'aux trous recouverts par des
clefs ; ce sont les buccins à tête de dra-
gon, les succédanés du cornet à bouquin
et du serpent, le « basson russe », bientôt
remplacé par le non moins éphémère ophi-
cléide, qui cède lui-même la place au mo-
derne tuba.
Il ne faudrait pas croire que les der-
niers termes de cette évolution, dont les
débuts sont si lointains, nous reportent
bien loin en arrière. Le système Boehm
date d'une soixantaine d'années, l'unifica-
tion des diverses familles d'instruments à
embouchure est presque d'hier. L'adapta-
tion des clefs au cor remonte au début du
XIXe siècle, l'invention (allemande) des pis-
tons à i8i5 (1). Et ces inventions succes-
(1) Le piston, qui devait permettre aux instrumen-
tistes à embouchure de réaliser toutes les possibilités
techniques, était, comme le marteau articulé des pre-
miers pianos, une de ces inventions « qui sont dans
sives, bouleversant la technique usuelle, ne
s'imposèrent que lentement. Les fondateurs
de quelques-unes de nos firmes contem-
poraines les plus connues, C. Mahillon
(1813-1887), E. Albert (1816-1891), F. Van
Cauwelaert (1808- 1884), fabriquaient en-
core, il y a un demi-siècle, des ophicléides,
des tubas à clefs, des flûtes à trous et, en
1860, le basson russe mugissait encore
dans la musique des Guides. Enfin, on
remarquera que, sauf des exceptions telles
que J. -A -A. Tuerlinckx, la fabrication des
instruments dits « en cuivre » et « en bois »
est pratiquée séparément; c'est de nos
jours seulement, et à partir de Sax père,
que la fabrication des deux types est le
plus souvent pratiquée de conserve dans
les mêmes ateliers.
Bruxelles compte au xviif siècle un bon
nombre de « tourneurs d'instruments »,
parmi lesquels M. Canepel et les Rotten-
burgh (dont le nom est également porté par
un certain nombre de musiciens instrumen-
tistes). On connaît trois générations de fac-
teurs de ce nom, représentées notamment
par : i° Godefroid-Adrien-Joseph Rotten-
burgh (1642-1720); 20 Hyacinthe-Joseph
(« rue de l'Empereur », 1672-1756) (1);
3° Godefroid-Adrien (1705-1782), qui fut
luthier de la Cour pour les instruments à
vent, — poste créé pour lui. A la fin du
xvine siècle, à Bruxelles également, tra-
vaillent J.-B. Willems, Bouwens, rue de
l'Evêché, Boon, rue Plattesteen, M. Berck-
mans — ce dernier facteur de trompettes — ;
l'air ». Mentionnons ici, à titre de curiosité, ce dire de
Pontécoulant {Organographie, t. II, p. i85), relatant que
vers i83o, un horloger de Malines, dont il néglige de
citer le nom, assurait que son père avait construit, monté
et fait essayer un instrument muni d'espèces de pistons,
de forme carrée au lieu d'être cylindrique. Il se serait
agi, en l'espèce, d'un précurseur belge de Stoltzel et
Blùhmel.
(ij Nous ne nous expliquons pas, jusqu'à présent, la
similitude de nom et de prénom du susdit avec le
luthier, son contemporain, signalé plus haut. On peut
difficilement admettre que le même personnage aurait
pratiqué parallèlement les deux genres d'industrie, —
à moins qu'il ne revendît sous son nom des instruments
à archet issus d'autres ateliers.
768
LE GUIDE MUSICAL
plus tard encore, F. Verhasselt, les Le-
brun, C. Dévaster, Déifias, C. Decoster.etc.
A Malines exerçait un facteur de renom,
J.-A.-A. Tuerlinckx (1753-1827), qui con-
fectionna notamment un grand nombre de
clarinettes « d'amour », puis des cors et
des buccins, et dont l'atelier, continué
par C.-J.-J. Tuerlinckx, fils du précédent
(1783-1855), se ferme enfin sous la pression
de la concurrence étrangère.
De la fin du xviir à la première moitié
du XIXe siècle, Gand est également un cen-
tre actif pour la fabrication des divers
types qui précédèrent les cuivres et les
bois modernes; nous y relevons les noms
de Destuyver, De Backer, Kerckhove,
L. Moeremans, J. Ponfoort, Van Belle,
J. Bonne, Deloose. Vers la même époque
travaillent à Anvers C. De Roeck et Mee-
rens, à Lierre Verhoeven et les Van En-
gelen, à Mons Willame, Pierat et N.-M.
Raingo, auteur d'un grand nombre d'instru-
ments, à Ath H. Delcourt, à Liège Ber-
trand, à Tournai Dupré (P.P.-G.-J., 1790-
1862), facteur très apprécié en son temps,
auteur de nombreux perfectionnements
repris après lui, et qui exerce son habi-
leté à construire en bois des appareils
généralement faits en cuivre. N'oublions
pas ici G. Bachmann (un Allemand encore,
1804- 184 3), à la fois virtuose et facteur, et
qui à ce titre mérite une mention spéciale,
comme fondateur de la classe de clarinette
au Conservatoire de Bruxelles et comme
facteur habile.
Nous arrivons enfin à Adolphe Sax.
Ce dernier avait de qui tenir ; son père
constitue déjà une physionomie intéres-
sante, caractérisée par ce don d'invention
et ce besoin d'innover qui, chez Adolphe,
devait se développer jusqu'à la manie et
conduire l'intéressé ensemble à la gloire et
à la ruine. Charles-Joseph Sax (1791-1865)
fut un véritable autodidacte. Jeune homme,
membre d'une société d'harmonie, il avait
façonné de ses mains l'instrument dont il
jouait. La manufacture fondée par lui
bénéficie d'une rapide notoriété; Guil-
laume Ier lui ouvre un crédit sur les fonds
de l'Etat, le nomme en 1818 facteur de la
Cour et, l'année suivante, fournisseur des
régiments belges récemment créés. Tout
allait pour le mieux, quand la Révolution
de i83o, survenant, porta à l'industriel un
coup dont il ne se releva pas. Sax père
avait fabriqué d'abord les flûtes et les ser-
pents, auxquels il joignit ensuite les clari-
nettes et les bassons, enfin les cuivres. Il
s'occupa même de lutherie (violons, guita-
res), de facture de harpes et de pianos et
imagina pour ces derniers, afin de contre-
balancer l'effet de la tension des cordes sur
la table, de les faire passer alternativement
au-dessus et au-dessous du chevalet, — sys-
tème diversement appliqué après lui. Ce
sont en outre des innovations de détails
pour les cors, les flûtes, les bassons, les
ophicléides, etc., pour lesquelles, en dix
ans, il ne prend pas moins d'une demi-dou-
zaine de brevets.
La renommée de Charles-Joseph devait
être éclipsée par la célébrité retentissante
d'Adolphe Sax, chez lequel il se retira
en i853 (1). Ce n'est pas ici le lieu de
retracer la carrière extraordinairement
mouvementée de cet homme qui révolu-
tionna l'industrie des instruments en cuivre,
qui soutint avec une énergie inondable et
une combativité de vrai Dinantais l'at-
taque combinée des concurrents menacés
ou ruinés par son activité, sa fertilité ima-
ginative, son génie industriel et son esprit
d'accaparement : lutte homérique où,
malgré la constance des succès, malgré les
contre-attaques superbes où le défendeur
de la veille, devenu le demandeur du len-
demain, se voyait allouer de formidables
dommages-intérêts (comme les 5oo,ooo fr.
du procès Gautrot), le vainqueur, au bout
de quinze ans de procès, arrivait ruiné,
failli, avec ses brevets, défendus avec
tant d'acharnement, rendus inutiles par
la déchéance toute proche. Cette atta-
chante personnalité, par laquelle nous
(1) Il n'est pas interdit de supposer qu'il put avoir
une certaine part dans les inventions de son fils, avec
lequel il passa les douze dernières années de sa vie.
LE GUIDE MUSICAL
769
terminons notre historique, mérite cepen-
dant que nous nous y arrêtions un instant.
Adolphe Sax (Ant.-Jos. dit Ad., Dinant
1814-Paris 1894) dirigea l'atelier paternel
de i835 à 1842, mais, dès 1841, il suivit le
conseil de quelques personnages en vue et
fonda une manufacture à Paris. Le comte
de Rumigny, un de ses protecteurs, avait
engagé les autres facteurs à s'assurer le
concours de ce fertile esprit, qui avait déjà
fait ses preuves : ils n'en firent rien et ne
durent pas tarder à s'en repentir.
Sax, en effet, s'imposa bientôt à l'atten-
tion. La réorganisation des musiques mili-
taires ayant été mise au concours, le
projet d'ensemble instrumental proposé
par lui est primé contre le projet adverse
de Carafa (1845) : ce fut le point de départ
de sa fortune. Les uns après les autres, il
lança une série de modèles nouveaux rapi-
dement adoptés. Les règlements inter-
disaient les monopoles en matière de four-
nitures militaires ; mais Sax faisant adopter
ses modèles, préalablement brevetés, tour-
nait ainsi la difficulté. Ses confrères,
menacés dans leurs intérêts, constituaient
ensemble un fonds de résistance et, en une
série de procès savamment échelonnés
pour user l'adversaire, l'attaquaient en
nullité de brevet. On lui contestait tout ; on
enquêtait à l'étranger afin de pouvoir lui
opposer des applications antérieures de
ses brevets et le célèbre Wieprecht, assu-
mant la campagne contre le saxophone, se
couvrit de ridicule en laissant entendre
que cet appareil, instrument à anche, était
imité de son tuba, instrument à embou-
chure. Sax, victorieux avec quelques ré-
serves, allait en appel, en cassation,
appuyé d'ailleurs par des personnalités
éminentes telles que Kastner, Spontini,
Berlioz, Meyerbeer, Adam, Thomas, etc.
Le régime gouvernemental même, favo-
rable sous la royauté et l'empire, adverse
sous la République, influençait son destin.
Nommé chef de musique de la scène à
l'Opéra, il en profite naturellement pour
imposer ses modèles, au mépris même des
partitions, — tandis que d'autre part Doni-
zetti, voulant employer le saxophone dans
Don Sébastien, doit y renoncer sous la
pression des adversaires de l'inventeur.
Quand celui-ci se trouva enfin définitive-
ment vainqueur, il était ruiné et ses
brevets près de tomber dans le domaine
public...
Il eut alors cette satisfaction éclatante
de voir le Parlement voter en sa faveur
une loi prorogeant exceptionnellement ses
droits de cinq ans : fait qui, dit-on, ne s'est
présenté que deux fois en France dans le
cours du XIXe siècle.
Les innombrables inventions d'Adolphe
Sax (un de ses biographes n'en cite pas
moins de trente-cinq) sont d'ordre trop
technique pour être détaillées ici, même
sommairement. Elles . s'appliquent à tous
les membres des familles d'instruments à
bouche, à anche et à embouchure, sans
compter les innovations acoustiques, le
mécanisme du piano et ce plan d'un orgue
colossal, à vapeur, destiné à être entendu
de tout Paris et dont une pression de
quatre ou cinq atmosphères eût seule pu
mettre en vibration les anches énormes !
Si de tout cela il reste peu de chose
aujourd'hui, on n'en demeure pas moins
confondu devant l'activité et la richesse
imaginative de l'homme et on conçoit le
bruit fait autour de son nom. Le mérite ou
la priorité des principales et des plus fruc-
tueuses de ses inventions ont été niés et
affirmés avec une passion égale. A la vérité,
il s'agissait moins, le plus souvent, de
principes nouveaux que d'applications
nouvelles et d'améliorations de principes
connus. Celui du saxophone, par exemple,
la plus heureuse création de Sax : l'asso-
ciation d'une anche battante avec un tuyau
conique (octaviant), n'était pas nouveau
(M. Manillon en a signalé une application
antérieure dans le tenoroon anglais). Mais
l'instrument, reconstruit et amélioré, doué
d'un timbre splendide et inédit qui arracha
à Rossini un cri d'admiration, entrait dans
la pratique et il y est resté. Ni Silbermann,
ni Stein, ni Frederici, ni Erard n'ont
inventé le principe du piano; mais où en
serait sans eux l'invention de Cristofori?
Quant au « saxhorn », c'est arbitrairement
770
LE GUIDE MUSICAL
que le facteur donna ce nom aux bugles,
déjà pourvus de pistons avant lui; mais il
a régularisé la construction de cette famille
instrumentale, antérieurement d'un type
indécis, facilité la technique par des com-
binaisons nouvelles des doigtés. D'autres
créations de Sax, comme les instruments
à pistons indépendants et à pavillons mul-
tiples, basées sur la recherche d'une jus-
tesse absolue d'harmoniques, disparaissent
au contraire pour des raisons pratiques,
le poids spécifique, le prix et la difficulté
de la main-d'œuvre... Quoi qu'il en soit, on
n'en doit pas moins considérer dans Adol-
phe Sax une des figures les plus intéres-
santes de la facture, même de l'industrie
belge en général et, au point de vue écono-
mique, reconnaître que s'il a fait autour de
lui quelques ruines, il n'en a pas moins
donné à la facture française, par l'agita-
tion même qu'il provoqua, la diffusion de
ses modèles, l'habileté des ouvriers formés
par ses soins, une énorme et bienfaisante
impulsion.
Ad. Sax possédait un frère, également
facteur, Alphonse, d'abord établi à Bru-
xelles, puis à Paris — mais assez éphémè-
rement — et qui travailla quelque temps
chez Adolphe, avec lequel il se brouilla
à Londres en 1862 (1) ; on lui doit
quelques innovations, notamment une dis-
position nouvelle des tuyaux de rechange
du cor, qui rencontra à Paris quelque
faveur.
* * #
Nous avons arrêté ce petit travail, pour
des raisons qu'on devine, vers le milieu du
xixe siècle. En allant plus avant, nous quit-
terions d'ailleurs le domaine historique
pour le domaine purement technique,
industriel et commercial. Voici cependant,
pour conclure, quelques chiffres à ce der-
nier point de vue ; ils ne paraîtront peut-
être pas dénués d'intérêt.
Les premiers sont empruntés aux statis-
tiques commerciales françaises qui termi-
(1) C'est pour cette raison sans doute que F'étis, par-
tisan convaincu d'Adolphe Sax, ignore Alphonse dans
la Biographie universelle.
nent le tome II de YOrganographie de
Pontécoulant, publiée en 1860, et qui
intéressent une période de trente années, de
1828 à 1857.
Exportation de
Période décent
1828-1837
1838-1847
1848-1857
Importation de
P et iode dèunle
182S-1S37
1838-1S47
1848-1857
France en Belgique
Moyenne dêcenlc
Fr. 1,146,200.00
i,332,3o3.oo
3,726,823.00
Belgique en France
Moyenne décenlc
Fr. 2,554.00
5,763.00
75,937.00
On voit qu'en trente ans, les importa-
tions de France en Belgique se sont mul-
tipliées par 3.24, et les exportations
de Belgique en France, par 29.72. Il est
vrai qu'en outre de l'énorme disproportion
qui subsiste, en faveur de la facture
française, entre les totaux réalisés de
part et d'autre, il faut tenir compte
de l'essor exceptionnel donné à notre
industrie par la libération du joug hol-
landais, ainsi que du rapprochement
entre la France et la Belgique qui en
fut la suite. Des statistiques plus récentes,
plus sûres aussi, montrent cependant la
facture belge dans une lente, mais pres-
que constante progression. Les chiffres
qui suivent sont empruntés aux quatre
dernières périodes quinquennales de la
Statistique de l'industrie et du commerce de
Belgique publiée par le ministère des
Finances.
Importation en Belgique fi)
i885
1890
1895
1900
1904
De V Allemagne
Fr. 432,511.00
5io,43i.oo
58o,563.oo
808,859.00
919.956.00
De la France
Fr. 591,872.00
6o4,5i5.oo
799,997.00
771,080.00
806,507.00
(1) Les importations comprennent seulement les
marchandises mises en consommation ; les exportations,
les produits belges ou nationalisés.
LE GUIDE MUSICAL
771
i885
1890
1895
1900
1904
Exportation de Belgique
Vers FA llemagne Vers la France
Fr. 8,438.00
47,916.00
3i,732.oo
18,117.00
30,364.00
Fr. 63,141.00
123,659.00
91,431.00
93,411.00
122,388.00
Pour le commerce extérieur en général
i885
1890
1895
1900
1904
Importation
Fr. 1,072,053.00
1,170,033.00
I?478,479-°o
1,692.694.00
1,956,677.00
Exportation
Fr. 150,762.00
379,833.00
334,879.00
28t,ii5.oo
398,943.00
Les importations d'Allemagne en Bel-
gique, pendant ces vingt dernières années,
se multiplient donc par 2.12. les exporta-
tions vers l'Allemagne par 3.71, soit, en
faveur de la facture belge, une différence
de i.5g; les échanges avec la France
gardent à peu près les mêmes proportions,
avec une augmentation de 0.22 seule-
ment pour la facture belge ; pour le com-
merce extérieur en général, tandis que les
importations augmentent de t. 82, les
exportations augmentent de 2.64, soit la
différence assez notable de 0.82. On sait
qu'aujourd'hui, avec une série de représen-
tants dont il est superflu de rappeler les
noms, la facture nationale est en état de
concourir, d'une manière souvent victo-
rieuse, avec celle de tous les autres pays.
Ernest Closson.
Bibliographie
Comettant, O., Histoire d'un inventeur au xixe
siècle, Ad. Sax; Paris 1860. — Couwenberg, X.,
L'Orgue ancien et moderne, Lierre, s. d. — De Bur-
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les luthiers d'Anvers, depuis le xvie jusqu'au xixe siècle,
Brux. i863. — Donnet, F., Les cloches d'Anvers,
les fondeurs anvcrsois, Anvers 1899. — Fétis, Fr.,
Sur l'état de la facture d'orgue en Belgique, comparé à sa
situation en Allemagne, en France et en Angleterre,
Brux. i85o; Des progrès de la facture d'orgue en Bel-
gique, id. i856; Note sur les travaux de M. Sax père,
id. i85i ; Sur le système de construction des pianos ima-
giné par M. Sax, id. i852; Antoine Stradivari,
id. i856; Biogr. univers., id. i86o-i865 ; Rapport sur
l'Exposition de iS55, Paris iS55; Id. sur l'Exposition
de 1867, id. 1867. — Grégoir, Ed., Biographie des
artistes musiciens belges des xvme et xixe siècles, Brux.
1864; La facture d'orgue en Belgique, id. i865 ; Docu-
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Hart, G., The Violin, Us famous makers and iheir
imitators, Londres 1S75. — Jonkbloet et Land, J.
P. N., Constantin Huygens, correspondance et œuvres
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1882. — Mahillon, V.-Ch., Catalogue analytique et
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Bruxelles, t. I, II, III, Gand 1893-1900. - Pierre,C,
Les F acte r s d'instruments de musique, les luthiers et
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Ad. de, Organ graphie; Essai sur la facture instru-
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Lerius, Th., De liggeren en andere historische
archieven der Anhverpsche Sint-Lucas Gilde, t. I,
Anvers, 1846-1872. — Sax, Ad., Lettre à Wieprccht,
Paris 1846; Affaire Sax, Raoux, etc., rapport d'exper-
tise, id. 1846; Arrêt, id. 1854; note biograph. dans
la Biographie de Lacaine, id. 1861. — Snoeck, C,
Note préliminaire sur les instruments de musique en usage
en Flandre au moyen âge (Ann. de la Fédérât, archéol.
et histor. de Belg., t. XI, Gand 1896J ; Catalogue de la
collection d'instruments de musique anciens ou curieux
formée par C. C. Snoeck, Gand 1894 ; Catalogue de la
collection d'instruments de musique flamands et néerlandais
forméepar C. Snoeck, Gand 1903. — Troufflaut.,
Lettre sur le clavecin à buffle inventé par M. Pascal
Taskin [Journal de musique, 1773, n° 5). — Vander
Straeten, Edm., La musique aux Pays-Bas avant le
xixe siècle, t. ] à VIII, Brux. 1867-1888. — Vandfr
Straeten, Edm. et Snoeck, C, Les Willcms,
luthiers gantois du xvne siècle, Gand 1896. — Van
Elewyck, X., Mathias Vanden Gheyn, organiste et
carillonneur ; les fondeurs de cloches de ce nom, Brux.
1862. — Van Melckebeke, G. J. J., C. J. J. Tuer-
linck, notice biographique, Malines, s. d. — Vidal, A.,
Les Instruments à archet, Paris 1876- 1878.
LA SEMAINE
PARIS
A L'OPÉRA. — Les deux premiers actes de
la Ronde des Saisons, le ballet de MM. Busser et
Lomon, qui est actuellement en répétition, sont
définitivement réglés et mis en scène. M. Hansen
s'occupe activement de régler le troisième acte,
très important au point de vue chorégraphique et
dans lequel paraîtra tout le personnel dansant de
l'Opéra.
772
LE GUIDE MUSICAL
Les études d'orchestre de la partition de M.
Busser commenceront dans les derniers jours de
novembre et seront dirigées par M. Paul Vidal.
M. Gailhard compte donner la Rrnk des Saisons
du 10 au i5 décembre, et ce nouveau ballet accom-
pagnera le Freischiitz sur l'affiche.
Voici la distribution définitive du ballet :
Le lutin Oriel et Miguela, Mlle Zambelli; Le
Sire de Barbaza, Mlle Louise Mante; Le Page,
MUe Salle; Le Printemps, M"* Ricotti; l'Eté, Mlle
Léa Piron; l'Automne, MUeSirède; l'Hiver, Mlle
Nicloux; La Sorcière (mime) M. Vaccara; le Chef
des vendangeurs, M. Raymond; l'Intendant,
M. Girodier.
Le sujet de la Ronde des Saisons est tiré d'une
nouvelle de M. Lomon publiée il y a quelques
années dans la Nouvelle Revue et qui commente
elle-même une vieille légende du Languedoc.
CONCERTS COLONNE. — Un allégro, dit
appassionato pour plaire aux dames, a été offert
en première audition, dimanche dernier, aux
abonnés du Châtelet. Ce n'est pas dire que ce
morceau soit une œuvre nouvelle. Ecrit par Saint-
Saëns pour piano seul, en 1884, il vient d'être
arrangé pour piano et orchestre, sur les instances
de Mme Roger- Miclos, qui désirait l'exécuter dans
cette forme, les instruments ne lui ont pas ajouté de
coloris, d'intérêt ni d'originalité. Il n'a pas trop dé-
plu : il a satisfait le goût moyen des auditeurs, et
Mme Roger-Miclos, de blanc vêtue à la grecque, l'a
interprété avec une élégance toute féminine, sans
chercher à lui donner du caractère et de l'accent;
un autre à sa place n'aurait pu mieux faire, la
composition s'y prêtait si peu ! Elle a été néan-
moins fort applaudie, ce qui n'était que justice;
elle eût dû l'être davantage après avoir accom-
pagné au piano six mélodies de Beethoven; elle a
mis dans son jeu tant de poésie et d'expression,
qu'il y avait union parfaite entre le piano et la
voix. Je regrette que le chanteur, acclamé et
rappelé, soit revenu seul saluer le public et qu'il
n'ait pas eu la courtoisie d'offrir à sa collabora-
trice une part des applaudissements.
L'ouverture de Benvenuto Cellini, fièrement enle-
vée, la Procession, de César Franck, commentée
avec intelligence par Mme Auguez de Montalant, le
chant d'amour de la Walkyrie et le récit du Graal
de Lohengrin, dans lesquels M. Burgstaller s'est
montré artiste ému et chanteur d'autorité, précé-
daient le cycle Beethoven.
Des Ruines d'Athènes, partition si rarement enten-
due à Paris, M. Colon e nous a donné trois frag-
ments. On sait que Beethoven avait composé une
musique de scène pour accompagner une pièce de
Kotzebue portant ce titre. Puisque M. Charles
Malherbe assure avec Victor Wilder que le sujet
traité par le poète allemand est inepte, je n'ai nul
r'ésir de le connaître; pourtant, il serait utile de
lire une pièce que Beethoven ne trouvait pas
indigne de lui et qui aurait conquis l'admiration
de Mendelssohn, rien que pour constater jusqu'à
quel point deux grands maîtres peuvent se trom-
per. Les morceaux choisis par M. Colonne offrent
un vif intérêt de composition et d'invention : une
invocation à Apollon, pleine de noblesse et de
gravité avec son accompagnement de cors et de
bassons, et fort bien dite par M. Clark ; un duetto
pour soprano et basse et un chœur de Derviches,
si original, si pittoresque, si bien chanté aussi,
qu'on a voulu l'entendre deux fois.
L'étude de notre rédacteur en chef sur les Lieder
de Beethoven exerce une influence certaine sur
les programmes des concerts. Nul doute que la
lecture de son travail n'ait suggéré l'idée de donner
la semaine dernière les Lieder de Gellert et, cette
fois, l'admirable poème mélodique A la bien-aimée
lointaine. La place me manque pour reproduire
l'analyse qu'en a faite M. Henri de Curzon(i);
je prie les lecteurs de se reporter au Guide musical
du 17-24 septembre. « L'exécution de cette petite
suite, dit-il en terminant, est des plus difficiles qui
soient. » On le croit sans peine ; mais cette diffi-
culté, M. Burgstaller n'a pas semblé l'apercevoir,
ou, du moins, il a su nous la cacher. Il a chanté
les six mélodies dans un style excellent, sans user
de cette sensiblerie si commune aux artistes
médiocres, avec une expression sincère, simple et
contenue.
L'orchestre a exécuté les deux symphonies en
si bémol et en ut mineur. Si je vous avouais que
celle-ci me paraît la plus belle des neuf, je me dés-
honorerais aux yeux de bien de gens, surtout de
ceux qui pensent comme moi et n'osent le dire tout
haut. Il faut du temps pour s'affranchir de l'opi-
nion qu'on vous a imposée dans la jeunesse et arri-
ver à penser par soi-même. Il suffit pour cela de
vieillir. C'est peut-être aussi à cause des années
(il Un tirage à part de ces articles vient de paraître
à la librairie Fischbacher sous le titre : Les Lieder et
airs détacJrs de Beethoven, en une élégante brochure in-18.
L'étude de M. de Curzon se complète, sous cette forme,
par un catalogue chronologique complet de ces mor-
ceaux de Beethoven, avec les références essentielles,
analogue à celui qui termine l'étude parue il y a quel,
ques années sur les Lieder de Schubert.
LE GUIDE MUSICAL
773
qu'on cesse maintenant de confiner M. Colonne
dans la musqué de Berlioz et que l'on commence à
reconnaître qu'il dirige avec une égale supériorité
les œuvres de Wagner, les symphonies classiques
et les musiques de toute sorte.
Cicéron disait, il y a près de vingt siècles : C'est
l'habitude de nier que le même homme puisse
exceller dans plusieurs choses, Mos est hominum ut
uolint eumdem pluribus rébus exceïlere. Croyez-vous les
mœurs bien changées ? Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. — On ne louera
jamais trop la variété et la qualité des concerts
que nous offre cette année M. Chevillard. Une
juste place y est réservée aux œuvres modernes,
et le fonds classique y figure en bonne proportion.
Mais il y a lieu de noter que les compositions
inédites qui y sont présentées ces temps-ci sont
d'assez médiocre valeur. Les jeunes musiciens ne
produisent-ils pas mieux que ce qu'on nous fait
entendre au Nouveau-Théâtre? Ou bien, quelle
pudeur de leur part, ou encore quel fâcheux con-
cours de circonstances arrêtent-ils la présentation
des œuvres intéressantes?
Dimanche dernier a été entendue une Kermesse
de M. Jaques-Dalcroze, page assez pâle et qui se
recommande, au plus, de quelques habiletés pué-
riles et éventées. Auparavant, l'orchestre avait
exécuté ce chef-d'œuvre de couleur, de verve et de
technique qu'est Y Apprenti sorcier de M. Dukas; la
Sauge fleurie de M. d'Indy, dont certaines parties
sont de si jolie tonalité ; l'ouverture des Maîtres
Chanteurs; c'était autant de redoutables voisins pour
l'œuvrette de M. Dalcroze, que le public, d'ail-
leurs, vu l'urgence de récupérer ses pardessus,
n'écouta qu'avec indifférence.
Au début du concert, l'exécution du premier
morceau de la troisième symphonie de Schumann
fut aussi troublée, mais par l'indisposition d'un
auditeur. Le scherzo fut joué avec assez peu de
poésie, mais les trois derniers mouvements de fort
belle manière.
Une cantate de Rameau, Diane et Actéon, fut
jouée ensuite; pourquoi y avoir introduit un piano
en place du clavecin? Le texte de cette œuvre est,
autant que la musique du reste, si riche d'ironies
latentes, qu'elle semble une charge outrancière et
charmante de tout le mauvais goût qui est un des
caractères, parfois, de l'art du xvme siècle.
Mme Mellot-Joubert, qui l'interpréta (et chanta
aussi le nocturne de Franck, bien orchestré par
M. Ropartz), est une charmante soliste ; elle est
douée d'une articulation si nette, qu'il est absolu-
ment inutile en l'écoutant de lire le texte. Que
voilà une rare qualité! Sa voix est jolie, expres-
sive, bien conduite, et il n'y a dans son style pas
trace d'inintelligence ni de mauvais goût.
M. D. Calvocoresst.
— Mme Edouard Colonne a donné, le jeudi
x6 novembre, en son hôtel de la rue Montchanin,
sa première réception mensuelle. Inutile de dire
qu'on y a entendu de l'excellente musique et que
son école de chant, chaque année plus florissante,
s'est fait, à juste titre, longuement applaudir. Au
programme : deux mélodies de Berlioz sur des
vers de Théophile Gautier (avec un h superflu
hélas !;, chantées par miss Fay Cord à la voix joli-
ment sonore; trois mélodies de M. Diémer, dont
l'une, dédiée à Mlle Marcella Pregi, Le Brin de
bruyère, a obtenu un vif succès pour sa grâce et
pour le charme prenant de Mlle d'Espinoy. A citer
encore les Dernières Roses, d'un tour gounodien, ce
qui n'est pas pour me déplaire, page délicieuse-
ment dite par MUe Richebourg. L'auteur, qui avait
bien voulu accompagner ses œuvres, a exécuté,
comme seul il sait le faire, une gavotte de Ra-
meau, et offert aux invités la première audition
d'un élégant poème pour piano, La Source et le Poète,
dont vont s'emparer les salons, mais qui ne trou-
vera jamais un interprète d'un pareil talent.
Les œuvres d'Edouard Lalo occupaient la
seconde partie du concert : le trio n° 3 pour piano,
violon et violoncelle, dont le bel andante a été joué
excellemment par MM. Diémer, Touche et Baretti,
des mélodies, presque toutes bissées, parce que
toutes admirables, surtout Marine, chantée avec
une rare intensité d'expression par Mme Boyer de
Lafory, et Chant breton, qui a valu à Mlle Demel-
lier, la nouvelle Louise de Gustave Charpentier,
ainsi qu'à M. Gaudard, hautbois solo des Concerts
Colonne, des bravos sans fin. La Prière de T enfant
à son réveil, adorable quatuor vocal, accompagné
en musicienne accomplie par Mlle Gabrielle Don-
nay, nuancé à ravir grâce à l'enseignement de
l'émiiient professeur Mme Colonne, a été rede-
mandée avec insistance, autant pour mieux goûter
une exquise composition que pour réentendre une
interprétation de tout premier ordre. J. T.
— A la Philharmonique, brillant concert de réou-
verture et public enthousiaste. Mme Marie Bréma,
qui devait chanter un nombre respectable de Lie-
dey, fut obligée d'en bisser plusieurs et réalisa le
tour de force d'en interpréter dix-neuf à la file.
Son programme, d'ailleurs, était varié et composé
avec un louable souci d'art : il débutait par un
774
LE GUIDE MUSICAL
très vieille et si jolie chanson française Vray Dieu
d'amour, le Menuet chanté de Rameau, une belle
page de Melchior Franck, et se continuait par des
Lieder de Schubert, de Peter Cornélius, de Hugo
Wolff, de M .VI. Weingartner et Humperdinck. Il
y en eut pour tous les goûts, et il faut louer la
grande artiste de mettre ainsi son talent au service
de si diverses inspirations.
Le Quatuor Dessau, de Barlin, a des qualités et
un défaut qui est, à ce qu'il m'a paru, un certain
manque d'homogénéité, une disparité entre le pre-
mier violon et ses partenaires. Il interpréta fort
spirituellement un quatuor de Haydn. On eût
voulu de sa part plus d'emportement dans celui en
la de Schubert. M.-D. C.
— A la Schola Cantorum, 269, rue Saint-
Jacques, première audition annuelle des grandes
œuvres d'orgue et de piano de César Franck, par
Mlle Blanche Selva et M. Gustave Bret, le ven-
dredi Ier décembre, à 9 heures du soir. Au pro-
gramme : Les trois chorals pour orgue et Prélude,
Choral et Fugue et Prélude, Aria et Finale.
On trouve des billets à la Schola Cantorum et
chez les principaux éditeurs (4, 3 et 2 fr.)
— Par suite de l'adoption de la loi des deux
ans, les musiciens militaires, dont la situation était
déjà précaire, ne pourront plus fonctionner. Leur
disparition causerait un grand préjudice aux
musiques civiles, dont elles étaient les pépinières.
On sait combien les populations sont attachées
aux musiques des régiments, qui leur popularisent
les œuvres des maîtres et qui sont la gaieté des
garnisons.
Un projet de réorganisation des musiques mili-
taires vient d'être déposé à la Chambre par M.
Morlot, député de l'Aisne, et se trouve soumis à
la commission de l'armée. Il comporte la création,
dans chaque musique, d'un cadre de musiciens
ayant rang de sous-officiers et caporaux, avec les
avantages pécuniaires afférents à ces grades. Les
chefs de musique pourraient aspirer au principalat
(quatre galons).
Le plus grave défaut de ce projet est de grever
un budget déjà obéré, et on peut douter des
résultats escomptés. Nous citerons, d'ailleurs, un
exemple probant : les musiques de la flotte ont vu
leur valeur diminuer beaucoup après leur réorga-
nisation, qui se rapproche de celle du projet
Morlot. En voici les raisons :
i° Le cadre est réduit à 40 instrumentistes.
20 L'ancienneté crée des droits à l'avancement,
et les bénéficiaires se trouvent souvent avoir perdu
une grande partie de leurs qualités profession-
nelles.
On pourrait trouver une solution moins onéreuse
et plus favorable à nos musiques militaires en
adoptant, par exemple, les mesures suivantes, qui
n'entraîneraient aucune dépense :
i° Revenir à l'ancien système, en rétablissant
les primes de fonctions allouées aux musiciens,
payées sur la masse d'entretien.
20 Autorisation (en dehors du service) de tirer
parti de leur talent professionnel, en jouant dans
les théâtres, concerts, bals, en donnant des leçons,
etc., comme cela se pratique en Allemagne.
Cette disposition stimulerait l'amour-propre des
musiciens et leur permettrait de vivre et d'élever
leur famille.
3° Réserver toutes les cantines aux musiciens
commissionnés.
40 Répartir également dans toutes les musiques
le contingent annuel d'instrumentistes, car les
jeunes gens ayant de réelles connaissances musi-
cales s'engagent de préférence à Paris ou dans les
grandes villes. Il en résulte qu'il n'y a guère, en
France, que 25 bonnes musiques militaires.
Enfin, si les ressources musicales, en France, ne
permettent pas de trouver suffisamment d'instru-
mentistes, on pourrait appliquer aux régiments de
l'infanterie le régime qui existe pour l'artillerie :
en ne conservant qu une seule musique par brigade ou
par division.
Cette dernière mesure réaliserait une économie
budgétaire appréciable et permettrait d'espérer
des musiques passables. Aujourd'hui, il n'y a plus,
sur 195 musiques, que 5o qui soient à même de
fonctionner régulièrement toute l'année.
— Errata à l'article du numéro précédent Le
centenaire de Fidelio.
C'est par méprise (p. 743, col. 2) que j'ai rap-
proché Don Juan du Freischû'z et de Fidelio au
point de vue du dialogue parlé. C'est la Flûte en-
chantée que je voulais dire. Don Giovanni comme
les Nozze di Figaro comportaient essentiellement
le récitatif, d'ailleurs rapide, dont l'opéra italien
ne pouvait se passer. C'est l'opéra allemand qui
admettait le parlé.
P. 744., col. 2, c'est « Baillot que lui avait pré-
senté Reicha » qu'il faut lire, et non qui.
H. DE C.
LE GUIDE MUSICAL
775
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Après le relâche de quelques jours provoqué par
le deuil national, Armide a repris jeudi, devant une
salle comble et extrêmement brillante, le cours de
ses représentations. La représentation a été de
tous points parfaite, et Mme Litvinne, comme M.
Laffitte et tous les interprètes, les chœurs, le
ballet, l'orchestre ont été d'un bout à l'autre
dignes de l'incomparable chef-d'œuvre. Celui-ci
sera donné la semaine prochaine, demain lundi,
jeudi et samedi. Les autres spectacles de la se-
maine sont : Princesse Rayon de Soleil (mardi;, Lohen-
grin (mercredi), Mignon (vendredi).
On a répété cette semaine Chérubin à l'orchestre.
CONCERTS YSAYE. — Disons-le sans
ambages, M. Eugène Ysaye, qui s'intéresse plus
que personne au succès des jeunes auteurs belges,
aurait rendu service à M. Albert Dupuis s'il lui
avait conseillé de remettre sur le métier sa sym-
phonie Belgica, dont il nous a donné dimanche
dernier, à l'Alhambra, la première exécution.
La nouvelle œuvre de M. Dupuis est défec-
tueuse. On dirait que le compositeur s'est empressé
de l'achever pour se libérer d'un travail imposé,
et qu'heureux d'avoir écrit, dans la première
partie, des pages pittoresques, d'une inspiration
facile, il a complété sa fantaisie à l'aide de rémi-
niscences et de morceaux mal assortis. M. Dupuis
a-t-il cru que le public, ébloui par la richesse de
son instrumentation, ne lui tiendrait pas rigueur
de ses négligences, et que le plaisir d'écouter des
variations, même amorphes, sur la Brabançonne
le rendrait indulgent? Dans ce cas, il s'est trompé.
Encore qu'on l'y incitât, le public s'est refusé
à applaudir, autrement que par politesse, l'œuvre
imparfaite de M. Dupuis.
Combien supérieure a paru la Rapsodie pour
orchestre de M. Vreuls, que l'on entendait aussi
pour la première fois! Avec quelle émotion l'au-
teur y a exprimé les tristesses d'un amour pas-
sionné qui exalte sa mélancolie au milieu des
débordements de la joie populaire! M. Vreuls est
mieux qu'un musicien de talent, c'est un artiste.
Il a du goût, de l'invention. Et il prend la peine
de revêtir ses idées originales d'une forme toujours
séduisante.
Le virtuose était M. Ferruccio Busoni. Enlever
les traits d'une main plus nerveuse ou plus cares-
sante que n'y réussit l'éminent pianiste, nul ne le
pourrait. Après le concerto de Saint-Saëns, il a
nuancé délicieusement les variations de Brahms
sur des thèmes de Paganini. A son programme
primitif il a ajouté la transcription de Tausig d'une
marche hongroise de Schubert et la Campanella
de Liszt, et l'auditoire, ravi, l'a acclamé.
Le concert avait débuté par l'exécution de
l'exquis poème symphonique d'Ernest Chausson,
Viviane. jr g
— Aujourd'hui dimanche, à 2 heures, au Palais
des Académies, séance publique de la classe des
beaux-arts. On y exécutera la cantate de M.
Delune, le Roi Renaud, couronnée cette année au
concours pour le prix de Rome. C'est M. Gevaert
qui prononcera le discours d'usage. L'illustre
maître parlera de l'exécution musicale.
— Concerts Populaires. — Dimanche 3 décem-
bre 190.H, à deux heures précises, au théâtre royal
de la Monnaie, deuxième concert d'abonnement,
sous la direction de M. Sylvain Dupuis et avec
le concours de Mue Stefi Gcyer, violoniste.
Répétition générale samedi 2 décembre, à 2
heures précises, au même théâtre.
Pour les places, s'adresser chez MM. Schott
frères, éditeurs, Montagne de la Cour, 56.
— Mardi 28 novembre ig°5, à 9 heures du soir,
au Cercle artistique et littéraire, soirée musicale
avec le concours de la Société des Instruments à
vent, de Paris, fondée par M. Taffanel.
Au programme : Quintette de Mozart; Triode
Haendel; Chanson et danses de Vincent d'Indy;
Sonate de J.-S. Bach; Divertissement de E. Ber-
nard.
— Le mardi 28 novembre aura lieu à la Grande
Harmonie un concert donné par M. Mathieu
Crickboom, violoniste. A la demande de nom-
breux abonnés, M. Crickboom y interprétera les
œuvres qui lui ont vain dernièrement dans la
capitale Londonienne un grand succès.
Pour les places, s'adresser à la maison Breit-
kopf et Hàrtel, 45, Montagne de la Cour.
— On nous prie d'annoncer une très intéressante
séance de harpe donnée par Mlle Gaëtane Britt,
le jeudi 3o novembre prochain, à 8 1/2 heures du
soir, à la salle Erard, 6, rue Lambermont, avec le
gracieux concours de Mme Miry-Merck, cantatrice,
776
LE GUIDE MUSICAL
de M. Henri Merck, violoncelliste et de M. Ernest
Britt, pianiste.
— Le violoniste Francis Macmillen donnera un
concert à la Grande Harmonie, le vendredi
Ier décembre, à 8 1/2 heures du soir, avec le con-
cours de Mlle Bessie Cartwight, cantatrice des
Queen's Hall Ballad Concerts de Londres.
Pour les places s'adresser chez MM. Breitkopf
et Hsertel, Montagne de la Cour, 45.
— Mlle Louise Derscheid, pianiste, Mme Ga-
brielle Zimmer, cantatrice et M. Albert Zimmer,
violoniste, donneront un concert le mercredi
6 décembre, à 8 1/2 heures du soir, en la salle de
l'Ecole Allemande.
— Jeudi 7 décembre, à 8 1/2 heures du soir, à la
Grande Harmonie, récital donné par Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel.
— Le vendredi 8 décembre, à la Grande Har-
monie, première séance de musique de chambre
des Concerts Ysaye.
Pour la location des places et pour les rensei-
gnements, s'adresser à MM. Breitkopf et Hsertei,
Montagne de la Cour, 45.
— La première séance de musique de chambre
par le Trio Lorenzo (MM. E. Barat, M. von
Lorenzo et J. Kuhner), aura lieu le mercredi
i3 décembre, en la salle Er'ard.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Lundi soir a eu lieu le premier
des Nouveaux Concerts. M. Eugène Ysaye
y a joué divinement le concerto en ré majeur de
Beethoven, le Poème, de Chausson et le Caprice. er>
forme de valse de sa composition, tandis que, sous
la nerveuse et autorisée direction de M. Fiedler,
l'orchestre a interprété la première symphonie de
Brahms, le Cygne de Tuoneïa, si étrangement nébu-
leux, de Sibélius et les variations de la troisième
suite de Tschaïkowsky.
Le second concert aura lieu lundi 18 décembre,
sous la direction de M. L. Mortelmans, avec le
concours de Mme Senger-Bettaque, cantatrice, et
de M. Karl Burrian, ténor. G. P.
GAND. — Le concours de Mme Mysz-Gmei-
ner apportait au premier concert d'hiver
la garantie d'un succès certain. Admirable diseuse
de Liedcr, elle a provoqué l'enthousiasme du
public dans une série de pièces de Schubert, Scnu*
mann et Brahms.
Elle a dit en bis Rôsslein aùfder Heiden de Schu-
bert, puis Jean et Jeanne, qui furent accueillis par
de nouvelles et bruyantes acclamations.
Mlle Juliette Wihl, qui l'accompagnait, se pro-
duisit avec un certain succès en soliste dans la
fantaisie hongroise pour piano et orchestre de
Liszt.
La partie symphonique du programme, valut
à M. Brahy et à son orchestre un franc succès
après l'interprétation pleine de vie et de couleur
de la quatrième symphonie de Schumann, du
Concerto grosso pour quatuor, de Hœndel, et de
YOrphée de Liszt. Cette dernière œuvre, puissante et
d'une belle envolée lyrique, a été exécutée d'une
façon remarquable. L'ouverture de Givendoïine
complétait le programme.
Au Cercle artistique, Mlle Wybauw a donné une
soirée de Lieder ; elle a interprété avec goût des
œuvres de C. Franck, L. Wallner, Bruneau,
Charpentier, Fabre et des compositions d'auteurs
gantois : Paul Lebrun, Valdury et E. Mathieu.
Marcus.
GENÈVE. — L'audition des cinq sonates
pour piano et violoneelle de Beethoven a
été pour MM. Willy et Adolphe Rehberg un suc-
cès bien mérité.
Le premier concert d'abonnement, avec le con-
cours de Pablo Casais, violoncelliste, a parfaite-
ment réussi. Au programme : Symphonie n° 3 en
fa majeur de Brahms; concerto pour violoncelle et
orchestre d'Albert; ouverture du Corsaire de Ber-
lioz ; suite en 50/ pour violoncelle seul, de Bach,
et, pour terminer, Danse polovtsienne, tirée de
l'opéra Le Prince Igor, de Borodine.
Des dix concerts Marteau, trois ont déjà eu lieu.
Les programmes portaient les XVII, VII, XVI, XII
et XIIIe quatuors à cordes de Beethoven. En plus,
on a entendu des sonates pour piano et violon de
Moor, Huber et Samazeuilh, ainsi que des soli de
piano, par M. Baume.
M. Emile Jaques-Dalcroze a donné une confé-
rence populaire sur : Le piano et V éducation musicale,
« du choix de l'instrument, de l'âge auquel il con-
vient de commencer les études instrumentales, des
moyens de développer chez les petits et les grands
l'instinct rythmiques, les facultés d'audition et le
sentiment tonal ».
Autour de Bayreuth. — La conférence donnée sous
ce titre par M. G. Humbert comportait le som-
LE GUIDE MUSICAL
777
maire suivant : « Une biographie illustrée. — Ri-
chard Wagner. — L'histoire d'un théâtre. — Le
maître et ses collaborateurs. — ■ Machineries et
décors. — La réalisation d'un rêve. » Le tout
accompagné de projections lumineuses, soixante
portraits, caricatures, vues, croquis, scènes et
décors.
Le concert donné par le petit HaroldColombatti,
âgé de huit ans, avec le concours de Mme Debogis-
Bohy, cantatrice; M. Robert Pollak, violoniste, et
M. L. Colombatti père, accompagnateur, avait
attiré beaucoup de monde qui a chaleureusement
applaudi les productions charmantes du jeune
pianiste ainsi que celles de ses distingués parte-
naires.
Le célèbre compositeur italien M. Leoncavallo
a assisté au théâtre à la première reprise de sa
comédie lyrique La Bohême. L'auteur, au cours de
la représentation, a été vivement acclamé par les
spectateurs enthousiastes. H. Kling.
&
LA HAYE. — Le compositeur français Ga-
briel Pierné, venu à Amsterdam pour diriger
les dernières répétitions de sa cantate La Croisade
des Enfants à l'Oratorium-Verein d'Amsterdam, a
remporté un grand succès en dirigeant au Con-
certgebouw un concert entièrement consacré aux
œuvres de l'école française moderne. Au pro-
gramme, une suite de Pierné, la Procession, noc-
turne de Rabaud, le Chasseur maudit, de César
Franck, une symphonie de Magnard et une suite
des frères Hillemacher. M. Pierné a été vivement
applaudi après l'exécution de chacune de ces
œuvres.
Sous le titre de Quatuor de Prague, un nouveau
quatuor, composé de MM. Herold, Vavra, Broz
et Skvor, a fait son apparition à La Haye. Il a été
accueilli favorablement.
M. Messchaert, l'éminent chanteur, a donné son
concert annuel avec le concours de M. et Mlle
Rontgen, pianistes, qui ont joué ensemble, avec
grand succès, des Variations et Fugue sur un thème
de Beethoven, par M. Max Reger.
Au Théâtre royal, reprise des Huguenots avec
Mme Armande Bourgeois dans le rôle de Valen-
tine. Au premier jour, reprise du Prophète et de
Martha.
Les concerts de la société Diligentia, une des
plus grandes attractions musicales de La Haye,
commenceront le 29 de ce mois, dans la nouvelle
salle du Gebouw voor Kunsten en Wetenschap-
pen, avec le concours de Mme Mysz-Gmeiner et
de M. von Donani, de Berlin. L'orchestre du Con-
certgebouw d'Amsterdam exécutera entre autres,
en première audition, des Variations symphoniques de
Nicodé.
La société royale chorale Rotte's Mannenkoor,
de Rotterdam, exécutera à son premier concert,
sous la direction d'Anton Verhey, le Requiem de
Chérubiniet le TeDeam d'Alphonse Diepenbrock,
avec le concours de M«»es Lutkemann, de Haan-
Manifarges et M. Thomas Denijs.
Ed. de H.
LUXEMBOURG. — La saison musicale
qui commence nous a déjà procuré deux
belles soirées : une séance de quatuors, organisée
par la Société de musique de chambre, et un réci-
tal de chant et de violon. Si, dans la première, le
Quatuor du Gùrzenich, de Cologne, nous a joué
supérieurement des quatuors de Mozart, de Dvo-
rak et de Beethoven, l'autre nous a fait applaudir
deux artistes bruxellois de premier ordre : Mme Re-
née Willmar-Urban et M. César Thomson.
Mme Urban, qui a cultivé jusqu'ici le chant en
amateur, a fait à Luxembourg son entrée dans la
carrière des cantatrices professionnelles. Son début
a été remarquable. Elle a chanté avec une égale
sûreté de moyens des Lieder de Rameau, de Gré-
tiy, de Schumann, de Schubert, Wagner, Wein-
gàrtner, Brahms et Grieg. Sa voix pure, sa diction
nette et son style souple ont impressionné vive-
ment son auditoire, et l'ample moisson de bravos
et de rappels qu'elle a récoltée est un gage pré-
cieux de réussite pour la tournée artistique qu'elle
va entreprendre.
Les qualités de M Thomson sont trop connues
dans le monde artistique pour que nous ayons
besoin de les souligner. Il nous a joué d'une façon
brillante du Corelli, du Dvorak, du Paganini, du
Sinding et surtout l'inimitable chaconne de Bach.
Une nouvelle qui ne laisse pas d'intéresser
les musiciens nous a été donnée samedi à la suite
de l'approbation du règlement concernant notre
futur Conserva*oire. Le budget annuel s'élève à
42,000 francs. Le directeur touchera 7,000 francs,
les professeurs 3, 000 francs et les répétiteurs
i,5oo francs de traitement. Directeur et professeurs
ont à produire le certificat de maturité émanant
d'un Conservatoire. Nous apprenons que M. Vic-
tor Vreuls a posé sa candidature à la direction et
qu'il décrochera vraisemblablement la timbale.
L'ouverture du Conservatoire devra se faire très
77&
LE GUIDE MUSICAL
prochainement. Les concerts du Conservatoire
sont également prévus. Il n'est pas trop tôt que la
capitale du Grand-Duché sorte un peu de l'indiffé-
rence. L.
STRASBOURG. — Le pianiste et composi-
teur M. Eugène d'Albert, a eu tous les hon-
neurs du premier concert de notre orchestre muni-
cipal. Au piano, il a interprété dans la perfection le
concerto en sol majeur de Beethoven, un nocturne
de Chopin, un impromptu de Schubert et un
scherzo de sa composition, d'une facture un peu
tourmentée. Au pupitre, il a dirigé les fragments
■pour orchestre de son opéra Der Improvisator. Ces
fragments sont d'une écriture des plus habile,
pleins d'intéressantes combinaisons, mais, somme
toute, d'inspiration peu originale.
Au second concert, nous avons entendu la troi-
sième symphonie pour orchestre, chœurs et solo
d'alto de Gustave Mahler, directeur de l'Opéra de
Vienne. Admirablement traitée au point de vue
du coloris orchestral, cette œuvre laisse cependant
une impression vague. Au prochain concert, audi-
tion du violoniste Fritz Kreissler, de Vienne.
Le Conservatoire municipal célébrera le 6 dé-
cembre le cinquantenaire de sa fondation par un
grand concert, sous la direction de M. F. Stoch-
hausen. A. O.
NOUVELLES
Mademoiselle de Belle-Isle, donné au Théâtre de
Gênes, a valu au compositeur Spiro Samara un
succès brillant. Le poème de cet ouvrage est de
M. Paul Milliet, d'après la pièce d'Alexandre Du-
mas père. L'action se déroule à Chantilly, en 1726,
et bien qu'elle soit d'une trame assez compliquée,
elle court cependant légère et rapide.
La musique du maestro Samara s'adapte exacte-
ment au poème. Elle souligne agréablement les
allées et venues des nombreux personnages de la
pièce et donne de la couleur et de la sensibilité à
tout ce monde de la Régence, qui, avec une
inconscience rare, confondait souvent la haine et
l'amour.
Né à Corfou, M. Samara est Parisien par les étu-
des et le goût. Elève de Léo Delibes, il hérita de
son maître la fécondité, l'ingéniosité, la gaîté. Si
l'on observe une grande différence entre la facture
de Mademoiselle de Belle-Isle et celle des premières
œuvres du jeune maître, c'est que, par un phéno-
mène naturel, l'outil du technicien s'est affermi sans
cesse par le travail.
— Après de longues tergiversations, la censure
a consenti à laisser jouer à l'Opéra de Vienne
l'ouvrage nouveau de M. Richard Strauss, Salomé.
Ce résultat est dû à l'énergique instance de
M. Gustave Mahler, mais, comme il fallait quel-
que prétexte pour expliquer les décisions précé-
demment prises, quelques légers changements ont
été apportés au texte piimitif de Salomê. Les répé-
titions vont être poussées avec activité et l'on
espère pouvoir donner la première représentation
un peu avant les fêtes de Noël.
— Les journaux de Francfort nous apprennent
le gros succès que Mme Clotilde Kleeberg-Samuel
a remporté le i5 de ce mois, en jouant au concert,
les Waldscenen de Schumann; la cinquième Suite
française de Bach; les Variations op. 34 de Beetho-
ven ; le Prélude, Choral et Fugue de César Franck et
la sonate en sî mineur de Chopin. Ils ne tarissent
pas d'éloges sur le caractère très artisttque des
interprétations de l'éminente virtuose.
— M. V. d'Indy est parti pour l'Amérique, où il
doit diriger plusieurs concerts à Boston, Phila-
delphie, Baltimore, Washington et New-York,
Voici les œuvres de ses programmes :
E. Chausson : Symphonie;
V. d'Indv : Istar, Sauge fleurie, deuxième sym-
phonie ;
Debussy : U Après-midi d'un faune ;
Fauré : Suite de Pelléas et Mélisande;
Franck : Suite tirée de Psyché;
Dukas : L' 'Apprenti sorcier .
Félicitons M. Vincent d'Indy de propager ainsi
les œuvres modernes de ses compatriotes.
— M. von Possart, ci-devant intendant général
des théâtres de la cour de Bavière, va reprendre
pour quelque temps sa carrière d'artiste drama-
tique. Il a signé avec un imprésario allemand un
engagement pour une tournée à travers la Belgi-
que, les Pays-Bas, les pays Scandinaves. l'Autri-
che-Hongrie et l'Orient. M. von Possart sera
défrayé de tous ses frais et touchera, comme hono-
raires, la somme de 5o,ooo marks (62,5oo francs).
— La Société Mozart, de Prague, a décidé
d'ériger un monument en l'honneur du maître
au-dessus du portail principal du vieux théâtre
allemand de la ville. L'exécution de ce monument
a été confiée au statuaire Franz Metzner, de
Vienne.
LE GUIDE MUSICAL
779
— Le plus récent ouvrage du poète-romancier
Ernest de Wildenbruch, un drame qui porte le
titre Les Chants d'Euripide, sera prochainement
représenté à Weimar avec une musique mélodra-
matique de M. Max Vogrich, l'auteur de l'opéra
Le Bouddha, joué l'année dernière en Allemagne.
— On lit dans le Carrière délia Sera : « M. Victo-
rien Sardou a terminé le libretto du nouvel opéra
destiné au maestro Giordano. Ce libretto est ori-
ginal, en quatre actes et a pour titre : La Festa del
Nilo. L'action se passe en Egypte, à l'époque de
la conquête napoléonienne. C'est un drame
d'amour. Le compositeur s'est mis aussitôt à la
besogne, et l'œuvre à laquelle a voulu collaborer
l'illustre écrivain français sera prête l'année pro-
chaine. »
— M. Saint-Saëns n'aurait jamais été de l'Ins-
titut, si les lions qui en gardent l'entrée n'avaient
été déplacés il y a un quart de siècle. Lui-même
contait dernièrement l'anecdote dans l'atelier du
maître Frémiet. M. Saint-Saëns s'était présenté en
1878 au fauteuil de Bazin. Certes, la valeur n'avait
pas attendu pour lui le nombre des années, mais
on le trouva décidément trop jeune, et on élut un
de ses concurrents. Fureur du bouillant artiste, qui,
en quittant le palais Mazarin avec un groupe
d'amis venus pour connaître le résultat de l'élec-
tion, jure qu'il ne se présentera plus à l'Institut
avant que les lions de la porte, qui se tournaient le
dos, se regardent en face. C'était dire qu'il renon-
çait à jamais à l'habit vert. Or, quelques mois plus
tard, M. Saint-Saëns, passant devant le palais
Mazarin, vit des ouvriers occupés à retourner sur
leurs piédestaux les fameux lions. Il était pris au
mot. Justement Reber venait de mourir. Il se
présenta et fut élu au premier tour avec ovation.
§*>
BIBLIOGRAPHIE
Frédéric Hellouin. — Essai de critique de la cri-
tique musicale. — Paris, A. Joanin, 1 vol. in-12.
M. F. Hellouin a bien fait de publier en
volume son cours de l'Ecole des Hautes Etudes
sociales, car son style est, comme sa parole, net,
précis, personnel, et son sujet prête aux aperçus
neufs, suggère d'utiles discussions. Je crois cepen-
dant qu'il eût atteint plus complètement son but
en développant davantage, dans le livre, le pro-
gramme suivi dans la chaire, en le complétant sur
les points laissés de côté, et même en le précisant
mieux. Car, par exemple, on voit bien, après lec-
ture (et en faisant réflexion que le cours en question
faisait partie d'une école de journalisme), que la
critique dont il s'agit ici n'est que la critique jour-
nalistique, tout au plus des périodiques ; mais il
était bon de le dire, et aussi de marquer son infé-
riorité forcée, essentielle en quelque sorte, sur la
critique livresque, résultat de longues études et de
fécondes comparaisons. Entre un soiriste quelcon-
que rendant compte d'une représentation de la
veille et un Otto Jahn jugeant Don Juan en soi et
indépendamment des suffrages plus ou moins com-
pétents d'un public plus ou moins frivole, il y a
un monde, et cependant c'est toujours de la criti-
que musicale. Il eût été également très intéressant
(mais peut-être est-ce encore le dessein de M. Hel-
louin^, d'étudier la critique étrangère, qui est en
général assez sensiblement différente de la nôtre ;
et en tous cas, ici encore, il fallait préciser qu'on
ne parlerait que de la critique de journaux fran-
çais.
Cependant, il est juste de dire que son livre com-
porte deux parties et que la première seule, l'his-
toire de la critique musicale, mérite ces objections.
La seconde, la théorie de la critique, dans ses
tendances et ses caractères variés, ses rapports
nécessaires, ses qualités requises en vue d'un
idéal possible de perfection, me paraît aussi juste-
ment pensée que clairement exposée. Rien de plus
judicieux, notamment, que les cinq préceptes for-
mulés au nom de l'éclectisme, de l'esthétique, de
la philosophie, de la technique et de l'histoire, en
vue d'une critique à peu près absolue : « i° se
montrer éclectique, c'est-à-dire rejeter l'asservisse-
ment étroit à une doctrine esthétique, philosophi-
que ou technique ; 20 rechercher dans l'œuvre les
caractères généraux de la beauté, lesquels n'exis-
tent pas si l'émotion reste absente ; 3° étudier les
rapports entre la forme et l'idée ; 40 examiner la forme
en elle-même; 5° discerner si l'on se trouve en
présence d'une nouveauté, soit d'un idéal connu ou
imité, soit d'un vulgaire plagiat ».
La première partie paraîtra probablement la
plus amusante, — à cause des personnalités qui
s'y trouvent caractérisées, depuis Castil-Blaze
jusqu'à nos confrères en exercice, car M. Hel-
louin ne s'est pas refusé le plaisir de dire leur fait
à quelques-uns d'entre eux, pris comme types, et il
a la dent dure, — mais elle ne me paraît pas sans
78o
LE GUIDE MUSICAL
reproches, surtout en ce qui concerne les précur-
seurs de la critique moderne. Il n'est que de voir
le parti qu'en ont su tirer des érudits (comme
l'auteur de l'Histoire des concerts en France, publiée
ici-même) pour se rendre compte que la matière
est loin d'être négligeable. Et je ne saurais trop
conseiller, par exemple, à M. Hellouin, le dépouil-
lement du Journal de Paris : il y prendra certaine-
ment un plaisir extrême, car les articles de critique
musicale y sont souvent des plus fins et des plus
neufs ; j'en pourrais citer tel où se trouve nette-
ment définie, et défendue contre l'insuccès, la
valeur vraie et durable de tel ouvrage de Grétry.
Il est aussi un endroit où M. Hellouin me parait
sortir de la question pour des raisons d'ordre per-
sonnel et non général. Qu'il prenne à partie les
encyclopédistes du xvin0 siècle, je n'y vois pas
d'inconvénient. Mais que vient faire « cette charge
à fond » contre Gluck au profit de Rameau?
D'abord, pourquoi reviser ici ce qu'il appelle le
procès Gluck-Rameau? Et d'ailleurs, qui parle
d'un tel procès, qui pose cette série d'objections
contre Rameau, d'autant plus faciles à réfuter
ensuite qu'elles sont moins fondées, quelques-unes
même ridicules? Et pourquoi un procès? Est-il
interdit d'admirer profondément et Rameau, et
Gluck, sans les opposer l'un à l'autre ? Et puis,
que dire encore de cette conclusion que « Rameau
s'adresse aux musiciens, et Gluck à ceux des littéra-
teurs qui daignent ne pas mépriser la musique »,
formule qui refuse dès lors la qualité de musiciens
aux plus grands, plus originaux et plus féconds
admirateurs et successeurs de Gluck sur la scène
lyrique, Wagner et Berlioz en tête ? Non, ceci et,
pour finir, cette déclamation que la gloire de
Gluck n'est qu'une extraordinaire « suggestion »,
c'est ce qu'on appelle une « opinion », mais non
pas cette critique idéale que l'auteur formule si
bien à la fin de son volume. H. de Curzon.
Arte e tecnica del Canto, del maestro G. Magrini,
Milano, Hoepli, i vol. in-18 (cartonné, 2 lires).
La jolie collection Hoepli, qu'on connaît trop
peu hors d'Italie et qui ne comprend pas moins de
huit cents manuels sur tous les arts et métiers, sur
toutes les questions possibles et imaginables, vient
de s'enrichir d'un petit volume qui nous intéresse
plus particulièrement, consacré à l'art et à la tech-
nique du chant. Tout ce qui touche à l'histoire et à la
théorie du chant, à l'émission et l'articulation, à
l'expression également et au style, selon les genres
de musiques, est traité avec soin et clarté, avec de
nombreux exemples et quelques figures techniques,
par un homme de goût et de compétence. C.
flManos et ibarpes
€rarù
Bruxelles : 6, rue Xambermont
paris : rue bu flftafl, 13
NÉCROLOGIE
On annonce la mort, à Venise", d'un pianiste
et compositeur distingué, Carlo Sernagiotto,
auteur, entre autres, d'un petit opéra, A Canareggio,
représenté avec succès à Padoue il y a une dizaine
d'années. Il laisse inédits un ouvrage plus im-
portant, le Paradis et la Péri, et un grand oratorio
intitulé Lourdes.
— Du Caire on annonce la mort d'un com-
positeur italien, Enrico Corti, qui s'était fait
connaître par un certain nombre d'ouvrages,
parmi lesquels Triste aniore, représenté à Reggio
d'Emilie en 1893, et i Cosacchi.
mnwwimiMM tBaa»iiM«gBB5«5Baam^
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPERA. — Salammbô; Tannhâuser; Samson et
Dalila; La Maladetta.
OPÉRA-COMIQUE.— Le Jongleur de Notre-Dame,
le Caïd; La Vie de Bohème, Cavalleria rusticana; Gri-
sélidis; Miarka; Louise; Carmen; Miarka; Le Barbier
de Séville, Cavalleria rusticana.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Armide;
Lohengrin; Hamlet.
AGENDA DES CONCERTS
PARIS
Mercredi 29 novembre. — A 9 heures du soir, en la
salle de l'Union, 14, rue de Trévise, concert d'orgue et
de musique de chambre de la Société J.-S. Bach, avec
le concours de Mlle Boutet de Monvel, de MM- Joseph
Debroux et Henri Dallier.
BRUXELLES
Mardi 28 novembre. — A 8 1/2 heures précises du soir,
en la salle de la Grande Harmonie, premier concert
Crickboom avec le concours de Mlle Jane Delfortrie,
cantatrice. Au programme, des œuvres de A. Corelli,
LE GUIDE MUSICAL 7gr
BREITKOPF & H)ERTEL, Éditeurs, a Bruxelles
Montagne de la Cour, 45,
Fient de Paraître :
Richard WAGNER
a Mathilde Wesendonk
JOURNAL ET LETTRES 1853-1871
Traduction autorisée de l'Allemand par Préface de
Georges Khnopff Henri Lichtenberger
= Tome I et II à frD 3,50 net =
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
Vient de Paraître :
JOSEPH JONGEN
Sonate pour Violon et Piano
Prix : fr. 7.50 net
Vient de Paraître le grand succès du
à la MAISON BEETHOVEN THÉÂTRE DE LA MONNAIE
■G. OERTEL, 17, rue de la Régence, Bruxelles
La deuxième Edition de la Partition
Piano et chant, texte français-flamand, de
Princesse Rayon de Soleil
Légende féerique en quatre actes
Poème de POL DE MONT, musique de P. GILSON
= Prix : 20 Francs ==
four paraître prochainement à la même maison. — En souscription, au prix de 7,50 fr.
la partition piano et chant de \_j 1 JD 1 Pi. drame lyrique en i acte
Poème d'ALEXANDRA MYRIAL === Musique de Jean HAUTSTONT
SANDOZ, JOBIN & Cie
Ofïîoe international d'Edition Musicale et Agence -A-rtisticivie
PARIS LEIPZIG NEUCHATEL (suisse)
28, Rue de Bondy
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VIENT DE PARAITRE :
LE CHAlTSOiroriEH JAQUES - DALCHOZE
3 FR. NET
Ce chansonnier est en vente chez les Editeurs et
dans tous les magasins de musique au prix de
OPINION DE LA PRESSE :
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez:
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalckoze lui aura,
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. 11 fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 623. Les bonnes grand'mères. (Tiré des 15 Nouvelles Enfantines.')
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E. Jaques-Dalcroze;
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Les grand' rue - res, les bon - nés grand'mè - res, Lors-que re - vient le gai prin-temps Les grand'mè - res
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5ime ANNÉr. — Numéro 49.
3 Décembre igoS.
DE L'EXÉCUTION MUSICALE
par F.-A. GEVAERT
ous reproduisons ci-dessous
la partie essentielle de la lec-
ture faite par M. Gevaert à
la séance solennelle de l'Aca-
démie royale de Belgique, le dimanche
26 novembre. L'illustre maître avait choisi
pour thème un sujet qui lui tient particu-
lièrement au cœur et sur lequel il est plus
que personne autorisé à énoncer ses idées
personnelles : Y Exécution musicale. On lira
avec un vif plaisir ces pages de haut intérêt
dont la conclusion pleine de bienveillance
encourageante pour les jeunes artistes et
de sages conseils à l'adresse des critiques
et du public, mérite d'être remarquée :
Dans la musique des anciens, composée presque
uniquement d'une ligne mélodique, le genre de
productions le plus élevé, le chant à la cithare,
ne nécessitait qu'un exécutant, à la fois chanteur
et instrumentiste. Aussi, l'art grec bornait-il son
pouvoir à traduire des états d'âme simples, des
sentiments déterminés. Voilà ce que nous apprend
Aristote. Notre art européen, au contraire, créa-
tion originale du moyen âge chrétien, musique
polyphone par essence, c'est-à-dire formée d'un
entrelacement continu et simultané de sons, de
dessins mélodiques, de rythmes et de timbres, a
pour organe rationnel une collectivité d'exécu-
tants. Parvenu depuis deux siècles au point culmi-
nant de son développement technique, et aujour-
d'hui en possession de tous ses moyens matériels,
il s'est donné pour tâche d'exprimer non seulement
les affections élémentaires du sentiment, mais la
vie intégrale de l'âme humaine, le drame qui se
joue en dedans de chacun de nous, la lutte sans
cesse renaissante des forces opposées qui se
disputent notre être.
Les plus puissantes expressions de notre art
moderne, le drame en musique, religieux ou
profane, la symphonie, réclament le concours
d'un grand nombre d'exécutants, chanteurs, instru-
mentistes, suffisamment préparés à leur tâche
technique.
Mais pour que le contenu musical de la partition
se transmette nettement au sens auditif, pour que
le caractère expressif du morceau devienne saisis-
sable, il ne suffit pas que chaque exécutant inter-
prète correctement les signes qu'il a devant les
7&4
LE GUIDE MUSICAL
yeux, même en donnant aux dessins mélodiques
l'accent voulu : il faut encore l'intervention d'une
volonté unique, personnifiée dans un chef; d'abord
pour qu'il inculque à ses coopérateurs subordon-
nés le style de l'œuvre, ensuite pour qu'il unisse
tous ces talents épars dans une tâche commune,
enfin pour qu'il donne, par l'acte matériel de la
direction, une impulsion continue à la marche de
l'ensemble.
L'homme naturellement qualifié pour un tel
office est l'auteur de l'œuvre, quand il possède, avec
l'imagination créatrice, la faculté de réalisation
pratique, deux choses qui ne vont pas toujours
ensemble. Il est alors dans la situation de l'archi-
tecte qui dirige la construction de l'édifice dont il
a dressé le plan. Aux époques antérieures de notre
art polyphone, et jusqu'au milieu du xvme siècle,
alors que les grandes compositions vocales et
orchestrales ne se répandaient guère hors du
milieu qui les avait vu naître, c'était générale-
ment le compositeur lui-même qui dirigeait les
répétitions et l'exécution de ses œuvres. A notre
époque, où les productions musicales de nos célé-
brités et celles des maîtres classiques trouvent un
auditoire passionné jusque dans les contrées les
plus lointaines, l'intervention personnelle du com-
positeur ne peut être qu'une exception. Ordinaire-
ment, on voit paraître au pupitre de la direction
un chef d'orchestre qui se constitue l'interprète, le
fondé de pouvoirs de l'auteur. Nous touchons là le
point délicat de l'exécution musicale. Entre la
création propre du maître et l'auditeur, surgit un
tiers, soit le virtuose individuel, s'il s'agit d'un
solo, soit le chef, représentant de la collectivité
des exécutants. La personnalité artistique de l'un
et de l'autre se reflète nécessairement sur l'ouvrage
exécuté et y ajoute un élément adventice qui, en
certains cas, peut aller jusqu'à dénaturer un chef-
d'œuvre et en rendre la jouissance impossible à
l'auditoire accouru pour l'entendre.
Cet état de choses indique les conditions tech-
niques et les dons naturels que le directeur d'une
exécution musicale est tenu de réunir dans sa per-
sonne, fous peine d'être inférieur à sa mission.
Comme le compositeur, il doit posséder la faculté
de l'audition intérieure, afin de pouvoir s'assimiler
complètement des œuvres dont il n'a jamais eu
l'audition physique. Il doit se montrer à même de
remplacer, en qualité de chef dirigeant, l'auteur,
non seulement en donnant une interprétation fidèle
du texte noté, mais encore en déterminant, par
son initiative propre, ce qu'aucun signe écrit ne
saurait lui apprendre : l'accent vrai de la mélodie,
le vrai mouvement, et — ce qui résume tout —
le sentiment général qui pénètre la composition
entière et lui donne cohérence et unité. -Il est pres-
que superflu de dire que ces qualités vitales, et en
partie mystérieuses, ne se révèlent clairement qu'à
ceux qui, par une pratique quotidienne, ont vécu
longtemps dans la familiarité des œuvres qu'ils
entreprennent de produire devant le public.
Le chef dirigeant voit se restreindre ou s'agran-
dir son initiative, selon le genre de productions
qu'il est appelé à interpréter, selon la période
d'art à laquelle se rapportent les œuvres inscrites
au programme.
Quand il s'agit du répertoire symphonique com-
mençant par Haydn, et que le chef dispose d'une
phalange d'exécutants habiles, déjà individuelle-
ment initiés au style des maîlres classiques, sa
tâche personnelle se trouve considérablement allé-
gée. Les plus brillants joyaux de ce trésor musical
ornent la mémoire de tous les artistes et de beau-
coup de dilettantes. Les mouvements, le mode
d'exécution des morceaux et leurs effets saillants
sont connus et se reproduisent à quelques nuan-
ces près, dans tous les grands centres musicaux,
sauf là où le chef d'orchestre vise à concentrer
l'attention du public plutôt sur sa personne que sur
l'œuvre exécutée.
Si l'exécution a pour objet soit un drame en
musique, soit toute autre composition réunissant
le chant collectif ou individuel à une masse instru-
mentale, le'producteur de l'ensemble cesse d'être
simplement le chef de l'orchestre. Sa sphère d'ac-
tion doit s'étendre et embrasser les deux éléments.
Il a le devoir d'instruire et de guider les chanteurs
aussi bien que les instrumentistes. Cependant, la
plupart des chefs ne comprennent pas les choses
ainsi : ils imposent aux chœurs une mesure rigou-
reuse, déduite de l'accompagnement instrumental ;
mais ils abdiquent leur qualité de chef devant le
chanteur virtuose, qu'ils se résignent à suivre doci-
lement, ne pouvant le diriger.
Dans une dissertation pleine d'intérêt sur la
direction de l'orchestre, écrite en 1869, Richard
Wagner attribue la technique routinière des vieux
hapellmeisier allemands, dans l'exécution des sym-
phonies de Beethoven et de Mozart, à leur totale
ignorance de l'art du chant (1). En effet, comment
un chef d'orchestre peut-il enseigner à ses instru-
mentistes le phrasé et l'accentuation d'un dessin
mélodique, s'il est incapable de montrer, par son
propre exemple, de quelle manière la voix hu-
(1) Ueber das Dirigiren, dans les Gesammelte Schrifien,
t. VII, p. 34r.
LÉ GUIDÉ MUSICAL
785
maine, prototype de tout organe musical, module
et détaille une mélodie? Et comment pourrait-il,
dans ces conditions, diriger l'exécution d'un drame
musical, une Alceste, une Armide, de manière à
émouvoir le public ?
Une tâche plus complexe encore s'impose à
celui qui entreprend de mener à bonne fin l'exécu-
tion d'une des créations monumentales de la plus
ancienne période classique : les passions et canta-
tes d'église de Jean- Sébastien Bach, les oratorios
de Haendel, les psaumes de Marcello. Les parti-
tions originelles de cette époque ne transmettent
par leur notation explicite que la hauteur et la
durée des sons à exécuter par chaque genre de
voix, par chacune des parties obligées de l'orches-
tre. Sauf les paroles du texte chanté et quelques
signes d'accentuation pour les instruments, on y
voit rarement les indications accessoires dont les
partitions modernes sont si prodigues.
C'est au chef dirigeant qu'il appartient de déter-
miner, à l'aide des lumières puisées dans l'étude
de l'œuvre, deux points importants de l'exécution
sur lesquels la plupart des anciens documents res-
tent muets : les mouvements et les nuances d'in-
tensité sonore. C'est également au directeur de
l'exécution à reconstituer un élément complémen-
taire de l'instrumentation primitive, lequel a dis-
paru de l'orchestre depuis Haydn. Nous voulons
parler de l'accompagnement en accords plaqués
exécutés sur un instrument à clavier : il restait
inexprimé par la notation musicale et abandonné
à l'improvisation de l'organiste et du claveciniste.
Pour s'expliquer ces omissions caractéristi-
ques, si déconcertantes pour le lecteur néophyte,
il faut se rappeler tout d'abord que le compositeur
lui-même dirigeait ordinairement son œuvre et
donnait l'impulsion à ses exécutants, toujours peu
nombreux à cette époque. Un mouvement du bras
ou de la main, un signe de la tête, un simple coup
d'œil suffisait à commander les mouvements, à
indiquer les nuances d'intensité, très sommaires
alors. Ensuite, il importe de savoir que l'auteur,
tout en conduisant son œuvre, prenait à de certains
moments part à l'exécution, comme accompagna-
teur au clavier. Pour s'acquitter de sa double
tâche sans avoir à redouter une défaillance de la
mémoire, il se guidait sur une copie de la partie
de violoncelle, au-dessus des notes de laquelle il
indiquait parfois en chiffres les accords successifs.
Voilà l'origine delà basse continue, du remplissage
harmonique que le compositeur variait suivant le
nombre et le talent des musiciens, ou suivant sa
fantaisie momentanée. Dans les conditions ac-
tuelles de nos orchestres et de nos masses chorales,
cet accompagnement supplémentaire doit être fixé
et noté tout au long, si l'on veut maintenir intacte
l'instrumentation explicitement écrite par l'au-
teur : cette instrumentaiion si savoureuse, si
saisissante d'originalité, avec ses timbres parti-
culiers (violes de gambe, hautbois d'amour, cornet
à bouquin, trompettes jouant à l'aigu), et avec son
coloris si différent de celui de l'orchestre moderne.
Je n'ai pas besoin de rappeler aux personnes
ici présentes l'impression qu'ont produite sur le
public bruxellois les grandes créations religieuses
de Bach et de Haendel, chaque fois que l'on a pu
lui en donner une audition. Un effet semblable a
été constaté partout où elles ont été exécutées de
manière à faire ressortir leurs beautés.
Cependant, au dehors, une voix des plus auto-
risées s'est fait entendre pour révoquer en doute
l'opportunité des exécutions publiques consacrées
à des œuvres appartenant à la période de l'ancien
art classique. Un compositeur illustre de l'époque
actuelle a dit (du moins en substance) : « Les
» œuvres chorales et instrumentales des Bach et
» Haendel sont d'admirables sujets d'études pour
» nous autres musiciens, qui sommes capables de
» nous en procurer l'audition en les lisant. Mais il
» ne s'ensuit pas de là que nous puissions, en
» conscience, les produire devant le public de nos
» concerts, jmisqii 'aucune tradition technique relative
» à leur exécution ne nous est parvenue. »
Si cet argument était fondé, il faudrait se rési-
gner à rayer du programme de nos concerts non
seulement les productions de l'ancienne période
classique, mais encore tout le répertoire sympho-
nique antérieur à i83o.
Car, s'il est vrai qu'à Leipzig et dans l'église
même que le grand Bach avait comblée des tré-
sors de son génie, ses merveilleuses compositions
religieuses tombèrent dans un oubli profond dès
la seconde génération, à Vienne, où vécurent
Haydn, Mozart et Beethoven, la tradition du style
d'exécution de leurs symphonies s'est-elle mainte-
nue pour se répandre de là dans les autres contrées
de la langue allemande?
Dans sa dissertation déjà mentionnée, Richard
Wagner s'est chargé de répondre péremptoirement
à cette question, en ce qui concerne le plus récent
et le plus grand des trois maîtres symphonistes.
Le génial poète-compositeur de l'Anneau du Nibe-
lung nous apprend qu'au début de sa carrière, la
Neuvième symphonie de Beethoven, qu'il avait entendu
exécuter seulement en Allemagne, était pour lui
un problème insoluble, et qu'elle resta telle jus-
qu'au jour où il l'entendit à Paris en i83g, exécu-
tée par l'orchestre de la Société des Concerts, sous
736
LE GUIDE MUSICAL
la direction d'Habeneck (l). « A ce moment-là,
dit-il, les écailles me tombèrent des yeux et tout
s'éclaira dans mon esprit ». Ainsi, ce fut une sim-
ple association d'exécutants français, qui, sans le
secours d'aucune tradition, et uniquement guidée
par un chef -plutôt virtuose que savant musicien,
avait su découvrir, grâce à des efforts inlassables,
l'interprétation d'une œuvre symphonique aussi
merveilleusement compliquée et longtemps aussi
incomprise que son pendant littéraire, le second
Faust. Ce fut cette même société qui donna à l'Eu-
rope entière, y compris l'Allemagne, le modèle de
l'exécution pour toute la série des symhonies de
Beethoven. Dans une autre branche de l'art musi-
cal, ne sont-ce pas les chanteurs virtuoses réunis
au Théâtre italien de Paris vers 1849-1850 qui ont
enseigné à leurs contemporains le style d'exécu-
tion, devenu aujourd'hui classique, des chefs-
d'œuvre scéniques de Mozart, Don Giovanni et les
Nozze di Figaro.
Tenons donc pour certain que toute partition
dictée par le génie, qu'elle soit ancienne ou mo-
derne, révèle le secret de la réalisation pratique à
celui qui sait l'interroger assidûment et avec
amour. Et gardons-nous de croire que les produc-
tions les plus élevées de l'art polyphone n'ont été
conservées que pour une élite de professionnels iso-
lés. Toute multitude recueillie, écoutant en silence,
est apte à sentir le souffle du génie musical passer
sur elle.
Qu'il me soit permis, à propos des auditions
publiques de musique rétrospective, de m'arrêter
encore un moment sur une idée émise en ces der-
niers temps, afin d'y rattacher mes conclusions.
On s'est demandé si on ne réaliserait pas com-
plètement le rêve du compositeur en reproduisant
son ouvrage dans des conditions identiques à celles
où il fut présenté à l'origine, c'est-à-dire avec un
nombre égal d'exécutants, avec les mêmes engins
sonores que ceux dont se servaient les musiciens
de l'époque. Les personnes qui ont formulé ce
desideratum ont perdu de vue que toute exécution
musicale au concert ou au théâtre implique la réu-
nion de trois intervenants : l'œuvre du maître, l'en-
semble des exécutants (y compris leur chef) et
l'auditoire. A supposer que l'on pût réunir le maté-
riel instrumental requis pour une telle audition, les
instrumentistes actuels pourraient difficilement se
débarrasser de la technique perfectionnée qu'ils
(1) Pages 337 et suivantes. Ce fut le dimanche 10 fé-
vrier. Il put l'entendre encore le 8 mars r840 et le
21 mars 1841. Elwart, Histoire de la Société des Concerts.
Paris, Castel, 1860.
tiennent de leur maître pour adopter la manière
ordinaire des symphonistes contemporains de Beet-
hoven et Hsendel. Mais en admettant qu'ils puis-
sent réussir jusqu'à un certain point, il reste à
supputer l'effet qu'une exécution conçue d'après
ces données produirait sur un public du xxe siècle.
Pour que cet effet fût satisfaisant, il faudrait pos-
séder le pouvoir d'opérer ce miracle : transformer
par un coup de baguette les auditeurs de notre
époque en un auditoire de 1730, avec toutes ses
habitudes musicales, si peu exigentes en matière
de puissance sonore, de justesse instrumentale, de
délicatesse et de nuances. Le résultat de la tenta-
tive serait apparemment aussi caricatural que si l'on
s'avisait de représenter les drames de Shakespeare
avec des poteaux indicateurs en guise de décors ;
les pièces héroïques de Corneille et Racine avec
les perruques et les costumes portés par les acteurs
tragiques sous Louis XIV. Que l'on se figure l'effet
que produirait dans nos grandes salles de concert
V Oratorio de Noël (pour ne pas parler de la Passion
selon saint Mathieu) exécuté avec le personnel musi-
cal dont se contentait Bach : 21 instrumentistes,
12 chanteurs (1), en tout 33 exécutants.
En musique, il y a impossibilité absolue à faire
abstraction des besoins nouveaux qui se sont déve-
loppés depuis bientôt un siècle, par l'accroisse-
ment continuel des orchestres, par le perfectionne-
ment mécanique des instruments à vent (qui leur
a donné la justesse), par la virtuosité, devenue
générale chez nos symphonistes : progrès dont
nous devons faire bénéficier les chefs-d'œuvre du
passé, si nous voulons mettre en lumière leur
caractère grandiose, le coloris pittoresque de leur
instrumentation, leur merveilleuse polyphonie.
Agir autrement, ce serait les rendre inintelligibles
aux auditeurs cultivés et les discréditer aux yeux
de la foule. On n'a le droit de troubler leur glo-
rieux sommeil que pour les montrer dans tout leur
éclat et les imposer à l'admiration des vivants.
Si l'on doute d'y parvenir, la meilleure preuve de
respect que l'on puisse leur donner, c'est de les
laisser dormir en paix.
Concluons en nous reportant à notre point de
départ. Le chef-d'œuvre ancien en musique n'est
pas la statue taillée dans un bloc de pierre, la
déesse marmoréenne, qui debout, impassible sur
son piédestal, voit passer devant elle les empires,
les peuples, les générations, qui incline le même
regard serein sur le Grec et le Barbare, et verse
indifféremment les trésors de sa beauté sur son
adorateur à genoux et sur le farouche Vandale qui
(1) Spitta, Johann Sébastien Bach, t. I, p. 75.
LE GUIDE MUSICAL
787
s'avance pour la fracasser. Non, c'est une création
idéale, qui par moments revêt une existence réelle
et se mêle alors intimement à notre vie psychique
et sentimentale. C'est la Belle au bois dormant, la
princesse ensorcelée, sortant de son sommeil sécu-
laire sous le baiser du jeune prince qui l'aime, pour
renaître à une vie nouvelle qu'elle partagera avec
lui. Au moment de son réveil, dit la légende, elle
apparaît à son libérateur dans le costume qu'il
voyait, étant enfant, porter à son aïeule. Mais au
jour solennel où leur union est consacrée devant
l'autel, la belle ressuscitée se montre dans les riches
atours des princesses contemporaines et parle le
langage de la nouvelle génération.
I) en est ainsi d'une sublime œuvre polyphone
oubliée depuis longtemps. Après ce sommeil inin-
terrompu, elle sort de son inertie par l'acte d'un
musicien qui s'est épris d'elle, sous son déguise-
ment graphique. Tout en gardant intact son con-
tenu musical, elle est obligée, pour entrer en com-
munion avec son auditoire actuel, de se prêter à
une réalisation technique plus affinée. A chacune
de ses résurrections futures, elle s'ornera de
beautés nouvelles ; elle aura des accents plus per-
suasifs, plus pénétrants ; et le parfum antique qui
lui est inhérent ne fera qu'ajouter à son charme. La
faculté de s'adapter à des conditions différentes de
celles que l'auteur prévoyait est, en poésie dra-
matique comme en musique, la pierre de touche
des créations universelles et la plus sûre garantie
de leur durée. Le Roi Lear et Hamlet, Œdipe-Roi et
YOyesiie, émeuvent le spectateur dans leur mise en
scène moderne, même à travers une traduction
médiocre. Pareillement, la Passion selon saint Mathieu
et le Messie, exécutés dans nos salles de concert,
avec un orchestre nombreux et des instruments
perfectionnés, n'inspirent pas moins de recueille-
ment à un public profane qu'ils n'en inspiraient
primitivement aux fidèles réunis dans une église.
A mesure qu'ils reculent dans le passé, les vrais
chefs-d'œuvre grandissent et s'enrichissent, dans
notre imagination, de toute l'activité artistique et
intellectuelle qu'ils ont suscitée autour d'eux.
On est ainsi amené à les assimiler aux plus
nobles produits du règne végétal, qui croissent et
se développent en vertu de la force vitale déposée
dans leur germe et de l'impulsion qu'ils reçoivent
sans cesse du milieu ambiant. Un des plus brillants
publicistes français de notre époque, M. de Vogué,
a éloquemment amplifié ce parallèle, il n'y a pas
longtemps, dans une page que vous me saurez gré
de vous redire littéralement (1). « Une œuvre
(1) Sur la Puissance des Ténèbres de Tolstoï, dans la
'Revue des Deux Mondes de 1888, t. I, p. 439.
d'art, si elle naît viable, est un organisme comme
les autres, qui se développe, grandit et fructifie
avec le temps.
» Il n'y a pas de commune mesure entre l'enfant
et le vieillard, quand même celui-là devrait un
jour atteindre ou dépasser celui-ci; il n'y en a pas
entre le petit plant de chêne et l'arbre magnifique,
trois fois séculaire, qui l'abrite de son ombre. Les
deux glands qui leur donnèrent naissance conte-
naient peut-être en germe la même puissance de
développement, mais rien ne peut remplacer le
travail des siècles. Durant ces siècles, le vieil
arbre a tiré pour se les approprier, les meil-
leurs sucs de tout le pays d'alentour; ils ont
centuplé sa force première. Ainsi l'œuvre d'art ; sa
vie s'accroît incessamment de notre vie, de nos
pensées, de nos rêves ; chaque génération qui passe
enrichit de sa substance la moelle et la frondaison
du géant. En sera-t-il de même pour cette jeune
pousse? Oui, si elle vit. Mais combien vivra-t-elle?
Jusqu'à quelle taille? Nous l'ignorons. Nous savons
seulement que rien ne reste immobile, dans l'état
de création première. La loi de mouvement, d'ac-
croissement et de décadence, cette loi gouverne
tous les êtres, ceux du monde intellectuel comme
ceux du monde physique. Donc, nous ne pouvons
pas comparer les valeurs, changeantes avec la
durée. Mais nous pouvons comparer l'esprit, les
tendances. Nous pouvons dire à l'inspection des
premières feuilles : ce petit plant est de la famille
du chêne, non de celle du saule ou du tremble. »
Semblablement, pour en revenir à la musique,
un homme sagace et doué de flair pourra dire,
après avoir entendu l'œuvre de début d'un compo-
siteur : Voilà qui nous promet un symphoniste, ou
bien : Voilà qui dénote un futur compositeur de
théâtre, rien de plus. Aucune production d'art ne
peut être proclamée chef-d'œuvre le jour où elle
paraît pour la première fois à la lumière du jour.
Mais hâtons-nous d'ajouter que rien ne nous auto-
rise à supposer que l'atmosphère du xxe siècle
soit devenue irrespirable pour le génie musical;
les miracles que les deux derniers siècles ont vus
s'accomplir peuvent se reproduire aujourd'hui, et
il est de notre devoir de ne pas entraver leur
accomplissement par notre manque de foi, de
bonne volonté.
C'est une outrecuidance que de formuler un
jugement défavorable fondé uniquement sur son
impression personnelle, surtout lorsqu'il s'agit d'un
genre de production qui passe devant notre sens
auditif comme passe devant nos yeux un paysage
vu de l'intérieur d'un wagon entrain express. Le
musicien en particulier doit s'abstenir de juger
7S8
LE GUIDE MUSICAL
sommairement — et défavorablement — l'œuvre
d'un jeune confrère, si elle ne lui est connue que
par une seule audition. Un développement ulté-
rieur est toujours possible quand le don indispen-
sable s'appuie sur un fond solide de qualités tech-
niques. Songeons que Gluck n'a fait son premier
chef-dœuvre, Orphée, qu'à l'âge de cinquante ans.
C'est dans ces sentiments de bienveillance et
d'espoir que je vous engage à écouter l'oeuvre
couronnée de notre jeune compatriote, dont l'audi-
tion nous réunit aujourd'hui.
LA RÉHABILITATION DE LA DANSE
ISADORA DuNCAN ET ÀrTÉMIS CoLONNA
Ivresse et beauté du mouvement, grâce cor-
porelle, danse sacrée, renaîtras-tu jamais
dans ta noblesse? avait dit E. Schuré,
dans son Histoire du drame musical. N'est-
ce pas l'interrogation pressante que tous les
artistes se font en présence des derniers efforts
de réhabilitation de la danse? Deux femmes
courageuses et artistes, Isadora Duncan et
Artémis Colonna, ont pris à cœur la ressurection
de cet art déchu et avili. Dans la danse, elles ne
voient pas seulement l'exécution de mouvements
rythmiques plus ou moins uniformes et réguliers,
elles la comprennent dans la plénitude de son sens
antique, comme l'expression de l'impression de
l'âme par les gestes du coips et l'attitude du
visage. On sait la splendeur et l'importance aux-
quelles cet art s'était élevé dans le monde hellé-
nique; les bas-reliefs, les merveilleuses figurines
ornant ses vases, ses sculptures surtout, en sont
l'éternel et splendide reflet. Ils nous montrent
assez à quelle perfection, à quelle expression
complète est parvenue, chez ce peuple artiste, la
danse qui à l'origine, de simple phénomène invo-
lontaire répondant à une impulsion physique,
devint en peu de temps une forme d'art et une
forme sacrée. Elle fut à la base de tout l'art grec,
précédant même ses deux sœurs, la musique et la
poésie, mais bientôt indissolublement jointe à elles
et formant ainsi cette unique et idéale « ronde de
l'art vivant » que nous ne pouvons plus que deviner
au souvenir des mystères sacrés ou au travers des
épopées d'Homère, des strophes inspirées de
Sapho, des odes pindariques, des drames d'Es-
chyle et de Sophocle. Cet ait vivant, qui avait
« pour corps la danse, pour âme la musique,
pour intelligence la poésie », ainsi que s'exprime
si exactement M. E. Schuré dans sa belle et
profonde Histoire du drame musical, disparut
après la conquête de la Grèce par la Rome
guerrière et pratique ; tristes et solitaires, les
trois Muses s'en allèrent chacune leur chemin.
Toutefois, les deux compagnes ailées et subtiles
de la musique et de la poésie, malgré des chutes
souvent pénibles au fond de gouffres obscurs,
parvinrent à rester, soulevées par leurs ailes si
souvent blessées mais toujours puissantes, sur les
sommets élevés qu'éclaire la plus pure lumière, se
rencontrant parfois sur la même cîme où le génie
puissant d'un musicien-poète les avait évoquées.
Mais que devenait la danse ainsi privée àt son
âme et de son esprit, si isolée, si exposée dans un
monde barbare qui ne la comprenait plus? Honnie,
maudite même, elle fut considérée comme un
plaisir malsain, indigne. Longtemps on l'aban-
donna aux esclaves, aux histrions. Dans le peuple
seul, elle conserva quelque chose de sa significa-
tion primitive (i), mais sans plus jamais s'élever
à la dignité d'une forme d'art. Un moment, à la fin
de la Renaissance, avec le ballet né en Italie et
si favorisé à la cour de Louis XIV, où pendant tout
le règne du Roi-Soleil il s'éleva à une grâce aristo-
cratique et cérémonieuse qu'il n'a pas retrouvée
depuis, la danse faillit revivre sous des aspects
nouveaux dans sa splendeur antique.
Mais avec la dégénérescence du ballet provo-
quée par la corruption tt la frivolité croissantes de
la haute société pendant le xvme siècle, elle
retomba dans sa léthargie. Le ballet, sans doute,
eut ses virtuoses, ses étoiles, mais il devint de
plus en plus un prétexte à tours de force et de
souplesse « une exhibition de corps sans âme ».
Et pourtant, cette âme n'était pas éternellement
endormie. Elle eut des réveils passagers, aux
accents de la musique de Gluck, et surtout, bien
que sans expression plastique réelle, apparente,
dans cette « apothéose de la danse » qu'est la
septième symphonie de Beethoven. Wagner, dont
le génie formidable embrassait d'une même étreinte
tous les arts et les forçait à répondre à sa voix
enthousiaste, impérative et puissante, évoqua, lui
aussi, cette âme endormie?
En dehors des danses proprement dites du
(i) Il est à remarquer que chez tous les peuples pri-
mitifs, de toutes les races, la danse avait une part
importante dans toutes les cérémonies religieuses.,
LE GUIDE MUSICAL
789
Venusberg, de Parsifal, voire des Maîtres Chanteurs,
quelle place n'a-t-il pas réservée dans son œuvre
aux scènes simplement mimées, dont le plus impor-
tant exemple est tout le rôle de Kundry au troi-
sième acte de Parsifal : « Servir, servir », dit-elle
deux fois au début, et c'est tout; plus une parole,
plus une note. Pourtant, elle est toujours là,
à l'avant-plan, Sa mimique constitue donc son
seul moyen d'expression, et ce détail atteste la puis-
sance expressive que Wagner attribuait à cette
forme de l'art. L'obstinée recherche de la vérité
et de la beauté, à laquelle visait le maître, eut une
profonde et durable influence dans tous les domai-
nes de l'art. Le magnifique exemple de Bayreuth
prouva non seulement l'alliance et la fusion néces-
saires de toutes les branches de l'art, en vue d'un
but unique, mais aussi leur égale importance, car
chacune d'elles possède d'inépuisables trésors ; la
poésie et la musique avaient déjà amplement livré
les leurs; la danse seule, toujours dénaturée,
n'avait plus guère, depuis le monde hellénique,
éveillé la pure et noble jouissance esthétique.
Voici enfin que cette joie élevée et saine, joie de
l'âme et joie des yeux, nous est révélée de nou-
veau par les séances d'impressions plastiques
d'Isadora Duncan et d'Artémis Colonna. Ces deux
intéressantes interprètes de la « danse nouvelle »,
tout en poursuivant un même but et en se servant
sensiblement des mêmes moyens, constituent
cependant, par leurs tempéraments profondément
opposés, deux « modèles » tout différents. Félici-
tons-nous-en, car on n'en saisit que plus claire-
ment la richesse d'expression, la diversité d'inter-
prétation auxquelles cet art ressuscité peut
atteindre. Leur but est pareil : faire valoir la
beauté du corps humain devant un public qui
la comprend et la respecte, figurer des poses inspi-
rées par la Beauté, par le rythme et l'harmonie et
soumises aux sentiments qu'une âme sensible res-
sent sous l'influence de la passion, de l'enthou-
siasme, de la joie, de. la douleur, de la contempla-
tion, etc. Et voilà comment, venant de Y âme, la
danse,se replongeant à la source pure d'où naissent
et jaillissent ses deux sœurs, la musique et la
poésie, voilà comment elle-même retrouvera sa
conscience et sa vie. En effet, chez miss Duncan
et la signorina Colonna, la danse ne se manifeste
pas autrement. De simple mouvement involontaire
qu'il était chez elles, lorsque, enfants encore, elles
suivaient l'impulsion de leurs âmes nouvelles que
toute musique, tout rythme appelaient à la danse,
ce mouvement se développa et se transforma en
forme d'art sous l'impression ressentie plus tard
'devant toute œuvre de Beauté : statue antique,
tableau des incomparables Italiens du Quattro-
cento ou de la Renaissance, poèmes et musique des
plus grands maîtres, simple paysage aussi !
La libre et riche Américaine put à loisir suivre
et cultiver son penchant; la chorégraphie moderne,
qu'elle avait apprise, lui apparut singulièrement
artificielle et laide; l'étude de l'Antique à Londres
(National Gallery), en Grèce et en Italie, acheva
son éducation. Dès lors, en véritable apôtre, forte
de sa conviction, elle a parcouru le monde, prê-
chant d'exemple surtout et entraînant le public par
son ardeur enthousiaste autant que par la vérité de
son art. Il est inutile de revenir sur les qualités
personnelles de sa 'danse : toute' la presse les a
commentées et unanimement applaudies. Elle fut
la première et courageuse réformatrice et seule au
monde, s'élevant contre les traditions solidement
établies, elle osa parler et agir, et imposa par la
force, la virilité et aussi l'ingénuité de son tempé-
rament, son active et considérable énergie, la viva-
cité de sa nature.
En même temps que miss Duncan, née pour
l'apostolat, parcourait déjà triomphante le monde,
un talent inspiré des mêmes sentiments se déve-
loppait et mûrissait isolé sur les côtes ensoleillées
de l'Adriatique. C'est là que la signorina Colonna
dansait, insouciante enfant ; là aussi qu'elle souf-
frait, jeune fille déçue que la musique venait con-
soler. Rêveuse, sentimentale, mélancolique et
passionnée, elle se plaisait surtout à la musique
du plus inconsolé des maîtres musiciens, à Chopin,
dont le sentiment profond l'impressionnait vive-
ment. Les rythmes si variés de sa musique se tra-
duisirent bientôt chez Artémis Colonna en poses
plastiques correspondantes : le corps donnait le
rythme, le visage, d'une mobilité extrême, rendait
le sentiment. Souple, charmeuse et belle, la jeune
danseuse, elle-même vivant exemple, entrevit
aussi le possibilité de réhabiliter l'art chorégraphi-
que qui lui apportait les plus pures joies esthéti-
ques et l'infinie consolation. En même temps, cet
avisé directeur-artiste qu'est M. Ernst von Wol-
zogen, de Berlin, la vit un jour chez des amis com-
muns et l'encouragea à propager et à cultiver son
talent. C'est alors que, songeant à la réforme du
costume, adoptant les voiles et les soies légères
des tuniques grecques, elle entendit parler de miss
Duncan et résolut d'aller la voir. Auprès d'elle,
Mlle Colonna se compléta. Mais on ne peut pas dire
qu'elle en est l'élève, ni surtout pas l'imitatrice.
Son talent s'est développé seul, et si miss Duncan
a surtout l'intuition du rythme et la science de la danse,
la signorina Colonna a bien davantage la passion et
le sentiment. Comparez les dans cette courte panto-
790
LE GUIDE MUSICAL
mime : La Jeune Fille et la Mort que toutes deux
viennent d'interpréter, et où certes Art émis Colonna
se montra supérieure.
Pourtant, par une singulière et occulte coïnci-
dence, parties de deux points tout différents, avec
des tempéraments tout opposés, mais visant au
même but et employant les mêmes moyens, parce
que toutes deux se sont souvenues de l'admirable
patrie des arts, de la Grèce, elles arrivent au même
résultat. Et tandis qu'Isadora Duncan semble par
sa nature même l'évocatrice puissante de la danse
grecque, Artémis Colonna reste toujours l'inter-
prète plus touchante de la danse idyllique, impré-
gnant son art de la sensibilité de son âme émue et
de je ne sais quel cachet de délicatesse et de sim-
plicité qui font songer aux subtiles figures des
préraphaélites.
Mais en somme, leurs efforts, à toutes deux, ont
démontré victorieusement que la danse n'est pas
un art définitivement déchu, mais bien un art
vivant et noble, pourvu qu'on en évoque l'âme
profonde et l'esprit élevé. Certes, tout n'est pas
parfait encore dans leurs exécutions ; les modestes
artistes le savent bien et ne s'en cachent pas ; elles
sont seules encore; mais imaginez-les plus tard,
quand leur exemple aura porté ses fruits, entou-
rées de danseuses semblables à elles ; appliquez
cet art nouveau dans son cadre véritable, à la
scène, dans le drame (i) ; alors seulement il appa-
raîtra dans toute sa splendeur.
Il y a encore toute une éducation à faire, des
interprètes aussi bien que du public ; les froides
imitations qu'appellent toujours le succès, de la
nouveauté ne manqueront sans doute pas ; mais les
initiés seuls comprendront et seuls seront admis
au temple de l'art vivant, où spectateurs et acteurs
recueillis pourront peut-être un jour contempler
et réaliser respectivement la « ronde » antique des
trois sœurs éternelles, danse, musique et poésie,
enfin renouée et à jamais vivante.
May de Rudder.
(i) Nous sommes heureux de constater ici un premier
mouvement rénovateur, au théâtre de la Monnaie, dans
les ballets des œuvres de Gluck, sous l'intelligente et
artistique impulsion des directeurs du théâtre même,
MM. Kufferath et Guidé,
LA SEMAINE
PARIS
CONCERTS COLONNE. — Pour la conti-
nuation du cycle Beethoven, M. Colonne avait
mis sur son programme du 26 novembre deux
ouvertures de Fidelio, celle en mi et celle qui porte
le titre de Léonore (n° 3 ; puis un fragment de cet
j opéra, un air de grand style, infiniment plus
difficile à chanter que n'importe quelle musique
moderne et qu'a fort bien dit Mme Kutseherra ;
enfin, la Symphonie pastorale, l'œuvre de Beethoven
que le public goûte le mieux, à cause de sa simpli-
cité et peut-être aussi à cause des indications
portées sur les numéros par le compositeur lui-
même.
Une symphonie à programme plaît toujours. On
aime à savoir ce qu'un allégro ou un andarte veut
traduire. A la rigueur, le titre de « Pastorale »
suffisait; il faisait bien comprendre les intentions
générales de l'auteur. Mais Beethoven a tenu à les
rendre précises en donnant un titre particulier à
chacun des morceaux.
Il ne faudrait pas toutefois y voir plus d'effets
pittoresques que Beethoven n'en a mis, ni trop
prendre à la lettre ce qu'a rapporté Schindler.
Que Beethoven ait pensé à imiter le chant du
coucou par la clarinette donnant l'intervalle de
tierce majeure -(ré, si bémol;, de la caille par le ré
du hautbois, du rossignol par un trille de flûte, du
loriot par les notes arpégées de l'accord de sol, on
ne saurait en douter. Mais le compositeur en a fait,
je crois, plutôt un jeu qu'un système.
Saint-Saëns n'a-t-il pas exagéré aussi beaucoup
quand, à propos de la Pastorale, il s'est exprimé
ainsi : « Au plus fort de la danse, tout cesse brus-
quement, et, sans transition d'aucune sorte, les
basses font entendre pianissimo une note étrangère
à la tonalité. Cette note qu'on entend à peine,
c'est un voile noir qui s'étend tout à coup, c'est
l'ombre de la fatalité apparaissant au milieu d'une
fête, c'est une angoisse indicible à laquelle personne
n'échappe... Cette note est sublime. »
Elle n'est que curieuse, il me semble ; elle
prépare habilement la scène de l'orage, mais elle
n'est pas symbolique du tout. Si elle disait inten-
tionnellement tant de choses, c'est donc que Bee-
thoven connassait bien mal les mœurs villa-
geoises. Les paysans, habitués aux orages, ne sont
pas gens à tant s'en effrayer. Si Beethoven eût
décrit l'approche d'une inondation, qui détruit
tout, bétail, récoltes et chaumières, cette note, en
effet, serait sublime ; mais elle n'annonce que le
LE GUIDE MUSICAL
791
tonnerre, un petit incident pour l'homme des
champs : il s'en effraye si peu, qu'après l'orage,
qui dure à peine quelques instants, il reprend tout
de suite sa vie aimable et paisible. D'ailleurs, le
maître n'a traduit en cette symphonie que l'im-
pression de douceur que fait naître dans les âmes
le spectacle de la nature : Schindler, en insistant
sur les courts passages de musique imitative, et
Saint-Saëns, en attribuant à la fameuse note une
importance si tragique, ont outré ou dénaturé les
intentions du compositeur. M. Colonne, lui, s'est
gardé de croire à tout cela ; il a conduit la sym-
phonie en bon pasteur, avec calme et sérénité, et
l'effet sur le public en a été irrésistible et char-
mant.
C'est également ainsi, mais avec plus d'abandon,
qu'il a dirigé le prélude de Fervaal, page tout
odorante de parfums et d'amour, en opposition
avec la grandiose marche funèbre du Crépuscule des
Dieux, qui a été bissée par acclamations. En
l'absence de M. Burgstaller, fortement grippé,
Mme Félia Litvinne, prêtée gracieusement par
MM. Kufferath et Guidé, directeurs de la Monnaie
de Bruxelles, où elle est en représentations, a bien
voulu chanter l'air à'Alceste « Divinités du Styx »
et la scène finale du Crépuscule. L'admirable artiste,
jamais lassée, la voix toujours aussi belle, a été
accueillie avec transports et rappelée six fois de
suite, implacablement.
Les applaudissements n'ont pas fait défaut non
plus à une œuvre nouvelle de M. Max d'Olonne,
Dans la cathédrale, morceau symphonique avec
chœurs. lis eussent été plus chaleureux si la com-
position eût eu plus d'unité et de couleur. Il s'y
rencontre de tout un peu : des récitatifs d'abos,
des unissons de cordes, des violons divisés à l'aigu,
des psalmodies vocales, un dialogue entre deux
violons soli, des pizzicati faisant sautiller quelques
notes du Dies ira, un chœur pour voix mixtes, un
choral de cuivres et mille autres détails que j'ai
oubliés, parce que ces sortes de mosaïques ne
m'ont pas laissé entrevoir un plan ni un dessin. Ce
n'est pas sans plaisir qu'on entend cette musique ;
mais dès qu'elle a cessé, on en a perdu le souvenir,
on ne désire rien, on ne regrette rien non plus.
Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. — Une fois de
plus, l'œuvre inédite qui est exécutée au cours
d une séance très attrayante y fait assez piètre
figure, et il est bien regrettable d'avoir à renou-
veler une telle constatation alors que, de tout cœur,
on souhaiterait de rencontrer chaque fois l'occa-
sion de saluer la naissance de jeunes chefs-d'œuvre.
Mais je pense que la pénurie actuelle n'est que
transitoire : le règlement élaboré naguère par
M. Henry Marcel exige qu'une place soit réservée
aux œuvres absolument inédites. Or, auparavant,
les compositeurs, sachant ardue et peu probable
l'accession aux concerts dominicaux, se sont le
plus souvent efforcés, avec raison du reste, de faire
exécuter à tout prix et n'importe où, ne fût-ce que
pour les entendre eux-mêmes, leurs œuvres d'or-
chestre. A l'heure actuelle, au contraire, leur inté-
rêt est de veiller sur la virginité de ces œuvres avec
un soin jaloux, et toute une pépinière de nouveau-
tés doit être en formation où nos chefs d'orchestre
trouveront bientôt, je n'en doute pas, de quoi
enrichir leurs programmes d'appréciable façon.
Mais il ne faut pas être sévère pour les trois
mélodies de M. Jean Gay qui ont indirectement
inspiré le précédent paragraphe : elles ont le
mérite d'être sans prétention, comme, du reste, le
texte sur lequel elles furent écrites. Et je ne veux
même pas quereller le distingué chef de musique
qui les composa pour nous avoir offert un Chant de
guerre aux rythmes si pacifiquement symétriques.
J'aime mieux louer M. Chevillard d'avoir exécuté
cette Russia de M. Balakirew, qui est une des
œuvres les plus nobles, les plus véritablement
inspirées de la musique russe tout entière. Il ne
faut pas s'égarer à vouloir « expliquer » ce poème
symphonique, en dépit du programme assez
abstrait qui l'accompagne. Comme toute véritable
musique, celle qui nous occupe doit être sentie
plutôt que comprise. C'est la seule substance so-
nore des thèmes, la seule conduite musicale des
développements qui importent. Qu'il y ait ou non
un substratum historique, voilà qui m'indiffère. Et
je ne tiens pas davantage à connaître tous les
détails de folklore afférents aux trois thèmes popu-
laires qui sont les éléments capitaux de l'œuvre.
La gravité volontaire du premier d'entre eux, la
franche poésie, le gracieux laisser-aller du deu-
xième et la gaité du dernier, pompeuse comme
la théorie des paysans qui, à travers les champs de
lin et de blé, s'en vont célébrer quelque fête tradi-
tionelle, enfin, l'inspiration ingénue et pleine de
vie qui met en œuvre ces thèmes, les associe, en
forme d'admirables pages d'orchestre qui fleurent
bon la terre, le vent libre, la sève qui monte : voilà
ce qu'il est précieux d'avoir senti à travers la
musique du maître russe.
Il ne me déplaît pas qu'un prélude de Messidor,
qui évoquerait de façon tout autre, mais aussi par
de belles lignes et de belles sonorités, des émotions
792
LE GUIDE MUSICAL
assez analogues, ait figuré auprès de Russia, puis-
que l'œuvre de M. Bruneau n'avait pas à redouter
un tel voisinage.
Le Prélude à V 'après-midi d'un faune (encore des
impressions de campagne, et quelles!), qui main-
tenant fait partie du répertoire classique de nos
concerts, retrouve le coutumier succès.
M. Chevillard et son orchestre nous ont donné
une exécution précise, vivante, allègre à souhait
de la symphonie en sol mineur de Mozart.
Mlle Emma Grégoire fut applaudie après un air
de Paride ed Elena de Gluck; c'est elle qui avait
aussi, présenté fort consciencieusement, les mélo-
dies de M. Gay. Enfin, deux danses hongroises de
Brahms rythmèrent l'exode des auditeurs vers le
vestiaire. M.-D. Calvocoressi.
CONCERTS EDOUARD RISLER. - L'au-
dition intégrale des sonates pour piano de Bee-
thoven a continué, les 18 et 25 novembre, je ne
dis pas avec un succès croissant pour l'interprète,
car, depuis la troisième séance, il ne peut être
dépassé, mais avec une admiration toujours gran-
dissante pour le génie du maître.
Le quatrième concert a été celui qui a excité le
plus d'enthousiasme, les œuvres figurant au pro-
gramme étant les plus connues et les plus célèbres :
la sonate en la bémol, op. 26, avec son andante
varié et sa marche funèbre , les deux sonates quasi
una fantasia, op. 27, la seconde surtout, en ut dièse
mineur, appelée le Clair de lune, qu'on voudrait
écouter seul, en égoïste, ou auprès d'un être aimé,
sans savoir d'où viennent ces harmonies divines;
enfin, la sonate en ré, op. 28, appelée, on ne sait
pourquoi, la Pastorale, d'une gai:é si heureuse et si
franche.
A la cinquième séance, les trois sonates, op. 3i,
indépendantes de forme, dégagées de toute in-
fluence, ont produit autant d'effet sur les musiciens
que sur les pianistes auditeurs. Ceux-ci, cessant
de suivre sur la partition, ont cherché dans le jeu
de l'interprète comment il s'y prenait pour exécuter
tel passage et tel trait, et ont reçu une excellente
leçon pratique. Ceux-là, indifférents aux détails du
métier, n'ont fait attention qu'à la façon de com-
prendre et de traduire la pensée du maître, à la
fougue inspirée de M. Risler (lefiiale de la sonate
en ré mineur. n° 2), à sa légèreté et sa grâce dans
l'œuvre n° 3, en mi bémol.
Quand M. de Bériot, titulaire d'une classe de
piano au Conservatoire, prit sa retraite et qu'il
s'agit de lui choisir un successeur, tout le monde
pensa à M. Risler. Sa candidature ne fut pas
agréée : on le trouvait trop jeune. Il paraît que l'âge
fait le talent et que les places se donnent à l'an-
cienneté. J, T.
— Société J.-S. Bach(2me année, Ier concert, du
mercredi soir 22 novembre iqo5, à la salle de
l'Union). — L'existence d'une telle société, le
succès d'un tel programme suffiraient à prouver
l'éveil ou plutôt le renouveau du goût musical en
France.
Ici, point de palette sonore, point dé musique
dramatique susceptibles de flatter les sens les
plus nobles : point de Wagner, ni même de Gluck ;
mais, sous la direction convaincue du fondateur,
M. Gustave Bref, un choix dans l'œuvre immense
du plus musical des maîtres musiciens, que Bee-
thoven appelait, dans ses lettres prime-sautières,
« le père de l'harmonie ».
Au premier concert de la saison, la voix alter-
nait avec la sinfonia : les deux concertos pour trois
pianos ou clavecins, le second surtout, en ré
mineur, ont transporté l'auditoire par l'intarissable
musicalité du vieux cantor et de ses interprètes,
Louis Diémer, impeccable, qui semble un con-
temporain des maîtres anciens avec sa tête blanche
et son jeu fin, si délicatement secondé par MM.
Lazare Lévy et Alfred Casella ! Le mouvement
alla siciliana, perlé par ses trois exécutants, est une
perle musicale; et toute l'Allemagne musicale
n'est-elle pas en germe dans l'inspiration technique
de ce grand primitif de l'art des sons ? Dans les
œuvres vocales, les répétitions incessantes, les
ritournelles d'orchestre et les longs airs à reprises
monotones démontrent seulement les progrès de
l'impatience humaine... Une intelligente et jeune
artiste, qui compte parmi les meilleures élèves de
Mme Colonne, Mlle Mathieu dAncy, prêtait le con-
cours de sa courageuse et jolie voix pure à la
première audition de la cantate nuptiale O Holder
Tag. Le vieil Homère emperruqué de la musique
allemande ne dédaignait point les séductions de la
vocalise italienne et l'ornement pompeux...
Mêmes observations pour la cantate sacrée,
Liûbsler Jesu, mein Verl ngen, que la libre pensée de
de Mme Edgar Quinet trouvait trop mystique à son
gré, mais qui caractérise au mieux l'attitude naïve
d'un haut artiste chrétien devant la mort, que le
pimpant Mozart appelait « la véritable amie de
l'homme ». Avec ses longs développements, cette
cantate évoque un dialogue placide et surnaturel
entre l'âme et son Bien- Aimé céleste, un nostal-
gique duo, bien traduit par Mlle Gabrielle Noiriel
et la magnifique voix de M. Jan Reder.
LE GUIDE MUSICAL
793
M. Schweitzer vous dirait mieux que moi l'im-
perdable jeunesse de cet art ancien.
Raymomd Bouyer.
— Les Matinées Danbé du théâtre de l'Ambigu
ne sont pas mortes, comme on aurait pu le
craindre, avec l'artiste éminent qui les avait fon-
dées. Elles vont reprendre, avec plus d'éclat que
jamais. Les quatre instrumentistes qui représen-
taient le quatuor de fondation de cette société,
MM. Soudant, de Bruyne, Migard et Bedetti, ont
pensé qu'il fallait viser au plus haut possible pour
remplacer Jules Danbé, et ils ont demandé à
M. Alexandre Luigini de prendre la direction ar-
tistique des concerts. Et le directeur de la musique
de notre Opéra-Comique, toujours empressé quand
il s'agit de travailler pour l*art, a bien voulu,
M. Albert Carré y donnant d'ailleurs les mains,
accepter la proposition des solistes si distingués
de son orchestre.
On sait que les séances ont lieu tous les mer-
credis, à 4 heures et demie, à un prix infime (le
maximum est 2 francs), et qu'elles comportent
toujours des morceaux de chant interprétés par
nos premiers artistes. C'est ainsi que la première,
qui est fixée au i3 décembre, nous fera entendre
Mme Marguerite Carré et Lucien Fugère. Ces ma-
tinées prendront désormais le titre de. « Matinées
musicales et populaires », et populaires elles sont
bien en effet, dans le bon sens du mot, dans celui
qu'avait jadis inauguré Pasdeloup.
— Le troisième concert Clémandh, au théâtre
Molière, m'a paru un peu moins intéressant que
les précédents, et le programme n'en était pas
aussi heureusement composé que les autres fois.
On nous a offert, en première audition, un poème
symphonique de M. E. Cools, La Mort de Chénier,
où l'auteur, avec plus de science que d'inspiration,
court péniblement après ses idées, et dont les lon-
gueurs traduisent singulièrement l'atroce et expé-
ditif coup de couperet de la place de la Concorde.
Les jolies choses à noter sont les Scènes poétiques de
Godard, surtout la franche inspiration : Sur la
montagne, et des Chansons à danse/ de M. Bruneau,
avec vers de M. Catulle Mendès (le menuet, la
gavotte, la bourrée, la pavane, la sarabande et le
passe-pied), très fins pastiches où la grâce se
marie au sentiment (voir surtout la pavane). Si la
chanteuse, Mme Max Soulier, prononçait plus net-
tement, je pourrais apprécier aussi la poésie de
M. Mendès. M. Droegmans, violoncelliste, a fait
preuve d'expression et de bonne sonorité dans une
Elégie de M. G. Faute, et le violoniste M. Schnei-
der a rendu avec un succès mérité le solo du
prélude du Déluge et une polonaise de Wieniawski.
Toujours bonne exécution de l'orchestre dans les
Scènes poé'iques, l'ouverture de Béatrice et Bénédict de
Berlioz, le Prélude symphonique de M. A. Gresse,
réentendu avec plaisir, le prélude du Déluge, la
Marche hongroise, qu'on a fait bisser. J. G.
— Le deuxième concert de Mlle Elisabeth Dél-
iiez, donné le 22 novembre à la salle Pleyel, n'a
pas été moins brillant que le premier. Cantatrice
sûre de sa voix, excellente musicienne, polyglotte
(elle chante aussi bien en allemand et en italien
qu'en français), éclectique dans la composition de
son programme, mais aussi très sévère dans le
choix des œuvres, elle a tout ce qu'il faut pour
plaire, et elle a plu beaucoup une seconde fois.
Quand on peut chanter la cantate de la Pentecôte,
de Bach, la monotone mélodie Im Treibhaus (Dans
la serre), de Wagner, l'air « Non so piu » des Noces
de Figaro, et une douzaine de mélodies des musi-
ciens contemporains si différentes de style et si
malaisées à bien interpréter, on prouve la sou-
plesse de son talent, la solidité de sa voix et l'avan-
tage d'une bonne méthode.
Ces éloges seraient incomplets si je ne félicitais
Mlle Delhez d'avoir obtenu le concours de M. Fran-
çois Dressen.
Les virtuoses du violoncelle ne manquent pas
de nos jours ; il s'en rencontre de très forts sur leur
instrument, mais ils ne sont pas tous des artistes.
Lever au ciel un œil de carpe pâmée, prendre des
airs d'extase, tirer de la corde des notes trémolan-
tes et des dames des larmes feintes en bébêtes, agi-
ter fébrilement un archet, ce n'est pas faire preuve
d'artiste. L'artiste est celui qui joue avec simpli-
cité, n'exagère jamais l'expression, s'applique à
donner des sons purs et justes, ne précipite pas le
mouvement, comme on le fait si souvent pour
cacher la faiblesse de sa virtuosité, ne le ralentit
pas davantage dans l'horreur qu'il a des effets
faciles.
M. Dressen est un artiste dans la noble acception
du mot. Délicieusement accompagné au piano par
Mme Buisson, il a joué VElégie de Gabriel Fauré et
le Cygne de Saint-Saëns, deux pages qu'il était
digne d'interpréter. Son succès a été « colossal »,
épithète chère au musiciens allemands, et je m'en
suis doublement réjoui : d'abord, il était la récom-
pense due à un maître du violoncelle; ensuite, il
prouvait que le public est reconnaissant à l'ar-
tiste qui l'estime assez pour tenter de l'élever jus-
qu'à lui. J- T.
79+
LE GUIDE MUSICAL
— Au deuxième concert de la Société philhar-
monique, débuts d'un Quatuor vocal formé de
Mme» Faliero-Dalcroze et Maria Gay, MM. R. Pla-
mondon et Frôhlich, soit quatre artistes de la
bonne sorte, à qui il ne manque que l'habitude de
chanter ensemble pour nous offrir des exécutions
parfaites. Celles de l'autre soir, étaient d'ailleurs
bien loin de mériter des critiques. Un chœur, 0
vos onincs, de Morales, fut notamment chanté de
façon à provoquer un bis mérité par les interprè-
tes autant que par l'œuvre.
C'est un admirable musicien que ce Morales
(i497-i553), dont M. Pedrell le premier republia
les œuvres, tandis que l'honneur de les avoir intro-
duites de nos jours en France revient, si je ne me
trompe, aux Chanteurs de Saint-Gervais. Et il y
a lieu de féliciter chaudement le nouveau quatuor
de nous avoir fait entendre cette page d'un des
vieux maîtres de cette école espagnole que l'état
actuel de la science musicale nous enseigne à con-
sidérer comme une des plus anciennes d'Europe.
Comme instrumentistes, nous avons entendu le
Trio de Meiningen, dont le jeu est sage, mesuré,
pas très passionnant, et qui exécuta le trio,
op. 114 de Brahms et le trio op. n de Beethoven.
M. Richard Mùhlfeld joua les Fantasiestûcke pour
clarinette de Schumann avec beaucoup de poésie.
M.-D. C.
— Jeudi dernier, rue d'Athènes, a eu lieu le
troisième concert des Soirées d'art, avec le con-
cours de Mlle Jeanne Leclerc, qui a chanté déli-
cieusement le Mariage des roses de César Franck, le
Noyer de Schumann et l'air de Suzanne des Noces
de Figaro. M. Lazare Lévy a joué avec goût la
sonate en la bémol de Beethoven.
Le Quatuor Capet a continué le cycle des qua-
tuors de Beethoven (cinquième et sixième qua-
tuors). Ces exécutions furent d'une sûreté et d'une
précision absolues, bien que d'une sonorité
moyenne et encore que quelques mouvements aient
été pris plutôt un peu vifs. Le scherzo du sixième,
avec son rythme contrarié et syncopé, a été rendu
supérieurement et a valu tout spécialement un
rappel mérité aux excellents artistes que sont
MM. Capet, Tourret, Bailly et Hasselmans.
Ch. C.
— M. Léon Moreau est un de nos bons pianistes.
C'est avec plaisir que nous l'avons entendu l'autre
soir, rue d'Athènes, dans un concert consacré en
partie à ses compositions. Ces œuvres de piano et
de chant sont intéressantes. On a surtout applaudi
une mélodie, Cdlinerie, que M. Cossira a détaillée
de façon charmante, et une Chanson dansée, pour
piano.
Mme Charlotte Lormont — que nous espérons
entendre encore bientôt aux concerts Lamou-
reux — a eu un beau succès dans plusieurs airs
anciens qu'elle a chantés avec son style, son sens
artistique et son charme habituels, et dans deux
mélodies de M. Léon Moreau. F. G.
— Dimanche, au concert Le Rey, bonne exé-
cution du deuxième concerto pour piano et or-
chestre de Th. Dubois, par Mlle Céliny Richez,
ainsi que de la symphonie en ré de Haydn.
— MM. Isola frères adressent au ministre de
l'instruction publique et des beaux-arts et com-
muniquent individuellement à tous les membres
de la presse une demande de concession du pri-
vilège de l'Opéra, à l'expiration de celui dont jouit
M. Gailhard. Voici les points essentiels de leurs
offres, le cahier des charges étant d'ailleurs inté-
gralement accepté :
1. Au point de vue artistique, il se sont assuré
« la collaboration de personnalités dont la compé-
tence musicale et scénique est universellement
reconnue ». Outre les encouragements qu'ils pro-
digueront aux auteurs nationaux, ils créeront
quatre concours internationaux, et quatre prix de
5o,ooo francs. Enfin, ils s'engageront à monter
annuellement un ouvrage de plus que ne comporte
le nombre fixé au cahier des charges.
2. Au point de vue matériel, ils feront une ré-
fection complète des décors, costumes et acces-
soires.
3. Au point de vue de l'exploitation, ils ouvri-
ront l'Opéra tous les jours, du Ier octobre au ier mai,
les dimanches étant réservés à des soirées à
demi- tarif, et les mardis et jeudis à de grands
concerts dirigés par les chefs d'orchestre du monde
entier.
4. Leur garantie est un capital de 3 millions
800,000 francs.
5. Ils s'engageront à édifier à Paris un ihéâlre
populaire de quatre mille places, dont le prix varie-
rait de 5o centimes à 2 francs, où les représenta-
tions seraient lyriques et dramatiques et qui
permettrait aux jeunes artistes de l'Opéra de per-
fectionner leur talent, comme aux jeunes auteurs
de révéler leur valeur.
LE GUÏDÈ MUSICAL
795
BRUXELLES
THEATRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
En attendant le Chérubin de M. Massenet, dont
les répétitions d'ensemble et de mise en scène se
poursuivent activement, la Monnaie continue de
faire des salles combles avec VArmide de Gluck,
dont le succès va croissant.
On a repris cette semaine Lohengrin avec Mme
Laffitte et MM. Dalmorès et Albers, dans les rôles
d'Eisa, du chevalier au cygne et de Frédéric, dans
lesquels ils avaient déjà paru non sans mérites,
précédemment. Deux interprètes nouveaux à signa-
ler : Mme Bressler-Gianoli dans Ortrude, et
M. Paty dans le Roi. Les deux excellents artistes
ont contribué au bel ensemble de l'exécution. Le
quintette du premier acte a été particulièrement
bien chanté. Les chœurs ont été parfaits au deu-
xième acte. En somme, bonne reprise. Remarqué
un nouveau décor, représentant enfin d'une façon
exacte les rives de l'Escaut, que l'on s'obstine
dans beaucoup de villes, en France aussi bien
qu'en Allemagne, à représenter dans un paysage
de rochers.
On prépare des reprises de Werther et de Mireille.
Ce dernier ouvrage avec Mlles Korsoff (Mireille) et
Bourgeois (Taven), M M. David (Vincent), Bourbon
(Ourrias) et D'Assy (le Père), passera mardi.
— Dimanche dernier a eu lieu, au Palais des
Académies, la séance publique annuelle de la
Classe des Beaux-Arts, comportant le discours
traditionnel, la proclamation des résultats des
concours du Gouvernement et de la Classe et
l'exécution de la cantate de M. Delune, le premier
prix de Rome de cette année.
Le discours a été prononcé par M. Gevaert,
directeur de la Classe et président de l'Académie.
On lira d'autre part le texte de ces commentaires
pénétrants d'une des parties les plus délicates de
la pratique musicale, l'interprétation, — notamment
sur la question si controversée de l'opportunité
d'une exactitude textuelle dans l'interprétation des
ouvrages antérieurs au xixe siècle. Le discours de
M. Gevaert, articulé par l'auteur de manière à
être compris de tous les points de la salle, a été
écouté religieusement et vivement applaudi.
Le texte de la cantate a été rimé par M. Eug.
Landoy d'après la célèbre chanson française du
Roi Renaud, également populaire dans notre Wal-
lonie. Le sujet, qui vaut surtout par la dramatique
gradation des interrogations de la jeune reine,
découvrant peu à peu la funeste nouvelle qu'on lui
veut celer, se prête assez mal à une mise en action.
Mais M. Landoy s'est très habilement tiré de sa
tâche ; nous lui reprocherions tout au plus d'avoir
trop énergiquement accusé la figure dolente du
roi, à peine indiquée dans la ballade, et que le
« Ménestrel » montre ici poursuivant conquête et
butin (1).
L'audition de la cantate de M. Delune a ren-
forcé chez nous cette impression antérieure que
l'artiste recèle un homme de théâtre plutôt encore
qu'un symphoniste — et à cet égard l'opéra auquel
il travaille, sur un livret extrait de Comme va le
ruisseau, de Camille Lemonnier, nous promet peut-
être une surprise. Sa cantate révèle un sens peu
commun des effets, des oppositions, des grada-
tions ménagés par les situations lyriques. Au
point de vue métier, M. Delune a déjà fait ses
preuves, notamment comme bon manieur de
timbres (notons cependant une tendance à abuser
du hautbois et du cor anglais). Et pas de rémi-
niscences : si Wagner « regarde parfois », comme
disent les Allemands, dans sa partition, comme
dans presque toutes celles d'aujourd'hui, c'est avec
discrétion. La qualité dominante de M. Delune est
une force d'impulsion, un élan juvénile rarement
rencontrés : signalons par exemple, à ce point de
vue, la vigoureuse envolée du premier morceau,
contrastant heureusement avec la sombre lourdeur
du prélude. Le même accent vigoureux se retrouve
dans la ballade qui suit (le Ménestrel), construite
sur un accord de seconde d'allure très héroïque.
•Dans un autre ordre d'idées, signalons la chanson
de Béatrice (la reine), avec quatuor en sourdine,
harpe et flûte, à laquelle un mélange d'accords de
septièmes avec tierces majeures et mineures donne
(1) C'était peut-être le moment de se servir d'une
hypothèse, susceptible de développements très poé-
tiques, suggérée par Gaston Paris au sujet de l'origine
probablement Scandinave de la chanson du Roi Renaud.
Nous l'avons déjà citée ici; qu'on nous permette de la
rappeler. Dans cette hypothèse, le héros se meurt, non
d'un coup d'épée, mais pour avoir dansé avec les Elfes
rencontrés la nuit dans la forêt (croyance Scandinave
partagée, au sujet des Korrigans, par les Bretons, qui
tiendraient directement du .Nord leur variante du Roi
Renaud, le Comte Nanri). G. Paris s'appuie notamment
sur ce fait que certaines variantes (dont précisément la
wallonne) montrent le roi revenant, non « blessé »,
mais seulement « triste et chagrin », ce qui serait
un souvenir lointain de la version primitive, le ca-
valier défaillant déjà sous les premières atteintes
d'une mort mystérieuse. Dans d'autres variantes, à la
vérité les plus nombreuses, il s'en revient blessé à mort
d'un coup d'épée; d'où ce début d'un réalisme si tra-
gique :
Le roi Renaud de guerre vint,
Portant ses tripes dans sa main.
LE GUIDE MUSICAL
quelque chose de vague, une imprécision du plus
gracieux effet. Les parties dramatiques, nous
l'avons dit, sont très habilement traitées et les
chœurs sont très « sonnants ». Le thème célèbre
de la chanson du Roi Renaud (imprimé en tête du
programme, avec une coquille qui lui conférait un
chromatisme inattendu) revient deux fois dans la
partition, mais pas fort heureusement présentée,
nous semble-t-il : au début, dans une tessiture trop
grave ; avant la scène V, sur une « basse » peut-
être peu appropriée.
La cantate de M. Delune, vivement applaudie,
a été très soigneusement interprétée, sous la direc-
tion de l'auteur, par M. Swolfs (Reynaudj, Mlle
Seroen (Béatrice, sa femme), M"'e Hess (Gene-
viève, mère de Béatrice), M. Vandergoten (le
Ménestrel) et les chœurs du Choral mixte.
E. C.
— Le Cercle artistique nous communique le
programme des soirées musicales et littéraires
qu'il offrira cet hiver à ses membres :
Décembre. — Liéder-Abend : Mmo Lula Mysz-
Gmeiner.
Audition de chants populaires et cramignons
liégeois, avec le concours de A4me Simony, canta-
trice, et sous la direction de MM. Alb. Dupuis et
Ch. Radoux.
Conférence de M. Charles Tardieu, membre de
l'Académie royale de Belgique.
Janvier. — Audition du Trio Mark Hambourg.
Festival Mozart, à l'occasion du cent-cinquan-
tième anniversaire de la naissance du maître. :
i° Concert symphonique; 2° Soirée de musique
de chambre ; 3° Représentation au théâtre de la
Monnaie : Les Noces de Figaro, opéra en quatre
actes. La mise en scène sera réglée par M. le pro-
fesseur A. Fuchs, du Théâtre royal de Munich.
L'ensemble du festival est placé sous la direction
du Generalmusikdirector Fritz Steinbach, direc-
teur du Conservatoire de Cologne, avec le con-
cours du Quatuor de Cologne, de Mme Kleeberg-
Samuel (pianiste), de M. Eldering (violoniste), de
M. Muhlfeld (clarinettiste) de Meiningen, de
M. Guillaume Guidé (hautboïste), professeur au
Conservatoire de Bruxelles, de M. Crickboom
(violoniste) et de M. Léon Vanhout (alto), profes
seur au Conservatoire de Bruxelles.
Conférences de M. Homolle, membre de l'Insti-
tut, directeur des Musées nationaux de France, et
de M. Dufour, professeur à l'Université de Lille.
Février. — Conférence de M. Maurice Kuffe-
rath, avec le concours de Mlle Wybauw, canta-
trice.
Audition d'œuvres de compositeurs belges :
J. Jongen, H. Merck, A. De Greef, F. Rasse,
M. Lunssens, P. Gilson, E. Mathieu, L. Dubois,
E. Tinel, G. Huberti, E. Michotte, donnée par
Mlle Jeanne Latinis, professeur de chant, accom-
pagnée par les auteurs.
Concert symphonique dirigé par M. Théo
Ysaye, avec le concours de M. Eugène Ysaye.
Conférences de MM. Maubel et Gabriel Mourey.
Mars. — Audition d'œuvres de Gabriel Fauré,
directeur du Conservatoire de Paris, donnée sous
la direction de l'auteur, avec le concours de
M. Eugène Ysaye; première exécution du quintette
pour instruments à cordes et piano.
Audition du Quatuor Rosé, de Vienne.
Conférences de MM. Victor Margueritte, Henri
Carton de Wiart, Valère Gille, Lefebure, Daxhe-
let, Verhaeren, Paul Spaak et Joly.
— Rappelons que c'est aujourd'hui, à la Mon-
naie, le deuxième concert populaire, avec le con-
cours de Mlle Stefi Geyer et, au programme, la Mer
de Debussy.
— Pour rappel, jeudi 7 décembre, à 8 h. 1/2 du
soir, à la Grande Harmonie, récital donné par
Mme Clotilde Kleeberg-Samuel.
— Vendredi 8 décembre, à 8 1/2 heures, à la
salle de la Grande Harmonie, première séance de
musique de chambre organisée avec le concours
Mmes d. Demest, G. Zimmer, cantatrices, MM.
Demest, Eugène Ysaye, Théo Ysaye, E. Deru,
L. Van Hout, M. Loevensohn.
Pour les cartes, s'adresser à M VI. Breitkopf et
Hsertel, éditeurs, Montagne de la Cour, 45.
— Dimanche 10 décembre, à 2 heures, au théâtre
de l'Alhambra, troisième concert d'abonnement
des Concerts Ysaye, avec le concours de M. J.
Thibaut, violoniste.
Samedi 9 décembre, à 2 1/2 heures, au même
théâtre, répétition générale.
— Pour rappel, mardi prochain, 5 décembre, à
la salle des fêtes de la rue Gallait.concert organisé
par l'Ecole de musique de Saint-Josse-Schaerbeek
au profit du comité schaerbeekois de la Croix
rouge, avec le concours de M. Eugène Ysaye,
violoniste.
Des cartes sont en vente chez les éditeurs de
musique.
— Erratum. —Dans l'article de M. Closson, La
Facture des Instruments de musique en Belgique, n° 48,
p. 766, col. 2, 1. 3o, au lieu de : 1728, lire : 1428.
LE GUIDÉ MUSICAL
W
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Jeudi dernier a eu lieu, au
Théâtre royal, la première de Chérubin, la
comédie chantée de M. Francis de Croisset, mise
en musique par M. Massenet. L'œuvre a été favo-
rablement accueillie. Spirituelle et délicate comme
un Watteau, elle est toute en teintes pastellisées
et discrètes.
Grâce à la bonne interprétation de l'œuvre
et aux soins dont fut entourée sa mise en scène
(Dubosq a peint pour les deuxième et troisième
actes de superbes décors, lumineux et chatoyants).
Chérubin a conquis les faveurs du public anversois.
Mme Daffetye a joué et chanté adorablement le
rôle principal, et Mme César, Mlle Van Dyck et
M. Bruinen ont tenu avec mérite les rôles de
premier plan.
L'orchestre, sous la direction minutieuse de
M. de la Fuente, a été excellent.
Lundi, concert populaire. Très belle soirée, au
cours de laquelle nous avons entendu la sympho-
nie n° 4 de Dvorak, œuvre pittoresque, assez
inégale, et cette prestigieuse « Fête dans le Temple
de Jupiter » du Polyeucte de Tinel.
Au même concert, l'excellent violoniste. M.
Chaumont s'est fait entendre dans le premier
concerto de Max Bruch et dans la Havanaise de
Saint-Saëns, et M. Van Kempen, un ténor hollan-
dais à la voix généreuse, a détaillé avec goût des
Lieder de Schubert, de Richard Strauss, de Frans
Lenaerts et de Gounod. Ils ont été tous deux fort
applaudis. Le io8me concert aura lieu le 29 janvier
1906, avec le concours de M. Arthur De Greef.
G. Peellaert.
— Mercredi 6 décembre, à 8 1/2 heures du soir,
à la Société royale de Zoologie, concert avec le
concours de M. Alex. Paepen, organiste à la
cathédrale d'Anvers. Programme : 1, Fidelio, ouver-
ture, L. Van Beethoven; 2. a/ Sonate en ut pour
orgue, F. Mendelssohn, b/ Fugue en sol,]. -S. Bach;
3. Symphonie en ut mineur, Cam. Saint-Saëns;
4. a/ Allegretto, Aug. De Boeck, b/ Cantilène,Théod.
Du Bois, c/ Méditation pour orgue, harpe et vio-
lon, E. Missa; 5. Rapsodie, Ed. Lalo.
BORDEAUX. — La Société de Sainte-Cécile
a célébré sa fête patronale et inauguré sa
saison de concerts par une messe bien panachée :
Kyrie, Gloria, Âgnus de la messe en ut de Mozart,
interprétés avec une netteté parfois un peu brève
et sèche et par des chœurs moins sonores que
l'orchestre ; Psaume de Marcello : Cœli enarrant ;
Sanctus, bien connu, de Beethoven, mais chanté
par M. Sylvain; O Salutaris, bien inutile, de M. Th.
Dubois et que le ténor Gauthier a transformé de
musique banale en musique vulgaire; enfin, Marche
du couronnement de M. Saint-Saëns, magistralement
exécutée par l'orchestre sous la direction de
M. Pennequin.
Le comité annonce, comme œuvres modernes :
Symphonie inachevée de Schumann, symphonie
en «^mineur de M. Saint-Saëns; seconde sympho-
nie de Brahms; seconde symphonie d'Indy; sym-
phonie de Dukas ou de Magnard. Avec les chœurs :
La Demoiselle élue, Psyché, le Feu céleste de M. Saint-
Saëns, et « peut-être » la Croisade des enfants, de
G. Pierné.
Solistes engagés : Mme Kleeberg-Samuel, MM.
Francis Planté, Lazare Lévy, A. Géloso, Capet,
Liégeois, Hekking. A. L.
A HAYE. — L'exécution de la Croisade des
enfants de Gabriel Pierné par l'Oratorium
Verein d'Amsterdam, sous la direction du composi-
teur, a provoqué un réel enthousiasme. Elle mérite
d'ailleurs, sous tous les rapports, les plus sincères
éloges. M. Pierné, très sensible aux acclamations
dont il a été l'objet, a promis d'écrire une nouvelle
œuvre pour l'Oratorium Verein. Celle-ci sera
exécutée l'hiver prochain.
A La Haye, pour l'inauguration de. la nouvelle
salle de concerts et de théâtre du Gebouw voor
Kunsten en Wetenschappen, M. Henri Viotta a
donné sa première matinée symphonique avec le
Residentie-Orkest et le concours du ténor wagné-
rien M. Karl Burrian, de Dresde. A l'exception de
l'ouverture « Zur Weihe des Hauses » de Bee-
thoven, tout le programme était consacré aux
œuvres de Wagner. C'est ainsi que l'orchestre a
exécuté d'une façon magistrale le prélude du
3me acte de Tannhàuser, le prologue symphonique
de Tristan et I solde et l'ouverture des Maîtres Chan-
teurs, et que M. Burrian a chanté de sa voix su-
perbe le Pèlerinage de Tannhàuser, le Liebeslicd de
Siegmund de la Walkyrie et le Preisled des Maîtres
Chanteurs.
Le Quatuor vocal de Francfort, composé de
Mmes Anna Kappel et Aschaffenburg et MM. Willy
Schmidt et Thomas Denys, a donné à La Haye
deux auditions de quatuors a cappella avec piano,
qui ont été fort applaudies.
A l'Opéra royal français, bonne reprise du
Prophète; incessamment, reprise de Mcssaline de
Lara avec Mme Dalcia dans le rôle principal.
L'Opéra italien d'Amsterdam a donné une pre-
mière représentation de La Tosca de Puccini, avec
le ténor Isalberti, qui a été remarquable.
Ed. de H.
Ï9S
LE GUIDE MUSICAL
IYON. — Première représentation, en
_J France, à7 Armor, drame lyrique en trois
actes, poème de E. Jaubert, musique de Sylvio
Lazzari.
M. Sylvio Lazzari, qu'on ne saurait pourtant
compter parmi les compositeurs mal favorisés de
la fortune, a attendu onze ans la création en
France de sa première œuvre dramatique : Armor.
Après les exécutions sur diverses scènes alle-
mandes, notamment à Prague, on conçoit l'impa-
tience avec laquelle la création d' Armor, précédant
de peu sans doute celle de Y Ensorcelée à l'Opéra-
Comique, était désirée à Lyon. L'œuvre a été
accueillie avec un enthousiasme raisonnable, et
l'on ne saurait demander mieux à l'esprit français
décidément rebelle, pri° en général, aux abstrac-
tions peu dramatiques et sensiblement monotones
qui inspirent trop uniformément les librettistes.
M. Jaubert a tiré son poème du cycle breton et
des innombrables légendes de la Table ronde. Jolie
légende, certes, que celle d' Armor, et je ne sais trop
comment l'auteur a pu en tirer un texte aussi fai-
ble; je préfère passer sans insister sur cette partie
de l'œuvre, car Lazzari a su édifier avec des don-
nées souvent ternes ou gênantes une partition forte
et saisissant.
Armor, le pieux chevalier, vient de l'île des Kor-
riganes conquérir la couronne que le roi Arthur
confia jadis à la garde des vierges guerrières.
Ked, leur reine, veut faire périr l'audacieux ; mais,
dans le combat, la visière d' Armor se lève et la
fée insensible reste stupéfaite devant la virile
beauté qui pour la première fois trouble son cœur.
Elle offre la couronne à l'élu et tous deux s'aime-
ront d'un amour sans fin. Elle se heurte au vœu
terrible de chasteté, qui lie le pur héros ; ne pou-
vant le séduire, elle jette dans la mer la couronne
qu'il allait enfin posséder. Armor va se précipiter
dans les flots pour retrouver l'emblème sacré, lors-
que, chevauchant sur l'écume des vagues, Arthur,
entouré de ses preux, vient sacrer lui-même son
successeur; mais il lui fait jurer de rester chaste
jusqu'à sa mort, puis il le prend en croupe sur son
coursier magique et l'enlève aux yeux de Ked
désespérée qui le poursuit, de son amour farouche.
Au deuxième acte Armor de retour en Bretagne,
s'exaltée à la pensée de son orgueil satisfait, mais le
souvenir de Ked l'obsède. Mais voici que la reine
des Korriganes paraît et tombe en ses bras ; le
héros résiste à ses séductions. Ked, irritée et
furieuse, se frappe d'un poignard. Armor, vaincu,
jette son manteau, sa couronne, se penche sur la
reine mourante et la supplie de vivre pour l'aimer,
Ked, à ses cris passionnés, s'éveille, un long baiser
les unit pour la première fois. Sourds au Courroux
céleste, ils n'entendent pas la tempête qui se
déchaîne; parmi le fracas effrayant du tonnerre, la
mer se soulève et submerge le palais, qui s'écroule
dans la nuit funèbre.
Le troisième acte nous ramène dans l'île sacrée
des Korriganes ; les amants, sauvés par miracle, se
retrouvent, mais Armor, tourmenté par le repentir,
ne songe plus qu'à expier et il cherche à faire naî-
tre le remords dans l'âme de Ked, sourde à ses
prières. Arthur vient une seconde fois sur les flots
lui apporter son pardon et adjurer Ked de céder à
l'ordre divin. Sur son refus il prononce la sentence:
« Le père cède au juge.» « Le juge cède au père ! »
reprend une voix d'en haut; « il sera beaucoup par-
donné à ceux qui auront beaucoup aimé. » Les
deux amants, ravis dans une extase ^infinie, s'élèvent
vers le ciel, tandis que les chœurs séraphiques
chantent « Hosannah ! ».
Tel est le poème dont M. Lazzari a su tirer des
pages symphoniques remarquables ; l'inspiration
en est wagnérienne du fait que l'auteur édifie son
action musicale sur une vingtaine de Leitmoliven
descriptifs ou symboliques qu'il traite avec un sens
parfait des ressources orchestrales. Ces thèmes se
combinent le plus souvent, quoi qu'on en ait dit,
par juxtaposition ou opposition ; de là une limpi-
dité dans la texture générale très différente du
développement wagnérien, où les thèmes s'enche-
vêtrent à l'infini pour donner en profondeur une
orchestration touffue. Dans Armor, l'impres-
sion est plutôt éclatante; les thèmes sont pris
individuellement, réduits ou enrichis, développés
dans toute leur compréhension; ils se heurtent en
saillies pittoresques et fort dramatiques avec un art
très personnel qu'on dénaturerait inutilement par
des comparaisons trop poussées. M. Lazzari ne
juxtapose pas ses thèmes en schèmes descriptifs
ou symboliques, alphabétiques en quelque sorte
et ne formant un développement régulier qu'au
moyen de liaisons épisodiques; ces thèmes vien-
nent s'enchâsser tout naturellement et sans effort
dans un ensemble parfaitement homogène.
Dans l'orchestration même, M. Lazzari procède
aussi par plans successifs, mais il ne voit que des
tableaux d'ensemble où les teintes instrumentales
se fondent en combinaisons ingénieuses sans pré-
senter, à mon sens, de valeur individuelle précise.
Ce procédé est d'ailleurs commun à toutes les
œuvres symphoniques de M. Lazzari qui nous
contait même, à propos de « l'effat de nuit », un
fait curieux : à la première lecture, le chef d'or-
chestre crut avoir distribué aux instrumentistes
des parties d'œuvres différentes, tant les individua-
LE GUIDE MUSICAL
799
lités, n'ayant pas encore reçu leur valeur exacte
dans l'ensemble, paraissaient bizarrement traitées.
Pour cette création à Lyon, Armor a trouvé des
interprètes dont M. Lazzari a su apprécier le
mérite. Avant tout, il faut louer l'orchestre, qui
s'est montré parfait de fougue et de discrétion tour
à tour. Mlle Janssen et M. Verdier ont puissam-
ment senti et fait sentir les rôles si chargés d' Armor
et de Ked. MM. Dangès, Lafont et même les inter-
prètes de rôles secondaires ont vaillamment sou-
tenu l'effort des protagonistes. Les chœurs, malgré
des difficultés réelles, ont été satisfaisants, et la
mise en scène qui ne pouvait évidemment rendre
à la perfection les effets grandioses exigés par le
poème, a été du moins soignée.
J'aurais voulu, dans cette trop courte analyse,
expliquer avant tout le succès de M. Lazzari dans
une œuvre où la partie musicale avait tani de périls
à braver, nous l'avons vu; la maîtrise avec
laquelle l'auteur s'en est tiré nous fait prévoir
pour l'avenir des heures glorieuses. G. D.
TOULOUSE. — La Société des Concerts
du Conservatoire, sous la direction de
M. Crocé-Spinelli, a inauguré samedi dernier sa
quatrième année d'existence avec un programme
des plus attrayant. Il contenait la Symphonie fan-
tastique de Berlioz, remarquablement interprétée ;
la suite d'orchestre de M. Gabriel Fauré pour la
musique de scène pour Peïïéas et Mélisande, dont
l'exécution toute ciselée fut applaudie très chau-
dement par le public, et enfin la toujours jeune
ouverture d'Euryanihe, que M. Crocé-Spinelli diri-
geait avec une incontestable autorité. Voilà pour
la partie purement symphonique. Le virtuose du
jour était M. Albert Géloso, le violoniste au
mécanisme agile et souple, à l'archet large, dont
la jolie qualité de son et le style sobre se faisaient
apprécier dans le concerto en la majeur de Saint-
Saëns, puis aussi dans une fantaisie sur un thème
arabe, puis encore dans le Caprice slave de son frère
M. César Géloso. Dans cette dernière pièce,
M. Albert Géloso vit son succès s'accroître dans
un excellent rendu de passages en sons harmo-
niques d'une impeccable justesse. L'air d'Alceste,
de Gluck (Divinités du Styx), classiquement
chanté, et le Clair de lune de M. Koechlin, déli-
cieux petit poème d'un compositeur d'avenir,
valurent à Mlle Lassara, forte chanteuse falcon
du théâtre du Capitole, les suffrages d'un audi-
toire aussi sélect que nombreux.
Au théâtre du Capitole, la fièvre des débuts
n'aura pas cette année de longue durée, puisque, à
l'heure où paraîtront ces lignes, tous les artistes
auront terminé leurs épreuves. Il va sans dire que,
dès les premières soirées, nous avons eu à subir
les pièces du répertoire courant : La Juive, Les
Huguenots, Lakmé, etc. ; mais cela n'a été que passa-
ger, car huit jours après l'ouverture, Sigurd, Hérc
diade, La Vie de Bohème de Puccini et Samson et Dalila
nous étaient offerts dans de très bonnes conditions.
On annonce pour la semaine prochaine une reprise
de Werther, et pour la fin du mois, la création à
Toulouse de l'Etranger, de M. Vincent d'Indy,
lequel sera accompagné du Passant, de Paladilhe.
Puis viendront le Jongleur de Notre-Dame et Amarylis,
conte mythologique dont la musique a été éciite
par M. André Gailhard, fils du directeur de l'Aca-
démie nationale de musique. Omer Guiraud.
NOUVELLES
L'Opéra royal de Berlin a donné une importante
solennité musicale. Léonore, l'unique drame musical
de Beethoven, dont M. de Curzon rappelait ces
jours-ci, ici même, l'histoire mouvementée, y a été
joué d'après la partition originale, tel qu'il fut
représenté pour la première fois le 20 septem-
bre i8o5 au théâtre An der Wien, de Vienne, au
lendemain même de l'entrée des Français dans la
capitale autrichienne.
La pièce originale de Beethoven, reconstituée
grâce aux patientes et savantes recherches du
docteur Prieger, de Bonn, comprend trois actes.
On sait que la deuxième version de Léonore,
avec le titre de Fidelio, n'en compte que deux.
Léonore ressuscite toute une série de pages ma-
gistrales de Beethoven qui étaient perdues pour
l'art musical. Le docteur Prieger a mérité lar-
gement la reconnaissance de tous les fervents du
plus génial des compositeurs allemands en lui
faisant revoir le jour.
L'Opéra de Berlin a mis tous ses soins à se
montrer digne de cette reconstitution ; les meilleurs
artistes de sa troupe ont assuré les rôles de la
précieuse partition.
— On a donné au théâtre Dal Verme,de Milan,
le 12 novembre, avec succès, la représentation d'un
opéra en trois actes, Giovanni Gallurese, qui est le
début à la scène d'un jeune compositeur, M. Mon-
temezzi, et auquel le public a fait un accueil
sympathique.
— On a représenté le 14 novembre dernier, au
théâtre de la Cour à Weimar, Les Chants d'Euripide,
Soo
LE GUIDE MUSICAL
le nouveau drame en trois actes de M. Ernest de
Wildenbruch. Une partition musicale développée
a été écrite pour cet ouvrage par M. Max Vogrich.
Elle comprend des chœurs de guerriers, de mate-
lots, de pasteurs, de buveurs, et plusieurs mor-
ceaux de musique instrumentale, sur certains
desquels se déclament les paroles du drame.
L'œuvre a obtenu du succès.
— La direction du théâtre de la Scala, à Milan,
vient de nous communiquer le programme des
nouveautés qui se donneront durant la saison igo5-
1906 : La Dame de pique, opéra romantique de
Puschkin et de Tschaïkowski ; La Fille de Jorio, tra-
gédie pastorale en trois actes, de Gabriele D'An-
nunzio, musique de Franchetti ; La Résurrection,
drame musical en quatre actes de Tolstoï, musique
de Frank Alfano ; Loreley, de Catalini ; Fra Diavolo,
d'Auber; La Traviata, de Verdi; Roméo et Julieite,
de Gounod.
Parmi les ballets, citons Le Sport, de Manzotti,
musique de Romualdo Marenco ; Napoli, de Gio-
vanni Pratesi, musique du maestro Bing.
Voici le tableau de la troupe :
Soprani : Mmes Rosina Storchio, Angelica Pan-
dlofini, Guiseppina Piccoletti, Adèle d'Albert, Ma-
tilde Bruschini.
Mezzo-soprani : Mmes Teresina Ferraris, Eleo-
nore de Cisneros, Maria Bastia-Pagnoni, Marcella
Giussani.
Ténors : Lecnida Sobinoff, Giovanni Zenetello,
Piero Schiavazzie, Guiseppe Salva, Emilio Ventu-
rini, Umberto Maenez.
Barytons : Eugenio Giraldoni, Riccardo Strac-
ciari, Antonio Pini Corsi.
Basses : Adamo Didur, Mansueto Gaudio, Cos-
tantino Thos, Libero Ottoboni.
Chefs d'orchestre : MM. Cleofonte Campanini,
Sormani et Romei.
Maître des chœurs : M. Venturi.
Premières danseuses : Mlles Cecilia Cerri et Anna
Lombardi.
— Les concerts symphoniques du Conservatoire
d'Athènes, poursuivant leur œuvre d'éducation
artistique entreprise il y a trois ans par M. F.
Choisy, éphore du Conservatoire, donneront cet
hiver la Symphonie héroïque de Beethoven, la Sym-
phonie fantastique de Berlioz, la symphonie en si
mineur de Borodine, la suite en la mineur de Bach,
le Festklang de Liszt, le Cockaigne d'Elgar, le Conte
féerique de Rimsky-Korsakoff, les Mummres de la
forêt de Wagner, les ouvertures pour Tannhceuser
et d'Euryanthe.
HManos et Ifoarpes
trari
Bruxelles : 6, rue OLambermout
paris : rue bu flfcafl, 13
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPERA. — Le Freischùtz, Coppélia; Armide; Le
Cid; Samson et Dalila, la Maladetta.
OPÉRA-COMIQUE.— Le Jongleur de Notre-Dame,
le Caïd; Mignon, le Maître de Chapelle; La Traviata ;
Manon; Miarka; Le Barbier de Séville, Cavalleria
rusticana; Miarka; Carmen.
BOUFFES. — Les Filles Jackson et Cie (musique de
M. Justin Clérice, première représentation, mardi.)
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Prin-
cesse Rayon de Soleil ; Mignon ; Armide ; Lohengrin ;
Armide; Mignon; Armide.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Dimanche 3 décembre. — A 2 heures précises, au théâ-
tre royal de la Monnaie, deuxième concert d'abonne-
ment, sous la direction de M. Sylvain Dupuis et avec le
concours de MUe Stefi Geyer, violoniste. Au programme :
1. « La Mer », esquisses symphoniques (Cl. Debussy) ;
2. Concerto pour violon avec accompagnement d'or-
chestre (C. Goldmark), Mlle Stefi Geyer; 3. « Paris»,
impression de nuit (F. Delius), première audition;
4. a) « Introduction et Rondo capricioso » (C. Saint-
Saëns), b) « Czardas » (J. Hubay). Violon avec accom-
pagnement d'orchestre, Mlle Stefi Geyer; 5. « Mor-
gane », suite d'orchestre (Aug. Dupont fils), première
audition.
Mercredi 6 décembre. — A 8 j^ heures du soir, salle
de l'Ecole Allemande (21, rue des Minimes), soirée
musicale donnée par Mlle Louise Derscheid, pianiste;
M™e Gabrielle Zimmer, cantatrice; M, Albert Zimmer,
violoniste. Programme : 1. Sonate en ut mineur, op. 3o
(L. Van Beethoven); 2. «Der Neugierige», «Ungeduld»,
« Trokene Blumen », « Die bôse Jarbe » (Franz Schu-
bert) ; 3. Sonate en ré mineur, op. 108 (Johannès-
Brahms); 4. « Les Berceaux », « Soir », « Larmes »,
« Aurore » (Gabriel Fauré).
Jeudi 7 décembre. — A 8 y% heures du soir, salle de la
Grande Harmonie, récital donné par Mme Clotilde
Kleeberg-Samuel. Programme : Œuvres de Beethoven.
1. Sonate op. 10, n° 3, ré majeur; 2. Sonate op. i3>
LE GUIDE MUSICAL
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Bureau de Concerts SCHOTT Frères, 56, Montagne de la Cour
Directeur : C. FICI1EFET
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Mardi 19 Décembre, à 8 1/2 heures, Salle de la Grande Harmonie
CONCERT donné par Messieurs
f\ es /\ i es
CRICEBOOM
Voir le programme plus loin
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S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura,
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 208. Adieu, petite Rose! (Tiré des Chansons de route.)
E. Jaques-Dalcroze
$
ite
3
55^
:*=*
££
A-dieu, pe-ti - te ro - se, Ro-se blan-che du ma-tin, Je m'en vais, le cœur tout cho - se, Blanche rose à peine é - clo - se.
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îô Décembre igoS.
LE NOËL MUSICAL FRANÇAIS
Le noël est un genre qui, en vertu
de son essence même, présente
un double aspect : un côté litté-
raire et un côté musical. Le
premier, bien que de valeur presque
toujours médiocre, a été surtout envisagé
jusqu'ici, et la matière a été traitée avec
une compétence et un talent que je ne
saurais me natter d'égaler. Quant au côté
musical, beaucoup plus intéressant, il n'a
pas encore été, je crois, mis en une lumière
suffisante. Il y a là une lacune que je vou-
drais tenter de combler.
Nos vieux noëls français constituent un
intéressant sujet d'étude, parce que très
évocateurs de pensées pour l'observateur
examinant l'histoire musicale, ainsi que
pour celui qui médite et qui réfléchit. En
réalité, c'est un état d'esprit de nos pères
surgissant tout à coup devant nous à ce
propos, état d'esprit assez curieux et bien
naturel.
On a répété à satiété que toute musique
était le reflet des sentiments intimes de
l'époque qui l'avait produite. Ici, plus
qu'ailleurs, le fait est particulièrement
notable, facile à mettre en évidence, ainsi
qu'on va s'en convaincre.
* * *
Musicalement parlant, qu'est-ce qu'un
noël?
Un noël est une chanson populaire,
pleine de rondeur et de bonhomie, dont les
paroles ont trait, dans une mesure varia-
ble, à la naissance de l'Enfant Jésus. Il
emprunte son nom à la fête à laquelle il se
rattache.
Une remarque suit impérieusement cette
définition. En la perdant de vue, on ris-
quera d'accabler certaines pages d'une
critique injuste, parce que l'on réclamera
d'elles des traits que l'on ne saurait y dé-
couvrir.
Le noël se divise en deux variétés d'ex-
pression musicale : la première religieuse,
ou pour mieux dire superficiellement reli-
gieuse, et la seconde profane. En d'autres
termes, sa propre fin était la distraction
pieuse ou le délassement de joyeuse com-
pagnie (i).
(i) Dans son Dictionnaire liturgique, historique et théo-
rique de plain- chant (1854), d'Ortigue voit dans le noël
quatre espèces différentes : le noël religieux, consacré à
célébrer la nativité du Christ; le noël royal, composé
pour les souverains et pour quelque événement considé-
rable se rattachant aux souverains; le noël politique,
ayant pour objet l'éloge d'un grand personnage ; le noël
badin, concernant les personnes privées et traitant un
sujet vulgaire. Cette classification me semble inutile-
ment compliquée.
èo4
LE GUIDE MUSICAL
Le noël religieux, destiné à l'église,
offrait cette particularité qu'il pouvait,
sans disconvenance aucune, à raison de
son caractère familier, être chanté en de-
hors du sanctuaire. Il se distinguait ainsi
des autres cantiques.
D'après un usage païen, que le catholi-
cisme avait perpétué, la nuit de la Nativité
se passait autrefois à banqueter. Nous en
avons conservé le réveillon. Eh bien ! le
noël profane, lui, avait été fait pour accom-
pagner ces gais repas. Il va sans dire
que, plus que son congénère le noël
religieux, il offre des types variés. On le
voit successivement en chanson bachique,
galante, licencieuse, frondeuse, satyrique,
grave, enjouée, parfois même grossière.
En conséquence, il n'était point fait pour
les cérémonies du culte. On a eu parfois le
tort, — et on l'a encore, — en le grimant
sous des paroles convenables, et en cal-
mant sa pétulance ordinaire, de l'intro-
duire dans le temple. En réalité, sa place
n'était point là, car il s'y trouvait mal à
l'aise. Dans ce commerce singulier du pro-
fane et du sacré, on voyait trop l'esprit
derrière la lettre.
Terminons ces considérations prélimi-
naires par une observation.
Le noël se range dans les deux grandes
catégories qui se partagent les diverses
manifestations de notre art : la musique
artistique et la musique populaire. Rappe-
lons et précisons la distance esthétique qui
s'établit entre ces dernières.
La musique artistique est celle dont la
conduite de l'inspiration est soumise à des
règles de convention. Ces règles, ainsi que
nous l'apprend l'histoire, restent plus ou
moins permanentes, et, de par leur carac-
tère inégalement artificiel, il n'en existe
aucune qui, au moins passagèrement, ne
puisse être violée sans dommage.
La musique populaire est découverte
spontanément par celui qui veut exprimer
avec simplicité une idée simple. Ici, bien
entendu, les règles perdent quelque peu
de leur empire, et cela au bénéfice de l'ori-
ginalité, de la variété, du piquant.
Depuis bien longtemps, OU a envisagé la
chanson populaire — et le noël populaire,
par conséquent — d'une manière qui ne me
paraît pas tout à fait exacte. On n'a donné
la qualification de chanson populaire
qu'aux productions rustiques des gens de
la campagne. Quant aux airs d'allure moins
primitive, adoptés principalement par le
peuple des villes, et généralement dus à
des esprits cultivés, littérateurs, prêtres,
musiciens, on leur a donné, depuis le XVIIe
siècle, le nom de vaudevilles (i). De nos
jours, on emploie la qualification « semi-
populaire ».
Entre les deux cas, certains n'ont aperçu
qu'une délimitation plus ou moins flottante.
D'autres, au contraire, ont tracé une ligne
de démarcation absolument rigide, consti-
tuant deux compartiments étanches (2), et
ils ont élaboré cette formule : 0 La musique
populaire est celle qui est faite pour le peu-
ple et par le peuple ».
N'existe-t-il pas là une insuffisante lar-
geur de vision? Je vais essayer de le
démontrer.
Dans ce but, je m'appuierai sur deux
phénomènes qui sont contrôlables, si
toutefois on se trouve dans les conditions
voulues, c'est-à-dire si l'on appartient à
cette minorité qui connaît bien le paysan,
et qui le connaît bien pour avoir vécu
avec lui, pour être arrivé à réduire sa
défiance instinctive contre le citadin et
pour l'avoir forcé de dévoiler sa nature
intime.
Eh bien! l'on verra que, dans des
régions très éloignées des centres urbains,
où les mœurs et les caractères sont demeu-
rés primitifs, certains vieillards notam-
ment, qui n'ont point subi le contact
des idées modernes, usent de chansons
tout à fait rustiques. Quelques-uns même
improvisent dans ce genre.
D'un autre côté, dans des pays plus ou
Ci) Précédemment, on se servait de l'expression
ce vau de vire » .
(2) Notamment M. Tie-sot dans son Histoire de la chan-
son populaire en France, au chapitre XI, consacré aux
noëls.
I
LE GUIDÉ MUSICAL
8o5
moins traversés par des chemins de fer, et
frottés de civilisation, les habitants fredon-
nent ou clament la chanson de café-
concert, autrement dit ce que l'on appelait
précédemment le vaudeville. L'improvisa-
tion dans ce dernier style apparaît égale-
ment chez certains.
Je le répète : cette double expérience
n'est pas à portée de tous; elle exige du
tact, une certaine faculté d'observation et
de la patience.
Ajouterai-je que la thèse présentant les
intelligences cultivées comme absolument
incapables de produire des mélodies sim-
ples et touchantes ne s'appuie sur rien?
Que dis-je ! elle est annihilée par le con-
trôle de la réalité. Et je citerai le cas
s'offrant immédiatement à l'esprit : celui
du fameux Saboly, qui a composé juste-
ment des noëls pleins de candeur, dont ;
nous parlerons plus loin.
Quelle conclusion tirer de ces preuves
de faits ?
Tout uniment que l'on est captif de la
fameuse formule : « La musique populaire
est celle qui est faite pour le peuple et par
le peuple. » De plus, sans motif, on a fait
intervenir en l'espèce la campagne et la
ville, une question de localité, alors qu'il
fallait — à mon avis du moins — unique-
ment envisager l'état de culture des sujets
observés, la croissance de l'affmement
sous l'influence de la civilisation et par
contre, la diminution de l'ingénuité; par
conséquent, le stade occupé dans le progrès
général du cerveau humain. On devait
opposer non pas chanson populaire à
chanson semi-populaire ou vaudeville,
mais considérer uniquement, dans ses âges
successifs, le chant du peuple. Qu'existe-
t-il de plus typique, à ce dernier point de
vue, que certains airs d'autrefois, connus
et sous leur forme primitive, et avec des
retouches qui ont eu pour objet de les
rajeunir? La révolution des mœurs ne com-
mande-t-elle pas l'évolution de l'art?
En d'autres termes, un esprit, même
très cultivé, peut, par l'effet de la volonté,
de l'auto-suggestion, et à la condition
d'être heureusement enthousiasmé, com-
poser des phrases mélodiques sans pré-
tention, d'une naïveté réellement populaire.
Cette naïveté sera de plus en plus grande
à mesure que la mentalité civilisée de
cet homme s'atténuera momentanément,
et il est loisible de dire qu'alors son inspi-
ration se confond absolument avec celle
du peuple.
Modifiant et simplifiant la formule en
question, nous dirons donc que, sans nous
occuper de sa valeur intrinsèque, la mu-
sique populaire est celle qui est faite pour
les humbles.
Nous en finirons avec ce point particu-
lier du noël populaire et du noël artistique
en déclarant qu'en principe, le premier
ressortit au domaine vocal, le second au
domaine instrumental. Dans ce dernier
cas, le compositeur, presque toujours,
prend un thème rustique, le varie et le
développe au gré de son talent et de sa
fantaisie. Pendant les quatre phases que
le genre a traversées, il en a été générale-
ment ainsi au cours des trois premières.
La quatrième, quand elle sera précisée,
expliquera la modification qui s'est pro-
duite à cet égard.
Ces explications préparatoires étant ter-
minées, nous pouvons maintenant aborder
le côté historique du sujet.
(A suivre.) Frédéric Hellouin.
CHANSONS POPULAIRES DES PROVINCES BELGES
Introduction, Harmonisations et Notes
par Ernest Closson (Bruxelles, Schott frères)
« Il faut considérer comme des ouvrages
» d'imagination pure les livres d'histoire. Ce sont
» des récits fantaisistes de faits mal observés, ac-
» compagnes d'explications faites après coup.
» Gâcher du plâtre est faire œuvre bien plus utile
» que de perdre son temps à écrire de tels livres.
» Si le passé ne nous avait pas légué ses œuvres
So6
LE GUIDE MUSICAL
» littéraires, artistiques et monumentales, nous ne
» saurions rien de réel sur ce passé. »
Ces quelques lignes d'un livre du Dr G. Le Bon
nous revenaient à la mémoire en lisant le volume
récemment publié par M. E. Closson. Nous ne
discutons pas ici ce que le psychologue pense des
historiens et nous ne voulons retenir que ce qu'il
nous dit du passé lui-même, y compris les tra-
ditions, les légendes, tout ce qui constitue le
folklore.
Notre époque, chaotique à bien des points de
vue, prétend tout savoir : elle se préoccupe de
l'avenir, voudrait le deviner et, en même temps,
reconstituer le passé. Cela peut sembler contra-
dictoire, et cependant, quoi de plus naturel que de
désirer connaître le commencement et la fin de
toutes choses?
Au point de vue du passé, l'archéologie musi-
cale est une science toute récente : ce qu'on a
appelé la chanson ou la mélodie populaire est un
chapitre, insignifiant en apparence, de cette
histoire.
L'année présente, qui est celle des célébrations,
ne pourrait pas même fêter le soixante-quinzième
anniversaire du folklore musical. Si nous ne nous
trompons pas, il faut remonter aux premiers tra-
vaux de Willems(i), — dont Fétis, involontairement
ou non, oublia l'existence dans sa Biographie des
musiciens; le prédécesseur de M. Gevaert aurait-il
pressenti l'opinion sévère du Dr Le Bon?
Chose assez curieuse et flatteuse pour notre
amour-propre national, c'est dans notre pays que
prit naissance le folklore musical. L'ouvrage de
J.-F. Willems, Onde Nederlandsche Liederen, parut
en 1848, précédant de plusieurs années les œuvres
similaires publiées en France, en Allemagne, etc.
Ce fut un Flamand de France, E. de Cousse-
maker, qui, en i852, continua l'œuvre de Wil-
lems dans son remarquable livre, conçu à un point
de vue plus spécialement folklorique, les Chanls
populaires des Flamands de France.
« Ce sont les chants populaires, disait-il, qui
» révèlent l'existence pour ainsi dire entière
» d'une nation, sa vie intime encore plus que sa
» vie extérieure; ce sont ces chants qui font
» connaître son état moral, ses joies, ses souf-
» frances, en un mot, tous les sentiments qu'a pu
» lui faire éprouver la situation sociale au milieu
» de laquelle il a vécu. »
(1) Un premier recueil de mélodies populaires fla-
mandes avait été publié en 1827-1830 à Anvers par
"Willems. Ce fut l'embryon de l'ouvrage paru en 1848.
N'est-ce pas la véritable histoire, celle qui nous,
fait connaître l'âme de nos ancêtres?
* * #
Après Willems et Coussemaker, les chercheurs
et les découvreurs ont été nombreux dans notre
pays comme partout ailleurs, en France, en
Allemagne, etc. Notre intention n'est pas de faire
l'historique de la question. Pour donner une idée
de l'étendue des recherches poursuivies rieai
que dans les Pays-Bas, il suffira de citer lé.
monumental ouvrage de M. FI. Van Duyse, dont
le premier tome, paru en 1900, comprend près de
deux cents mélodies et plus de cinq cents pages ; et
l'intéressante publication est loin d'être terminée. >
M. E. Closson a eu l'heureuse idée de publier
une sorte de compendium des chansons populaires
de notre pays. De par ses origines, à la fois wal-
lonnes et germaniques, nul n'était mieux qualifié
que lui pour faire ce choix spécialement délicat.
Demander au public de lire toute la littérature
relative à notre folklore musical est chose impos-
sible. Il fallait l'initier, lui rendre la tâche plus
commode, en rassemblant en un seul volume, sous
une forme pratiquement exécutable, les documents
les plus typiques, épars dans de multiples publica-
tions, ainsi que les diverses données historiques et
folkloriques qui s'y rapportent. M. E. Closson,
dont le talent à la fois patient, raffiné et sagace est
bien connu des lecteurs du Guide musical, a voulu
faire œuvre de vulgarisation et, bien qu'il se défende
de faire de l'érudition, il présente son livre au
public en une Introduction très remarquable en ce
sens qu'elle constitue, en raccourci, une véritable
histoire de notre folklore musical.
Nos chansons wallonnes, ou plutôt d'origine
romane, n'ont eu ni leur Coussemaker ni leur
Van Duyse. Elles ont été recueillies et publiées un
peu partout, spécialement dans la revue Wallonia,
mais, jusqu'à présent, elles ne formaient pas un
ensemble. Il a fallu pour cela la persévérance et
le tact de M. Closson dont le livre, dans sa
seconde partie, constitue la première anthologie
des chansons populaires wallonnes.
L'ouvrage est divisé en deux parties : mélodies
flamandes et mélodies wallonnes. Chacune d'elles
est, à son tour, subdivisée suivant les divers genres
de chansons : nationales, locales, religieuses, de
circonstance, narratives, d'amour, satiriques ou
comiques, de métier, enfantines, danses chan-
tées. Les mélodies sont notées avec les textes
originaux; les mélodies flamandes et quelques
LE GUIDE MUSICAL
807
chansons wallonnes sont accompagnées d'une tra-
duction en prose (non chantée ni rythmée).
L'accompagnement a été écrit de manière que
le « superius » reproduit la mélodie, ce qui permet,
pour chaque numéro, de le chanter ou de le jouer
comme pièce de piano : avantage que ne présentent
pas généralement les publications du même genre,
où la chanson est simplement reproduite sous
| forme de mélodie. Une courte note fournit les
indications de source, d'origine, ainsi que quelques
renseignemen's sur l'âge probable, la tonalité de
la chanson, ses ramifications ou ses analogies avec
d'autres chansons recueillies à l'étranger, les cou-
tumes folkloriques, etc.
Dans son Introduction, l'auteur commence par
établir la différence qu'offrent entre elles les chan-
sons flamandes et wallonnes, les premières plus
variées, d'une pâte musicale plus riche et « plus
essentiellement harmoniques », les secondes d'une
ligne mélodique plus gracieuse et plus délicate et
« plus essentiellement monodiques ». En ce qui
concerne le caractère plus régulier, plus classique,
de ses mélodies populaires flamandes anciennes, il
fait remarquer que ces dernières ont été relevées,
par Willems et d'autres, dans des recueils du
temps, tandis que les chansons wallonnes ont
presque toutes été transcrites directement d'après
la tradition populaire et de nos jours seulement,
c'est-à-dire après avoir subi pendant plusieurs
siècles encore le travail de déformation inhérent à
cette dernière. Quant à l'importance des unes et
des autres dans l'ancienne école néerlandaise, qui
ne sait que les plus anciens musiciens connus de
notre pays étaient en réalité des romans, sinon des
wallons purs? Tels Dufay, Gilles Binchois et
autres, sans remonter à ce chanoine de Liège,
Baten, qui, au xme siècle, composa un livre de
philosophie dont une partie était consacrée à la
musique. Mais ce n'est ici ni le moment, ni la place
de discuter les origines de la musique néerlandaise.
Deux exemples seulement : Le célèbre Wilhelmus
van Nassouw est inspiré d'un vieil air français, et
Ik zag Cecilia komen dérive d'un air de ballet italien
du xvne siècle.
Il nous parait difficile d'établir la filiation, l'état-
civil, pour ainsi dire, de la mélodie populaire, et
nous ne sommes pas loin de penser comme un
célèbre musicologue de notre pays, qui affirme sous
forme de boutade « qu'il n'existe pas au monde
plus de cinquante mélodies populaires », de même
que l'on a dit qu'il n'y avait pas plus de trente et
quelques situations dramatiques que le théâtre,
ancien ou moderne, n'a cessé d'exploiter sans les
renouveler.
On sait qu'il existe deux écoles de folklore
musical : l'une qui considère la mélodie populaire
comme émanant d'une collectivité anonyme, et
l'autre qui l'attribue à une création artistique d'un
seul, vulgarisée par le peuple. C'est cette dernière
opinion qui nous paraît la plus logique. N'est-ce
pas la foule impulsive, mobile, compliquée et
simpliste à la fois qui transforme, déforme, enno-
blit ou vulgarise une inspiration mélodique qu'elle
a entendue n'importe où, dans les fêtes publiques,
au théâtre, à la guerre, à l'église peut-être? Et à
ce sujet, que de choses la mélodie populaire
n'évoque-t-elle pas? N'est-elle pas elle-même peut-
être une simple parodie du chant religieux? Ou
bien celui-ci n'est-il pas l'écho d'un chant populaire
lointain? Il ne nous appartient pas de résoudre de
tels problèmes ; mais le mystère qui enveloppe les
origines de la mélodie populaire ne donne-t-il pas
une attirance, un charme de plus à ces souvenirs
du passé?
Très justement, M. Closson établit que la théorie
de l'anonymat de la mélodie populaire ne résiste
pas à l'examen, et il repousse l'idée d'une géné-
ration spontanée due au travail collectif de l'ima-
gination du peuple ou plutôt de la foule. La
mélodie a eu un père, barde, scalde, troubadour,
dont la progéniture s'est disséminée un peu par-
tout, chacun des descendants s'appropriant aux
conditions ethniques dans lesquelles il s'est trouvé
placé lui-même et s'est lui-même reproduit. Quant
à remonter à l'ancêtre de la famille, cela est qua-
siment impossible, l'état-civil des mélodies popu-
laires n'ayant pas été régulièrement tenu, excep-
tion faite toutefois pour certaines mélodies dont on
retrouve la notation dans de vieux manuscrits où
le conteur note parfois certains chants (1).
Là encore on se heurte à la difficulté de l'inter-
prétation d'une notation fort rudimentaire, une
sorte de sténographie accompagnée de certains
signes, comparables aux signes d'agrément usités
dans des compositions plus proches de notre
époque et dont le mystère reste à élucider. Car on
n'est pas d'accord sur ce point; le sera-t-oQ
jamais? On peut se le demander lorsqu'on songe
que les signes d'agrément avaient une signification
différente en Allemagne, en France, en Italie. (La
méthode de violon de Léopold Mozart nous a
laissé à cet égard de précieuses indications.)
(1) 11 y aurait beaucoup à faire dans cette voie et
beaucoup à découvrir dans les manuscrits des conteurs
français ou flamands. Il est à espérer que quelque cher-
cheur patient exploitera cette mine de documents, qui
donneront peut-être la solution de bien des problèmes
relatifs à la chanson populaire,
SoS
LE GUIDE MUSICAL
Ces digressions constantes nous éloignent de
notre sujet, mais elles montrent combien de pro-
blèmes nouveaux la simple et naïve mélodie
populaire peut suggérer.
* * *
Après avoir étudié la formation du texte poé-
tique de la chanson populaire, M. Closson s'attache
à expliquer ce qu'il appelle les « altérations proso-
diques ». Nous ne sommes pas tout à fait d'accord
avec lui à ce sujet. Le peuple, en s'emparant d'un
texte ou en l'adoptant, ne tient pas compte des
règles : il transforme ou déforme certains mots
parce que cela lui plaît et qu'il apporte, ce faisant,
sa couleur, son caractère. S'il en était autrement,
la chanson populaire ne serait qu'une œuvre per-
sonnelle, et non plus collective. C'est même par
cette voie que la forme populaire de certains mots
s'est imposée dans la langue régulière, — celle-ci
même n'étant autre chose qu'un dialecte qui a
« fait fortune ». C'est l'éternel recommencement.
Ce qui a pu préserver de l'oubli certaines poésies
flamandes, devenues populaires, c'est qu'elles ont
été propagées au moyen de feuilles imprimées, telles
celles de la collection Van Paemel, à Gand.
Si on ajoute à cela que le vers flamand est d'es-
sence plutôt rythmique, tandis que le vers français
est quantitatif, on trouvera la raison de la plus
grande fréquence des altérations dans les chansons
wallonnes.
L'étude de la formation ou de la transformation
de la mélodie popularisée, très savamment pré-
sentée par M. Closson, nous amène à certaines
déductions. La théorie de M. Gevaert sur le pro-
cédé de composition populaire qui consisterait à
travailler sur des nomes, ces sortes de cellules
musicales composées originairement de quelques
notes, et ce par voie d'amplification, de modifi-
cation, de mélange, cette théorie fait songer aux
leitmotiv de Wagner, généralement très courts, mais
très typiques, et à ce que formulait le maître de
Bayreuth lui-même en disant que « l'art musical
doit ses formes à la danse et à la chanson » Dans
son Opéra et Drame, il qualifiait la chanson popu-
laire de « manifestation inconsciente de l'esprit du
peuple par la faculté artistique ». Ses leitmotiv ne
ressemblent-ils pas étonnamment aux embryons
de la chanson populaire? Et n'est-il pas curieux de
constater que le plus puissant génie dramatique,
au point de vue musical, se ramène par ses formes
simples aux commencements mêmes de la mu-
sique?
L'espace que comporte une simple critique ne
permet pas d'analyser toutes les parties intéres-
santes de l'œuvre de M. E. Closson. Signalons
cependant ses remarques sur des modes anciens
dans la chanson populaire, sur son interprétation
artistique ou populaire, sur les textes, sur la nota-
tion de la mélodie et son harmonisation. Dans cette
dernière partie de sa tâche, M. Closson s'est
efforcé de se conformer à l'esprit des mélodies
à harmoniser, sans faire complète abstraction de
sa personnalité, sensible notamment dans l'emploi
fréquent des accords de septième du deuxième et
du quatrième degré, et autres particularités.
L'ouvrage de M. E Closson est savant sans
dogmatisme; il est, comme on l'a écrit, des plus
amusant pour ceux qui voudront le lire avec quel-
que attention et pourront le faire sans fatigue. On
y trouvera de tout : par exemple, on pourra se
demander comment le n° i5o, Là-haut sur la mon-
tagne (pays de Liège), ressemble d'une façon frap-
pante à la mélodie populaire provençale : O Ma-
gali ma tanto amado, que M. J. Massenet a « utilisée »
dans sa Sapho.
Il est grand temps que l'on recueille ce qui
existe encore de mélodies populaires; bientôt, les
facilités de communications aidant, tout s'unifor-
misera, les traditions, les costumes, les chansons
d'autrefois ne seront plus que des souvenirs (i).
Les moyens de faire cette moisson sont divers ; on
a même employé le phonographe pour des chan-
sons russes et des mélodies indiennes Au fait,
pourquoi pas ?
L'ouvrage de M. E. Closson fera connaître à un
grand nombre de nos compatriotes ce que fut l'âme
populaire dans notre pays. Il leur donnera une
idée vivante de notre histoire intime. C'est dans
la musique que se reflètent les aspirations, les
passions diverses d'un peuple aussi bien dans son
passé que dans son avenir.
Nous pouvons être rassurés sur nous-mêmes; le
livre de M. Closson démontre que notre peuple a
été et est encore essentiellement musical. Tâchons
de le rester le plus longtemps possible. H. C.
(i) Dans la préface de leurs Chants populaires Flamands,
Lootens et Feys racontent que la presque totalité des
170 pièces du volume ont été transmises par une seule
personne de Bruges. Il est probable qu'on ne rencontre-
rait plus aujourd'hui une collaboration si précieuse.
LE GUIDE MUSICAL
809
LA SEMAINE
PARIS
AU CONSERVATOIRE. — La Société des
Concerts ne pouvait mieux honorer l'art français
contemporain qu'en inscrivant à son programme
de rentrée la Symphonie sur un thème montagnard de
M. Vincent d'Indy. Cette œuvre, tant par l'heu-
reux choix du motif fondamental, d'une si péné-
trante saveur quand l'expose pour la première fois
le cor anglais, que par l'invention, le charme, la
vigueur et la fantaisie qui président aux dévelop-
pements subséquents, comme aussi par l'eurythmie
de son plan et l'heureux équilibre de ses parties,
est de celles qui s'imposent, et ma joie est com-
plète de pouvoir dire que le public du Conserva-
toire lui-même s'y est laissé prendre, au moins
parte in qua. Le fulgurant finale, où déborde l'allé-
gresse la plus noble et la plus généreuse, où l'exu-
bérance sait faire plier la ligne sans la rompre, fut
accueilli par d'unanimes et chaleureux applaudis-
sements. Ajoutons que le piano, dont le rôle est
éminent dans l'ouvrage, était confié à M. Alfred
Cortot. C'est avec une parfaite maîtrise que, selon
l'expression de M. Maurice Emmanuel, il sut
dialoguer, discuter ou fraterniser avec la masse
instrumentale, dans une fusion parfaite et con-
stante, d'ailleurs. Son succès personnel fut com-
plet.
Notons encore quatre chœurs a capelta de Lotti,
dont deux exécutés en première audition, tous
dits à merveille par les chœurs, et dont le dernier,
Spivto di Dio, en style madrigalesque, est particu-
lièrement séduisant.
Le concert se complétait par l'Héroïque de Bee-
thoven, le Noël de Piccolino, de Guiraud, et l'ouver-
ture de Frithioff, de M. Théodore Dubois.
J. d'Offoël.
A L'OPERA. — On prête à M. Gailhard le
projet de remonter simultanément les deux Iphi-
génie en Tauride de Gluck et Piccinni. Idée fort
intéressante, même si nous ne voyons pas se
renouveler la controverse des gluckistes et des
piccinnistes Mais nous avons déjà vu deux reprises
de cette Iphigénie en quelques années, indépen-
damment de trois autres des chefs-d'œuvre de
Gluck. Ne pensera-t-on donc pas aussi à Iphigénie
en Aulide, dont le succès a dépassé sensiblemenit tous
les autres, à l'Opéra, et atteint le chiffre formidable
de quatre cent vingt-huit représentations? Notez
que c'est la plus remarquable de ces pièces, avec
son livret de Racine. On sait que c'est la première
œuvre de Gluck à Paris (1774); eUe est restée au
répertoire jusqu'en 1824. Voilà ce que l'Opéra
devrait tenir à honneur de monter maintenant. Il
a d'ailleurs tous les interprètes qu'il lui faut pour
cela.
A L'OPÉRA-COMIQUE, où la pittoresque
Miarka continue à faire de belles salles, nous
avons eu quelques représentations de Manon avec
Mme Marie Thiéry, qui valent d'autant plus la
peine d'être signalées que cette parfaite chanteuse
s'y montre assez rarement. C'est une des plus ex-
quises petites Manon qu'on puisse rêver; c'est même
la seule que j'ai jamais vue rendre au mieux ce
côté un peu spécial du type, qui est moins celui
de Prévost (ou de Puccini aussi) que celui de M.
Massenet, et qui tient dans ce mot du second
acte : « Je ne suis que faiblesse et que fragilité. »
C'est une Manon à cervelle d'oiseau, inconsciente,
point perverse, pas même coquette, toute à l'im-
pression du moment, mais en qui transparaît, à
travers tout, le seul sentiment un peu profond qui
l'ait pénétrée, son amour pour Des Grieux. Mme
Marie Thiéry, au physique un ravissant petit
Saxe, rend avec une finesse charmante cette sorte
d'affolement communicatif, cette passion toujours
surnageante. C'est très intéressant comme étude.
H. de C.
AUX BOUFFES. — Les Bouffes ont rouvert
leurs portes, et rouvert au genre pour lequel ils ont
été créés, à l'opérette. Nous avons eu la première
représentation, la semaine dernière, d'une « fan-
taisîe-bouffe à spectacle », intitulée Les Filles
Jackson et Cie, signée de M. Maurice Ordonneau,
avec la musique de M. Justin Clérice. Et ce fut
une vraie opérette ; heureusement pour l'œuvre,
d'ailleurs, car le sujet manque d'originalité et la
musique, sans le dépasser beaucoup, n'est pas de
trop pour le relever.
Jackson et Cie font fortune au Tonkin (pour une
fois, ce n'est pas en Amérique), et, pendant leur
absence, ont déposé leurs filles dans un pensionnat
parisien. Au bout de dix ans de ce régime, celles-ci,
décidément émancipées, ont résolu d'aller trouver
les pères qui semblent les avoir oubliées. Natu-
rellement, c'est le moment qu'avaient choisi les
pères pour rechercher leurs filles. Comme la fugue
des pensionnaires était aidée par un prétendant,
lieutenant de paquebot, celui-ci, pour les rem-
placer quelques jours (on a profité d'une absence
de la maîtresse de pension et de l'ignorance de sa
Sio
LE GUIDE MUSICAL
suppléante), a embauché certaine chanteuse de
café-concert, et certain matelot à lui, qu'il déguise
en « jeune personne ». Et c'est sur ce couple falot
que tombent inopinément Jackson et Cie. Le
second acte, qui se passe sur le paquebot de retour
en Indo-Chine et où, naturellement encore, les
vraies et les fausses filles se mêlent aux Jackson,
tourne à la bouffonnerie complète, grâce aux dis-
tractions que peut inspirer une traversée. Puis tout
s'arrange au troisième, reconnaissance et ma-
riages.
M. J. Clérice est l'auteur des Petites Vestales et
d'Ordre de l'Empereur. Nous en avons parlé quel-
quefois ici. Il ne parait pas que sa nouvelle parti-
tion vaille ces deux précédentes... qui, d'ailleurs,
prêtaient davantage à l'inspiration. Cependant, elle
a franchement plu : elle a du mouvement et de la
gaité sans prétention, et même une pointe de sen-
timent. Notons surtout, au premier acte, le duo
des deux sœurs Jackson, puis l'air d'entrée de la
chanteuse qui vient les remplacer et l'air bouffe de
Mme sa mère, qui servira de gouvernante ; et au
second, le joli quatuor où les jeunes filles expri-
ment, sans se dévoiler, leur amour filial à leurs
pères, l'air brillant de la chanteuse, un trio bouffe
et un finale bien enlevé. Les danses sont plus
médiocres.
Interprétation fort agréable, avec quelques
vraies chanteuses. Mlle de Craponne, par exemple
(celle qui nous créa Harnsel à l'Opéra-Comique),
qui a une sûreté et un brio pleins d'originalité dans
l'une des filles Jackson; l'autre est Mlle de Kier-
cour, qui vient de province. Mlle Jane Pernyn
aussi, pleine d'entrain avec une jolie voix dans la
chanteuse. M. Devaux (de Namur, élève du Con-
servatoire de Bruxelles au temps jadis), a égale-
ment une voix bien exercée, qu'il fait valoir avec
goût. Et puis c'est l'irrésistible drôlerie de Paul
Fugère, matelot déguisé en femme, du couple Jack-
son, De Kernel et Raiter, enfin de Mlle Laporte et,
dans un bout de rôle, de la très sûre Virginie Rol-
land. H. de C.
CONCERTS LAMOUREUX. — La nou-
veauté que l'on exécuta cette fois- ci, un poème
symphonique de M. Casadesus, intitulé Qunsimodo,
n'est point aussi terne que les précédentes. Elle a
même certaines qualités : une bonne franchise
d'allures, quelque verve, une orchestration sérieu-
sement faite. Les défauts en sont plus nombreux :
proportions trop considérables, programme trop
complexe et qui excluait toute possibilité d'un
développement qui fût clair et intéressant au seul
point de vue musical, volonté d'évoquer par la
musique symphonique non point des sentiments,
des sensations ou des images, mais, directement,
dès actions et même des séries d'actions. Je glisse
sur les ressouvenus, qui y foisonnent ouvertement :
du dragon Fafner de Wagner au balai animé de
M. Dukas, la série s'en avère considérable. Enfin,
M. Casadesus n'a point évité cette erreur, com-
mune à bien des jeunes musiciens, de n'opter
franchement ni pour la modalité classique ma-
jeure-mineure, ni pour la libre omnitonalité qui
peu à peu s'impose. Un épisode en tons entiers,
en complexes chromatismes, en agrégations en-
richies d'harmoniques éloignés, tranchera toujours
de façon étrange sur l'ensemble, s'il survient brus-
quement au milieu d'un développement bien assis
sur le trépied traditionnel tonique, dominante,
sous-dominante. Or, on trouve précisément cette
discrépance en quelques passages de Quasimodo.
Mais l'effort de M. Casadesus n'est point à dé-
daigner ; on a l'impression qu'une certaine per-
sonnalité se cache dans l'œuvre du compositeur,
et on ne serait pas étonné de voir cette personna-
lité se dégager bientôt.
C'est presque une nouveauté encore que ce joli
concerto de M. Rimsky-Korsakow, écrit pourtant
depuis 1S82, mais qui jamais avant l'année igo5
ne figura sur l'affiche de nos grands concerts. En
janvier dernier, M. Vinès l'avait déjà exécuté au
Conservatoire; l'œuvre et l'artiste furent alors
triomphalement accueillis, comme ils viennent de
l'être au Nouveau-Théâtre. C'est que M. Vinès,
chaque fois, sut présenter de merveilleuse manière
le concerto si original et de si sérieuse tenue du
maître russe. Cette composition offre au soliste des
difficultés de technique et de style en nombre, sans
pour cela donner matière à de brillants effets de
virtuosité. En exécutant comme il le fit une œuvre
de cette sorte, M. Vinès a affirmé une fois de plus
cette haute conscience artistique qu'il a toujours
mise au service de la musique.
Furent aussi joués, avec la Réformation- Symphonie
de Mendelssohn, les Eolides de Franck, l'introduc-
tion du troisième acte de Tristan, admirablement
rendue, comme aussi les Préludes de Liszt. Cette
dernière œuvre, qui autrefois semblait déconcerter
une partie du public des Concerts Lamoureux, a
reçu aujourd'hui l'accueil enthousiaste dont elle
est si entièrement digne. M.-D. Calvocoressi.
Errata. — Dans le compte-rendu de dimanche
dernier, p. 791, col. 2, avant-dernière ligne, prière
LE GUIDE MUSICAL
8n
de lire évoquait; sept lignes plus haut, il faut un
point-virgule après traditionnelle.
CONCERTS COLONNE. — Qu'il est diffi-
cile d'être juste ou de le paraître ! Il est des heures
où la Critique ne peut pas, ne doit pas prendre
parti pour ou contre une œuvre nouvelle. A l'occa-
sion du poème lyrique sur le Livre de Job, d'Henri
Rabaud, elle se divise : de peur de passer pour
retardataires, les uns avancent que c'est un chef-
d'œuvre ; les autres, que c'est une composition
folle, parce qu'ils ne l'ont pas comprise. Mais
personne ne dit les raisons de son emballement ou
de son aversion. La plupart s'en tirent à l'aide de
phrases, de généralités peu compromettantes, sars
expliquer pourquoi et en quoi l'ouvrage est bon ou
mauvais; il est si malaisé d'émettre un jugement
équitable sur la valeur d'une œuvre extrêmement
compliquée qu'on n"a entendue qu'une seule fois !
A ce préambule, vous devinez mon embarras.
Le talent de M. Rabaud m'est très sympathique;
en leur temps, j'ai infiniment goûté sa symphonie,
sa Procession nocturne, et loué surtout sa Fille de
Roland, qui n'a pas eu la fortune qu'elle méritait et
que je tiens en très haute estime. Jusqu'alors, sa
musique se distinguait par la sincérité, je veux dire
qu'elle ne se rattachait à aucune école ; elle n'avait
pas subi l'influence de Wagner ni de César Franck,
pas même celle de Massenet, son maître, le com-
positeur le plus imité si on recherche le succès et
le plus dénigré quand on ne l'a pu obtenir.
Aujourd'hui, M. Rabaud ne semble plus être
libre. Dans son Poème de Job, exécuté dimanche
dernier au Châtelet, il montre la violence de
M. Alfred Bruneau sans avoir le mouvement et le
désordre voulu et merveilleusement préparé par
l'auteur de YOuragan ; par son coloris criard et bru-
tal, il fait penser à un sous-Berlioz exaspéré à qui
les truculences de la Fantastique ne suffisent plus;
enfin, ses harmonies heurtées, bizarres, dures à
plaisir, tendraient à l'abolition de toutes les règles,
dans l'espoir de dépasser M. Claude Debussy,
comme si le compositeur de Pelléas et Mélisande
n'avait pas gardé le secret de fondre toutes les har-
monies, de mélanger toutes les couleurs, avec
l'honneur de créer un art nouveau, inimitable et
charmant.
Le poème de Job étant la protestation de la créa-
ture contre les injustice du Créateur, la sublime
expression de ce cri de l'âme, un blasphème qui
touche à l'hymne, suivant le mot de Renan, on ré-
pondra que la musique doit traduire en accents
audacieux l'audacieuse révolte de l'homme moral.
. A-t-elle atteint son but? Je ne le pense pas. Sans
doute, il y a dans la symphonie qui souligne ces
gémissements : a Périsse le jour où je suis né ! » une
agitation, un soulèvement progressif de l'orchestre
qui ne manque pas de grandeur et qui pourrait dé-
peindre l'angoisse de l'être humain; mais cet état
haletant est continuel, à peine interrompu par
quelques mots récités sans accompagnement. On
aurait besoin d'un peu d'accalmie après cette tem-
pête toujours mugissante; non, les instruments se
déchaînent de plus belle, le tapage devient assour-
dissant et dégénère en cacophonie. Ce n'est pres-
que plus de la musique, ni de l'art, oserais-je ajou-
ter, si j'oubliais que M. Rabaud n'ignore rien de
son métier, qu'tl sait ce qu'il fait et qu'il ne nous
laisse jamais indifférents, même dans ses erreurs.
Erreurs! En suis-je bien certain? Il est possible
que j'aie mal compris et interprété la pensée de
l'auteur. Ce qui me le ferait craindre, c'est que la
majorité du public, en désaccord avec moi, a fait
bon accueil à cette œuvre nouvelle et que la salle
entière a chaleureusement applaudi l'excellent
baryton Dufranne, pour le dédommager d'être
resté si longtemps à la peine. En l'écoutant, je
m'imaginais le réentendre dans Pelléas, bien que le
Job de la Bible ne ressemble en rien à Golaud,
non plus, peut-être, que certaines dissonances de
M. Rabaud ne ressemblent à celles de M. Debussy.
Décidément, la Critique n'est sûre de rien, si ce
n'est de sa bonne foi quand il ne lui arrive pas de
sommeiller.
Non, elle ne dormait pas à l'exécution du pré-
lude de Parsifal, des deux symphonies en la et en
fa.de Beethoven, dirigés admirablement par M. Co-
lonne ; elle a également, je vous le jure, applaudi
et rappelé de grand cœur Mme Augnez de Monta-
lant après la Procession de Franck et l'Adélaïde de
Beethoven, ainsi que Lucien Wurmser, qui, dans
le concerto en ut mineur du même maître, a eu le
rare mérite et l'exceptionnelle faveur de rendre
muets les trois siffieurs habituels du Châtelet, les
ennemis jurés du nommé Concerto.
Julien Torchet.
CONCERTS EDOUARD R1SLER. - La
sixième séance consacrée à l'audition des sonates
pour piano de Beethoven s'est encore achevée au
milieu de l'enthousiasme ; mais il s'y mêle déjà
du regret. Ceux qui ont assisté à ces concerts
dès le début ne s'habituent pas à l'idée que bientôt
ils vont finir, et les retardataires se repentent de
n'avoir pas entendu les premiers. La tentative
était hardie; elle a réussi et dépassé les prévisions:
812
LE GUIDE MUSICAL
dès la première soirée, les frais des suivantes
étaient plus que couverts. Personne autre que
M. Risler n'était en état d'obtenir un aussi bril-
lant résultat, et je doute qu'après lui aucun vir-
tuose ose, de longtemps, renouveler une pareille
entreprise. Rubinstein et Bulow seuls l'avaient
tentée avant lui.
Les grands artistes ne cesseront jamais d'offrir
au public des sonates de Beetboverj, mais pas
toutes ; ils choisiront les plus connues et les plus
célèbres. Quelle maîtrise ne faut-il pas pour faire
applaudir les pages les moins attirantes, parfois
obscures ! — car les plus beaux génies peuvent,
comme le soleil, avoir aussi leurs taches. Mais,
de par le prestigieux talent de l'interprète, ces
taches disparaissent, tout devient clair et lumineux,
et l'on est forcé de tout admirer « comme une
brute ». Ainsi, samedi dernier, la sonate en fa,
op. 54, ne contenait plus les bizarreries qu'on
croyait y voir; et elle a soulevé autant de bravos
que la sonate en ut, op. 53, appelée « Aurore », et
que YAppassionata, op. 57, un chef-d'œuvre entre
les chefs-d'œuvre. J. T.
— Au troisième concert de la Philharmonique,
outre la joie d'entendre M. Jacques Thibaud, on
a eu, grâce à l'admirable violoniste et à M. Lucien
Wurmser, le régal, trop rarement offert aux fidèles
de cette société, d'entendre de la musique de
chambre française, en l'espèce la très belle sonate
op. i3 de M. Fauré, qui fut exécutée de magnifi-
que manière, comme, du reste, une sonate en la de
Mozart, par laquele débuta la séance.
M. Thibaud, fatigué d'un récent voyage, ne put,
hélas! jouer la chaconae de Bach, qui était annon-
cée. M. Wurmser interpréta finement les varia-
tions en fa de Mozart et un scherzo de Mendels-
sohn. Dans la polonaise en mi de Liszt, il a eu de
jolis moments, mais la puissance et la fougue
nécessaires pour jouer «d'inspiration » cette œuvre
lui ont fait défaut.
Mme Dalcroze a fait apprécier sa voix généreuse-
ment timbrée et bien conduite. Oserai-je lui repro-
cher, parfois, une articulation insuffisamment dis-
tincte, et une appréciable négligence à prononcer
les consonnes? Elle a pourtant bien joliment
chanté Mandoline de M. Fauré, qu'elle a dû bisser;
des mélodies de Schubert, de Peter Cornélius, les
Chants de fiançailles (interprétation un peu pondérée
peut-être*, Renouveau de Castillon, une fade petite
composition de M. Mahler, où une arabesque étale
imperturbablement un ressouvenir de Schubert, et
de M. Legrand, une chanson intitulée Sirène d'or,
où deux petits fragments de motifs bien sages
alternent, se répètent, alternent encore avec tout
l'imprévu des soixante-quatre cases d'un échiquier.
M.-D. C.
— La salle Pleyel était à la lettre trop petite
pour contenir, le Ier décembre, la foule d'amis et
d'amateurs attirés par la jeune renommée du vio-
loniste Emile Mendels. L'artiste a remporté un
succès chaleureux. Son jeu a des qualités indiscu-
tables de sonorité, de pureté et de style; il lui
manque encore parfois, semble-t-il, un peu d'am-
pleur et de puissance. Au programme figuraient
la Symphonie espagnole (Lalo), la romance en fa de
Beethoven, le concerto en mi mineur de Mendels-
sohn et. malheureusement, la voltigeante Clochette
de Paganini.
M. Plamondon, ténor à la voix jolie et menue,
soupira avec goût quelques jolies mélodies de
G. Fauré et H. Duparc. G. R.
— La première séance de musique de chambre
et d'orgue de la Société J.-S. Bach, comprenait
trois pièces pour orgue, dont le Prélude et Fugue en
la mineur. M. Henri Dallier en a rendu toute la
variété et toute la puissance. Œuvre un peu touf-
fue, la suite en la majeur pour violon et clavecin
a encore perdu à être jouée sur un Pleyel trop
sonore et dans un style trop moderne. Par contre,
Mlle Boutet de Monvel a interprété la Fantaisie
chromatique et Fugue comme doit l'être cette superbe
page. Nous avons retrouvé la technique et la jus-
tesse impeccables de M. Debroux dans la sonate
n° 1 pour violon seul, d'exécution si ardue.
Le prochain concert d'orchestre annonce deux
cantates, dont la cantate profane Le Choix d'Hercule
et le premier Concerto hrandébourgeois. C'est un
intéressant programme. F. G.
— Le rapport de M. Henry Maret sur le budget
des beaux-arts semble promettre certaines trans-
formations dans la salle de l'Opéra qui ne seraient
certainement mal venues de personne. On recu-
lerait un peu l'orchestre des musiciens, en en
plaçant une partie sous le proscenium (comme à
l'Opéra-Comique), c'est-à-dire jusqu'au delà de
la place actuellement occupée par le chef d'or-
chestre. L'administration y gagnerait deux rangs
de fauteuils, et le public ne s'en plaindrait pas. On
parle aussi d'un treillage qui pourrait cacher à
volonté l'orchestre pour les œuvres de Wagner.
Enfoncer davantage l'orchestre et rendre moins
bruyant le côté des cuivres sera toujours un bien-
LE GUIDE MUSICAL
8i3
fait; mais le treillage m'a toujours paru d'une
utilité beaucoup moins démontrée.
— Notre collaborateur M.-D. Calvocoressi fera
lundi il décembre, à 8 1/2 heures du soir, une
conférence sur la Musique russe à l'Université
populaire, i57, rue du Faubourg Saint-Antoine.
Une importante partie musicale accompagnera
cette conférence : chansons populaires russes,
œuvres de Glinka, de Dargomyjski, de M. Aki-
menko par Mlle Babaïan; mélodies de Moussorgsky,
Borodine, Rimsky-Korsakow, Balakirew par Mlle
Louise Thomasset; Scherzo (Borodine), Tableaux
d'une exposition (Moussorgsky), lslamey (Balakirew)
par M. Ricardo Vinès.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Là triomphante Armide, qui trois fois par semaine
attire toute l'élite du public dans la salle de la
Monnaie, n'a pas empêché le travail de renouvel-
lement du répertoire. En attendant Chérubin dont
la première est annoncée pour samedi le 16 dé-
cembre, et Werther qui passera prochainement,
on a repris Mireille avec Mlle Korsoff dans le rôle
principal. La charmante artiste qui vocalise on le
sait à ravir, donne à l'héroïne une allure vive et
gracieuse. M. Léon David chante et joue Vincent
avec autant d'élan que de charme. Les autres rôles
sont tenus comme l'hiver dernier, sauf la vieille
Taven, personnifiée non sans caractère par M,le
Bourgeois.
Les autres ouvrages de la semaine ont été Louise,
Carmen et Lohengrin.
Dimanche prochain Armide sera donnée en
matinée avec Mme Litvinne.
CONCERTS POPULAIRES -C'était prévu.
En donnant à son deuxième concert, dimanche
dernier, les esquisses symphoniques intitulées La
Mer de Claude Debussy, M. Sylvain Dupuis
n'ignorait pas qu'il allait troubler l'imagination de
ses auditeurs, ravir quelques-uns de ceux-ci et
provoquer, entre amateurs d'art, des discussions
vives sur la valeur musicale de ces pages prenantes,
C'est ce qui est advenu. Le public bruxellois a
accueilli avec d'autant plus de froideur l'œuvre
nouvelle de M. Debussy, qu'il avait été ressaisi, au
premier concert de la saison, par l'allure drama-
tique et la chaude coloration de la grande fresque
flamande La Mer, de M. Gilson. Les esquisses de
M. Debussy l'ont déconcerté. Il n'a pas été
touché par le charme imprévu de cette musique,
si délicieusement ténue. L'art étrange du maître
français, ses continuelles recherches d'harmonies
fuyantes, sa manière toute personnelle d'exprimer
dans la langue des sons non pas les idées ou les
émotions d'un poète, mais les sensations les plus
délicates qu'une âme d'artiste, très affinée, puisse
recevoir au contact des choses, son plaisir à
trouver dans le jeu des sonorités insolites, l'équi-
valence des couleurs imprécises et des transpa-
rences lumineuses qui échappent aux sens moins
analytiques que les siens, tout cela s'est offert
aisément à l'admiration des auditeurs. Cependant,
l'orchestre de M. Dupuis, pour inaccoutumé qu'il
fût aux substilités d'une telle paraphrase musicale,
a interprété l'œuvre de Claude Debussy avec une
remarquable fidélité.
On devine aisément le succès obtenu, après
cette épreuve, par la jeune violoniste hongroise
Mlle Stefi Geyer âgée de dix-sept ans à peine, qui
nous arrivait à Bruxelles précédée d'un renom,
déjà enviable, de virtuose. M,le Stefi Geyer est
charmante. Elle communique à son jeu toute la
poésie d'une âme encore dans sa fleur, et si elle
devait, en acquérant la plénitude du son avec une
main plus puissante, garder la souplesse et la
nervosité de son mécanisme, l'ampleur du coup
d'archet et cette sentimentalité délicieuse dont
elle nuance sa manière de jouer toute virginale,
elle connaîtrait, au cours de sa carrière d'artiste,
les plus beaux triomphes. On lui a fait un accueil
très chaleureux après le concerto de Goldmarck,
le Rondo de Saint-Saëns et la Czarda de son maître
Jeno Hubay.
Deux œuvres symphoniques, non encore exécu-
tées à Bruxelles, complétaient le programme :
Paris la nuit, du compositeur canadien Frédéric
Delius, et M organe, de M. Auguste Dupont, avo-
cat, fils du regretté professeur de piano du Conser-
vatoire et neveu de Joseph Dupont.
Le nom de M. Delius commence à se répandre
dans le monde musical. On a exécuté l'été der-
nier, à Dusseldorf, au Festival rhénan, sa sym-
phonie avec chœur Appa7achia, que le Stern'sche
Verein de Berlin se propose d'interpréter cet
hiver, tandis que l'Opéra-Comique de Berlin repré-
sentera son drame musical Roméo et Juliette au vil-
S14
LE GUIDE MUSICAL
lage, tiré du poétique roman de Gottfried Keller.
L'auteur de Paris la nuit est maître de son métier.
Il possède, avec une connaissance profonde des
ressources de l'orchestre, le goût de l'expression
colorée, une grande richesse d'idées et le sens
mélodique. Son œuvre aurait reçu encore meilleur
accueil si elle était moins surchargée de détails
inutiles.
La suite symphonique de M. Auguste Dupont
renferme des pages intéressantes ; elle est bien
construite, avec des développements clairement
établis et une orchestration, certes, habile et méri-
toire chez un non professionnel. Elle a été très bien
accueillie. E. B.
S/
— Il y avait longtemps, vingt ans au moins,
qu'on n'avait entendu à Bruxelles la Société des
instruments à vent, fondée par Taffanel, le célèbre
flûtiste, aujourd'hui chef d'orchestre de l'Opéra.
Les instrumentistes ne sont plus les mêmes, le
chef n'est plus au milieu d'eux, mais la tradition
est restée, tradition précieuse et féconde qui a créé
une élite dans un groupe de musiciens pour la plu-
part exclus de la virtuosité soliste, étant relégués
dans les orchestres ou les harmonies militaires,
les plus favorisés arrivant seuls au professorat, et
les autres à ce point absorbés par les corvées obs-
cures du métier, se désintéressant peu à peu de la
littérature de leurs instruments. En créant cette
élite, Taffanel lui a suscité des émules ; il a relevé
le niveau de la corporation, et, par cela même,
non seulement il a guéri du couac les moindres
orchestres, mais, en outre, exhumant pour l'élite
des œuvres classiques dont les beautés restaient
enfouies dans les bibliothèques, il a suscité des
œuvres nouvelles, les compositeurs vivants tenant
à écrire pour elle des pages inédites.
C'est ce dont on a pu se rendre compte une fois
de plus à la soirée donnée la semaine dernière au
Cercle artistique, par les grands artistes parisiens.
Après le quintette de Mozart, pour piano, haut-
bois, clarinette, cor et basson, où se révèlent l'élé-
gance facile et la sensibilité spontanée du maître,
on a entendu un trio de Haendel pour deux haut-
bois et un basson, que le compositeur semble avoir
écrit pour se rendre compte des ressources de ces
instruments et qui n'en est pas moins d'une verve
étourdissante et d'un caprice exquis. Il y a là no-
tamment une sorte de scherzo qui a enlevé toute
la salle et valu une véritable ovation à MM. Bleu-
zet, Bourbon et Letellier. Celui-ci, le basson, y a
des répliques d'une ironie fantasque et spirituelle,
et à certains moments le premier hautbois, M. Bleu-
zet, nous a donné l'illusion du staccato de violon.
Pas une défaillance dans ce morceau vertigineux.
En vérité, c'était superbe !
De même, une sonate de J. Bach, où l'on
remarque un andante traité dans une forme quasi
canonique, deux morceaux ont mis en lumière le
style gracieux et le doigté agile du flûtiste, M. Ph.
Gaubert, qui d'ailleurs manque un peu de puis-
sance sonore.
Dans ces deux œuvres, il serait tout à fait injuste
d'oublier la part du pianiste, M. Grovlez. Son
rôle d'apparence secondaire n'en est pas moins
important, surtout dans la sonate de Bach, où sa
partie est toujours concertante.
Deux œuvres modernes figuraient au pro-
gramme :
Romance et Pastorale de Gounod, pour flûte
(M. Gaubert). clarinette (M. Mimart), deux haut-
bois (MM. Bleuzet et Bourbon), deux cors (MM.
Penable et Delgrange), et deux bassons (MM.
Letellier et Jacot). Extrait de la symphonie, dit le
programme. Laquelle ? Nous l'ignorons, sans
doute, car nous ne l'avons pas reconnue. Une
transcription, peut-être. Habilement écrite, elle ne
compte pourtant guère parmi les pages maîtresses
de l'auteur de Faust. Les formules d'accompagne-
ment y tiennent trop de place pour la musique de
chambre, qu'elle soit de vent ou de cordes. Du
moins l'interprétation en a-t-elle été parfaite, et la
romance a fait grand plaisir.
Pour finir, un grand divertissement de M. E.
Bernard pour flûte, deux hautbois, deux clarinettes,
deux cors et deux bassons, réunissant les artistes
déjà cités, plus la seconde clarinette, M. Lebailly.
Organiste à Paris, M. Emile Bernard n'est pas
inconnu à Bruxelles, où il dirigeait, il y a quelque
vingt ans, un concerto de sa composition écrit pour
Sarasate, et interprété par le célèbre violoniste au
Théâtre de la Monnaie. Bien que nous ayons
gardé bon souvenir de ce concerto, le divertisse-
ment nous a paru très supérieur par la qualité
des idées directrices et par l'habileté avec laquelle
l'auteur les développe et les emmêle, de manière à
tirer parti des ressources que lui offrent des talents
exercés ; tout en faisant à chacun sa part du gâteau
sonore, s'il est assez avisé pour faire briller l'un
après l'autre les timbres divers qu'il a sous la main,
il ne s'entend pas moins à obtenir de leur coalition
une sonorité d'ensemble dont la plénitude et la
séduction dépassent l'ordinaire.
Ce tutti a fait une belle péroraison à cette soirée,
qui a brillamment inauguré la reprise des auditions
musicales du Cercle. C. T.
LE GÙÏDË MUSICAL
8t5
— Mme Ciotilde Samuel-Kleeberg qui, depuis
qu'elle est installée à Bruxelles, y transmet les
traditions les plus pures de l'école classique du
piano, donne chaque année un récital qui réunit
les nombreux admirateurs de son talent fait de
grâce, de finesse et de gravité. Cette fois son
récital, qui a eu lieu jeudi à la Grande Harmonie,
était consacré à Beethoven. Fort judicieusement,
l'éminente artiste avait choisi dans l'oeuvre du
maître de Bonn une série de pages à la fois peu
connues et appropriées au tempérament féminin.
Le jeu perlé et d'une saveur si enchanteresse de
l'artiste, son style probe, empreint de toute la
pureté classique, son expression émue qui, si elle
n'éveille pas les grands frissons de l'héroïsme ou
de la douleur, touche néanmoins l'âme par sa
tendresse et sa grâce; toutes ces qualités, dès
longtemps appréciées, se sont manifestées encore,
dans leur plus bel épanouissement, au cours de la
soirée de jeudi. Mme Kleeberg a joué quatre
sonates, les op. 10 n° 3, i3, 53 et 90, et les varia-
tions op. 34. Celles-ci furent, avec l'op. 90 et
l'adagio de l'op. 10, les moments culminants du
concert, au point de vue de la compréhension et
de l'exécution vraiment féerique.
L'auditoire manifesta chaleureusement à la
pianiste sa reconnaissance pour la joie de ces
heures d'art sérieux et noble, qui lui rappelaient
par instants la pure beauté des interprétations
d'Hans von Bùlow.
— Le distingué pianiste M. Emile Bosquet a
donné lundi un piano-récital à la Grande Harmo-
nie. Nous avons eu trop souvent l'occasion de
rendre hommage au beau talent de cet artiste
consciencieux pour qu'il soit nécessaire d'insister
encore sur ses remarquables qualités. M. Bosquet
appartient à la lignée des pianistes classiques. Il
ne sacrifie ni l'interprétation d'une oeuvre à son
exécution, ni la pensée d'un auteur à sa propre ori-
ginalité. 11 joue les maîtres comme ceux-ci ont
toujours souhaité d'être joués : avec intelligence.
Le public, séduit par la souplesse de son jeu, l'a
vivement applaudi après la Toccata et Fugue en ut
mineur de J.-S. Bach, après la sonate en mi majeur
de Beethoven, après le Sonnet de Pétrarque et le
MépUsto-Wah de F. Liszt.
— C'est par un magnifique concert, donné mardi
à l'Ecole de la rue Gallait, que le comité de la
Croix rouge de Schaerbeek a fêté le quinzième
anniversaire de sa fondation.
MM. Eugène et Théo Ysaye ainsi que les élèves
de l'Ecole de Saint-Josse-ten-Noode-Schaerbeek,
qui prêtaient leur concours à la solennité, ont
enthousiasmé le public énorme accouru pour les
applaudir, les premiers en exécutant ensemble une
sonate de Hamdel. la ballade et polonaise de
Vieuxtemps, les seconds en interprétant, sous la
direction de M. Huberti, des rondes enfantines de
Jaques-Dalcroze, des piécettes de César Franck et
une œuvre d'une délicatesse exquise, de M. Pierné,
la seconde partie de la Croisade des Enfants.
M. Huberti mérite les plus vifs éloges pour le
talent qu'il a déployé dans la conduite de ses
morceaux, et pour la façon charmante dont ces
élèves, fort bien stylés, se sont acquittés de leur
tâche. M:ies Poirier et Latinis, MM. Demest et
Achten ont chanté le Poème d'amour, au piano,
avec beaucoup d'art.
— Pour rappel, Concerts Ysaye. — Le pro-
gramme du prochain concert est des plus intéres-
sant. Dirigé par M. Eugène Ysaye, il aura comme
soliste M. Jacques Thibaud, le violoniste virtuose
français, dont chacun se rappelle les succès aux
Concerts Ysaye.
— En raison du peu d'empressement que montre
le public à seconder l'initiative prise par M. Eu-
gène Ysaye pour lui faire connaître les œuvres de
musique de chambre de l'école belge, celui-ci
nous prie d'annoncer que les quatre séances qu'il
comptait consacrer à ces œuvres, n'auront pas
lieu.
— Mardi soir, à 8 1/2 heures, dans la salle de la
Grande Harmonie, concert Busoni.
Pour les billets, s'adresser chez MM. Breitkopf
et Hàrtel.
— Mlle Stefi Geyer donnera le mercredi i3
décembre courant, à 8 1/2 heures, dans la salle
de la Grande Harmonie, un concert avec le con-
cours du pianiste Paul Goldschmidt.
Pour les billets, s'adresser chez Schott frères.
— M. Pablo Casais se fera entendre à la Grande
Harmonie le mardi 19 décembre prochain, dans
un concert organisé par la maison Schott frères
et auquel coopéreront le pianiste Emile Bosquet
et le violoniste Mathieu Crickboom.
8i6
LE GUIDE MUSICAL
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Miss Mary Brema, la grande
cantatrice wagnérienne, a donné la semaine
dernière un Lieder- Abend à l'Harmonie. Elle a
dit avec un art merveilleux des Lieder du xive et
du xve siècle; le cycle : La Vie et l'Amour d'une
femme de Schumann, le Roi des Aulnes de Schubert
et enfin des Lieder de Bruneau et Chabrier.
La direction de notre Théâtre royal est déclarée
vacante. De nombreux candidats postulent déjà la
succession de M. Bruni, dont tous les Anversois
regrettent le départ. M. Bruni a été un directeur
des plus digne, d'une entière probité artistique.
Rappelons que la Société des Nouveaux Con-
certs d'Anvers organise, outre les cinq grandes
auditions données au Théâtre royal, quatre séances
de musique de chambre qui auront lieu dans la
grande salle du Cercle artistique.
La première de ces séances est fixée au mercredi
i3 décembre. On y entendra la Société de concert
des instruments anciens de Paris, dont M. Camille
Saint-Saëns est le président et qui se compose de
cinq instruments : le quinton ou par-dessus de
viole, le clavecin, la viole d'amour, la viole de
gambe ou basse de viole, et la contrebasse à trois
cordes.
La deuxième, la troisième et la quah-ième
séance auront lieu le 2 février, le 24 février et le
21 mars prochains. G. P.
BORDEAUX. — Le premier concert de
la Société Sainte-Lécile a obtenu, auprès
d'un auditoire dont la salle du théâtre ne put
accueillir toute l'affluence, un fort bon succès.
Les mélomanes qui veulent
De la musique avant toute chose
en ont rapporté l'honneur à l'orchestre et à son
chef, M. Pennequin. La Symphonie héroïque, les
Murmures de la forêt, l'ouverture des Maîtres Chan-
teurs ont été joués tour à tour avec tout l'empor-
tement, la délicatesse, la poésie que ces nobles
chefs-d'œuvre réclament. Tout au plus ferai-je,
pour les Maîtres Chanteurs, une réserve : le mouve-
ment, un peu serré, ne donnait pas absolument
l'impression de carrure massive et lourde qui con-
vient ; parfois même, un peu de précipitation don-
nait des inquiétudes : ainsi, dans le molto staccato,
les bois (mais comme on les comprend !; folâtraient
à cœur-joie, non sans quelque intempérance. En
revanche, toute la péroraison eut une magnificence
de sonorité et de style qui souleva les acclama-
tions.
En intermède, l'exécution, par huit élèves de la
classe de M. Jandelli, de deux négligeables pièces
de G. de Saint-Quentin pour deux groupes de
harpes, Carillons blancs et Carillons noirs, a fait hon-
neur au professeur et plaisir aux familles. Le reste
du concert fut rempli par M. A. Géloso, violoniste.
Dès son entrée, M. Géloso a reçu du public un
accueil que ses origines bordelaises et son renom
personnel justifiaient amplement, et la maîtrise de
son jeu, son émouvante qualité de son ont excité
de justes applaudissements.
M. Géloso a donné le lendemain un fort beau
concert où, accompagné par un bon quatuor et, au
piano, par M. J. Daëne, un familier des vieux
maîtres, il a fait applaudir des sonates de Leclair,
Haendel et Bach, des pièces de Bach pour violon
seul, un concerto de Hsendel et deux concertos de
Bach. Programme héroïque, exécuté avec une
fougue passionnée et d'un archet mordant.
A. L.
rA HAYE. — Au premier concert de la
J société Diligentia, M. Mengelberg et son ex-
cellent orchestre nous ont donné une exécution
superbe de l'ouverture de Coriolan de Beethoven,
du prélude du troisième acte de Lohengrin et des
variations symphoniques sur un thème original de
Nicodé, œuvre fort intéressante, orchestrée de
main de maître.
Les deux solistes du concert, Mme Lula Mysz-
Gmeiner et le pianiste-compositeur M. Ernest von
Dohnanyi, ont obtenu le plus vif succès. M. Doh-
nanyi, d'origine hongroise, est né à Presbourg en
1877. Compositeur distingué, il a déjà écrit une
symphonie, un concerto pour piano et un quatuor
pour instruments à cordes. Pianiste remarquable,
il a joué dans la perfection le concerto en f/ majeur
de Brahms, l'andante en fa majeur et le Rondo a
capricio de Beethoven.
Le seconde matinée symphonique donnée par
Henri Viotta avec le Residentie-Orkest nous a fait
entendre YEroïca de Beethoven, le Rouet d'Omphale
de Saint-Saëns et l'ouverture du Carnaval romain
de Berlioz, et ce sont les deux premières parties de
la symphonie qui nous ont le plus favorablement
impressionné. Comme soliste, nous avons entendu
le violoniste suisse Henri Marteau, qui nous a
donné une exécution superbe du concerto n° 3, en
sol, de Mozart, de la fantaisie op. i3i de Schu-
mann et d'un prélude de J.-S. Bach.
M. Gabriel Pierné va revenir en Hollande pour
assister le 19 décembre, à Rotterdam, à l'exécution
de sa Croisade des enfants et de Y An Mil par le choral
mixte Gemengd Koor, sous la direction de George
Rijken.
LE GUIDE MUSICAL
8î?
L'Opéra italien, qui joue à Amsterdam, annonce
des représentations de Mme Irma Monti-Baldini,
du théâtre de San Carlo de Naples, dont on dit le
plus grand bien.
La Société pour l'encouragement de l'art musi-
cal exécutera à son premier concert à Amsterdam,
sous la direction de Mengelberg, les Saiscns de
Haydn, avec le concours de Mme Alida Lutkeman,
du baryton Messchaert et du ténor Hess, de
Francfort.
L'Opéra royal français de La Haye a mis à
l'étude la Reine Fiametta de Leroux et Véronique de
Messager. Ed. de H.
IA ROCHE SUR-VAR. — Une Société
J des Matinées musicales s'est fondée ici dont
les séances font une profonde impression artisti-
que. Celle du 26 novembre, notamment, présentait
des reconstitutions de danses anciennes, avec le
concours de Mlles Sandrini et Beauvais, de l'Opéra
de Paris, qui furent d'un goût exquis. M. Emile
Baumann, (l'auteur d'un volume récent consacré à
Saint-Saëns), avait d'abord fait une causerie sur les
danses ; puis Mlle Sandrini a exécuté trois danses
grecques deBourgault-Ducoudray,la gavotte d'Ar-
mide et, avec M1,e Beauvais, la pavane de Thoi-
not-Arbeau, une sarabande et un passe-pied de
Rameau, un menuet de Hsendel et une gavotte ten-
dre de Lully. La matinée comportait d'ailleurs de
la musique d'orchestre, des chœurs, des pièces de
piano, avec M. Georges de Lausnay, le délicat
pianiste, et des mélodies, avec Mme Mutterer...
De tels efforts d'initiative, dans un petit centre, et
si bien dirigés, méritent tout à fait d'être encoura-
gés. P.
LIEGE. — Le Théâtre royal a traversé la
pénible période des débuts; la première du
Jongleur de Notre-Dame aura eu lieu quand paraî-
tront ces lignes. Mais il n'est que tardivement
juste de constater l'excellent état de la troupe
formée par M. Dechesne et, avant cette première
qui sera suivie d'autres et d'importantes reprises,
de louer une direction qui fait de réels efforts pour
varier un répertoire forcément restreint. Le qua-
tuor de grand-opéra a plu et s'est imposé dès les
premiers soirs; il est composé de MUe Catalan, la
falcon rengagée, du ténor de l'an passé, M. Per-
rens, d'un baryton dont la voix et le zèle ont plu
universellement, M. Rouard, enfin d'une basse qui
a de belles notes, à défaut d'une grande expé-
rience, M. Malherbe. Dans l'opéra-comique, après
un essai malencontreux, on s'est adressé à Mlle
Tonès, qui avait été, il y a cinq ans, la favorite
de notre public ; celui-ci l'a retrouvée en posses-
sion de ses qualités de chanteuse et de comé-
dienne, plus maîtresse d'elle-même, en outre, et
plus sûre de ses effets. Il serait injuste d'omettre
le ténor Fontaine et la basse Bernard, qui secon-
dent intelligemment cette artiste. Enfin, que dire
des représentations d'opérettes, sinon qu'elle ont la
vogue? Ce qui ne doit pas faire oublier à la
direction qu'il y a déjà une scène à Liège pour ce
genre de divertissements et qu'à trop les multi-
plier, elle se ferait tort, ainsi qu'à la bonne tenue
du théâtre, dont le cadre convient mieux au drame
lyrique qu'à des bagatelles démodées.' W.
IYON. — La fondation de la nouvelle
J société symphonique des Grands Concerts
a trouvé ici un accueil sans précédent. Les feuilles
de souscription, couvertes en quelques jours,
assurèrent longtemps avant sa naissance l'avenir
de ce grand mouvement artistique. Malgré les
railleries des s< eptiques et les sinistres prévisions
des découragés, M. Witkowski, le vaillant orga-
nisateur, tournait ou renversait des obstacles sans
nombre, que devinent tous ceux qui ont fait son
rêve sans oser le réaliser. Si je vous disais que la
perfection a été atteinte dès l'abord, vous ne me
croiriez pas, sachant la difficulté de réaliser un
tout homogène avant que les parties soient assi-
milées et qu'on se « sente les coudes », suivant
l'expression pittoresque qui court parmi les pupi-
tres. Mais déjà le quatuor à cordes s'est révélé
étonnamment unifié, vigoureux et précis jusque
dans les traits épineux de Léonore (n° 3). L'Har-
monie, avec quelques très légères faiblesses, a
fait preuve en général d'une belle vaillance et d'un
tact louable. Nous avons aussi applaudi une bonne
exécution de la Jeunesse d'Hercule < Saint-Saëns) et
de l'ouverture des Maîtres Chanteurs, brillamment
enlevée, malgré le souvenir obsédant de soirées
glorieuses. Ysaye prétait enfin à cette valeureuse
phalange le concours de son talent trop universel-
lement exalté pour que nous l'accablions d'éloges
pâles. Il a interprété avec une merveilleuse sim-
plicité de jeu et une indicible variété d'attitudes
le concerto en mi de Bach et la Symphonie espa-
gnole de Lalo. L'orchestre l'a accompagné avec
discrétion, et la direction souple et intelligente de
M. Witkowski fait prévoir pour l'avenir un chef
de tout premier ordre.
Ce concert est, somme toute, une promesse très
ferme de succès, une réponse énergique au raison-
nement des critiques qui naguère dénonçaient le
8 ià
LE GUlbË MUSICAL
danger des tentatives semblables. « Elles pou-
vaient échouer et compromettre alors les efforts
ultérieurs. » Le mot est admirable... Par bonheur, le
public lyonnais, dont on a trop souvent et peut-
être injustement raillé l'apathie, a su voir dans les
Grands Concerts un bel effort à encourager, et
il a salué leur apparition par un geste d'heureux
augure. G. D.
MADRID. — Le Théâtre royal a rouvert
ses portes avec des représentations de La
Tosca et de V Africaine, qui ont valu le plus gros
succès au ténor espagnol M. Vinas.
La Société philharmonique madrilène a repris
ses concerts de musique de chambre. Les virtuoses
qu'i lie a engagés pour la saison 1905-1906 sont:
Mme Wanda Landowska, Mlle Luisa Ritter,
M. Edoaurd Risler, M. Raoul Pugno, pianistes ;
M me Maria Gay, artiste du chant; le Quatuor
Ha3'Ot (MM. Hayot, André, Denayer et Salmon) ;
le Quatuor Rosé, de Vienne (MM. Rosé, Fischer,
Ruricka et Buxbaum), et M.VT. Hekking (violon-
celliste), Frôlich {Lieder) et E. Ysaye (violoniste).
L'Académie royale des Beaux-Arts vient d'ac-
corder le prix de 2,000 francs à l'opéra espagnol en
un acte La Vida brève (vie courte^ livret de M.
Fernander-Shaw, musique de M. Falla, pianiste;
le prix de composition symphonique à M. Perez
Casas, chef de la musique de garde royale, et le
prix de danses et chansons populaires à M.
Ledesma.
PAU. — Les concerts classiques ont repris
leurs séances régulières, sous la direction
si artistique de M. Brunel. Le premier était con-
sacré aux œuvres de Saint-Saëns ; il comportait
naturellement la symphonie en ut mineur, où le
maître a tenté, avec tant de richesse et de variété,
d'élargir encore le cadre classique à jamais fixé
par Beethoven ; puis le deuxième concerto pour
piano, en 50/ mineur, où triompha M. Henri Schi-
denhelm, au style simple et coloré tout ensemble,
au jeu net et intelligent, plus d'une fois si applaudi
ici. Puis la Danse macabre, l'ouverture de la Prin-
cesse jaune, la Marche héroïque, le prélude du Déluge.
Le second concert, dit shakespearien, a offert aux
auditeurs l'ouverture d'Hamlet et la Tempête de
Tschaïkowsky, des fragments de Roméo et Juliette,
de Berlioz, la musique de scène pour Shylock, de
• M. G. Fauré, deux morceaux du Songe d'une nuit
d'été de Mendelssohn, enfin l'ouverture du Roi Lear,
de Berlioz. Il est difficile de rencontrer programme
plus varié et d'une composition plus curieuse.
R.
NOUVELLES
On a publié le relevé des représentations
lyriques données sur les théâtres d'Allemagne
dans le cours de l'année dernière, c'est-à-dire du
ier septembre 1904 au 3i août igo5. Voici le
chiffre des principaux succès :
Ecole allemande (opéras) : Beethoven, Fïdelio :
182 représentations; Flotovv, Marihi : 187. —
Humperdinck, Hànsel et Gretel : i58 ; Lortzing,
Undine : i85; Der W affenschmied : 179: Zar îind
Zimmermann : 201. — Mozart, Don Juan : 80;
Figaro's Hcchzeit : i36; Die Zauberflôie : ij5. —
Nessler, Der Trompeter von Sdkkingen : 127. —
Nicolaï, Die Lustigen Weiber von Windsor : 154. —
Wagner, Der Fliegende Hollànder : 218; Gôtterdàm-
merung : 89 ; Lokengrin : 341 ; Die Meistet -singer : 192 ;
Das Rheingold : 96; Siegfried : 127; Tannhàuser : 326 ;
Tristan und 1 solde : 68; Die Walkùre : 168. — Weber,
Der Freischùtz : 261. — (Opérettes) Eysler, Bruder
Straubinger : 128. — Hellmesberger, Das Vtïlchen-
màdchen : i23. — Herblay, Das Schwalbennest : 2o3. —
Jones, Die Geisha : 164. — Lehar, Der Rastelbinder :
i58. — Millôker, Der Bettelstudcnt : 187; Jung
Heidelberg : 201. — Reinhardt, Das Susse Màdel :
i36. — Strauss, Johann, Die Fledirmaus : 422; Der
Zigeunerbaron : 209. — Strauss, Josef : Friihlings-
lufl : 459. — Zeller, Der Vogelhàndler : i36.
Ecole française (opéras et opéras-comiques) :
Auber, Fra Diavolo : 90. — Bizet, Carmen : 341.
— Gounod, Faust : 220. — Halévy, La Juive : 87. —
Maillart, Les Dragons de Villars : 126. — Meyerbeer,
Les Huguenots : 88. — Offenbach, Les Contes d'Hoff-
mann : 182. — Thomas, Mignon : 241. — (Opéret-
tes) : Audran, La Poupée : 142. — Hervé, Mlle Ni-
touche : n3.
Ecole italienne : Donizetti,L« Fille du régiment :
100. - Leoncavallo, Paillasse : 218. — Mascagni,
Cavalleria rusticaiu : 229. — Rossini, Le Barbier de
Séville : 142. — Verdi, Aïda : 148 ; Le Trouvère : 197;
La Traviata : 85.
Il résulte de ce tableau que les œuvres qui ont
été représentées le plus souvent sont, par ordre :
Caimen et Lohengrin (ex aequo*, Tannhàuser, Le Frei-
schiitz, Mignon, Cavallria, Faust, Le Vaisseau fantôme
et Paillasse (ex sequo\ Tsar et Charpentier, Le Trou-
vère, Les Mcitres Chanteurs, etc., sans compter, bien
entendu, les opérettes des d.ux Strauss, qui dépas-
sent tous les chiffres.
— Le Théâtre municipal de Hambourg donnera
cet hiver, en manière de cycle, les œuvres sui-
vantes, choisies dans le répertoire lyrique de tous
les pays : Almira, de Hasndel; Les Noces de Figaro,
LE GUIDE MUSICAL
819
La Flûte enchantée, de Mozart; Orphée, de Gluck;
Fidelio, de Beethoven; Freischùtz, Obérou, de We-
ber, Ondine, de Lortzing; Le Prophète, L'Africaine,
de Meyerbeer ; Tannhàuser, Le Vaisseau pantôme, Les
Maîtres Chanteurs de Nuremberg, Tristan et Isolde, de
Richard Wagner; Joseph, de Méhul; La Dame
blanche, de Boïeldieu ; La Muette de Portiez, d'Auber ;
La Juive, d'Halévy ; Mignon, d'Ambrois Thomas;
Faust, de Gounod ; Carmen, de Bizet ; Le Barbier de
Séville, Guillaume Tell, de Rossini; Norma, de
Bellini; Lucie de Lammermoor, de Donizetti; Otello,.
La Traviata, de Verdi; La Tosca, de Puccini; Les
Macchabées, de Rubinstein ; Dalibor, de Smetana.
— On a donné à Mayence, le 12 novembre der-
nier, une représentation de Wallenstein avec une
musique de scène écrite d'après des mélodies du
xvne siècle. C'était pour célébrer le i56e anniver-
saire de la naissance de Schiller.
— Mme Riss-Arbeau vient de remporter à Lille,
aux Concerts populaires, un succès qui a fait la
plus grande impression. Le concerto en mi mineur
de Chopin, des pièces de Hanselt, l'Etude en forme
de valse de Saint-Saëns, enfin une tarentelle, de
Chopin encore, ont fait applaudir avec transports
ces qualités de puissance simple et de grâce déli-
cate que nous avons plus d'une fois signalées ici.
— Sur l'initiative de M. Pasini, habitant de la
petite ville de Salo, située sur le lac de Garde et
lieu de naissance du fameux luthier connu sous le
nom de Gasparo da Salo, une souscription a été
ouverte en cette ville dans le but de rappeler la
renommée de ce célèbre artisan à l'aide d'une
pierre commémorative. Gasparo da Salo, qui de
son vrai nom s'appelait Bertalotti, naquit à Salo
vers 1542 et mourut à Brescia le 14 avril 1609. Il
fut l'un des premiers de cette illustre lignée de
luthiers italiens qui rendirent leur patrie si fameuse
sous ce rapport. Il travailla pendant près d'un
demi-siècle, produisit d'excellentes violes, basses
et contrebasses de viole, et construisit même un
certain nombre de violons, instrument alors dans
sa nouveauté.
— La maison natale de Bach, à Eisenach, a été
acquise cette année au prix de 2,5oo francs par
la Nouvelle Société Bach ; elle va être trans-
formée en un musée de souvenirs en l'honneur du
célèbre maître. A l'étage supérieur se trouve la
chambre dans laquelle Bach a vu le jour, le 26
mars i685. On doit y placer non seulement de
nombreuses partitions, mais aussi les objets que
l'on pourra recueillir comme se rattachant sous
quelque rapport à la mémoire du vieux cantor de
Leipzig.
BIBLIOGRAPHIE
La réouverture de la saison nous a apporté,
aussi bien en France que chez nos voisins d'ou-
tre-Rhin, quelques publications de réel intérêt. En
même temps que l'éditeur parisien Laurens met-
tait en vente les premiers volumes de sa collection
si utile sur les grands musiciens : le Rossini de
M. Dauriac,le Gounod, intelligemment documenté,
des frères Hillemacher, l'excellent Liszt de notre
collaborateur Calvocoressi, qui comble à merveille
une regrettable lacune, la maison berlinoise Bard
Marquardt et Cie ajoutait à sa significative biblio-
thèque Die Musik, dirigée avec l'autorité que vous
connaissez par M. Richard Strauss, plusieurs opus-
cules fort attrayants. Quelques-uns sont même,
grâce à un trop rare éclectisme, rédigés par des
musicographes français. Parmi eux, il me faut
vous signaler une Histoire de la musique française et
une Histoire de la musique russe dues à la plume
experte de M. Alfred Bruneau, puis surtout le très
remarquable tableau d'ensemble que M. Romain
Rolland vient de donner, sous le titre Paris als
Musihstadt, de la vie musicale parisienne, sujet
périlleux et complexe s'il en fut, traité avec une
concision, une modération, une indépendance et
une hauteur de vues qui ne surprendront certes
pas les lecteurs de l'admirable Jean-Christophe. Un
tel exposé vient à point pour redresser les idées
étranges qui trop souvent, et sans contrôle aucun,
sont répandues sur la musique française contem-
poraine dans un pays que le plus splendide passé
musical devrait cependant rendre plus hospitalier.
Nul plus que moi ne saurait donc souhaiter tout le
succès et la diffusion qu'il mérite au petit livre de
M. Romain Rolland.
A l'exemple des critiques, les musiciens français
voient pourtant quelquefois — grâce à une louable
exception — , leurs oeuvres accueillies par des édi-
teurs allemands. C'est ainsi que M. Henri Marteau,
qui joint à sa juste renommée de violoniste un
solide talent de compositeur, a récemment fait
paraître chez M. Simrock, à Berlin, trois impor-
tantes productions : une expressive Chaconne pour
alto, entendue cette année aux Concerts du Con-
servatoire de Paris, un vibrant Concerto pour vio-
loncelle, habilement conçu pour mettre en valeur
les qualités de l'instrument — et ce n'est pas, en
S20
LE GUIDE MUSICAL
l'espèce, vous le savez, une tâche aisée, — enfin un
Deuxième Quatuor à cordes qui dénote, outre
d'abondants dons inventifs, une virtuosité d'écri-
ture éprouvée et une noble visée d'art.. De même,
Mlle Blanche Selva, dont je ne prétendrai pas décou-
vrir ici les qualités peu communes d'interprète et
la nature profondément musicale, vient de faire
d'heureux débuts en publiant, à l'Edition mutuelle
en dépôt à la Schola Cantorum, une mélodie intense
et pénétrante sur un poème de M. Mithouard, Les
Ancêtres du lys. Et je tiens à vous recommander
aussi, avant de quitter l'Edition mutuelle, le Trio
de M. René de Castéra pour piano, violon et vio-
loncelle, clairement et librement construit, plein
d'une charmante spontanéité mélodique, qui, dans
le deuxième morceau en particulier, possède une
vive saveur de terroir, et évoque la lumière chan-
tante du pays basque espagnol...
Tandis que M. Demest fait aux délicieux Rondels
et à la nonchalante Pavane de M.Ravel les honneurs
d'un tirage nouveau, MM. Durand et fils, tout en
poursuivant, par la publication du quatrième vo-
lume, la résurrection des spirituelles Pièces de
Couperin, offrent aux admirateurs, devenus si vite
innombrables, de M. Claude Debussy trois mor-
ceaux nouveaux pour piano que la fantaisie de
l'auteur de Peïléas voulut cette fois-ci intituler
Images. Si j'apprécie à leur valeur les caressants
jeux sonores de\Reflets dans l'eau, l'ingéniosité fluide
de Mouvement, toutes mes préférences vont au sen-
timent profond et passionné, à la séduction mys-
térieuse et troublante de Y Hommage à Rameau, où
se retrouve l'essence même de la sensibilité de ce
magicien des sons. G. S.
— Le tome II de l'édition du Roman de Tristan
du poète français du xne siècle Thomas, par M. J.
Bédier, vient de paraître dans la collection de la
Société des anciens textes français. Cela est de
premier ordre pour l'histoire de Tristan, car tous
les textes, tous les romans en prose ou en vers ont
été analysés, contrôlés, rapprochés, et l'arché-
type commun déterminé dans ces pages extrê-
mement curieuses et documentées.
Ipianos et Ibarpes
fôruseUes : 6, rue Xambermout
paris : rue ou jffiafl, 13
REPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPERA. — Lohengrin; Le Freischiitz, Coppélia;
Faust; Le Cid.
OPÉRA-COMIQUE. — Lakmé; Manon; Les Dra-
gons de Villars; Werther; Miarka; Le Barbier de
Séville, Cavalleria rusticana ; Miarka; Carmen.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Héro-
diade ; Armide; Mireille; Louise; Armide ; Carmen;
Armide.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Dimanche 10 décembre. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra, troisième Concert Ysaye,
sous la direction de M. Eugène Ysaye, avec le concours
de M.Jacques Thibaud, violoniste. Programme : « Sym-
phonie Homérique », première audition (Lod. Mortel-
mans); 2. Concerto en si mineur (C. Saint-Saëns),
M. Jacques Thibaud; 3. « Lala-Roukh », tableau s}on-
phonique, première audition (J. Jongen) ; 4. Chaconne
pour violon seul (J.-S. Bach), M. Jacques Thibaud;
5. Divertissements sur des airs russes, première audi-
tion (H. Rabaub).
Mardi 12 décembre. — A8^ heures du soir, à la salle
Erard, séance de sonates (école belge), piano et violon
donnée par Mlle Alice Cholet, violoniste et M. Léon
Delcroix, pianiste. Au programme : Sonates de C.
Franck, G. Lekeu et V. Vreuls.
Mardi 12 décembre. — A 8 Y2 heures du soir, en la
salle de la Grande Harmonie, Concert Busoni. Pro-
gramme : 1. Sonata Appassionata (Beethoven); 2. Deux
Chorals (Bach-Busoni) ; 3. Sonate en si bémol mineur
(Chopin) ; 4. Grandes Etudes, d'exécution transcendante
(Liszt).
Mercredi 13 décembre. — A 8 ^ heures du soir, à la
salle Erard, trio Lorenzo : E Barat, pianiste; M. v. Lo-
renzo, violoniste; J. Kuhner, violoncelliste. Pro-
gramme : 1. Trio n° 1, op. 63, en ré mineur (R. Schu-
mann 1847); 2. Sonate pour piano et violon (César
Franck). MM. Barat et Lorenzo; 3. Trio en ut mineur,
op. 54 (F. Luzzatto).
Lundi 18 décembre. — A 8 % heures du soir, à la salle
Erard, concert donné par Mlle Léontine Verheyden et
M. Emile Riga, lauréats des Conservatoires de Bru-
xelles et Paris, avec le gracieux concours de MM.
X. X. X.; Chiaffitelli, violoniste; G. de Bilsten, violon-
celliste. Au programme : Saint-Saëns, Wieniawski,
Chopin, César Franck, Davidoff, Riga, Mendelssohn,
Trémisot, A. Béon, Verheyden.
Mardi 19 décembre. — A 8 J^ heures, en la salle de la
Grande Harmonie, concert donné par MM. Pablo
Casais, violoncelliste; Emile Bosquet, pianiste; Mathieu
Crickboom, violoniste. Programme : 1. Trio en ré
LE GUIDE MUSICAL 821
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La partition d'orchestre du Prélude, in-8° Fr. 1,75 net
La partition d'orchestre du Prélude et Mort d'Isolde Fr. 2, — net
Bureau de Concerts SCHOTT Frères, 565 Montagne de la Cour
Directeur : C FICHEFET
Mardi 19 Décembre, à 8 1/2 heures, Salle de la Grande Harmonie
CONCERT donné par Messieurs
PABLO CASALS
E. BOSQUET M. CRICEB00M
Voir le programme plus loin
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SUCCÈS
DU
THÉÂTRE
DE
LA
MONNAIE
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OPINION DE LA PRESSE
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S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalckoze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. 11 fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces cent vingt chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 93. La chère maison. (Tiré des Chansons populaires.)
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Slae ANNÉE.
Numéro 5r.
17 Décembre 190^.
me
CROQUIS D'ARTISTES
FÉLIA LITVINNE
n compare volontiers les voix,
pour en mieux définir l'essence et
la couleur sonore, soit à un
instrument, qui évoque l'idée de
leur ampleur ou de leur charme velouté, soit
au cristal, image de leur pureté ou de leur
limpidité sereine. Moins matérielle encore est
l'impression que me donne la voix souveraine
de Mme Litvinne : cette voix, pour moi, c'est
une lumière... Non pas une flamme, qui bondit
et vacille, mais un jet, un pur rayon de lu-
mière, qui soudain illumine et réchauffe, et
plane, sans effort, franc, égal, vibrant... Quand
elle s'élève, puissante et harmonieuse, du
milieu des masses orchestrales ou chorales, il
semble qu'un rai de soleil embrase le clair-
obscur de la forêt et assure de son éclat vain-
queur la vue indécise du spectateur.
La voix de Mme Félia Litvinne est à coup
sûr une des plus riches et des plus facilement
triomphantes qu'on ait jamais entendues. Son
étendue égale sa puissance, et son unité, la
cohésion parfaite de ses différents registres, la
plénitude de chacune de ses notes et la netteté
de leur « appareillage », la beauté, le rayon-
nement en quelque sorte de leur timbre, sont
au-dessus de tout éloge.
Mais Mme Litvinne n'est pas qu'une chan-
teuse : c'est une tragédienne : j'entends, de
tragédie plutôt que de drame. Elle est clas-
sique en effet, elle a la concentration et la
sobriété dans l'expression passionnée plutôt
que l'émotion débordante ; elle s'attache plus à
la valeur vraie et au caractère pénétrant de la
phrase musicale qu'à la mimique matérielle et
spontanée que cette phrase pourrait évoquer.
Et qu'on ne croie pas que ce soit chez elle
affaire de tempérament, mais bien de volonté.
Au temps de ses premières années de carrière,
les critiques lui reprochaient « de déployer
avec trop de largesse une ardeur capable de
l'entraîner parfois au delà du but », et lui con-
seillaient de s'appliquer à modérer son jeu.
Une étude incessante lui fit vite trouver la note
juste : plus tard, ici même, avec sa voix, ca-
pable de faire succéder les plus séduisantes
caresses aux accents les plus énergiques, on
louait son sens admirable de l'effet scénique,
son souci d'art, révélé dans les moindres atti-
tudes; et ce geste « qui se modèle en quelque
sorte sur le contour de la phrase musicale, se
cadence sur le rythme de l'accompagnement ».
Aussi, en dehors et au-dessus d'un réper-
toire particulièrement riche, celui du soprano
dramatique le plus complet, comme celui du
mezzo-soprano, — Valentine et Dalila, —
Mme Litvinne, avec sa haute taille, son expres-
sion puissante, et aussi cette gerbe de cheveux
§24
LE GUIDE MUSICAL
si blonds qui encadre son visage, devait in-
carner dans toute leur force divine les héroïnes
de Wagner. Elle devait, en les interprétant
avec un caractère et dans un esprit en tous
points conformes à la volonté évocatrice de
leur créateur, donner en même temps cette
impression si rare de l'aisance vocale. Qui
dira encore, en pensant à elle, que la musique
de Wagner est faite pour casser les voix ? Avec
la plénitude de la jouissance musicale, l'au-
diteur éprouve encore cette sécurité que donne
une artiste qui, toute à son personnage, à la
vérité de son expression et de son geste, n'a
même pas besoin de se préoccuper de sa voix,
qui chante son rôle parce qu'elle « le vit ».
Cette « vie lyrique » n'est-elle pas l'idéal même
que poursuivait Wagner ?
Mme Félia Litvinne est Russe, mais non sans
quelques attaches françaises, car sa mère était
une Canadienne de vieille famille française.
Son enfance s'écoula d'abord à Saint-Péters-
bourg, dans une maison située en face du
Théâtre impérial, dont le voisinage ne fut pas
sans évoquer de bonne heure en elle la passion
de la musique. Cette passion, qui embrassait
d'ailleurs toute manifestation du beau, devait,
en s'txaltant un peu plus tard sous le ciel
d'Italie, prendre une teinte toute mystique ;
car l'enfant, à quatoize ans, parlait sérieuse-
ment de se faire religieuse.... Puis ses aspira-
tions devinrent plus matérielles; sa voix se
forma, annonçant une étoffe exceptionnelle.
Mme Viardot d'abord, puis surtout Mme Barthe-
Banderali et Victor Maurel devinrent ses
éducateurs. C'est sous les auspices de ce
dernier qu'elle fit sa première apparition sur
la scène. Il dirigeait alors à Paris ces belles
représentations qui, un moment, évoquèrent
les meilleurs souvenirs de l'ancien Théâtre
Italien. Un beau soir, Mme Fidès Devriès dut
être remplacée dans Simon Boccanegra ; puis,
quelques mois après, on repiit Ernani, presque
à l'improviste.... L'une et l'autre épreuve
furent des plus favorables à la jeune fille, qui,
dans le rôle d'Amélia comme dans celui de
Dona Sol, fit une véritable impression. La
carrière italienne, si favorable au développe-
ment normal des voix, séduisait d'ailleurs plus
qu'une autre le bel enthousiasme de Mlle Lit-
vinne : une saison à Aix-les-Bains lui permit
de la poursuivre dans Faust, il Trovatore, Un
ballo in mascheva, Ruy Blas, Lucrezia Borgia,
répertoire qu'elle porta ensuite en Amérique et
auquel elle joignit alors le rôle de Donna Anna
dans Don Jnan.
Quant à sa carrière française, c'est à Bru-
xelles qu'elle piit naissance; et c'est surtout à
partir de ces années 1 887-1 889 que l'on put
suivre, avec une curiosité pleine de sympathie
et bientôt d'admiration, la maturité. progressive
de cette nature si spontanée d'artiste. Elle
débuta dans l'Africaine, puis créa Brunnhilde de
la lî'alkyrie, avant d'hériter de MraeCaron l'autre
Brunehild, celle de Sigurd, et parut encore
dans Les Huguenots et dans le rôle de Salomé
d'Hèrodiade ; enfin, elle créa encore la Gioconda
de Ponchielli et chanta Léonore du Trouvère et
la Reine d'Hamlet. Dans chacune de ces figures
si variées de caractère, elle sut être personnelle
et attachante ; elle sut aussi faire preuve d'un
travail acharné, d'un désir constant du mieux.
On apprécia hautement une artiste qui ne se
contentait pas des dons exceptionnels que la
nature lui avait départis,- et mettait tout son
talent et toute son âme à chacun de ses rôles
successifs. On notait « l'exubérance » comme
son défaut particulier, mais on prévoyait aussi
que son « autorité », de jour en jour grandis-
sante, corrigerait ce qu'elle avait encore d'ex-
cessif.
Un engagement à l'Opéra de Paris ne pou-
vait que suivre cette première étape. Entre
temps cependant, c'est-à-dire en 1889, un
voyage en Italie la fit entendre au public de
Rome, de Naples, de Venise et de Milan, dans
Les Huguenots, où les journaux de l'époque nous
gardent le souvenir d'un succès inoubliable, et
aussi dans la Reine d'Hamlet (auprès d'Emma
Calvé, Ophélie) et dans La Favorite, qu'elle
n'avait pas encore chantée. C'est dans Les
Huguenots qu'elle débuta à Paris, où nous
l'avons vue encore dans V Africaine et, pour la
première fois, dans la Juive.... Apparition trop
brève! Quand déjà nous pensions trouver en
elle celle qui prendrait la place souveraine de
Mme Krauss (qui jamais l'a prise?), Mlle Lit-
vinne nous abandonnait. Non seulement elle
partait pour son pays natal, où durant toute
Lé guide musical
825
lifté année (1890- 91), à Moscou et à Saint-
Pétersbourg, à son répertoire italien elle ajou-
tait, en russe, la Judith de Seroff et la Roussalka
de Dargomisky, mais elle se mariait et semblait
perdue pour la scène.
Ce n'est qu'avec la saison de i8g5 qu'elle y
remonta : à Marseille, où on l'entendit, non
seulement dans Faust et Les Huguenots, mais
dans Aida et Lohengrin. Cependant l'étape nou-
velle et définitive de sa laborieuse carrière
n'est pas là, non plus que dans son apparition
à Milan da dernière, je crois), avec Henvy VIII
et Samson et Dalila, encore deux beaux rôles de
plus, de soprano et de mezzo. Elle est dans sa
conquête du répertoire allemand^u'il lui fallut,
comme Ernest Van Dyck jadis (car, pas plus
que lui, elle ne savait la langue), se créer vrai-
ment de toutes pièces. Une magnifique cam-
pagne en Amérique, où elle se trouvait d'ail-
leurs en famille (on sait que sa sœur est Mme
Edouard de Reszké), lui donna l'occasion d'y
marquer sa place au rang des interprètes
wagnériennes les plus dignes de leur tâche
redoutable. A Lohengrin elle ajouta Siegfried et
Tristan et Isolde. Elle n'en restait pas moins
fidèle à ses iôles italiens, et fit aussi alterner Les
Huguenots et Don Juan, Aida et L'Africaine, avec
Le Cid.
Ainsi ce don des langues, traditionnel chez
les Russes, permettait à Mme Litvinne une
égale aisance dans quatre répertoires divers,
avec une égale aisance et une profonde intelli-
gence de leurs caractères respectifs et essentiel-
lement distincts, presque opposés, dans l'inter-
prétation. Nous en avons pu savoir quelque
chose, même à Paris, et dans le même concert.
Ces chefs-d'œuvre de Wagner, elle les inter-
préta en russe dans son pays, après l'Amérique,
puis en allemand, à Londres, dans plusieurs
saisons successives, en attendant de nous les
apporter en français à Paris ou à Bruxelles.
Ces souvenirs sont tout récents et je n'ai que
faire de m'y attarder. Qui n'a ressenti, en pré-
sence des interprétations magistrales de cette
Isolde passionnée, de cette altière et pénétrante
Brunhilde, une de ces impressions qu'on n'ou-
blie plus? Tristan, c'est en 189g, au Nouveau-
Théâtre, que Paris l'a acclamé, sous les auspi-
ces de Charles Lamoureux, ce toujours vaillant
champion de la Cause wagnérienne. Mais c'est
Bruxelles, où Mme Litvinne fit une renlrée
superbe l'année suivante, avec ce même Tris-
tan, qui eut la primeur du Crépuscule des Dieux,
sans oublier Siegfried et (en 1902) Vénus de
Tannhàuser. Nice également, dès 1899, Je
crois, avait pu applaudir Tristan, entouré des
autres rôles du répertoire français de l'artiste,
qui poussa jusqu'à Monte-Carlo, pendant trois
saisons, et y fit entendre, par exemple, Les
Huguenots, L'Afiicaine, Hélène (de Saint- Saëns)...
A Paris, au Crépuscule et à Tristan, sur la scène
du Château-d'Eau (1902), succédèrent, sur celle
de la Gaîté (igo3), Hèrodiade et La Juive, deux
de ces anciens rôles de Mme Litvinne que nous
ne connaissions pas; puis, à l'Opéra-Comique
(1904), Alceste, figure sublime, qu'on aime à rap-
procher de celles d' Isolde ou de Brunhilde,
où elle fut également admirable de style, de
sentiment dramatique, de puissance tragique,
— et l'on peut bien dire, sans rivale aujour-
d'hui.
La même année, Alceste paraissait à son tour
à Bruxelles, et Armide à Béziers, en attendant
les représentations actuelles de la Monnaie, si
attachantes et si artistiques à tous égards. Puis
ce furent, en une même saison, La Vestale, à
Lille (aux concerts si remarquables d'initiative
de M. Maquet), Les Troyens, à Orange, et sur-
tout le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, Parsi-
fal, à Amsterdam... Et l'on aime à finir sur un
tel nom, dont Mme Litvinne sut être digne.
Mais à voir de quel effort elle a été capable, en
cette seule année igo5 qui finit à peine, que ne
peut-on attendre de l'avenir, de demain!...
Il est plus que temps de finir, et pourtant
j'aurais trouvé intéressant de montrer aussi
cette grande artiste au concert, soit dans les
pages essentielles de Wagner, de Berlioz, de
Gluck, en diseuse qui laisse deviner la tragé-
dienne sans la souligner hors de propos, soit
en interprète inspirée des Lieder de Schubert
ou de Schumann (peut-on oublier Les Amours
du poète, chantée par elle?) J'aurais voulu parler
aussi de la femme dans l'artiste, car toutes deux
ne font qu'un, de sa grâce aimable ou de sa
bienfaisance si simple, qui n'hésite pas aux
plus longs voyages et aux plus répétés pour
une bonne œuvre... Mais quand elle sort de
826
LE GUIDE MUSICAL
son domaine de la vie publique, la plume du
critique hésite et s'arrête... C'est l'artiste, en
somme, que ce croquis a voulu peindre.
Henri de Curzon.
LE NOËL MUSICAL FRANÇAIS
(Suite. — Voir le dernier numéro)
Si nous remontons jusqu'aux origines du
noël, nous ne trouverons., par une singu-
lière coïncidence, qu'incertitude et contro-
verse partout, non seulement en ce qui
concerne cette forme musicale, mais aussi
pour le mot ainsi employé, et même pour
l'anniversaire religieux auquel se rattache
cette sorte d'œuvre.
En effet, à ce dernier point de vue,
on ignore, en l'état actuel de l'histoire,
quel jour et quelle année le Christ est né.
On sait uniquement que Noël est une fête
d'origine latine qui, seulement depuis la
fin du IIIe siècle environ, est célébrée dans
toute l'Eglise, le 25 décembre en Occident,
le 6 janvier en Orient (i).
Quant à l'etymologie du terme « noël »,
on n'est pas mieux renseigné. Les uns la
recherchent dans le mot « Emmanuel » , —
qui veut dire « Dieu soit avec nous », —
dont on aurait retranché les quatre pre-
mières lettres, et dont il serait resté « nuel »
ou « nouel ». Pour d'autres, il y aurait une
contraction du mot natalis, anniversaire de
naissance. Finalement, certains y voient la
survivance d'un vieux cri de joie du moyen
âge (2).
Pour le point de départ de la forme
musicale qui nous intéresse, on s'est arrêté
à diverses propositions que nous allons
exposer.
Il y a d'abord celle de l'abbé Lebeuf, qui
(i) Abbé Duchesne, Origines du culte chrétion (2e édit.,
Paris, Fontëmoing, 1S9S), p 247.
(2) Id.
date d'assez loin. En 1741, cet auteur dé-
clare que l'usage du noël s'est répandu dans
l'Eglise à partir du moment où le peuple
a cessé d'entendre le latin, c'est-à-dire au
IXe siècle environ. Il s'appuie sur le témoi-
gnage d'un écrivain monastique du XIIe
siècle, Lambert, prieur de Saint-Vaast
d'Arras, lequel raconte, dans les deux vers
suivants, qu'avant l'époque où il vivait, on
chantait, pendant la nuit de Noël, dans les
églises brillamment éclairées pour la cir-
constance (1) :
Luniine multiplici noctis solutia prœstant
Moreque Gallorum carmina nocte canant.
En somme, tout réside dans la question
de savoir comment il faut entendre les
mots Moreque, Gallorum carmina. Or, si
l'on se souvient que les proses, dont nous
parlerons plus loin, ont vu le jour en Nor-
mandie, dans la célèbre abbaye de Ju-
mièges, ces mots font manifestement allu-
sion à cette catégorie de chants, et nulle-
ment à des cantiques en langue vulgaire.
S'il s'était agi de ce dernier cas, la chose,
par suite de son caractère particulier, eût
été spécifiée en termes formels. En consé-
quence, nous rejetterons cette explica-
tion (2).
D'aucuns font remonter le noël aux
mystères, à ces cérémonies à la fois reli-
gieuses et populaires instituées par le
clergé au moyen âge. Il faudrait le retrou-
ver dans ces longs essais enfantins de l'art
théâtral, qui se composaient d'intermi-
(1) Traité historique et pratique sur le chaut ecclésiastique,
p. 120.
(2) Une erreur qu'il faut signaler consiste à placer
au xie siècle les premiers essaiâ du genre qui nous
retient, en faisant dire à Fétis une chose à laquelle il
n'a même point songé. Ce musicographe, à la p. 482 du
t. IV de son Histoire de la musique, aurait cité un noël tiré
du ms. 1139 du fonds latin de la Bibl. nationale. Le
document invoqué est un chant sur les croisades, d'une
quarantaine de vers, parmi lesquels on voit ceux-ci, qui,
avec leur allusion à la Nativité, ont amené la méprise :
Nam in te Christus veniens
Aperta bona tribuens.
Ainsi l'on a pris la partie pour le tout. Dans une
autre pièce du même ms., on trouve une allusion
analogue; niais c'est une prière â la Vierge, et non un
noël.
LE GUIDE MUSICAL
827
nables séries de tableaux tirés de l'Ancien
et du Nouveau Testament, où les clercs et
les fidèles remplissaient chacun leur rôle.
Chose curieuse, jamais, à ma connais-
sance du moins, cette considération n'a été
appuyée sur un document. J'en ai décou-
vert un dans les Car mina burana (1). C'est
une prière dialoguée, assez longue, avec
beaucoup de personnages, dont le Diable.
Voici son titre : Liidus scenicus de nativi-
tate Domini. Elle comporte de la musique,
malheureusement fermée pour nous, car
la notation en est neumatique (2).
Je ne crois pas cependant que l'on puisse
faire état de cette scène, pour deux raisons :
d'abord, je n'aperçois rien, dans le dia-
logue, qui se rapproche, même de loin, d'un
chant de Noël ; ensuite, d'autres pages,
dont nous allons parler, sont antérieures
à celles-là.
A côté de cette hypothèse, je me permets
d'en proposer une autre, plus admissible.
C'est une voie devant laquelle M. Pierre
Aubry s'est arrêté, mais sans s'y engager,
faute — m'a-t-il déclaré— de posséder alors
des indications suffisantes sur son orienta-
tion(3). Cette autre hypothèse s'appuie sur
les plus anciens noëls actuellement connus..
Je m'explique.
Dans la liturgie catholique, les chants se
divisent en deux catégories : le Propre,
ainsi nommé parce qu'il possède, en prin-
cipe, une suite de mélodies particulières à
la fête du jour, et le Commun, parce qu'il
sert indistinctement pour toutes les fêtes,
selon leur degré. Les chants propres sont
(1) C'est un recueil de poésies latines et allemandes
qui ont été faites, dans le premier quart du xme siècle,
par des moines de l'abbaye de Beuron, en Allemagne.
Ce recueil est actuellement à la Bibl. de Munich (Codex
latinus monacensis 4,660) et a été publié dans le t. XVI de
la Bibliothek des Litterarischer Vereins in Stuttgart, à la
p. 80.
(2) On sait que, dans l'état actuel de la science, la
notation neumatique n'est pas traduisible à coup sûr
sans secours de la transcription qui aurait pu en être
faite postérieurement en notation carrée sur quatre
lignes.
• (3) Tribune de Saint-Gervais de déc. 1898. Le a Leta-
bundus » et les chansons de Noël au XIIIe siècle.
dits par le clergé, et les chants communs
par les fidèles et le clergé.
Parmi les chants communs, ont été intro-
duites, à partir du IXe siècle, dans des
conditions que nous n'avons point à rappe-
ler ici, des poésies religieuses dont la forme
nouvelle se libérait des règles de la pro-
sodie, et que l'on appelle les proses. Les
proses, chantées par le peuple, avaient
pour but de lui rappeler les fondements
de la religion et les préceptes de la morale.
La plupart d'entre elles ont été consacrées
à la Nativité (1). Au moyen âge, la plus
célèbre des pièces de cette nature a été le
Letabundus, surtout interprété à la Noël,
et dont le sujet a trait à l'arrivée en ce
monde de l'Enfant Jésus. Ce chant, paraît-
il, remonte au XIe siècle.
Certaines de ces proses furent imitées,
déformées de plusieurs manières, et, parmi
ces modifications, il y en a notamment deux
que nous retiendrons. Quelques-unes de
ces poésies fournirent des modèles à des
exercices latins, amusements de moines,
de clercs et d'étudiants. Les proses,
ensuite, surtout le Letabundtis, furent tra-
duites et parodiées dans la langue vulgaire.
Dans le premier type, nous avons des
noëls latins récemment publiés par le
P. Dreves (2). Ils viennent d'un chan-
sonnier latin de la fin du XIIe siècle,
de provenance parisienne, actuellement
à Florence (3). Ces poésies, de caractère
hybride, par suite de l'apparition de
quelques expressions courantes du temps,
comportent plusieurs strophes. Certains
détails réalistes s'y rencontrent qui, de
prime abord, choquent nos idées mo-
dernes; mais la réflexion rappelle bientôt
que nous sommes en présence d'une
génération vivant sous l'influence du Can-
tique des Cantiques, et, en conséquence,
(1) « C'est à Noël et aux temps de Noël que sont peut-
être consacrés les deux tiers des tropes jusqu'ici con-
nues. » Léon Gautier, La poésie religieuse dans les
cloîtres des IXe - XI<-' siècles (Paris, Picard, 18S7), p. 12.
(?,) Analecta hymnica medii cevi (Leipzig, iSgi), t. X
et XI.
(3) Bibl. Laurent., pluteus 291.
S28
LE GUIDE MUSICAL
appelant les choses par leur nom. Il serait
injuste de dire ici que le latin brave
l'honnêteté (i).
La musique de ces noëls latins, écrite
dans le style du chant chrétien de l'époque,
est religieuse — c'est-à-dire superficielle-
ment religieuse, je le répète une fois pour
toutes — et franchement populaire (2). Elle
appartient à l'art simple et vrai des hum-
bles, et le sentiment s'y affirme tranquille
et heureux. Détail à noter : certaines
pièces se composent de phrases musicales
qui se reproduisent plus ou moins intégra-
lement.
Dans le second type de noëls, nous
avons ceux en langue vulgaire, qui furent
des traductions et des parodies de proses.
De même que l'on introduisait des mots
du pays dans les noëls latins, de même ici,
à Forigine, l'on conserve, dans chaque
strophe, un ou deux vers du texte original.
M. Aubrya cité quelques-uns de ces chants
de Noël que je vais rappeler (3).
Le Hni enfantes est une adaptation ro-
mane du Letabundus, faite au xme siècle,
et qui se chante sur la musique de cette
prose. Une parodie de cette dernière,
chanson à boire de ]a même époque, le
Or i parra, s'exécute toujours avec cette
mélodie. Quant au noël anglo-normand
Seignors, or entendez a nus, qui est contem-
porain, et d'où le latin disparaît, M. Aubry
n'en connaît pas le commentaire musical.
Dans ce type, par conséquent, nous
entrevoyons de la musique religieuse, par-
fois à l'état naturel, quelquefois modifiée
par l'intention que l'on y attache.
En résumé, l'origine des chansons de la
Nativité reste encore mal définie, et avec
(1) Voici la première strophe de l'un de ces noëls :
Procedenti puero
Eja, novus annus est,
Virginis ex utero,
Gloria laudis
Deus homo factus est
Et immortalis.
(2) Cette musique a été recueillie par M. Pierre
Aubry, qui a eu la complaisance de me la communiquer,
et la livrera bientôt à la publicité,
(3) L. c.
les documents de la fin du XIIe siècle et du
commencement du XIIIe, les seuls que nous
ayons à notre disposition pour l'instant,
l'on ne distingue point très nettement ce
qui a dû se passer alors. Je suppose, avec
quelque vraisemblance, que la prose a
rempli un rôle capital en l'espèce, et qu'à
cette époque, elle est devenue l'anticham-
bre du noël.
Voilà ce que nous savons des noëls pri-
mitifs, et l'on peut remarquer qu'ils semble-
raient bien français, surtout avec l'origine
normande de la prose, que nous avons pré-
cédemment rappelée. Le phénomène, en
soi, n'offrirait rien de surprenant, car la
France a presque toujours, mais sans en
avoir jamais eu la notion, joui d'une forte
personnalité musicale.
Ces premiers noëls, qu'ils soient religieux
ou profanes, se ressemblent entre eux.
Faits pour l'usage du peuple, et issus de
l'Eglise qui influençait alors toute la civili-
sation, ils présentent un double caractère :
religieux, parfois plus ou moins dénaturé,
et franchement populaire. La dissemblance
entre ces deux frères jumeaux ne s'accen-
tuera qu'avec le temps.
• On parle souvent de cette sorte d'inter-
nationalisme intellectuel créé par le chris-
tianisme au cours de la période médiévale,
des usages uniformes ayant provoqué cer-
taines particularités identiques dans la
chrétienté d'Europe. Nous en découvrons
en ce moment une des manifestations, car
des noëls se retrouvent chez tous les Occi-
dentaux, en Angleterre, en Allemagne, en
Espagne, etc. Le mouvement devient géné-
ral. En l'espèce, notre pays continuera
d'être bien partagé, car il comptera un
nombre fort respectable de ces charmantes
mélodies en langue vulgaire, où tous les
dialectes seront représentés.
Ces rêveries et ces distractions de nos
pères sont si jolies, qu'elles ne peuvent
manquer de tenter la plume de musiciens
professionnels. C'est ce qui arrive presque
aussitôt après leur apparition, et le noël
artistique ne tarde pas à se montrer, au
XIIIe siècle, en compagnie d'un nom qui
LE GUIDE MUSICAL
829
brille d'un vif éclat, celui d'Adam de la
Haie.
Nul n'ignore plus maintenant que, dès
les origines de la musique harmonique, la
France a conquis une place prépondérante
qu'elle a conservée bien longtemps. A ce
moment-là, l'école franco-flamande, avec
son contrepoint vocal, a été la grande
initiatrice, et ses principales assises se sont
tenues à Cambrai, à Valenciennes, à Mons
et à Douai. Adam de la Haie s'est rangé
parmi les maîtres qui composaient sa
splendeur, et son Jeu de Robinet de Marion,
sorte de prototype de l'opéra-comique, a
mis sa personnalité hors de pair. Il a écrit,
pour trois voix concertantes, une chanson
de Noël, Diex soit en cheste maison, dont la
beauté réside dans la sérénité d'un calme
gracieux.
Par la suite, pendant deux siècles, ces
manifestations musicales, qu'elles soient
artistiques ou populaires, demeurent, en
somme, toujours isolées (1). Le noël est
toujours dans sa première phase, celle de
la formation. L'on peut dire qu'il n'entre
dans la deuxième, celle de la croissance,
qu'avec le XVIe siècle, quand il pénètre dans
la grande circulation. Et encore, cette
déclaration, il faut la limiter au noël popu-
laire.
(A suivre.) Frédéric Hellouin.
LA SEMAINE
PARIS
A L'OPERA. — Lundi dernier, rentrée superbe
de M. Ernest Van Dyck dans Tristan et I solde. C'est
au retour de quelques semaines d^ représentations
à Prague, à Gratz, à Londres, à Berlin qu'il nous
(1) Je passerai sous silence un certain nombre d'oeu-
vres qui ne me paraîtront point capitales, car le pré-
sent travail ne recherche pas comme fin les indications
bibliographiques. Pour cette période des xive et xve
■siècles, l'on trouvera quelques renseignements dans
l'ouvrage de M. Tiersot, déjà cité.
rapporte l'œuvre admirable de Wagner, qui ne
saurait vraiment se passer de lui. L'exécution,
Mlle Grandjean en tête, toujours en progrès, a été
des plus remarquable à presque tous les points de
vue, et de véritables ovations ont accueilli les
deux principaux interprètes.
A L'OPÉRA-COMIQUE, M"e Marié de l'Isle
vient de faire sa rentrée, dans ce beau rôle de
Charlotte, de Werther, qu'elle incarne avec tant
de grâce et de profondeur. Nous le signalons ici
avec d'autant plus de plaisir qu'on avait pu crain-
dre quelque temps que l'exquise artiste ne nous
fit complètement défaut cette année. Mais il
paraît que c'est à « des engagements contractés en
province et à l'étranger » que nous devons ce qui
n'est heureusement qu'un retard.
CONCERTS COLONNE. — Cette fois, une
œuvre nouvelle a pleinement réussi au Châtelet.
Si j'ai bien compris le sujet de Toggenburg, ballade
de Schiller dont s'est inspiré M. Charles Lefebvre,
il s'agit d'un chevalier qui, parti pour la croisade
sainte, apprend à son retour qu'en son absence, la
bien-aimée a pris le voile et que désormais elle
appartient à Dieu. Chaque soir, à l'heure de l'an-
gélus, il la contemple de loin au pied du monastère,
puis, las de souffrir, il meurt de toujours l'aimer.
Cette œuvre comporte deux parties : une ouver-
ture peu développée, en laquelle la symphonie
commente tour à tour la douleur de la séparation
et l'enthousiasme de la foi; une grande scène
lyrique, où le pieux pèlerin, évoquant d'abord le
passé, chante la gloire des combats, la joie du
triomphe, le souvenir de l'aimée; puis, son bon-
heur étant brisé, il pleure la vie, appelle la mort
et expire sur les derniers chants de la jeune
religieuse.
Ces divers sentiments sont traduits avec une
grande émotion par M. Lefebvre. Les idées musi-
cales, sans être absolument originales, restent
toujours élevées et d'une suprême « distinction ».
Ce mot, on en use trop souvent pour louer un
ouvrage médiocre et se débarrasser galamment
de l'auteur. Je serais désolé qu'on l'entendit ainsi.
Par son talent, M. Lefebvre mérite mieux qu'un
éloge banal. Son œuvre, pondérée, partant très
française, passionnée sans exagération, élégante
en toutes ses parties, est écrite avec un rare souci
du style. Le style n'est pas seulement la manière
propre à un compositeur d'exprimer sa pensée,
c'est encore l'art de la traduire musicalement
suivant les règles établies. Quand on s'en affran-
chit, on se croit libre et en droit de tout oser;
83o
LE GUIDE MUSICAL
voyez ce que l'audace — sans le génie, qui est
l'exception — fait produire à quelques-uns de nos
jeunes musiciens : des ouvrages désordonnés,
agaçants, morts-nés.
Le Toggenburgde M. Lefebvre « ne casse rien »,
a-t-on dit; j'ajoute : « pas même les oreilles », et
j'en félicite l'auteur. Son orchestre est sonore,
suffisamment coloré, juste ce qu'il faut qu'il soit;
son inspiration a du souffle, de la chaleur et, par
endroits, un très bon sentiment dramatique, no-
tamment à la scène finale, quand le chœur lointain
des religieuses se mêle au tintement des cloches et
aux soupirs du héros agonisant. M. Carbelli, prix
d'opéra et de chant au concours du Conservatoire
de cette année, a interprété cette œuvre avec
beaucoup de goût et de simplicité.
Le prélude de Y Enfant- Roi de M. Alfred
Bruneau, encore plus applaudi qu'à la première
audition, et la Rapsodie norvégienne d'Edouard Lalo,
une fantaisie toute de grâce et de délicatesse,
précédaient le cycle Beethoven. L'ouverture de
Crriolan, un chœur déjeunes filles, du Roi Etienne,
chanté à ravir et bissé, un fragment du ballet de
Prométhée, où la flûte, la clarinette et le basson
(MM. Blanquart, Pichard et Hamburg) ont dia-
logué délicieusement, enfin la Symphonie avec chœurs,
ont valu au quatuor solo, à l'orchestre, aux cho-
ristes et surtout à M. Colonne, dont les lauriers
empêchent de dormir le conseil supérieur du
Conservatoire, des acclamations enthousiastes et
vengeresses. Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. — En arri-
vant, on regrette d'apprendre que M. Johannès
Wolff ne pourra se faire entendre, pour cause
d'indisposition. Le concerto de Sinding que devait
exécuter l'excellent violoniste est remplacé par le
concerto pour instruments à cordes de Hœndel.
Comme nouveautés, figurent au programme deux
graves et profonds poèmes de M. Sylvio Lazzari ;
Mme Mayrand les chante et le public les applaudit.
Il faut espérer que bientôt, l'intéressant composi-
teur qu'est M. Lazzari pourra être apprécié non
seulement au concert, mais au théâtre, du moins à
Paris; car ses œuvres dramatiques ont déjà été, je
crois, jouées un peu partout, sauf ici. Et cela est
fort regrettable.
M. Chevillard dirige ensuite l'exécution de Mort
et Transfiguration. Je ne m'attarde pas à parler de ce
« poème sonore », ne voulant point transformer un
compte-rendu en article sur l'art de M. Richard
Strauss.
Pour le même motif, — mutatis muiandis, — je note
tout simplement qu'on a aussi joué les Impressions
d'Italie de M. Charpentier.
Au commencement du concert, l'ouverture de
Benvenuto Ccïïini servit de tumultueux préambule à
une paisible et spirituelle symphonie de Haydn.
M.-D. C.
CONCERTS EDOUARD RISLER. - Bee-
thoven est loin d'avoir versé dans l'orchestre tous
les trésors de son génie, a écrit Berlioz. Son
dernier mot n'est pas là ; c'est dans les sonates
pour violon seul qu'il faut le chercher. Elles ser-
viront, ajoute-t-il, d'échelle métrique pour mesurer
le développement de notre intelligence musicale.
A voir l'empressement du public qui remplit
chaque samedi la salle Pleyel, on peut croire qu'il
est maintenant en état de les comprendre et de les
admirer. Le snobisme n'y entre pour lien : ce qui
le prouve, c'est qu'il applaudit dans les œuvres
beethovénieunes celles qui lui plaisent davantage.
S'il en allait autrement; il les accueillerait toutes
avec la même faveur, marque de l'indifférence.
Non, il sait faire un choix, et, comme la Critique
a bonne opinion de soi-même et qu'elle est presque
toujours d'accord avec lui, elle conclut qu'il a un
goût excellent.
Dans la soirée du 9 décembre, M. Risler a
exécuté quatre sonates : deux fort courtes, celles
en fa dièse, op. 78, d'une si tendre expression, et
en sol, op. 79, un peu menue et qu'on croirait
avoir été écrite par Beethoven à l'aurore de sa
carrière artistique. La sonate enmi bémol, op. 81,
a eu les honneurs de la séance; je ne veux pas
croire qu'elle les a obtenus simplement à cause
du titre explicatif dont le maître l'a ornée : « les
Adieux, l'Absence et le Retour ». L'œuvre est si
claire, qu'elle n'a pas besoin d'un programme qui
aide à sa compréhension, si éloquente et si belle
en soi, qu'on ne l'entend jamais sans éprouver la
plus douce émotion : l'adieu n'est pas déchirant,
du moins il ne me paraît pas tel; je crois sentir
plutôt 1a mélancolie d'une séparation de courte
durée avec l'espoir d'un prompt revoir. C'est ce
sentiment qu'a traduit, je crois, M. Risler, et il l'a
fait avec un charme infini.
La sonate en mi mineur, op. 90, plus caractéris-
tique que la précédente, plus géniale peut-être,
mais moins pénétrante, terminait le concert au
milieu des acclamations. Que seront-elles samedi
prochain, après l'exécution des grandioses sonates
op. 101 et 106? J. T.
LE GUIDE MUSICAL
83i
— MM. Paul Oberdœrffer et Jean Canivet ont
eu l'excellente et très généreuse idée, pour facili-
ter aux auteurs de musique de chambre l'exécu-
tion sans frais de leurs œuvres nouvelles, de fonder
une société dite : Les Auditions modernes. Les ma-
nuscrits envoyés ne portent point les noms des
compositeurs et sont soumis à l'examen d'un
comité de lecture composé des fondateurs et de
MM. Chevillard, Dukas, Lazzari et Vidal, lequel
décide de l'exécution publique.
On ne saurait trop encourager cette conception,
digne des artistes courageux et laborieux qui l'ont
réalisée; il faut souhaiter toutefois qu'un large
esprit critique y préside, ainsi qu'un éclectisme
éclairé et sans parti-pris d'école ; il convient de
respecter tout à la fois la science et l'imagination,
l'effort et la sincérité des compositeurs entraînés
vers des aspirations diverses et un idéal varié, et
en même temps les bonnes volontés et les oreilles
des auditeurs. Il faut que les organisateurs se per-
suadent que l'inédit et le moderne n'exclut ni
l'idée mélodique franche et spontanée, ni la sim-
plicité des moyens harmoniques enseignés par les
les maîtres anciens.
A ce point de vue, la première séance donnée
par la société des Auditions modernes, le 7 décem-
bre, salle Pleyel, semble réaliser le vœu que nous
formons pour ses destinées artistiques. La sonate
en h majeur de M. Jules Mouquet, pour piano et
violon, est d'une écriture facile et d'une allure
décidée ; les rythmes des premier et troisième
mouvements sont franchement placés, et les déve-
loppements simples et de bonnes proportions. Elle
fut brillamment exécutée par MM. Canivet et Ober-
dœrffer.
Je n'en dirai point autant de la sonate pour vio-
loncelle de M. Anselme Vinée ; elle comporte de
telles recherches, l'idée est si courte et si morcelée
que la monotonie envahit l'œuvre et qne l'atten-
tion de l'auditeur se met en déroute. M. Henri
Stenger a mis au service de cette interprétation
pénible toute la sonorité possible.
MM. Oberdœrffer, Gravrand, Jurgensen et Sten-
ger ont exécuté un quatuor à cordes en fa majeur,
d'un compositeur russe, M. Vladimir Dyck. Les
qualités de l'école Scandinave se révèlent dans ce
morceau d'une façon très nette, d'une saveur bien
marquée et d'une sonorité vibrante. Le premier
mouvement est particulièrement bien venu ; le
thème et les dessins mélodiques y sont bien expri-
més et d'une clarté parfaite. Uandante, avec son
début en sourdine, rappelle la manière de Grieg et
développe une mélodie exotique d'une jolie poésie.
Uallegva final a le mérite de n'être point construit
avec les matériaux de danses populaires russes,
assez communs dans les ouvrages des auteurs de
ce pays. Cette œuvre est, en résumé, pleine d'in-
téressants détails et d'une écriture bien appropriée
au quatuor. Elle fut d'ailleurs fort pittoresquement
traduite. Cn. C.
— Le premier concert de MIle Flora Joutard,
avec le concours de Mlle Marie Lasne, donné le
8 décembre à la salle Pleyel, a fait salle comble.
L'élément étranger dominait, particulièrement du
côté masculin, applaudissant tout, musique et
interprètes.
Mlle Joutard a manié son clavier avec une belle
volonté et une bravoure méritoire. Des gammes
bien roulées, des tierces martelées avec brio et
des batteries d'accords vigoureusement attaquées
prouvent qu'elle a l'étoffe d'une virtuose. Qu'elle
améliore ses trilles, acquière le legato et s'efforce de
varier ses timbres, afin de mettre mieux en valeur
ses qualités pianistiques. D'emblée, sa tenue excel-
lente de naturel et de simplicité lui a valu les
témoignages sympathiques de l'auditoire. Même
dans la sonate op. 110, Beethoven comporte une
profondeur d'interprétation et un dramatisme
d'exécution auxquels la charmante protagoniste,
nous n'en doutons pas, atteindra plus tard. Ce
n'est pas à l'orée des études de piano qu'on peut
s'imprégner instantanément de la poésie sonore et
de l'intensité émotionnelle du divin Chopin. Aussi
bien, il serait cruel d'attendre d'une débutante
l'imagination musicale et le pittoresque harmo-
nique que réclame impérieusement le romantique
Franz Liszt. De tels maîtres exigent de l'interprète
qui les affronte une qualité de son et une profon-
deur d'accents auxquelles ne peuvent suppléer
tout le charme et toute la grâce que nous fit ap-
plaudir l'exécution des œuvres signées F. Joutard.
La jeune artiste à délicieusement accompagné
son aimable collaboratrice, Mlle Marie Lasnes,
dans un morceau de Lulli, de Godard et dans huit
compositions de F. Joutard. Voix un peu lasse,
fine et courte, très agréable dans le haut. La voca-
lisation des textes français et allemands fut intéres-
sante grâce à la joliesse de la mezza voce.
Le service de la salle, contrôle et placeurs, lais-
sait à désirer. Alton.
— A la Philharmonique, M. Slivinski, absent
pour cause de grèves en Russie, est remplacé par
M. Arthur Rubinstein. C'est un jeune pianiste qui
promet d'être intéressant; il a déjà quelques qua-
S32
LE GUIDE MUSICAL
lités de toucher aussi bien que de sentiment. Il a
fort joliment joué deux études posthumes de Cho-
pin : le prélude en la bémol; son interprétation de
la Polonaise, op. 53, a été remarquable. Mais il n'a
point encore la maturité nécessaire pour aborder
utilement des œuvres comme l'étude en la mineur,
et encore moins la transcription, par Tausig. de la
Toccata et Fugue d'orgue de Bach. Il ne faut jouer de
telles pages que lorsqu'on est assez libéré, au point
de vue matériel de la technique instrumentale,
pour en pouvoir réaliser et communiquer à ses
auditeurs une impression d'ensemble; en un mot,
pour les reconstruire en les interprétant.
Mme Jeanne Diot, qui le même soir joua un pré-
lude et une fugue de Bach, pour violon seul, sut
précisément donner de ces deux pièces une telle
interprétation équilibrée, claire, juste, construite.
Il faut la féliciter autant de cette lucidité que de
l'excellente sonorité et du sentiment très sincère
dont elle fit preuve, et dans ladite fugue, et dans
une sonate de Corelli (jouée avec M. Eugène
Wagner au piano). La seule chose que j'ai regret-
tée, c'est que cette très sympathique artiste n'ait
pas occupé plus de place au programme de la
soirée : une autre sonate aurait été entendue avec
plaisir.
M. le Dr Wullner est venu chanter une impor-
tante série de Licder allemands.
C'est, en vérité, un bien curieux interprète. Ce
qu'il fait, il le fait avec conviction, de façon un peu
mélodramatique, mais parfois assez impression-
nante pour le public. Cela n'est ni sobre, ni raffiné,
mais l'effet en est assez heureux, à ce que mon-
trent les applaudissements sans fin et les deux bis
par lesquels l'auditoire manifesta le plaisir éprouvé.
M.-D. C.
— Nous n'avons, à Paris, guère d'entreprises
musicales plus dignes de sympathie et d'encoura-
gement que la Société J.-S. Bach, à laquelle M.
Gustave Bret a voué toute sa foi artistique. Souhai-
tons-lui de triompher des difficultés du début et de
trouver bientôt, auprès du grand public, l'excellent
accueil que lui ont fait tous les fidèles que compte
ici le cantor de Leipzig. Le goût de la musique
sérieuse est chez nous en continuel progrès. Or,
on ne comprend la vraie musique que si on com-
prend et si on aime Bach.
Le concert du samedi g, comprenait deux can-
tates et le premier concerto brandebourgeois. Il
faudrait transcrire les notices qu'écrit sur le pro-
gramme M. Albert Schweitzer, l'ingénieux et pro-
fond auteur de : J.-S. Bach, le musicien poète . Elles
sont une initiation rapide, mais complète, aux
œuvres jouées.
La cantate religieuse Herr, wie du wïllst égale
les œuvres les plus fortes du maître, avec son air
de ténor accompagné par le hautbois et le violon-
celle, et surtout son air de basse qui est « une
grandiose page de déclamation musicale », austère
et mystique, dans ses trois phrases qu'accompagne
le pizzicato des violons imitant le glas funèbre. Le
chœur initial, revenant avec insistance sur la phrase
du choral, est curieux.
Le Choix d'Hercule fut écrit en 1733, pour l'anni-
versaire du prince de Saxe, âgé de onze ans, mais
ayant déjà, dit le texte, choisi, comme Hercule,
entre la volupté et la vertu et « faisant déjà par ses
actions l'admiration des peuples ». L'œuvre, assez
développée, est descriptive et expressive. Elle com-
prend notamment une charmante berceuse, que
Bach a répétée dans le Weihnacht Oratorium, et un
air de mezzo avec chœur en écho, que Mme Philipp
a chanté avec beaucoup de style et de goût.
Les concertos brandebourgeois sont connus
comme des œuvres d'une franchise, d'une vigueur
et d'une richesse d'invention remarquables. Il y a
là des trouvailles d'instrumentation qu'on n'a fait
depuis que copier. L'orchestre y a été bon et les
solistes, parmi lesquels M. Enesco, excellents.
F. G.
— Excellente matinée pour la quatrième audi-
tion des Concerts Clémandh. Très bonne exécu-
tion, d'abord, des deux ouvertures magistrales du
Freyschiïtz et du Tannhàuser; et, dans l'ensemble,
programme varié, intéressant et sans trous.
M. Bourgault- Ducoudray, dirigeant lui-même,
nous a fait entendre son Carnaval d'Athènes, dont
l'illustre importateur des mélodies populaires
grecques en France a fait un vrai chef-d'œuvre de
verve, de couleur et d'instrumentation. Musique,
aussi aisée que savante. On peut en dire avec le
Tasse :
L'avte, che tutloja, nulla si scopre.
Charmantes encore, et très pittoresques, les Im-
pressions pyrénéennes de M. A. Coquard, héroïques
avec la Brèche de Roland, pleines de fraîcheur Au
port de Vénasque, et de couleur A Panticosa. Le poé-
tique nocturne (entr'acte) de La Navarraise com-
plétait la partie purement orchestrale. Pour le
chant, Mme Morena Ybanez, une artiste expéri-
mentée du Théâtre royal de Madrid, nous a fait
entendre un bel air de Vldoménée de Mozart (en
français) et le Réveil de Brunnhilde, de Sigurd. En-
fin, M,le M. Atoch, pianiste au jeu brillant et délicat,
a exécuté, soutenue par l'orchestre, le Weding-Cake
de M. Saint-Saëns et Les Djinns de César Franck,
J-G.
LE GUIDE MUSICAL
833
— M. Jules Marneff, le violoncelliste bien
connu des Concerts Lamoureux, a donné le 6 dé-
cembre, à la salle de Géographie, un concert qui
fut pour lui un triomphe. M. Marneff est un admi-
rable ariiste. Il manie l'achet avec une aisance et
une souplesse parfaites ; sa main gauche possède à
un égal degré la vigueur et la légèreté indispensa-
bles. Mais ces qualités techniques ne sont que
secondaires. La sincérité, l'ampleur et la pureté
de son jeu sont d'une rare valeur. M. Marneff a
tiré du concerto en la mineur de Saint-Saëns des
effets imprévus de fougue passionnée. Il a exécuté
avec une émotion pénétrante le Chant du soir de
Schumann et le nocturne de Chopin.- Dans le pre-
mier trio de Beethoven, il s'était tenu, avec une
modestie de véritable artiste, dans les limites étroi-
tes de son rôle.
M. Marneff était assisté de M. IwanFliege, violo-
niste impeccable, mais unpeufroid, et de M.Auguste
Delacroix, qui fut souvent remarquable dans la
partie de piano.
Mme Camille Fourrier chanta trois mélodies de
Cl. Debussy. G. R.
— La première des matinées musicales et popu-
laires (anciennes matinées Danbé) dirigées par
M. Al. Luigini, toujours au théâtre de l'Ambigu,
a eu lieu cette semaine, et nous en parlerons dans
notre prochain numéro. Elle comportait un quatuor
de Haydn et des œuvres classiques et modernes
interprétées par Mmes M. Carré et L. Fugère, par
MM. Alexandre Georges et Fernand Lemaire,
par le quatuor Soudant — La seconde matinée,
qui aura lieu mercredi prochain 20 décembre,
annonce au programme un quatuor de Mozart,
pièces pour violon et harpe et des mélodies ou airs
chantés par Mmes J. Raunay et Lucy Vauthrin,
ainsi que M. Léon Beyle. On sait que le prix des
places est infime pour ces concerts : de cinquante
centimes à deux francs.
— M. M.-D. Calvocoressi a fait lundi, à
l'Université populaire du faubourg Saint-Antoine,
une conférence où il a étudié le sentiment
populaire dans la musique russe, et montré
comment tous les caractères de la musique
du peuple se retrouvent chez les maîtres
russes d'aujourd'hui. Dans la partie de concert
qui suivit, on entendit de cette musique popu-
laire, interprétée par Mlle Babaïan et M. Mou-
gounian, qui obtinrent un très vif et très mérité
succès. Mlle Thomasset chanta de fort jolie et sin-
cère façon des mélodies de Borodine, de Bala-
kirew, de Moussorgsky (de ce dernier, deux
berceuses également belles et d'un sentiment tout
à fait opposé : la tristesse de la pauvre paysanne
qui berce son enfant épuisé, le sourire de la fillette
qui endort sa poupée). On applaudit de nouveau
Mlle Babaïan dans le Chant hébraïque de Rimsky
et des mélodies (inédites) de M. Akimenko, et
M. Ricardo Vinès remporte un véritable triomphe
en jouant un scherzo de Borodine, des Tableaux
très pittoresques de Moussorgsky et l'étourdissant
Islamey de Balakirew. Ce fut une fort belle soirée.
C.
— MM. Lorrain et Engel ont été nommés au
Conservatoire, professeurs (sans traitement) des
deux classes de chant supplémentaires récemment
créées.
On s'est étonné dans le public de ne pas voir le
nom de Mme Ed. Colonne, l'éminent professeur,
parmi les candidats présentés au ministre. Nous
croyons savoir que les scrupules qui ont empêché
cette nomination et qui laissent intacte la haute
situation artistique de Mme Ed. Colonne auraient
pour cause la personnalité de M. Ed. Colonne,
directeur des concerts du Châtelet, et les pré-
tendus inconvénients qui pourraient résulter de
cette nomination, d'autant plus attendue qu'il s'a-
gissait ici de classes d'élèves femmes.
— M. Henry Maret a déposé sur le bureau de la
Chambre des députés son rapport sur le budget
des Beaux-Arts. Il est rempli, comme tous les ans,
de documents intéressants. A l'Opéra, il constate
que le déficit peut être évalué à 1,000 francs par
soirée. Les frais se sont élevés, au cours de la der-
nière année, à 21,122 fr. 45 par représentation; la
subvention étant de 4,255 fr. 32, il reste à la
charge de l'exploitation 16,887 fr. i5, et les recet-
tes moyennes ont été de i5,8g8 fr. 10 seulement.
De sorte que l'année 1903-1904 s'est soldée par
182,177 francs de pertes. Cette situation serait
due principalement, d'après l'administration, aux
chaleurs estivales.
En ce qui concerne l'Opéra-Comique, M. Maret
se déclare satisfait. La saison 1904-1905 a été
extrêmement fructueuse. Les recettes ont atteint
2, 33 1,680 francs, en augmentation de 228,000 fr.
sur le précédent exercice. Les frais ont d'ailleurs
sensiblement augmenté, les artistes devenant plus
exigeants, et M. Carré ayant, ce dont M. Maret le
félicite, amélioré le sort des choristes, des. musi-
ciens et des employés. Il a été donné 34S repré-
sentations : 3oi soirées et 47 matinées. L'Opéra-
Comique continue à donner des représentations
dans les quartiers populeux, à Montmartre, à Gre-
nelle, aux Gobelins, à Montmartre (théâtre Mon-
cey), à Saint-Denis, etc. 177 représentations ont
834
LE GUIDE MUSICAL
été données, ayant produit, déduction faite de tous
frais, un bénéfice de 2,521 francs.
— Mlle Blanche Selva, pianiste, M. VI. Lejeune,
violoniste, et de Bruyn, violoncelliste, donneront
deux séances de trios modernes (français) à la
Schola Cantorum les 24 janvier et 6 février pro-
chains. D'autre pai't, le quatuor Lejeune annonce
cinq séances de musique de chambre, salle JEo-
lian, les 21 février, 7, 21, 28 mars et 4 avril pro-
chains, avec des quatuors de Haydn, Mozart, Beet-
hoven, Schubert, Franck, d'Indy, Chausson, etc.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Armide, Carmen, Faust et Chérubin dont la première
a eu lieu hier samedi, ont alterné cette semaine
sur l'affiche.
M. Fritz Steinbach, directeur du Conservatoire
de Cologne, a assisté lundi à la représentation
d' 'Armide, de la première à la dernière note et il n'a
pas caché son admiration pour la belle interpréta-
tion du chef-d'œuvre de Gluck à la Monnaie.
Le célèbre chef d'orchestre allemand avait passé
l'après-midi au théâtre pour faire avec les artistes
et les chefs de service une lecture des Noces de
Figaro de Mozart qu'il viendra, on le sait, diriger
à la Monnaie le 27 janvier prochain, à l'occasion
du festival Mozart, organisé par le Cercle artis-
tique et littéraire. Il a paru enchanté de la distri-
bution qui lui a été donnée par les directeurs de la
Monnaie et que voici :
La Comtesse, Mlle Aida; Suzanne, Mlle Korsoff;
Chérubin, Mme Eyreams ; Marceline, Mlle Bour-
geois ; Barberine, Mlle Lambert; Figaro, M. Henri
Albers; le comte Almaviva. M. Artus; Bartholo,
M. Belhomme ; Basile, M. Forgeur ; Antonio, M.
Danlée ; Brid'oison, M. Caisso.
D'autre part, on vient de mettre en répétition la
Damnation de Faust de Berlioz, suivant l'adaptation
dramatique de M. Raoul Gunzbourg. Le succès
extraordinaire que cet ouvrage a obtenu naguère
à Monte-Carlo, puis à Paris, et tout récemment à
Bordeaux, a décidé la direction à faire deux dis-
tributions complètes et distinctes des quatre rôles
principaux, Marguerite sera chantée alternative-
ment par Mmes Aida et Lafhtte ; Faust par M. VI.
Dalmorès et Laffitte; Méphisto par MM. Albers et
Decléry, Brander par MM. Artus et Belhomme.
CONCERTS YSAYE. — Est-ce pour donner
à la critique l'occasion de parler de lui autrement
qu'en lui décernant des éloges que M. Jacques
Thibaud, capricieux comme une jeune femme,
s'est excusé, dimanche, de ne pouvoir jouer
la Chaconne de Bach? Ou bien la fatigue et
l'énervement lui interdirent-ils réellement d'in-
terpréter ce difficile morceau? Toujours est-il,
qu'après avoir exécuté le troisième concerto de
Saint-Saëns aux acclamations de l'orchestre et
de toute la salle, l'artiste a prié M. Ysaye d'inter-
céder pour lui auprès du public, et que M. Ysaye
s'est offert de dédommager l'assistance en exécu-
tant avec son hôte l'admirable concerto de Bach
pour deux violons. Pouvait-on, dès lors, témoigner
le moindre regret du changement apporté au pro-
gramme et ne pas s'avouer désarmé devant cette
manière délicate de transformer un désapointement
en une surprise des plus inespérées ?
Remplacé au pupitre par M. Huberti, M. Eugène
Ysaye que l'on aurait pu croire fatigué après deux
heures de direction, et M. Jacques Thibaud, qui
l'était tout autant, — paraît-il — , ont joué d'une
façon prestigieuse l'incomparable concerto du
vieux maître, apportant à l'interprétation de ce
chef-d'œuvre, celui-ci, l'ardeur contenue et l'en-
thousiasme maîtrisé de sa nature d'artiste, celui-là,
sa grande passion de beauté et la rayonnante
chaleur de son âme expansive. Comme bien on
pense, ils ont été ovationnés.
Deux œuvres inédites figuraient au programme :
la Symphonie homérique de M. Louis Mortelmans et
le tableau symphonique intitulé : Laïïa Roukh de
M. Joseph Jongen.
Ce fut un plaisir pour l'esprit de suivre, dans ses
développements bien ordonnés, la composition
musicale, un peu académique, de M. Mortelmans.
Le distingué directeur des Nouveaux Concerts
d'Anvers ne dit pas de choses très neuves, et il a la
modestie de croire qu'il vaut mieux, le cas échéant,
reproduire les pensées de Beethoven et Richard
Wagner que de tomber dans la banalité. Mais, il a
le mérite d'avoir beaucoup étudié les classiques et,
au contact des maîtres, il s'est approprié les qua-
lités qui se reflètent dans toutes les créations
dignes de vivre : le besoin de la clarté et le goût
du style. M. Mortelmans parle net et franc, d'une
voix puissante qui trahit la belle énergie de sa
volonté.
L'art de M. Jongen est en opposition complète
avec celui de M. Mortelmans. M. Joseph Jongen,
qui est rêveur, a cherché ses inspirations musi-
cales dans la poésie amoureuse. Il s'est efforcé de
traduire, d'après le conte oriental de Thomas
Moore : La belle princesse Laïïa Roukh et le jeune
Alaris, les émotions de deux jeunes gens qui pas*
LE GUIDE MUSICAL
835
sent par les joies exaltées et les souffrances de
l'amour encore chaste, et pour exprimer les sen-
timents de ces figures de légende, il a trouvé des
phrases musicales d'une délicieuse ténuité, qui
témoignent hautement en faveur de la distinction
de son goût et de son talent.
Le public a applaudi chaleureusement M VI.Mor-
telmans et Jongen qui se trouvaient dans la salle.
Pour finir, l'orchestre a exécuté les Divertissements
sur les chansons russes du jeune compositeur français
Henri Rabaud, œuvre pittoresque, amusante et
écrite avec soin. E. B.
— C'est devant un public nombreux que l'émi-
nent virtuose M. Ferruccio Busoni a donné mardi,
à la Grande Harmonie, son récital de piano.
Le grand artiste a enthousiasmé ses auditeurs
par la délicatesse et la souplesse de son jeu et le
caractère très personnel de ses interprétations. Au
programme figuraient le Prélude, Choral et Fugue de
César Franck, deux chorals de Bach-Busoni, la
sonate en mi majeur (oeuvre 109) de Beethoven,
sonate en si témol mineur de Chopin et les Gran-
des Etudes de Liszt. Après de nombreux rappels,
M. Busoni a joué en bis des variations sur la Muette
de Portici. T. L.
— A la salle Erard, deux jeunes artistes,
MIle Alice Cholet, violoniste, et M. Léon Del-
croix, pianiste, ont donné une séance de sonates
consacrée à l'école belge.
Ils ont interprété d'une façon parfaite l'admi-
rable sonate de C. Franck, la sonate si dramatique
de G. Lekeu, celle de Vreuls, plus abstraite et
plus fantaisiste.
Le public, séduit par les qualités remarquables
des deux jeunes gens, les a généreusement
applaudis.
— Pour rappel, lundi 18 décembre, à 8 1/2 heures
du soir, à la salle Erard, rue Lambermont, 6,
Mlle Léontine Verheyden et M. Emile Riga, donne-
ront un concert avec le concours de MM. F. Chiaf-
fitelli, violoniste et G. de Bilsten, violoncelliste.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — Très réussie, la première soi-
rée de musique de chambre donnée par le
Trio instrumental, dans la salle rouge de la Société
royale d'Harmonie. Ce trio est composé d'artistes
réputés : MM. Lenaerts, pianiste; Deru, violo-
niste, et Godenne, violoncelliste.
L'excellente cantatrice Mme Soetens-Flament
devait prêter également son concours à cette soi-
rée, mais un refroidissement l'empêcha d'y venir.
Au programme : Le premier trio de Schumann et
le trio op. 49 de Mendelssohn, la belle sonate
pour violoncelle et piano de Saint-Saëns et celle
en C moll de Grieg, pour piano et violon.
Les trois exécutants obtinrent dans tous ces mor-
ceaux un éclatant succès.
Mlle Stefi Geyer, la jeune et brillante violo-
niste, est venue donner à l'Harmonie un récital.
Elle a enthousiasmée le public par la sûreté éton-
nante de son jeu et son merveilleux brio. Mlle
Geyer deviendra certainement une très grande vir-
tuose de l'archet. M. Oscar Dienzl accompagnait
au piano Mlle Geyer.
Au même concert, nous entendîmes M. Paul
Goldschmidt, pianiste de talent.
Au Théâtre Flamand, le drame lyrique Genesms,
de M. Félix Weingartner en est à sa huitième re-
présentation. L'auteur qui était venu lui-même
diriger les trois premières de son ouvrage est parti
très heureux de l'interprétation soignée et très
artistique que lui ont préparée MM. Judels et
Tokkie et dans laquelle se sont distingués en par-
ticulier Mme Judels et le ténor Swolfs.
Signalons, au Théâtre royal, une belle représen-
tation de Carmen, avec Mme Blanche Dalbe, à
laquelle on a fait un succès très chaleureux.
Par suite de circonstances imprévues, le concert
des Nouveaux Concerts annoncé pour le 18 de
ce mois est remis au 10 janvier 1906. G. P.
BORDEAUX. — M. Lespine continue avec
une intelligente ténacité sa belle œuvre de
vulgarisation. Il consacre cette année six séances
à l'école allemande, de J.-S. Bach à Rich. Strauss.
Ses programmes sont en général bien composés.
En tout cas, ils sont copieux et divers. La première
séance était vouée à Bach, à Hsendel et à Haydn.
M. Berthelot, publiciste diligent, entoure les
œuvres exécutées d'anecdotes, que l'auditoire ne
semble pas trouver dénuées d'intérêt. Parmi les
collaborateurs de M. Lespine il convient de men-
tionner M. Sicottly, qui a tenu la partie de trom-
pette du second concerto de Bach, pour trompette,
violon, flûte, hautbois concertants et quintette à
cordes, avec une sûreté remarquable, et M. Fal-
con, ancien élève de Diémer et qui sait joindre à
une parfaite netteté de jeu un charme fluide et
836
LE guidé Musical
caressant dont nous fûmes tous séduits. Quant à
M. Lespine lui-même, il a exécuté la Chaconne pour
violon seul de Bach avec la large aisance d'un
virtuose accompli et la subtile émotion d'un vrai
musicien. Beau succès.
Le grand artiste qu'est notre compatriote André
Hekking a donné, avec le concours de M. Lambert
Mouchague, un magnifique concert : trois sonates
et deux pièces séparées. Au début, un maître :
Beethoven (sonate en la) ; à la fin, un moderne :
M. Chevillard (sonate en si bémol). Entre le maître
et le moderne, M. Saint-Saëns (deuxième sonate
op. 123). Un air de M. J. Huré mit en relief mer-
veilleusement la noble et sûre beauté de Y Elégie
de Gabriel Fauré.
Le deuxième concert de la Société Sainte-Cécile
s'est ouvert par la symphonie en ré de Brahms.
Fort bonne exécution. Il y eut ensuite le concerto
de Lalo pour violoncelle, joué par M. Cornélis-
Liégeois : jeu sobre, austère, d'une ardeur con-
centrée, nuancée de tristesse jusque dans le scher-
sando ; sonorité grise et amère d'alto autant que de
basse. Nos Méridionaux ont fait un accueil cha-
leureux à ce haut talent. M. Liégeois a joué encore,
avec un grand style, un adagio de Boccherini et...
un nocturne de Chopin, accompagné sur la harpe !
Vif succès. Le Feu céleste, cantate de M. Saint-
Saëns sur le poème d'Armand Silvestre en l'hon-
neur de l'électricité, et la Nuit d'été, poème sym-
phonique de M. G. Marty, complétaient le
programme avec le Cceli enarrant de Marcello et
Y Alléluia célèbre du Messie. A. L.
GAND. — Pour l'inauguration de ses nou-
velles matinées du dimanche, la maison
Beyer a eu la bonne fortune de s'assurer la colla-
boration de Mlle Wouters, de Bruxelles. La jeune
pianiste — on pourrait presque dire une fillette —
s'est imposée au public mondain qui remplissait
les salons de la maison Beyer, par son interpréta-
tion parfaite de la sonate en si mineur de Chopin,
et a fait preuve d'une technique impeccable dans
des œuvres de Th. Dubois et de Moszkowski. Le
ténorino Dua prêtait son concours à cette mati-
née et a chanté avec délicatesse et goût des Lieder
de Franck, de Schumann et des romances de
A. Morel de Westgaver et Lud. Stiénon du Pré, un
nom qui sera un jour à retenir.
La prochaine matinée aura lieu le 3i décembre.
Au Cercle artistique, nouvelle soirée de Lieder,
interprétés cette fois par Mme Arctowska, dont les
lecteurs du Guide connaissent la voix souple et
claire et le sentiment parfait de l'interprétation.
Elle a chanté avec un égal succès des Lieder ita-
liens, allemands, français et anglais, mettant dans
l'interprétation de chacune de ces œuvres une note
très personnelle et très juste à la fois.
Au total, une bonne soirée de plus à l'actif du
Cercle artistique. Marcus.
GENÈVE. — Le deuxième concert d'abon-
ment a débuté par la belle symphonie n° 4,
en si bémol, de Beethoven. Le joli menuet du
Bourgeois gentilhomme de Lulli (le solo de violon
par M. Aimé Kling) a été bissé par acclamations;
c'est tout dire.
Le récital donné par Mme Marcelle Chéridjian-
Charrey, pianiste, professeur au Conservatoire, a
été pour cette charmante artiste un véritable triom-
phe bien mérité.
Dans le quatrième concert Marteau, on a en-
tendu le XVIe quatuor en fa majeur, op. i35, de
Beethoven, admirablement interprété par MM.
Marteau, Reymond, Pahnke et Ad. Rehberg. En-
suite, M. R. Mùhlfeld, clarinettiste du duc de Mei-
ningen, a donné, en compagnie de M. Willy Reh-
berg, une excellente interprétation de la sonate en
fa majeur, op. 120, pour piano et clarinette, de
J. Brahms. Le clou de la soirée a été le magnifique
quintette en la majeur, pour clarinette et instru-
ments à cordes, de Mozart.
Un très intéressant concert, bien réussi, a été
celui donné par MM. Louis van Laar, violoniste,
professeur au Conservatoire, et Aug. Goellner,
pianiste. Au programme : E. Grieg, Beethoven,
L. Spohr, Chopin, Saint-Saëns, Vieuxtemps.
Dans le troisième concert d'abonnement, M.
Pierre Sechiari. violoniste, a charmé l'auditoire
avec le concerto en la majeur, pour violon et or-
chestre, de Mozarr. Korsholm, poème symphonique
finlandais (première audition) de A. Jàrnefelt, a été
chaleureusement applaudi.
Le célèbre pianiste Léon Delafosse, dont l'éloge
n'est plus à faire, a donné un superbe concert.
Programme très artistique et interprétation hors
ligne.
Enfin, pour clore, mentionnons encore le joli
concert donné par MM. Max Behrens, pianiste,
professeur au Conservatoire et J.-S.-M. Darier,
violoniste. Au programme : Mozart, Max Bruch,
Chopin, A. Glazounow, Paul Lacombe, Liszt et
Saint-Saëns. Succès sur toute la ligne pour les
deux très méritants artistes. H. Kling.
Le guide musical
sly
LÀ HAYE. — La Société pour l'Encoura-
gement de l'art musical vient de donner à
Leyde et à La Haye deux auditions du Sang de la
Sirène, légende musicale pour soli, chœur et or-
chestre, poème de Marcel Brennure, musique de
Charles Tournemire, ouvrage couronné en 1904
par la ville de Paris. Charles Tournemire, actuel-
lement organiste de l'église Sainte-Clotilde, à
Paris, élève de César Franck et de M. Vincent
d'Indy, est un musicien d'un incontestable talent.
Le Sang de la Sirène contient des pages fort inté-
ressantes, l'orchestration en est soignée, mais dans
son ensemble, l'ouvrage pèche par une certaine
monotonie. M. Charles Tournemire dirigeait lui-
même son œuvre.
Le Residentie-Orkest, chargé de la partie or-
chestrale, s'est vaillamment comporté.
Le comité organisateur des représentations mo-
dèles des chefs-d'œuvre de Mozart à Amsterdam,
à La Haye et à Rotterdam, a inauguré la série de
ses représentations par Don Juan, sous la direction
d'Anton Tierie, directeur de l'Oratorium-Verein
d'Amsterdam, avec le concours des chœurs de
l'Oratorium-Verein et de l'Orchestre communal
d'Utrecht. M. Albers, du théâtre de la Monnaie, a
rempli le rôle de Don Juan; M. Rud. Moest, de
Leipzig, celui de Leporello; Mlle Dina van de
Vyver, du théâtre de Mannheim, celui de Donna
Anna; Mme Engelen-Sewing, celui de Donna
Elvira; Jos, Tyssen, du théâtre de Francfort, celui
de Don Ottavio ; Mme Anna Tyssen, celui de Zer-
line; Thomas Denys, celui de Masetto, et Fritz
Rapp, de Berlin, celui du Commandeur. Salles
bondées, succès triomphal, enthousiame indescrip-
tible. Pour la seconde représentation, le Mozart-
Verein d'Amsterdam a choisi le Mariage de Figaro.
Nous avons eu à La Haye une séance de
musique de chambre donnée par Mmes Suzanne
et Thérèse Chaigneau, de Paris, qui, à leur pre-
mière apparition en Hollande l'an dernier, avaient
fait si bonne impression. Cette année, elles ont
été vivement applaudies encore. Mme Madier de
Montjau prêtait son concours à cette séance. Sans
égaler Marcella Pregi, elle a provoqué l'enthou-
siasme du public, surtout après les chansons du
xvme siècle, qu'elle a spirituellement interprétées.
L'Opéra royal français de La Haye annonce
une prochaine reprise de Louise de Charpentier
avec M1Ie Caux dans le rôle principal, et l'Opéra
italien d'Amsterdam tient un très grand succès
avec Mme Monti Baldini (Carmen) et le ténor
Isalberti (Don José) dans Carmen. Ed. de H.
<&r
IIÉGE. — Le Jongleur de -Notre-Dame, dont
j je vous avais annoncé la première, a été
monté et interprété avec grand soin au Théâtre
royal. M. Duchesne, en homme expérimenté qu'il
est, a confié même les plus petits emplois à de
véritables artistes, et l'on a vu la seconde basse
d'opéra-comique, M. Desesquier, se tailler un
succès au deuxième acte. M. Romerol n'a pas été
tout à fait ce qu'on espérait dans Frère Boniface ;
il s'y est fort démené et n'a eu ni l'onction, ni la
malice sensuelle du personnage ; pas d'onction non
plus chez M. Malherbe, d'ailleurs bon musicien.
Quant au ténor, M. Fontaine, il a plu et a rallié
du coup bien des suffrages qu'on lui avait d'abord
refusés. Son chant, sa mimique, sa conception du
rôle sont remarquables. Les chœurs ont été suffi-
sants et, sauf un excès de sonorité, l'orchestre a
bien souligné les efforts d'ingénuité et les ca-
prices rythmiques de cette musique, où les rémi-
niscences ne sont pas rares. Les décors sont
convenables, et la mise en scène, d'un homme de
goût. Ce sera surtout un succès d'eslime, mais qui
mériterait d'être un gros succès. W.
LOUVAIN. — Notre premier concert de
l'Ecole de musique a eu lieu le 29 novembre,
et son programme, mis en valeur par une bonne
exécution, a plu très particulièrement au public.
La charmante première symphonie de Beethoven
et plus encore la délicieuse ouverture de Weber :
Le Roi des Génies, ont été finement détaillées par
l'orchestre. Les chœurs, dont la sonorité, la cohé-
sion, la souplesse nuancée, sont toujours en pro-
grès, ont remarquablement bien chanté le brillant
chœur du Vaisseau fantôme, l'exquise Vierge à la crè-
che de César Franck, l'admirable Chant élégiaque de
Beethoven, le tendre madrigal de Waelrant Vaar-
wel, mijn broeder, cette perle de notre art flamand
du xvie siècle, et la joyeuse Villaneïïe de Schu-
mann, dont M. Léon Du Bois avait très délicate-
ment orchestré l'accompagnement. Cette dernière,
à mon avis, fut dite trop lentement et manqua un
peu d'animation.
Le violoncelliste Henri Merck a fait admirer de
très belles qualités artistiques ; nous aimons en lui
surtout la pureté et la belle qualité du son, la sim-
plicité du phrasé, la sobre élégance, toute classi-
que, du style, plutôt que la puissance sonore et
l'énergie du coup d'archet. Il a parfaitement joué
le beau concerto de Saint-Saëns, dont le délicieux
intermède archaïque que vous savez bien vient si
aimablement égaver la correcte inspiration, et les
Variations de Boëllmann, toujours agréables et im-
pressionnantes à entendre.
8$8
LE GUIDE MUSICAL
La Kaisermarsch de Wagner terminait ce remar-
quable concert, qui a fait, comme toujours, grand
honneur à son organisateur et directeur M. Du
Bois.
La Table ronde a ouvert la série de ses concerts
artistiques par un Liederabend de Mme Brema. L'or-
gane vocal est assourdi et fatigué un peu, mais
quelle admirable et profonde interprétation du
FrmtenUebe und Leben de Schumann, du Erlkônig de
Schubert, de quelques très beaux vieux chants reli-
gieux, du ravissant Plauderwàsche de Weingartner.
Prochainement, nous entendrons le violoniste Thi-
baud, peut-être Mark Hambourg.
L'excellent A Capella gantois, fondé et dirigé
par M. Hullebroeck, nous a donné cette semaine
une admirable audition, organisée sous les auspices
des sociétés Davidsfonds et Met Tijd en Vlijt. On
connaît les qualités éminentes de ce choral mixte,
qui s'est déjà acquis une réputation à l'étranger.
Assez mal disposé au début de la séance (surtout
dans l'exécution du motet de Palestrina : O Do-
mine Jesu Christe, il s'est brusquement ressaissi en
interprétant d'une façon absolument merveilleuse
le Gloria de la Messe du Pape Marcel, cette page
d'une rayonnante splendeur ! On dut la redire en
présence de l'enthousiasme des auditeurs. Grand
succès aussi pour les autres numéros du pro-
gramme : les motets Jesu dulcis et O vos omîtes de
Vittoria, le Vaarwel mijn broeder, deux chants popu-
laires harmonisés par Van Duyse et deux airs du
xvme siècle, harmonisés par Gevaert.
La section d'opéra-comique de Louvain prépare
une représentation des Pêcheurs de perles de Bizet.
Enfin, je suis particulièrement heureux d'annon-
cer que les séances de musique de chambre orga-
nisées par le violoniste Bracké, et dont la continua-
tion paraissait compromise, vont reprendre leur
cours en janvier. Il eût été déplorable de voir se
décourager les organisateurs de ces séances d'art
pur, qui ont persévéré déjà durant six années et
nous ont donné dix-huit auditions remarquables.
Raro.
IYON. — « Une heure de musique moderne. »
_J Notre confrère Vallas, directeur de la
Revue musicale de Lyon, a donné le 2 décembre,
dans la salle de la Symphonie classique, sa
première « heure de musique moderne ». Ces inté-
ressantes auditions ont été créées pour faire con-
naître virtuellement aux abonnés trop « conserva-
teurs » (involontairement et intimement tout au
moins), malgré l'élégante et « impersonnelle »
érudition mondaine, des chefs-d'œuvre modernes
généralement ignorés en dehors des salons où l'on
en entend parler.
Nous avons donc savouré samedi soir du Mous*
sorgski, dit avec charme par Mme de Lestang et
accompagné discrètement par M. Jean Reynaud.
M. Mariotte, dans un peu de Debussy, Deodat de
Severac et beaucoup de Mariotte, nous a violem-
ment agités. Ces auditions « courtes et bonnes »
sont justement appréciées des mêmes amateurs
qui veulent avec, leurs journaux, « évoluer » vite et
bien.
M. Ch. Bordés, avec quelques chanteurs de
Samt-Gervais et beaucoup de Lyonnais devenus
momentanément Parisiens, a donné mardi soir un
concert où nous avons entendu, entre autres
attractions, un trompette aigu et rare, de Bruxelles
et le cinquième acte âCArmide, que M. Bordes est
venu créer à Lyon après les exécutions très satis-
faisantes qu'a données, l'an dernier, de l'œuvre
entière, notre première scène.
Au Grand-Théâtre, peu de nouveautés : Sigurd,
Samson et Dalila, Mireille, le Chalet, etc.; hier, pre--
mière de Y Attaque du moulin (reprise) de Bruneau.
D'ailleurs, la municipalité dont nous subissons
la régie refuse obstinément le service du Grand-
Théâtre à la presse parisienne ; résignons-nous et
attendons les ce premières », où la régie municipale
aura besoin de réclame. G. D.
NICE. — Le Palais de la Jetée a fait ven-
dredi 8 décembre, en matinée et en toirée
de gala, l'ouverture de ses grands concerts par un
festival Massenet.
Sous la direction du maestro Gervasio, l'ouver-
ture du Cid, Le Sommeil et l'Extase de la Vierge, Nar-
cisse, le fabliau de Manon, Les Erynnies et une
grande sélection d'Hérodiade, comprenant quatorze
numéros, ont été parfaitement rendus par MllesPala-
sara, Sergys, Ruper, MM. Vernet, de Veldi, Greil
et les solistes de l'orchestre. On a beaucoup remar-
qué la voix très étendue et très pure de Mlle Pala-
sara, ainsi que son interprétation artistique et
pleine de sentiment.
NOUVELLES
Samedi dernier a eu lieu au Théâtre royal de
la Cour, à Dresde, la première représentation de
Salomc, opéra en un acte de M. Richard Strauss,
d'après le drame anglais d'Oscar Wilde. L'action
mise en musique est excessivement rapide et
violente. Salomé, élevée à la cour d'Hérode, son
beau-père, est encore jeune fille, mais une sorte
de caprice passionné l'a saisie : elle veut baiser les
LE GUIDE MUSICAL
83g
lèvres du prophète Jokanaan. Un de ses soupi-
rants le lui amène à sa prière, et se tue en voyant
qu'elle aime ce rival. Dédaignée à son tour, son
amour se transforme en un sauvage délire. Profi-
tant des instincts vicieux du roi, son beau-père,
elle veut bien consentir à danser en sa présence,
s'il promet d'exaucer le vœu qu'elle se réserve de
formuler ensuite. La danse finie, c'est la tête de
Jokanaan qu'elle exige. Hérode hésite, craignant
de soulever une sédition parmi le peuple, car le
prophète a pour lui tous les humbles. Salomé ne
veut rien entendre. Le roi, ne voulant pas man-
quer à sa promesse, donné alors un ordre au
bourreau, qui s'éloigne et rapporte bientôt la tête
tranchée de Jokanaan. Salomé pose ses lèvres sur
les lèvres pâles du prophète. Mais Hérode, exas-
péré, commande à ses soldats de la mettre à mort.
Ils l'étouffent sous leurs boucliers.
C'est sur cette donnée véhémente que R. Strauss
a écrit une partition qui, de l'avis de tous les cri-
tiques, est la plus extraordinaire qu'il ait produite
jusqu'ici. On cite comme particulièrement réussies
toute la première partie qui met en scène Jokanaan
ou Jean-Baptiste, la scène de la danse de Salomé,
et enfin, les scènes finales où éclate la folie amou-
reuse de Salomé. Dans la première partie on
signale un petit ensemble entre cinq israélites
discutant sur la religion, qui est un chef-d'œuvre
d'humour et d'esprit. L'orchestration, cela va sans
dire, est d'une richesse déconcertante et pleine
d'effets nouveaux et imprévus. Le succès de
l'œuvre a été énorme et toute la presse d'outre-
Rhin s'en occupe avec passion.
— Une campagne de presse est engagée entre
M. Pietro Mascagni et les éditeurs de musique
italiens, au sujet des droits d'auteur que le compo-
siteur de Cavalleria rusticana a touchés jusqu'à
présent.
En réponse aux dires de M. Mascagni, M. Son-
zogno, le célèbre éditeur milanais, pnblie dans la
Sera un extrait de ses livres, duquel il résulte que,
pour six opéras, M. Mascagni a reçu de la maison
Sonzogno 142,000 lires, sans compter la part de
droits d'auteur qui lui était réservée par contrat.
En outre, M. Mascagni a touché jusqu'en 1898,
pour opéras à fournir qui n'ont pas encore été
livrés, des mensualités dont le total s'élève à
36,ooo lires.
— M. Wilhelm Mauke, de Munich, a terminé un
opéra en trois actes, Le Vaurien, d'après un roman
qui fut célèbre à l'époque romantique, La Vie d'un
vaurien, par Eichendorff.
— Nous avons annoncé le concours ouvert en
faveur des femmes compositeurs par le Lyceum
Club de Londres, concours qui sera clos le
Ier mai 1906. On fait savoir aujourd'hui que le jury
de ce concours sera composé de MM. Edouard
Colonne, Coward, Draesecke, André Gedalge,
Cari Goldmark, Humperdinck et Sgambati.
— Depuis des mois, on se livre, dans la presse
allemande, à une violente campagne à propos de
la question de savoir si le festival wagnérien
annuel continuera ou non à avoir lieu à Munich.
On prétendait que la famille Wagner voyait dans
les représentations munichoises une concurrence
directe pour Rayreuth et faisait tout pour les
rendre impossibles. Or, voici que l'intendance
générale des théâtres de la Cour de Bavière publie
la déclaration suivante, qui met les choses au
point :
« i° L'affirmation que les Festpieles n'auront pas
lieu en 1906 au théâtre du Prince-Régent, à
Munich, est inexacte, de même que sont mal
fondées les attaques dont M. Mottl, directeur
général de la musique, a été l'objet à ce sujet.
» 20 Les attaques dirigées contre Bayreuth sont
également mal fondées. L'intendance royale se
croit, au contraire, obligée de déclarer expressé-
ment que la famille Wagner, malgré les nom-
breuses attaques injustifiées de la presse, a toujours
fait preuve de la plus grande conciliation dans
toutes les questions qui ont surgi depuis la fon-
dation du théâtre du Prince-Régent ; que, notam-
ment dans la question non jugée par les tribunaux,
à savoir si l'intendance des théâtres de la Cour a,
en principe, le droit de représenter des œuvres de
Richard Wagner au théâtre du Prince-Régent, elle
s'est abstenue, tenant compte de la situation
particulière de Munich, d'obtenir un jugement
définitif qui, selon les circonstances, aurait rendu le
festival impossible.
» 3° Dans les négociations actuelles, qui durent
depuis longtemps, Bayreuth a également eu les
plus grands égards pour la ville d'art qu'est
Munich.
» 40 La question de savoir si et dans quelles
proportions des représentations wagnériennes au-
ront lieu l'été prochain à Munich sera soumise à
S. A. R. le prince régent, dès son retour du
Spessart, et sa décision sera publiée aussitôt.
» 5° Il est inexact que les représentations esti-
vales de igo5 aient laissé un bénéfice. La vérité est
que les recettes ont augmenté, et que le déficit a
été considérablement diminué, mais qu'il n'est pas
définitivement écarté. »
S40
LE GUIDE MUSICAL
— Une session d'examens aux divers grades de
professeurs et académiciens ainsi que des con-
cours pour l'obtention de palmes, médailles d'or,
vermeil, argent, bronze et mentions, s'ouvriront au
siège de l'Académie internationale des arts, scien-
ces et lettres de Toulouse du Ier janvier au
3o avril 1906, et seront répartis comme suit : Jan-
vier, musique; février, peinture, aquarelle, dessin,
sculpture.
Pour tous renseignements, s'adresser à M. le
secrétaire perpétuel de l'Académie, à Toulouse
(France).
BIBLIOGRAPHIE
Manuel universel de la littérature musicale, tomes 2,
3 et 4 (lettre B). — Vienne, Pazdirek ; Paris,
Costallat.
Je suis enfin en mesure de répondre aux nom-
breuses questions qui m'ont été posées au sujet de
ce précieux « guide pratique et complet de toutes
les éditions classiques et modernes de tous les
pays », dont j'avais annoncé ici, voici longtemps
déjà, le premier tome, consacré à la lettre A. Des
circonstances imprévues et intrinsèques à l'entre-
prise ont interrompu pendant quelques mois la
publication, d'ailleurs si complexe et si compli-
quée, de ce répertoire ; elle a repris cet été, et coup
sur coup, les trois volumes de la lettre B (i,3oo
pages à deux colonnes) ont été mis en vente. Tout
porte à croire que nul retard anormal ne se pro-
duira plus désormais.
Je rappelle que ce manuel est destiné à centrali-
ser, pour la commodité rapide du libraire ou de
l'amateur, les éditions musicales de tous les maga-
sins de musique du monde entier ; qu'à chaque
nom d'auteur, la série de ses œuvres est rangée
soit suivant leur numérotage officiel, soit suivant
l'ordre alphabétique, chacun des articles conte-
nant l'énumération des différentes éditions, les
arrangements, etc.; qu'enfin, il ne s'agit ici que des
éditions actuelles, de vente courante et pouvant
être demandées à n'importe quel libraire de musi-
que. On se souvient des exemples que nous avons
donnés de l'importance de certains articles de la
lettre A. La lettre B en offrirait de bien plus extra-
ordinaires encore, s'il n'était oiseux de se livrer à
ces calculs : la famille des Bach (Sébastien, 53 pa-
ges à deux colonnes!), Beethoven (67 pages), Bel-
lini, Bizet, Boïeldieu, Brahms... les noms ne
manquent pas, dont l'œuvre prend des développe-
ments considérables. Lecture un peu spéciale, en
somme, mais des plus intéressantes qui soient
pour un chercheur, et d'une commodité indiscuta-
ble. Nous tiendrons nos lecteurs au courant de la
suite de la publication. H. de C.
pianos et Ifoavpes
trarù
JBruseUes : 6, rue Xambermont
paris : rue ou flfoail, 13
ECOLE DE MUSIQUE DE COURTRAI
Par suite de la mise en vigueur du nouveau
règlement de l'Ecole de musique de Courtrai,
diverses places de professeur sont vacantes à cet
établissement :
i° Une place de professeur de piano (hommes
et dames). Traitement, douze cents francs. Six
heures de cours par semaine ;
2° Une place de professeur de chant (hommes
et dames). Traitement, douze cents francs. Six
heures de cours par semaine ;
3° Une place de professeur de solfège pour da-
mes. Traitement, cinq cents francs. Trois heures de
cours par semaine.
Les candidats sont priés d'adresser leur de-
mande à M. le docteur Antheunis, président de
la commission administrative, rue Saint-Georges,
à Courtrai.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Tristan et Isolde (M. Van Dyck); Sigurd;
Lohengrin; Le Freischiïtz, Coppélia.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Jongleur de Notre-Dame,
le Caïd ; Mireille ; Le Domino noir ; Le Barbier de
Séville.Cavalleriarusticana; Miarka; Carmen; Miarka;
Werther (rentrée de Mlle Marié de l'Isle).
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Lohen-
grin; Manon; Armide; Carmen; Armide; Faust;
Armide ; Chérubin (première).
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Lundi 18 décembre. — A 8 J4 heures du soir, à la salle
Erard, concert donné par Mlle Léontine Verheyden et
LE GUIDE MUSICAL
841
BREITKOPF & H>ERTEL, Éditeurs, a Bruxelles
Montagne de la Cour, 45,
Fient de Paraître :
Richard WAGNER
à Mathilde Wesendonck
JOURNAL ET LETTRES 1853-1871
"Traduction autorisée de l'Allemand par Préface de
Georges Khnopff Henri Lichtenberger
== Tome I eî M à frD 3,50 net =
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
Viennent de Paraître :
DEUX NOUVELLES SONATES
pour Violon et Piano
JONGEN (Joseph). — Sonate (dédiée à Eugène Ysaye).
JENTSCH (Max;. — Sonate en do mineur.
Chacune
net
; : fr. 7.50
LE GRAND
SUCCÈS DU
THÉÂTRE
DE
LA MONNAIE
Vient de Paraître
à la MAISON BEETHOVEN
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La deuxième Edition de la Partition
Piano et chant, texte français-flamand, de
Princesse Rayon de Soleil
Légende féerique en quatre actes
Poème de POL DE MONT, musique de P. GILSON
. '. Prix : 20 Francs =:
Pour paraître prochainement à la même maison. — En souscription, au prix de 7,50 fr.
la partition piano et chant de JL, 1 D 1 J\ drame lyrique en i acte
Poème d'ALEXANDRA MYRIAL ===zz Musique de Jean HAUTSTONT
SANDOZ, JOBIN & Cie
Ofïice international d'Edition 3sAvisioa,le et Agence -A.rtistiq.-ue
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N° 105. Hardi! Jean-Louis. (Tiré des Chansons populaires.) E. Jaques-Dalcrozet
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ÉJj&e année. — Numéro §2.
24 Décembre igo5.
LE NOËL MUSICAL FRANÇAIS
(Suite. — Voir le dernier numéro)
La preuve des commencements de vogue
nous est fournie par deux recueils qui
paraissent la même année, en i520 : les
Noëls de Lucas Le M oigne, bien connus
et les Noëls nouveaulx de Jean Daniel
dit maître Mitou. Ces recueils sont pure-
ment littéraires, et la musique n'y intervient
qu'avec l'indication de ce que l'on appelle
des « timbres », terme dont il faut donner
la définition.
Le timbre est la désignation, en tête
d'une poésie, d'un air très répandu, en
citant les premiers mots du texte qu'il
accompagne.
C'est, on le voit, la suite d'une tradition
du moyen âge, quand on écrivait des mor-
ceaux poétiques pouvant s'adapter à un
chant qui courait sur toutes les lèvres (1).
Le Moigne et Daniel recourent donc au
(1) Autrefois, le timbre commençait par l'une des
formules suivantes : sus, sus, sur le chant de, vau de
vire. Depuis le xvme siècle, on emploie celle-ci : air
connu. J'ai vu également : vaudeville.
système du timbre. La chose est expli-
cable pour le premier, qui ne connaissait
pas la musique, mais pas pour le second,
qui, en sa qualité d'organiste, aurait vrai-
ment pu se donner la peine de chercher ce
que l'on appelait des « airs nouveaux ».Quoi
qu'il en soit, leurs recueils sont précieux.
Ils nous indiquent notamment les mélodies
jouissant alors de la faveur générale.
De toutes ces dernières, une seule est
restée populaire : « Hélas! je l'ai perdue. »
Elle date du xve siècle, et escorte encore
le noël de Le Moigne : « Chantons, je vous
en prie ».
Détail à noter : dès cette époque, tous
les timbres indiqués sont des chansons non
seulement profanes, mais galantes, ce qui,
lorsque la poésie est édifiante, aggrave sin-
gulièrement le cas. Voilà un précédent que
l'on suivra scrupuleusement dans l'avenir.
N'oublions pas que nous sommes à l'aube
de la Renaissance, et que le scepticisme
envahit ce domaine. Le noël religieux
LE GUIDE MUSICAL
reçoit ainsi un coup dont il ne saura se
relever.
Autre particularité qu'il importe de rete-
nir : ces mélodies ont pénétré dans toutes
nos provinces, fait leur tour de France.
Les mêmes ont été revêtues de patois diffé-
rents. Par conséquent, en présence des
110 ei bourguignons ou des noués proven-
çaux, par exemple, complétés par des
timbres, ne jouons plus sur les mots,
comme certains l'ont fait, mais parlons
franc. Il s'agit alors de littérature provin-
ciale, mais pas de musique provinciale. La
musique, elle est française, tout simple-
ment (i).
Cependant, il ne faudrait pas conclure
de ce qui précède, que la production du
noël musical ait été suspendue. Quelques-
uns s'adonnaient toujours à ce genre. J'in-
diquerai notamment les Noëlz et Chansons
du Savoyard Nicolas Martin, qui parurent
à Lyon en i555, et dont l'allure est bien
populaire (2).
Cette vogue du noël nous est témoignée
non seulement par des documents musi-
caux, mais aussi par des déclarations for-
melles de contemporains. Il y a d'abord ce
proverbe qui, d'après M. Weckerlin (3),
remonte à la fin du XVe siècle : « On chante
tant Noël qu'à la fin il vient. »
Puis, quelques années plus tard, en i56o,
ce passage de Pasquier, souvent cité, mais
qu'il est bon de rappeler, car je le trouve
typique (4) :
En ma jeunesse, c'estoit une coustume que l'on avait
tournée en cérémonie, de chanter tous les soirs, presque
en chaque famille, des nouels. qui estoient chansons
spirituelles faites en l'honneur de Nostre-Seigneur.
Il est certain que l'on ne peut souhaiter
une indication plus explicite.
(1) J'ajouterai à ce propos, mais sans expliquer ma
pensée, ce qui nous entraînerait beaucoup trop loin,
que, même dans les compositions de régions très reti-
rées, l'esthétique générale de la nation a été conservée.
En musique, je crois aux écoles nationales, mais pas
aux régionales.
(2) Réédités en i883, chez Willem, à Paris.
(3) Chansons populaires du pays de France (Paris, Heu-
gel, 1903), I, 45.
(4) Recherches delà France, 207.
Pendant ce temps, qu'est la carrière du
noël artistique?
Le noël artistique occupe sa petite place
dans la musique de la Renaissance fran-
çaise, laquelle continue de cultiver le con-
trepoint vocal. On s'inspire parfois de
chansons que l'on revêt de la parure d'une
riche polyphonie. Et, parmi ces chansons,
se glissent quelques-unes des mélodies
dont nous nous occupons particulièrement.
Cette forme d'art demeura en honneur chez
nous jusque dans les commencements du
XVIIe siècle.
Entre tous les auteurs de ces noëls poly-
phoniques, je mentionnerai Costeley, orga-
niste de Charles IX et de Henri III, à la
fin du xvr siècle, et, dans les premières
années du xvne, du Caur roy (i).
Je n'oublierai pas, enfin, une récente et
très curieuse acquisition qui vient d'aug-
menter les richesses de la Bibliothèque
du Conservatoire : Genethliac, noël mu-
sical et historial de la conception et de la
nativité de jf.-C, publié à Lyon en i55g,
sous le nom de Barthélémy Aneau (2).
C'est une scène pour deux voix concer-
tantes, ténor et soprano, une sorte d'imita-
tion des mystères.
Depuis que tourne la terre, on n'a pas
encore rencontré un seul chef-d'œuvre qui
soit sans défaut, et l'art de cette belle épo-
que du contrepoint vocal était soumis à
cette règle commune. Alors, malheureuse-
ment, le thème, pour celui qui est insuffi-
samment initié, ne transparaît pas assez
dans la polyphonie, est submergé par elle.
Aussi surgit bientôt, à la fin du XVIe siècle,
une nouvelle école, celle de la basse conti-
nue, qui durera plus d'un siècle et demi,
(t) i3e et 17e livraisons de la collection de M. Expert,
les Maîtres musiciens de la Renaissance française.
(2) Cette scène avait paru, en i53q, dans un recueil
poétique du même écrivain, intitulé Chant natal conte-
nant sept noëlz, cing chant pastoural et ung chant royal, avec
ung mystère de la Nativité par personnages composé en imita-
tion verbale et musicale de divers chants, etc. (Bibl. nat.)
La particularité me fait supposer que cet Aneau ne
connaissait vraisemblablement pas la composition, et
qu'il s'est attribué, dans Genethliac, le travail d'un musi-
cien famélique ou trop complaisant.
LE GUIDE MUSICAL
845
dans laquelle le thème est, au contraire,
bien mis en évidence, soutenu qu'il est par
le grêle accompagnement d'une partie
grave, sur lequel on plaque des accords.
Au spectacle de ces deux esthétiques
successives et diamétralement opposées, il
semble qu'il y ait une véritable cassure
dans les fastes de l'histoire musicale. Nous
savons maintenant, grâce à un remarquable
travail de M. Quittard (i), qu'il n'en est
rien, que le second système constitue la
suite naturelle du premier. Mon confrère a
démontré, avec pièces à l'appui, que l'on
avait obéi à un impérieux désir de simpli-
fication.
J'estime qu'il faut ajouter deux autres
raisons à la sienne. On a voulu également
d'abord descendre de la tour d'ivoire, ré-
duire le rôle de l'esprit pour laisser davan-
tage parler le cœur. La chose n'est pas
douteuse. Ensuite, on a remarqué que le
thème, quand, par aventure, on le faisait
monter du ténor à la partie supérieure,
était alors saisi par l'oreille sans la moin-
dre difficulté. Le phénomène est des plus
palpables, et, véritablement, il eût fallu être
frappé de surdité pour le méconnaître.
L'adhésion à ce phénomène paraît
démontrée par certains noëls religieux
artistiques que nous possédons, et qui
émanent de compositeurs de second ordre,
du Bousset, Guédron, Bataille, etc. (2). On
trouve, en effet, en tête de cette musique,
écrite à quatre parties, une indication ne
pouvant laisser aucune hésitation à cet
égard : « Le premier dessus, comme
estant le sujet, sert pour chanter seul. »
Ainsi, voilà donc l'acheminement définitif
de la polyphonie vers la monodie. C'est, en
somme, l'état d'esprit de Grétry, lorsqu'il
dira, un siècle et demi après, que la mélo-
die est la statue, et l'accompagnement le
piédestal.
Nous sommes arrivés à un moment, le
milieu du xvir siècle, où nous percevons,
(1) Tribune de Saint-Gervais de iço3, Dumont.
(2) Airs sur les hymnes sacrez, odes et noëls pour chanter au
catéchisme. Paris, Ballard, i655. — Bib. nat., Vmi,
.204.
avec les noëls d'Auxcousteaux (1), le
maître de chapelle de la Sainte-Chapelle,
un écho des grandes luttes religieuses qui
avaient profondément troublé le monde
civilisé, un vestige de la pensée de la Ré-
forme.
La musique de ces noëls, écrite à deux
parties vocales, présente un exceptionnel
caractère de sévérité. Son genre de beauté
ne cadre pas tout à fait avec les poésies,
dans lesquelles la bergerie tient une place
assez encombrante, avec ses multiples
attributs champêtres, brebiettes, houlettes,
flûtes, hautbois, chalumeaux, etc. Pourtant,
ces pages un peu sombres ne surprennent
pas celui qui connaît l'admirable Psautier
huguenot, si grave et si religieux, qui vient
d'être rendu au jour par M. Expert, car
leur style rappelle un peu celui de ce re-
! cueil.
Auxcousteaux était des catholiques
signalés par M. le pasteur Bonnet-Maury,
du type notamment de saint François d'As-
sise et de Savonarole, qui, tout en restant
solidement attachés à leur foi, partageaient
une notable portion des critiques articu-
lées par les protestants. Ces catholiques
se distinguaient de leurs coreligionnaires
par une austérité plus grande. Tel est, je
crois, le sentiment qui explique cette atti-
tude artistique d'Auxcousteaux.
La réputation et le talent d'un organiste
contemporain, à la fois poète et composi-
teur, méritent de fixer notre attention et
d'attirer nos regards vers la Provence. Il
s'agit de Saboly, surnommé le Troubadour
du xviie siècle (1614-1672). Il a écrit un
certain nombre de poésies sur la naissance
du Christ, et a donné une musique propre
à la plupart d'entre elles (2). Ces belles
mélodies se distinguent par des lignes qui
dessinent leur grâce avec un naturel extra-
ordinaire.
La diffusion des noëls devenait de plus
(1) Bibl. nat.
(2) Ces noëls ont été réédités par Seguin (Avignon,
i855), mais harmonisés d'une façon détestable. On en
trouve quelquei'-uns, mais alors très bien présentés,
dans les Noëls français de M. Tiersot (Paris, Heugel).
M
le guide musical
en plus considérable, et, à ce point de vue,
un usage nouveau était accouru au secours
de la tradition orale et des recueils que les
écrivains faisaient de leurs poésies.
C'étaient des collections de noëls célèbres
que la besace des colporteurs véhiculait
aux quatre coins du pays. Ces livres, ou
plutôt ces brochures populaires, qui
avaient probablement commencé avec le
XVIIe siècle, ainsi que suppose M. Wecker-
lin, ont reçu le nom de Bible des Noëls. Pen-
dant deux siècles, il en est sorti une
quantité innombrable, notamment des im-
primeries de Rouen et de Troyes. Détail
typique : la Bible des Noëls ne contenait
jamais de musique, mais l'indication de
timbres.
{A suivre.) Frédéric Hellouin.
J. MASSENET
par un de ses interprètes
OUS ce titre, le supplément théâtral
{Theater- Z eitung) du Fremden-Blatt
de Vienne, numéro du 16 no-
vembre, publiait un petit article
signé « Ernest Van Dyck, k. u. k. Kam-
mersânger », dont il nous a paru intéres-
sant de donner ici la traduction, car il est
piquant et d'idées très justes. H. de C.
Il y a des grâces d'état. En i8S3, quand je fus
présenté à Massenet, il était le « jeune maître ». —
Il fut le « jeune maître » dès le Conservatoire, car
sa maîtrise lui vint comme un don des Muses; et
aujourd'hui, sa Muse est encore celle du jeune
maître qu'il fut, qu'il est et qu'il restera toujours.
La nature de son tempérament, son élégance et
sa grâce natives sont des dons qui lui ont été
prodigués, et sa personnalité captivante, sa faci-
lité, sa clarté si essentiellement française, sont la
caractéristique même de son talent.
Les compositeurs de « simili-Wagner », en
France et un peu partout, ont dirigé plus d'un
assaut contre l'auteur de Werther et de Manon;
mais ni le mépris ni la mauvaise foi n'ont prévalu
contre la très honnête et très personnelle musique
de Massenet. Sa vie fut heureuse et sereine. Les
honneurs lui vinrent avec le succès, à leur heure,
comme une chose toute naturelle. Il ne fut jamais
un « méconnu » comme Berlioz, ni un aigri
comme... tant d'autres. De là la sûreté de son
talent, la confiance si complète qui l'anime et qui
lui permet, avec une souplesse peu commune,
d'aborder tous les genres. Car Massenet est surtout
un peintre de genre, et c'est ainsi qu'on doit le
juger.
Les dévots de Michel-Ange qui iraient critiquer
un Chardin au sortir de la Sixtine seraient im-
pardonnables. C'est cependant ce qui se fait tous
les jours en musique.
Il semble que pour l'art dramatique musical, il
n'y ait qu'un critérium : celui que les composi-
teurs de « simili- Wagner », dont je parlais tout à
l'heure, ont imposé. Si nous nous en rapportions à
ces farouches aristarques, et si nous osions établir
un rapprochement entre la musique et la peinture,
il suffirait de Rubens, de Michel-Ange et des
autres Titans de la palette : ni Boucher, ni Fra-
gonard, ni Greuze n'auraient le droit d'exister.
Or, Massenet est, en musique, de la même race
que Boucher en peinture. L'étude des grands
maîtres ne lui a pas ravi sa personnalité : il est le
musicien français par excellence, dont les œuvres
maîtresses vivront, aux feux de la rampe, à côté
des drames lyriques les plus grandioses, comme
celles de Boucher auront toujours, à la cimaise
des musées, une place de choix à côté des Ma-
dones les plus réputées.
A Vienne, on n'a appris à apprécier, de Mas-
senet, que les deux œuvres que je fus appelé à y
créer. Le Cid ne fut pas un triomphe : l'œuvre
manque de souffle, et Corneille lui fait du tort.
Mais Manon!
Je me souviens, comme si c'était d'hier, com-
ment Jahn, pendant l'été de 1890 (que je passai
au château de Maria-Enzersdorfj, me donna à
choisir entre le Barbier de Bagdad et Manon. Dans
le grand salon de cette belle demeure, avec Hans
Paumgartner, mon ami regretté, nous déchiffrions
les strophes de Saint-Sulpice ou les plaintes de
l'amoureux Noureddin. Et j'hésitais, ayant une
grande admiration pour Cornélius. Mais le rôle de
Noureddin était très haut perché, et celui de Des
Grieux me tentait fort; de sorte qu'enfin nous
nous mîmes à l'étude, Mlle Renard et moi.
Ni la direction, ni l'intendance de l'Opéra
n'avaient confiance dans le succès de Manon. On
ne dépensa pas même 5, 000 couronnes pour la
monter...; quelques vieux décors rapportés, quel-
LE GUIDE MUSICAL
847
ques costumes neufs...; et je me rappelle les pro-
testations de Massenet lorsqu'on voulut faire jouer
la scène du séminaire dans les décors de l'église de
Faustll (Authenthique.) Et voici que, pièce et
musique, ce fut un tel triomphe qu'il se prolongea
à travers les interprétations les plus diverses. Qui
ne s'en souvient à Vienne?
Au même titre que Carmen, Manon est une pièce
essentiellement française, qui a droit de cité par-
tout. Car il y a une chose absolue en art : c'est
que, seules, les œuvres profondément nationales
sont universelles.
Après le succès de Manon, Massenet reconnais-
sant donna à l'Opéra de Vienne la primeur — la
toute première — d'une œuvre qu'il affectionnait
particulièrement : Werther.
Jahn le monta avec amour, et cette fois, on fit
des frais. Les quatre tableaux de Werther furent
des chefs-d'œuvre, et le succès le plus complet
répondit à notre attente. Le directeur de l'Opéra-
Comique de Paris, Carvalho, avait refusé déjouer
la pièce sous prétexte que c'était un ouvrage
triste!!? Mais après le succès de Vienne, toutes
les portes s'ouvrirent et Werther prit sa place au
répertoire de tous les théâtres.
Ernest Van Dyck.
GROUPE DES COMPOSITEURS BELGES
Trop souvent, il a été dit que les compo-
siteurs, en Belgique, ne se plaignaient
point des procédés des syndicats pari-
siens des auteurs et compositeurs. La
vérité est qu'ils ne le faisaient pas collectivement,
faute d'être groupés ; mais chacun d'eux, isolé-
ment, déplorait le régime qu'il avait à subir.
Aujourd'hui, les compositeurs belges ont fondé
une coalition confraternelle dont les visées sont à
la fois artistiques et professionnelles. Il est bon
que l'on sache que parmi eux le mécontentement
est plus vif encore que dans les sociétés musicales :
on peut dire qu'il n'est peut-être pas un de nos
compositeurs qui n'ait été, au moins une fois, en
conflit avec le syndicat.
Avec raison, les sociétés musicales estiment
que, libérés de ce syndicat, les compositeurs
belges doivent s'unir et charger du recouvrement
des taxes un organisme ayant ses ramifications
dans tout le pays. Cette suggestion a été émise en
septembre dernier au congrès de Liège.
Elle est entrée désormais, dans la voie de sa réa-
lisation au sein du Groupe des Compositeurs
belges, constitué depuis le mois de mars.
Au cours des études préliminaires auxquelles
ce Groupe s'est livré, il a pu constater que l'ani-
mosité régnant dans le monde des sociétés, et due
à la rapacité du syndicat français, entraînait à des
exagérations en sens contraire, également inadmis-
sibles.
Ses travaux ont abouti à fixer les principes
suivants que l'on nous prie de reproduire tels qu'ils
ont été arrêtés dans la séance que le Groupe des
Compositeurs belges a tenu le 10 décembre
dernier :
« a) La loi du 22 mars 1886 dit fort bien, 1° que
« l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique a seul
le droit de la reproduire ou d'en autoriser la repro-
duction de quelque manière ou sous quelque forme
que ce soit » (art. 1) ; 20 qu' « aucune œuvre mu-
sicale ne peut être publiquement exécutée ou
représentée en tout ou en partie sans le consente-
ment de l'auteur 3) (art. 16 j.
» b) Nul ne conteste le principe de la propriété
d'art. Quant à ce qui regarde spécialement les
compositeurs de musique, il est nécessaire que
l'on protège leur droit d'intervention pour empê-
cher des exécutions insuffisantes qui dénatureraient
l'œuvre et feraient tort à son auteur. Nul ne peut
défendre la liberté de mutiler une partition de
musique, non plus que celle de copier un tableau
ou de démarquer un livre et d'endosser ces pro-
ductions imparfaites aux signataires des œuvres
originales.
» Nous n'avons pas à examiner ici, comme cer-
tains l'ont tenté ailleurs, si les productions de la
pensée sont une propriété au sens ordinaire de ce
mot ou d'un genre spécial non plus que si, comme
d'autres Ton dit, la protection légale est de nature
à nuire aux arts en les rendant mercantiles. Nous
nous bornons à constater que, pour les artistes,
le primam vivere est une loi qu'ils subissent sans
l'avoir voulue et que, malgré cela, leur existence
est faite de sacrifices et de privations; le succès
dont profitent quelques-uns n'atténue point le sort
généralement dévolu aux artistes.
» Il ne suffit point de les applaudir, voire de les
glorifier; il ne faut pas oublier qu'ils ont les
besoins de tout homme.
» c) Nul ne conteste que l'auteur a des droits sur
les profits matériels que ses productions rappor-
tent à ceux qui en organisent l'exécution ou la
848
LE GUIDE MUSICAL
représentation. En cédant ses œuvres contre de
l'argent, le compositeur n'entend les livrer ni aux
mutilations de gens de mauvais goût, ni aux exploi-
tations de gens intéressés d'une façon quelconque.
Aux premiers, il oppose son droit de ne pas con-
sentir à ce que sa partition soit jouée ; aux
seconds, il oppose son droit d'auteur.
» d) Quand l'audition a pour but déclaré de se-
courir un individu ou une collectivité dont l'infor-
tune est digne de pitié, on va jusqu'à prétendre,
parfois, que l'on ne doit acquitter aucun droit
d'auteur. Pourtant, si nous observons les organi-
sateurs de ces séances, nous voyons qu'il com-
mencent par déduire de la recette globale le
montant de tous les frais de chaque séance. Si ces
philanthropes ne portaient pas en compte leurs
dépenses et réservaient la recette entière à leurs
protégés, la question changerait de face : dans ce
cas, et si le but poursuivi était jugé bon par eux,
les artistes sacrifieraient volontiers leur rémuné-
ration. Mais telles ne sont point les pratiques cou-
rantes, et il est inadmissible, dès lors, que les
organisateurs de fêtes charitables, après avoir
payé leur dû à tous ceux dont ils ont eu besoin
(musiciens, imprimeur, huissiers, afficheurs, etc.),
puissent refuser leur part aux collaborateurs intel-
lectuels au talent de qui ils ont fait appel pour
composer le programme de la séance. Les droits
d'auteur sont compris dans les frais généraux de
l'entreprise. Cette dépense est assurément celle
qui doit être faite avec la meilleure grâce, puisque
le concours des compositeurs est la base de l'orga-
nisation dont il s'agit. Il est pourtant bien d'autres
frais, plus importants et moins indispensables, sur
lesquels on n'a pas l'habitude de lésiner ; à telles
enseignes qu'il est de ces fêtes, somptueuses, qui
laissent un reliquat insignifiant, comparé à la re-
cette brute.
» Au surplus, il ne faut point que, sous prétexte
de soulager des misères, on organise un trop grand
nombre de ces concerts : l'obsession, à la longue,
lasserait les cœurs les plus généreux. Des entre-
prises vraiment humanitaires, moins fréquentes,
sont plus fructueuses.
» e) Quand il s'agit de séances auxquelles le
public quelconque ne peut assister en acquittant
le prix d'une place, où seules des personnes invi-
tées se rencontrent pour leur plaisir, la taxe reste
due aux compositeurs dont les œuvres figurent au
programme de ces réunions. Ne serait-il pas into-
lérable de voir l'artiste, qui doit vivre de sa pro-
duction, abandonné par ceux qui font appel à son
labeur pour l'agrément de leurs loisirs? Les néces-
sités de la lutte pour la vie le mettent dans l'im-
possibilité d'assumer, vis-à-vis de ses contem-
porains, le rôle de récréateur désintéressé. Quand
on voit des sociétés instituées pour l'amusement de
leurs membres disposer, dans ce but, de sommes
importantes, il est incroyable que certains groupes
se livrent à des marchandages quand il s'agit de
s'acquitter vis -à vis des artistes dont les œuvres
sont le principal attrait des fêtes, publiques ou
privées, que ces sociétés organisent.
» Nous demande-t-on maintenant s'il faut sou-
mettre à ce régime les heures de musique que l'on
improvise en famille, dans une habitation particu-
lière, pour un petit cercle d'amis? Nous répon-
drons négativement. Tout ce qui précède se rap-
porte à des auditions, publiques ou privées,
données par des groupes ou des personnes isolées,
dans un local ad hoc et comportant une organi-
sation préalable.
» f) En ce qui concerne spécialement la société
française perceptrice des taxes en Belgique, on lui
reproche surtout de ne point mettre sur un pied
d'égalité ses mandataires français et étrangers, de
refuser, notamment, à ces derniers, tout contrôle
des opérations faites en leur nom, d'avoir vis-à-vis
des cercles musicaux une tarification trop variable,
de tenir secrètes ses méthodes de répartition et de
ne pas communiquer le répertoire des œuvres de
ses membres. Enfin, en vertu des statuts et d'un
règlement, documents volumineux dont ils ne pos-
sèdent pas copie et dont ils peuvent « prendre
connaissance » dans les bureaux de la société, au
moment de signer leur affiliation, les membres se
trouvent liés pendant de longues années. Il faut
arriver à l'article 32 des statuts pour apprendre
que l'adhésion engage les sociétaires « pour toute
la période sociale en cours » et que toute démission
n'a d'effet qu'à l'expiration de la dite période ; en
attendant, les droits continuent à être perçus au
nom du démissionnaire et sont acquis au fonds
social. Or, la « période sociale » vient d'être renou-
velée pour vingt ans!
» Tout ce régime, critiqué maintes fois, doit
être modifié. La ligne de conduite d'une société
de ce genre doit être que les intéressés touchent
la totalité des prélèvements faits en leur nom sur
les recettes (sauf une part contributive pour les
frais de perception;, qu'ils aient un contrôle perma-
nent et puissent démissionner dans des délais peu
étendus.
» Pour fonder un organisme nouveau, c'est dans
cette voie, à notre sens, qu'il convient de s'engager.
» Or, comme ce n'est point d'après ces méthodes
qu'est constituée la société de France dont les
filiales sévissent dans les pays limitrophes, il es*
LE GUIDE MUSICAL
849
urgent de lui opposer une coalition établie selon
les vœux qui viennent d'être formulés.
» Nous sommes en droit d'espérer que ces géné-
ralités aideront à la prompte solution d'une
question qui, depuis longtemps, est au premier
rang des préoccupations de nos compositeurs et
de nos organisateurs d'auditions, las de vingt
années d'arbitraire et de vexations que représente,
pour eux, la toute-puissante domination du syn-
dicat français.
» Il est hors de doute que, sous un régime meil-
leur, nos sociétés musicales donneraient aux
œuvres d'ici le rang qui leur revient ; par cela
même, elles seront mieux connues et appréciées.
» Ce résultat est bien dans les espérances qui ont
présidé à la constitution du Groupe des Compo-
siteurs belges, heureux déjà de constater que,
depuis qu'il existe, la musique nationale figure de
plus en plus aux programmes des concerts privés.
» En conséquence, le Groupe exprime le vœu de
voir instaurer, en matière de droits d'auteur, un
régime qui contribuera à donner une impulsion
féconde à l'art musical en Belgique. »
LA SEMAINE
PARIS
L'OPÉRA vient de représenter un nouveau
ballet : une fois n'est pas coutume. Il est intitulé
La Ronde des Saisons, a été minuté, « d'après un
récit du pays de Comminges », par M. Ch. Lomon,
aidé du chorégraphe J. Hansen, et a pour auteur
M. Henri Busser. Je ne sais pas si M. Bùsser est
né pour écrire de la musique de ballet, et cet essai
me semble laisser la question entière : il n'a pas la
verve spontanée et bondissante qui convient à ce
genre de composition ; il n'a pas la sûreté de main
qui, entre les diverses idées inspirées par la situa-
tion, choisit juste celle qui a le plus de liberté agis-
sante et y fait converger toute la lumière de l'or-
chestre. Mais qu'il soit symphoniste, c'est une autre
affaire. Ni la grâce, ni la légèreté, ni surtout l'heu-
reuse ampleur du développement expressif des
instruments ne lui manquent, ni l'heureux choix de
ces instruments et de leurs sonorités. C'est, en bien
des pages, une fine et délicate partition que la
sienne; mais, en dehors des thèmes, probablement
populaires, qu'il a mis en œuvre, ce sont surtout
les endroits descriptifs, ou de pensée en action,
qui ont été le mieux rendus par lui.
La scène, qui est près de Saint-Bertrand de
Comminges, au pied des Pyrénées, nous montre le
sire de Barbazan lutine par une sylphide, Oriel, qui
paraît et disparaît juste assez pour faire passer des
alternatives continuelles d'amour et de désespoir
dans cette jeune âme. A ce jeu est souvent pris qui
croyait prendre. Toute cette légende est là-dedans.
Au premier tableau, c'est parmi les jeunes filles qui
viennent d'achever la vendange que Barbazan
distingue soudain cette nouvelle venue, que per-
sonne ne connaît et qui, mieux que pas une,
danse et bondit. Au second, nous le voyons accou-
rir dans l'antre d'une sorcière et demander à celle-
ci son aide pour retrouver le lutin qui l'affole. La
sorcière est au courant déjà : Oriel e,st entrée un
moment plus tôt et lui a conté ses espiègleries.
a Prends garde ! lui a répondu la sorcière. Si tu te
laisses prendre à l'amour d'un mortel, c'est la mort
pour toi! » Cependant, à Barbazan, elle explique
qu'Oriel est une fleur d'automne. S'il veut la revoir,
il faut donc qu'il résiste aux séductions des génies
du printemps et de l'été ; à ceux de l'automne aussi.
Mais que jamais il ne laisse ceux de l'hiver arriver
jusqu'à lui. Voici quatre fleurs, évocatrices des
saisons : qu'il ne se sépare jamais de la dernière !
Et le troisième tableau nous fait assister aux
trois saisons évoquées par les fleurs de Barbazan,
chacune avec ses danses et les lutineries d'Oriel,
tentatrice fugace. Reste la quatrième... Hélas!
malgré sa résistance, Barbazan se laisse arracher
la fleur d'argent... La neige tombe et le glace, les
corbeaux tourbillonnent et Fempêchent de fuir...
Du moins Oriel, conquise à son tour, mourra avec
lui et dans ses bras.
Cette fin a un beau mouvement dans la parti-
tion ; les diverses scènes de séduction des saisons
se distinguent par des harmonies enveloppantes
pleines de charme, et plusieurs des pas confiés soit
aux fleurs animées, soit à Oriel, tantôt abeille et
tantôt coquelicot, sont d'une élégance très gra-
cieuse, comme aussi quelques-unes des pages du
premier tableau, d'une jolie animation. Quant au
second tableau entièrement mimique, sans danse,
la couleur en a une très heureuse expression,
essentiellement symphonique.
Oriel, c'est Mlle Zambelli, qui a remporté un de
ses plus beaux triomphes. Il est impossible de
mettre plus de délicatesse au service de plus de
sûreté, au point de vue chorégraphique; mais il
est difficile également de mettre autant d'esprit et
de personnalité à son jeu et à l'expression de son
visage. Jamais du reste Mlle Zambelli n'a eu ce
S5o
LE GUIDE MUSICAL
sourire figé qui agace tant chez les ballerines; elle
a toujours été elle-même, d'abord, et surtout le
personnage qu'elle incarne. M1Ie Louise Mante a
eu sa bonne part de succès dans le jeune sire de
Barbazan. Elle aussi sait rendre expressifs et
éloquents son visage et ses yeux, et elle porte le
costume masculin avec une rare aisance. On a
beaucoup apprécié les costumes aux nuances
exquises et délicates des diverses saisons, surtout
ceux des fleurs (marguerites, pensées, etc.).
M. Bùsser dirigeait lui-même l'orchestre.
* * *
Le début de Mlle Chenal, le premier prix d'opéra
des derniers concours du Conservatoire, a été
l'occasion d'une assez bonne reprise de Sigurd. Je
veux dire tout au moins que j'en ai vu de pires,
que Irop. Cette fois, il n'y avait que les deux prin-
cipaux rôles d'hommes qui fussent médiocrement
tenus, irrémédiablement à côté de leurs person-
nages, sans goût ni ampleur. Mais les trois femmes
étaient, malgré le défaut d'autorité dû à leur jeu-
nesse, vraiment intéressantes par leur intelligence
vive de leurs rôles, attachantes par leur effort,
visible et communicatif pour rendre le juste carac-
tère de leurs héroïnes. Mlle Chenal, Brunehilde
brune, à la physionomie distinguée, à la voix
chaude et large, surtout dans les notes hautes,
d'une tenue irréprochable, d'une articulation suffi-
sante, a fait la meilleure impression et a été très
cordialement accueillie. A côté d'elle, Mlle Dubel,
qui n'est plus une débutante, depuis un an, chantait
Hilda pour la première fois et m'a semblé la
meilleure que j'aie entendue depuis Mme Bosman,
comme vivacité, comme vérité continuelle du jeu,
même quand elle n'est pas directement en cause,
comme voix aussi. A toutes deux, cependant, il
manque encore d'être un peu moins « gracieuses »
et un peu plus violentes, ou frémissantes. Bru-
nehilde, surtout doit se souvenir davantage qu'elle
est déesse et difficilement résignée à sa condition.
Mlle Arbell manque aussi un peu de mordant dans
Uta, mais non de flamme ni de vérité. Enfin, le
nouveau Hagen (c'est la troisième fois, je crois,
qu'il a pris le rôle), M. Gresse. mérite les plus
complets éloges, et la salle le lui a chaudement
fait entendre à plusieurs reprises, notamment à
son entrée vibrante du troisième acte, qu'on a
bissée. On se serait cru aux meilleurs jours de son
père, qu'il rappelle d'ailleurs étonnamment de
toutes façons. Il a de l'entrain, de la verve mor-
dante et une vraie puissance. H. de Curzon.
A L'OPE RA-COMIQUE, on est tout au
nouveau spectacle, dont nous parlerons la semaine
prochaine : Les Pécheurs de saint Jean de M. Widor
et La Coupe enchantée de M. G. Pierné. Les deux
œuvres ont au moins dix ans de date chacune.
Sait-on que même celle de M. Pierné a été jouée
au Casino de Royan au mois d'août 1895? C'est
l'authentique table décennale des almanachs
d'Albert Soubies qui nous apprend cela.
Les abonnés ont fait fête, avec de véritables
ovations, à la charmante et pathétique Charlotte
qu'est Mlle Marié de l'If.le. Entre les deux samedis
d'abonnement, gratifiés de ce même Werther, elle
a reparu aussi, en victorieuse, dans Carmen. Avec
Mme Marie Thiéry, dont la voix si pure et si unie
donne tant de charme à Manon; avec Mme Margue-
rite Carré et Mme Héglon, rivalisant de flamme et
d'art dans Miarka, l'Opéra-Comique possède en ce
moment une « tête de troupe » comme on en
trouve peu sur nos scènes lyriques, et qui nous
promet une saison de choix. H. de C.
AU CONSERVATOIRE. — Faut-il le dire?
Oui, j'aurai cet affreux courage. Eh bien, le
dimanche 17 décembre vers 3 heures de relevée,
la musique de M. Claude Debussy a fait son entrée
en la sacro-sainte chapelle de la rue Bergère,
sous les espèces du Prélude à l'après-midi d'un faune.
Et les murs n'ont pas croulé; bien plus, une
notable partie du public a paru charmée de ces
imprécisions blanches aux harmonies fluides, qui
ne peuvent cependant dissimuler le thème d'Aïda
qui court et s'obstine à travers l'œuvre. Seul,
l'Abonné, avec un grand A, l'aïeul qui jadis sans
doute vit Habeneck et trouvait alors Beethoven de
difficile compréhension, l'Abonné, dis-je, modula
quelques sons stridents sur un sifflet. Le public
sursauta, comme une vieille Anglaise qui entend
un mot shocking ou improper. Mais M. Marty, qui
venait de conduire avec une précision et une sou-
plesse admirables, se borna à sourire : ne sait-il pas
en effet que, en des loges que je ne veux pas
préciser davantage, il existe encore des auditeurs
que le prélude de Tristan fait cruellement souffrir?
Au surplus, l'Abonné avait tort, car une ample
compensation lui avait été offerte par avance, avec
la symphonie en ut majeur, n° 44, de Haydn.
Cela est encore exquis et charmant, mais, sauf
dans l'adorable minuctto, ne laisse pas que
d'exhaler comme un très vague parfum de ren-
fermé. Ah ! quelles merveilleuses sélections on
LE GUIDE MUSICAL
85 1
ferait dans les symphonies de Haydn et de Mozart
et pourquoi s'obstiner à les jouer tout entières, ce
qui, du reste, revient le plus souvent à ne pas les
jouer du tout !
Le premier concerto de M. Saint-Saëns relève
à la fois de Mendelssohn et de Gounod, ce qui ne
l'empêche pas de nous offrir un andante des plus
séduisants. Il valut un vif succès à M. Jules
Boucherit, qui connaît cette musique à fond et
l'interprète avec amour.
Le Psaume XIII, pour ténor et chœur, est peut-
être l'œuvre de Liszt la plus réussie que je
connaisse, d'abord, parce que ses dimensions res-
treintes lui permettent de garder entre ses parties
un juste équilibre ; ensuite, parce que, malgré une
certaine grandiloquence, ou peut-être même à
cause d'elle, on y sent frémir à chaque mesure le
plus noble enthousiasme issu du cœur le plus
généreux. Cette musique est avant tout sincère,
sincères sont ses cris d'angoisse comme ses cris
d'espoir, et lorsque Liszt les composa, on peut
être sur qu'il les écrivit tels qu'ils jaillissaient de
son âme, et sans préoccupation de les modifier
comme l'école ou la mode l'auraient exigé. Et
cela donne à ce psaume une haute et loyale tenue.
M. Cazeneuve y fut parfait d'expression, et sa voix
souple et chaude parut se jouer des difficultés
réelles d'un rôle d'une tessiture très élevée. Comme
lui, les chœurs ne méritèrent que des éloges.
Le concert se terminait parla suite en ré majeur
de Bach. Gavottes, bourrée, gigue, se succédèrent
toutes plus entraînantes les unes que les autres,
avec cette belle énergie rythmique dont Bach a le
secret. Mais le joyau de la suite n'en est pas
moins le célèbre Aria, que j'ignorais, je l'avoue,
être écrit pour orchestre dans sa version originale,
et qui, admirablement joué par les premiers vio-
lons, fut longuement et à juste titre acclamé.
J. d'Offoël.
CONCERTS LAMOUREUX. —M. Safonow,
qui dirigeait dimanche l'orchestre, est stupéfiant. Je
ne trouve point d'autre mot pour le qualifier. Il
conduit sans baguette, par des motions synchro-
niques, alternées ou combinées des deux mains,
qui semblent tantôt celles d'un pétrisseur de glaise,
tantôt celles d'un magnétiseur. Et l'effet en est à
la fois plastique et magnétique. M. Safonow
exprime le dynamisme, les lumières et les ombres
de la musique, que ses gestes engendrent, dirigent,
animent, avec une clarté et une intensité prodi-
gieuses.
Sa manière est extrêmement personnelle et ne
ressemble à aucune autre que je connaisse. Il
semble jouer de l'orchestre comme d'un colossal
clavier. Sous ses mains, la phrase musicale cesse
d'être encaquée entre les nécessaires mais néfastes
barres de mesure, causes de tant de malentendus :
elle s'exprime, se construit tout naturellement.
Les « temps fort » sont battus n'importe où ; mais
chaque unité rythmique, chaque accent, chaque
mesure est à sa place juste. Si des périodes se
répondent, l'alternance des mains les rapproche,
les oppose, les maintient chacune où il faut. Si
deux phrases se croisent, se combinent, les mains
magiciennes et conscientes savent les conduire
chacune selon son rôle, attribuer à chacune le
juste éclairage.
Il y aurait évidemment ici, comme en toute
chose, des réserves de détail à faire : je glisse sur
quelques excès de gesticulation, dans les péro-
raisons surtout; cela importe fort peu. Mais
l'absence de la baguette n'a-t-elle pas pour consé-
quence de rendre impossibles certaines indications
d'attaques bien incisives, certains rapides escamo-
tages des petits flottements qui peuvent toujours
se produire? Oui, sans doute. Cependant, après
deux répétitions, M. Safonow, dirigeant pour la
première fois l'excellente phalange du Nouveau-
Théâtre, est arrivé à une presque absolue per-
fection. Il est probable que si l'orchestre eût été
habitué à lui, et lui à l'orchestre, le mot «presque))
serait ici de trop.
Le programme comprenait quatre numéros :
une charmante sérénade pour cordes de Mozart, le
concerto de violon de Beethoven, où Mlle Lubos-
schitz eut tout le loisir de faire preuve d'une très
belle sonorité et d'une satisfaisante technique, et
enfin deux œuvres russes.
Il est tout à fait dommage que ces œuvres
n'aient point été choisies parmi les meilleures de
l'école. Hélas ! il s'en faut de beaucoup. L'une
était Roméo et Juliette de Tschaïkowsky, où j'ai
trouvé tous les défauts que je trouve dans tout ce
que je connais de la musique de ce compositeur.
Tschaïkowsky, je le veux bien, fut doué d'une
certaine sensibilité, et même de quelque volonté
d'expression; mais il n'a jamais fait grand'chose
de ces dons, que l'on devine plutôt que d'en
percevoir l'affirmation victorieuse, et qu'on re-
grette de trouver irrémédiablement noyés sous un
composite, superficiel et fastidieux fatras. D'in-
vention, d'atmosphère, nulle trace ici ; c'est de
pure fabrication, et point autre chose. La musique
de Tschaïkowsky, je le sais, compte beaucoup de
fervents; mais moi, je n'y ai jamais rien vu de
852
LE GUIDE MUSICAL
tout ce qu'ils y voient. Quant à M. Glazounow, il
aurait pu être bien mieux représenté que par
cette indifférente symphonie en ut mineur, où il
fait bien preuve de cette grande habileté technique
qu'il posséda toujours, mais où plus rien ne reste
de la fougue généreuse dont il fut jadis animé.
C'est encore un produit de métier, avec beaucoup
d'intentions, à ce qu'il me semble, ou du moins
avec des combinaisons cherchées comme à plaisir.
Le premier morceau a du mouvement, le début
du second est même très beau et offre des touches
orchestrales d'une infinie délicatesse, le début de
chaque partie est d'ailleurs bien présenté, mais
bientôt tout s'allonge, se complique, se gâte ; la
forme est peu solide, peu claire, peu intéressante.
Ce qu'il aurait fallu nous faire connaître, ce
sont les œuvres de M. Glazounow qui dureront,
celles qu'il écrivit avant de perdre, à force de
savoir et d'abondance, le plus caractéristique côté
de sa personnalité : Stenha Rdzine, la Mer, la Rap-
sodie orientale, la deuxième symphonie, et même la
première.
Mais il est des maîtres dont l'apport tient dans
l'hisioire musicale de la Russie une tout autre
place que celui de M. Glazounow. Plusieurs des
chefs-d'œuvre de ces maîtres : Thamar, Sadko,
Antar, Shéhérazade, la deuxième symphonie de
Borodine, sont au répertoire des Concerts Lamou-
reux : on aurait été ravi que M. Safonow en diri-
geât quelqu'un. Et je pense encore à la sym-
phonie de M. Balakirew, à celle de M. Liapounow,
à d'autres musiques que je ne cite point, pour ne
pas muer cet article en catalogue.
Mais le concert d'aujourd'hui, s'il ne nous a
point fait connaître de beautés musicales nouvelles,
nous a révélé un chef d'orchestre de la plus rare
valeur ; ce n'est pas peu de chose.
M.-D. Calvocoressi.
CONCERTS COLONNE. — Succès sur toute
la ligne pour le programme tout entier, sauf, il faut
bien l'avouer, pour Sarasate, accueilli plutôt avec
froideur; il est vrai que la justesse approximative
de certains de ses traits semblait légitimer l'ac-
cueil un peu houleux de certains mécontents. Mais
n'est-ce point là justement la punition de la virtuo-
sité, dont le côté acrobatique, lorsqu'il commence
à faiblir, laisse apercevoir tout son antimusicalité,
et montre victorieusement l'inanité des conces-
sions que trop souvent, sur ce chapitre, le compo-
siteur fait à ses interprètes ?
A l'exception de ce petit nuage, la séance fut
tout à fait remarquable, et l'excellent orchestre
des concerts du Châtelet a triomphé avec l'ou-
verture de Phèdre de Massenet, les fragments du
Conte d'Avril, de Widor, dont le Nocturne rêveur
a été interprété avec beaucoup de poésie par
M. Blanquart, et la suite en ré de Bach, qui a été
l'objet d'une véritable ovation.
Le cycle Beethoven s'est terminé par le concerto
de violon, le délicieux chœur du Roi Etienne et l'ad-
mirable symphonie avec chœurs, qui, une fois de
plus, a fait triompher le chef d'orchestre et sa vail-
lante phalange. F. de Ménil.
— Ainsi que nous l'avons annoncé, les matinées
musicales et populaires fondées par le regretté
Danbé et qui portaient son nom, ont repris leur
cours au théâtre de l'Ambigu, sous la direction
artistique de M. A. Luigini. L'autorité d'un tel
maître en assure et augmente le succès. On en a
eu la preuve à la première séance, donnée le mer-
credi i3 décembre. Le public affluait à tous les
étages. (Les places se louent sans augmentation de
prix, et ne dépassent pas deux francs.)
L'excellent Quatuor Soudant, De Bruyne, Mi-
gard et Bedetti a exécuté avec son talent coutu-
mier un quatuor de Haydn, un nocturne en forme
de canon, plein de rêverie, de Borodine et, avec
le concours de MM. Fernand Lemaire, Alexandre
Petit et Delahègue, le hardi et original septuor
pour piano, trompette et quintette à cordes, de
Saint-Saëns, composition déjà ancienne et dont
nous avions signalé, il y a quelque vingt-cinq ans,
le délicieux menuet et la pimpante gavotte.
Deux virtuoses se sont fait entendre : M. Le-
maire a joué, non sans grâce, Fileuse, morceau
pour piano de sa composition, tout imprégné de
l'odeur massenétique, et, avec une froide chaleur,
la deuxième rapsodie de Liszt; M. Jean Bedetti,
violoncelle solo de l'Opéra-Comique, a été ap-
plaudi et rappelé trois fois après un fragment de
Popper, œuvre assez incolore, que tous les vir-
tuoses s'empressent d'exécuter et qui, selon nous,
ne mérite guère cet honneur ; mais il était si bien
accompagné par le piano et un double quatuor,
sous la direction de M. Luigini, que le public avait
mille excuses pour la croire de son goût.
M. Lucien Fugère a chanté à ravir les Vieilles,
mélodie charmante de Lévadé, qui a été bissée,
et le Menuet Pompadour, de Benjamin Godard, un
pastiche délicieux comme le sont tous les pastiches
quand ils sont faits par un compositeur de talent.
LE GUIDE MUSICAL
853
Enfin, Mme Marguerite Carré, la grâce unie à la
beauté, a dit la chanson de Miarka, « L'eau qui
court », avec un succès égal à celui qu'elle obtient
à FOpéra-Comique lorsqu'on donne l'œuvre d'Ale-
xandre Georges; mais il y avait dans les applau-
dissements qui Font accueillie quelque chose de
plus intime et de plus cordial, comme une offrande
et un remerciement. La reconnaissance des foules
est exigeante : on a voulu entendre deux fois
l'exquis duo de Xavière, de Théodore Dubois, un
opéra de sincère inspiration et injustement négligé,
et Mme Marguerite Carré et M. Fugère, heureu-
sement soumis, l'ont redit avec tout leur talent et
tout leur cœur. Julien Torchet.
— Mlle Jeanne d'Herbécourt a donné, le Ier dé-
cembre, à la salle Pleyel, son premier concert de
musique moderne. Trois œuvres remplissaient le
programme : les deux sonates pour piano et vio-
lon de G. Lekeu et de César Franck, et le Poème
des Montagnes, de Vincent d'Indy, suite pour piano
seul. Ces compositions sont trop connues pour
qu'il soit utile d'insister sur leur valeur. Le faire,
ce serait risquer- le ridicule ; on le risquerait da-
vantage si l'on émettait quelque doute sur leur
entière beauté, par exemple, que le motif « très
lent » de la sonate de Lekeu reste bien flottant et
que les mouvements dits « passionnés et très ani-
més » font parfois penser à un feu mal réglé. Pour
la sonate de Franck, il est fâcheux qu'il n'en ait
écrit qu'une seule; à force de l'entendre si sou-
vent chaque année, on n'éprouve plus le même
plaisir aux pages les plus incontestablement
belles, et celles qui le sont moins (le recitativo fan-
tasia) laissent quelques regrets. Le romantique
Poème des Montagnes, avec son programme fantaisiste
rédigé à la façon berliozienne (retour du thème à
la bien-aimée), serait autant compris et goûté sans
notes explicatives.
Nous avons eu déjà l'occasion de louer le talent
de Mlle d'Herbécourt ; nous nous bornons aujour-
d'hui à distinguer ses qualités de musicienne, son
style sobre et pur, son jeu élégant et discret.
Pour M. Armand Parent, en qui les œuvres mo-
dernes trouvent un interprète toujours vibrant,
toujours passionné, je ne puis dire quel plaisir et
quel profit, il y a à l'entendre : on est charmé par
son exécution absolument impeccable et on lui sait
gré de mettre en valeur les compositions de la
jeune école et de les faire si bien comprendre
toutes, ou presque toutes. J. T.
— Je ne sais pas qui a dit : « On commence tou-
jours par parler des choses, on finit quelquefois
par les apprendre. » Peut-être celui-là pensait-il à
quelques-uns d'entre nous. Cette pensée ne s'ap-
plique pas à Mme C. Max-Soulier; au contraire,
elle a commencé par apprendre la musique et a
fini par en parler, et forr bien. Critique musical à
la Fronde, après avoir passé par le Conservatoire
non sans succès, elle a défendu la cause des jeunes
avec chaleur et grâce et vu ratifier la plupart de
ses jugements. Ayant cessé d'être juge, elle ne
craint pas aujourd'hui d'être jugée à son tour;
c'est d'un exemple rare. Mme Max-Soulier a trop
de talent pour qu'on doive user à son égard d'indul-
gence et de cette banale courtoisie qui ne trompe
personne. Musicienne accomplie, elle ne pouvait
composer son programme que d'œuvres de pre-
mier ordre choisies dans le répertoire classique et
le répertoire moderne. Le concert qu'elle a donné,
le 12 décembre, salle Pleyel offrait donc le plus
haut intérêt. Elle a chanté d'abord les meilleures
pages de Bach, Beethoven, Haydn, Mozart,
Haendel, puis des mélodies de Gabriel Fauré.
Xavier Leroux, Reynaldo Hahn et Gabriel Pierné.
Sa voix est égale, suffisamment étendue et d'une
surprenante justesse. Mme Max-Soulier ne chante
pas en professionnelle; on le sent à son style, qui,
n'ayant rien de l'école, n'en est que meilleur. Elle
a remporté un vif succès, et on lui a fait compren-
dre le plaisir que nous aurions tous à l'applaudir
plus souvent.
M. David Blitz, qui lui prêtait son concours, a
exécuté la sonate du « Clair de lune », mise à tort
au commencement du concert et écoutée d'une
oreille distraite par les arrivants de la dernière
heure; un air varié de Hasndel, deux autres mor-
ceaux classiques, un impromptu de Schubert, deux
pièces de Chopin et Campanella, de Liszt. Le talent
de M. Blitz m'est très sympathique; j'aime la sim-
plicité de son jeu et de son style, qualité que je
place au-dessus de toutes les autres et qui ne se
rencontre pas fréquemment chez les virtuoses. Ce
qui manque à ce très remarquable artiste, c'est la
confiance en soi. Il faut qu'il sache bien que les
délicats l'apprécient beaucoup et que son talent
très sincère et très élevé le dispense de tant de
modestie. J. T.
&
— Jeudi dernier, sixième concert des « Soirées
d'art » avec les dixième et onzième quatuors à
cordes de Beethoven. Ces deux œuvres marquent
nettement la seconde manière du maître, qui, avec
le douzième, aborda une forme plus compliquée et
plus grandiose. Quant aux interprètes, MM. Capet,
Tourret, Bailly et Hasselmans, ils s'affirment de
85+
LE GUIDE MUSICAL
plus en plus ; on peut critiquer la sonorité un peu
mince de l'ensemble, mais la sérénité de l'ex-
pression, la sûreté des rythmes, le fondu des
timbres, la précision des mouvements, tout cela
fut parfait. C'est véritablement la jouissance élevée
et tranquille que procure l'intimité du génie.
A noter la première audition d'une pièce nou-
velle pour piano de M. Debussy, intitulée Hommage
à Rameau. M. Debussy, sacré novateur par bien
des mélomanes, s'est cru obligé de rendre un
hommage discret à l'auteur de Castor et Pollux, qui
lui aussi essaya en son temps quelques formules
neuves. Rameau, précurseur descriptif et imitatif,
méritait le souvenir du compositeur moderne. Si
celui-ci, peintre de natures mortes et animées,
aime traduire au moyen des sons l'image d'une
après-midi de soleil, d'une vague ou de tout autre
objet à usage poétique, Rameau fut vraiment un
précurseur, lui qui entreprit de peindre des feux
d'artifice et des fusées, d'exprimer le braiement
d'un âne et un chant de grenouilles. Quoi qu'il en
soit de ces essais d'imitations matérielles ayant
pour but de produire sur les organes des impres-
sions physiques, il faut reconnaître que M. Mau-
rice Dumesnil a joué avec conviction cette page
écrite en un 3/2 lent et grave « dans le style d'une
sarabande sans rigueur », page d'ailleurs poéti-
quement personnnelle, qui n'imite rien et qui
s'enivre de l'idéal entrevu peut-être par l'inventeur
de la basse fondamentale et du renversement des
accords.
Une suite de mélodies de M. Arthur Coquard,
Joies et Douleurs, fut parfaitement chantée par la
voix franche et chaude de Mme Mellot-Joubert.
Ch. C.
— Nous avons dit maintes fois quel centre inté-
ressant de critique musicale et d'histoire de la
musique est l'Ecole des Hautes Etudes sociales.
M. Henry Expert, l'érudit professeur à l'Ecole
Niedermeyer, l'homme qui connaît le mieux l'an-
cienne musique française, y a donné le 14 une
conférence sur la musique en France au xvie siècle
avec le concours de son quatuor vocal.
Très justement, il a fait remarquer que cet art
musical complexe et « cherché » ne mérite pas
plus que les arts plastiques d'alors la qualification
de primitif que certains lui donnent. Ce sont des
œuvres sincères d'inspiration, mais très raffinées
de facture, qui marquent l'épanouissement et le
terme de la polyphonie basée sur les modes anti-
ques. Le début en est au siècle précédent. Après
elles, nous entrons dans la musique moderne.
M. Expert a fait entendre cinq pièces très
variées d'effet et enfin la charmante Bataille de
Marignan de Clément Janequin, cette œuvre si
française et si vivante, dont on ne se lasse pas.
F. G.
— ■ MM. Maurice Dumesnil, Emile Mendels et
Jean Bedetti ont donné le mercredi i3 décembre
igo5, salle Pleyel, une séance de trios et de
sonates. Chacun d'eux a fait applaudir un talent
réellement hors de pair. M. Dumesnil est un
pianiste véhément et nerveux, M. Mendels un
violoniste délicat et charmeur, M. Bedetti un vio-
loncelliste vigoureux et sincère. Mais — le fâcheux
mais — il semble que ces trois artistes n'aient pas
toujours fait l'effort nécessaire pour plier leur jeu
individuel à l'effet d'ensemble. Le troisième trio
de Lalo, en la mineur, a particulièrement souffert
de ce manque de cohésion ; les cordes se mariaient
harmonieusement, alors que le pianiste semblait
poursuivre ses propres voies. Quand donc nos
virtuoses seront-ils tous convaincus que la pre-
mière qualité d'un artiste jouant dans un trio ou
un quatuor, c'est l'abnégation.
Hâtons-nous d'ajouter que la sonate de Franck
pour piano et violon, et la sonate de Grieg, piano
et violoncelle, furent supérieurement exécutées,
ainsi que quelques parties du trio en ré mineur de
Schumann, qui clôturait la séance. G. R.
— M. Charles Bouvet (Fondation J.-S. Bach) a
donné le i5, salle Pleyel, un concert de musique
ancienne où, comme d'ordinaire, le choix des œu-
vres et l'exécution ont obtenu un vif succès. Après
un quatuor de Haydn, M. Bouvet et M. Jemain
ont joué une sonate pour piano et violon de Bach.
de charmantes pièces en duo de Leclair et une
Inventio — trop rarement exécutée — de J.-S. Bach.
La partie vocale du concert a été remplie par
M. Ezio Ciampi dont la très belle voix de baryton
et la méthode parfaite ont fait valoir d'anciennes
mélodies italiennes, du temps du « bel canto »,
restées plus jeunes que la plupart des productions
italiennes de ces derniers temps. F. G.
— Il se pourrait que la question de la direc-
tion de l'Opéra fut résolue cette semaine,
MM. Bienvenu- Martin et Dujardin-Beaumetz
auraient préféré attendre, avant de prendre une
décision, que le budget des Beaux-Arts fût voté.
Mais quand le sera-t-il? Sans doute pas avant la
fin de décembre; et M. Gailhard se trouve d'autre
part, dans une situation qui ne saurait se pro-
longer. Il ne peut en effet, renouveler aucun
engagement, ni conclure de nouveaux traités
puisqu'il ignore s'il conservera la direction.
Quatre candidats se trouvent en présence :
M. Gailhard qui est à la tète de l'Opéra depuis
Le guide musical
855
vingt ans; MM. Isola, puis M. Broussan, directeur
du Grand-Théâtre de Lyon; enfin M. Schurmann,
l'imprésario bien connu.
Nous serons bientôt fixés puisque MM. Bien-
venu-Martin et Dujardin-Beaumetz sont décidés
à prononcer la nomination au premier jour.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
La verve inventive de M. Massenet est intaris-
sable. Il y a deux ans il nous avait donné une
œuvrette séduisante et délicate comme une enlu-
minure de Missel, le Jongleur de Notre-Dame;
l'année dernière il produisait, d'abord à Monte-
Carlo, puis à Paris, ce Chérubin, qu'à son tour le
public de Bruxelles vient d'accueillir avec une
souriante faveur ; et le voici de nouveau en gesta-
tion d'une Ariane, que l'Opéra de Paris doit créer
l'automne prochain. On ne peut que s'incliner
devant une maîtrise si continue et si constamment
égale à elle-même. Car ce Chérubin est charmant
autant que le Jongleur, quoique par d'autres mé-
rites. Ici tout est en touches vives et en contrastes
heurtés et c'est peut-être ce qui déroute un peu.
Les pages de gaîté bruyante et de sonorité stridente
alternent brusquement avec celles d'inspiration
sentimentale, délicate ou de poésie finement iro-
nique qui abondent dans la partition. La faute en
est au poème de cette comédie chantée qui ne vaut
pas à beaucoup près la très fine et très spirituelle
comédie parlée de M. Francis de Croisset, dont à
peine les personnages essentiels ont été conservés.
Chérubin lui-même s'est transformé en un frelu-
quet hardi, ivre de ses dix- sept ans, insolent et
pourfendeur, courant les aventures à tort et à
travers pour finir un peu vite par être désabusé...,
à moitié seulement, et revenir sans beaucoup de
conviction à la jeune Nina qui lui confie toute sa
candeur virginale. C'est un Chérubin un peu
artificiel et qui manque de consistance autant que
de constance. Et cependant, ce Chérubin demeure
une figure très amusante et très aimable, comme
l'œuvre musicale qu'il a inspirée, où se retrouvent
heureusement toute la grâce mélodique et l'ingé-
niosité de facture du maître de Manon et de
Werther.
Chérubin a bénéficié d'une exécution à la fois très
soignée et très vivante, dans de jolis décors signés
Delescluze, et dans un déploiement chatoyant
d'habits Louis XVI et des costumes espagnols.
Chérubin, c'est MUe Maubourg, qui a rendu avec
son habilité si souvent applaudie de comédienne,
l'espièglerie tumultueuse de son personnage. Les
deux « belles » entre lesquelles son cœur d'adoles-
cent balance, ce sont M"e Aida, une Ensoleillai de
beauté et de voix pareillement rayonnantes, et
Mme Eyreams, une toute mignonne et séduisante
Nina. Le philosophe enfin, c'est M. Henri Albers,
dont la bonhomie effarée n'est pas, à côté de la
danse de M"e Aida, une des moindres surprises
amusantes de la soirée. Louons dans leurs rôles
plus effacés, Mme- Carlhant et Paulin, MM. For-
geur, Belhomme et Artus, les manolas ainsi que
les guitaristes authentiques, les chœurs et l'or-
chestre enfin, conduit magistralement par M. Du-
puis. Chérubin est un joli spectacle, en somme, et
qui fera des lendemains souriants à la gravité
tragique des représentations d'Armide.
Les deux ouvrages alterneront pendant cette
semaine de Noël avec Faust et Mignon, avec
Werther qu'on reprend jeudi, et avec Les Huguenots,
annoncés samedi pour la rentrée de Mme Paquot
avec M. Dalmorès dans le rôle de Raoul.
— Après la Société des Instruments à vent, le
Cercle artistique nous a offert l'autre semaine une
très captivante soirée de musique ancienne donnée
par la société parisienne des instruments anciens
que dirige M. Casadessus. Il y a vraiment des
choses charmantes dans le répertoire aboli que
restitue ce groupe de musiciens érudits. Tels la
quatrième sonate de J.-S. Borghi, où M. Casa-
dessus a partagé le succès de M. Nanny; le con-
certo pour clavecin, de Luigi Borghi, finement
détaillé par MIle Delcourt, et la sonatine d'Ariosti
pour quinton, traitée en air varié, très simple,
mais reposant sur une belle idée mélodique, élé-
gamment chantée par M™ Henri Casadessus.
Mais le gros succès est allé à la sonate de Mar-
cello pour contrebasse où M. Nanny a été étour-
dissant de virtuosité, de souplesse et de style.
Notons encore la deuxième symphonie de Bruni
(1753-1823; qui, interprétée par le groupe tout
entier, fut, avec le ballet de Monteclair (1666- 1737),
une des sensations musicales de ce curieux et
attrayant concert, qui marquera parmi les fêtes
artistiques les plus brillantes du Cercle.
— Le Théâtre Molière a organisé une série
intéressante de matinées consacrées à la Musique
d.i Passé. Un conférencier de talent, diseur délicat
et esprit subtil, M. Edmond Joly, y prépare les
auditeurs à ce qu'ils vont entendre par une cau-
serie où l'histoire, l'anecdote et les aperçus esthé-
tiques ont une part égale.
Quant aux œuvres du passé qui ont été données
856
LE GUIDÉ MUSICAL
jusqu'ici, notons la Servante-maîtresse de Pergolèse
et les Troqueurs de Dauvergne, qui passe pour le
premier opéra comique français. Dans ces deux
ouvrages on a particulièrement apprécié le talent
spirituel, la jolie voix et l'excellente diction de
M1Ie Marguerite Das. Des pièces de chant de
maîtres italiens, français, allemands du xvme et
du xvne siècles complètent la partie dramatique
de ces très intéressantes matinées.
— M VI. Emile Bosquet et Chaumont ont eu
l'excellente idée de redonner, à la salle Erard, les
trois séances consacrées par eux la saison dernière
à la série des sonates pour piano et violon de Bee-
thoven. Leur succès n'a pas été moins vif et moins
significatif que Fan dernier — et ce fut justice. Les
séances de musique de chambre, dans un cadre
intime, rempli d'un auditoire plus sélectionné que
celui des grands concerts, parmi lequel la com-
préhension et la jouissance esthétique se commu-
niquent, dirait-on, et s'avivent de l'un à l'autre,
— ces séances constituent déjà par leur nature
même un régal pour les délicats. A plus forte
raison quand il s'agit d'un programme comme les
sonates pour piano et violon de Beethoven, si
attachantes par leur gradation, leurs oppositions et
l'infinie variété de sentiments qui les nuance. Dans
des ouvrages de cette nature, deux artistes con-
sciencieux, en possession d'une technique sérieuse,
d'une âme chaleureuse et d'une compréhension
pénétrante, donnent facilement le sentiment de la
perfection; et c'est bien celui que nous ont donné
M VI. Bosquet et Chaumont. Nous n'avons trouvé,
pour notre part, rien à reprendre dans leur exécu-
tion méticuleusement soigneuse quant à la lettre,
autant qu'émouvante d'expression et d'une juvéni-
lité entraînante. M. Chaumont s'est particulière-
ment distingué par un brio et un rythme étonnants,
qui ne faisaient point tort à la netteté et à la
correction de l'exécution.
Nous souhaitons réentendre bientôt les deux
excellents artistes dans une série de sonates
modernes. E. C.
— La séance de harpe donnée à la salle Erard
par la charmante harpiste Gaëtane Britt " avec le
concours de Mme Miry- Merck, cantatrice, M. Henri
Merck, violoncelliste, et E. Britt, pianiste, a obtenu
un vif succès. Le programme comportait plusieurs
nouveautés, telles que les deux morceaux pour
harpe du compositeur russe A. Zabel : Elégie
fantastique et Marguerite douloureuse, compositions
originales qui mettent bien en valeur toutes les
ressources de la harpe et que MlleG. Britt a rendues
avec tout le charme pénétrant qu'elles contiennent.
Mme Miry-Merck a chanté avec un art accompli
trois Lieder avec accompagnement de harpe, trois
perles, de R. Schumann : La Fille de Jefihté, A
la lune et Aux héros, ainsi que trois charmantes
mélodies de E. Britt, J. Jongen et P. Miry (Villa-
nette, Sur la colline, Le Lis) et la ravissante Sérénade
de R. Strauss.
M. Henri Merck, dans une Romance de G. Fauré,
une Cansonnetta de P. Miry, Kol Nidrei de M. Bruch
et une très remarquable Elégie de F. Liszt (cette
dernière avec piano, harpe et orgue), a fait appré-
cier son remarquable talent.
En somme, très belle séance, qui fait honneur à
la jeune harpiste et à ses partenaires. L.
— Salle Erard, lundi 18. — Cette séance fut très
réussie. Mlle Léontine Verheyden et M. Riga, deux
pianistes intéressants, ont interprété d'une façon
remarquable et bien personnelle, ensemble ou
séparément, quelques pages de Chopin et de Men-
delssohn et la Marche héroïque de Saint-Saëns.
M. F. Chiaffitelli, violoniste, a un son très pre-
nant et nous ne demandons qu'à l'applaudir une
seconde fois ; le violoncelliste, de Bilsten a été
aussi bien accueilli.
Pour terminer le concert, M. Bourbon a chanté
superbement le Noël des Gueux de Béon, page qui
ne manqut pas d'intérêt. J. T.
— L'association des Chanteurs de Saint-Boni-
face a fait célébrer un service à la mémoire de
S. A. R. le comte de Flandre, qui était protecteur
de cette œuvre. Pendant l'office, outre la messe de
Requiem en plain-chant, la maîtrise a interprété
Pulvis et timbra sumus à quatre voix de Roland
de Lassus et le Pie Jesu à quatre voix de Felice
Anerio. M. De Boeck, organiste titulaire, a
terminé la cérémonie par une exécution de la
marche funèbre de Guilmant.
— Aujourd'hui dimanche, à 2 heures, premier
concert du Conservatoire. On y exécutera les
œuvres suivantes : i° Le Chrétien mourant, cantate
d'église pour le XVIe dimanche après la Trinité
(« Liebster Gott, wann werd' ich sterben? »), pour
soli, chœur, orchestre et orgue de J.-S. Bach;
2° La XIe symphonie de Beethoven.
— La premier concert extraordinaire donné à
l'occasion du dixième anniversaire de la fondation
des Concerts Ysaye, aura lieu le 14 janvier pro-
chain avec le concours de MM. Jacques Thibaud,
Arthur De Greef, ainsi que les anciens collabora-
rateurs et élèves de M. E. Ysaye.
— Concert Casais. — Le concert organisé par la
maison Schott avec le concours de MM. Pablo
le guide musical
857
Casais, violoncelliste ; Emile Bosquet, pianiste,
et Mathieu Crickboom, violoniste, qui devait avoir
lieu à la Grande Harmonie, le mardi ig décembre
courant, est remis au mois de janvier. La date
exacte sera annoncée ultérieurement.
— Salle Erard. — Samedi 29 décembre, à
8 1/2 heures, audition d'œuvres de M. L. Wallner.
CORRESPONDANCES
ANVERS. — On a repris au Théâtre royal
l'opéra de Gounod Roméo et Juliette, avec
Mme Daffetye, très bien dans le rôle de Juliette, et
M. Marié-Leduc dans celui de Roméo. Les répé-
titions de Patrie et de Sïbéria sont activement
poussées au Théâtre royal.
Au Cercle artistique, nous avons eu la semaine
dernière une fort intéressante soirée de musique
de chambre, avec le concours de la Société des
Instruments anciens de Paris. Mme Casadesus,
Mlle Delcourt, MM. Henri et Marcel Casadesus et
Edouard Nanny, jouant respectivement le quinton,
le clavecin, la viole d'amour, la viole de gambe et
la contrebasse, ont été chaleureusemeni applaudis.
G. P.
LA HAYE. — Au second concert de la so-
ciété Diligentia, M. Mengelberg nous a fait
entendre deux nouveautés, une fantaisie sympho-
nique, Seemorgen, de Max Schillings, sur un poème
de Lenau, et la symphonie de Sinding, de couleur
très sombre. La fantaisie de Schillings est une
œuvre fraîche, colorée, supérieurement orchestrée.
L'exécution de ces deux ouvrages, de même que
l'accompagnement du concerto de violon de
Brahms, magistralement joué par le violoniste
autrichien Fritz Kreisler, a été superbe. M. Kreisler
a été moins heureux dans son interprétation de
Y Introduction et Rondo de Saint-Saëns. A ce même
concert, MUe Philippi, de Bâle, douée d'une voix
de mezzo-soprano très sympathique, a chanté l'air
de Samson et Dalila, et s'est fait applaudir dans les
Lieder de Brahms et de Hugo Wolf.
A la dernière matinée symphonique donnée par
M. Viotta avec le Residentie-Orkest, le pianiste
Lamond a enthousiasmé le public par la perfec-
tion avec laquelle il a joué le concerto de Tschaï-
kowsky. L'orchestre a exécuté la Faust-Ouverture
de Wagner, une sérénade charmante pour instru-
ments à cordes de Dvorak et la marche hongroise
de la Damnation de Faust de Berlioz.
La Société pour l'encouragement de l'art mu-
sical a donné à Amsterdam, sous la direction de
M. Mengelberg, une exécution superbe de l'ora-
torio Les Saisons de Haydn, avec le concours du
professeur Messchaert, du ténor Willy Schmidt,
de Francfort, et de Mme Lutkeman.
Signalons à l'Opéra royal français de La Haye
une représentation assez médiocre du Tannhœuser
de Wagner.
L'Opéra italien prépare une reprise de Mefistofele
de Boïto pour les représentations du baryton
Lucchenti, et a mis à l'étude l'opéra Fédora de
Giordano. Ed. de H.
LIEGE. — Deux séances à signaler dans
cette dernière quinzaine : la première audi-
tion du Conservatoire, sous la direction ferme et
intelligente de M. Maurice Jaspar et au cours de
laquelle s'est fait entendre avec un succès très
accentué Mme Fassin-Vercauteren, devenue sans
conteste notre meilleure cantatrice.
Puis une soirée de sonates donnée par MM. Ca-
nivet et Oberdœrffer, qui nous ont fait connaître
une sonate gentiment traitée, de Ryelandt, et une
autre, d'allure plus prétentieuse, de Lazzari. Inter-
prétation correcte, mais sans élégance.
— M. Joseph Delsemme s'étant retiré de l'asso-
ciation des Concerts populaires, la responsabilité
artistique et matérielle de l'entreprise reste tout
entière à M. Jules Debefve. Il faut savoir gré à ce
dernier d'assumer une tâche passablement ingrate,
mais qui n'est pas au-dessus de son talent et de sa
bonne volonté.
Le premier concert, donné samedi, a obtenu un
vrai succès. Programme heureux, soliste admi-
rable, exécution nette et bien équilibrée. M. De-
befve a de précieuses qualités de conducteur. Si
la phalange qu'il a su grouper lui reste fidèle, elle
deviendra entre ses mains un excellent instrument,
capable de belle et bonne besogne.
Indépendamment de la huitième symphonie de
Beethoven, l'auditoire a eu la primeur d'un émou-
vant poème symphonique de Sibelius, En Saga, et
il a refait connaissance avec l'intéressante Rapsodie
canadienne de Paul Gilson.
En choisissant comme soliste M. Pablo Casais,
M. Debefve nous ménageait la joie d'entendre et
d'applaudir le merveilleux violoncelliste au style
noble et pur, à la technique serrée, dont le pro-
gramme (concerto de Dvorak, Elégie de Fauré,
Kol Nidrei de Max Bruch et des pièces de Bach)
réalisait le plus bel effort artistique. On lui a fait
des ovations enthousiastes.
Après un aussi bon début, il est permis d'es-
compter le succès des prochaines soirées que nous
donnera M. Debefve, et tout ce que Liège compte
d'amateurs éclairés s'en réjouira avec nous.
P. D.
LE GUIDE MUSICAL
ROME. — Un vœu depuis longtemps exprimé
par les dilettanti romains vient d'être réalisé
par le municipe : c'est une institution de concerts
symphoniques à prix réduits. La ville a constitué
dans ce but un orchestre de soixante-quinze musi-
ciens dont elle a confié la direction à M. Vessella,
ancien directeur de l'harmonie municipale, momen-
tanément supprimée.
Les concerts se sont donnés au théâtre Argen-
tina, qui appartient à la ville; la première matinée
a eu lieu fin novembre, et depuis, malgré l'attrait
des promenades par le beau temps qui nous est
enfin revenu, la salle a toujours été louée plusieurs
jours avant l'audition.
Au théâtre Adriano a eu lieu une saison d'au-
tomne d'opéra dont le clou a été la reprise des
Maschcrc (Les Masques) de Mascagni. Cette œuvre
avait échoué en 1901 sur plusieurs scènes d'Italie.
Mascagni a remanié complètement la partition, et
cette nouvelle version a été très favorablement
accueillie, en dépit de son inégalité de style. L'ou-
verture est agréable, d'une jolie inspiration et
Mascagni, qui dirigeait l'orchestre, a su lui donner
de l'allure et du rythme. Il y a de jolis morceaux
dans le premier acte, et la pavane chantée du
second acte a valu à Mme Bianchini-Capelli un
succès mérité. '
Le théâtre Costanzi ouvrira bientôt ses portes
pour la saison d'opéra. Au répertoire, le Trouvère,
UnBallo in M aschera ,Rigoletto , la Loreley de Catalani,
Arnica de Mascagni, la Juive. Comme nouveautés,
la Damnation de Faust de Berlioz, l'Or du Rhin de
Wagner et Siberia de Giordano.
De son côté, l'Académie de Santa Cecilia a formé
le programme de ses concerts, qui commenceront
au mois de février. M. Camille Saint-Saëns vien-
dra parmi nous; la Société des Instruments anciens
de Paris donnera un concert. D'autres séances
seront occupées par M. Martucci et Max Fiedler
avec des programmes d'orchestre, par le violo-
niste Thibaud, par la cantatrice Mme Mysz-
Gmeiner. T. Montefiore.
TOURNAI. — La première audition cet
hiver de notre Société de musique consistait
en une réédition de la Marie- Madeleine de Massenet,
donnée déjà en janvier 1894.
Comme il y a douze ans, M. Stiénon du Pré
préside la Société de musique avec le même
dévouement, M. De Looze la dirige avec la même
conviction. Leurs célèbres chœurs mixtes se sont
admirablement développés. Ils comportaient exac-
tement dimanche dernier, sur l'estrade de la Halle-
aux-Draps, i38 voix de femmes et 145 voix
d'hommes.
Les solistes de dimanche étaient Mmes Fassirt'
Vercauteren et Van Cranenbroeck. Malgré leur
talent, elles n'ont pas fait oublier les Méryem et
Marthe de l'audition de 1894. Mais les solistes
masculins étaient dignes de leurs prédécesseurs.
Un tout jeune ténor, attaché à l'Opéra-Comique,
M. Rappaport, s'est notamment taillé un très grand
succès dans le rôle pointant ingrat — à cause même
de sa monotonie — de Jésus, et M. le baryton
Boucrel, des Concerts Colonne, a été son digne
partenaire.
Inutile de dire que, comme toujours, l'auditoire
comprenait plus d'un gros millier de personnes et
que c'est surtout à cause de l'affluence toujours
croissante des auditeurs des concerts de la Société
de musique que notre administration communale
se voit forcée de mettre à l'étude la création d'une
nouvelle salle de fêtes et concerts. J. D. C.
NOUVELLES
Le 3 décembre dernier a eu lieu au Nouveau-
Théâtre municipal de Leipzig, sous la direction de
M. Arthur Nikisch, la première représentation
d'un opéra en un acte de M. Rodolphe Raimann,
Enoch Arden. Le scénario est une adaptation libre
d'après le poème de Tennyson qui porte le même
titre.
— L'Opéra royal de Budapest a donné derniè-
rement la première représentation d'un opéra-
comique, Le Tigre, musique de M. Pierre Stoja-
novits, qui s'est fait connaître en Allemagne par
un concerto de violon.
— Au théâtre Principal de Barcelone, on a
représenté un nouvel ouvrage lyrique, LaMatinnda,
dont la musique est due à M. Felipe Pedrell,
l'excellent compositeur, qui est doublé, comme on
sait, d'un remarquable et savant écrivain musical.
— La vie musicale n'est pas suspendue entière-
ment à Saint-Pétersbourg. Au Nouvel-Opéra, qui
donne ses représentations dans la salle du Conser-
vatoire, on a joué dans ces dernières semaines
plusieurs opéras du répertoire italien et des œuvres
russes de Tschaïkowsky et de Rubinstein, notam-
ment le grand-opéra de Néron, une des œuvres
capitales du maître.
— Le 10 décembre dernier, à Saint-Pétersbourg,
un jury composé de MM. Rimsky-Korsakow, Gla-
zounow et Liadow a décerné aux compositeurs
LE GUIDE MUSICAL
359
dont les noms suivent les prix de la Fondation
Glinka :
M. A. -S. Arenski, pour l'introduction de son
opéra Nala et Damajanti, 3oo roubles; M. J.-J.
Wihtol, pour des variations sur un chant popu-
laire, 3oo roubles; M. R.'M. Glière, pour son
sextuor, op. 1, 5oo roubles; M. N.-A. Szokolow,
pour deux chœurs à trois voix de femmes, 400
roubles; M. A.-N. Scriabine, pour sa deuxième
symphonie, op. 29, 1,000 roubles; M. Serge
Tanejew, pour son ouverture de l'opéra Orestie,
5oo roubles.
— M. Hans Gregor, directeur de l'Opéra-
Comique à Berlin, vient d'entamer des pour-
parlers pour monter Miarha, dont le succès s'est
si rapidement affirmé.
— M. Hermann Bahr, le célèbre critique et
dramaturge viennois, est nommé régisseur en chef
des théâtres royaux de Munich.
— Le conseil municipal de Lyon a repoussé,
par trente voix contre douze, le maintien de la
régie des deux scènes lyonnaises du Grand-
Théâtre (opéra) et du Théâtre des Célestins
(comédie).
Un système de régie mixte, avec 3oo,ooo francs
de subvention, a été adopté pour le Grand-Théâtre;
la ville prend à sa charge les chœurs et l'orchestre.
Le Théâtre des Célestins reste libre, mais ne
recevra aucune subvention.
— Le concerto pour piano de Massenet vient
d'être joué pour la première fois à Berlin par
M. Bruno Hinze-Reinhold, avec l'orchestre de la
Société philharmonique. L'œuvre et l'artiste ont
obtenu un très grand succès.
— Un arrangement est intervenu entre Bayreuth
et Munich au sujet du festival wagnérien qui a
lieu depuis quelques années, en été, au théâtre du
Prince-Régent. La solution de la question avait
été soumise à la décision du prince régent. Cette
décision a été favorable à Munich. L'intendance
des théâtres de la Cour vient de communiquer à la
presse l'avis suivant :
» Le festival d'été aura lieu en 1906. Du 2 au 12
août, six œuvres de Mozart seront représentées au
Residenz-Theater. Du i3 août au 7 septembre,
seize représentations d'œuvres de Richard Wagner
auront lieu au Prinz-Regenten-Theater. Les Maî-
tres Chanteurs de Nuremberg seront joués cinq fois,
Tannhàuser trois fois et L'Anneau du Niebelung deux
fois. »
Les dates détaillées des représentations seront
publiées ultérieurement.
— En 1896, la Philharmonique et Union cho-
rale de dames de Mayence avait donné un festival
Hasndel, où des œuvres du vieux maître furent
exécutées pour la première fois selon la revision
de Chrysander, sous la direction de M. Fritz Vol-
bach. Le succès en fut complet et durable, car
depuis ces exécutions, les revisions de Chrysander
sont de plus en plus généralement adoptées dans
toute l'Allemagne. Et d'ores et déjà, on souhaitait
de voir de pareilles fêtes avoir lieu régulièrement à
Mayence; l'impératrice Frédéric, qui avait pa-
tronné le festival, avait elle-même exprimé tout
spécialement ce vœu. Et voici que maintenant la
chose se réalise.
Le capital de la fondation nouvelle, grâce à
l'appui que celle-ci a trouvé dans tous les cercles,
est dès maintenant assez important pour assurer
la marche de l'entreprise. Au premier rang des
souscripteurs figurent l'empereur d'Allemagne, le
grand-duc de Hesse, ce dernier en qualité de pro-
tecteur; l'empereur de Russie et le roi d'Angleterre
ont aussi envoyé leurs contributions.
Le but de la société est de donner, à dates fixes,
de grandes auditions, qui en premier lieu seront
un efficace service rendu à la propagande des
œuvres de Haendel. Elles conserveront et dévelop-
peront, selon les idées mêmes de Chrysander, et
aussi selon les idées de notre époque moderne,
tous les résultats auxquels celui-ci est parvenu
dans sa longue et féconde carrière de travailleur.
A côté de ces auditions, dont, la première série
aura lieu dès le mois de mai prochain, la société
se propose de travailler de toutes les façons possi-
bles à la diffusion des œuvres de Hasndel.
— A l'occasion du cent-cinquantième anniver-
saire de la naissance de Mozart, qui aura lieu en
janvier 1906, M. N. Manskopf, le créateur et le
propriétaire du célèbre Musée d'histoire de la
musique de Francfort, prépare une exposition de
documents divers se rattachant à la vie et aux
œuvres du maître. On sait que M. Manskopf a
déjà fait une semblable exposition il y a quelques
années, consacrée à Berlioz et à ses œuvres.
— On nous écrit de Lille :
MM. Emile Bosquet, pianiste, et Emile Chau-
mont, violoniste, ont donné un très intéressant
concert avec le concours de Mme Bosquet-Dam,
cantatrice, dans la salle de la Société industrielle,
le vendredi 8 décembre.
M. Bosquet a interprété en maître, des œuvres
86o
LE GUIDE MUSICAL
de Fauré et de Chopin. M. Chaumont s'est fait
apprécier dans la Sarabande pour violon seul de
J.-S. Bach, dans la Havanaise de Saint-Saëns, dans
VHumoresque de Dvorak et tout particulièrement
dans la Polonaise en la de Wieniawsky, où la fougue
et le merveilleux tempérament de cet artiste ont
pu se donner libre cours.
Mme Bosquet-Dam, jeune cantatrice à la voix
fraîche, admirablement formée, a remporté le plus
vif succès dans le grand air de Louise, dans une mé-
lodie de Paul Miry et dans un air de la Flûte
enchantée. E. D.
— Le violoncelliste Pierre Destombes vient de
remporter de magnifiques succès dans l'ouest de
la France. Les concerts auxquels il a pris part, à
La Rochelle et Niort, lui ont valu de véritables
triomphes. Le concerto de Popper, les sonates de
Haendel, Boëllman et V Elégie de G. Fauré ont été
admirablement interprétés par l'excellent artiste.
NECROLOGIE
Le 10 novembre est mort à Tarragone le
révérend Théodore Echegoyen, organiste de la
cathédrale et professeur de chant grégorien à
l'Université pontificale tarragonienne. Né à Pe-
ralta (Navarre) en février 1870, il avait fait ses
études musicales à Pampelune, et avait été d'abord
maître de chapelle et organiste de la cathédrale de
Calahorra. C'est à la suite d'un concours très
brillant que les fonctions d'organiste à Tarragone
lui avaient été confiées. Cet artiste très estimable
avait publié récemment une Brève Méthode de chant
grégorien et donné des articles de critique au jour-
nal La Cruz.
pianos et Ibarpes
trarù
tërurelles : 6, rue Xambermout
paris : rue ou flftail, 13
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
OPERA.-
La Ronde
Sigurd.
PARIS
-Tristan et Isolde ; Armide ; Le Freischiitz,
des Saisons (première représentation);
OPÉRA-COMIQUE. — Le Barbier de Séville, la
Fille du Régiment; Mignon; Mireille; Miarka; Car-
men; Manon; Le Roi d'Ys ; Werther.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE.— Armide;
Lohengrin; Chérubin; Princesse Rayon de Soleil;
Faust; Armide; Chérubin; Armide.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Mercredi 27 décembre. — A 8 J^ heures du soir, en la
salle Erard, deuxième concert donné par le Trio
Lorenzo. Au programme : i. Trio en la bémol majeur
(Jos. Haydn); 2. Sonate, op. 40, pour, piano et violon-
celle (L. Boëllmann) ; 3. Trio, op 90, Dumky (Anton
Dvorak).
Dimanche 14 janvier. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra ("Concerts Ysaye), premier
concert extraordinaire donné à l'occasion du dixième
anniversaire de la fondation des concerts, sous la direc-
tion de M. Eugène Ysaye, avec le concours de M. A.
De Greef, pianiste et M. J. Thibaud, violoniste. Au pro-
gramme : 1. Fantaisie sur des airs populaires Angevins
(G. Lekeu); 2. Concerto en mi bémol (Th. Ysaye) :
M. A. De Greef; 3. Symphonie en ré mineur (C. Franck);
4. a) Chant d'hiver, b) Valse-Caprice (Eug. Ysaye; :
M. J. Thibaud ; 5. Entracte de l'opéra « Jean-Michel »
(A. Dupuis).
Vendredi 19 janvier. — A S y2 heures du soir, en la
salle de la Société royale de la Grande Harmonie, récital
piano et violoncelle donné par M'ie Juliette Folville,
pianiste et M. Maurice Dambois, violoncelliste. Au
programme : 1. Concerto en ré mineur (J. Folville) :
Mlle Juliette Folville ; 2. « Variations symphoniques »
(Boëllmann) : M. Maurice Dambois; 3. Trois études
(Chopin), ut majeur, mi mineur, sol bémol : Mlle Juliette
Folville; 4. « Concertstùck » (J. Folville) : M. Maurice
Dambois; 5. Etude- Valse (Saint-Saëns) : MUe Juliette
Folville; 6. « Abendlied » (Schumann), « Rapsodie
hongroise » (Popper) : M. Maurice Dambois.
Samedi 27 janvier. — A 8 % heures du soir, salle Erard,
récital de violon donné par M. Georges Sadler, avec le
concours de MM. Bosquet et Jongen.
(
LE GUIDE MUSICAL 86r
BREITKOPF & H£RTEL, Éditeurs, a Bruxelles
Montagne de la Cour, 45,
Fient de Paraître :
Richard WAGNER
à Mathilde Wesendonck
JOURNAL ET LETTRES 1S53-1871
Traduction autorisée de l'Allemand par Préface de
Georges Khnopff Henri Lichtenberger
= Tome I et II à fru 3,50 net —
— — — wawgBimwiimuM m || |||| p»«Bea»<«^>wMi»o»^i^rf11ffTT^ ii. ■^j|inp^uJiiMii ■iiiH||iH|ll||i|||||
SCHOTT FRÈRES, Éditeurs de musique, BRUXELLES
56, Montagne de la Cour, 56
Vieim en l de Paraître :
DEUX NOUVELLES SONATES
pour Violon et Piano
JONGEN (Joseph). — Sonate (dédiée à Eugène Ysaye).
JENTSCH (Max;. — Sonate en do mineur.
Chacune net : fr. 7.50
Vient de Paraître le grand succès du
à la MAISON BEETHOVEN théâtre de la monnaie
G. OERTEL, 17, rue de la Régence, Bruxelles
La deuxième Edition de la Partition
Piano et chant, texte français-flamand, de
Princesse Rayon de Soleil
Légende féerique en quatre actes
Poème de POL DE MONT, musique de P. GILSON
= Prix : 20 Francs =
Pour paraître prochainement à la même maison. — En souscription, au prix de 7,50 fr.
la partition piano et chant de > I j I \ ) I /Y; drame lyrique en i acte
Poème d'ALEXANDRA MYRIAL ~ — 1= = = = = Musique de Jean HAUTSTONT
SANDOZ, «TOBIN & Cie
Office international d'Edition ^/Liasioale et Agence -A.rtistiqL-u.e-
PARIS LEIPZIG . NEUCHATEL (suisse)
28, Rue de Bondy 94, Seeburgstrasse 3, Rue du Coq d'Inde
VIENT DE PARAITRE :
LE CHANSONITIEH JAQUES -DALCHOSE
3 FR. NET
Ce chansonnier est en vente chez les Editeurs et
dans tous les magasins de musique au prix de
OPINION DE LA PRESSE :
S'il est un livre qui pourrait aisément se passer d'introduction auprès du public, c'est certes celui-ci.
Nombre de refrains qu'il renferme sont déjà sur toutes les lèvres. Epars jusqu'ici dans plusieurs recueils assez^
volumineux et assez coûteux, ils sont désormais réunis sous une même couverture et le format de ce chansonnier
le rend facilement maniable et transportable.
Voici donc la bonne chanson mise à la portée de tous. Et le peuple, parce que Jaques-Dalcroze lui aura-
appris à chanter plus, à chanter mieux, le peuple en sera plus heureux.
Le chansonnier Jaques-Dalcroze pénétrera dans chaque maison, à la ville et à la campagne; il répandra-
la joie et la santé. Unique entre ses pareils, il possède cette vertu de ne pas contenir une seule pièce douteuse,
dangereuse pour le cœur et pour l'esprit, et fait mentir l'opinion courante que sans un peu de grivoiserie on ne
saurait éviter l'ennui. Il fera rentrer dans l'ombre la scie inepte, le couplet graveleux, la romance sentimentale et
bête. Parmi ces i3o chansons, il en est qui s'adaptent à tous les besoins, à toutes les aspirations du cœur.
N° 56. Paysan, ne quitte pas la terre. (Tiré des Chansons romandes.) E. Jaques-Dalcroze
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Pa-y-san, ne quit-te pas ta ter-re, Pour la ville aux attraits trompeurs ; Pa-y-san, ne quit-te pas ta ter-re,
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^iffië année. — Numéro 53.
3i Décembre
190:
LE NOËL MUSICAL FRANÇAIS
(Suite et fin. — Voir le dernier numéro)
L'engouement pour les noëis aide les
compositeurs à s'essayer dans l'art nou-
veau de l'orchestration. On sait, en effet,
que, sous le règne du contrepoint vocal,
les instruments se contentaient modeste-
ment de doubler ou de remplacer les voix ;
ils ne tenaient pas un rôle propre. Parmi
ces compositeurs se signale Marc-Antoine
Charpentier (1634-1704), le remarquable
successeur d'Auxcousteaux à la Sainte-
Chapelle, une victime des intrigues répu-
gnantes de l'odieux et génial Lully,le colla-
borateur enfin de Molière pour la partie
musicale de certaines de ses pièces (1).
Charpentier arrange des noëls populaires
— Les Bourgeois de Chastres; Or, dites-nous,
Marie; Où s'en vont ces gais bergers; Noël
pour l'amour de Marie, etc. — pour flûtes,
violons, clavecin et viole de gambe (2), et
compose une Messe de minuit, où des airs
de cette sorte, instrumentés, alternent avec
les chants liturgiques (3). Il donne enfin
(1) Son air charmant « Qu'ils sont doux, bouteille
jolie », du Médecin malgré lui, encore chanté à la Comé-
die française, est devenu, légèrement modifié, un tim-
bre populaire, que Saboly a utilisé pour une de ses
poésies.
. (2) Bib, nat. Rés. Vmi, i,i38, t. V. f. 21 et 3o.
(3) T. XXV, f. 62.
deux pastorales sur la naissance de Jésus-
Christ (1), et deux cantates latines sur le
même sujet (2). Mais ne croyons pas qu'en
ces dernières scènes, il ait suivi la voie
tracée par Aneau. Il a simplement profité
des préceptes puisés en Italie, auprès de
Carissimi, l'auteur des fameuses histoires
sacrées.
Avec lui commence, pour le noël, la
troisième phase, que je qualifierai de phase
d'épanouissement. Elle a duré du milieu
du xviie siècle environ jusqu'à la Révolu-
tion.
Les organistes se lancent également dans
des arrangements de noëls populaires,
instituant ainsi, dans les églises, une tra-
dition qui se perpétuera jusqu'à nous, avec
— chose curieuse — la conservation pres-
que intégrale des mêmes éléments, lesquels,
d'ailleurs, étaient ceux que Charpentier
avait utilisés.
Le premier est Le Bègue, avec son
Troisième livre d'orgue, en 1676, d'un
caractère sérieux, bien que nettement pro-
fane. Par suite de la manière indigente
(1) La première t. XXI, f. 49, et t. XXII, f. 32 et 5o;
la seconde t. XXI, f . 5j.
(2) La première avec trois versions : t. II, f. 42, t. VI,
f. 89, et t. XII, f. 20; la seconde t. IX, f. 5i.
864
LE GUIDE MUSICAL
dont, à tous les points de vue, les thèmes
sont traités, cette œuvre ne présente pas
beaucoup d'intérêt.
Six ans après, en 1682, le Livre de mu-
sique dédié à la très sainte Vierge (1), de
Gigault, modifie et complète la tradition
dont nous venons de parler, en ce sens
que, jusqu'à la fin du xvme siècle, cette
catégorie de musique d'orgue appartiendra
en même temps à la musique d'ensemble et
à la musique de clavecin. Voici, en effet,
un fragment du titre de cet ouvrage, qui
sera reproduit plus ou moins textuellement
dans l'avenir : « Cantiques sacrez... qui
peuvent estre touchez sur l'orgue et sur le
clavessin, comme aussi sur le luth, les
violles, violons, flûtes et autres instruments
de musique. »
Ici, Gigault est curieux à double titre : en
premier lieu par sa facture, ses audaces
harmoniques assez grandes pour l'époque,
et enfin par sa tendance, sa tentative, aussi
légère qu'intermittente, de faire une mu-
sique vraiment religieuse.
Cette dédicace à la Vierge, où la bour-
souflure et la naïveté se disputent la
prééminence, est placée en tête du recueil :
Recevez, Reine du Ciel, l'offrande que je vous
fais de ces Cantiques de joye, qui célèbrent vos
saintes couches, et la Naissance adorable de votre
Fils. Il est bien vray que tous les Chœurs des An- |
ges ont chanté ces augustes Mystères, et que je
devrois trembler de crainte d'oser mêler mes foi-
bles accords à cette Musique ineffable qui a rem-
ply le Ciel et la Terre, qui sera chantée à jamais
devant le Throsne du Tout-Puissant, et qui fait la
félicité éternelle des Bienheureux. Mais quand je
considère qu'au milieu de ces Chants immortels,
vous n'avez pas dédaigné les humbles chansons
des Pasteurs, et les sons rustiques de leurs Chalu-
meaux et de leurs Musettes, je me sens animé
d'une douce confiance que la hardiesse respec-
tueuse que je prends ne vous est pas desagréable.
Puis, suivant immédiatement cette ron-
flante épître, un avertissement au lecteur,
avec flagorneries intéressées à l'adresse de
la clientèle :
(1) Bibl. nat. V, m7, 1,824. M- Phro en a parlé dans
un excellent article intitulé Un organiste au XVIIe siècle,
qui a paru dans la Revue musicale du 1er octobre 1903.
Amy lecteur, je vous expose des Noëls que j'ay
dédiez à la Très-Sainte Vierge par une très-pro-
fonde et très-humble reconnoissance que je luy
dois; j'ay fait tout ce que j'ay pu pour vous les
rendre agréables. Il y a quantité de personnes dans
le saint temps de l'Avent qui les méditent et les
chantent dévotement.
En présence de ces deux documents, on
se demande avec anxiété à quoi ce brave
Gigault pensait le plus, à l'écoulement de
son édition ou à la bonté de la Vierge.
Avec le Livre d'orgue de Raison, qui
date de 17 14, et dans lequel il n'y a pas
grand'chose à remarquer, nous abordons
le xvuie siècle.
Le noël, on peut le dire, a trouvé, dans
le XVIIIe siècle, sa période d'effervescence.
Ses manifestations diverses peuvent cepen-
dant être presque complètement dépeintes
en quelques traits sommaires.
Dans le genre littéraire, la production
devient considérable. D'abord, avec le
siècle ou à peu près, paraissent : le fameux
abbé Pellegrin, qui renouvellera sa mani-
festation en 1738; Aimé Piron, le père du
célèbre poète, et La Monnoye, se dissimu-
lant sous le pseudonyme de Gui Barôzai.
Ces deux derniers profitent de la circon-
stance pour se faire, sous une forme respec-
tueuse, les avocats de la cause populaire,
adresser aux autorités quelques critiques,
laisser entendre certains desiderata.
Mentionnons également les innombrables
éditions de Bibles de noëls qui recueillent,
d'après la tradition orale, des poésies de
littérateurs de campagne, restées inédites
jusqu'alors. N'oublions pas enfin ce qui a
été publié dans les divers patois du Lan-
guedoc, de la Bresse, de l'Auvergne, etc. (1).
Au point de vue musical populaire, les
collections curieuses sont : celle de l'abbé
Pellegrin, qui donne, en finissant, les
timbres indiqués, et le Chant des noëls
anciens et nouveaux, imprimé chez Ballard,
en 1703. On y trouve des auteurs inconnus
et des compositeurs plus ou moins célèbres,
Lully, Campra, etc.
(1) Pour ce détail, on peut consulter l'ouvrage de
M. Weckerlin, déjà cité.
LE GÙÏDË MUSICAL
m
îl n*y a pas alors autant de musique nou-
velle que l'on pourrait le supposer. Qu'il
s'agisse du genre pseudo religieux — car
ce n'est pas autre chose — ou du genre
profane, on puise à pleines mains dans le
fonds commun des timbres. Ce fonds s'en-
richira considérablement. On y accumule
tout : des sortes de couplets de vaudeville
que l'on appelle carillons, très à la mode,
des emprunts au répertoire bachique de la
Clef du caveau et de la Clef des chansonniers,
jusqu'à des airs de danse et des sonneries
de chasse. Pourtant, il ne faudrait pas en
déduire que l'on aboutit ainsi à des œuvres
hybrides, étranges. Du tout. On sait
généralement choisir avec tact ce qui pré-
sente le caractère voulu, la nuance requise.
Et, pour citer un exemple de M. Tiersot,
l'exquis cantique « Il est né, le divin
enfant », que l'on chante encore dans nos
églises, et avec raison, est un air extrait
du répertoire de cor de chasse du temps de
Louis XV, la Télé bizarde. Pour ce qui
concerne ce dernier cas, — et il serait pos-
sible d'en énumérer beaucoup d'autres,
mais assurément moins caractéristiques,
— on découvrirait difficilement un air
pastoral d'une venue aussi jolie.
Ce qui offre également de l'attrait, c'est
la façon dont ces noëls populaires seront
utilisés par les compositeurs. J'énumérerai :
la Nativité, oratorio de Gossec, en 1774; la
M esse- oratorio de Noël de Lesueur, en 1786;
et Douze noëls variés pour clavecin de
Beauvarlet- Charpentier..
Quant aux œuvres suivantes, leur élé-
gance gracieuse doit absolument les faire
mettre hors de pair : le Nouveau livre de
■ noëls de Daquin (1694-1772), l'organiste de
la chapelle du roi (1) ; les Noëls pour l'orgue
et le clavecin de Pierre Dandrieu, la collec-
tion la plus considérable que je connaisse
dans cette catégorie, et la Première suite
de noëls (2) de Gossec, écrite, je pense,
entre 1766 et 176g, lorsque son auteur
(1) Réédité dans les Archives de l'orgue, collection
Guilmant-Pirro.
(2) M. Tiersot lui a consacré un article dans le
Ménestrel du 27 décembre igo3.
était « intendant de la musique » du prince
de Condé, le futur organisateur de l'armée
d'émigrés qui portera son nom.
C'est là que s'offre et se livre véritable-
ment à l'initié l'âme de la société polie du
xvnp siècle, ballottée entre ces deux ex-
trêmes : le maniérisme et la bonhomie.
Toute cette musique exhale le charme
comme un arôme naturel. Bien que légère,
frivole, faite surtout pour délasser, elle
reste néanmoins, avec son émotion discrète
et de bonne compagnie, très expressive.
Dans le monde sonore, elle représente des
paysages analogues à ceux qu'ont immor-
talisés les exquis pinceaux de Boucher, de
Watteau, de Lancret.
Aussi faut-il voir comment cette mu-
sique, tour à tour gaie, vive, tendre ou
mélancolique, mais toujours fine et res-
plendissante d'urbanité, était appréciée
par les contemporains. Et c'était la plus
stricte des justices.
Sur ce point particulier, les témoignages
apparaissent multiples et probants. L'alle-
mand Nemeitz, à la suite d'un voyage à
Paris, raconte ainsi ce qu'il a constaté
dans les églises et les couvents (i) :
La messe de minuit est remarquable. Elle a pris
son nom du temps qu'elle se dit, savoir à minuit,
entre la veille et le jour de Noèl. Toutes les
églises, tous les couvens sont alors pleins de
monde, et alors on court d'un lieu à l'autre. La
musique qui se fait aux églises n'est pas trop
dévote, puisque les orgues jouent des menuets et
toute sorte d'airs mondains. C'est alors qu'il se
passe beaucoup d'impudicitez, de sottises, et d'im-
piétez.
Et Nemeitz souligne cette vogue avec
un détail caractéristique : dans certains
couvents, on faisait payer « vingt-cinq
sols la place », somme fort respectable
pour le temps.
Le Mercure renseigne sur ce qui se
passait dans les deux séances de Noël au
Concert Spirituel, cette entreprise semi-
officielle qui était un véritable appareil
enregistreur du goût public en matière de
(1) Séjour de Paris (Leyde, 1727), 224 et 232.
LE GUIDE MUSICAL
musique de concert. A partir de 1727, dès
la deuxième année de sa fondation, nous
verrons des « noëls joués par toute la
symphonie ». Il est impossible d'omettre
un motet du fécond Boismortier, le Fugit
nox, qui, farci de motifs populaires, de-
viendra pour ainsi dire obligatoire de 1743
à 1770. Relatons enfin, à partir de 1748,
quand il y aura un orgue dans la salle, les
noëls de Balbâtre, l'élève de Rameau, et
ceux de Daquin; puis, en 1760 et en 1773,
un concerto de violon « mêlé de noëls »,
et le succès qui a accueilli la Nativité de
Gossec.
Pour vivre, le noël avait besoin de ren-
contrer, dans son atmosphère, une cer-
taine dose de sentiment religieux. Aussi,
après le passage des Encyclopédistes et
de la Révolution, ses conditions d'exis-
tence, dans une société indifférente et
blasée, furent-elles subitement modifiées.
On peut dire que de la période révolu-
tionnaire date l'agonie du genre, qui, en-
suite, n'a pas tardé à s'éteindre.
C'est ce que nous appellerons la qua-
trième phase du noël. Elle est marquée
par une certaine survivance, dans quelques
rares villages, des anciennes traditions, —
cérémonie populaire à l'église, suivie d'un
repas de famille, — et par la disparition de
la Bible de noëls (1). Cet état de choses est
constaté avec regret, notamment par un
bénédictin dont le nom est justement cé-
lèbre. Dom Guéranger exprime son senti-
ment au milieu du XIXe siècle, dans son
Année liturgique (2).
Quant à notre époque contemporaine,
elle ne connaît que le pastiche du noël
populaire, et le noël artistique, vocal ou
instrumental, avec leur emphase et leur
fausse sentimentalité. Ses œuvres sont
peu émouvantes, parce qu'on les sent arti-
ficielles. Il n'y a plus l'esprit spécial qui,
au xvme siècle, faisait passer certaines
défaillances. En conséquence, nous ne nous
(1) Un des derniers livres de ce genre, peut-être le
dernier, est celui du chanoine Pelletier, à Orléans,
en 1866.
(2) Le Temps de Noël, ch. III.
occuperons pas des productions de nos
jours.
* * #
Avant de conclure, commençons par
éliminer les pages sans valeur qui ne sau-
raient intéresser, car le passé ne peut être
écouté qu'à la condition de nous instruire.
Après cette opération préliminaire et né-
cessaire, et sans nous demander si nous
aboutirons à une solution nouvelle ou à
une confirmation d'idées connues déjà,
voyons quelles indications tirer de l'en-
semble des faits qui viennent de passer
sous nos yeux.
Notons d'abord les points qui doivent
être considérés comme définitivement ac-
quis.
Notre noël répand un parfum de vieille
France ; on y retrouve comme une senteur
de terroir. C'est une manifestation élé-
gante, révélatrice d'originalité, bien que
libre de toute extravagance. Elle nous met
en relations avec des âmes qui, à des
degrés divers, ont été simples et naïves.
Pour tout dire, c'est un principe extraor-
dinairement sain.
En présence de ce résultat positif, exa-
minons la conduite que pourraient tenir
ceux des représentants de notre école
moderne qui ne dédaigneront pas de s'oc-
cuper de cette manifestation.
Les arts de la majeure partie des pays
civilisés subissent en ce moment le contre-
coup d'un phénomène qui s'est produit
dans l'ordre social : on a une conception
nouvelle de la fraternité dans la souffrance
humaine. Aujourd'hui, devant le malheur,
à la fois persistant et inévitable, on prend
un rôle actif en vue de le réduire, qui
s'appelle la solidarité. Jusqu'à présent,
on se contentait de la charité, qu'il fau-
drait bien se garder de critiquer, car elle
est parfois sublime, mais qui, en somme,
est une attitude plutôt passive, puisqu'elle
ne s'attache qu'aux conséquences du mal,
sans prendre celui-ci dans ses sources
vives.
Cette profonde pitié pour la masse des
humbles a fini par incliner beaucoup d'ar-
LE GUIDE MUSICAL
867
tistes vers l'art populaire, vers la simpli-
cité, par conséquent vers la simplification.
Pour s'arrêter à un exemple matériel qui
frappera même les yeux les moins avertis,
je citerai le domaine du mobilier, où les
efforts actuellement tentés permettent de
prédire des résultats prochains et surpre-
nants.
La musique française, elle aussi, a été
récemment touchée par ce besoin de sim-
plification qui ne s'est encore manifesté
que dans une seule direction : au théâtre.
Pelléas et M élisait de de M. C. Debussy,
l'Etranger de M. Vincent d'Indy, et, dans
une autre région, les Barbares de M. Saint-
Saëns et le Jongleur de Notre-Dame de
M. Massenet sont là pour en témoigner.
Bref, nous pouvons dire que, plus ou moins
consciemment, nos musiciens tendent vers
un art populaire. Ils sentent instinctive-
ment que les conditions de notre vie
moderne, dominées de plus en plus par le
sage principe de l'égalité civile, exigent
que l'aristocratie — ce terme pris dans
son sens général, c'est-à-dire englobant
l'intelligence et l'argent — ne doit plus
former un élément distinct du peuple, mais
ne faire qu'un avec lui.
Eh bien! je crois qu'il est possible d'af-
firmer qu'ils ont raison de vouloir ainsi
des oeuvres artistiques de plus en plus
humaines, et que s'ils requièrent, non plus
par artifice, mais par conviction, comme
aiguillon, le souvenir de nos vieux airs fran-
çais, les noëls notamment, leurs produc-
tions auront, avec celles de leurs ancêtres,
un certain air de famille qui ne sera point
pour déplaire. Car il ne faudrait pas s'ima-
giner que la musique d'autrefois et celle
d'aujourd'hui doivent rester ennemies, ou
au moins étrangères, alors qu'en réalité
elles sont des parentes.
Oui ! nos vieux noëls français proclament
leur bonheur de palpiter dans la beauté.
Nos vieux noëls français méritent d'au-
tant plus d'être admirés que les années
ont ajouté à leur prix un charme suggestif.
Nos vieux noëls français,. enfin, affirment
la permanence de leur utilité. Nous n'avons
donc qu'intérêt à prendre contact avec ce
passé calmant, enchanteur et aimable.
Frédéric Hellouin.
A L OPÉRA-COMIQUE
Les Pêcheurs de Saint-Jean
de M. Charles WIDOR
LA COUPE ENCHANTEE
de M. Gabriel PIERNÉ
'est une noble et vibrante partition
que vient de nous donner là M. Wi-
dor, une œuvre émue et vraiment
vécue, où l'on sent passer comme
une odeur marine à travers l'angoisse des rafales
meurtrières et le grondement des paquets de mer
écrasés sur la jetée, où la passion est rude et
intense comme ces flots qu'il faut dompter pour
vivre et qui trempent les âmes avec les corps. Oui,
cette comédie lyrique, ou dramatique, ou ce que
vous voudrez, porte bien son titre de « Scènes de la
vie maritime » et n'a que faire d'un autre; car elle
est vraiment cela, elle est une des meilleures
« marines » que peintre musical ait brossées, et
l'anecdote qu'elle nous conte, ou plutôt qu'elle
laisse vivre devant nous, y garde l'impression
vraie et poignante de son humanité.
Aussi bien est-elle « arrivée » en effet, cette
anecdote dont fut témoin, parait-il, le librettiste et
qui enthousiasma le musicien. Il y a quelques
semaines, un de nos confrères la contait en ces
termes :
« Il y a plusieurs années, en pleine nuit,
M. Henri Cain se promenait sur le bord du golfe
de Gascogne, entre Saint-Jean-de-Luz et Biarritz.
Le vent faisait rage. La mer était démontée.
Brusquement, un son grêle, le son d'une cloche
d'alarme frénétiquement agitée à bord d'un bateau
de pêche en détresse, parvint aux oreilles du pro-
meneur. Angoissé, il se précipita à travers les rues
de Saint-Jean-de-Luz, appelant à l'aide. Mais,
déjà, au pied d'une croix dressée sur la grève,
une vingtaine de femmes et d'enfants de pêcheurs
formaient un groupe confus et désolant. De ces
vingt poitrines, montaient des gémissements et des
prières vers le ciel sans étoiles.,.. »
868
LE GUIDE MUSICAL
» Bientôt une barque de sauvetage, montée par
les gars les plus résolus de Saint-Jean, s'élançait à
la crête des vagues monstrueuses empanachées
d'écume. La lutte de ces braves contre les flots
hurleurs fut longtemps indécise. Enfin, ils accos-
tèrent....
» Quand le patron du bateau en perdition reprit
connaissance, à l'aube, il s'enquit du nom de son
sauveteur. Alors surgit devant lui un jeune pêcheur
qu'il avait chassé brutalement de son épuipage, l'an
passé. Ce gueux, ce va-nu-pieds, ne souhaitait-il
pas de devenir son gendre? La scène fut dra-
matique, intensément. Le naufragé se dressa sur
son séant. A celui qui avait exposé sa vie pour lui,
il lança d'abord des regards de haine, puis ses
traits se détendirent, sa colère s'évanouit. Des
larmes emplirent les yeux des deux hommes et ils
s'étreignirent, en sanglotant.... »
Voici maintenant l'histoire d'amour qui surgit
aussitôt dans l'esprit du dramaturge. Comme per-
sonnages : Un patron de barque, qui a fait de
bonnes affaires et tient à son argent; son jeune
pilote, dont il ne peut se séparer et qu'il comble de
marques d'affection, jusqu'au jour où il le chasse
pour avoir osé, lui sans le sou, prétendre à deve-
nir son gendre, et sa fille, qui aime simplement et
à jamais le proscrit, mais sans faillir un instant à
son devoir. Pour comparse, la mère du pilote, qui
reçoit les confidences de l'un et de l'autre. Comme
péripéties, quatre scènes, quatre actes : au pre-
mier, baptême d'une barque neuve, aveux d'amour
de Jacques et de Marie- Anne, craintes à la pensée
de la demande à faire au père, justifiées déjà pour
nous par le mot brutal prononcé par Jean-Pierre
quand Madeleine, la mère de Jacques, s'avise de
trouver que le parrain et la marraine de la barque
feraient un joli couple. Au second, trois mois après,
Jacques a été chassé, et désespère, sans reprendre
la mer, sans goût à rien. Marie- Anne vient à lui :
nouveaux et plus ardents aveux, que surprend le
père; scène de cabaret où Jacques, enragé, se
grise, se monte et lève le couteau sur Jean-Pierre,
mais est emmené sanglotant par sa mère. Au troi-
sième, nuit d'angoisse, nuit de tempête où Marie-
Anne guette en vain son père qui est en mer, et
prie; nouvelle crise d'amour et de colère de
Jacques qui vient lui reprocher ce qu'il appelle son
parjure, puisque l'amour n'est pas assez fort pour
vaincre le devoir et qu'elle refuse de le suivre. Au
quatrième enfin, la fin de cette nuit sur le port, les
flots soulevés, la barque en péril au loin, les
prières de la population, les ricanements de
Jacques, puis sa reprise soudaine de lui-même, son
appel aux braves qui voudront le suivre, son
départ en mer, l'horreur de l'attente, et le retour,
- et la scène même contée plus haut.
Le défaut de ce drame bref, qui tourne bien,
c'est que ses éléments d'action sont trop simples
et se réduisent à trop peu de chose pour que leur
mise à la scène puisse aller sans longueurs. Il faut
bien, car c'est ainsi qu'il nous paraît vrai, que
Jacques se désespère, s'exalte, se laisse aller à de
méchantes pensées, avant de se ressaisir et de se
dévouer si loyalement ; et tout cela demande du
temps dans la réalité. Mais au théâtre, comme
nous n'avons pas autre chose entre les scènes
enjouées et pittoresques du début et l'action forte,
haletante, ramassée, du dénouement, nous ne
laissons pas de trouver un peu longues ces querelles
et un peu déclamatoires les plaintes de ce pauvre
Jacques. Le troisième acte surtout prépare bien
lentement le quatrième, avec lequel, en réalité, il ne
fait qu'un. On entend la mer gronder, on se rend
compte tout de suite de la gravité de la situation,
et l'on trouve Jacques peu intéressant de choisir
tout juste ce moment-là pour s'énerver contre
Marie- Anne qui refuse de le suivre.
M. Widor a suivi avec une passion évidente
toute ces scènes, et son inspiration a su donner de
chacune l'impression juste et conforme aux carac-
tères comme aux situations. Le symphoniste qu'il
est s'est surtout donné carrière dans l'évocation
de la mer, à la grande voix inlassée, aux violences
suivies d'apaisements, aux grondements féroces et
aux gazouillis séducteurs : une ouverture et trois
entr'actes s'élargissent éloquents et pittoresques.
Mais la symphonie enveloppe et souligne une
action forte et bien scénique, à la déclamation
serrée, à l'épanouissement mélodique délicat et
harmonieux, qu'elle caractérise en divers motifs
conducteurs. Des chants populaires sonores et
vibrants, des chansons de mer, gaies ou tristes,
relèvent le dialogue; puisées au folklore du pays
et anciennes parfois, ou leur eût voulu pourtant,
comme à l'ensemble de la paitition, je ne sais quel
cachet plus basque, plus pyrénéen. Mais M. Widor
a plutôt cherché à saisir le caractère humain de
son sujet que son côté indigène, et peut-être son
œuvre en est-elle plus haute.
Au premier acte, après les chants très colorés
des pêcheurs buvant à la nouvelle embarcation, et
dont le refrain termine encore l'acte, plus vibrant
que jamais, le dialogue des amoureux, mouve-
menté et sincère, s'épanouit en une conclusion de
duo largement lyrique, sur un orchestre délicat de
harpes et de bois; puis la procession, le cantique
de Marie-Anne à la Vierge, la bénédiction liturgi-
LE GUIDE MUSICAL
869
que, ont une très harmonieuse grandeur. Cet acte
est un des mieux venus de l'ouvrage. Le second
reprend le dialogue de Jacques et de Marie- Anne,
mais plus douloureux, bien qu'encore dans l'apai-
sement de l'amour confiant et constant : la page
est pénétrante et douce, et sa mélodie s'y mêle
heureusement aux arpèges des violons et des har-
pes. Les grondements de la révolte ne viennent
qu'après, quand la chanson dansée des sardinières
s'est mêlée aux refrains bachiques des pêcheurs ;
et la scène de rage affolée de Jacques contre Jean-
Pierre a une vivacité sauvage très justement trai-
tée, qui conclut énergiquement cette seconde par-
tie. La troisième suit un peu la même marche : elle
débute dans une couleur austère et harmonieuse,
avec la chanson désolée, puis la prière de Marie-
Anne, ponctuées des éclats de la tempête; elle
aboutit aux violences exaspérées de Jacques, pour
s'apaiser un instant à la dernière page, aux sou-
pirs du violon solo. Quant au quatrième acte,
à part les réserves formulées plus haut pour le
troisième, les retards un peu déclamatoires de
l'action, on ne peut que louer l'expression puis-
sante avec laquelle sont rendues et la sinistre hor-
reur de la nuit secouée par la rafale, assourdie par
le bruit des flots, et la surexcitation haletante de
la foule, entre la malédiction et la prière, entre
l'angoisse du péril et l'enthousiasme du sauvetage.
Et ici encore, pour conclure, comme partout au
cours de la partition, c'est l'apaisement de la vague
qui retombe, l'harmonie large du salut après le
danger, s'épanouissant dans la joie du vieil hymne
des pêcheurs basques qui résonnait au premier
acte.
Cette vivante et fiévreuse action a été rendue
avec une fièvre et une vie sans pareilles par M. Sa-
lignac, qui s'est taillé, dans cette création du per-
sonnage de Jacques, un succès des plus flatteur et
des plus mérité. Ah! s'il avait la voix aussi pure
et aussi ferme que son tempérament est ardent, son
jeu juste et personnel, son intelligence constam-
ment en éveil ! Ce serait un vrai Saléza ! M1Ie Fri-
che a été très vraie aussi et pleine de chaleur dans
Marie-Anne, et M. Vieuille d'une excellente et
ferme sobriété dans Jean-Pierre. Les moindres
rôles n'ont pas été moins bien tenus : c'est Mlle Co-
cyte dans Madeleine, la mère, ce sont MM. Car-
bonne et Billot dans deux des camarades de Jac-
ques... Décor très exact de M. Jambon, figurant
le quai des bateaux de pêche deSaint-Jean-de-Luz,
devant le fort de Socoa. C'est M. Ruhlmann qui,
d'une main pleine d'autorité, a conduit l'excellent
orchestre à la victoire.
La première représentation des Pêcheurs de Saint-
Jean a été précédée, comme lever de rideau, de
celle de la Coupe enchantée de M. Gabriel Pierné.
On sait que cette comédie en un acte, en prose —
en prose très savoureuse, — a été représentée voici
plus de deux siècles sous le nom de Champmêlé,
mais se trouve aussi dans les œuvres de La Fon-
taine, parce qu'il est probable que le fabuliste y a
mis la main. M. Matrat, qui a rimé les parties
mises en musique par le compositeur, a respecté
scrupuleusement, sauf quelques coupures, le texte
original, dans lequel les morceaux s'insèrent fort
heureusement et en général comme une continua-
tion du dialogue plutôt qu'une superposition. La
partition (j'ai dit qu'elle date de dix ans) a subi
aussi quelques coupures, qu'on ne regrette pas à
la scène, où l'anecdote doit être vivement menée
pour garder son originalité piquante; la jolie édi-
tion qu'on en a faite permet de rétablir au piano les
morceaux manquants.
Cette anecdote, on s'en souvient sans doute;
elle est double : la coupe enchantée d'abord, qui
a le privilège de laisser échapper ce qu'elle con-
tient, si le buveur est trompé par sa femme ; puis
le petit jeune homme élevé à l'abri de tous regards
indiscrets, qui ne sait même ce que c'est qu'une
femme et que stupéfie et enchante la vue soudaine
de la fille du châtelain voisin, qui s'est enfuie avec
sa suivante pour éviter l'époux qu'on voulait lui
imposer. Comme personnages, plus ou moins
comparses : le père de la jeune Lucinde et son
beau-frère, qui se querellent et que l'essai de la
coupe réconcilie dans une même infortune; le pré-
cepteur Josselin, qui a grand'peine à retenir son
jeune poulain échappé, Lélie; le jardinier Ber-
trand, qui cache argent comptant les donzelles en
escapade; Anselme, le père de Lélie et le proprié-
taire de la coupe ; enfin, le fermier Thibaud, le plus
malin de tous, qui refuse tout essai de la coupe : ce
n'est pas qu'il craigne, mais il est heureux sans
cela; pourquoi se mettre martel en tête? Et c'est
sur cette philosophie, recommandée en exemple
aux spectateurs, que baisse le rideau.
L'œuvrette de M. Gabriel Pierné est aussi
agréable qu'adroite, et tout à fait dans la note du
sujet. Il a su éviter les développements abusifs, et
trouver des rythmes amusants pour souligner le
piquant des .situations et la gaité des répliques;
il a su en même temps n'être pas trop moderne
dans son style. Je citerai, après le prélude et le
petit trio du jardinier et des deux femmes, la
chanson du fermier, au joli tour ancien, et la
réplique du précepteur, motif de la coupe qui
reviendra plusieurs fois; puis la discrète chanson
du petit Lélie et sa scène, fine et harmonieuse, avec
870
LE GUIDE MUSICAL
Lucinde et Perrette, que bouscule soudain Josselin
tout effaré; enfin, le quintette d'hommes : la
dispute et l'essai de la coupe, conclus par une jolie
phrase du fermier de meilleur sens que ses maîtres.
Et l'interprétation aussi a été bien dans la note,
confiée à de vrais comédiens de répertoire, comme
MM. Allard, Delvoye, Gourdon, Mesmaecker,
Cazeneuve, auxquels Mlles Rachel Launay (Lu-
cinde), Dangès (Perrette) et Fairy (Lélie ; un début
ou à peu près, ces deux dernières) donnaient gra-
cieusement la réplique. Je loueiai surtout M. Allard,
dont on n'a pas si souvent l'occasion d'apprécier
les qualités solides et la voix ronde, et M. Caze-
neuve, fin diseur, dans Josselin et le fermier
Thibaud. H. de Curzon.
LA SEMAINE
PARIS
CONSERVATOIRE. — Envoi de Rome. -
M. Edmond Malherbe et M. Charles Levadé,
grands prix de 1899, ont fait les frais de l'audition
annuelle des envois de Rome qui a eu lieu le 21,
au Conservatoire. M. Malherbe s'est inspiré, dans
deux pièces symphoniques, de tableaux connus :
Y Amour sacré et Y Amour profane, de Titien, les Illu-
sions perdues, de Gleyre. La première a déjà
été entendue en public à l'Opéra. Elle com-
prend, naturellement, deux phrases parallèlement
développées, non sans habileté, et opposées d'une
manière heureuse. Mais l'orchestration est trop
touffue. Dans les Illusions perdues, il y a du charme,
des détails d'une agréable discrétion, mais aussi
pas mal de longueurs.
M. Levadé nous a paru mieux inspiré. Sa suite
pour chant et orchestre, Y Amour tfHéliodora, tirée
de Y Anthologie grecque, renferme trois ou quatre
mélodies d'une jolie et fine couleur, vraiment
expressives et soulignées d'harmonies assez person-
nelles. Mme Jeanne Raunay les a mises en valeur
de façon exquise. Le Psaume CXI est une page
assez développée, avec soli, chœur, orgue et
orchestre, mais descriptive, purement musicale et,
par endroits, intéressante de technique. On l'a
entendue avec plaisir — bien que le public de ces
auditions affecte une froideur tout officielle. Mlle
Lapeyrette a chanté deux des soli avec un contralto
d'un timbre charmant. Elle se sert très simplement
d'une bien jolie voix. F. G.
CONCERTS COLONNE. — Le cahier des
charges imposé par la ville de Paris, propriétaire
du théâtre du Châtelet. interdit à M. Colonne, lo-
cataire de la salle, d'y donner des concerts dits
« spirituels », même le Vendredi-Saint. On ne lui
défend pas la musique sacrée, mais on lui refuse
le droit d'indiquer sur les affiches et les pro-
grammes que les compositions promises sont reli-
gieuses : on redoute le mot, non la chose. Diman-
che dernier, veille de Noël, M. Colonne, fidèle à
ses engagements, n'a pas affiché un concert spiri-
tuel, il l'a donné tout de même sans froisser la
susceptibilité du Conseil municipal.
En effet, son programme était tout entier con-
sacré à des œuvres religieuses. Il commençait par
l'intermède symphonique de Rédemption, page
édifiante de César Franck qu'on ne s'est pas encore
lassé d'entendre. Venait le Chant des Bergers à la
crèche, de Liszt, avec son thème populaire, peu
édifiant celui-là, qui pourrait rappeler un air
vénitien qu'a varié autrefois Paganini sur les
quatre cordes de son violon. Un trio pour soprano,
ténor et baryton, extrait de Y Oratorio de Noël de
Saint-Saëns, a été bissé. M. Emile Baumann, dans
l'analyse qu'il a faite de ce fragment, dit que le
compositeur s'est livré à plein vol aux souffles
archangéliques qui gonflaient sa mélodie. « Le
chant du ténor arrondit sa courbe enlaçante ; il ne
laisse échapper qu'à demi l'exaltation dont il
surabonde : une force divine brûle de son contact
le cœur défaillant, présente mais inaccessible, et
c'est une simultanéité de liesse et de souffrance
que la strophe exprime magnifiquement... Par
une modulation en majeur, la splendeur s'épure,
l'extase plonge plus avant dans la source de son
rayonnement et s'y perd enfin, balbutiante, au fond
d'un suprême pianissimo. «Hélas! je m'y perds
aussi, le commentaire dépasse mon entendement
et celui, je le crains, du compositeur lui-même.
N'importe, le morceau, accompagné simplement
par la harpe et les cordes, de style gounodien, et
très bien chanté par Mlle Leclerc, MM. Plamon-
don et Daraux, a été infiniment goûté. Même
succès pour un aria de Bach et pour YEnfance du
Christ, dont on a redemandé le délicieux récit.
La seconde partie était réservée à l'alléluia du
Messie et au R-'quiem de Gabriel Fauré. Si le public
espérait entendre une œuvre luguble, terrifiante,
il a été complètement déçu. Ici, point de timbales
imitant le tonnerre, point du Tuba mirum aux quatre
orchestres de cuivres assourdissants, point de cris
LE GUIDE MUSICAL
871
ni de gémissements, mais une plainte résignée, une
prière qui serait un acte de confiance en l'indul-
gence divine. M. Camille Benoît, qui a rendu
compte de cette composition dans le Guide musical,
en août 1888, disait qu'elle conviendrait aux funé-
railles « spirituelles » d'une belle jeune fille de
haute race. « Voilà bien, ajoutait-il, la musique à
chanter le jour où la patricienne mourrait au monde
en prononçant ses vœux, lis fier, lis sans tache,
offert à l'Epoux mystique. » L'impression est char-
mante et toute jolie ; la nôtre diffère un peu de
celle de notre confrère; mais je ne saurais la tra-
duire en poète comme lui.
Les œuvres de Fauré seraient, j'imagine, celles
qui auraient plu entre toutes à un être nativement
pieux et devenu à demi croyant, la piété sans la foi
entière n'étant pas rare de nos jours. La volupté
du doute aurait préoccupé son esprit sans troubler
son cœur, un peu d'ironie philosophique et beau-
coup de bonté chrétienne lui auraient fait une
existence sans grande illusion, mais heureuse et
calme. L'âme trop haute pour croire à la malice
durable des hommes et à la vengeance éternelle
de Dieu, il aurait quitté la terre, regrettant les
belles œuvres de la nature et celles de l'esprit
humain qui étaient le charme de sa vie, ne se pleu-
rant pas, déjà consolé par l'espérance, presque la
certitude, d'un au-delà libre, plein de lumière, de
justice et de sérénité.
Quelle autre musique que le Requiem de Fauré
chanterait une telle vie?
Ecoutez l'Introït et le Kyrie : ce sont de lents
accords mélancoliques, point douloureux, soutenus
par les orgues, les altos et les violoncelles; les
violons se taisent, le moment n'est pas venu de
les faire entendre, ils changeraient la sonorité
grave de l'orchestre. L'Offertoire est un adagio un
peu moins lent que le précédent ; la prière Hostias
et ftretis, avec son accompagnement d'un dessin si
pur, est comme le présage de l'affranchissement
prochain de l'âme ; les liens de la terre la ratta-
chent encore, mais bientôt rien ne la retiendra
plus. Sur les arpèges des harpes et un chant des
violons en sourdine s'élève un Sanctus doux et
mystérieux; à peine si quelques cuivres soulignent
huit mesures de YHosanna ; c'est l'au-delà entrevu,
mais pas encore atteint. Vienne le Pie Jesu, un an-
dante pour soprano, et le doute s'évanouira, tant
la mélodie en est unie et tranquille. La. teinte
orchestrale de YAgnus Dei est plus colorée, le mou-
vement plus accentué ; la fin du morceau est mar-
quée par le retour du mode mineur initial du
Requiem, dernière trace du lien terrestre ; et après
un Libéra, où le Dies ira n'est pas très effrayant,
jour de colère par avance plein de mansuétude,
l'âme, délivrée à jamais, entre enfin dans la Jéru-
salem céleste.
Mes chers amis, quand je mourrai,
Chantez le Requiem de Gabriel Fauré.
Julien Torchet.
CONCERTS LAMOUREUX. — Festival
wagnérien, avec un programme superbe, analogue
d'ailleurs à celui de l'année dernière et rehaussé
de même par la présence de M. Ernest Van Dyck,
qui s'est surpassé. Il paraît que ce fut fort beau;
mais le Guide musical, n'ayant pas été invité, n'en
peut parler que par ouï-dire.
CONCERTS EDOUARD R1SLER. —L'au-
dition intégrale des trente- deux sonates pour piano
de Beethoven s'est achevée triomphalement le
samedi 23 décembre. « Là, et seulement là, dit
Berlioz, n'ayant plus en vue un auditoire nom-
breux, le public, la foule, Beethoven semble avoir
écrit pour lui-même, avec ce majestueux abandon
que la foule ne comprend pas et que la nécessité
d'arriver promptement à ce que nous appelons
« l'effet » doit altérer inévitablement. Là aussi, la
tâche de l'exécutant devient écrasante, sinon par
les difficultés de mécanisme, au moins par le
profond sentiment, puis la grande intelligence que
de telles œuvres exigent de lui; il faut de toute
nécessité que le virtuose s'efface devant le compo-
siteur comme fait l'orchestre dans les symphonies;
il doit y avoir absorption complète de l'un par
l'autre ; mais c'est précisément en s'identifiant de
la sorte avec la pensée qu'il nous transmet que
l'interprète grandit de toute la hauteur de son
modèle. »
Cette belle et noble tâche, M. Risler l'a remplie
avec un talent et une conscience admirables. Dans
les neuf séances qu'il a données à la salle Pleyel,
il n'a pas eu une seule défaillance, une seule fai-
blesse, et jamais il n'a sacrifié la musique à la vir-
tuosité : rare exemple qui montre en lui un grand
et sincère artiste. A peine s'étaient achevées les
dernières mesures de l'ultime sonate en ut mineur,
qu'une formidable acclamation l'a salué et récom-
pensé de ses efforts ; le public a envahi le foyer et
tenu à lui renouveler ses ovations ; on lui serrait
les mains et, chose touchante, l'émotion était telle,
qu'on ne trouvait à lui dire que ce mot : Merci,
merci !
Les auditeurs, ne sachant comment lui exprimer
\
872
LE GUIDE MUSICAL
leur reconnaissance, ont offert à Mlle Elisabeth
Risler, un bébé de trois mois, les sonates de Beet-
hoven superbement reliées, précieux souvenir sur
lequel la jeune fille lira plus tard, non sans un
légitime orgueil, les signatures des admirateurs de
son père, et, en tête, celle de M. Louis Diémer, le
digne maître d'un tel élève.
En terminant, je tiens à signaler les notices de
M. Charles Malherbe qui accompagnaient le pro-
gramme de chaque concert. Les auditeurs les
auront sans doute conservées et réunies ; les ren-
seignements qu'elles donnent sur la genèse des
sonates de Beethoven sont du plus vif intérêt, et,
comme notre érudit confrère écrit avec élégance,
on aura grand plaisir non seulement à les consul-
ter, mais à les relire. J. T.
&
SOCIÉTÉ PHlLHARflONIQUE. — Tous
les artistes, qui se firent entendre le 19 décembre
sont particulièrement intéressants. M. Ernesto
Consolo, qui déjà auparavant m'avait paru pos-
séder de très rares qualités, joue du piano en
véritable musicien : chez lui, rien n'est emphatique,
rien n'est étriqué. Aucune concession à la virtuo-
sité; les couleurs sont toujours justes, chaque idée,
chaque épisode est à sa véritable place. La
technique de M. Consolo est d'ailleurs de premier
ordre. On aurait vivement désiré que cet excellent
artiste fût resté plus longtemps au piano : il n'a
malheureusement joué, en solo, que la fantaisie
en fa mineur de Chopin.
Un peu écourté aussi, ce soir-là, le rôle de
l'admirable chanteur Charles Clarke, qui, après
deux Lieder de Brahms et un de Schumann,
interpréta de façon extrêmement sincère La Vague
et la Cloche de M. Henri Duparc (j'eusse voulu
pourtant un peu plus de vivacité à l'épisode de la
cloche).
M. Clarke est un des très rares artistes étrangers
qui s'intéressent à la musique française d'aujour-
d'hui. Il faut l'en féliciter hautement.
Elle est souvent un peu oubliée, cette musique
française, par le quatuor Hayot, qui s'intitule
« Quatuor de Paris » et qu'on a bien trop rarement
l'occasion d'entendre en public dans la capitale
marraine. Et c'est grand dommage : d'abord parce
que les exécutions de ce quatuor sont d'habitude
merveilleuses, et on s'accommoderait fort d'appré-
cier tant de qualités dans de belles œuvres mo-
dernes; ensuite parce que, quand le quatuor
Hayot va en Allemagne, cela permet à telle
feuille gallophobe de s'écrier — à ce que m'ap-
prend un prospectus distribué à l'entrée : « Ces
quatre-là savent très bien que la musique de cham-
bre idéale (sic) ne vit qu'en Allemagne! » Je
présume que ces quatre-là, en musiciens avertis qu'ils
sont, ne « savent » rien de pareil, mais « savent »
tout bonnement qu'une grande majorité du public
allemand se croirait déshonorée de prendre au
sérieux la musique française.
Tout cela, d'ailleurs, n'empêche pas MM. Hayot,
André, Denayer et Salmon d'avoir joué un quatuor
de Haydn, un de Beethoven et (avec M. Consolo)
un quintette de Brahms de manière tout à fait
remarquable. M.-D. Calvocoressi.
— La séance donnée le 18 décembre, à la salle
des Agriculteurs, par le Quatuor Luquin et M. G.
de Lausnay a obtenu un beau succès, par le choix
des œuvres inscrites au programme et l'excellence
de l'interprétation.
Deux auteurs alternaient : Grieg et César
Franck.
Du premier, nous avons entendu un quatuor de
forme exquise, très mélodique, très coloré, avec de
belles envolées romantiques à la Mendelssohn, que
rehausse une note, une facture pittoresque, puis
une sonate de violoncelle, d'allure très indépen-
dante et de style varié, où M. Richet a fait applau-
dir un joli son et des oppositions charmantes. Mais
si intéressante que soit la personnalité du maître
norvégien, le parallèle était terrible pour lui à
côté d'un partenaire comme César Franck, dont
la belle sonate de piano et violon — si connue
aujourd'hui — s'imposait dès le début, sous l'ar-
chet souple et nerveux de M. Luquin. Quant au
quintette du maître pour piano et cordes, une
œuvre qui date de vingt-cinq ans et qui, au début,
parut presque impénétrable, elle est aujourd'hui
d'une adorable limpidité et son chromatisme n'a
plus rien qui désoriente : l'art des modulations s'y
déroule dans toute sa séduction. Ce n'est plus la
phrase de Beethoven, c'est une autre conception,
qu'un génie comme C. Franck pouvait seul
imposer.
Ce qu'il faut louer par dessus tout dans cette
exécution, c'est la précision, le fondu des nuances
de la part des quatre instrumentistes MM. Luquin,
Dumont, Roellens et Richet, et spécialement la
maestria, le style sur et le goût excellent avec
lesquels M. de Lausnay a tenu la partie de piano
si chargée, si ardue, aussi bien dans la sonate que
dans le quintette. A. Goullet.
— La deuxième matinée musicale et populaire
de l'Ambigu n'a pas eu moins de succès que la
première. Grâce à M. Luigini, directeur artistique
LE GUIDE MUSICAL
873
de ces concerts, les chanteurs et cantatrices les
plus célèbres de nos scènes lyriques prêtent et as-
surent leur concours gracieux, en sorte que le
petit public peut entendre, à un prix minime, de la
musique excellente excellemment interprétée. Le
mercredi 20 décembre, il a eu la joie d'applaudir
Mme Raunay dans des mélodies de L. Moreau, de
Giordani et de Franck; Mme Lucy Vauthrin, qui
a chanté deux compositions d'Henri Bùsser et
« Mon cœur soupire » avec un style exquis de
simplicité et de grâce; enfin, M. Léon Beyle, bissé
après l'air de la lettre de La Tosca, qu'il a dit avec
beaucoup d'expression et de chaleur, à la manière
italienne. Le Quatuor Soudant, de fondation en ces
matinées, s'est fait applaudir, comme de juste,
dans des fragments de Mozart et de Mendelssohn
et dans la trop jolie et trop rebattue Rêverie de
Schumann. J. T.
— La Société des Instruments anciens nous
invitait, le 18 décembre, à assister, salle Pleyel, à
une matinée intime donnée en l'honneur du chef
d'orchestre russe M. Safonoff. On voulait lui faire
connaître une phalange d'artistes rares et aussi
une famile d'instruments peut-être ignorés dans
son pays, tels que le quinton, la viole d'amour, la
viole de gambe et le clavecin. Il a vivement
applaudi un divertissement de Mouret, une sym-
phonie de Bruni, un ballet de Monteclair (dont un
numéro, le Tambourin, est d'une amusante gaîté) et
surtout une sonate de Borghi, moins pour la valeur
de la musique que pour le mérite des interprètes,
M. Henri Casadesus, un délicieux virtuose sur la
viole d'amour, et M. Edouard Nanny, le roi de la
contrebasse depuis que M. Emile de Bailly a
abdiqué et lui a remis son sceptre, je veux dire son
archet. A l'issue du concert, M. Safonoff a félicité
chaleureusement ces deux artistes, ainsi que Mme
Casadesus-Dellerba, MUe Marguerite Delcourt et
M. Marcel Casadesus. J. T.
— La dernière matinée mensuelle de Mme Co-
lonne était donnée en l'honneur du maître Gabriel
Fauré, qui avait bien voulu accompagner ses
œuvres. Au programme : Son premier quatuor pour
piano, violon, alto et violoncelle, dont le scherzo
spirituel et léger rappelle la finesse élégante de
Mendelssohn, et l'adagio la profondeur beetho-
vénienne, et plusieurs mélodies vocales, parmi
lesquelles je citerai Tristesse, dite avec un grand
sentiment par Mme Boyer de Lafory; Mandoline,
d'un tissu délicat, qu'on a fait bisser à Mlle d'Espi-
noy, et Automne, celle que je préfère à cause de
son expression dramatique et de la belle interpré-
tation qu'en a donnée Mlle Demellier, la nouvelle
Louise de l'Opéra- Comique. La première partie
était réservée à la musique classique, chantée
parfois avec timidité, mais toujours avec intelli-
gence, par M1Ies Leblanc, Arly et Méray.
J- T.
— CM va piano, va sano. Ce proverbe italien
semble la devise des Concerts Clémandh, qui se
sont produits d'abord avec si peu de réclame, et
que leurs succès croissants semblent mener désor-
mais vers une pleine réussite. J'aî encore à noter
une bonne et très intéressante matinée de quin-
zaine(jeudi 21 décembre). L'élément capital, à mon
sens, y a été l'exécution, absolument supérieure,
du violoniste A. Bachmann, qui a rendu avec un
style superbe une admirable Aria de Bach, et
déployé une rare et surprenante virtuosité dans
une Jota aragonesa de sa composition, morceau
d'ailleurs agréable, mais dont la fantaisie faisait un
curieux contraste avec l'œuvre sévère du vieux
maître. Succès encore pour M. Mozkowski, qui
a dirigé divers morceaux de son œuvre : le prélude
de Boubdil, page d'un beau développement et
savamment écrite, une jolie Marche des nains, du
ballet Taurin, et une ballade (violon : M. A.
Bachmann).
Succès toujours et rappel de l'auteur sur la scène
pour le poème symphonique, L 'Extinction des feux,
impressions de caserne, de M. Tiarko Richepin, où
l'idée musicale est faible, mais la mise en œuvre
adroite et pittoresque. Le compositeur est un
jeune fils de M. Jean Richepin, qu'on a dénommé
Tiarko à un âge où il était sans doute trop jeune
pour se défendre. On a applaudi aussi des mélodies
intéressantes de C. Carissan (lisez : Madame),
bien interprétées par Mlle Broquin d'Orange, et
l'ouverture de Roland, de M. Lefèvre-Derodé, et
fait enfin un chaleureux accueil à l'orchestre, qui,
outre les morceaux que j'ai nommés, a vivement
enlevé la Marche trpyenne de Berlioz et le beau
prélude-marche de la Déjanire de Camille Saint-
Saëns. J. G.
— Aux « Soirées d'art », jeudi dernier, succès
énorme pour le Quatuor Capet dans le « douzième »
de Beethoven. Ces vaillants artistes se sont sur-
passés dans cette exécution si périlleuse, si déli-
cate, qui sous leurs archets paraît d'une clarté et
d'une simplicité surprenantes; j'ai particulièrement
apprécié la belle tenue rythmique du majestueux
adagio, avec cette cadence tranquille et réservée qui
forme, au milieu de ce morceau grandiose, comme
un souvenir de gaîté calme. Très intéressante
874
LE GUIDE MUSICAL
aussi, la fougue à la française du scherzando et du
finale.
Mlle Marguerite Long a joué les variations pour
piano en ut mineur de Beethoven et une étude en
forme de valse de Saint-Saëns avec une délica-
tesse et un charme parfaits. M1,e Doerken possède
une voix bien timbrée qu'elle conduisit avec beau-
coup de douceur dans un air de Hasndel, des mé-
lodies de Saint-Quentin et de Chabrier. Ch. C.
— Au concert Le Rey, dimanche, M. de Léry
faisait ses débuts comme chef d'orchestre en
public, car déjà et depuis longtemps cet excellent
musicien s'était exercé à manier le bâton et à
diriger en petit comité. Il s'est montré à la hauteur
de sa tâche et d'une correction très satisfaisante.
Au même concert, M. Sporck a fait applaudir un
poème symphonique sincèrement écrit.
— Le prochain concert avec orchestre de la
Société J. -S. Bach aura lieu le mercredi 17 jan-
vier (répétition publique le 16) avec le concours du
célèbre ténor allemand Georg Walter. Au pro-
gramme (ire audition à Paris), la cantate Ich armer
Mensch pour ténor solo, la cantate Nun homm der
Heides Heiland pour soli et chœurs, un Geistlicher
Lied et le concerto en la mineur pour piano, flûte
et violon.
— Le Quatuor vocal français, composé de Mlle
Mary Pironnay, soprano, Mme Marthe Philip, con-
tralto, M. Délit, ténor, M. Gibelin, basse, et fondé
par M. Paul Landormy, professeur d'histoire de la
musique à l'Ecole des Hautes Etudes sociales, a
donné les i5, 17 et 19 décembre, à Venise et à
Milan, quatre auditions consacrées à l'école fran-
çaise ancienne et moderne; au programme, les
noms de nos plus notables contemporains : Fauré,
Vincent d'Indy, Chausson, Duparc, Massenet, De-
bussy, celui d'un jeune musicien de talent, Paul
Locard, celui d'un grand compositeur depuis long-
temps disparu, Castillon, sans parler des ancêtres :
Jannequin, Costeley, Charpentier, Rameau. Un
excellent essai de propagande artistique, tout au
bénéfice de l'art français.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. —
Une excellente reprise de Werther est venue com-
pléter le répertoire déjà si varié et si fourni du
théâtre de la Monnaie. Cette captivante partition,
l'une des plus soignées et des mieux inspirées de
Massenet, ne supporte pas la médiocrité, en raison
même de la délicatesse très étudiée des sentiments
poétiques autour desquels elle évolue, et c'est ce
qui la rend d'une exécution à la fois si difficile et si
ingrate. Cette fois, en Mme Gianoli-Bressler, la
direction de la Monnaie, a eu l'heureuse fortune
de rencontrer une vraie Charlotte, enjouée,
vivante, passionnée et cependant chaste, qui
met ce rôle délicat dans toute sa valeur; et le
Werther plein de feu de M. Léon David, l'Albert
correctement cordial et froidement cruel, de M.
Decléry, la souriante Sophie de Mlle Korsoff, enfin
le bailli jovial de M. Belhomme, forment autour
des deux figures principales un groupe attentif et
bien caractéristique de physionomies diverses joli-
ment dessinées. Avec des choeurs et un orchestre
bien au point sous la direction souple de M. Rasse,
l'ensemble a obtenu un succès retentissant. Ce
Werther est l'un des plus complets et des meilleurs
que l'on ait eus à Bruxelles.
Il n'y a plus à parler à'Armide. C'est un succès
sans précédent à Bruxelles, qui commence à se
repercuter au dehors. Aux représentations de cette
semaine on a pu remarquer de nombreux étrangers,
dont beaucoup de Parisiens, de Lillois et de
Hollandais, qui ne marchandaient pas l'expression
de leur admiration. Le nombre des personnes qui
n'ont pu trouver place est incalculable. Fort heu-
reusement on assure que l'œuvre sera maintenue à
l'affiche avec Mme Litvinne, la grande artiste ne
pouvant pour le moment songer à partir pour
Saint-Pétersbourg.
On travaille très activement aux répétitions des
Noces de Figaro, qui seront données en spectacle de
gala pour le Cercle artistique et littéraire, sous la
direction de M. Fritz Steinbach, le 27 janvier pro-
chain, à l'occasion du cent-cinquantième anniver-
saire de la naissance de Mozart.
On répète aussi très sérieusement la Damnation
de Faust de Berlioz.
CONCERT DU CONSERVATOIRE. —
Poursuivant son plan de révélation de l'œuvre de
J.-S. Bach, M. Gevaert a inscrit au programme de
son premier concert une des cantates d'église du
maître tout récemment traduites par M. Antheu-
nis : « Liebster Gott, wann werd' ich sterben ? »
(XVIe dimanche après la Trinité). On a fait de ce
titre « le Chrétien mourant ». Or, il s'agit ici des
sentiments de résignation, d'espérance et de foi de
l'âme chrétienne méditant sur la mort, bien plus
que de la scène d'agonie que semble évoquer cet
intitulé français. De fait l'œuvre se tient dans une
note exquise de sérénité : point de clameurs tra-
LE GUIDE MUSICAL
&7$
gïques, d'appels angoissés, de fulgurants Dies ira;
tout y est confiance et paix ; et la « crainte insépa-
rable » même y revêt l'aspect du plus tendre aban-
don. Cette mentalité, poétiquement religieuse, se
révèle dès le prologue, une merveille d'inspiration
mélodique et sonore : les pizzicatos du quatuor et
les discrètes interventions de la flûte ponctuent le
dialogue des hautbois qui se renvoient une phrase
d'une pénétrante suavité; et dans cette atmos-
phère immatérielle, la voix du chœur intervient en
quelques versets profondément expressifs. Vien-
nent ensuite, entrecoupés par deux récits, un air
de ténor avec hautbois d'amour, un air de basse
avec flûte, un choral final d'une haute mysticité.
La lettre et l'esprit de cette œuvre attachante
furent excellemment rendus par les instrumentistes
et les chanteurs : M VI. Laffitte et Seguin, M11"3 La-
tinis et Lecluyse, M. Guidé, qui a phrasé avec une
ampleur magistrale les longues mélodies confiées
au hautbois d'amour, et M. Anthoni, styliste de
goût pur et de sonorité délicate.
La neuvième symphonie réapparaît au Conser-
vatoire à intervalles périodiques de trois ou quatre
ans ; elle a été accueillie dimanche avec une faveur
d'autant plus grand qu'elle a bénéficié d'une inter-
prétation particulièrement vibrante. L'orchestre et
les chœurs sont arrivés maintenant à la pénétra-
tion intime du caractère et du style de l'œuvre
grandiose entre toutes ; et il semble qu'au contact
de celle-ci, M. Gevaert puise un perpétuel renou-
veau de jeunesse, de verdeur et d'entrain. Il a con-
duit le finale avec un élan chaleureux où la noblesse
et l'enthousiasme s'unissaient dans le pur rayonne-
ment de cette sublime expression de la Joie uni-
verselle.
Mlle9 Silva et Flament, M VI. Laffitte et Seguin,
qui constituaient le quatuor solo, ont largement
contribué au succès de cette glorieuse matinée.
G. S.
— Une touchante manifestation a eu lieu au
Conservatoire, jeudi après-midi, en l'honneur de
Mlle Marie Tordeus, professeur de solfège supé-
rieur, qui prend sa retraite après quarante-cinq
années de professorat.
Après un discours de M. Gevaert, Mlle Tordeus
a annoncé qu'elle crée un prix pour les élèves de
son ancienne classe, à la tête de laquelle elle sera
remplacée par Mme Labbé-Césarion.
— La société des Concerts Ysaye s'apprête à
fêter le dixième anniversaire de sa fondation
(5 janvier 1896).
A cet effet, un concert extraordinaire sera donné
au théâtre de l'Alhambra les 13-14 janvier pro-
chain, avec le gracieux Concours des anciens
élèves et collaborateurs de M. Eug. Ysaye ainsi
que de MM. Jacques Thibaud, Arthur De Greef et
G. Guidé.
Au programme : 1. Fantaisie angevine (G. Lekeu);
2. Concerto pour piano et orchestre (Théo Ysaye),
soliste : M. A. De Greef; 3. Symphonie en ré
mineur (C. Franck), soliste : M. G. Guidé;
4. a/ Chant d'hiver, poème n° 2 (E. Ysaye); b/ Ca-
price d'après Saint-Saëns (E. Ysaye), soliste :
M. J. Thibaud ; 5. Entr'acte de Jean Michel (Albert
Dupuis).
\£>
CORRESPONDANCES
BRUGES. — Notre ville s'est éveillée un peu
tard, cet hiver, au mouvement musical.
Comme début, nous avons eu, le lundi n, la pre-
mière séance de musique de chambre, donnée par
le Quintette brugeois (M. Van Dycke, au piano,
avec MM. Vanderlooven, De Busschere, De la
Rivière et De Vlamynck). Nous avons entendu
d'abord le troisième quatuor pour archets de
Robert Schumann et le quintette avec piano de
Dvorak, dont le mouvement lent, Dumka, avec ses
.thèmes populaires russes, a particulièrement
charmé l'auditoire. Exécution d'ailleurs fort méri-
toire.
Entre ces deux ensembles étaient intercalés
quelques Lieder de Schubert, de Hahn et de
Brahms, chantés avec goût par Mme Myriel
Stevens.
Mercredi dernier, c'était le premier concert du
Conservatoire, donné, comme de coutume, devant
une salle très bien garnie. L'orchestre, dirigé par
M. Karel Mestdagh, a donné une bonne exécution
de l'ouverture de Fidelio, du sixième concerto
grosso de Hsendel, et de la grande symphonie en
«^ majeur de Mozart, la troisième de cette admira-
ble triade composée à Vienne durant l'été de 17SS,
et qui forme le splendide couronnement de l'œu-
vre symphonique du maître de Salzbourg.
Le réputé baryton danois, M. Louis Frcelich,
avait assumé la partie vocale du concert. Il a
donné d'abord, en toute ampleur de style, le grand
air d'Elie, puis une admirable sélection de mé-
lodies : Du bist die Rith et le tragique Gruppe ans
dem Tartarus de Schubert; W aldesgespràch et Ich
grolle nicht de Schumann ; So willst du des Armen et
Von eiviger Liebe de Brahms, tout cela chanté avec
LE GÙIbË MUSICAL
une beauté d'expression, une justesse d'accent qui
dénotent en M. Frœlich un excellent musicien.
Aussi a-t-il remporté un succès énorme, partagé
par le jeune et brillant pianiste M. Joseph Van
Roy, qui a accompagné les Lieder de M. Frœlich
avec beaucoup de talent.
Pour finir par un peu de musique be]ge, M. Ka-
rel Mestdagh a donné l'ouverture de Charlotte
Corday de Peter Benoit, exécutée avec un grand
souci de rendre les intentions psychologiques de
cette page grandiloquente. Le concert s'est ainsi
terminé fort brillamment. L. L.
LA HAYE. — La Société pour l'encourage-
ment de l'art musical vient de donner à Rot-
terdam, sous la direction de M. Anton Verhey,
avec l'orchestre communal d'Utrecht, une exécu-
tion superbe de l'admirable Oratorio de Noël de
Jean-Sébastien Bach, avec le concours de quatre
solistes de tout premier ordre, Mlle Anna Rappel,
Mme de Haan-Manifarges, le baryton Messchaert
et le ténor Walter, de Dùsseldorf, chanteur du plus
grand mérite, qui a fait une très bonne impression.
A La Haye, la même société donnera prochai-
nement une première exécution des Sept Paroles du
Christ du compositeur suisse Gustave Doret.
Nous avons eu à La Haye le concert annuel de
la société royale de chant d'ensemble Cecilia,
sous la direction de M. Henri Vôllmar. Ce fut un
nouveau triomphe pour Mlle Julia Culp, qui a trans-
porté le nombreux auditoire par la perfection avec
laquelle elle a chanté des Lieder de Brahms, Hugo
Wolf, Cor Kuiler et, avec la chorale de Cecilia,
une ravissante sérénade de Schubert. Le pro-
gramme comportait aussi un chœur fort bien écrit
du directeur de Cecilia, Immortalité,
Notre concitoyenne Mlle Tilly Roenen a donné
son concert annuel dans la grande salle du
Gebouw voor Runst avec le Residentie Orkest,
sous la direction de M. Henri Viotta, devant la
reine Wilhelmine et le prince consort. Notre char-
mante contralto, qui n'a chanté que des morceaux
avec orchestre, a eu son succès habituel.
Nous avons en perspective un concert sensa-
tionnel qui sera donné avec le concours du jeune
et déjà célèbre compositeur Max Reger, de Mu-
nich, et entièrement consacré à ses œuvres, et de
MM. Angenot, Benedictus, Hekking et Wirtz.
A l'Opéra royal français, la reprise de Louise, de
Charpentier, a eu le même succès que les deux
années précédentes ; Mlle Caux a été vivement
applaudie dans le rôle principal.
On a mis à l'étude La Reine Piamette de LeroUx, et
on promet les reprises de Henri VIII de Saint-
Saëns, de La Tosca de Puccini et de M essaime de
de Lara- Ed. de H.
IYON. — Le Quatuor Hayot a donné, jeudi
J 14 décembre, avec la superbe maîtrise que
l'on sait et le succès que l'on devine, le quatuor
en ut de Mozart, le septième de Beethoven et celui
de M. Debussy, qui, placé entre les deux grands
« classiques » a plutôt surpris l'auditoire; néan-
moins, les Lyonnais ont été tout étonnés « de si
bien comprendre la musique moderne... »; très
contents d'eux, ils devaient l'être plus sûrement
des exécutants.
Deux nouveaux virtuoses qui prennent rang, et
un bon rang, dans la liste si longue des succès
espérés : M. Chanel, élève de M. Rinuccini, fait
preuve avant tout d'une autorité et d'une maîtrise
fort remarquables. Mlle Poulet nous revient di-
plômée de Berlin et, ce qui est plus appréciable,
douée d'un mécanisme et d'une fougue endiablée.
Il paraît d'ailleurs que les deux virtuoses vont
entreprendre une tournée qui leur promet, à notre
sens, un beau succès. Le programme comportait
vendredi : la Sonate à Kreutzer, la sonate de Franck
et diverses pièces de Beethoven, Chopin, Liszt,
Wieniavv^ki, Svendsen, pour piano ou violon
seuls.
La quatrième « Heure de musique moderne »
de la Revue musicale a eu, samedi, un succès anor-
mal à Lyon. Mme de Lestang s'est révélée pianiste
hors pair en exécutant, avec un charme exquis,
diverses pièces inédites de Lekeu, Debussy,
Chausson, Ravel, etc. G. D.
NANCY. — Le théâtre de Nancy vient de
donner la première représentation de Messa-
line, de M. Isidore de Lara. Les musiciens n'ont
pas, bien entendu, accepté sans réserves la parti-
tion de M. de Lara : il leur aurait été difficile de
lui reconnaître des qualités de style et d'écriture
qu'elle n'a incontestablement pas, ni de trouver
aux idées mélodiques du compositeur une person-
nalité qui leur fait souvent défaut. Mais il leur a
fallu convenir que M. de Lara possède le sens de
l'effet théâtral.
L'interprétation de Messaline a été telle qu'on
n'osait pas l'espérer si complète. L'œuvre a été
montée avec un luxe de décors, de costumes et de
mise en scène, avec un déploiement de figuration
que n'avait jamais connus notre scène. C'est
Mme Croizat qui avait été engagée spécialement
pour créer le rôle de Messaline. Elle a séduit par
LE GUIDE MUSICAL
87?
le charme de sa voix, l'harmonie de sa plastique
et la beauté de ses attitudes. Elle chante avec une
grâce caressante, qui n'exclut pas la vigueur et
l'ampleur.
M. Breton-Caubet chantait le gladiateur Hélion.
Sa voix généreuse a sonné valeureusement, sans
jamais faiblir.
M. Mondaud, de son côté, dans le rôle d'Harès,
a été excellent.
Enfin, les rôles de second plan étaient fort bien
tenus par MM. Labriet, Harvel, Bourquier, et par
Mmes Virgitti, Gavelle, Mafféo et George.
Quand j'aurai félicité M. Alloo, dont l'orchestre
a contribué à donner à l'œuvre l'interprétation
colorée qu'il fallait, j'aurai rendu justice à ceux qui
ont coopéré à une des plus brillantes soirées qui
aient honoré notre scène. G. Boulay.
4
TOURNAI. — La première audition des
concerts de l'Académie de musique avait fait
l'objet de tous les soins de son directeur, M. N.
Daneau. Le programme en était très éclectique
et ne comportait que des œuvres de maîtres. De
Mozart, la symphonie en sol mineur; de Mendels-
sohn, Rny Blas, ouverture, et le Songe d'une nuit
d'été, où l'on a applaudi surtout Mlles Duchatelet et
Jadot dans les courts soli du chœur des Sylphi-
des, et l'excellent cor M. Mager dans le solo de
Validante tranquillo de la Foret enchantée; de Saint-
Saëns, l'Attente et la Fiancée du Timbalier, et de
César Franck, la Procession. Ces trois dernières
œuvres ont été interprétées avec une réelle vail-
lance par une cantatrice amateur, Mme Heide-
broeck-Roussel.
M. N. Daneau a tout lieu d'être satisfait du con-
cert de dimanche dernier. Nous lui souhaitons
grand succès à la première représentation de son
drame lyrique Linario, qui aura lieu à notre théâtre
le jeudi 4 janvier 1906. J. D. C.
YERVIERS. — La soirée de la distribu-
tion des prix aux lauréats de l'Ecole de mu-
sique se donnait au Théâtre le mercredi 20 cou-
rant. Elle a débuté par une audition de l'ouverture
du May d'amaur, opéra de M. F. Gaillard, œuvre
alerte et pimpante. M. Gaillard, que nous appré-
cions comme flûtiste de grande valeur, s'est affirmé
compositeur de talent.
Nous avons entendu ensuite iSo1/, comédie de
Adérer et Ephraïm, interprétée par les élèves du
cours de diction de M. G. Marsey. Interprétation
bien mise au point.
M. Martapoura, professeur de déclamation lyri-
que, a produit ses élèves dans le Maître de Chapelle
(Paër) et dans l'acte du jardin de Faust.
Mlle J. Tourneur fut enjouée et fine dans l'inter-
prétation du rôle de Gertrude du Maître de Chapelle,
et M. G. Simon paifait dans le rôle de Barnabe.
Mlle A. Chesselet, dans Marguerite, a fait preuve
d'un réel tempérament dramatique; M. J. Char-
pentier a bien chanté le rôle de Faust.
L'orchestre de l'Ecole a fourni de toutes ces œu-
vres une exécution très soignée.
Nous avons assisté vendredi 22 décembre, dans
la salle des Beaux-Arts, à une très intéressante
séance de musique de chambre organisée par
M. Alphonse Voncken avec le gracieux concours
de Mme Boland-Linck, pianiste, et de MM. J. Le-
jeune, violoncelliste, J. Bovy, violoniste, et
L. Voncken, altiste. L'admirable sonate en la de
César Franck fut interprétée par M. Alph. Voncken
et Mme Boland-Linck de façon à satisfaire les plus
difficiles : exécution colorée, vivante, dénotant une
compréhension complète de l'œuvre. Mme Boland,
pianiste amateur, s'est affirmée musicienne accom-
plie et artiste de goût, rompue aux difficultés de la
technique.
L'œuvre réconfortante qu'est le Irio en si bémol
de Beethoven, pour piano, clarinette et violon-
celle, nous fut présentée avec un rare souci artis-
tique. M. J. Lejeune a chanté avec âme les belles
phrases confiées au violoncelle, et M. Alphonse
Voncken a tenu avec autorité la partie de cla-
rinette.
Après une exécution d'un beau style du duo de
concert pour deux violons de Léonard par MM.
J. Bovy et Alph. Voncken, la séance se termina
par la Marche funèbre et Scherzo pour piano et
quatuor de R. Schumann, dont M. Voncken et ses
collaborateurs ont fourni une exécution bien homo-
gène et très soignée. E. H.
NOUVELLES
Carmen, le chef-d'œuvre de Bizet, est un des
opéras les plus populaires en Allemagne. Partout
où il y a un théâtre, un concert, ou seulement un
« biergarten », c'est-à-dire dans la moindre ville de
l'empire, on est assuré d'entendre la habanera, ne
fût-ce que transcrite pour cornet à pistons. Aussi
les Allemands, qui joignent à une nature incontes-
tablement poétique un sens très avisé des réalités
positives, s'intéressent-ils beaucoup à la question
8?à
Le guide musical
de savoir quand l*opèra de Bizet tombera dans le
domaine public.
La convention franco-allemande de i883 a limité
à trente ans (pour l'Allemagne) le privilège accordé
aux ouvrages d'auteurs défunts. Georges Bizet
étant mort en 1S75, certains capellmeisters émet-
tent la prétention de jouer gratuitement sa musique
à partir du Ier janvier 1906. On leur objecte que
Bizet n'est pas le seul auteur de Carmen, et que si
l'un des librettistes, Meilhac, a disparu comme lui,
le troisième collaborateur, M. Ludovic Halévy, est
encore, Dieu merci ! vivant, et bien vivant. Mais
les capellmeisters ne se tiennent pas pour battus ;
ils ont appelé à leur secours les juristes, et voici le
système qu'ont trouvé les juristes :
Un opéra n'est pas l'œuvre commune du poète
et du musicien ; ces deux artistes ne sont point, à
proprement parler, des collaborateurs. L'un fait le
livret, qui est une chose; l'autre, la partition, qui
en est une autre. Chacune de ces œuvres reste
distincte, autonome, garde ses destinées propres.
Si le musicien vient à mourir, peu importe que le
librettiste survive ; trente ans après la mort du
compositeur, la partition doit tomber dans le
domaine public. Le poète continuera de toucher
les droits d'auteur afférents au livret, mais les héri-
tiers du musicien n'auront plus aucun droit à pré-
tendre sur l'exécution de la musique.
On s'étonnera peut-être d'entendre soutenir dans
le pays de Wagner une doctrine si peu conforme
à la théorie wagnérienne. Rien n'est plus éloigné,
en effet, de cette union intime de la musique et des
paroles que rêvait l'auteur de Tristan. Mais les
Allemands répondraient à cela que Carmen n'est
pas une « œuvre d'art totale » et que Bizet n'a pas,
comme Wagner, pris soin d'être lui-même son
propre librettiste.
Mais les directeurs de théâtres allemands se sont
imaginé à tort que l'opéra Carmen tombait dans le
domaine public à partir du 1er janvier 1906, ils
viennent d'être détrompés par la maison d'éditions
Ahn, de Cologne, qui leur a fait parvenir la note
suivante :
« Les représentations de l'opéra Carmen ne pour-
ront avoir lieu qu'avec l'autorisation de l'éditeur
Paul de Choudens, de Paris, qui a acquis et repré-
sente les droits des auteurs, respectivement avec
la maison d'éditions Ahn, de Cologne, chargée
par M. de Choudens, à dater de ce jour, de la
sauvegarde des droits d'auteur dans les pays de
langue allemande.
Les traductions nouvelles ainsi que la reproduc-
tion de la partition et des textes existants sont
- également interdites. »
— Festivals de Munich 1906. — Les œuvres sui-
vantes de Richard Wagner seront représentées du
i3 août au 7 septembre 1906 au Prinzregententhea-
tre, à Munich : 5 fois les Maîtres Chanteurs de Nu-
remberg, 3 fois Tannhœuser et 2 fois Y Anneau du
Nibelung. Au Théâtre de la résidence, on donnera
six représentations des œuvres de Mozart du 2 au
12 août.
Pour renseignements, s'adresser à l'Agence géné-
rale bureau des voyages Schenker et Ce, Munich,
16, Promenadeplatz.
— Le comité qui s'était formé cette année pour
l'organisation de représentations modèles au théâ-
tre de Cologne, à l'initiative de Fritz Steinbach,
projette de donner du i5 au 3o juin prochain, une
seconde série de Festspiele. Nous avons rendu
compte des belles représentations de l'été dernier :
Fidelio, les Noces de Figaro, Tristan, les Maîtres
Chanteurs, Feuersnoth.
Le programme des festivités prochaines compor-
tera le Falstaffde Verdi, Lohengrin (dirigé par Stein-
bach), le Vaisseau fantôme; le Don Giovanni de Mo-
zart, sous la direction de Mottl, et probablement
la Salomé de Richard Strauss, sous la direction de
l'auteur.
— Le Wagner- Verein donnera à Amsterdam,
vers le i5-20 juin, deux représentations de Parsifal,
avec Mnie Litvinne en Kundry.
— La congrégation de charité de Bergame a
décidé de concourir pour une somme de 1,000 fr.
aux honneurs à rendre à la mémoire du compo-
siteur Alessandro Nini, à l'occasion du premier
centenaire de sa naissance et du 25e anniversaire
de sa mort. Nini, en effet, est né à Fano le
Ier novembre i8o5 et mort à Bergame en 1880,
d'où il résulte qu'il y aura quelque retard dans la
célébration de son centenaire. Cet artiste fort
estimable, qui commença à écrire dès l'âge de
quatorze ans, a fait représenter un certain nombre
d'opéras : Ida detti Torre, la Marcscialla d' Ancra,
Crisiina di Svezia, Margherita di York, Odalisa, etc.
Mais c'est surtout comme compositeur religieux
qu'il s'acquit, il y a un demi-siècle, un véritable
renom, après avoir été passer quelques années à
Saint-Pétersbourg, où il avait formé une école de
chant italien. De retour dans sa patrie, il devint
maître de chapelie de la basilique de Sainte- Marie-
Majeure de Bergame, pour laquelle il écrivit
nombre de compositions religieuses, parmi les-
quelles un Requiem pour quatre voix et orchestre
qui est considéré comme une œuvre hors ligne.
LE GUIDE MUSICAL
879
— L'opéra du maître flamand Jan Blockx, Prin-
cesse d'auberge, a été représenté avec beaucoup de
succès le 3 décembre dernier à Bois-le-Duc. et les
jours suivants à Bréda, par la troupe de l'Opéra
flamand d'Anvers.
— Comme en France, les conservatoires de-
viennent insuffisants en Italie pour le nombre des
élèves qui voudraient y trouver place. Au Conser-
vatoire de Milan, où les examens d'admission
viennent de se terminer, il ne s'est pas présenté,
pour les seules classes de chant, déclamation,
piano, violon et violoncelle, moins de 1,007
aspirants pour n3 places vacantes dans les classes.
Voici les chiffres pour chaque branche d'étude :
Chant, 104 hommes, 168 femmes, 42 admis. —
Déclamation, i33 hommes, 145 femmes, 21 admis.
— Piano, 27 hommes, 223 femmes, 8 admis, 23
admises. — Violon, 117 hommes, 48 femmes,
14 admis. — Violoncelle, 37 hommes, 5 admis.
— A Elberfeld et dans la ville voisine de Solin-
gen, M. Hirsch, directeur de la musique royale et
chef d'orchestre, a organisé un concert instrumental
et choral pour faire entendre des œuvres popu-
laires se rattachant à la fête de Noël. C'est un véri-
table concert historique dont il a pris l'initiative et
dont il répétera sans doute le programme dans
plusieurs villes. Exemple à suivre.
BIBLIOGRAPHIE
Raymond Bouyer, Le Secret de Beethoven. Paris,
Fischbacher ; gr. in-8° avec quatre portraits et
une gravure.
M. R. Bouyer est un amoureux d'art, d'art sous
toutes ses formes : avec lui, tous les arts s'unissent
et se confondent, animés d'un même souffle de
poésie. Car il est poète aussi, et sa conclusion le
prouve en un sonnet précieux. Rien d'étonnant,
donc, si, parlant de Beethoven, il mérite à son
tour et après bien d'autres de se voir appliquer ce
mot de Wagner (qu'il cite lui-même) : « Il est
impossible de parler de Beethoven sans tomber
aussitôt dans le ton de l'exaltation. » Mais ce n'est
pas un reproche, et s'il ajoute : « Avec Beethoven,
on regrette de n'avoir reçu qu'une seule vie pour
adorer passionnément toutes les merveilles, mais
on se sent plus près de Dieu... », qui l'en blâmerait?
Et le secret de Beethoven? « C'est un cœur vivant
dans l'urne intarissablement épanchée des sons;
et l'art sonore est la palpitation de ce grand cœur
simple. »
Parlons plus prosaïquement. Ce joli volume
réédite en ses cent pages une dizaine d'articles
parus cette année dans le Ménestrel, inspirés au
critique par tel trait de la vie de Beethoven, telle
œuvre réentendue de lui, telle conclusion philo-
sophique ou artistique formulée au cours d'une
audition. Et cela est vivant, personnel, suggestif,
dans le vrai sens du mot. H. de C.
Julien Tiersot. — Notes d'ethnographie musicale (pre-
mière série). Paris, Fischbacher ; 1 vol. gr. in-8°.
Sous ce titre, M. J. Tiersot a réuni un certain
nombre d'articles spéciaux et techniques, parus à
différentes époques dans le Ménestrel. Danses japo-
naises, musique du théâtre japonais de l'Expo-
sition de 1900, musique chinoise et indo-chinoise,
musique hindoue, musiques de l'Asie centrale,
chants de l'Arménie, musique des Arabes... Voilà
les principaux éléments de curiosité ethnogra-
phique que l'on trouvera dans ce volume, à rappro-
cher de celui qu'avaient suggéré à l'érudit critique
les « musiques pittoresques » de l'Exposition
de 1889. Il est impossible d'analyser ici ces pages
copieusement documentées et, qui plus est, em-
preintes d'une expérience personnelle; mais n'ou-
blions pas d'ajouter qu'une foule de citations
musicales et même quelques morceaux complets
sont heureusement épars dans le texte.
H. de C.
— L'éditeur C.-F. Kahnt, à Leipzig, vient de
faire paraître en français la série des chœurs
mixtes avec accompagnement d'orchestre tirés par
Franz Liszt du Prométhée de Herder et munis par
Richard Pohl d'un texte intercalaire qui leur
donne la forme cyclique. Nous reparlerons plus
en détail de cette intéressante partition. E. C.
— Le numéro de décembre de l'Album musical,
orné d'un malicieux portrait en couleurs de Fursy,
condense en dix chansons l'œuvre du spirituel
rimeur de France.
Stances à Edouard, Ferdinand le Dédaigné, les
Emballés, le Vernissage, le Suffrage universel, Une lec-
ture à la « Comédie », V Automobile du pauvre. Amis et
S8o
LE GUIDE MUSICAL
Alliés, Paris-Berlin, l'Arrivée du Czar, donnent une
idée parfaite du contempteur souriant de nos con-
temporains.
En vente chez tous les libraires, gares et mar-
chands de musique; envoi franco contre mandat
de i franc à l'administration de l'Album musical,
23, rue du Mail, Paris.
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Brucelles : a, rue Xambermont
paris : rue ou /Ifcail, 13
NÉCROLOGIE
De Naples, on annonce la mort d'un violoniste,
Ferdinando Mugnone, qui, depuis plusieurs
années, était chef d'orchestre au théâtre San Carlo.
Il était le frère de M. Leopoldo Mugnone, le chef
d'orchestre bien connu.
RÉPERTOIRE DES THÉÂTRES
PARIS
OPÉRA. — Le Cid; Samson et Dalila; La Ronde
des Saisons; Le Freischùtz, La Ronde des Saisons;
Tristan et Isolde.
OPÉRA-COMIQUE. — Le Jongleur de Notre-Dame,
le Caïd ; La Vie de Bohème, les Rendez-vous bourgeois;
Lakmé, la Fille du régiment; Carmen; Les Pêcheurs
de Saint-Jean (première, mardi), la Coupe enchantée
(id.); Miarka; Manon; Les Pêcheurs de Saint-Jean, la
Coupe enchantée.
BRUXELLES
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE. — Ché-
rubin; Armide; Lohengrin; Le Barbier de Séville,
Coppélia; Armide; Werther: Armide; Les Huguenots.
AGENDA DES CONCERTS
BRUXELLES
Dimanche 14 janvier. — A 2 heures de l'après-midi,
au théâtre de l'Alhambra (Concerts Ysaye), premier
concert extraordinaire donné à l'occasion du dixième
anniversaire de la fondation des concerts, sous la direc-
tion de M. Eugène Ysaye, avec le concours de M. A.
De Greef, pianiste et M. J. Thibaud, violoniste. Au pro-
gramme : 1. Fantaisie sur des airs populaires Angevins
(G. Lekeu); 2. Concerto en mi bémol (Th. Ysaye) :
M. A. De Greef; 3. Symphonie en ré mineur (C. Franck);
4. a) Chant d'hiver, b) Valse-Caprice (Eug. Ysaye) :
M. J. Thibaud ; 5. Entracte de l'opéra « Jean-Michel »
(A. Dupuis).
Vendredi 19 janvier. — A8 ^ heures du soir, en la
salle de la Société royale de la Grande Harmonie, récital
piano et violoncelle donné par MUe Juliette Folville,
pianiste et M. Maurice Dambois, violoncelliste. Au
programme : 1. Concerto en ri mineur (J. Folville 1 :
MUe Juliette Folville; 2. « Variations symphoniques »
(Boëllmann) : M. Maurice Dambois; 3. Trois études
(Chopin), ut majeur, mi mineur, sol bémol : Mlle Juliette
Folville; 4. « Concertstùck » (J. Folville) : M. Maurice
Dambois; 5. Etude-Valse (Saint-Saëns) : MHe Juliette
Folville; 6. « Abendlied » (Schumann), « Rapsodie
hongroise » (Popper) : M. Maurice Dambois.
Samedi 27 janvier. — A 8 ^ heures du soir, salle Erard,
récital de violon donné par M. Georges Sadler, avec le
concours de MM. Bosquet et Jongen.
ANVERS
Mercredi 3 janvier. — A 8 % heures du soir, en la salle
rouge de la Société royale d'Harmonie, deuxième soirée
de musique de chambre donnée par M™e Maria Soe-
tens-Flament et le trio instrumental Lenaerts, Deru,
Godenne. Au programme : A. Arensky, Guido Papini,
Fr. Schubert, Tschaïkowsky, César Franck, R. Schu-
mann, C. Saint-Saëns.
Mercredi 10 janvier. — A8 ^ heures du soir, au Théâ-
tre royal, second concert de la Société les Nouveaux-
CoDcerts. Programme : « Symphonie Homérique »
(Lod. Mortelmans) ; Air de Rezia de l'opéra « Obéron »
(Weber) : Mme Kath. Senger-Bettaque : Pantomime de
l'opéra « Hànsel et Gretel » ; Ouverture de « Benvenuto
Cellini » (Berlioz) ; Scène finale de « Siegfried »
(Wagner) : Mme Senger-Bettaque et M. Karl Burrian.
Jeudi 11 janvier. — A 8 yz heures, à la Zoologie, con-
cert classique, avec le concours de M. Georges Sadler,
violoniste. Au programme : Les concertos pour violon
de Bach et Beethoven. L'orchestre sous la direction de
M. Keurvels.
Mercredi 17 janvier. — Cercle artistique et littéraire
Concert donné par Mme G. Zimmer, cantatrice, Frans
Lenaerts, pianiste et A. Zimmer, violoniste. Au pro-
gramme : Sonates op. 47 de Beethoven et op. 108 de
Brahms, Lieder de Schumann, Wagner et Fauré.
LIEGE
Mercredi 10 janvier. — A8)^ heures, en la salle Ren-
son, première séance des Concerts Jaspar -Zimmer
(Histoire de la sonate et du concerto) avec le concours
de M. Haeseneier, clarinettiste, professeur au Conser-
LE GUIDE MUSICAL
vatoire. Programme : i. Sonate en ré pour violon et
piano, première audition (Leclair); 2. Duo en mi bémol
pour piano et clarinette (Weber); 3. Sonate en ut pour
piano et violon, première audition (de Wailly).
MONS
Lundi 8 janvier. — A 7 y% heures du soir, en la salle
des Concerts et Redoutes, concert donné par Mlle Hé-
lène Dinsart, pianiste, avec le concours de Mme Cluy-
tens-Thelen, cantatrice; MM. L. Cluytens, pianiste et
R. Preumont, violoncelliste, tous deux professeurs au
Conservatoire et de M. Duparloir, violoniste. Au pro-
gramme : 1. Variations sur un thème de Beethoven,
pour deux pianos (C. Saint-Saëns) : Mile Dinsart et
M. Cluytens ; 2. Sonate pour vjolon et piano (V. Vreuls) :
M. Duparloir et Mlle Dinsart; 3. a) Le Temps des lilas
(E. Chausson); b) Au Printemps (A. De Boeck) :
Mme Cluytens-Thelen ; 4. Sonate pour violoncelle et
piano (R. Strauss) : MM. Preumont et Cluytens ;
5. a) Nocturne en fa majeur ; b) Scherzo en si bémol
mineur (Chopin) : Mlle Dinsart; 6. a) La Neige; b) Ma-
tin (A. De Greefj : Mme Cluytens-Thelen; 7. Trois
valses romantiques, pour deux pianos (E. Chabrier) :
M. Cluytens et Mlle Dinsart.
ROME
Académie royale de Sainte-Cécile
Les lundis 5 février. — Concert symphonique sous la
direction de G. Martucci.
12 février. — Exécution de Parsifal, soli, chœurs et
orchestre, sous la direction de G. Martucci.
19 février. — Concert symphonique sous la direction
de Max Fiedler.
26 février. — Concert symphonique sous la direction
de Max Fiedler.
5 mars. — Concert symphonique sous la direction de
C. Saint-Saëns. Exécution par M Saint-Saëns de pièces
d'orgue.
12 mars. — Concert du violoniste de J. Thibaud.
19 mars. — Concert de la Société des instruments an-
ciens de Paris
26 mars. — Concert de M™e Mysz-Gmeiner, avec
orchestre.
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