Les prénoms en Algérie
Les prénoms en Algérie : ringard ou tendance ?
Que les prénoms
subissent des effets de mode, voilà qui touche probablement la quasi-totalité
des sociétés actuelles ; en Algérie, -mais sans doute est-ce le cas pour
d’autres pays arabes-, on a l’impression que le phénomène est devenu un
véritable mode de consommation ostentatoire.
Ce qui frappe
d’abord, c’est que l’adoption de nouveaux prénoms s’est faite conjointement
avec la disparition des prénoms anciens, rompant ainsi le cycle du retour.
C’est un peu comme s’il fallait mettre le plus d’écart possible avec les
traditions, de sorte que le renouvellement se fasse avec des prénoms toujours
plus originaux, en puisant naturellement dans les usages des autres pays.
C’est ainsi que les
Brahim, Saïd, Sassi, Bouaziz, Keltoum, Latra, Barkaham, Rquyya, Saadiyya, Oumm
Saad, Borniyya, Aycha-Biyya, Atika, Fatma, Garmiyya, Houriyya, ne sont plus
portés que par des personnes d’un certain âge.
La disparition est
pratiquement complète pour l’ensemble des prénoms de la période pré-coloniale
qui commençaient par Abu, ce qui donnait Bouaziz, Bouzid, Boumarwan, Boubakkar,
comme les déclinaisons de surnoms : Hamma, Hamdi, Hamdane, Hmayda, Allawa,
Kaddour, et bien sûr les prénoms masculins qui commencent avec Abd :Abd al
kader, Abd-almalak, Abd samad, abdallah, etc..
En France, où la
grande majorité des familles, issues de milieux paysans, ont affublé deux
générations d’enfants de prénoms aussi anciens que peu variés, souvent chargés
de qaf, de ‘ayn et de ha, imprononçables pour les français, et d’ailleurs
souvent pour les intéressés eux-mêmes, on a vu apparaître, en vertu de la loi
de simplification, les Abdou, les Abdel, les Kader et les Momo. Sauf évidemment
pour Zineddine, prénom on ne peut plus musulman, mais qui vaut de l’or.
Il faut préciser
que la mode gagne aussi bien les milieux berbérophones que les milieux
arabophones, sauf peut-être dans les familles qui restent attachés, par fierté
identitaire, aux Arezki, Améziane, Djowhar, Tassadit, Taos, mais dans ce cas,
ce sont les noms de personnages de l’antiquité qui sont sources d’inspiration,
comme Jughurta, Juba, Takfarinas, Kahéna.
Ce qui semble
prévaloir aussi dans le choix des prénoms, c’est outre sa rareté, son
originalité ou son caractère exotique, le son qu’il produit, au détriment du
sens, à l’inverse des usages plus anciens.
Chez les paysans,
la nature et les rites agraires qui ponctuaient le rythme de la vie quotidienne
et les évènements, servaient aussi de source d’ inspiration, comme le temps
avec ses mois, ses saisons, ses jours et ses fêtes religieuses.
Il y avait ainsi
les Ramdan, Cha’ban, Rabi’, Rabi’a, Khrîfa, Hadda, Jem’a, Khemissa, Rab’iyya,
Sebti, Achour, Al’id, Mouloud.
On recourait aussi
aux couleurs et aux fleurs avec Lakri, Ouardiyya, Khadra, Lakhdar, Fella,
Zhayra, Ouarda, Yasmina, sauf que ce dernier a glissé vers Yasmin, comme si le
a du féminin était trop ancien, trop banal.
Je disais que la
signification du prénom était importante, et parce que la naissance était un
don du ciel, le prénom devait être un bon présage, un atout, une qualité dans
la vie de l’individu. Mais les Mabrouk, Makhlouf, L’ayyachi, Rabah, Saïd,
Heniyya, jugés trop archaïques, sont tombés dans l’oubli.
Même constat pour
les prénoms qui évoquent la lune ou les étoiles comme Gamra, Nejma, ou
l’appartenance ethnique comme Larbi, Turki, Chaoui, ou encore qui se rattachent
à la tribu.
D’autres prénoms
encore plus singuliers qui s’inspirent de villes, de pays ou de continents, ont
disparu : Tunis, Dzayir, Sahara, Assia, Bariza. Bariza pour Paris, bien
sûr.
En parlant de la France, ou plutôt de la
période coloniale, un autre prénom, encore plus invraisemblable, est à présent
oublié : c’est celui de Louiza. Comme Louise, bien sûr, mais comme le
louis d’or surtout, la pièce d’or de 20FR appelée aussi le Napoléon, qui sert à
l’assemblage des ceintures.
C’est encore plus
vrai dans les milieux de l’immigration ou dans les familles issues de mariages
mixtes, on tourne le dos aux prénoms jugés trop marqués identitairement, au
profit de prénoms neutres ou à l’origine incertaine, comme les Sami, Sabrina,
Sandra, Sonia, Nadia, Lynda.
Mais le phénomène
le plus répandu reste l’engouement pour les prénoms du originaires
Moyen-Orient. On s’inspire des séries égyptiennes . Après les Ilham,
Ahlam, Ibtisam, il y a eu les Ayman, Chahine, Dhikrân, Sawssan, Najla, Najwa,
Nassrin, Chérine, Iman, Ghizlan, Rayan, Jihane, il ne manque que Nelly et
Suzan.
On aura remarqué
que pour la quasi-totalité de ces prénoms, il s’agit de substantifs. Les plus
souvent il s’agit de prénoms arabes, mais il arrive que des prénoms typiquement
persans, se mêlent aux autres. C’est ainsi qu’on retrouve les Ismahan,
Rozbahan, Safinaz, Shiraz.
Plus les prénoms
sont sophistiqués et exotiques, et plus on se sens à la page, détenteurs d’une
singularité, sauf que le mimétisme et les logiques de diffusion agissent
ensuite comme une épidémie.
Et puis le retour
aux valeurs religieuses a coïncidé avec la remise au goût du jour des prénoms
de certains compagnons du Prophète comme Bilal et Oussama, hélas entaché
ensuite par un fameux chef terroriste. Mais curieusement, à part ces deux-là,
les prénoms des autres compagnons n’ont guère de succès. Plus de Ali (sauf pour
les shiites), de Abdallah, Omar, Uthman, Talha, même plus de Chems-eddine, Nour-eddine,
Seif-eddine, Badr-eddine. Sauf Zineddine bien sûr.
Reste enfin dans
certains milieux attachés à une tradition familiale de vénération de la Maisonnée du Prophète,
deux prénoms indémodables : Mohamed et Fatima-al-Zahrah. Mais là encore,
on fait suivre Mohamed d’un deuxième prénom dont on peut supposer qu’il finira
par le supplanter, ce qui donne : M.Amin, M.Karim, M.Anis, etc…
Au contraire du
patronyme qui réfère à la famille, le prénom a une fonction de socialisation
qui accompagne l’individu toute sa vie et constitue une marque importante de sa
personnalité. Or, cette propension à quitter ce qui renvoie au local et au
traditionnel pour accéder à l’exotique, à l’au-delà du national, et à ce qui
tient lieu de moderne, a pour effet paradoxal, la rupture d’une part avec les
traditions familiales du retour des prénoms des défunts, et d’autre part, la
consommation du prénom comme distinction sociale, au seul profit des géniteurs.
Leïla Babès le 09/08/2006