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SIDOINE APOLLINAIRE

LETTRES

 

LIVRE II

Étude sur Sidoine Apollinaire et sur la société gallo-romaine au cinquième siècle.

avant-propos

Notice sur Sidoine Apollinaire


lettres  livre I  lettres livre III

 l

 

 

LIVRE SECOND.

LIBER SECUNDUS.

LETTRE I.

SIDONIUS A SON CHER ECDICIUS, SALUT.

EPISTOLA PRIMA.

Sidonius Ecdicio suo salutem.

Deux maux affligent également aujourd'hui tes Arvernes; quels maux, diras-tu ? la présence de Séronatus et ton absence. Pour parler d'abord de Séronatus, la fortune prévoyant, en quelque sorte, ce qui devait arriver, semble avoir joué sur son nom; c'est ainsi que nos ancêtres ont donné, par antiphrase, le nom de bella aux combats qui sont, de tous les désastres, les plus hideux ; c'est ainsi encore qu'ils ont appelé Parcae les destins qui n'épargnent personne. Le Catilina de notre, siècle est venu depuis peu des pays voisins de l'Adour; afin de mêler ici le sang des malheureux citoyens à la ruine de leurs fortunes, et d'achever parmi nous ce qu'il avait commencé, ailleurs. Sachez que son naturel féroce, longtemps dissimulé, se dévoile de jour en jour; il se montre envieux sans dissimulation, il feint avec bassesse, il s'enorgueillit comme un esclave, il commande en maître, il exige en tyran, il condamne en juge, il calomnie en barbare; armé tout le jour par la crainte, affamé par l'avarice, terrible par sa cupidité, cruel par sa vanité, il ne cesse ou de punir ou de commettre lui-même des larcins. C'est ouvertement et au milieu des rires, qu'il parle de combats avec les citoyens, de littérature avec les Barbares; sans avoir même les premiers principes de grammaire, il dicte publiquement et avec jactance des lettres qu'il retouche avec impudence. Tout ce qu'il convoite, il l'acquiert en quelque sorte, n'en donne pas le prix par dédain, n'en prend pas d'acte de vente faute d'espoir qu'on pût le trouver légitime. Il ordonne dans le conseil, il se tait dans les délibérations, il plaisante à l'église, il moralise dans les festins, il condamne dans sa chambre, il dort sur le tribunal. Chaque jour il remplit les forêts de fugitifs, les campagnes de citoyens, les temples de coupables et les prisons de clercs ; il loue les Goths, et insulte aux Romains ; il se moque des préfets, et s'entend avec les receveurs publics; foulant aux pieds les lois de Théodose, proposant celles de Théodoric, il recherche d'anciennes fautes et imagine de nouveaux tributs.

Débarrasse-toi donc promptement des affaires qui te retardent, et brise tous les obstacles qui peuvent te retenir. La liberté aux abois de nos citoyens tremblants soupire après ton retour. Quelle que soit la crainte ou l'espérance, on ne veut rien faire qu'avec toi et sous ta conduite. S'il n'y a point de ressources, point de secours à espérer de la république; si, comme on le dit, la puissance du prince Anthémius est nulle, la noblesse a résolu d'attendre ton avis pour quitter la patrie, ou pour embrasser l'état ecclésiastique.

Duo nunc pariter mala sustinent Arverni tui. Quaenam? inquis: praesentiam Seronati, et absentiam tuam. Seronati, inquam, de cujus ut primum etiam nomine loquar, sic mihi videtur quasi praescia futurorum lusisse fortuna, sicuti ex adverso majores nostri praelia quibus nihil est foedius, bella dixerunt: quique etiam pari contrarietate, fata, quae non parcerent, Parcas vocitavere. Rediit ipse Catilina saeculi nostri, nuper Aturribus, ut sanguinem fortunasque miserorum, quas ille ibi ex parte propinaverat, hic ex asse misceret. Scitote in eo per dies spiritum diu dissimulati furoris aperiri: aperte invidet, abjecte fingit, serviliter superbit: indicit ut dominus, exigit ut tyrannus, addicit ut judex, calumniatur ut barbarus, toto die a metu armatus, ab avaritia jejunus, a cupiditate terribilis, a vanitate crudelis; non cessat simul furta vel punire, vel facere; palam et ridentibus convocatis ructat inter cives pugnas, inter barbaros litteras: epistolas, ne primis quidem apicibus sufficienter initiatus, publice a jactantia dictat, ab impudentia emendat; totum quod concupiscit quasi comparat, nec dat pretia contemnens, nec accipit instrumenta desperans; in consilio tacet, in concilio jubet, in ecclesia jocatur, in convivio praedicat, in cubiculo damnat, in quaestione dormitat; implet quotidie silvas fugientibus, villas hospitibus, altaria reis, carceres clericis; exsultans Gothis, insultans Romanis, illudens praefectis, colludensque numerariis; leges Theodosianas calcans, Theodoricianasque proponens veteres culpas, nova tributa perquirit.

Proinde moras tuas citus explica, et quidquid illud est quod te retentat, incide. Te exspectat palpitantium civium extrema libertas. Quidquid sperandum, quidquid desperandum est, fieri te medio, te praesule, placet. Si nullae a republica vires, nulla praesidia, si nullae quantum rumor est. Anthemii principis opes: statuit te auctore nobilitas, seu patriam dimittere, seu capillos.

LETTRE II.

SIDONIUS A SON CHER DOMITIUS, SALUT.

EPISTOLA II.

Sidonius Domitio suo salutem.

Tu me querelles de ce que je suis à la campagne, lorsque je pourrais plutôt me plaindre de te voir aujourd'hui retenu à la ville. Déjà le printemps fait place à l'été, et le soleil, remontant vers le tropique du Cancer, s'avance à grands pas contre le pôle septentrional. Pourquoi te parler ici de notre climat? le Créateur l'a placé de manière à ce que nous fussions exposés aux chaleurs de l'occident. Que dire de plus? le monde est en feu, la glace fond au sommet des Alpes, et la sécheresse entrouvre partout le sein de la terre. Les gués n'ont plus d'eau, le limon se durcit sur le rivage, les champs ne présentent que poussière, les ruisseaux languissants ne se traînent plus qu'avec peine, et la chaleur fait bouillonner les ondes. Chacun sue maintenant ou sous la toile, ou sous la soie; mais toi, enveloppé d'un manteau qui recouvre d'autres habits, cloué de plus au fond d'une chaire dans le municipe de Camérino, tu expliques en bâillant à tes disciples, aussi pâles de chaleur que de crainte : Ma mire était de Samos. Hâte-toi donc, si tu tiens à ta santé, de te soustraire aux rues étroites de ta ville, où l'on ne peut respirer, et de venir au milieu de nous braver, dans une aimable retraite, les ardeurs de la canicule.

Veux-tu connaître la position de la campagne où je t'appelle? Nous sommes à Avitacum, c'est le nom de ma terre qui me vient de ma femme, et qui par-là m'est bien plus précieuse que celle que mon père m'a laissée. Nous y vivons, les miens et moi, dans une douce concorde, sous la protection divine, à moins que tu n'attribues notre bonheur à quelque enchantement. Au couchant, s'élève une montagne de terre escarpée toutefois, qui produit comme d'un double foyer des collines plus basses, éloignées l'une de l'autre d'environ quatre arpents. Jusqu'à ce que l'on découvre le champ qui sert de vestibule à notre domicile, les flancs des collines suivent en ligne droite une vallée placée au milieu, et se terminent au bord de notre villa dont les deux faces regardent l'une au midi, l'autre au septentrion. Du côté du sud-ouest, est un bain appuyé contre le pied d'un rocher couvert de bois; lorsqu'on abat les arbres qui l'ombragent, ils roulent comme d'eux-mêmes jusqu'à la bouche de la fournaise où l'on fait chauffer l'eau. Cette pièce est de la même grandeur que la salle des parfums qui l'avoisine, si toutefois l'on excepte le demi-cercle d'une cuve assez grande, dans laquelle l'eau bouillante vient se rendre par des tuyaux de plomb, qui traversent les murs. Dans l'appartement des bains, le jour est parfait, et cette brillante clarté augmente encore la pudeur de ceux qui s'y baignent. Près de là se trouve la pièce où l'on se rafraîchit; elle est vaste, et pourrait bien aisément le disputer aux piscines publiques. Le toit qui la couvre se termine en cône, dont les quatre côtés sont revêtus de tuiles creuses; cette salle est carrée, d'une étendue convenable, et d'une exacte proportion ; les domestiques ne s'embarrassent point dans leur service, elle peut contenir autant de sièges que le bord demi-circulaire de la cuve reçoit de personnes. L'architecte a percé deux fenêtres à l'endroit où commence la voûte, afin qu'on pût voir le goût avec lequel le plafond est construit. La face intérieure des murs ne présente qu'un enduit d'une extrême blancheur. Là, aucune peinture obscène, point de honteuse nudité qui, tout en faisant admirer l'art, vienne déshonorer l’artiste. On n'y voit point d'histrions, dans un costume et sous un masque ridicule, imiter Philistio par leur fard et la bigarrure de leurs couleurs. On n'y aperçoit aucun lutteur tâchant, par diverses attitudes, de vaincre son adversaire ou d'éluder ses coups ; aujourd'hui même, si les luttes offrent des postures indécentes, la chaste baguette des gymnasiarques les détruit sur le champ. On n'y trouve rien, en un mot, qui puisse alarmer la pudeur. Quelques vers néanmoins peuvent arrêter un instant les personnes qui entrent; ils sont de telle nature, qu'on n'est point tenté de les relire, qu'on ne regrette pas de les avoir lus.

En fait de marbres, on ne trouve chez moi ni ceux de Paros, ni ceux de Carystos, ni ceux de Proconissos, ni ceux de Phrygie, de Numidie ou de Sparte, avec leurs variétés; des pierres figurées en rochers éthiopiens, et en précipices que la pourpre colore, ne viennent point déguiser l'indigence de notre séjour. Mais si aucun marbre étranger ne l'enrichit, du moins cette humble habitation offre-t-elle la fraîcheur naturelle du pays. Pourquoi ne pas te dire ce que nous avons, plutôt que ce que nous n'avons pas? A l'extérieur et à l'orient du château se rattache une piscine, ou, si tu aimes mieux l'expression grecque, un baptistère qui contient environ vingt mille muids. C'est là qu'au sortir des bains chauds, l'on se rend par des passages ouverts dans le mur en forme de voûtes; au milieu de ce réservoir s'élèvent, non pas des pilastres, mais des colonnes que les plus habiles architectes appellent la pourpre des édifices. Six tuyaux, dirigés extérieurement autour de la piscine, amènent des torrents d'eau du sommet de la montagne ; ils sont terminés chacun par une tête de lion si bien exécutée, que les personnes qui entrent sans être prévenues croient effectivement voir des dents prêtes à les dévorer, des yeux étincelants de fureur, et une crinière qui se hérisse. Si les gens de la maison ou du dehors environnent le maître, comme le bruit des eaux dans leur chute empêche de s'entendre réciproquement, on se parle à l'oreille, et les conversations ainsi gênées par une cause extérieure, offrent un air mystérieux qui devient risible. En sortant de là, on trouve devant soi l'appartement des femmes ; le garde-manger est contigu à cette pièce, et n'est séparé que par une cloison du lieu où l'on fait la toile. De dessous le portique, soutenu moins par de pompeuses colonnes que par de simples piliers ronds, on découvre un lac du côté du levant. Près du vestibule, s'ouvre une longue allée couverte, qui n'est interrompue par aucun mur transversal ; cette allée n'offrant aucun point de vue, il me semble qu'on peut l'appeler, sinon un hippodrome, au moins une galerie fermée. Elle se rétrécit quelque peu à son extrémité, et forme une salle d'une admirable fraîcheur. La troupe babillarde des clientes et des nourrices se hâte, lorsque les miens et moi nous avons gagné la chambre à coucher, de venir s'y reposer sur des sièges placés exprès. De cette galerie, on passe dans l'appartement d'hiver; là, un feu quelquefois très grand charge de suie la voûte de la cheminée. Mais à quoi bon tous ces détails, puisque je ne t'invite pas à venir te chauffer? Il vaut beaucoup mieux te parler de choses relatives à toi et à la saison.

De l'appartement d'hiver on passe dans une petite salle à manger, d'où l'on découvre presque tout le lac; on peut aussi, depuis ce lac, apercevoir la salle. Elle offre un lit pour se mettre à table, et un très beau buffet. Au-dessus de ce bâtiment, est une plate-forme à laquelle on monte du portique par un escalier large et commode ; on y peut jouir tout à la fois des plaisirs de la table et d'une vue délicieuse. Si l'on t'apporte de l'eau de cette fontaine, renommée pour sa fraîcheur, tu verras soudain, quand elle sera versée dans les vases, se former des taches de neige et des parcelles nébuleuses ; une gelée subite obscurcira l'éclat des verres, comme ferait de la graisse. La liqueur répond aux coupes qui la contiennent, et les bords glacés de celles-ci rebuteraient, je ne dis pas ceux qui ne boivent point, mais encore les personnes les plus altérées. De là, tu verras les pécheurs faire avancer leur nacelle en plein lac, jeter leurs filets que des morceaux de liège retiennent arrêtés, ou bien, après avoir placé des signes de distance en distance, lancer à l'eau leurs lignes armées d'hameçons, ou enfin tendre des pièges aux truites avides, qui viendront la nuit se jeter dans ces embûches fraternelles; quel terme plus propre en effet puis-je employer ici, pour dire qu'un poisson est trompé par un poisson ?

Les repas finis, tu seras reçu dans un appartement que sa fraîcheur rend très agréable en été. Comme il est exposé au seul aquilon, il laisse entrer le jour sans être incommodé du soleil; auprès est une autre petite pièce, dans laquelle les valets, toujours assoupis, trouvent pins souvent place pour sommeiller, que pour dormir. Qu'il est doux ici d'entendre, vers le midi, le bruit des cigales ; sur le soir, le coassement des grenouilles; dans le plus profond silence de la nuit, le chant des cygnes, des oies et des coqs, puis les cris des corbeaux, saluant trois fois le flambeau pompeux de la naissante aurore, et, au point du jour, la voix de Philomèle cachée sous le feuillage, les gazouillements de Progné sur les branches touffues ! A ce concert viennent se mêler encore les sons rustiques de la flûte à sept trous, avec laquelle les vigilants Tityres de nos montagnes se disputent le prix du chant durant la nuit, au milieu des troupeaux qui font retentir leurs sonnettes en beuglant dans la prairie; ces voix, ces sons divers, favoriseront encore plus ton sommeil.

En sortant du portique, si l'on descend sur la verte pelouse, jusques au bord du lac, on trouve, à peu de distance, un bois ouvert à tout le monde; deux larges tilleuls, dont les branches sont unies, quoique leurs troncs soient séparés, forment un ombrage sous l'épaisseur duquel je joue quelquefois à la balle avec mon Ecdicius, lorsqu'il m'honore de sa présence. Ce plaisir dure jusqu'à ce que l'ombre ne s'étende pas au-delà de leurs rameaux; alors ils nous prêtent encore un abri contre les rayons du soleil, et là nous jouons aux dés pour nous remettre de notre fatigue.

Mais comme, après avoir achevé la description du bâtiment, je te dois celle du lac, écoute ce qui reste. Il dirige son cours vers l'est ; lorsque les vents soufflent et font enfler ses eaux, il mouille le pied de l'édifice qui est sur le rivage. L'endroit vers lequel il prend sa source présente un sol marécageux, rempli de précipices et tout-à-fait inaccessible; il s'y amasse une quantité de limon, que l'eau rend extrêmement gras; de tous côtés jaillissent des sources d'eau froides, et les bords sont tout couverts d'algues. Cependant, de petites barques sillonnent au loin la surface mobile du lac, alors que l'onde est tranquille; mais, s'il s'élève un tourbillon du côté du midi, les flots s'enflent alors d'une manière prodigieuse, et, jetée avec fracas au-dessus de la cime des arbres qui bordent le rivage, l'eau retombe sur eux en forme de pluie. Le lac, suivant les mesures appelées nautiques, a dix-sept stades de long. Il reçoit un fleuve dont les eaux, brisées contre les rochers, paraissent toutes blanches d'écume, et se perdent un peu au-dessous de l'endroit où les écueils semblent vouloir s'opposer à son passage. Cette rivière coule encore au-delà du lac, soit qu'elle le traverse sans mêler ses eaux avec les siennes, soit qu'elle les y mêle ; forcée de s'échapper par de petits couloirs souterrains, elle ne perd, dans ce passage, que les poissons qui ont suivi son cours; ceux-ci, repoussés dans une eau plus tranquille, y croissent promptement, et la blancheur de leur ventre fait ressortir la rougeur de leur chair ; ainsi, ne pouvant quitter le lac, ils trouvent dans leur corpulence même une sorte de prison vivante et portative.

A droite, le lac va serpentant ; les bords en sont coupés, et tout couverts de bois; le rivage du coté gauche est uni, découvert et tapissé d'herbes. Vers le sud-ouest, les arbres, dont le feuillage s'étend jusque sur l'eau, en font paraître la surface entièrement verte; car, si les eaux communiquent au sable leur couleur, elles reçoivent également la couleur des rameaux qu'elles réfléchissent. Du côté de l'orient, une autre couronne d'arbres colore aussi les flots d'une teinte verdâtre. Au nord, les eaux conservent leur aspect naturel; vers l'ouest, les bords sont remplis d'arbrisseaux de toute espèce, courbés souvent par le passage des barques. Tout auprès fléchissent des touffes de joncs, et sur les flots nagent les plantes grasses du marais; les saules verts ont toujours là des eaux douces pour entretenir leur amertume. Au milieu du lac se trouve une petite île, où s'élèvent, sur de grosses pierres naturellement amoncelées, des bouts de rames qui servent de borne à de nombreuses courses navales ; c'est là que les bateliers viennent faire de joyeux naufrages. Nos aïeux avaient coutume d'imiter en cet endroit les naumachies que la superstition troyenne avait établies à Drepano.

Pour ce qui concerne la campagne, quoique je ne me sois pas engagé à te la décrire, elle est couverte de bois dispersés çà et là; elle a des prairies émaillées de fleurs, des pâturages où abondent les troupeaux, des bergers riches de leurs épargnes. Mais je ne te retiens plus, car si je ne mettais fin à ma lettre, je craindrais que l'automne ne te trouvât encore occupé à la lire. Par conséquent, hâte-toi de venir, et tu te ménageras ainsi le moyen de t'en retourner plus tard. Pardonne-moi, si ma lettre trop minutieuse a dépassé les justes bornes, jalouse qu'elle était de n'épargner aucun détail ; toutefois, dans la crainte de t'ennuyer, je n'ai pas voulu tout dire. Un bon juge et un lecteur ingénieux appelleront grande, non pas la page qui décrit une campagne spacieuse, mais cette campagne elle-même. Adieu.

Ruri me esse causaris, cum mihi potius queri suppetat te nunc urbe retineri. Jam ver decedit aestati, et per lineas sol altatus extremas, in axem Scythicum radio peregrinante porrigitur. Hic quid de regionis nostrae climate loquar? cujus spatia divinum sic tetendit opificium, ut magis vaporibus orbis occidui subjiceremur. Quid plura? Mundus incanduit, glacies Alpina deletur, et hiulcis arentium rimarum flexibus terra perscribitur, squalet glarea in vadis, limus in ripis, pulvis in campis, aqua ipsa quaecunque perpetuo labens, tractu cunctante languescit. Jam non solum calet unda, sed coquitur; et nunc dum in carbaso sudat unus, alter in bombyce, tu endromidatus exterius, interius fasciatus; insuper et concava municipii Camerini sede compressus, discipulis non aestu minus quam timore pallentibus, exponere oscitabundus ordiris, Samia mihi mater fuit. Quin tu mage, si quid salubre tibi cordi, raptim subduceris anhelantibus angustiis civitatis, et conturbernio nostro aventer insertus, fallis clementissimo recessu inclementiam canicularem?

Sane si placet, quis sit agri in quem vocaris, situs accipe. Avitaci sumus; nomen hoc praedio: quod quia uxorium patrio mihi dulcius. Haec mihi cum meis, praesule Deo, nisi quid tu fascinum verere, concordia. Mons ab occasu quanquam terrenus, arduus tamen inferiores sibi colles tanquam gemino fomite effundit, quatuor a se circiter jugerum latitudine abductos. Sed donec domicilio competens vestibuli campus aperitur, mediam vallem rectis tractibus prosequuntur latera clivorum, usque in marginem villae, quae in Boream Austrumque conversis frontibus tenditur. Balneum ab Africo radicibus nemorosae rupis adhaerescit; et si caedua per jugum silva truncetur, in ora fornacis lapsu velut spontaneo, deciduis struibus impingitur. Hinc aquarum surgit cella coctilium; quae consequenti unguentariae spatii parilitate conquadrat, excepto solii capacis hemicyclio: ubi et vis ferventis undae per parietem foraminatum flexilis plumbi meatibus implicita singultat. Intra conclave succensum solidus dies, et haec abundantia lucis inclusae, ut verecundos quosque compellat aliquid se plus putare quam nudos. Hinc frigidaria dilatatur, quae piscinas publicis operibus exstructas non impudenter aemularetur. Primum tecti apice in conum cacuminato, cum ab angulis quadrifariam concurrentia dorsa cristarum tegulis interjacentibus imbricarentur; ipsa vero convenientibus mensuris exactissima spatiositate quadratur: ita ut ministeriorum sese non impediente famulatu, tot possit recipere sellas, quot solii sigma personas. Fenestras e regione conditor binas confinio camerae pendentis admovit, ut suspicientum visui fabrefactum lacunar aperiret. Interior parietum facies solo laevigati caementi candore contenta est. Non hic per nudam pictorum corporum pulchritudinem turpis prostat historia; quae sicut ornat artem, sic devenustat artificem. Absunt ridiculi vestitu et vultibus histriones, pigmentis multicoloribus Philistionis supellectilem mentientes. Absunt lubrici, tortuosique pugillatu et nexibus palaestritae: quorum etiam viventum luctas, si involvantur obscenius, casta confestim gymnasiarchorum virga dissolvit. Quid plura? nihil illis paginis impressum reperietur, quod non vidisse sit sanctius. Pauci tamen versiculi lectorem adventitium remorabuntur, minime improbo temperamento; quia eos nec relegisse desiderio est, nec perlegisse fastidio.

Jam si marmora inquiras, non illic quidem Paros, Carystos, Proconissos, Phryges, Numidae, Spartiatae, rupium variatarum posuere crustas; neque per scopulos Aethiopicos, et abrupta purpurea genuino fucata conchylio, sparsum mihi saxa furfurem mentiuntur. Sed etsi nullo peregrinarum cautium rigore ditamur, habent tamen tuguria seu mapalia nostra civicum frigus. Quin potius quid habeamus quam quid non habeamus ausculta. Huic basilicae appendix piscina forinsecus, seu si graecari mavis, baptisterium ab Oriente connectitur, quod viginti circiter modiorum millia capit. Huc elutis e calore venientibus triplex medii parietis aditus per arcuata intervalla reseratur: nec pilae sunt mediae, sed columnae, quas architecti peritiores aedificiorum purpuras nuncupavere. In hanc ergo piscinam fluentum de supercilio montis elicitum, canalibusque circumactis per exteriora natatoriae latera curvatum, sex fistulae prominentes leonum simulatis capitibus effundunt; quae temere ingressis veras dentium crates, meros oculorum furores, certas cervicum jubas imaginabuntur. Hic si dominum seu domestica, seu hospitalis turba circumstet, quia prae strepitu caduci fluminis, mutuae vocum vices minus intelliguntur, in aurem sibi populus confabulatur: ita sonitu pressus alieno ridiculum affectat publicus sermo secretum. Hinc egressis frons triclinii matronalis offertur; cui continuatur vicinante textrino cella penuaria, discriminata tantum pariete castrensi. Ab ortu lacum porticus intuetur, magis rotundatis fulta collyriis, quam columnis invidiosa monubilibus. A parte vestibuli longitudo tecta interius patet, mediis non interpellata parietibus: quae quia nihil ipsa prospectat, et si non hypodromus, saltim cryptoporticus meo mihi jure vocitabitur. Haec tamen aliquid spatio suo in extimo deambulacri capite defrudans, efficit membrum bene frigidum, ubi publico lectisternio exstructo, clientarum sive nutricum loquacissimus chorus receptui canit, cum ego meique dormitorium cubiculum petierimus. A cryptoporticu in hiemale triclinium venitur, quod arcuatili camino saepe ignis animatus pulla fuligine infecit. Sed quid haec tibi, quem nunc ad focum minime invito? quin potius ad te, tempusque pertinentia loquar.

Ex hoc triclinio fit in diaetam sive coenatiunculam transitus, cui fere totus lacus, quaeque tota lacui patet. In hac stibadium, et nitens abacus: in quorum aream, sive suggestum, a subjecta porticu sensim, non breviatis angustatisque gradibus ascenditur. Quo loci recumbens, si quid inter edendum vacas, prospiciendi voluptatibus occuparis. Jam si tibi ex illo conclamantissimo fontium decocta referatur, videbis in calicibus repente perfusis nivalium maculas ac frusta nebularum; et illam lucem lubricam poculorum, quadam quasi pinguedine subiti algoris hebetatam. Tum respondentes poculis potiones, quarum rigentes cyathi siticuloso cuique, ne dicam tibi granditer abstemio, metuerentur. Hinc jam spectabis ut promoveat alnum piscator in pelagus; ut stataria retia suberinis corticibus extendat, aut signis per certa intervalla dispositis, tractus funium librentur hamati: scilicet ut nocturnis per lacum excursibus rapacissimi salares in consanguineas agantur insidias. Quid enim hic congruentius dixerim, cum piscis pisce decipitur?

Edulibus terminatis, excipiet te diversorium, quia minime aestuosum, maxime aestivum. Nam per hoc, quod in aquilonem solum patescit, habet diem, non habet solem, interjecto consistorio perangusto, ubi somnolentiae cubiculariorum dormitandi potius quam dormiendi locus est. Hic jam quam volupe est auribus insonare cicadas meridie concrepantes, ranas crepusculo incumbente blaterantes, cycnos atque anseres concubia nocte clangentes, intempesta gallos gallinaceos concinentes, oscines corvos voce triplicata puniceam surgentis aurorae facem consalutantes; diluculo ante philomelam inter frutices sibilantem, prognem inter asseres minurientem? Cui concentui licebit adjungas fistulae septitoris armentalem camoenam, quam saepe nocturnis carminum certaminibus insomnes nostrorum montium Tityri exercent, inter greges tinnibulatos per depasta buceta reboantes: quae tamen varia vocum cantuumque certamina, profundius confovendo sopori tuo lenocinabuntur.

Porticibus egresso, si portum littoris petas, in area virenti, vulgare quanquam, non procul nemus: ingentes tiliae duae, connexis frondibus, fomitibus abjunctis, unam umbram non una radice conficiunt: in cujus opacitate, cum me meus Ecdicius illustrat, pilae vacamus: sed hoc eo usque, donec arborum imago contractior, intra spatium ramorum recussa cohibeatur; atque illic aleatorium lassis consumpto sphaeristerio faciat.

Sed quia tibi sicut aedificium solvi, sic lacum debeo, quod restat agnosce. Lacus in Eurum defluus meat, ejusque arenis fundamenta impressa domicilii, ventis motantibus aestuans humectat alluvio. Is quidem sane circa principia sui, solo palustri voraginosus, et vestigio inspectoris inadibilis est: ita limi bibuli pinguedo coalescit, ambientibus sese fontibus algidis, littoribus algosis. Attamen pelagi mobilis campus cymbulis late secatur pervagabilibus, si flabra posuere. Si turbo Austrinus insorduit, immane turgescit; ita ut arborum comis quae margini insistunt, superjectae asperginis fragor impluat. Ipse autem secundum mensuras quas ferunt nauticas, in decem et septem stadia procedit. Fluvio intratur, qui salebratim saxorum obicibus affractus spumoso canescit impulsu, et nec longum scopulis praecipitibus exemptus, lacu conditur: quem fors fuat, an incurrat, an faciat, praeterit certe, coactus per cola subterranea deliquari, non ut fluctibus, sed ut piscibus pauperaretur: qui repulsi in gurgitem pigriorem, carnes rubras albis abdominibus extendunt. Ita illis nec redire valentibus, nec exire permissis, quemdam vivum et circumlatitium carcerem corpulentia facit.

Lacus ipse qua dexter, incisus, flexuosus, nemorosusque; qua laevus, patens, herbosus, aequalis. Aequor ab Africo viride per littus, quia in undam fronde porrecta, ut glareas aqua, sic aquas umbra perfundit. Hujusmodi colorem ab Oriente par silvarum corona continuat: per Arctoum latus, ut pelago natura, sic species; a Zephyro plebeius et tumultuarius frutex, frequenterque lemborum superlabentum ponderibus inflexus. Hunc circa lubrici scirporum cirri plicantur simulque pingues ulvarum paginae natant, salicumque glaucarum fota semper dulcibus aquis amaritudo. In medio profundi brevis insula, ubi supra molares naturaliter aggeratos, per impactorum puncta remorum navalibus trita gyris meta protuberat, ad quam se jocunda ludentum naufragia collidunt. Nam moris istic fuit senioribus nostris agonem Drepanitanum Trojanae superstitionis imitari.

Jam vero ager ipse, quanquam hoc supra debitum, diffusus in silvis, pictus in pratis, pecorosus in pascuis, in pastoribus peculiosus. Sed non amplius moror, ne, si longior stylo terminus, relegentem te autumnus inveniat. Proinde mihi tribue veniendi celeritatem, nam redeundi moram tibi ipse praestabis: daturus hinc veniam, quod brevitatem sibi debitam paulo scrupulosior epistola excessit, dum totum ruris situm sollicita rimatur, quae tamen submovendi fastidii studio nec cuncta perstrinxit. Quapropter bonus arbiter, et artifex lector non paginam quae spatia describit, sed villam quae spatiosa describitur, grandem pronuntiabunt. Vale.

LETTRE III.

SIDONIUS A SON CHER FELIX, SALUT.

EPISTOLA III.

Sidonius Felici suo salutem.

Je me réjouis, mon digne maître, de ce que tu as obtenu les insignes d'un haut rang; mais je ne me réjouis pas moins de ce que tu m'as envoyé un message tout exprès pour me l'annoncer ; car, quoique à présent tu sois le magistrat le plus élevé, et que la dignité patricienne, après tant de siècles, rentre aujourd'hui dans les lares Philagriens, grâce à ta seule félicité, tu sais trouver toutefois, ô le plus constant des amis, le moyen de rehausser encore tes honneurs par des manières affables, et, chose bien rare, d'ajouter à ton élévation par l'abaissement de ta modestie. C'est ainsi qu'autrefois la faveur publique préféra Q. Fabius, maître de la cavalerie, à l'inflexibilité dictatoriale et à l'orgueil de Papirius. C'est ainsi que la constante popularité de Cn. Pompeius le plaça au-dessus de ses rivaux. C'est ainsi que Germanicus étouffa, par l'amour de tout l'empire, la jalousie de Tibère. Je ne veux donc pas que la munificence du prince aille s'applaudir de tes succès, puisque, après tout, elle ne t'a donné que ce que tu aurais obtenu malgré nous et en nous dépassant. Ce qui t'appartient d'une manière spéciale, ton mérite particulier, c'est que, n'ayant pas d'envieux, tu ne trouves pas non plus de rivaux. Adieu.

Gaudeo te, domine major, amplissimae dignitatis infulas consecutum. Sed id mihi ob hoc solum destinato tabellario nuntiatum non minus gaudeo. Nam licet in praesentiarum sis potissimus magistratus, et in lares Philagrianos patricius apex tantis post saeculis, tua tantum felicitate remeaverit: invenis tamen, vir amicitiarum servantissime, qualiter honorum tuorum crescat communione fastigium, raroque genere exempli altitudinem tuam humilitate sublimas. Sic quondam Q. Fabium magistrum equitum dictatorio rigori, et Papirianae superbiae favor publicus praetulit. Sic et Cn. Pompeium super aemulos extulit nunquam fastidita popularitas. Sic invidiam Tiberianam pressit universitatis amore Germanicus. Quocirca nolo sibi de successibus tuis principalia beneficia plurimum blandiantur; quae nihil tibi amplius conferre potuerunt, quam ut si id noluissimus, transiremus inviti. Illud peculiare tuum est, illud gratiae singularis, quod tam qui te aemulentur non habes, quam non invenis qui sequantur. Vale.

LETTRE IV.

SIDONIUS A SON CHER SYAGRIUS, SALUT.

EPISTOLA IV.

Sidonius Syagrio suo salutem.

L'illustre Projectus, distingué par sa naissance, remarquable par son père et son oncle, et que recommande aussi un aïeul, pontife rempli de mérite, vient avec empressement, si cela ne te déplaît pas, se jeter, dans le sein de ton amitié. La splendeur de sa famille, la probité de ses mœurs, l'étendue de son patrimoine, l'éclat de sa jeunesse, tout contribue à le rendre digne des premiers partis; mais, avec cela, il se croira parvenu au comble du bonheur le plus parfait, s'il est admis dans l'intimité de ta grâce. Bien qu'il ait demandé et obtenu de sa mère (Dieu veuille en cela lui devenir favorable!) la fille de l'illustre Optantius, mort assez récemment, il pense toutefois que ses vœux sont loin d'être accomplis, s'il n'obtient ton consentement à cet égard, ou par son assiduité ou par l'entremise de mes prières. Car, en tout ce qui concerne la jeune fille, tu remplaces Optantius par ta sollicitude généreuse, tu as pour cette enfant l'affection d'un père, l'autorité d'un patron, les soins d'un tuteur. Donc, puisque tu es digne que les personnes même les plus éloignées recherchent avec empressement la discipline si vantée de ta maison, accorde, comme doit le faire un homme d'honneur, une réponse favorable à la timidité suppliante d'un amant. Sollicité d'une pareille manière, lorsque tu devrais désirer que ta pupille fût demandée par Projectus, ne crains pas de la lui donner, maintenant qu'elle est promise ; car tu tiens de ton mérite une si grande autorité sur la jeune fille, qu'Optantius, fût-il même vivant, ne pourrait en avoir plus. Adieu.

Vir clarissimus Projectus domi nobilis, et patre patruoque spectabilibus, avo etiam praestantissimo sacerdote conspicuus, amicitiarum tuarum, nisi respuis, avidissime sinibus infertur: et cum illi familiae splendor, probitas morum, patrimonii facultas, juventutis alacritas, in omne decus pari lance conquadrent; ita demum sibi tamen videbitur ad arcem fastigatissimae felicitatis evectus, si gratiae tuae sodalitate potiatur. Optantii clarissimi viri nuper vita functi filiam, quod Deo prosperante, succedat, licet in conjugium petierit, obtinueritque a matre pupillae; parum tamen votorum suorum promotum censet effectum, nisi assensum tuum super his omnibus, seu sedulitate sua, seu precatu nostrae intercessionis adipiscitur. Namque ipse quantum ad institutionem spectat puellae in locum mortui patris curarum participatione succedis, conferendo virgini parentis affectum, patroni auctoritatem, tutoris officium. Quocirca quia dignus es ut domus tuae celeberrimam disciplinam, etiam procul positorum petat ambitus, sicut decet bonarum partium viros, benignitate responsi proci supplicis verecundiam munerare; et qui ita expetitus deberes illi expetere pollicendam, securus permitte promissam: quia sic te conditioni huic meritorum ratio praefecit, ut nec superstiti Optantio in liberos suos decuerit plus licere. Vale.

LETTRE V.

SIDONIUS A SON CHER PETRONIUS, SALUT.

EPISTOLA V.

Sidonius Petronio suo salutem.

Joannes, mon ami, jeté dans l'inextricable labyrinthe d'une affaire très embarrassante, ignore ce qu'il doit dédaigner, ce qu'il doit désirer, tant que votre science, ou un savoir égal au votre, si toutefois il en est, n'aura pas examiné la valeur de ses titres. La forme de ce procès, en quelque sorte à deux faces, est tellement compliquée, qu'il ne sait plus, dans son exposé, ce qu'il faut défendre, ni ce qu'il faut combattre. En conséquence, je vous prie instamment d'étudier ses papiers, de lui dire s'il a quelque droit, lui exposant ce qu'il peut objecter, ce qu'il peut réfuter, et comment il doit s'y prendre. Nous ne craindrons pas que le cours de cette affaire, s'il trouve sa source dans vos conseils, vienne à être affaibli et détourné par les menées des opposants. Adieu.

Joannes familiaris meus inextricabilem labyrinthum negotii multiplicis incurrit, et donec suarum merita chartarum, vel vestra scientia, vel si qua est vestrae, si tamen est ulla, similis inspexerit, quid respuat quidve optet ignorat. Ita se quodam modo bipertitae litis forma confundit, ut propositio sua, quem actionis ordinem propugnatura, quem sit impugnatura, non noverit. Pro quo precem sedulam fundo, ut perspectis chartulis suis, si quid jure competit instruatis; quae qualiterve sint objicienda, quae refellenda monstrantes. Non enim verebimur, quod causae istius cursus, si de vestri manaverit fonte consilii, ulla contrastantium derivatione tenuetur. Vale.

LETTRE VI.

SIDONIUS A SON CHER PEGASIUS, SALUT.

EPISTOLA VI.

Sidonius Pegasio suo salutem.

C'est un proverbe assez répandu, que souvent un retard est une bonne chose, comme nous venons de l'éprouver. Menstruanus, ton ami, que nous avons eu longtemps avec nous, a mérité de trouver place parmi les personnes qui nous sont chères, qui nous sont attachées ; c'est un homme agréable, élégant, modeste, sobre, économe, religieux, et doué d'un tel caractère, que, s'il est admis à l'amitié de quelques hommes de bien, il ne procure pas lui-même un avantage moindre que celui qu'il reçoit Je ne t'écris pas cela, comme si tu l'ignorais ; mais c'est que je veux manifester ma pensée. Ainsi donc, triple sujet de se réjouir : pour toi d'abord, qui as le bonheur de former ou de choisir de tels amis ; ensuite pour les Arvernes, qui ont été flattés assurément du mérite que tu as su voir en lui, je n'en doute pas; enfin, pour Pégasius, dont les gens de bien s'accordent à faire l'éloge. Adieu.

Proverbialiter celebre est saepe moram esse meliorem, sicuti et nunc experti sumus. Menstruanus amicus tuus longo istic tempore inspectus, meruit inter personas nobis quoque caras devinctasque censeri: opportunus, elegans, verecundus, sobrius, parcus, religiosus, et his morum dotibus praeditus, ut quoties in boni cujusque asciscitur amicitias, non amplius consequatur beneficii ipse quam tribuat. Haec tibi non ut ignoranti, sed ut judicio meo satisfacerem, scripsi. Quamobrem triplex causa laetandi: tibi prima, cui amicos sic aut instituere, aut eligere contingit; Arvernis secunda, quibus hoc in eo placuisse confirmo, quod te probasse non ambigo; illi tertia, de quo boni quique bona quaeque judicaverunt. Vale.

LETTRE VII.

SIDONIUS A SON CHER EXPLICIUS, SALUT.

EPISTOLA VII.

Sidonius Explicio suo salutem.

Comme votre justice est avec raison vénérée de tout le monde, parce qu'on a fait souvent l'épreuve de votre droiture, c'est volontiers et avec empressement que je recommande à vos lumières toutes les personnes qui demandent cela ; car je désire me délivrer au plus tôt des ennuis de la discussion, et les soulager, elles, du fardeau de l'inimitié. C'est ce qui arrivera, si tu ne vas pas, conseiller modeste, refuser d'entendre toute la plainte des parties ; quoique, au reste, en accordant difficilement ta présence aux personnes litigantes, tu prouves que tu jugeras bien. Car, où est celui qui n'ambitionne point d'être choisi pour arbitre, afin d'accorder quelque chose à l'argent ou à la faveur ? Excuse donc ceux qui volent en toute hâte vers le tribunal de ta sainte conscience; le vaincu n'accuse pas tes décisions, comme ferait un sot; le vainqueur ne s'en moque pas, comme ferait un esprit subtil ; par égard pour la vérité, les condamnés te conservent du respect, les absous te marquent leur gratitude.

En conséquence, je te prie instamment de prononcer entre Aléthius et Paulus, sur le sujet de leurs débats, aussitôt qu'ils te l'auront exposé. Car, si je ne me trompe, la modération toute seule de ton caractère saura, bien plus que les sentences des Décemvirs et des Pontifes, remédier, avec ta sagesse accoutumée, au mal de cette querelle presque interminable. Adieu.

Quia justitia vestra jure fit universitati per complura recti experimenta venerabilis, idcirco singulas quasque personas id ipsum efflagitantes in examen vestrum libens et avidus emitto, quamprimum ambiens, me discussionis, illos simultatis onere laxari: quod demum ita sequetur, si non ex solido querimonias partium verecundus censor excludas: quanquam et hoc ipsum, quod copiam tui jurgantibus difficile concedis, indicium sit bene judicaturi. Quis enim se non ambiat arbitrum legi, aut pretio aliquid indulturus, aut gratiae? Igitur ignosce ad tam sanctae conscientiae praerogativam raptim perniciterque properantibus: quandoquidem sententiam tuam, nec victus ut stolidus accusat; nec victor ut argutus irridet; veritatisque respectu dependunt tibi addicti reverentiam, gratiam liberati.

Proinde impense obsecro, ut inter Alethium et Paulum, quae veniunt in disceptationem, mox ut utrinque fuerint opposita, discingas. Namque, ni fallor, supra decemvirales, pontificalesque sententias, aegritudini hujus prope interminabilis jurgii, sola morum tuorum temperantia solita judicandi salubritate medicabitur. Vale.

LETTRE VIII.

SIDONIUS A SON CHER DESIDERATUS, SALUT.

EPISTOLA VIII.

Sidonius Desiderato suo salutem.

C'est avec une extrême douleur que je t'annonce cette nouvelle. Nous avons perdu, voilà trois jours, au milieu du deuil général, la matrone Philimatia, épouse soumise, maîtresse indulgente, mère utile, fille pieuse, qui méritait chez elle et au-dehors les hommages de ses inférieurs, les égards de ses supérieurs, l'affection de ses égaux. Unique enfant d'une mère qui depuis longtemps n'était plus, elle avait, à force de tendres caresses, empêché que son père, jeune encore, ne désirât un rejeton d'un autre sexe. Maintenant, par un trépas soudain, elle plonge son mari dans le veuvage, son père dans un cruel abandon. Ajoute à cela que cette mort prématurée livre au deuil cinq enfants, tristes fruits d'une malheureuse fécondité. Ces jeunes orphelins, s'ils avaient, au lieu de leur mère, perdu un père faible depuis longtemps, sembleraient peut-être moins délaissés. Toutefois, si ce ne sont pas de vains honneurs ceux que l’on rend à nos corps, Philimatia n'a point été inhumée par le ministère sinistre des vespillones et des sandapilaires ; mais, comme tout le monde et les étrangers même touchaient, arrêtaient et baisaient son cercueil, reçue par les mains des prêtres et de ses proches, elle fut portée aux éternelles demeures, plus semblable à une personne endormie qu'à une personne défunte. Ensuite, d'après la demande de son malheureux père, j'ai dicté, les yeux encore brûlants de larmes, une nénie funèbre, non pas en vers élégiaques, mais en vers hendécasyllabes, que l'on a gravés sur le marbre. Si elle trouve grâce devant toi, mon libraire pourra la joindre au recueil de mes épigrammes ; si elle ne te plaît pas, c'est assez qu'une méchante pièce soit mise sur la pierre. Voici donc cette épitaphe :

« Ravie par un trépas subit et cruel à ses cinq enfants, à son père, à son époux, la matrone Philimatia repose dans ce tombeau, où l'ont placée les mains de ses concitoyens en pleurs. O femme, l'honneur de ta race, la gloire de ton mari, prudente, chaste, modeste, sévère, douce, et digne d'être imitée par les vieillards eux-mêmes, tu as su, grâce à la facilité de ton caractère, allier bien des choses qu'on regarde comme inconciliables ! Un abandon plein de gravité, une pudeur pleine d'enjouement furent les douces compagnes de ta vie. Voilà pourquoi nous sommes si tristes que tu aies à peine vu ton sixième lustre, et qu'à la fleur de ton âge il nous ait fallu, bien avant l'heure, te rendre les derniers devoirs. »

Que mes vers te plaisent ou non, hâte-toi, viens au plus tôt à la ville ; car tu dois des consolations aux familles affligées de deux citoyens. Remplis ce pieux office, et plaise au Ciel qu'on n'ait jamais à le remplir envers toi!

Moestissimus haec tibi nuntio. Decessit nudius tertius, non absque justitio, matrona Filimatia, morigera conjux, domina clemens, utilis mater, pia filia: cui debuerit domi forisque persona minor obsequium, major officium, aequalis affectum. Haec cum esset unica jamdiu matri amissae, facile diversis blandimentorum generibus effecerat, ne patri adhuc juveni sobole, sexus alterius desideraretur. Nunc autem per subita suprema virium caelibatu, patrem orbitate confodit. His additur, quod quinque liberum parens immaturo exitu reddidit infortunatam fecunditatem. Qui parvuli, si matre sospite perdidissent jamdiu debilem patrem, minus pupilli existimarentur. Hanc tamen, si quis haud incassum honor cadaveribus impenditur, non vespillonum sandapilariorumque ministeria ominosa tumulavere: sed cum Libitinam ipsam flentes omnes externi quoque prensitarent, remorarentur, exoscularentur, sacerdotum propinquorumque manibus excepta, perpetuis sedibus dormienti similior illata est. Post quae, precatu parentis orbati, naeniam funebrem, non per elegos sed per hendecasyllabos, marmori incisam, planctu prope calente dictavi. Quam si non satis improbas, caeteris epigrammatum meorum voluminibus applicandam mercenarius bibliopola suscipiet. Si quid secus, sufficit saxo carmen saxeum contineri. Hoc enim epitaphium est.

Occasu celeri feroque raptam
Natis quinque, patrique, conjugique,
Hoc flentis patriae manus locarunt
Matronam Philimatiam sepulcro.
O splendor generis, decus mariti.
Prudens, casta, decens, severa, dulcis,
Atque ipsis senioribus sequenda:
Discordantia quae solent putari,
Morum commoditate copulasti.
Nam vitae comites bonae fuerunt,
Libertas gravis, et pudor facetus.
Hinc est quod decimam tuae saluti
Vix actam trieteridem dolemus,
Atque in temporibus vigentis aevi,

Injuste tibi justa persoluta.

Placeat tibi carmen nec ne, tu propera, civitatemque festinus invise. Debes enim consolationis officium duorum civium domibus afflictis. Quod ita solvas, Deum quaeso, ne unquam tibi redhibeatur.

LETTRE IX.

SIDONIUS A SON CHER DONIDIUS, SALUT.

EPISTOLA IX.

Sidonius Donidio suo salutem.

Tu me demandes pourquoi je diffère si longtemps mon retour de Nîmes, après lequel tu soupires avec ardeur; je vais l'exposer les motifs qui ont prolongé mon séjour, et je ne tarde pas à le faire, parce que les choses qui me sont agréables te plaisent aussi à toi. Au milieu des plus belles campagnes, chez les seigneurs les plus aimables, Ferréolus et Apollinaris, j'ai passé le temps le plus délicieux. Leurs terres sont contiguës, leurs domiciles voisins, et l'intervalle qui les sépare n'est qu'une promenade, un peu longue pour un homme à pied, trop courte pour un homme à cheval. Les coteaux qui dominent leurs habitations sont plantés de vignes et d'oliviers ; vous diriez les sommets d'Aracynthe et de Nysa, si vantés par les poètes. De l'une des deux maisons, vous apercevez les plaines et un pays découvert ; de l'autre, de vastes forêts ; mais toutefois leurs sites différents procurent un égal plaisir. Au reste, que vous parlé-je de la position de ces terres, quand je dois vous raconter la manière dont on m'y a reçu?,

D'abord des hommes intelligents avaient été apostés pour épier notre arrivée; les deux seigneurs avaient fait occuper non seulement les grands chemins, mais aussi les chemins tortueux et détournés, et jusqu'aux sentiers fréquentés par les bergers, afin qu'il nous fut impossible d'échapper aux embûches officieuses que nous tendait l'amitié. Nous tombâmes dans le piège, je l'avoue, mais sans que ce fût contre notre gré, et l'on nous fit jurer sur le champ de ne pas songer à poursuivre notre route avant que sept jours ne se fussent écoulés. Chaque matin il s'élevait entre nos deux hôtes une contestation flatteuse pour nous, afin de savoir lequel des deux nous aurait ce jour-là, et quelle cuisine fumerait en notre honneur. L'alternative ne pouvait accorder leur différend, quoique je fusse lié à l'une des maisons par le sang, et à l'autre par mes proches; car, outre l'amitié qui m'unit à l'ancien préfet Ferréolus, son grand âge et sa dignité lui donnaient le droit d'obtenir la préférence. Nous volions chez eux de plaisirs en plaisirs. A peine avait-on mis le pied sous le vestibule de l'un ou de l'autre, que l’on voyait ici les bandes des joueurs de paume s'agiter dans l'arène circulaire, et que là, à travers les voix bruyantes de quelques autres joueurs, on entendait bruire les cornets et les dés. Ailleurs, beaucoup de livres, tu dirais des tablettes destinées aux ouvrages de grammaire, ou les degrés de l'Athénée, ou enfin les armoires qui remplissent les boutiques des libraires. Tout est disposé de manière que les tablettes des matrones contiennent des livres de piété, et que les gradins des pères de famille sont enrichis des plus beaux ouvrages de l'éloquence latine. Différents auteurs ont employé avec un même succès le même langage pour traiter des sujets différons ; aussi l'on y voit Augustin, Varron, Horace et Prudence, hommes d'un savoir égal. Parmi tous ces auteurs, celui qui intéressait le plus les personnes de notre croyance, est Adamantius Origènes, traduit excellemment par Turranius Rufinus. Chacun, selon qu'il l'affectionnait plus ou moins, pensait et parlait de lui diversement. Pourquoi certains Protomystes le rejetaient-ils comme un docteur violent et à craindre? Pourtant ses expressions et ses pensées ont été rendues avec une telle fidélité, qu'Apulée n'a pas mieux reproduit le Phoedon de Platon, ni Tullius le Ctésiphon de Démosthène, d'après l'usage et les règles de la langue latine.

Pendant que chacun de nous était occupé soit à lire, soit à jouer, on venait, de la part du chef d'office, pour avertir qu'il était temps de se mettre à table; l'envoyé observait sur la clepsydre la marche des heures, et la cinquième heure, prête à expirer, nous prouvait qu'il était entré à propos. Nous dînions promptement et beaucoup, à la manière des sénateurs ; il est d'usage chez eux de mettre une grande quantité de viandes sur un petit nombre de plats ; le repas cependant était varié, tantôt par des mets rôtis, tantôt par d'autres cuits dans leur jus. En buvant, on racontait quelque histoire qui réjouissait la compagnie et lui servait en même temps de leçon, parce qu'elle était toujours présentée d'une manière à la fois gaie et instructive. Qu'ajouter de plus? Nous étions reçus avec distinction, avec délicatesse, avec magnificence. Au sortir de table, si nous étions à Voroangus (c'est le nom de l'une des terres), nous retournions vers nos bagages et à notre auberge; si nous étions à Prusianum, (c'est le nom de l'autre terre), nous jetions Tonantius et ses frères, les plus excellents de tous les seigneurs, hors de leurs lits ; car il eût été trop difficile de transporter souvent l'appareil de notre couche.

Notre méridienne achevée, nous faisions une petite promenade à cheval, afin de mieux préparer pour le souper nos estomacs chargés de nourriture. Chacun de nos hôtes avait des bains dans sa maison., mais aucun n'en faisait usage ; lorsque la troupe des gens de ma suite et de mes domestiques avait un peu cessé de boire, et que de nombreuses libations dans les coupes de nos hôtes avaient troublé les cerveaux, on creusait à la hâte une fosse au bord d'une rivière ou au bord d'une fontaine, et l'on jetait dedans un monceau de pierres échauffées; ensuite on entrelaçait, en forme d'hémisphère, sur l'ouverture de cette fosse, des branches flexibles de coudrier; lorsqu'elle était bien embrasée, l'on étendait sur ces branches des couvertures de poil de chèvre; elle fermait tout passage à la lumière, et repoussait ainsi la vapeur qui s'exhale des cailloux enflammés, sur lesquels on a verse de l'eau bouillante. Nous passions là des heures entières, bien enveloppés, non sans y tenir des discours pleins de sel et d'enjouement, pendant lesquels une nuée, qui s'élevait avec bruit, excitait en nous une sueur très salutaire ; de là nous allions nous plonger dans des bains chauds, qui facilitaient en nous la digestion, et nos chairs, amollies par la chaleur, reprenaient ensuite leur fermeté dans des eaux froides de fontaine, de puits ou de rivière. Le Vuardo coule au milieu de ces terres, sur un lit de cailloux, clair, pur et tranquille, à moins que les neiges fondues n'en troublent les eaux, ce qui ne l'empêché point d'abonder en poissons délicats. Je te parlerais de nos soupers où régnait l'abondance, si le papier, plus que la retenue, ne mettait des bornes à mon babil ; j'aurais cependant beaucoup de plaisir à t'en faire la description, mais je serais honteux de salir le dos de ma lettre avec mes plumes humides. Comme nous sommes prêts à partir, et, qu'avec l'aide du Christ, nous espérons te revoir bientôt, il sera mieux de te raconter les soupers de mes amis dans ceux que nous ferons ensemble : puisse la fin de la semaine arriver rapidement, et nous rendre cet appétit si désiré ! car il n'est rien qui soit capable, comme la diète, de rétablir un estomac délabré par les excès de la table. Adieu.

Quaeris cur ipse jam pridem Nemausum profectus vestra serum ob adventum desideria producam. Reddo causas reditus tardioris, nec moras meas prodere moror, quia quae mihi dulcia sunt, tibi quoque. Inter agros amoenissimos, apud humanissimos dominos Ferreolum et Apollinarem tempus voluptuosissimum exegi. Praediorum iis jura contermina, domicilia vicina, quibus interjecta gestatio lassat peditem, nec sufficit equitaturo. Colles aedibus superiores exercentur vinitori et olivitori. Aracynthum et Nysam, celebrata poetarum carminibus juga, censeas. Uni domui in plana patentiaque, alteri in nemora prospectus; sed nihilominus dissimilis situs similiter oblectat. Quanquam de praediorum quid nunc amplius positione, cum restat hospitalitatis ordo reserandus?

Jam primum agacissimis in hoc exploratoribus destinatis, qui reditus nostri iter aucuparentur, domus utraque non solum tramites aggerum publicorum, verum etiam calles compendiis tortuosos, atque pastoria diverticula insedit, ne quo casu dispositis officiorum insidiis elaberemur. Quas incidimus, fateor, sed minime inviti: jusquejurandum confestim praebere compulsi, ne priusquam septem dies evolverentur, quidquam de itineris nostri continuatione meditaremur. Igitur mane quotidiano, partibus super hospite prima et grata contentio quaenam potissimum anterius edulibus nostris culina fumaret: nec sane poterat ex aequo divisioni lancem ponere vicissitudo, licet uni domni mecum, alteri cum meis vinculum foret propinquitatis: quia Ferreolo, praefectorio viro, praeter necessitudinem sibi debitam, dabat aetas et dignitas primi invitatoris praerogativam. Ilicet a deliciis in delicias rapiebamur. Vix quodcunque vestibulum intratum, et ecce huc sphaeristarum contra stantium paria inter rotatiles catastropharum gyros duplicabantur, huc inter aleatoriarum vocum competitiones, frequens crepitantium fritillorum tesserarumque strepitus audiebatur. Huc libri affatim in promptu: videre te crederes aut grammaticales pluteos, aut Athenaei cuneos, aut armaria exstructa bibliopolarum. Sic tamen quod qui inter matronarum cathedras codices erant, stylus iis religiosus inveniebatur: qui vero per subsellia patrumfamilias, ii cothurno Latialis eloquii nobilitabatur. Licet quaepiam volumina quorumpiam auctorum servarent in causis disparibus dicendi parilitatem. Nam similis scientiae viri, hinc Augustinus, hinc Varro; hinc Horatius, hinc Prudentius lectitabantur. Quos inter Adamantius Origenes, Turranio Rufino interpretatus, sedulo fidei nostrae lectoribus inspiciebatur. Pariter et prout singulis cordi diversa censentes sermocinabantur, cur a quibusdam protomystarum, tanquam saevus cavendusque tractator improbaretur: quanquam sic esset ad verbum sententiamque translatus, ut nec Apuleius Phaedonem sic Platonis, neque Tullius Ctesiphontem sic Demosthenis in usum regulamque Romani sermonis exscripserint.

Studiis hisce dum nostrum singuli quique prout libuerat, occupabantur, ecce et ab archimagiro adventans, qui tempus instare curandi corpora moneret: quem quidem nuntium per spatia clepsydrae horarum incrementa servantem, probabat competenter ingressum quinta digrediens. Prandebamus breviter, copiose, senatorium ad morem, quo insitum institutumque, multas epulas paucis paropsidibus apponi: quamvis convivium per edulia nunc assa, nunc jurulenta varietur. Inter bibendum narratiunculae, quarum cognitu hilararemur institueremurque, quia eas bifariam orditas, laetitia peritiaque comitabantur. Quid multa? Sancte, pulchre, abundanter accipiebamur. Inde surgentes, si Voroangi eramus, hoc uni praedio nomen, ad sarcinas et ad diversorium pedem referebamus: si Prusiani, sic fundus alter nuncupabatur, Tonantium cum fratribus, lectissimos aequaevorum nobilium principes, stratis suis ejiciebamus, quia nec facile crebro cubilium nostrorum instrumenta circumferebantur.

Excusso torpore meridiano, paulisper equitabamus, quo facilius pectora marcida cibis coenatoriae fami exacueremus. Balneas habebat uterque hospes in opere, in usu neuter: sed cum vel pauxillulum bibere desiisset asseclarum meorum famulorumque turba compotrix, quorum cerebris hospitales craterae nimium immersae dominabantur, vicina fonti aut fluvio raptim scrobs fodiebatur, in quam forte cum cumulus lapidum ambustus demitteretur, antro in hemispherii formam corylis flexilibus intexto, fossa inardescens operiebatur: sic tamen ut superjectis Cilicum velis, patentia intervalla virgarum, lumine excluso, tenebrantur, vaporem repulsura salientem, qui undae ferventis aspergine flammatis silicibus excuditur. Hic nobis trahebantur horae, non absque sermonibus salsis jocularibusque; quos inter halitu nebulae stridentis oppletis, involutisque saluberrimus sudor eliciebatur; quo prout libuisset effuso, coctilibus aquis ingerebamur, harumque fotu cruditatem nostram tergente resoluti, aut fontano deinceps frigore, putealique, aut fluviali copia solidabamur. Siquidem domibus medius it Vuardo fluvius, nisi cum deflua nive pastus impalluit flavis ruber glareis, et per alveum perspicuus, quietus, calculosusque, neque ob hoc minus piscium ferax delicatorum. Dicerem et coenas, et quidem unctissimas, nisi terminum nostrae loquacitati quem verecundia non adhibet, charta posuisset. Quarum quoque replicatio fieret amoena narratu, nisi epistolae tergum madidis sordidare calamis erubesceremus. Sed qui et ipsi in procinctu sumus, teque sub ope Christi actutum nobis invisere placet, expeditius tibi coenae amicorum in mea coena tuaque commemorabuntur: modo nos quamprimum hebdomadis exactae spatia completa votivae restituant esuritioni: quia disruptum ganea stomachum nulla sarcire res melius quam parcimonia solet. Vale.

LETTRE X

SIDONIUS A SON CHER HESPERIUS SALUT.

EPISTOLA X.

Sidonius Hesperio suo salutem.

J'aime en toi ton amour pour les lettres, et je m'efforce toujours d'entretenir par les plus grands éloges une si noble passion, qui me rend ton début recommandable, et me fait chérir mes propres études. Car, lorsque nous voyons les jeunes esprits grandir avec des goûts pour lesquels nous avons, nous aussi, soumis nos mains à la férule, nous retirons une ample récompense de notre travail. Il y a plus, la foule des hommes oisifs s'accroît tellement, que si vous autres, amateurs de la langue latine, n'en défendez, avec votre petit nombre, la pureté et la propriété, contre des barbarismes rudes et grossiers, nous déplorerons bientôt la perte de sa gloire et sa ruine entière : tant les fleurs du beau langage se flétrissent par l'incurie du peuple ! Mais nous parlerons une autre fois de ceci. En attendant, reçois ce que tu demandes. Or, tu désires que s'il m'est échappé quelques vers depuis notre séparation, je te les envoie comme pour compenser en quelque sorte mon absence. Je me hâte de t'obéir. Tu es doué, quoique jeune encore, d'une telle maturité d'esprit, que nous, tes aînés, nous aimons à condescendre à tes vœux.

On vient de bâtir à Lugdunum une église, dont la perfection est due aux soins du pape Patiens, homme saint, courageux, sévère, compatissant, et qui, par ses abondantes largesses, par son humanité envers les pauvres, donne la plus haute idée de sa vertu. Sur la demande du pieux évêque, j'ai fait graver à l'extrémité de cette église des vers à triple trochée, faits à la hâte, genre de poésie qui m'est encore très familier, et dans lequel tu excelles. Les hexamètres de deux poètes illustres, Constantius et Secundinus, embellissent les côtés de la basilique, voisins de l'autel ; une certaine pudeur me défend de te les transcrire ici, car je ne t'offre qu'en tremblant les fruits de mon loisir, et je serais écrasé par le voisinage de vers bien supérieurs aux miens. Et, comme rien ne convient moins à une nouvelle mariée qu'une conductrice plus belle qu'elle-même; comme un homme d'un teint basané paraît beaucoup plus noir, s'il est vêtu de blanc : ainsi les faibles sons de mon chalumeau vont se perdre au milieu des trompettes retentissantes ; et c'est moins son peu de mérite, que l'audace avec laquelle il ose se placer auprès d'elles, qui en fait mieux sentir encore toute la faiblesse. Les inscriptions des autres poètes éclipsent donc bien justement la mienne par leur éclat ; je l'ai tracée en quelque sorte au hasard et sans trop d'attention. Mais à quoi bon tout ceci? laissons le modeste chalumeau murmurer le chant qu'on lui demande.

« Qui que tu sois qui vantes cet ouvrage de Patiens, notre pontife et notre père, puisses-tu voir tes vœux exaucés et tes demandes écoutées ! Ici s'élève un temple ; il n'est tourné ni vers la droite, ni vers la gauche, mais sa face regarde l'orient équinoxial. La lumière étincelle au-dedans ; le soleil est attiré contre des lambris dorés, et promène sur le métal jaunâtre ses rayons de même couleur. Des marbres de différente nature enrichissent la voûte, les fenêtres et le pavé ; et, sous des figures peintes, un enduit d'un vert printanier fait éclater des saphirs sur des vitraux verdoyants. Un triple portique, soutenu par de magnifiques colonnes de marbre d'Aquitaine, forme l'entrée du temple : d'autres portiques, semblables au premier, embellissent le fond du vestibule ; une forêt de colonnes de pierre, se déroulant au loin, environne la grande nef. D'un côté retentit la voie publique ; de l'autre l'Arar se voit repoussé : c'est vers le temple que se retourne le piéton, le cavalier, et celui qui dirige un chariot bruyant ; c'est vers le temple que le chœur des matelots inclinés élève la voix en saluant le Christ; les rimes répètent cependant de joyeux alléluia. Chantez, chantez ainsi, matelots et passants : voilà le lieu où chacun doit se rendre, voilà le chemin qui conduit au salut. »

Tu vois que j'ai obéi à tes ordres, comme si j'étais le plus jeune. Rappelle-toi maintenant que je dois être amplement récompensé; et, afin de me satisfaire avec plus de facilité et de plaisir, il te faut lire toujours, avoir toujours envie de lire. Ne souffre pas que l'heureuse épouse qui va bientôt être conduite dans ta maison, te détourne de ce goût pour l'étude. Souviens-toi bien que jadis Marcia tenait le flambeau à Hortensius, Terentia à Cicéron, Calpurnia à Pline, Pudentilla à Apulée, et Rusticiana à Symmaque, pendant que ces grands hommes lisaient et méditaient. Si tu dis que la société des femmes affaiblit ton éloquence et ta verve ; si tu te plains que la force de ta parole, embellie par des études assidues, se flétrit et s'énerve, souviens-toi que Corinna acheva souvent un vers avec Ovide, Lesbia avec Catulle, Césennia ave Gœtulicus, Argentaria avec Lucain, Cynthia avec Properce, Délia avec Tibulle. Il est donc manifeste que le mariage ; fournit aux hommes studieux une occasion d'étudier; il n'y a que les paresseux qui s'en fassent une excuse. Donc, applique-toi, et que la tourbe des ignorants ne déprise point ton amour pour les lettres ; car naturellement toutes les sciences paraissent d'autant plus précieuses, que le nombre de ceux qui les cultivent est moins grand. Adieu.

Amo in te quod litteras amas, et usquequaque praeconiis cumulatissimis excolere contendo tantae diligentiae generositatem per quam nobis non solum initia tua, verum etiam studia nostra commendas. Nam cum videmus in hujusmodi disciplinam juniorum ingenia succrescere, propter quam nos quoque subduximus ferulae manum, copiosissimum fructum nostri laboris adipiscimur. Illud appone, quod tantum increbuit multitudo desidiosorum, ut nisi vel paucissimi quique meram Latiaris linguae proprietatem de trivialium barbarismorum rubigine vindicaveritis, eam brevi abolitam defleamus interitamque: sic omnes nobilium sermonum purpurae per incuriam vulgi decolorabuntur. Sed isthaec alias. Interea tu quod petis accipe. Petis autem ut si qui versiculi mihi fluxerunt, postquam ab alterutro discessimus, hos tibi pro quadam morarum mercede pernumerem. Dicto pareo, Nam praeditus es, quanquam juvenis, hac animi maturitate, ut tibi etiam natu priores gerere morem concupiscamus.

Ecclesia nuper exstructa Lugduni est, quae studio papae Patientis summum coepti operis accessit, viri sancti, strenui, severi, misericordis, quique per uberem munificentiam in pauperes humanitatemque, non minora bonae conscientiae culmina levet. Hujus igitur aedis extimis, rogatu praefati antistitis, tumultuarium carmen inscripsi trochaeis triplicibus, adhuc mihi jamque tibi perfamiliaribus. Namque ab hexametris eminentium poetarum Constantii et Secundini vicinantia altari basilicae latera clarescunt: quos in hanc paginam admitti nostra quam maxime verecundia vetat, quam suas otiositates trepidanter edentem meliorum carminum comparatio premit. Nam sicuti novam nuptam nihil minus quam pulchrior pronuba decet: et sicuti si vestiatur albo quisque fuscus, fit nigrior: sic nostra, quantulacunque est, tubis circumfusa potioribus stipula vilescit: quam mediam loco, infimam merito, despicabiliorem pronuntiari. non imperitia modo, sed et arrogantia facit. Quapropter illorum justius epigrammata micant, quam ista haec, quae imaginarie tantum et quodam modo umbratiliter effingimus. Sed quorsum ista? quin potius paupertinus flagitatae cantilenae culmus immurmuret.

Quisquis pontificis patrisque nostri
Collaudas Patientis hic laborem,
Voti compote supplicatione
Concessum experiere quod rogabis.
Aedes celsa nitet, nec in sinistrum
Aut dextrum trahitur, sed arce frontis
Ortum prospicit aequinoctialem.
Intus lux micat, atque bracteatum
Sol sic sollicitatur ad lacunar,
Fulvo ut concolor erret in metallo.
Distinctum vario nitore marmor,
Percurrit cameram, solum, fenestras:
Ac sub versicoloribus figuris
Vernans herbida crusta sapphiratos
Flecti per prasinum vitrum lapillos.

Hinc est porticus applicata triplex

Fulmentis Aquitanicis superba:
Ad cujus specimen remotiora
Claudunt atria porticus secundae:
Et campum medium procul locatas
Vestis saxea silva per columnas.
Hinc agger sonat, hinc Arar resultat.
Hinc sese pedes, atque eques reflectit,
Stridentum et moderator essedorum:
Curvorum hinc chorus helciariorum,
Responsantibus alleluia ripis,
Ad Christum levat amnicum celeusma.
Sic sic psallite, nauta, vel viator:
Namque iste est locus omnibus petendu.
Omnes quo via ducit ad salutem.

Ecce parui tanquam junior imperatis. Tu modo fac memineris multiplicato me foenore remunerandum: quoque id facilius possit voluptuosiusque, opus est ut sine dissimulatione lectites, sine fine lecturias. Neque patiaris, ut te ab hoc proposito propediem conjux domum feliciter ducenda deflectat: sisque oppido meminens, quo olim Martia Hortensio, Terentia Tullio, Calpurnia Plinio, Pudentilla Apuleio, Rusticiana Symmacho legentibus meditantibusque candelas et candelabra tenuerunt. Certe si praeter rem oratoriam, contubernio feminarum poeticum ingenium, et oris tui limam frequentium studiorum cotibus expolitam, quereris obtundi, reminiscere quod saepe versum Corinna cum suo Nasone complevit, Lesbia cum Catullo, Cesennia cum Gaetulico, Argentaria cum Lucano, Cynthia cum Propertio, Delia cum Tibullo. Proinde liquido claret, studentibus discendi per nuptias occasionem tribui, desidibus excusationem. Igitur incumbe, neque apud te litterariam curam turba depretiet imperitorum: quia natura comparatum est ut in omnibus artibus hoc sit scientiae pretiosior pompa, quo rarior. Vale.

LETTRE XI.

SIDONIUS A SON CHER RUSTICUS, SALUT.

EPISTOLA XI.

Sidonius Rustico suo salutem.

Si l'intervalle des lieux nous rapprochait davantage, si nous n'étions séparés l'un de l'autre par une vaste distance, je ne voudrais pas cette rareté de lettres entre des amis, et je ne cesserais d'élever, par toute sorte de bons offices, les fondements une fois jetés d'une affection mutuelle. Mais nos demeures, que séparent l'une de l'autre des espaces immenses, s'opposent au rapprochement de nos âmes, sans pouvoir néanmoins refroidir deux cœurs unis par l'amitié. Toutefois la distance respective de nos municipes fait qu'étant liés comme nous le sommes, nous voulons nous imputer réciproquement cette rareté de lettres, qui vient du vaste intervalle jeté entre nous, tandis que des difficultés naturelles ne doivent ni constituer une offense, ni donner lieu à une excuse. Seigneur illustre, les porteurs de tes lettres, formés à l'école de ta discipline, et montrant sur eux l'aimable réserve des manières de leur maître, je les ai bien reçus, je les ai écoutés patiemment, je les ai congédiés comme il faut. Adieu.

Si nobis pro situ spatiisque regionum vicinaremur. nec a se praesentia mutua vasti itineris longinquitate discriminaretur, nihil apicum raritati licere in coeptae familiaritatis officia permitterem: neque jam semel missa fundamenta certantis amicitiae, diversis honorum generibus exstruere cessarem. Sed animorum conjunctioni separata utrimque porrectioribus terminis obsistit habitatio, equidem semel devinctis parum nocitura pectoribus. Sed tamen ex ipsa communium municipiorum discretione procedit, quod cum amicissimi simus, raritatem colloquii de prolixa terrarum interjectione venientem, in reatum volumus transferre communem, cum de naturalium rerum difficultate nec culpa nos debeat manere nec venia. Domine illustris, gerulos litterarum de disciplinae tuae institutione formatos, et morum herilium verecundiam praeferentes, opportune admisi, patienter audivi, competenter explicui. Vale.

LETTRE XII.

SIDONIUS A SON CHER AGRICOLA, SALUT.

EPISTOLA XII.

Sidonius Agricolae suo salutem.

Tu m'as envoyé une felouque légère, solide, capable de contenir un lit, et remplie de poissons. Tu m'as envoyé aussi un pilote très habile, des rameurs forts et dégagés, qui savent glisser sur la surface d'un fleuve, en le remontant avec une rapidité égale à celle de son cours. Tu m'excuseras, si je refuse l'invitation que tu me fais d'aller pêcher avec toi : car des liens trop puissants me retiennent auprès de notre malade, et j'éprouve un chagrin que doivent partager mes amis et les étrangers mêmes. Si donc tu ressens une véritable affection fraternelle, je pense qu'aussitôt après avoir lu ma lettre, tu ne manqueras pas de songer au retour. Sévériana, notre commune sollicitude, inquiétée d'abord par une toux lente et pénible, est fatiguée maintenant d'une fièvre qui va s'aggravant chaque nuit ; elle désire donc aller à la campagne, et, lorsque nous avons reçu ta lettre, nous nous préparions à partir pour notre villa. Ainsi, que tu viennes ou non, joins tes prières aux nôtres, afin que Sévériana, qui désire l'air des champs, se trouve bien de son nouveau séjour. Ta sœur et moi, suspendus entre l'espérance et la crainte, nous avons cru que nous pourrions augmenter son ennui, si nous nous opposions à la volonté de notre malade. Nous allons donc, nous et toute notre maison, nous dérober, sous la conduite du Christ, à la chaleur et à l'engourdissement de la ville ; nous fuyons en même temps les conseils des médecins toujours divisés d'opinion, et qui, peu habiles, quoique assez assidus, tuent de la manière la plus officieuse grand nombre de malades. Cependant, par droit d'amitié, nous emmènerons avec nous le médecin Justus, duquel je pourrais dire, s'il était permis de plaisanter au milieu de la tristesse, qu'il est plus versé dans l'art de Chiron que dans celui de Machaon. C'est un motif pour prier et conjurer le Christ avec plus d'instance, afin que le pouvoir d'en-haut rétablisse une santé que tous nos soins n'ont pu guérir. Adieu.

Misisti tu quidem lembum mobilem, solidum, lecti capacem, jamque cum piscibus. Tum praeterea gubernatorem longe peritum, remiges etiam robustos expeditosque, qui scilicet ea rapiditate praetervolant amnis adversi terga, qua defluit. Sed dabis veniam, quod invitandi tibi in piscationem comes venire dissimulo. Namque me multo decumbentibus nostris validiora moeroris retia tenent; quae sunt amicis quoque et externis indolescenda. Unde te quoque puto, si rite germano moveris affectu, quo temporis puncto paginam hanc sumpseris, de reditu potius cogitaturum. Severiana sollicitudo communis, inquietata primum lentae tussis impulsu, febribus quoque jam fatigatur, iisque per noctes ingravescentibus: propter quod optat exire in suburbanum: litteras tuas denique cum sumeremus, egredi ad villulam jam parabamus. Quocirca seu tu venias, seu moreris, preces nostras orationibus juva, ut ruris auram desideranti salubriter cedat ipsa vegetatio. Certe ego, vel tua soror, inter spem metumque suspensi, credidimus ejus taedium augendum, si voluptati jacentis obstitissemus. Igitur ardori civitatis atque torpori, tam nos quam domum totam, praevio Christo, pariter eximimus: simulque mediocrum consilia vitamus assidentum dissidentumque; qui parum docti et satis seduli languidos multos officiosissime occidunt. Sane contubernio nostro jure amicitiae Justus adhibebitur, quem, si jocari liberet in tristibus, facile convincerem, Chironica magis institutum arte quam Machaonica. Quo diligentius postulandus est Christus obsecrandusque ut valetudini cujus curationem cura nostra non invenit, potentia superna medeatur. Vale.

LETTRE XIII.

SIDONIUS A SON CHER SERRANUS, SALUT.

EPISTOLA XIII.

Sidonius Serrano suo salutem.

Ta lettre m'a été remise par l'avocat Marcellinus, homme habile et amical ; après les premières paroles de salutation, tu consacres le reste de cette missive assez étendue, à louer ton patron l'empereur Pétronius Maximus. Avec plus d'obstination ou de flatterie que de justesse et de vérité, tu l'appelles très heureux, sans doute parce qu'à travers les emplois les plus honorables, il s'est élevé jusqu'à l'empire. Pour moi, je ne serai jamais de l'opinion qu'il faille regarder comme heureux les hommes qui sont placés au faite glissant et escarpé de la république. On ne saurait dire, en effet, combien de misères supporte à chaque heure dans ce monde la vie de ces heureux, si toutefois l'on peut appeler de ce nom ceux qui osent, comme Sylla, usurper ce titre présomptueux, et qui, s'élevant au-dessus de toutes les lois humaines, prennent le souverain pouvoir pour la souveraine béatitude, d'autant plus malheureux en cela, qu'ils comprennent moins le pénible asservissement auquel ils sont condamnés. Car, de même que les rois dominent sur les autres hommes, de même aussi le désir de commander domine sur les rois. Laissons de côté la chute de tant de princes qui ont passé et qui passeront encore ; tout seul, ton Maximus pourra nous être ici d'un haut enseignement. Lui qui était monté d'un pas intrépide au rang de préfet, de patricien, de consul, et qui, insatiable dans son ambition toujours renaissante, avait passé de nouveau par les premières magistratures, lorsqu'il fut venu cependant de toutes ses forces au faîte escarpé de l'autorité souveraine, il éprouvait sous la couronne une sorte de vertige que lui donnait son immense domination, et il ne pouvait plus supporter l'empire, cet ambitieux qui n'avait pu supporter de maître. Enfin, considère quelle fut sa première condition, son crédit, sa puissance, sa longue prospérité, et mets en regard l'origine, les troubles, la fin d'un pouvoir qui ne dura guère plus de deux mois ; assurément tu verras que cet homme était plus heureux avant de porter ce nom, qu'il ne le fut ensuite.

Ainsi donc, celui qui avait vu ses repas, ses manières, ses trésors, sa magnificence, son savoir, ses dignités, son patrimoine, son crédit, vantés naguères; dont toutes les heures, tous les instants étaient réglés par les clepsydres : dès qu'il fut proclamé Auguste, et qu'il fut renfermé avec ce titre dans le palais impérial, il soupira, même avant le soir, d'être parvenu au terme de ses vœux. Comme le poids des affaires l'empêchait de se livrer à ses anciens loisirs, il renonça bientôt à ses habitudes, et comprit que les occupations de prince ne pouvaient aller de pair avec l'oisiveté de sénateur. L'avenir justifia ses tristes prévisions. Après avoir parcouru tranquillement tous les honneurs du palais, cet homme gouverna la cour de la manière la plus orageuse, parmi les troubles des soldats, du peuple et des alliés ; à cela vint se joindre une chute étrange, prompte et cruelle, ensanglantée par les perfidies d'une fortune longtemps flatteuse, qui le frappa de ses derniers coups, à la manière du scorpion. Un personnage érudit, et que son mérite éleva jadis à la questure, Fulgentius, l'un des plus hommes de bien, avait coutume de dire qu'il avait souvent entendu Maximus, lorsque, fatigué du poids de l'empire, il regrettait son ancienne sécurité, laisser échapper ces mots : Heureux Damoclès, qui n'as supporté les embarras du trône que durant l'espace d'un seul repas !

Ce Damoclès, comme nous lisons, de la province de Sicile, de la ville de Syracuse, fut l'ami du tyran Dionysius ; dans son inexpérience, il donnait des louanges outrées aux biens de son patron, et à tout le reste. Veux-tu, lui dit alors Dionysius, essayer du moins aujourd'hui, à cette table, et de mes biens et de mes maux? — Volontiers, répliqua Damoclès. Le prince fait donc aussitôt dépouiller de ses vêtements plébéiens son client joyeux, le couvre, quoique étonné, de la pourpre de Tyr ou de Tarente, puis le place tout brillant de diamants et de perles sur un lit d'or, sur un tapis soyeux. On lui prépare un festin digne de Sardanapale ; on lui donne un pain fait avec du blé de Leontium ; on lui sert des mets exquis sur des plats magnifiques ; le Falerne écume dans de riches et vastes coupes; les essences réchauffent le froid cristal; parfumée de cinnamome et d'encens, la salle répand des odeurs étrangères ; des guirlandes de fleurs couronnent ses cheveux humectés de nard : mais voilà qu'un glaive nu se balance au-dessus de sa tête du haut des lambris, et semble prêt à frapper le royal convive; car, suspendu à un crin de cheval, et terrible par sa pesanteur menaçante comme par sa pointe acérée, il arrêtait l'appétit de cet autre Tantale épouvanté et craignant que les vivres, une fois entrés dans son corps, n'en sortissent à travers les blessures. Après des prières mêlées de larmes, après de nombreux soupirs, Damoclès à peine délivré s'échappe en toute hâte, et se dérobe à ces royales délices avec l'empressement que l'on met à les rechercher. Il revient au désir de la médiocrité par la crainte des grandeurs, et se garde bien d'appeler ou d'estimer heureux l'homme qui, entouré d'armes et de satellites, couve ainsi des richesses enlevées, et pèse sur l'or, pendant que le fer pèse sur lui. J'ignore donc, seigneur frère, si c'est un bonheur d'aspirer à une pareille condition ; toujours est-il que c'est un malheur d'y parvenir. Adieu.

Epistolam tuam nobis Marcellinus togatus exhibuit, homo peritus, virque amicorum: quae primoribus verbis salutatione libata, reliquo sui tractu qui quidem grandis est, patroni tui Petronii Maximi imperatoris laudes habebat. Quem tamen tu pertinacius aut amabilius quam rectius veriusque felicissimum appellas, propter hoc quippe, cur per amplissimos fascium titulos fuerit evectus usque ad imperium. Sed sententiae tali nunquam ego assentior, ut fortunatos putem, qui reipublicae praecipitibus ac lubricis culminibus insistunt. Nam dici nequit quantum per horas fert in hac vita miseriarum vita felicium istorum, si tamen sic sunt pronuntiandi, qui sibi hoc nomen, ut Sylla, praesumunt: nimirum qui supergressi jus fasque commune; summam beatitudinem existimant, summam potestatem: hoc ipso satis miseriores, quod parum intelligunt inquietissimo se subjacere famulatui. Nam sicut hominibus reges, ita regibus dominandi desideria dominantur. Hic si omittamus antecedentium principum casus, vel secutorum, solus iste peculiaris tuus Maximus, maximo nobis ad ista documento poterit esse: qui quanquam in arcem praefectoriam, patriciam, consularemque intrepidus ascenderat, eosque quos gesserat magistratus, ceu recurrentibus orbitis inexpletus iteraverat: cum tamen venit omnibus viribus ad principalis apicis abruptum, quamdam potestatis immensae vertiginem sub corona patiebatur, nec sustinebat dominus esse, qui non sustinuerat esse sub domino. Denique require in supradicto vitae prioris gratiam, potentiam, diuturnitatem, aeque diverso principatus paulo amplius quam bimestris originem, turbinem, finem: profecto invenies hominem beatiorem prius fuisse, quam beatissimus nominaretur.

Igitur ille cujus anterius epulae, mores, pecuniae, pompae, litterae, fasces, patrimonia, patrocinia florebant, cujus ipsa sic denique spatia vitae custodiebantur, ut per horarum dispositas clepsydras explicarentur; is nuncupatus Augustus, ac sub hac specie palatinis liminibus inclusus, ante crepusculum ingemuit, quod ad vota pervenerat. Cumque mole curarum pristinae quietis tenere dimensum prohiberetur, veteris actutum regulae legibus renuntiavit, atque perspexit pariter ire non posse negotium principis et otium senatoris. Nec fefellerunt futura moerentem. Namque cum caeteros aulicos honores tranquillissime percurrisset, ipsam aulam turbulentissime rexit, inter tumultus militum, popularium, foederatorum, quod et exitus prodidit novus, celer, acerbus: quem cruentavit fortunae diu lenocinantis perfidus finis, quae virum, ut scorpius, ultima sui parte percussit. Dicere solebat vir litteratus, atque ob ingenii merita quaestorius, partium certe bonarum pars magna, Fulgentius, ore se ex ejus frequenter audisse, cum perosus pondus imperii, veterem securitatem desideraret, Felicem te, Damocles, qui non uno longius prandio regni necessitatem toleravisti.

Iste enim, ut legimus, Damocles provincia Siculus, urbe Syracusanus, familiaris tyranno Dionysio fuit: qui cum nimiis laudibus bona patroni, ut caetera, scilicet inexpertus, efferret: Vis, inquit Dionysius, hodie saltem in hac mensa bonis meis pariter ac malis uti? Libenter, inquit. Tum ille confestim laetum clientem, quanquam et attonitum, plebeio tegmine erepto, muricis Tyrii, seu Tarentini, conchyliato ditat indutu: et renidentem gemmis, margaritisque aureo lecto, sericatoque toreumati imponit. Cumque pransuro Sardanapalicum in morem, panis daretur e Leontina segete confectus, insuper dapes cultae ferculis cultioribus apponerentur, spumarent falerno gemmae capaces, inque crystallis calerent unguenta glacialibus: hinc suffita cinnamo ac thure coenatio spargeret peregrinos naribus odores, et madescentes nardo capillos circumfusa florum serta siccarent: coepit supra tergum sic recumbentis repente vibrari mucro districtus e lacunaribus, qui videbatur in jugulum purpurati jam jamque ruiturus: nam filo equinae setae ligatus, et ita pondere minax, ut acumine gulam formidolosi Tantaleo frenabat exemplo, ne cibi ingressi per ora, per vumera exirent. Unde post mixtas fletibus preces atque multimoda suspiria, vix absolutus emicatimque prosiliens, illa refugit celeritate divitias deliciasque regales, qua solent appeti: reductus ad desideria mediocrium timore summorum, et satis cavens, ne beatum ultra diceret duceretque, qui septus armis ac satellitibus, et per hoc raptis incubans opibus, ferra pressus, premeret aurum. Quapropter ad statum hujusmodi, domine frater, nescio an constet tendere beatos: patet certe miseros pervenire. Vale.

LETTRE XIV.

SIDONIUS A SON CHER MAURUSIUS, SALUT.

EPISTOLA XIV.

Sidonius Maurusio suo salutem.

J'apprends que la vendange a mieux répondu à tes soins et à nos vœux communs, que ne donnait lieu de l'espérer la stérilité dont nous étions menacés cette année. Aussi, je présume que tu resteras plus longtemps à Vialosc, bourg appelé dans les âges précédents Martialis, à cause du quartier d'hiver qu'y passèrent les troupes de Jules César. Tu as là une vigne féconde, puis un domaine digne de toi par son étendue; les agréments de sa situation, et les récoltes dont tu es occupé, t'y retiendront sans doute pendant quelque temps avec ta famille ; mais si, après avoir rempli tes caves et tes greniers, tu te décides à y attendre le retour des hirondelles et des cigognes, à y passer au coin du feu, dans un repos champêtre, les mois neigeux de Janus et de Numa, nous en finirons bientôt, nous aussi, avec les retards peu avantageux qui nous retiennent à la ville ; et, pendant que tu jouis de la campagne, nous jouirons de toi, car nous n'aimons pas plus, tu le sais, un fonds de terre avec des revenus considérables, qu'un voisin aimable avec de bonnes mœurs. Adieu.

Audio industriae tuae votisque communibus, uberiore proventu quam minabatur sterilis annus, respondere vindemiam. Unde et in pago Vialoscensi, qui Martialis aetate citeriore vocitatus est propter hiberna legionum Julianarum, suspicor diuturnius te moraturum. Quo loco tibi cum ferax vinea est, tum praeterea praedium magno non minus domino, quod te tuosque plurifaria frugum mansionumque dote remoretur. Ilicet si horreis apothecisque, seu penu impleta, destinas illic usque ad adventum hirundineum, vel ciconinum, Jani Numaeque ninguidos menses in otio fuliginoso, seu tunicata quiete transmittere, nobis quoque parum in oppido fructuosae protinus amputabuntur causae morarum; ut dum ipse nimirum frueris rure, nos te fruamur, quibus ut recognoscis, non magis cordi est aut voluptati ager cum reditibus amplis, quam vicinus aequalis cum bonis moribus. Vale.

NOTES.

LETTRE PREMIÈRE.

Seronatus. — « L'indulgence d'Anthémius encouragea les concussions et les rapines, et fit voir que ces avides ravisseurs, espérant toujours dérober a la confiscation une partie de leur pillage ne sont point retenus par la crainte de l'exil, parce qu'ils ne connaissent point de patrie, et qu'ils ne craignent que la mort. Séronat, successeur d'Arvande dans la préfecture des Gaules, l'imita dans ses extorsions, et reçut enfin la punition qu'Arvande avait méritée avant lui. Cet événement doit tomber sur l'année 471.

« Séronat, aussi avare et aussi perfide que son prédécesseur, désolait comme lui la province, et formait des intrigues avec Euric, qu'il allait souvent visiter, tantôt à Aire, tantôt à Toulouse. Il avait dessein de lui livrer l'Auvergne, et, pour accoutumer les habitants au joug des barbares, il rendait la justice selon la loi des Visigoths, au lieu de suivre les lois romaines. La noblesse, qui n'espérait pas grand secours de la faiblesse d'Anthémius, songeait déjà à quitter le pays ; plusieurs embrassaient l'état ecclésiastique, pour se sauver des violences du gouverneur. La rigueur des exactions produisit la disette, et c'était alors un proverbe répandu dans la Gaule, que ce qui faisait une bonne année, c'était plutôt l'humanité des magistrats, que la température des saisons.[1] Les habitants de l'Auvergne ne s'abandonnèrent pas néanmoins, et firent connaître à Rome cet impitoyable. On leur rendit justice cette fois, et Séronat fut puni de mort. » Le Beau, Hist. du Bas-Empire, XXXV, 18. — Hist. gén. du Languedoc, tom. I, p. 216. — Sidon. Episl. II, 2 ; V, 13 ; VII, 7.

Seronati ... de ... nomine mihi videtur ...lusisse fortuna. Est-ce de la fortune que nous devons dire cela, ou bien de notre auteur ? toujours est-il que le jeu de mots que présente le terme latin ne saurait passer en notre langue. Seronatus veut dire qui est né tard, sero natus ; et, suivant l'auteur, il est bien né trop tôt. On trouve dans St. Grégoire le Grand un nom tout opposé, celui de Citonatus, Epist. I, 2. De pareilles appellations n'étaient pas rares chez les anciens ; on nommait Citonatus, un enfant que sa mère avait mis au monde sans éprouver presque de douleurs ; Seronatus, au contraire, celui qui naissait en de longues et pénibles couches.

Absentiam tuam. — Ecdicius était le bouclier des Arvernes contre les incursions et les ravages des Goths ; son absence, par conséquent, devenait fatale à sa patrie. Sidonius le dit plus d'une fois, Epist. III, 3.

Praelia quibus nihil est foedius bella dixerunt; fata quia non parcerent, parcas vocitavere — Il est encore impossible de traduire en français les jeux de mots qu'il y a là. « An ideo tibi bellus videris, quia fausto vocaris nomine, quasi et non lucus ideo dicatur quod minime luceat ; et Parcae, ab eo quod nequaquam parcant; et Eumenides furiae, quod non sint benignae, et vulgo Aethiopes vocentur argentei ? » Hieron. Epist. XXVI. — Epist. critic. Ad Fabiolam, de Mansionibus, XXXIII. — « Bellum schematice per antiphrasim dicimus, sicut lucum qui non lucet, et piscinam quae non habet pisces. » Cassiod. in Psal. IV, i. — Isid. VIII, 11. — Adhelmi De laudibus Virginit. XIII.

Aturribus. — Peuples de la Novempopulanie, ainsi appelés à cause du fleuve Adour qui baigne leur pays. « Atur nomen vetus servat, dit Hadrien de Valois ; vocatur enim l’Ador, ac saepius l’Adour, littera t in d mutata, et u in ou converso. » Notit Galliarum, au mot atur. Ils étaient alors, comme toute l'ancienne Aquitaine, sous la domination des Goths. Sirmond, Not. in Sidon. — Papire Masson, Descriptio fluminum Galliœ.

Quas ibi ille ex parte propinaverat. — Sidonius fait allusion sans doute à ce que Salluste rapporte de Catilina qui, voulant lier ses conjurés par un serment, avait fait porter à la ronde des coupes où l'on avait versé du sang humain. Belli Catilinarii XXIII. — Nescio quid, tlit Tcrtullien, sub Catilina sanguinis propinatum est. » Apologet. IX. — Sidon. Epist. VI 1 ; VII, 7. — Victoris Vitensis De Persecut. Afric. Praefat.

Indicit ut dominus. « Nunc inauditis indictionum generibus exhaurit. »  Sidon. Epist. V, 13.

Addicit ut judex. — Sidon. Epist. I, 7 ; II, 7; V, 7. Ce terme de droit revient fréquemment dans les Sermons de Pierre Chrysologue, VIII, XVII, LXII, LXXIV, et dans les meilleurs écrivains.

Non cessAt simul furta vel facere, vil punire. — L'homme est si malheureux, si corrompu, si inconséquent qu'il a coutume de blâmer, de punir dans ses semblables les vices mêmes qu'il commet, lui, avec le plus de facilité. C'est une observation que l'on a faite bien souvent. « Nihil alienae luxuriae ignoscit, qui suas nihil negavit, et homicide tyrannus irascitur, et punit furta sacrilegus. » Senecte De Ira, II, 28. — Nosti-ne hos qui omnium libidinum servi, sic aliorum vitiis irascuntur, ut quasi invideant ; et gravissime puniunt, quos maxime imitantur? »VIII, 22.

......................................................Mendacia fallu,

Furta rapax, furiosum atrox, homicida ententum

Damnat, et in moechum gladios destringit aduher.

S. Prosperi Aquitanici, De Provident.

« Les hommes, dit Salvien, abhorrent dans les autres ce qu'ils se permettent sans cesse, devenant à la fois, par une étrange conduite, les accusateurs et les défenseurs du vice. Ils détestent publiquement ce qu'ils commettent en secret ; et par là, tout en croyant condamner les autres, ils se condamnent encore plus eux-mêmes par leur propre censure. »  De la Providence, III, tom. I, p. 161 de notre édition. — « Le juge punit le péculat dans les autres, lorsque lui-même en est coupable ; il punit la rapine, lorsque lui-même est ravisseur ; il punit le sicaire, lorsque lui-même est gladiateur ; il punit l'effraction des enceintes et des portes, lorsque lui-même renverse les villes ; il punit les spoliateurs de maisons, lorsque lui-même dépouille les cités et les provinces. » VII, tom. II, p. 81.

Ructat inter cives pugnat, etc. — L'auteur fait une antithèse pareille, Epist. I, 8 : « Student armis eunuchi, litteris foederati. »

Nec dat praetia contemnens, Nec accipit instrumenta desperans. — Grégoire de Tours emploie ces mêmes paroles pour peindre l'avarice de l'évêque Cantinus : « Quibus et a quibus, ut Sollius noster ait, nec dabat pretia contemnens, nec accipiebat instrumenta desperans. » Hist. Franc. IV, 12.

Altaria reis. — Par ce passage, on ne doit pas entendre avec Ravard[2] que, dans la crainte de Séronatus, les coupables se réfugiaient aux autels ; l'auteur veut dire que ce cruel inquisiteur jetait les coupables dans les temples comme dans une prison publique, puis ensuite qu'il arrachait les clercs des temples et des autels, pour les précipiter dans les prisons.

Leges Theodosianas calcans, Theodoricianasque proponens. 

C'est-à-dire, foulant aux pieds les lois romaines, et introduisant les lois des Visigoths. Sous le règne d'Anthémius, lorsque notre auteur écrivait ceci, Euric ou Evarik gouvernait les Goths établis dans la Gaule narbonnaise et dans l'Aquitaine. Ce grand guerrier ne sut pas vaincre seulement, il sut régner encore; aux anciennes lois dont il fit un recueil, il en ajouta de nouvelles ; or, comme il s'était trouvé des Théodoric parmi les princes goths, Sidonius, employant la paronomase, appelle ces lois d'Evarik, lois Théodoriciennes, Theodosianas Theodoricianasque.

Seu patriam dimittere, seu capillos. — La noblesse d'Auvergne préférait s'expatrier, ou embrasser l'état ecclésiastique, plutôt que de combattre du côté des Goths, s'ils venaient à être vainqueurs. Le texte de Sidonius signifie, traduit littéralement, quitter la patrie ou les cheveux. On sait que les clercs étaient exempts du service militaire, et qu'on leur coupait les cheveux en les admettant dans l'Eglise.

LETTRE II.

Ruri me esse causaris. « In agro me esse miraris; at ego justius stupeo, ad communem te patriam, spreto ruris otio, revertisse. » Symm. Epist. VIII, 18. — Plinii Epist. II, 17.

Jam ver decedit aestati. — Cette locution est familière à notre auteur ; Epist. 1,5; V, 6 ; — et à Symmaque, Epist. II, 6 : « Aestas prope decessit autumno. »

Municipii camerini. —Camerino est une ville d'Ombrie ; peut-être le municipe de Sidonius était-il une ville d'Auvergne, dont le nom aura été corrompu.

Samia mihi mater fuit. Nous voyons par-là que, dans les écoles, on faisait lire aux enfants les comédies de Térence. Un autre passage de Sidonius vient à l'appui de celui-ci, Epist. IV, ia.J

Avitaci. — « L'on peut remarquer en l'une des épistres d'Apollinaris Sidoine, qu'il estoit seigneur par sa femme d'une maison champestre, ou village prochain de Clermont, assis sur le lac de Sorlieue, alors nommé Abitac, et aujourd'hui peut-estre Obier. » Fauchet, Antiquités franç., tom. I, p. 53. — « Papianillam Sidonius uxorem habuit, et uxorium fundum in Abitaco villa, juxta cum lacura qui Sorlivia hodie dicitur, in decem et septem stadia procedens, ubi accola; urbem olim fuisse putant casmate sublatam ; caeterum, hanc vulgi inertis opinionem Sidonius refellet, qui lacum illum elegantissime describit, epistola ad Domitium Grammaticum. » Papirii Massoni Annal. I, in Childerico..

Vestibuli campus aperitur. — Le vestibule était chez les Romains la première chose que l'on trouvât, en venant à une maison. Il était devant la grande porte, tous les auteurs en conviennent ; Aelius Gallus, dans Aulu-Gelle, explique plus au long que les autres ce que c'était. « Vestibulum, dit-il, non (esse) in ipsis sedibus, neque partent sedium, sed locum ante januam domus vacuum, per quem a via aditus accessusque ad aedis est, cum dextra sinistraque inter januam, tecta sunt vise juncta, atque ipsa janua procul via est area vacanti intersita. — Qui domos amplas antiquitus faciebant, locum ante januam vacuum relinquebant, qui inter fores domus et viam medius esset. In eo loco, qui dominum ejus domus salutatum venerant, priusquam admitterentur, consistebant, et neque in via stabant, neque intra aedis erant ; ab illa ergo grandis loci consis-tione et quasi quadam stabulatione vestibula appellata sunt, spatia, sicut diximus, grandis ante fores aedium relicta, in quibus starent, qui venissent, priusquam in domum intromitterentur. » Noctium Attic. XVI, 5. — Vitruv. De Architect. VIII, 6. — Montfaucon, l'Antiquité expliquée, tom. III, p. 95.

Balneum. — Il serait difficile de suivre Sidonius dans tous ces détails techniques ; nous empruntons au savant auteur de l'Antiquité expliquée quelques passages qui pourront servir de commentaire à cette lettre. « Rien, dit-il, n'exprime mieux la forme de ces grands bains publics, qu'une peinture trouvée aux thermes de Tite. On y voit premièrement l’hypocaustum, une fabrique souterraine où l'on allumait des feux pour chauffer les salles de dessus, auxquelles on donnait tel et tel degré de chaleur, selon l'usage qu'on en voulait faire. Le bain, balneum, était une grande salle qui avait un bassin de grandeur extraordinaire, où se mettaient ceux qui prenaient les bains. Dans les thermes d'Antonin, dit Olympiodore, il y avait mille six cents chaises de marbre pour ceux qui se baignaient. On croit avec beaucoup de fondement que des chaises de marbre rouge, qu'on voit à St-Jean-de-Latran, étaient destinées à cet usage ; elles sont percées comme des chaises percées ordinaires, et cela pour la commodité de ceux qui se baignaient.

« La salle d'après, qui s'appelait concamerata sudatio, était un lieu voûté destiné à faire suer par la chaleur du feu allumé par-dessous : le laconicum, qui, selon Vitruve, avec la salle où l'on suait, doit être joint au tepidarium, est représenté comme une espèce de fourneau qui donnait la chaleur pour suer ; on l'appelait laconicum, parce que l'usage en était venu de la Laconie (Vitruve). On dispute sur ce laconicum ; les uns prétendent que c'était la même chose que le tepidarium ; les antres le distinguent du tepidarium, fondés sur le passage de Vitruve, qui dit qu'il faut joindre le laconicum à la chambre à suer, et au tepidarium, qui est la chambre tiède.

« Derrière la chambre ou la salle à suer, est le tepidarium ou la chambre tiède, ou l'air était tempéré entre le chaud et le froid. La chambre tiède était joignant la chambre fraîche, qu'on appelait frigidarium. Ainsi, l'on entrait au bain par degrés, et l'on en sortait de même, de peur que, passant d'une extrémité à l'autre, on ne contractât quelque maladie. On entrait d'abord dans la chambre fraîche, oh l'on se dépouillait et l'on se frottait le corps ; on passait de là à la chambre tiède, où l'on restait quelque temps, et l’on passait ensuite à la chambre à suer, où, entre les feux souterrains, il y avait un laconicum. De la chambre à suer, on passait aux bains chauds ; d'où, après avoir été quelque temps dans l'eau, on rentrait dans la chambre à suer, et de là dans la chambre tiède, et quelque temps après dans la chambre fraîche.

« Derrière la chambre froide, ou le frigidarium, était l’eleothesion, c'est-à-dire la chambre aux parfums, toute pleine de pots, comme une boutique d'apothicaire ; on prenait là les parfums et les onguents, pour ceux qui voulaient s'oindre et se parfumer le corps... » Montfaucon, tom. III, p. 301.

Casta gymnasiarchorum virgia dissolvit. — Le gymnasiarque était un officier qui avait la surintendance et l'administration suprême des gymnases ; Plaute l'appelle gymnasii praefectus. Le gymnasiarque réglait en souverain tout ce qui regardait la police du gymnase ; sa juridiction s'étendait sur les athlètes, et sur tous les jeunes gens qui venaient y apprendre les divers exercices. Il était le dispensateur des récompenses et des châtiments, et pour marque de son pouvoir sous ce dernier rapport, il avait droit de porter une baguette, et d'en faire porter devant lui par des hommes toujours prêts à exécuter ses ordres, lorsqu'il s'agissait de punir ceux qui contrevenaient aux lois athlétiques. Voyez sur les gymnasiarques et sur leur baguette : Gronovius, Thesaurus Graec. Antiquit., tom. VIII, p. 1871; — Sallengre, Novus Thes. Antiq. Roman. tom. I, p. 35o.

Dans le passage qui fait le sujet de cette note, Gronovius propose la correction suivante : « Malim, dit-il, scriptum pro pugilatu, luctata aut lucta, vel etiam pancratio ; ad luctatores etenim nexus ille tortuosus proprie pertinet aeque pancratistas. » Thes. Graec. Antiq. tom. VIII, p. 1877.

Pauci tamen versicoli. — Voyez le Carmen XVIII et XIX. On mettait quelquefois à coté de ces inscriptions le nom de leur auteur, comme nous l'apprend Sidonius lui-même, Carm. XXII, p. 143-144 :

« Fixus in introitu lapis est, hic nomina signat
Auctorum.
.. »

Non illic quidem Paros. — Sidonius nous rappelle ici le luxe des Romains, dont se plaignait si vivement Sénèque. Dans une magnifique lettre où il décrit l'humble villa de Scipion, ses bains simples et modestes, il s'écrie : « At nunc quis est, qui sic lavari sustincat ? Pauper sibi videtur ac sordidus, nisi parietcs magnis et pretiosis orbibus refulserunt ; nisi Alexandrius marmora Numidicis crustis distincta sunt ; nisi vitro absconditur camera... Epist. LXXXVI.

Paros. — L'une des îles Cyclades, dans la mer Egée ; le marbre de Paros était renommé surtout par une blancheur extrême, à laquelle les poètes font des allusions fréquentes, et quelquefois relatives au caractère de leur poésie. « J'élèverai un monument plus durable que le marbre de Paros, dit Pindare en parlant d'une de ses odes. » — « O le plus habile des peintres, s'écriait Anacréon, emprunte, pour représenter celle que j'adore, les couleurs de la rose, du lait et du marbre de Paros (Od., XXVIII, v. 27) » Voyage d'Anacharsis en Grèce.

Carystos. — Ville de l'île d'Eubée ; le marbre de Carystos était d'un vert grisâtre et entremêlé de différentes couleurs, il était très propre à faire des colonnes. Voyage d'Anacharsis.

Proconissos. Προκοννῆσος, île de l'Asie Mineure dans la Propontide, située à l'opposite de Priapus et de Cyzique.

Numidae. — « Numidicum marmor Numidia mittis, ad cutem succum dimittis croco similem : non crustis, sed in massa, et liminum usu aptum. » Isid. Orig. XVI, 5. — Suivant Pline, le marbre numidique fut importé pour la première fois en Italie, l'an de Rome 676. « Hoc primum investi Numidici marmoris vestigium invenio, non in columnis tamen crustisve, ut supra Carystii, sed in massa ac Tilissimo liminum usu. Hist. nat. XXXVI, 8.

Rupium variatarum posuere crustas. — Ces sortes de mosaïques furent intentées sous le règne de Néron, comme Pline le rapporte, « Neronis vero principatu, inventum maculas, quae non essent, crustis inserendo, unitatem variare, ut ovatus esset Numidicus, ut purpura distingueretur Synnadicus[3] lapis, qualiter illos nasci optarent deliciae. » XXXV, 1.

Habent tamen tuguria,  sed mapalia mea civicum frigus. — « Aedificia Numidarum agrestium, quae mapalia illi vocant, oblonga, incurvis lateribus lecta, quasi navium carinse sunt. » Sallust. in Jugurtha, XXI. — Voyez encore St. Jérôme, Epist. I.

C'est par plaisanterie que Sidonius appelle Avitacus mapalia, la capitale de l'Auvergne tuguriolum, et Césène furnum.

Aedificiorum purpuras. — Les auteurs latins appliquent le mot purpura à tout ce qui sert d'ornement, de décoration. Voyez Sidonius, Epist. II, 10.

Quae temere ingressis meras dentium crates, etc. « Credo et jubas pectinem passas ne cervicem enervem inureret sciria leonina, hiatus crinibus, infarsos, genuini inter antias adumbratis. » Tertull. De Pallio, IV.

Triclinii matronalis. Triclinium veut dire ici conclave, cœnatio.

Cui continuatur. — Sidon. Carm. XXII, v. 192.

Pariete castrensi. — C'est-à-dire, cespititio ; dans les camps il se fait quelquefois des murs avec de la terre et du gazon ; voilà, je pense, pourquoi l'auteur emploie le mot castrensis, en lui donnant un pareil sens.

Rotundatis fusta collyriis. Collyrium est un terme d'architecture, qui signifierait demi-colonne, cylindre, d'après Savaron, Not. in Sidon., et Gessner, Nov. linguae lat. Thés.

Columnis ... molubilibus. — « Et, ut conferret sacris virginibus, quas congregaverat, curam necessariam sepulturae, monubiles, arcas corporibus humandis de saxis ingentibus noviter fecit excidi. » Cyprianus Diacon. in Vita S. Cœsarii Arelatensis, I. — « Inde non longe, quasi ad lapidis missnm, sunt monumenta duo, monubiles mira; pulchritudinis factae. » Itin. Burdegalense. Après avoir cité ces passages et quelques autres encore, du Cange, dans son Glossaire, émet l'opinion suivante : « Mihi vero monubilis idem videtur quod monumentalis, ad monumentum seu sepulcrum pertinens ; vel quod memorialis, cui notioni egregie, nisi me fallit animus, praeallati loci conveniunt. »

Si non hypodromus. — Il ne faut pas confondre l’Hypodrome dont il est ici question, qui n'était autre chose qu'une promenade couverte, comme son nom (ὑποδρομος) l’exprime, et fermée aux deux bouts, avec l'hippodrome (ἱπποδρομος) ou cirque, dans lequel se faisaient les courses de chevaux. Voyez les Notes de Sirmond sur ce passage ; — Pline, Epist. V, 6 ; —Adhelmus, De Laudibus virginit. XVII ; — St. Cyprien, Epist. I.

Fit in diaetam ... transitus. Diète signifie régime de vivre, et vient du grec διαιτα, qui signifie la même chose ; dans le sens de salle où l'on fait des repas, diète vient aussi du même mot. L'atrium des anciens servait quelquefois de salle à manger ; il y avait pourtant d'autres lieux destinés pour la table, qu'on appelait cœnatio, cœnaculum, triclinium. Ce qu'on appelait cœnationes, étaient de grandes salles, quelquefois au bas de la maison, et souvent au plus haut étage. Telle était la grande salle à manger dont parle Pline le Jeune dans la description de sa maison de campagne, que nous donnerons plus bas. Il distingue la grande salle à manger qu'il appelle cœnatio, de deux diètes, qui étaient sous la tour, et de deux autres qui étaient dans la tour même, sous la grande salle à manger. Destinée aux grands repas, cette salle occupait tout le haut de la tour, et avait la vue de la mer et de la campagne ; les quatre diètes, dont deux étaient au-dedans et deux au-dehors de la tour, étaient de petites salles à manger, selon Sidonius qui s'accorde fort bien avec Pline. « Ex hoc triclinio fit in diœtam, sive in cœnatiunculam transitus. » Du triclinium on passait à une salle à manger.

Je ne sais si ce qu'on appelait cœnaculum, le cénacle, n'était pas quelquefois la même chose que cœnatio. Ce qu'il y a de certain, c'est que ceux qui parlent du cœnaculum, le mettent au plus haut étage de la maison. Il ne se trouve guère en usage que parmi les gens de médiocre ou de basse condition. Voyez du Cange, Glossaire; — Ménage, Dict. étymologique, au mot Diète ; — Montfaucon, l'Antiquité expliquée, tom. III, p. 96.

Decocta. — C'est-à-dire décocte, eau bouillie. « Neronis principis inventum est, dit Pline l'ancien, decoquere aquam, vitroque demissam in nives refrigerare ; ita voluptas frigoris contingit sine vitiis nivis. » Hist. nat. XXXI, 23. — Voyez Suétone, in Nerone, XLVIII ; — Juvénal, Sal. V, 49; — Martial, II, 85 ; XIV, 116 ; — Athénée, III. On voit pourquoi Sidonius, voulant dire que l'eau de sa campagne est très froide, se sert du mot decocta ; le terme est fort heureux.

Salares. — Ausone parle de ce poisson dans le poème de la Moselle, v. 87 et 129-130 :

Purpureisque salar stellatus tergora guttis
Qui necdum salmo, nec jam talar, ambiguusque
Amborom medio Fario intercepte sub aevo.

Ou croit que le salar est la truite saumonée. « Illic tructula sinus marinos ingrediens, in aequore baptizata salmonis nomine censebatur. » Alanus ab Insulis (Alain de l'Isle), De Planctu naturae. — Voyez Isid. Orig. XII, 6.

Diversorium. — Ce mot est ici employé dans le sens de cubiculum.Voyez Symmaque, Epist. I, 1; —Ennodius, in Vita Epiphanii; — Cassien, Collect. XVIII, 5.

Cicadas meridie concrepantes. — « Natura quibusdam avibus brevem et temporarium cantum commodavit : hirundinibus matulinum, cicadis meridianum, noctuis serum, ululis vespertinum, bubonibus nocturnum, gallis antelucanum. Quippe haec animalia inter se, vario tempore et vario modo, occinunt et occipiunt carmino ; scilicet galli expergifico, bubones gemulo, ululae querulo, noctuae intorto, cicadae obstrepero, hirundines perarguto. » Apuleii Florid. XIII.

Oscines corvos. — On appelait oscines les oiseaux que leur chant rendait propres aux divinations ; telle est l'origine de l'expression si avis occinuerit, Tit. Liv., VI, 41 ; X, 40 — Sidonius a eu raison d'ajouter : « Puniceam surgentis aurorae facem consalutantes; » car les oiseaux, pour être d'un heureux augure, devaient venir de la partie orientale du ciel. Horace a dit, Od. III, 37 :

« Oscinem corvum prece suscitabo
Soli ab ortu. »

Diluculo Philomelam. — « Luscinia avis inde nomen sumpsit, quod cantu suo significare solet diei surgentis exortum, quasi Lucinia. » Isid. Orig. XII, 7. — Sidon. Epist. IX, a.

Fistulae septitoris. — Virg. Eglog. II.

Tinnibulatos. — C'est la version de tous les anciens manuscrits ; mais il faudrait tintinnabulatos, comme le remarque Magius dans son traité De Tintinnabulis, tom. II, p. 1180, du Trésor des Antiquités romaines de Sallengre.

Pilae vacamus. — Sidonius jouait souvent à la paume avec son beau-frère Ecdicius, qui aimait ce genre d'exercice. Sidon. Epist. III, 3 ; IV, 4; V, 17. — Le jeu de la paume était fort en usage parmi les Romains, parce qu'il contribuait chez ce peuple guerrier à rendre leurs corps souples, forts et robustes. Cicéron, Horace, Plaute, Martial et plusieurs autres auteurs de l'ancienne Rome, en parlent de même. Pline, Epist. III, 1, décrivant la manière de vivre de Spurina, nous dit que, dans certaines heures du jour, il s'exerçait à la paume longtemps et violemment, opposant ainsi ce genre d'exercice à la pesanteur de la vieillesse. Les personnes délicates s'abstenaient de cet exercice, surtout après avoir mangé. Horace étant en voyage avec Mécénas, Virgile et quelques autres personnages choisis de la cour d'Auguste, Mécénas et les autres s'en allèrent après dîner jouer à la paume ; mais Horace et Virgile, dont le tempérament ne s'accordait point avec les grands mouvements que ce jeu demande, prirent le parti de dormir.

Lusum it Maecenas, dormitum ego Virgilituque,
Naraque pila lippis inimicum, et ludere crudis.

Sal. 1, 5, v. 48-49.

Les Romains avaient plusieurs manières de s'exercer & la paume, suivant les différentes balles dont ils se servaient pour ce jeu. Ces balles étaient de quatre sortes, follis, trigonalis, paganica et harpastum. Martial les a toutes comprises dans ces vers :

« Non pila, non fallu, non te paganica thermis
Praeparat, aut nudi stipitis ictus hebes,
Vara nec injecto ceromate brachia tendis,
Non harpasta vagus pulverulenta rapis.

La balle appelée follis était un ballon semblable a celui dont on use encore aujourd'hui ; on le poussait du bras s'il était gros, et du poignet s'il était petit. La balle trigonale, pila trigonalis, n'était qu'une petite balle, que trois joueurs, placés en forme de triangle, se renvoyaient l'un à l'autre. On appelait pila paganica, la paume villageoise, une balle couverte de cuir, et remplie de plumes, qui n'était ni aussi grosse que le ballon, ni aussi petite que la trigonale, mais qui était fort serrée et fort dure. La quatrième espèce de balle, nommée harpastum, était fort petite ; on la poussait en l'air, et on tâchait de l'arracher à celui qui l'avait attrapée. Voyez Sallengre, Antiquit. Rom., tom. I, p. 363 ; — l’Encyclopédie, aux mots Paume et Sphéristère ; — Pasquier, Recherches de la France, IV, 15.

Sphaeristerio. — Sphéristère, lieu consacré à tous les exercices dans lesquels on employait la balle. Pline le Jeune nous a laissé la description de ses deux villa ; elles avaient l'une et l'autre un sphaesristerium. Les Romains, qui avaient imité les Grecs dans la construction de la plupart de leurs bâtiments, entre autres dans celle de leurs gymnases ou palestres, et de leurs thermes, y plaçaient aussi des sphéristères, qui n'étaient pas tellement affectés a ces édifices publics, qu'il ne s'en trouvât souvent dans les maisons des particuliers, tant à la ville qu'a la campagne. Les balles à jouer se nommaient en grec σφαιραι, sphères, globes, de la sphaeristerium ; on l'appelait en latin, pilae. La matière de ces balles était de plusieurs pièces de peau souple et corroyée, ou de quelque étoffe, cousues ensemble en forme de sac que l'on remplissait tantôt de plume et de laine, tantôt de farine, de graine de figuier, ou de sable. Ces diverses matières, plus ou moins pressées et condensées, composaient des balles plus ou moins dures.

Decem et septem stadia. — Le stade était la mesure de longueur chez les Grecs ; il fallait huit stades pour faire un raille romain. Le lac d'Avitacus avait donc un peu plus de deux milles.

Agonem Drepanitatum. — Drépane, Drepana, Drepanwn, est une ville de Sicile, située sur la côte occidentale ; les habitants du pays l'appellent aujourd'hui Trapano. — Par agonem Drepanitanum, Sidonius entend les jeux funèbres que les Troyens célébrèrent au port de Drépane, en l'honneur d'Anchise, père d'Enée. Virg. Aeneid. V. — Les Arvernes se vantaient de descendre des Troyens (Sidon. Epist. VII, 7.) ; et voilà pourquoi, sans doute, ils se plaisaient à imiter ces combats naumachiques de Drépane.

Paginam quae spatia.describit. — Imitation de Pline, Epist. V, 6.

LETTRE III.

In praesentiarum. — Cette locution revient plus d'une fois dans Sidonius; Epist. III, 6 ; IV, 3; V, 9; IX, 9.

Potissimus magistratus, c'est-a-dire consul. Les mêmes expressions se rencontrent souvent lorsqu'il est question de la dignité consulaire. Sidon. Epist. II, 13; V, 16. — Cassiod. Variar. II., 2 ; VI, 2. — Symm Epist. II, 63; IV, 28; X, 44.

Tua felicitate. — L'auteur fait allusion au nom de Félix ; c'est une sorte de jeu de mots qu'il paraît affectionner, et que l'on trouve dans quelques auteurs de l'époque. « Gaudentius gaudeat. » Epist. IV, 22. — « Illo jam in praesentiarum fausto potius, qui non senescit. » IX, 9, ad Faustum. — « Tuus Maximus maximo nobis ad ista documente poterit esse. » II, 13; — Carm. XVI, v. 137; XXIII, v. 154 — « A consule sumat annus auspicium, portumque dierum tali Domine dicatus annus, introeat. » Cassiod. Var. II, 1. — « Infelix autem quidam episcopus nomine revocatus, eo tempore revocatus a fide catholica. » Greg. Turon. II, 3.

Communione. — Sidon. Epist. I, 2, 11 ; IX, 11 ; VII, 9.

Fabium dictatorio rigori favor publicus praetulit. — Voyez Tite-Live, VIII, 29 à 35 ; — Valer. II, 2 ; — Frontin, Strategemat. IV, 1. Le passage suivant d'Eutrope va plus directement à celui de Sidonius : « Lucius Papirius Cursor cum honore dictatoris ad bellum profectus est ; qui, cum Romam rediisset, Q. Fabio Maximo magistro equitum, quem apud exercitum reliquit, praecepit, ne, se absente, pugnaret. Ille, occasione reperta, felicissime dimicavit, et Samnites delevit, ob quam rem a dictature capitis damnatus, quod se vetante pugnasset, ingenti favore militum et populi liberatus est : tanta Papirio seditione commota, ut pene ipse interficeretur. » II, 8.

Illud peculiare tuum est. — L'auteur dit la même chose de Clau dieu Mamert, E/risl. IV, 3.

LETTRE IV.

LA ville de Lugdunum, qui jouait un si beau rôle sous la domination romaine, fut noblement représentée dans le grand drame social d'alors par une famille dont nos annales ont bien droit de s'enorgueillir ; c'est des Syagrius que je veux parler. Le premier Syagrius que je rencontre, est celui dont nous parle Ammien Marcellin (XXVIII, 2), à l'année 369 de l'ère chrétienne. Syagrius Affranius, comme les fastes consulaires l'appellent, était alors notarius, ou secrétaire de l'empereur Valentinien. Ce prince, qui voulait arrêter les incursions des barbares de l'Allemagne, et défendre les bords du Rhin, fit construire un grand nombre de tours, de forts et de châteaux sur les rives du vaste fleuve, depuis son embouchure jusqu'à la Rhétie, où il prend sa source. On remarque principalement la forteresse qui fut élevée sur le Nekar, au lieu, sans doute, où cette rivière se jette dans le Rhin, et où se trouve la ville de Manheim. Puis ensuite, comme l'empereur voulut faire aussi construire un fort sur une montagne appelée Piri dans Ammien Marcellin, Syagrius fut chargé de présider à ce travail, conduit par deux généraux. Les Alamans, qui voyaient d'un œil inquiet des ouvrages destinés à les asservir, demandèrent avec instance que l'on n'allât point rompre la paix par cet acte d'hostilité ; n'ayant rien pu obtenir, ils attaquèrent les Romains au moment où ceux-ci charriaient les terres, et les tuèrent à coups d'épée. Les deux généraux ne furent pas épargnés : Syagrius s'échappa seul. Valentinien lui reprocha vivement de n'avoir pas su exposer sa vie, et le malheureux secrétaire fut exilé dans sa patrie, à Lugdunum, où les Muses le consolèrent de sa disgrâce. Sidonius, comme nous le verrons tout à l'heure, estimait beaucoup ses poésies, à moins que l'amitié ne lui inspire un langage trop flatteur. On souscrit cependant volontiers à de pareils éloges, quand on se rappelle que Syagrius mérita l'amitié d'Ausone, qui lui dédia le recueil de ses poésies. « Ne me dédaigne pas, lui disait-il, parce que je te recherche pour le protecteur de mes vers. Comme tu aimes à avoir une place dans mon cœur, noble Syagrius, et qu'étant un autre moi-même tu ne fais qu'un avec Ausone, sois aussi à la tête de mon livre, afin que l'on ne puisse presque pas distinguer auquel des deux il appartient. » Le titre d’almus, qu'Ausone se contente de donner à son ami, me fait penser que, dans le temps où ces vers furent adressés à Syagrius, il n'était pas encore préfet du prétoire des Gaules ; les empereurs avaient attaché à cet emploi le titre de illustris. Ce fut vers l'an 379, que Syagrius occupa sa charge de maître des offices, vers l'an 381 il devint préfet du prétoire des Gaules, occupa le même emploi deux fois encore, comme nous l'apprend Apollinaris Sidonius, et parvint au consulat en 382. Il paraît que ce fut à Milan qu'il prit les insignes de sa nouvelle charge, car il avait prié Symmaque d'assister à la solennité qui devait avoir lieu a cette occasion ; et celui-ci répondait[4] :

« Je sens, très illustre consul, combien ton amitié m'honore. Tu m'ordonnes d'aller te trouver, et de partager la joie que t'inspire ta dignité ; comment puis-je ne pas accéder à cette demande, si tu ne m'excuses avec autant de bonté que tu en as mis à m'appeler ? Eh ! que faire dans cette perplexité déplorable, lorsque je suis retenu d'un côté par notre vieille union, de l'autre par le deuil de la perte d'un frère ? Deux personnes différentes s'offrent en même temps à moi. Comment pourrais-je montrer un même visage en présence d'affections contraires ? Ainsi donc, prends part à ma tristesse, et dispense-moi de ce voyage. Que ceux qui sont dans le bonheur se groupent joyeux autour de ta chaise curule ; que tous tes amis, qui n'ont pas à se plaindre du sort, se trouvent à ton entrée en charge. Laisse-moi, avec le temps ou avec la raison, calmer en mon âme la douleur cruelle que me cause la perte d'un frère. Il faut encore, dans ce deuil prématuré, que je console mes proches ; leur chagrin redoublerait si leur inquiétude s'aggravait encore par la pensée d'un voyage précipité. Sois donc facile à m'excuser. Assurément, si tu veux te ficher de ce que je ne serai pas là, fiche-toi plutôt contre ma destinée ; c'est elle qui a jeté sa main sur moi, elle qui m'a retenu malgré moi. Adieu. »

Syagrius eut une statue à Rome, et fut enseveli à Lyon, où l'on montrait encore son tombeau du temps de Sidonius : il n'était pas loin de l'église de St-Just. Afranius Syagrius laissa une fille appelée Papianilla, qui fut mère de Ferréolos, personnage célèbre dans les Gaules vers le milieu du ve siècle ; puis un fils qui fut le fameux comte Aegidius, dont nos historiens défigurent le nom, et qu'ils appellent Gilles. En 456, Ricimer, ce farouche Suève qui faisait et défaisait les rois, l'envoya dans les Gaules en qualité de grand-maître de la milice. Il s'acquit bientôt, dans cette charge importante, une si haute renommée de sagesse et de piété, que lorsque les Francs, irrités des débauches de Hildéric, l'eurent précipité du trône, en 457 ils choisirent Aegidius pour leur chef. Celui-ci avait embrassé le parti de Majorien, et sut lui rendre de grands services. Une faction s'était formée dans les Gaules, faction puissante qui avait son centre à Lugdunum. Notre ville fut assiégée et prise ; traités en ennemis et en vaincus, nos ancêtres eurent à souffrir toutes les calamités que la guerre entraîne après elle. Un homme puissant et célèbre alors, Sidonius, avait pris la défense de sa patrie contre les troupes impériales ; mais autant il avait montré de courage d'abord, autant il étala de servile bassesse lorsque Majorien entra dans Lugdunum ; il prononça devant l'empereur même un long et ronflant panégyrique, ou il ne craignait pas de lui donner de plates louanges en face des ruines fumantes de la cité.

Ce fut Aegidius qui soumit Lugdunum à la puissance romaine aux abois ; Majorien, qui venait d'être reconnu dans notre cité, et qui se gagnait l'aversion du peuple par des impôts et par une forte garnison, fut assassiné le 7 août 461, par l'ordre de Ricimer. Aegidius reprit les armes pour venger la mort de son empereur ; mais Ricimer lui suscita de nombreux ennemis. Attaqué dans une ville sur le Rhône, il courut les plus grands dangers. Théodoric, roi des Visigoths, se rangea aussi parmi ses ennemis, et envoya contre lui le prince Frédéric, son frère, avec une armée. Un combat eut lieu entre les rivières de Loire et du Loiret. Le frère du roi des Visigoths fut battu, et perdit la vie. Aegidius passa ensuite la Loire, et assiégea plusieurs places, entre autres celle de Chinon. Dans l'année 464, il envoya des ambassadeurs en Afrique pour contracter un traité d'alliance avec le roi des Vandales. Mais des revers cruels vinrent, à cette époque, renverser la fortune du comte. Les Francs s'étaient lassés de la domination d'un étranger qui, entraîné dans de fréquentes guerres, les gouvernait avec dureté. Hildéric, lui, en quittant son trône et sa patrie, avait laissé dans les Gaules son ami et son confident Wiomadus, en le chargeant du soin de faciliter son retour. Wiomadus gagna la confiance d'Aegidius, et l'entraîna dans diverses démarches qui indisposèrent les Francs. Lorsque les choses en furent là, il envoya à Hildéric une pièce d'or qu'ils avaient coupée en se quittant. A ce signal, l'ancien roi des Francs revint de la Thuringe, fut reconnu par ses sujets, et battit Aegidius. Evarik, roi des Visigoths, l'accabla aussi de ses armes et le dépouilla d'une de ses provinces. Aegidius se retira a Soissons, où il mourut, en 464, empoisonné suivant les uns, assassiné suivant les autres.[5] Son fils Syagrius hérita de sa fortune sans hériter de son mérite, et fut aussi malheureux que lui. Sidonius le comptait au nombre de ses amis, et nous avons encore trois lettres qu'il lui adressa.

La première n'est qu'un billet d'amitié ; la seconde est plus précieuse pour l'histoire.

Syagrius fut sourd aux conseils de l'amitié ; car, après la mort de son père, il ne reçut pas le commandement des armées romaines qui fut donné au comte Paul, et n'exerça aucun empire sur les Francs. Relégué dans ses riches villas, s'occupant d'agriculture comme tant d'autres seigneurs d'alors, il regardait impassible les dernières convulsions du vieux cadavre romain, et cherchait une consolation dans les lettres.

Le Taïonnac dont il est parlé dans la seconde lettre a Syagrius, était placé près d'Autun, suivant le P. Sirmond. La carte de Peutinger aiderait à cette conjecture, si, d’un autre coté, Grégoire de Tours ne nous disait que Syagrius se tenait à Soissons, qui avait été au pouvoir de son père. Un simple démêlé qu'il eut avec un jeune et intrépide chef des Francs, Khlowig, alors maître de Tournai, lui enleva un reste d'autorité, et lui coûta la vie. Khlowig, suivant les expressions de Grégoire de Tours, avait demandé à Syagrius qu'il préparât un champ où ils pussent vider leur querelle. Syagrius accepta le défi ; mais cet indigne fils d'Aegidius, voyant que les Romains commençaient à plier, prit la fuite, et courut chercher un asile à Toulouse, auprès d'Alaric, roi des Visigoths. Khlowig, informé du lieu où s'était réfugié Syagrius, le fit demander par ses envoyés, qui l'amenèrent chargé de chaînes. Puis ensuite, dès qu'il fut maître des états de ce faible et malheureux ennemi, il le fit décapiter secrètement, en 486. L’empire des Romains, dans les Gaules, fut perdu sans retour avec Syagrius : ces belles contrées, que leurs anciens possesseurs n'avaient pas au défendre, furent sillonnées bientôt par des peuplades Franques, Burgondes et Vandales, qui formèrent plusieurs états avec ce vaste démembrement de l'empire romain.

A coté des illustrations politiques et militaires que présente la famille des Syagrius, il est une autre illustration plus moderne, sans doute, mais aussi belle et aussi noble que les autres, car la vertu vaut bien la gloire. Ce siècle peut-être après les Syagrius dont nous venons de parler, il existait une matrone pieuse, appelée Syagria, et dont Ennodius nous a conservé le souvenir.

Tranquille enfin dans ses états, Théodoric, roi d'Italie, après de longues et cruelles guerres, songeait à ménager la liberté et le retour d'un grand nombre de ses sujets, Lombards et Liguriens que les Burgundo-Vandales, dans leurs irruptions au-delà des Alpes, avaient emmenés captifs au pays des Allobroges et des Ségusiens, dont ils s'étaient emparés. Alors, il chargea de celte mission pacifique un pieux et vénérable pontife, Epiphane de Pavie, connu déjà par des ambassades que le succès avait couronnées. Epiphane vint donc à Lugdunum, suivi de son cher disciple Ennodius, puis de Victor, évêque de Turin. Gundebald, roi des Burgondes, faisait alors sa résidence dans notre cité ; Epiphane plaida auprès de lui la sainte cause des captifs, et, par son éloquence, comme aussi par le noble ascendant de ses vertus, il obtint ce qu'il demandait. Maintenant, il fallait une rançon. Le pontife lyonnais, Ruricius, l'évêque de Vienne, Alcimus Avitus, et notre généreuse Syagria surent pourvoir à tout. Six mille captifs recouvrèrent leur liberté, et reprirent joyeux le chemin de la patrie. Syagria se chargea de les vêtir et de payer les frais d'un long voyage. Ce fut ainsi qu'elle mérita d'être appelée le véritable trésor de l'Eglise, éloge sublime que lui décernait alors Ennodius,[6] et que la reconnaissance lugdunaise doit lui conserver comme une double et touchante auréole de gloire.

Sinibus infertur. — Cette locution se retrouve plusieurs fois dans Sidonius ; Epist. I, 7; VI, 2. Le verbe insinuare, qu'il emploie dans le sens de recommander, vient probablement de là.

Bonarum partium viros. — Sidon. Episl. II, 13; III, 6, 11; VII, 9. — Symm. Epist. IV, 57; IX, 79, 102.

LETTRE VIII.

Moestissimus haec tibi nuntio. — Imité de Pline, Epist. V, 16.

Justitio. — Justitium veut dire temps de vacations, ou de cessation de justice, jus, et store. On ordonnait le justitium dans un temps de deuil et en des circonstances importantes ; il est aisé de voir comment ce terme prit une nouvelle acception. Voyez le Glossaire de du Gange ; — Grégoire de Tours, VI, 30.

Caelibatu. — C'est-à-dire, veuvage ; ce mot est familier à l'auteur dans le sens de viduvium. Epist. IV, 9 ; VI, 2.

Infortunatam fecunditatem. — Il n'est personne qui ne se rappelle ici le magnifique passage de Tacite sur la veuve de Germanicus : « Infelici fecunditate fortunae totiens obnoxia, etc. » Annal. II, 75.

si quis haud incassum honor cadaveribus impenditur. — Ce n'est pas que Sidonius émette ici un doute, il use seulement d'une tournure assez fréquente chez les auteurs latins. Voyez Sénèque, De Brevitate vita, XVIII; — Ausone, Profess. XXII, 21 ; XXIII, 13.

Libitinam. — Libitina était la déesse des funérailles ; elle est ainsi nommée, parce que la mort enlève quand il lui plaît, ad libitum. Cette divinité donna son nom an temple qui lui était dédié, aux prêtres qui la servaient, aux gens qui vendaient sous leurs ordres les choses nécessaires aux funérailles, à une porte de Rome par laquelle on portait les cadavres hors de la ville, enfin au brancard sur lequel on portait les corps à leur sépulture. C'est dans cette acception que Sidonius emploie le mot Libitina.

sacerdotum propinquorumque manibus excepta. — « Translataque (Paula) episcoporum manibus, et cerricem feretro subjicientibus, in media ecclesia spetuncae Salratoris est posita. » Hieron. Epist. LXXXVI.

dormienti similior. — Sous-entendu, quam mortuœ. Nous ayons du traduire ainsi, pour que la phrase fut complète et française. Voyez Pline, Epist. VI, 16 ; et St. Jérôme, Lettre déjà citée, p. 688.

Naeniam funebrem. — Sidon. Epitt. VII, 17.

Injuste tibi justa persoluta. — Sidon. Epist. III, 4, 12; VII, 17. On lit dans Ovide, Metam. II, v. 627:

« Et dedit amplexus, injnstaque justa peregit. »

C'est la plainte ordinaire, chez les auteurs latins, sur les personnes qui succombent à une mort prématurée.

LETTRE IX.

Gestatio. — La gestation était une sorte d'exercice en usage chez les Romains pour le rétablissement de la santé : il consistait à se faire porter en litière, en chaise, ou à se faire traîner rapidement, soit dans un chariot, soit dans un bateau sur l'eau, afin de donner au corps du mouvement et de la secousse. Celse vante beaucoup les avantages de cet exercice pour la guérison des maladies chroniques : « Gestatio, dit-il, etiam longis et jam inclinatis morbis aptissima est. » De Medicina, II, 14. Nos médecins modernes recommandent aussi la gestation dans des voitures un peu rudes, et non pas dans celles qui, mollement suspendues, indiquent des sybarites dans une nation guerrière. Toute gestation, où l'on se sent à peine mouvoir, ne peut produire aucun effet. Une promenade à pied, qu'il ne faut pas confondre arec la gestation, s'appelait à Rome ambulatio, et la plupart des grands la préféraient à la gestation, sur la fin de la république. « Constituimus inter nos, dit Cicéron, ut ambulationem pomeridianam conficeremus in academia. » De finibus, I. Les lieux où se faisait la gestation furent appelés, du nom de cette promenade, gestatio. Voyez Pline, Epist. II, 17 ; — Sénèque, Epist. LV ; — Mémoires de l'Acad. des Inscript. et Bell.-Lett., tom. I, p. 321.

Aracynthum et Nysam. — Aracynthe, montagne située dans l'Etolie, en Grèce, selon Strabon, et dans l'Acarnanie, selon Pline. Ces deux savants géographes auront raison l'un et l'autre, si l'on fait attention que ces deux contrées, l'Etolie et l'Acarnanie, étaient limitrophes, et qu'elles ont été souvent confondues ensemble. — Nysa, montagne d'Asie, au-dessus de la Syrie, selon Xénophon.

sphaeristarum contra stantium paria. —  Sidon. II, 2; V, 17.

Huc libri Affatim in promptu, etc. — Juste-Lipse rapporte ce passage tout entier, et le fait suivre de ce petit commentaire: « Pluteos, id est, tabulas inclinates transversim, quibus libri legendi imponerentur ; cuneos, scamnorum seriera, ut in Athenaeo, sic digestara ; armoria autem plena et alta. » De Bibliothecis Synt. IX. Ce serait ici le lieu de parler de la disposition d'une bibliothèque chez les anciens, de l'ordre qui y régnait et de la manière dont les rouleaux y étaient placés. C'est un objet sur lequel on ne peut guère former que des conjectures appuyées sur quelques citations isolées et fort incomplètes. Voici toutefois un chapitre que nous empruntons a M. Gabriel Peignot : « D'abord les bibliothèques étaient divisées par armoires, et ces armoires étaient numérotées, car Vopiscus dit : — On voit dans la sixième armoire de la bibliothèque Ulpienne Ubrum elephantinum. Nous avons vu précédemment que la petite chambre où l'on a découvert les 1,700 rouleaux d’Herculanum, était entourée d'armoires de la hauteur de cinq pieds et demi. Boèce, dans sa Consolation, nous apprend aussi que ces armoires étaient ornées d'ivoire, c'est-à-dire, sans doute, que les montants de ces armoires étaient plaqués de petits bas-reliefs et arabesques ciselés en ivoire. On trouve, dans les ouvrages de jurisprudence : — La bibliothèque signifie tantôt le lieu, tantôt l'armoire ; et l'on dit : il achète une bibliothèque garnie d'ivoire. »

« .Ces armoires étaient fermées par des vitraux, du temps de Boèce (mis à mort en 546) ; de sorte qu'on pouvait voir du dehors les cases, foruli, capsae, destinées dans l'intérieur à recevoir les rouleaux. Ces rouleaux étaient placés de manière à tenir le moins de place, c'est-à-dire qu'on les glissait à côté les uns des autres dans leurs cases, comme nos marchands de papiers de tenture disposent leurs rouleaux dans leurs boutiques. Mais on avait soin que l'umbilicus, avec sa bossette, fut toujours en avant. La profondeur des rayons pouvait être de 15 pouces. Mais on n'entassait pas, sans divisions, les rouleaux les uns sur les autres ; car il eût été difficile de tirer un rouleau placé dans la partie inférieure de l'armoire, et qui eut supporté la charge des rouleaux supérieurs. Il y avait donc autant de rayons que de rangées de rouleaux ; et ces montants étaient plus ou moins séparés les uns des autres, selon la quantité de rouleaux qui appartenaient soit à un même auteur, soit à une même partie des connaissances humaines. Ces classifications s'étendaient du bas en haut, et la partie supérieure de l'armoire était parfois surmontée du buste de l'auteur ou d'une divinité qui présidait aux lettres ou aux sciences ; ainsi nous lisons dans Juvénal, III, 319 :

Hic libros dabit et forulos, mediamque Minervam.

« Celui-ci donnera des livres, le rayonnage et la statue de Minerve placée dans le milieu (au-dessus). »

« Apollinaris Sidonius, II, 9, parle ainsi des objets que l'on voyait dans une bibliothèque : — Des livres en abondance, des armoires, des rayons, des pupitres, des gradins, comme dans une librairie. »

« Cicéron qui était passionné pour les livres, qui avait tant de goût, et dont le goût était encore éclairé par celui de son ami Pomponius qui avait résidé a Athènes, écrivait à celui-ci, au sujet de sa bibliothèque qu'il avait fait rétablir, après son exil, dans son cher Tusculum : Bibliothecam mihi tui pinxerunt constructione et sittybis; eos velim laudes. IV, 5. — « Vos ouvriers ont parfaitement arrangé (décoré) ma bibliothèque, quant à la disposition des livres et des étiquettes ; faites-leur en mon compliment. » — Et ailleurs, s'adressant au même : Postea vero quam tyrannio mihi libros disposuit, mens addita videtur meis aedibus ; qua quidem in re mirifica opera Dionysii et Menophyli tui fuit. Nihil venustius quam illa tua pegmata, postquam mi sittybis libros illustrarunt. Valde est. VI, 8. — « Depuis que Tyrannion a mis un si bel ordre dans ma bibliothèque, elle est comme l'ave de ma maison. Dionysius et Ménophyle lui ont été d'un merveilleux secours ; rien de plus beau que le coup d'œil de ces rayons de votre goût, d'après la manière élégante dont ils ont étiqueté nos livres : tout est du plus bel effet. »

« Quel dommage qu'une bibliothèque pareille à celle de Cicéron, et aussi bien disposée, ne se soit pas retrouvée dans les ruines d’Herculanum ! Nous n'aurions plus rien à désirer sur l'ordre qu'on observait dans la construction du matériel d'une bibliothèque, dans sa décoration, ses embellissements, et surtout dans la classification des ouvrages. Privés de cette ressource, il faut donc que l'imagination s'aide de quelques citations des anciens, et, d'après la forme de leurs volumes ou rouleaux, y supplée, en se représentant un appartement exclusivement consacré à recevoir des livres, à les mettre à l'abri de toute avarie, à les présenter dans l'ordre le plus convenable. » Essai hist. et archéologique sur la reliure des livres et sur l'état de la librairie chez les anciens, p. 61.

Athenaei cuneos. — Athénée, nom d'une école de belles-lettres, que l'empereur Adrien avait fait construire à Rome pour servir d'auditoire aux savants, et à ceux qui voulaient lire leurs ouvrages en présence de beaucoup de monde. Il paraît, par le commencement des Satires de Juvénal, que ces sortes de lectures étaient fréquentes, et que Fronton prêtait sa maison et ses jardins aux poètes, qui voulaient réciter leurs vers devant une nombreuse compagnie. Plusieurs autres consentirent aussi que leurs maisons servissent à cet usage. C'était à celui qui devait lire son ouvrage à meubler proprement la salle ; c'était lui qui payait le louage des bancs et des sièges. L'empereur Adrien, qui aimait et qui entendait les belles-lettres, se proposa peut-être, entre autres fins, quand il fit construire l'Athénée, de soulager les auteurs de ces sortes de dépenses. Ce lieu servait aussi de collège, non seulement on y lisait des ouvrages, mais encore on y donnait des leçons. On a étendu le nom de ce lieu à toutes sortes d'académies destinées à l'explication des sciences et des langues ; car on les appelle en latin Athenaea.

L'Athénée qui se forma à Lugdunum fut célèbre a cause des grands hommes qui y enseignèrent, et par les jeux que l'empereur Caligula y institua. On y proposait, près de l'autel d'Auguste, des prix pour l'éloquence grecque et latine, et les vaincus étaient obligés d’effacer leur composition arec la langue ou avec une éponge, s'ils n'aimaient miens être fouettés ou plongés dans l'Arar.

Crévier, Hist. des Empereurs, tom. IV, p. 484, éd. in-4°, 1753. — Sidon. Epist. IV, 8; IX, 9.

Bibliopolarum. — L'état du bibliopola consistait à se procurer des ouvrages nouveaux, ou anciens, d'une réputation établie, à les faire copier par les librarii, à en multiplier les exemplaires, et les faire relier, puis à en enrichir son magasin, pour les répandre de là dans le public, les débitant à Rome, ou les expédiant dans les principales villes de l'Italie, et même des Gaules, de l'Afrique, de l'Espagne, etc. Pline, le Jeune, écrivait à son ami Geminius : « Bibliopolas Lugduni esse non putabam, ac tanto libentius ex litteris tuis cognovi venditari libellos meos, quibus peregre manere gratiam, quam in urbe collegerint, delector. Incipio enim salis abso-lutum existimare, de quo tanta diversitate regionum discreta hominum judicia consentiunt. » Epist. IX, 11.

Protomystarum. — Prêtres, pontifes, du grec πρῶτος, premier, et μυστης, instruit dans tes choses saintes. « Inclyti Galliae patres et protomystae. » Sidon. Epist. IV, 17 ; Carm. V, 597. — IX, 207.

Cavendusque tractator. — C'est-à-dire, docteur, comme l'explique Vincent de Lérins ; « Doctores, qui tractatores nunc appellantur. » Common. Voyez notre édition. — Sévère Sulpice, Dial 1, 3 ; — Claudien Mamert, De statu animae, I, 2, 3; II, 10 ; — St. Cyprien, Jérôme, Augustin, Arnobe, emploient le même terme dans le sens de docteur.

Archimagiro. — Ἀρχιμαγειρος, chef cuisinier. Juvénal, Sat. IX, 109.

Per spatia clepsydrae. — La clepsydre était une machine d’une figure pyramidale, en forme de cône. La base était percée de plusieurs petits trous, l'orifice supérieur était très étroit et allongé en pointe : « In vicem colli graciliter fustulati, » dit un auteur qui en parle; telle était la clepsydre d'Aristote.

Cette clepsydre, dont il parle si souvent, et dont il se trouve de si fréquentes descriptions dans ceux de son école, avait été employée par ce philosophe pour montrer que l'air est quelque chose de réel, et rendre sensible la force de résistance qu'il a pour repousser ou pour soutenir un corps. En prenant la clepsydre, on fermait l'ouverture de l'orifice supérieur par l'application d'un doigt ; et en la plongeant dans l'eau, on remarquait comment l'air, enfermé dans la clepsydre, repoussait l'eau, et ne donnait aucune entrée. Si on la retirait, en fermant toujours l'orifice supérieur, on remarquait comment l'air inférieur soutenait le poids du volume de l'eau qui était dans la clepsydre.

Pour avoir une idée juste de la clepsydre, qui est une horloge à eau, il n'y a qu'a renverser celle d'Aristote ; c'est de celle-là que les anciens parlaient. Aristophane s'exprime ainsi au sujet d'un homme qui aimait à faire le juge : « Son esprit est toujours à la clepsydre. » Le même terme, répété souvent dans le même sens,[7] se trouve expliqué par les anciens commentateurs, qui disent que la clepsydre est un vase qui a par le dessous une très petite ouverture, par laquelle l'eau s'écoule peu à peu, tandis que les orateurs plaident. C'est à cette coutume que Démosthène fait allusion dans sa harangue contre Midias, lorsqu'il dit que les crimes de ce coupable sont tellement multipliés, que si, pour les rappeler tous, il employait le temps qu'on accorderait à son adversaire et à lui, il ne pourrait encore en faire un récit assez circonstancié.

Le temps qu'on employait à l'instruction d'un procès, et à la décision qui suivait, était limité par l'eau qui se versait à différentes fois, ce qui faisait naître ces expressions, πρωτον, δευτερον, τριτον ὕδωρ , première, seconde, troisième eau.

Les Latins connaissaient l'usage de ces termes. On trouve dans Cicéron, en plusieurs endroits : Aqua mihi hœret..., aquam perdere. Quintil. Instit. XI, 3 ; Cicer. Epist. ad Q. fratrem, II, 8. Pline, déclamant contre la précipitation avec laquelle les juges de son siècle décidaient les plus grandes affaires, après avoir dit que leurs pères n'en usaient point ainsi, ajoute : « Pour nous, qui nous expliquons plus nettement, qui concevons plus vite, qui jugeons plus équitablement, nous expédions les affaires en moins d'heures, paucioribus clepsydris, qu'ils ne mettaient de jours à les entendre. » Epist. VI, 2. En effet, on pressait souvent un orateur, on ne lui laissait pas le temps de prononcer un discours, qui était le fruit de plusieurs veilles : Actione aqua deficit, dit Quintilien, Instit. XII, 6. Les juges réglaient le temps qui devait être accordé, et c'était clepsydras clepsydris addere. On suspendait l'écoulement de l'eau pendant la lecture des pièces, qui ne faisaient pas le corps du discours, comme la déposition des témoins, le texte d'une loi, la teneur d'un décret ; c'était là aquam sustinere.

On ne prenait pas toutes sortes d'eaux pour la clepsydre ; les unes étaient trop condensées par le froid, les autres trop raréfiées par la chaleur ; les unes s'écoulaient trop rapidement, les autres trop lentement. Les heures étaient donc ou trop longues ou trop courtes ; c'est ce qui nécessitait diverses précautions.

Pline attribue à Scipion Nasica l'invention des clepsydres, c'est-à-dire, des clepsydres romaines; car Vitruve les fait remonter à Ctesibius, qui fut un des génies les plus inventifs de toute l'antiquité. Nous pouvons même assurer que les clepsydres étaient de beaucoup antérieures à Ctesibius, puisqu'on en faisait usage au siècle d'Aristophane, qui vécut longtemps avant lui.

Le mot clepsydre vient du grec κλέπτω, condo, je cache, et ὕδωρ, aqua, eau. Mém. de l'Acad. des Inscript., tom. IV, p. 137 et suiv.; — tom. XX, p. 448 et 455.

Quinta digrediens. — C'est notre onzième heure. Le jour, chez les anciens, commençait au lever du soleil ; il était de douze heures, et la nuit de douze heures également ; mais ces heures, suivant l'inégalité des jours ou des nuits, devenaient plus ou moins longues. Au surplus, comme leur sixième heure finissait à midi, la cinquième correspondait toujours à la onzième des peuples modernes. Voyez Adam, Antiquités rom.

Si Voroangi eramus. — Maison de campagne du sénateur Apollinaris.

Si Prusiani. — Maison de campagne de Tonantius Ferréolus. Dans une brochure d'une feuille d'impression et qui a pour titre : Mémoire sur l'origine de la Maison de France, où l'on montre que cette origine est Alais,[8] M. l'abbé Teissier reporte jusqu'à Ferréolus la généalogie de nos rois. Cette singularité historique n'est pas ce qui doit nous occuper ici; mais la brochure de l'abbé Teissier nous présente, sur Voroangus et Prusianum, quelques documents qu'il importe de recueillir. Après avoir cité deux ou trois passages de la lettre de Sidonius, l'auteur en Tient à ce corollaire :

« La route de Nîmes en Auvergne, les bords du Gardon, une campagne magnifique et variée ou puissent se déployer deux superbes maisons de plaisance, des coteaux charmants, couverts de vignes et d'oliviers, ces traits réunis déterminent précisément l'emplacement de Prusianum et de Voroanqus dans la campagne d'Alais, qui, par son étendue et ses formes pittoresques, joint l'agrément des vallons à la magnificence des plaines.

« Si tous les monuments ont disparu, minés par les Barbares, dévorés par le temps, la position de Bresis, au pied du coteau de St-Germain, sur la rive droite du Gardon, à l'issue d'Alais, répond si bien à la description que Sidoine a faite de la maison de campagne de Ferréol, qu'on peut sans crainte fixer le Prusianum dans cette situation. Là, on retrouve si parfaitement ces coteaux superbes, rivaux de Nyse et d'Aracynthe, cette vue agréable sur une plaine riante, ce voisinage du Gardon, limite respective avec la campagne d'Apollinaire; sa situation est si gracieuse, son effet est si piquant, qu'on est également enchanté de la beauté du lieu, et de l'exactitude unique des rapports. Colles aedibus, etc.

Quant au Voroangus du sénateur Apollinaire, il se place alors naturellement à Beringueri, de l'autre côté du Gardon, sous la belle colline de Conillère, qui se prolonge au levant a environ quinze cents pas du Bresis, position ou il soutient si exactement les rapports de distance, de limite et de perspective : Interjecta gestatio lassat peditem, nec sufficit equitaturo... Domibus mediis est Vardo fluvius, etc.

« Non seulement l'emplacement est heureux par la conformité des lieux actuels à la description originale, mais l'application est nécessaire. On ne trouve point, sur les bords du Gardon, de campagne qui, par ses grands traits, offre un tableau pareil ; aucune autre ne présente ce magnifique bassin et ces superbes coteaux couverts de vignes et d'oliviers, avec cette variété de situation et cette différence de perspective, qui, par des charmes divers, dispute néanmoins d'agrément.

« Il ne faut point être surpris, du reste, de voir un préfet des Gaules, un homme des plus illustres de son siècle par sa naissance, son état et son mérite, originaire de cette contrée ; la Gaule Narbonnaise s'honorait déjà d'être la patrie des empereurs Antonin et Carus. Pline le naturaliste dit qu'elle ne cède a aucune partie de l'empire en culture et en productions ; qu'aucune n'est plus recommandable par l'étendue des richesses, les mœurs et le mérite des hommes ; qu'en un mot, c'est plutôt l'Italie qu'une province. III, 5.

« Mais dans cette province même, rien ne l'emporte sur le Prusianum; il n'est point de lieu plus intéressant par la sérénité du ciel et la douceur du climat ; point de sol plus recommandable par la fécondité et le charme de sa situation. La beauté naturelle de la campagne, sans autre ornement qu'une culture utile et variée, efface peut-être, même aujourd'hui, par sa magnificence simple, les créations de l'art les plus superbes et les plus recherchées. On peut voir, sans doute, ailleurs de plus 'vastes plaines et de plus beaux pays ; mais, au milieu de la zone tempérée, avec la douceur propre à ce climat et le mérite des productions naturelles, où trouvera-t-on un vallon étendu, aussi agréable par la variété des sites ? N'est-elle pas unique son immense prairie, couverte d'une riche futaie de châtaigniers, bordée de jardins nombreux, qui, en n'offrant que l'utile, produisent le charme le plus simple et le plus flatteur ? Entre toutes les collines du monde, qui a vu surtout l'égal du superbe coteau qui domine cette admirable prairie ? Qu'il est beau le magnifique spectacle d'une forêt d'oliviers qui se hausse par étages, et offre une verdure éternelle ! Qu'il est ravissant cet effet d'un vent large, qui, relevant la doublure blanche d'un vert pâle, présente le tableau d'une forêt d'argent qui fuit !

« Il y avait donc peu à faire pour embellir cette situation ; cependant, ces deux seigneurs, Ferréol et Apollinaire, n'avaient point négligé ce que le goût pouvait demander d'eux, pour embellir leurs demeures. Nous pouvons en juger par ce que Sidoine rapporte du Voroangus de son cousin Apollinaire. Avec quelle complaisance il décrit les agréments de cette campagne ! Après avoir emprunté de l'Italie et de la Sicile les bords fleuris du Galèse et la verdure odorante du mont Hybla, pour peindre les beautés locales par les images les plus riantes, quel doux intérêt il fait ressentir dans l'heureuse ordonnance des dons faciles de la nature, et le goût exquis qui a présidé- à ses grâces naïves ! Il est si ravi de son élégante et douce simplicité, qu'il la met bien au-dessus des merveilles de l'Inde, dans lesquelles l'or et les pierreries n'offraient qu'une superbe et stérile admiration. Si nous n'avons pas les mêmes détails sur le Prusianum, l'avantage de sa situation et le goût du seigneur ne permettent pas de douter qu'elle ne fut pour le moins aussi gracieuse.

« Mandajors, dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,[9] s'est appliqué le premier à déterminer l'emplacement de la maison de Ferréolus. D. Vaissette, après avoir parlé avec le plus grand éloge de cet illustre préfet, et avoir reconnu sa demeure ordinaire dans une de ses maisons de campagne, appelée Prusian, située sur les bords du Gardon, dans le diocèse de Nîmes,[10] joint cette note aux Additions et Corrections. M. de Mandajors nous a fait remarquer que, dans toutes les éditions de Sidoine, on lit Vorocingus dans le Propempticon ad libellum de cet auteur, et qu'ainsi les copistes peuvent avoir changé aisément le ci en a, et avoir mis Voroangus pour Vorocingus dans la lettre 9 du IIe livre de cet auteur. J'ajoute que les autres circonstances de cette lettre ne permettent pas de douter que le Prusianum et le Vorocingus de Sidoine ne soient les lieux de Bresis et de Brouzen, situés auprès d'Alais. Ses raisons nous ont paru si fortes, que nous adhérons volontiers à ses conjectures.

« Ménard, Histoire de Nîmes, tom. I, liv. I, n.° 53, dit que la maison de plaisance de Ferréolus, appelée Prusianum, était établie aux bords du Gardon, sur le grand chemin de Nîmes à Clermont, au bas des montagnes des Cévennes, en un endroit qui porte encore aujourd'hui le nom de Bresis, Bretium, dans le territoire d'Alais, nom qui présente des vestiges marqués de celui de Prusianum., dans lequel Ferréolus faisait alors sa principale résidence. Quant à la maison d'Apollinaris, il dit qu'elle était bâtie à l'endroit où est aujourd'hui la paroisse de Brocen, en latin Brocinus, à deux cents pas d'Alais, et que celle-ci, appelée Voroangus ou plutôt Vorocingus, se trouvait, selon que Sidonius nous l'apprend, si près de celle de Ferréolus, qu'on pouvait se dispenser d'en faire le trajet a cheval ; mais qu'elle était à une distance assez considérable, pour ne pouvoir aller à pied de l'une à l'autre sans se fatiguer.

« Sur cela, on observe qu'en recherchant la position de Prusianum, il a suffi de s'appliquer aux grandes indications, qui sont les bords du Gardon arec la route de Nîmes en Auvergne, et de considérer le rapport des dispositions actuelles de la nature a la description originale, pour se fixer dans la campagne d'Alais, qui répond si parfaitement aux grands traits de cette description par Sidonius.

« Mais, dès qu'on a voulu déterminer avec plus de précision l'emplacement de cette maison de campagne, il eût fallu moins s'arrêter aux dénominations particulières qui s'usent, que se fixer sur les grands effets locaux qui ont des traits plus invariables : ainsi, quoique le nom de Bresis ait un rapport heureux avec celui de Prusianum, il fallait moins se décider par cette consonance, que par le rapport encore plus heureux de sa situation : Uni in plana patentiaque prospectus ...... Domibus mediis it Vardo fluvius.... Colles aedibus superiores exercentur vinitori et olivitori. Tous les rapports sont ici merveilleusement remplis. Par la même raison, quelque analogie que le nom de Brouzen ait avec celui de Vorocingus, il fallait renoncer à cet emplacement, parce qu'il est contraire à la description : le Gardon coulait entre les deux maisons de campagne, Vorocingus qui avait la vue sur des bois, et Brouzen qui est du même côté de la rivière que Bresis, et n'a pas la vue sur des bois.

« Après avoir découvert la position de Prusianum et s'être fixé à Bresis, il fallait traverser la rivière ; et, à cette distance qui peut fatiguer un homme à pied, sans fournir une traite à cheval, on eût trouvé, pour le Vorocingus, la position sous des coteaux de vignes et d'oliviers, une situation agréable, et la rue sur des bois. En ne cherchant que le rapport des lieux, on eut encore trouvé l'analogie du nom ; car Beringueri, nom que porte aujourd'hui cette campagne, ressemble aussi bien à Vorocingus, que Bresis à Prusianum. Mais quand on n'eût point trouvé de nom analogue, on n'eût pas été moins assuré de l'exactitude de l'emplacement par la conformité des grands traits de la nature, qui subsistent après que les dénominations se sont effacées.

« Ainsi, dans ce sujet, il faut se décider : 1° par l'indication remarquable de la route de Nîmes en Auvergne, par une campagne étendue et variée, sur les bords du Gardon et sous des coteaux couverts de vignes et d'oliviers. — 2° Il faut se fixer sur le point qui, en donnant au Prusianum le cours du Gardon pour limite respective avec la campagne d'Apollinaris, l'établit de manière qu'enfin, sous un coteau supérieur, il domine sur la plaine. Or, ces caractères sont si sensibles et si bien exprimés que, sans aucun rapport du nom actuel, sans aucun vestige de monument, ils déterminent avec une précision singulière la situation de Prusianum, au pied du même coteau qui porte le nom de Bresis.

Cilicum velis. — Sidon. Epist. IV, 24, Des voiles des Ciliciens. Ces voiles, faits avec du poil de chèvre, furent, dit-on, inventés par les peuples de la Cilicie : « Ut fructum ovis e lana ad vestimentura, sic capra pilos administrat ad usum nauticum, et ad bellica tormenta, et fabrilia vasa.... Quod primum ea tonsura in Cilicia sit instituta, nomen id Cilicas adjecisse dicunt. » Varronis De re rustica, II, 9. — « Cilicium fit ex haedis asperum, setigerumque tegumentum. » Cassiod. in Psal. xxxiv, 15. On voit par là quelle est l'origine du mot français cilice. Paulini Epist. 7.

Cruditatem nostram tergente resoluti. — « Quantae nunc aliqui rusticitatis damnant Scipionem, quod non in caldarium suum latis specularibus diem admiserat, quod non in multa luce decoquebatur, et exspectabat ut in balneo concoqueret ! » Senecae Epist. LXXXVI. — « Balineae ardentes, quibus persudare in corporibus coqui cibos. » Plin. Hist. natur. XXIX, 80. « Cautissimos ex his balineis coqui videmus, exanimesque efferri. »XIV, 28. Horat. Epist. I, VI, v.61. Juven. Sat. I, v. 144 — Colum. in Praef. — Celsi De re medica, II, 17. — Auson. Mosella, v. 34. — Celsi I, 4.

Vuardo. — Sidonius est le premier écrivain qui parle de ce fleuve, dit Adrien de Valois, Notit. Gall. p. 585. — Ruricinus l'appelle Guardo, Epist. I, 7. Il a sa source dans les Cévennes, en Languedoc, et se perd dans le Rhône, à une lieue au-dessus de Beaucaire. Tout le monde sait que cette rivière est traversée par le fameux pont du Gard ou du Gardon.

LETTRE X.

Subduximus ferulae manum. — Savaron prétend que cette phrase est une locution proverbiale ; il n'est pas nécessaire, ce semble, de recourir à de grandes conjectures dans un pareil sujet. L'auteur veut dire simplement qu'il a été sous la discipline des maîtres, qu'il s'est vu forcé de présenter sa main à la férule, en la retirant toutefois bien souvent de frayeur. C'est une manière assez plaisante d'exprimer une chose vulgaire : J'ai fréquenté les écoles. Beaucoup d'auteurs ont usé de cette locution, et d'une manière en quelque sorte sacramentelle. On lit dans Juvénal, Sat. I, v. 15 :

« Et nos ergo manum ferulae lubduximus,

et nos Consilium dedimus Sullae. »

— «Et nos didicimus litteras, et nos saepe manum ferulae subtraximus. » Hieron. Epist. XXXII. — « Ergo frustra tanto tempore studuimus, et saepe manum ferulae subduximus ? » Epist. XXXIII. — Voyez Erasme, Adagia, p. 604. Lugd. Batav. 1703 ; — Juvénal de Lemaire, tom. I, p. 26.

Le Ve siècle est, plus que tout autre siècle, une époque de désastreuse mémoire ; les hordes sauvages et barbares qui se pressaient aux froides régions du Nord, fondirent tout à coup sur l'empire et sur les Gaules principalement, une fois que la main de Dieu leur eut lâché la bride, et jetèrent partout le ravage et la désolation. Au milieu de cette vaste misère sociale, la providence néanmoins se plut à consoler, à soutenir l'Eglise, en lui donnant plusieurs grands évêques dont la sainteté merveilleuse resplendissait d'un vif éclat à travers les épaisses ténèbres qui pesaient alors sur le monde.

Notre Eglise lyonnaise eut une large part à cette bénédiction d'en haut ; ce fut pour elle un noble privilège de recevoir d'abord le grand Eucher, puis ensuite le saint pontife Patiens. On ne s'accorde pas a fixer le commencement de son épiscopat ; quelques critiques le font succéder à Eucher, vers l'an 450. D'autres lui donnent pour prédécesseur un St. Veranius, différent du fils d'Eucher, et les anciens catalogues de l'Eglise de Lyon mettent, après St. Eucher, Salonius et Veranius. Ce sont apparemment les fils d'Eucher que cette Eglise aura placés par honneur dans ses diptyques, quoiqu'ils fussent assis l'un et l'autre sur d'autres sièges épiscopaux. Ce qu'il y a de certain, c'est que Patiens gouvernait l'Eglise de Lyon quelque temps avant 470. Il était, en cette qualité, chef et métropolitain de sa province, qui était la première lyonnaise.

Tout ce que nous savons sur la vie et sur les actions de cet évêque, nous le devons presque uniquement aux lettres de Sidonius. C'est aussi dans cette source que les auteurs de la Gaule chrétienne, du Martyrologe gallican et des Actes des Saints, ont puisé toutes leurs narrations. Parmi ces lettres, une seule est adressée à Patiens lui-même ; Sidonius lui donne, suivant l'usage de cette époque, le nom de Pape Patiens. Il donne ce même titre à Fauste évêque de Riez à St. Rémi évêque de Reims, à St. Loup évêque de Troyes, et à plusieurs autres prélats avec lesquels il entretenait un doux commerce de lettres. Tout le monde sait que le nom de Pape, qui ne signifie autre chose que Père, se donnait indifféremment à tous les évêques, et surtout à ceux des grands sièges, jusqu'à ce que le fameux Grégoire VII, élu pape le 20 avril 1073, en fit le titre exclusif du souverain Pontife.

Dès que Patiens fut en possession de l'épiscopat de notre ville, il apporta dans le gouvernement de son diocèse les soins les plus éclairés, le zèle le plus généreux, la charité la plus tendre ; toute sa sympathie était acquise à ces âmes froissées par l'indigence et le malheur, à ces esprits égarés dans les voies fatales de la doctrine d'Arius. Il faut voir quels éloges lui donne Sidonius, dans la 12e lettre du livre VI.

Des libéralités aussi grandes que celles dont il y est parlé, paraîtront peut-être bien plus convenables à la fortune d'un grand potentat, qu'à celle d'un évêque. Mais il est facile d'expliquer un fait si extraordinaire, si l'on considère quels étaient les prélats du Ve siècle, du moins dans les villes considérables. C'étaient pour la plupart des sénateurs romains, des gouverneurs de province, des premiers officiers de l'empire, des hommes dont l'opulence égalait presque celle des rois. Leur crédit et leurs biens étaient une des plus grandes ressources de l'Eglise, qui avait ou qui croyait avoir besoin, en ce temps-là, de l'un et de l'autre. Tel était Patiens ; tels étaient Avitus et Apollinaris, le premier évêque de Vienne, le second de Valence, et tous deux petits-fils d'un empereur : les peuples les choisissaient pour leurs évêques, sans les consulter, et il leur fallait faire souvent une sorte de violence, afin qu'ils se laissassent ordonner. Les Ambroise, les Sidonius, St. Grégoire pape au siècle suivant, et tant d'autres, sont des preuves de cet usage. Colonia, Hist. litt. de Lyon, tom. I, p. 162.

A l'époque où Patiens manifesta son zèle par de si grandes libéralités, par de si vastes aumônes, les Burgondes régnaient sur le Lyonnais et sur les provinces voisines ; leur roi s'appelait Gondioc, et Gondebaud, suivant Baillet, Vies des Saints, et le P. Sirmond, Not. in Sidon.; Chilpéric, selon le P. Labbe et Tillemont, Mémoires, tom. XVI, p. 98. Il nous paraît que le prince dont parle Sidonius doit être Gondioc, fils de Gondahaire, et qui mourut en 476. Voyez la Biog. univ., art. Gondahaire, et Clerjon, Hist. de Lyon, tom. II, p. 125. Ce roi, le même dont parle Sidonius dans sa lettre, réunissait sous sa domination une portion de la Suisse et de l'Alsace, la Franche-Comté, la Bourgogne et la Bresse, le Dauphiné, le Nivernais et une partie de la Provence.

Grégoire de Tours n'a point oublié l'admirable conduite de Patiens (en 474 et 475) au milieu de la cruelle famine et des malheurs qui affligeaient alors les Gaules. « Pendant le pontificat de Sidonius, écrit-il, une grande famine désola la Bourgogne. Comme les peuples se dispersaient dans différents pays, et qu'aucun homme ne fournissait des vivres aux pauvres, on rapporte qu'Ecdicius, sénateur et parent de Sidonius, mettant sa confiance en Dieu, fit alors une belle action. Pendant les ravages de la famine, il envoya ses domestiques avec des chevaux et des chars vers les villes voisines, pour qu'ils lui amenassent ceux qui souffraient de la disette. Ceux-ci l'ayant fait, amenèrent à sa maison tous les pauvres qu'ils purent trouver. La, il les nourrit pendant tout le temps de la disette, et les empêcha de mourir de faim. Il y eut, comme beaucoup le rapportent, plus de quatre mille personnes des deux sexes. L'abondance étant revenue, Ecdicius les fit reconduire chacun dans son pays par le même moyen. Après leur départ, il entendit une voix parlant du ciel qui lui dit : Ecdicius, Ecdicius, puisque tu as fait cette action, ta postérité ne manquera jamais de pain, parce que tu as obéi à mes paroles, et rassasié ma faim, en nourrissant les pauvres. » — Beaucoup de gens rapportent que cet Ecdicius était d'un courage admirable. On dit qu'un jour, avec dix hommes, il mit en fuite un grand nombre de Goths.

On raconte que, pendant la même famine, saint Patiens, évêque de Lyon, fit au peuple le même bien. Il nous reste encore une lettre de saint Sidonius, dans laquelle il le loue solennellement à ce sujet. » Hist. de France, liv. II, p. 83 du tom. I de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, par M. Guizot. Grégoire de Tours reconnaît un style d'orateur dans la lettre de Sidonius : « Extat hodieque apud nos beati Sidonii epistola, in qua eum declamatorie collaudavit ; » mais les ornements ne blessent point la vérité, quand ils ne la défigurent pas.

Le zèle de Patiens fut loin de se renfermer et de se circonscrire dans la métropole ; l'amour de la discipline ecclésiastique lui fournit encore l'occasion de faire éclater sa fermeté. Ce fut au sujet de l'élection de Jean, évêque de Châlons-sur-Saône, qu'il consacra vers 470, malgré les brigues de trois indignes rivaux. Gallia christiana, tom. IV, p. 25 et 862. Acta Sanctorum, 11 septemb. — Severt, Chron. histor. Archiep. Lugd., p. 58. — Raynaud, Indi-culus SS. Lugdunensium ; p. 75. — Paradin, Hist. de l'Eglise de Lyon, chap. 6. — Longueval, Hist. de l'Eglise Gallicane, tom. II, p. 156. Cette démarche, si digne du zèle de Patiens, remplit de joie ceux qui aimaient l'Eglise, comme l'on en peut juger par celle que témoigne Sidonius lorsqu'il raconte cette ordination à un de ses amis, dans la lettre 25 du livre IV-

On voit par-là que les Bourguignons, sous la domination desquels était Châlons, laissaient aux évoques la liberté de s'assembler pour les élections.

La piété libérale et magnifique de Patiens se fit remarquer surtout dans le soin qu'il eut de bâtir de nouvelles églises et de réparer les anciennes : celle dont nous parle Sidonius devait être magnifique, si l'on en juge par la description qu'il nous en a laissée.

On trouve un évêque nommé Patiens, parmi ceux qui souscrivirent au concile d'Arles en 475 ; mais il n'y est placé qu'après plusieurs simples prélats : c'est une raison de douter que ce soit bien l’évêque de notre cité. Quelques écrivains ont prétendu que, peu de temps après ce concile d'Arles, il s'en tint un autre à Lyon sous Patiens; mais leurs conjectures ne reposent que sur des bases ruineuses. Hist. litt. de la France, tom. II, p. 506. —Tillemont, Mémoires, tom. XVI, p. 103. — Baillet, Vies des Saints, tom. VI, p. 123. —-Poullin de Lumina, Hist. de l'Eglise de Lyon, p. 69.

Nous ne connaissons aucun écrit de Patiens ; néanmoins on peut dire que l'Eglise et les lettres lui doivent la Vie de Germain d'Auxerre, qu'il fit écrire par le modeste et savant Constantius, prêtre de son clergé, et qui lui dédia son travail, dans une lettre que nous aimons à reproduire ici :

Domino beatissimo Apostolico, et mihi in aeternum patrono, Patienti, Constantius peccator.

Merito inter omnes virtutes obedientia vendicat principatum, quœ facit plerosque tentare quod nequeunt. Et ideo dignœ de-votionis laude habendi sunt qui, considerata sui impossibilitate, jubentibus obsequuntur. Itaque, Papa venerabilis, dum et sanc-tum virum illustrare virtutibus suis desideras, et profectui omnium, miraculorum exempta largiri, imperasti sœpissime, ut vitam sanctissimi Germani episcopi, obumbratam silentio, qualicumque stylo, vel praesentibus vel posteris traderem. Quod dum audacter aggredior, prœsumptionis reum esse me sentio : seddale venum. Nam pene est ut etiam judicium vestrum quaedam culpa respergat, qui tantes materim relatorem magis dignum debuissetis eligere. Sed quia uterque charitati operam damus, dum et vos me putastis posse quod nequeo, et ego auctoritati vestrae tibens pareo, orate ut ministerium meum grattam, quam sui merito non potest obtinere, vestra intercessione mereatur. Vale longum in Christo, meique semper memor, beatissime praesul.

A Patiens, mon bienheureux maître apostolique, et mon patron à jamais, Constantius pécheur.

C'est à bon droit que, parmi toutes les vertus, l'obéissance réclame le premier rang, puisqu'elle nous fait souvent entreprendre ce qui est au-dessus de nos forces. Aussi faut-il louer le pieux dévouement d'un homme qui, même avec la conscience de sa faiblesse, se rend aux ordres qu'on lui intime. Or, Pape vénérable, jaloux que vous êtes de faire connaître les vertus d'un saint personnage, et de fournir à l'édification publique tant de merveilleux exemples, vous m'avez ordonné bien souvent de livrer à nos contemporains ou de transmettre à la postérité, n'importe en quel style, la vie du bienheureux évêque Germain, ensevelie jusqu'ici dans le silence. Si je me mets hardiment à l'œuvre, ce n'est pas sans m'accuser de présomption : excusez-moi toutefois. Peu s'en faut que votre jugement ne soit en quelque sorte compromis ; car, pour un si grand sujet, vous eussiez dû choisir un plus habile historien. Mais, comme nous obéissons l'un et l'autre à la charité, vous, en me croyant capable de ce qui excède mes forces, et moi, en cédant volontiers à votre autorité, faites par vos prières, que mon ministère mérite, avec votre intercession, la grâce qu'il ne saurait obtenir de lui-même. — Adieu longuement dans le Christ, et gardez toujours souvenance de moi, bienheureux Pontife.

L'illustre pontife mourut vers l'an 491, suivant Baillet, et peut-être le 11 de septembre, jour auquel on célèbre sa fête à Lyon. Ce lut en 48o, selon Godescard, Vies des Pères, 11 septembre.

Clerjon, tom. II, p. 128, le fait mourir avant l'année 476, mais sans indiquer les autorités sur lesquelles il se fonde. Nous ne sommes pas de ceux qui aiment jeter de la boue sur la mémoire des morts; il nous sera bien permis toutefois de dire ici que nous déplorons la légèreté voltairienne avec laquelle ce jeune écrivain, qui donnait de si belles, de si légitimes espérances, traite la vie de Patiens et, en général, toute notre histoire ecclésiastique.

Le corps de Patiens fut inhumé, ou du moins transporté dans l'église de St-Just. Ses restes sacrés y furent découverts longtemps après ; religieusement conservés jusqu'au XVIe siècle, ils disparurent à cette époque de trouble et d'agitation, dans les ravages des Huguenots qui ruinèrent l'église de St-Just.

Ortum prospicit aequinoctialem. — Autrefois les chrétiens priaient souvent, le visage tourné du côté de l'orient ; c'était un emblème de l'espérance qu'ils avaient de ressusciter avec le Christ. Par la même raison, le grand autel, dans les églises, regardait la partie orientale du ciel, et l'entrée la partie occidentale. Constit. Apost., II, 57. Cet usage admettait cependant des exceptions, ou quelques circonstances particulières. Bona, Liturg., I, 20. Dans la grande église d'Antioche, l'autel ne regardait point l'orient, mais l'occident. Socrat. Hist., V, 21. Saint Paulin qui reconnaît lui-même, Epist. 12, que l'usage le plus commun était de tourner les églises à l'orient, ne laissa pas d'en faire construire une à Fondi, qui avait son aspect à l'occident, du côté du tombeau de St. Félix. Voy. Godescard, Vies des Pères, tom. XI, p. 61 ; — Fleury, Mœurs des Chrétiens, n° 35 ; — Dom de Vert, Cérémonies de l’Eglise, tome IV, p. 68 ; — Mabillon, Liturg. Gall., I, 8.

Bracteatum. Bractea signifie une lame ou une feuille d'or, ou d'argent, ou de quelque autre métal. Les anciens ne doraient pas avec une simple teinture d'or, comme nous, mais en appliquant des lames d'or plus ou moins épaisses.

Sub versicoloribus figuris. — On peut voir dans les Mœurs des Chrétiens, n° 36, par l'abbé Fleury, quels étaient les ornements des églises aux premiers siècles. Les ouvrages de mosaïque, les peintures sur verre étaient dès-lors en usage.

Hinc est porticus applicata triplex. — « D'abord on trouvait, dit Fleury, un portail ou premier vestibule par où l'on entrait dans nu péristyle, c'est-à-dire, une cour carrée, environnée de galeries couvertes, soutenues de colonnes, comme sont les cloîtres des monastères. Sous ces galeries se tenaient les pauvres, à qui l'on permettait de demander la porte de l'église, et au milieu de la cour était une ou plusieurs fontaines pour se laver les mains et le visage avant la prière ; les bénitiers leur ont cédé. Au fond était un double vestibule, d'où l'on entrait par trois portes dans la salle ou basilique, qui était le corps de l'église. La basilique était partagée en trois, suivant sa largeur, par deux rangs de colonnes qui soutenaient la galerie des deux côtés, et dont le milieu était la nef, comme nous voyons à toutes les anciennes églises. » Mœurs des Chrétiens, XXXV.

Agger. — La voie publique ; voyez Sidon., Epist., 1, 5; III, g ; IV, a4; drm. XXIV.v. 5.

Essedorum. Esseda, essedum, l’Essède, était une espèce de char ou chariot, en usage chez les Belges et chez d'autres peuples des Gaules ; il était a deux roues, et tiré par deux chevaux ou par deux mulets, marchant l'un à la queue de l'autre. On s'en servait à la guerre ; les combattons appelés essedarii étaient debout dans leur essède. Les gens du peuple, les personnes distinguées voyageaient dans cette voiture ; on y mettait indistinctement et des hommes et des bagages ; on en conduisait dans les triomphes, on en fît courir dans les cirques, on en fît même monter par des gladiateurs. On croit que l’essède avait des faux à l'essieu des roues, comme plusieurs autres chariots gaulois ; cette voilure était aussi en usage parmi les peuples de la Grande-Bretagne. Montfaucon, Antiquité expliquée, tom. IV, p. 193. —Sabbathier, Dict., au mot Essède.

Helciarorum. — Qui tire un bateau avec une corde. Du mot grec elkw, traho.

Celeusma. — Celeusme, nom que l'on donnait au cri par lequel on exhortait, chez les Grecs, les rameurs à redoubler d'efforts. Le céleusme était aussi à l'usage des gens de mer, chez les Romains. « Les commandans, avec leurs céleusmes, dit Arrien, ordonnaient aux rameurs de commencer ou de cesser ; et les rameurs, répondant par un cri, plongeaient tout à la fois leurs rames dans le fleuve.[11] »

On trouve une élégante description du céleusme au livre III des Pastorales de Longus; comme, dans notre auteur un écho répond aux chants des nautonniers. Toutefois, soit dit en passant, il ne faudrait pas demander a la traduction de Messire Amyot quoique revue par Paul-Louis Courier, vigneron, le keleusthV de l'auteur grec.

Sidonius parait s'être souvenu de ces vers de Martial, Epigr.,

Quem nec rumpere nauticum celeusma,

Nec clamor valet helciariorum.

Voyez Censorinus, De die natali, XII ; — Rutilius, Itin. I, v. 369.

D'après ce passage de Sidonius et quelques vers de Paulin de Nola, il parait que les chrétiens avaient pour céleusme des hymnes et des psaumes. Voici les vers de Paulin, Carm. XXX.

« Navitae laeti solitum celeusma

Continent, versis modulis in hymnes

Et piis ducent comites in aequor

Vocibus auras. »

Iste est locus. — « Ecclesia ergo illa, dit Mabillon, Orienti obversa, laqueari deaurato ornata erat. Ex marmore fornix, pavimentum, et fenestrae, vitris versicoloribus distinctae. Duplex in aditu porticus ad totidem portas, quarum una capacior pœnitentes excipiebat. Media navis columnis ex marmore Aquitanico, id est, Pyrenœis montibus exciso, hinc inde vallata, quasi silvam saxeam exhibebat. » Liturg. Gall., I, 8.

Foenore remunerandum. — Ce mot, employé en ce sens, revient souvent dans Symmaque ; Epist., I, 8, 14, 28; II, 56,73. — Plinii Epist. IX, 38.

Opus est ut sine fine. — Sidon. Epist. VI, 4- — Paneg. Anthemii, v. 186; — Carm. XVI, v. 89.

Lectites, Lecturias. — Sidon., Epist. VII, 18; IX, 7.

Sisque meminens. — Sidon. Epist. IV, 3, 12; VI, 3; VII, 6.

Oris tui limam studiorum cotibus expolitam. — Sidon. Carm. II, v. 187. — Carm. XXXIII, v. 143. — Cassiod. Var. III.

Sidonius écrivait cette lettre à son ami, peut-être vers l'an 467. La basilique dont il lui fait une description si pompeuse, si riche, si brillante, quelle était-elle ? L'histoire ne répond guère que par le silence, tant les œuvres de l'homme s'effacent vite de la terre, pour ne pas y laisser même de vestige ! Parmi les auteurs qui ont écrit sur notre cité, le P. de Colonia est le seul qui nous dise quelque chose de sage et de probable sur l'ancienne église des Maccabées, sur la place qu'elle pouvait occuper. C'est donc à lui que nous allons recourir dans la question qui nous occupe.

Le christianisme, faible et timide en ses premiers jours, se cacha d'abord dans les catacombes avec ses rites pieux et ses mystères sacrés; toute cette génération nouvelle qui allait prendre au corps le vieil empire romain, et se disséminer sur la face du globe, se pressait et se remuait sous la terre, en quelque sorte. Le fer du bourreau et du licteur vint l'arracher à ses cryptes, le sang des martyrs coula, et ce fut au pied de l'échafaud que les sectateurs de Christ achetèrent leur droit de cité. Proscrits et tués pour leur foi, des autels bientôt furent construits à leur honneur, des basiliques furent élevées sous leur invocation, et remplacèrent les catacombes devenues inutiles dès que la croix pouvait se montrer au grand jour. La première église de Lyon ne date que des temps de Zacharie, successeur d'Irénée ; encore n'était-ce qu'une sorte de crypte, que l'on avait grand soin de dérober aux yeux des infidèles. Les Maccabées, sous le patronage desquels ce lieu fut consacré au Seigneur, étaient apparemment un nom général qui désignait les martyrs de Lugdunum, morts avec leur chef Irénée. Le pontife Zacharie venait de recueillir leurs restes ; né, suivant l'opinion commune, dans les murs d'Antioche, où les Maccabées avaient enduré la mort, il voulut sans doute honorer sous un nom si vénérable, et qui leur convenait si bien, les héros de la foi chrétienne à Lugdunum. Ceci n'est qu'une conjecture ; nous l'abandonnons au lecteur.

Quoi qu'il en soit d'ailleurs, notre Eglise est toute grecque dans son origine, dans ses rits, dans ses premiers évêques Pothin homme de désir, et Irénée homme de paix, dans un grand nombre de ses plus anciens habitants, de ses premiers martyrs. Il ne faudrait donc pas être étonné si Zacharie, grec lui-même de naissance, choisit des saints vénérés dans tout l'Orient, pour dédier à Dieu, sons leur pieuse invocation, la crypte qu'il consacrait à la mémoire de nos martyrs. N'y avait-il pas une certaine ressemblance de force et de courage entre Eléazar qui, d'après les divers martyrologes, souffrit ici la mort avec ses huit enfants, et les sept frères qui périrent là-bas massacrés par l'ordre d'Antiochus ?

Tout ce que Zacharie put rassembler des précieux restes de nos martyrs, il le plaça dans son église souterraine. Humble et pauvre, elle se ressentait de la simplicité des premiers siècles, lorsque Patiens, issu d'une famille opulente, s'occupa de l'enrichir et de l'orner. La dédicace en fut pompeuse : un évêque, célèbre alors par son savoir et son éloquence, Faustus de Riez, vint prêcher à la solennité qui dura huit jours. Sidonius lui fait à ce sujet les compliments les plus ingénieux (IX, 3).

Dans une autre lettre (V, 17), le même auteur informe son ami Eriphius de ce qui lui était arrivé à Lyon le 3 septembre. « Nous nous étions réunis, dit-il, au sépulcre de St. Just, tandis que la maladie t'empêchait de te joindre à nous On avait fait avant le jour la procession annuelle, au milieu d'une grande population des deux sexes, que ne pouvait contenir la vaste basilique et la crypte, quoique entourée d'immenses portiques. Après que les moines et les clercs eurent célébré matines, chacun se retira de divers côtés, pas très loin cependant, afin d'être tout prêt pour tierce, lorsque les prêtres célébreraient le sacrifice divin. Les dimensions du lieu, la foule qui se pressait autour de nous, et la grande quantité de lumières nous avaient suffoqués …. »

On voit bien que Sidonius décrit ici l'ancienne et magnifique église des Maccabées, qui depuis peu avait changé de nom pour prendre celui de Saint-Just, et qui fut démolie en 1562 par les huguenots.

Un second trait de Sidonius va nous fournir quelques nouvelles lumières pour fixer exactement l'ancienne situation de Lugdunum, du côté de Saint-Just. Nous renvoyons le lecteur à la 12e lettre du livre III.

De tous les faits qu'elle présente, il résulte que l'ancienne ville de Lyon ne s'étendait guère plus loin que l'ancienne église de Maccabé et, dont il reste quelques faibles vestiges hors de la porte de Saint-Just. Le 'grand nombre de tombeaux qui se trouvaient dans le voisinage de cette église ; celui du préfet Syagrius qui n'en était éloigné que de la portée d'un trait (V, 17) ; le sépulcre du vieil Apollinaris, qui en était fort proche, et qui était lui-même environné de tant d'autres tombeaux qu'il ne restait plus d'espace pour en placer d'autres : tout cela ne pouvait pas se trouver dans l'enceinte de la ville. On observait toujours la loi qui défendait d'ensevelir les morts dans les cités ; c'était surtout le long des grands chemins que l'on plaçait les tombeaux, et cela, soit pour rappeler le souvenir des morts, soit pour instruire les vivants, soit pour les exciter a défendre avec courage leur patrie, en y voyant les sépulcres de leurs ancêtres. La célèbre Cynthia de Propertius demande qu'on place son tombeau dans un lieu où les passants puissent l'apercevoir sans peine, et que l'inscription qu'on y mettra soit si courte que les voyageurs puissent la lire tout entière sans s'arrêter (Eleg., IV, 17) :

« Hoc carmen media, dignum me, scribe columna,

Sed breve, quod curreus vector ab urbe legat. »

Revenons. — La basilique sur laquelle on plaça l'inscription de Sidonius est visiblement la même que celle où il assistait à l'office divin la nuit du a septembre. Il parle d'une vaste et magnifique église, décorée de longs et larges portiques, remplie d'une foule immense qui y venait de toutes parts en procession ; c'est aussi à peu près ce que dit en termes différents l'inscription du poète. Par les deux derniers vers, il engage les habitants de Lugdunum à venir prier dans un lieu qui doit les conduire au ciel ; or, il est non seulement certain, mais il est manifeste que dans sa lettre à Eriphius il parle de l'église des Maccabées, puisqu'il était allé, dit-il, pour prier sur le sépulcre de St. Justus, dont on célébrait la fête avec une pompe extraordinaire.

Ce que Sidonius ajoute sur la situation du temple, ne peut convenir qu'à celui des Maccabées. Il est bâti, dit-il, sur le grand chemin, et sur le confluent du Rhône et de la Saône. Je ne pense pas que ce mot latin, Arar resultat, doive s'entendre ici du retentissement des eaux de la Saône, qui ne fait pas beaucoup de bruit, comme tout le monde sait ; le vrai sens de ce terme resilit ou resultat, serait donc alors que les paisibles eaux de la Saône sont repoussées, dans la jonction, par les flots impétueux du Rhône. C'est en se tournant de là vers le saint temple que les voyageurs et les voituriers adressent à Dieu leurs prières ; c'est en levant les yeux vers ce temple que les bateliers adressent au Christ leurs supplications en s'embarquant, et poussent des cris d'allégresse lorsqu'ils abordent.

Pour que l'on saisisse mieux le sens des dernières paroles de Sidonius, nous ferons observer que le grand chemin qui menait de Lyon à Narbonne, et qui était une des quatre voies d'Agrippa, se trouvait immédiatement sous l'église des Maccabées ; on voit encore aujourd'hui les ruines de l'un sous les vestiges de l'autre.

Voilà ce que nous avons trouvé de plus clair et de plus ample sur un monument célèbre jadis dans notre vieille cité ; nous n'avons pas voulu réfuter les opinions diverses et les conjectures qui se présentaient à nos yeux pendant nos recherches : c'eût été une tâche aussi fastidieuse qu'inutile. Nous disons franchement ce qui nous paraît vrai, et nous n'attachons aucun genre de mérite aux longues et arides subtilités de la controverse historique. Mais, bon Dieu ! quel sentiment pénible le cœur n'éprouve-t-il pas lorsqu'on voit les années balayer ainsi avec les générations les plus beaux ouvrages de l'homme ! Que reste-t-il de nos ancêtres ? quelques ruines dont nous ne pouvons retrouver la place ; et de nous, qui nous remuons à présent sur ces ruines, que croyez-vous qu'il doive rester un jour ?

LETTRE XI.

Morum herilium verecundiam praeferentes. — « Usita vulgo sententia est, quae dicit : Juxta mores domini familiam constitutam. » Arnobius, ad Psalm. CXXX. Cela revient à notre proverbe français : Tel maître, tel valet.

LETTRE XII

 

Moeroris retia. — Sidonius avait été invité par son beau-frère à une partie de pêche; voilà pourquoi, en parlant de ses chagrins domestiques, il emploie d’une manière figurée le mot relia, qu’il n’est guère possible de transporter en français.

Exire in suburbanum. — A la villa d’Avitacum, ce me semble, car elle était assez proche de la ville d’Auvergne.

Assidentum dissidentumque. — Jeu de mots, qu’il est impossible de faire passer dans notre langue. Sur assidentum, voyez Pline, Hist. natur. XXIII, 1; XXIX, 1; —et Sénèque, de Benef. VI, i6.

Languidos multo officiosissime occidunt. — Paroles piquantes et pleines de sel, qui passèrent par la suite en proverbe. Exspectas forte ut dicam, quod dicit populus, quia hi sunt qui hommes officiosissime occidunt; sed frustra , absit enim ut hanc contumeliam proferam, quam si forte audire volueris, Senecam, Plinium adeas et Sidonium, qui hoc in auribus tuis clamore valido replicabunt. » Joan Sarisberiensis, Policrat. II, 29.

Chironica magis ... quam Machaonica. — L’auteur ne veut point déprécier l’habileté de Chiron, mais il joue sur le double sens du mot Chiron, et pejor, deterior, pire: de semblables puérilités ne sont pas rares dans Sidonius; il est assez singulier toutefois qu’il se consume ici en pointes et en traits d’esprit. Diogène Laërce rapporte le mot suivant de Diogène le Cynique : Ἰδὼν ποτε δυὸ Κενταύρους κακιστα ἐζωφραφημένους, ἔφη, πότερος τουτῶν Χειρών; « Conspicatus aliquando duos centauros pessime pictos: uter, inquit, horum est Chiron? » c’est-à-dire pejor et ineptior. Il s’agit du tableau seulement; et l’on joue sur le nom du centaure.

LETTRE XIII.

Vir amicorum. — On lit plus d’une fois dans Symmaque: Vir litterarum, ir virtutum. Epist. I, 72; X, 23, 24.

Primoribus verbis salutatione libata. — « Mos antiquis fuit, dit Sénèque, usque ad meam servatus aetatem, primis epistolae verbis adjicere : Si vales, bene est, ego valeo. » Epist. XV. — « Scribe vel solum ilud, unde incipere priores solebant : Si vales, bene est, ego valeo. » Plinii Epist. I, 21. Du temps de Sénèque et de Pline, la vieille formule avait disparu déjà, remplacée par celle que nous offre Sidonius.

Felecissimum Appellas. — Prosper d’Aquitaine a dit en son livre de la Providence

« Felices dici mos est, quos blanda potestas

In summos apices tumidorum evexit honorum. »

Quippe cur. — Cur est ici pour quia. Voyez Sidonius, Epist. I, 2, 3; VII, 9.

Per horas. — Même locution. Epist. I, 7.

Hoc nomen, ut Sylla, praesumunt. « Felicis nomen assumpsit, quod quidem usurpasset justissime, si eumdem et vincendi et vivendi finem habuisset.» Velleii Paterculi Hist. II, 27. — Plutarque, Vies des hommes illustres. — Valère Maxime, VI, 4, 9.

Profecto invenies hominem, etc. — Imitation de Pline, Ep. V, 18.

Ob ingenii merita quaestorius. — Il fallait, en effet, un rare mérite et un savoir distingué pour remplir la place de Fulgentius : « Quanto fecundior debet esse, dit Cassiodore, qui ore principis populos noscitur admonere ! » Var. VI, 10. — Sidon. Carm. V, v. 575. —6.

Perosus pondus imperii, etc. — Tel est l'homme ; il veut s'élever toujours :

« Et, monté sur le faîte ; il aspire à descendre. »

Corneille.

Muricis Tyrii seu Tarentini. — Les anciens ont tous connu les  étoffes de laine teintes en pourpre. Cette couleur était employée, chez les Hébreux, dans les ornements du grand-prêtre ; elle entrait aussi dans plusieurs ouvrages du tabernacle. On la tirait de deux petits coquillages de mer, nommés le murex et le purpura : tous les deux sont univalves, allongés en voûte, terminés en pointe et hérissés de piquons ; ils contiennent un petit poisson, dont le suc servait à la teinture pourpre. La pèche de ces deux coquillages se faisait sur les côtes de Phénicie, d'Afrique, de Grèce, et autour de quelques Iles de la Méditerranée.

Les Tyriens excellaient dans l'art de teindre la pourpre, soit par quelques secrets particuliers, soit qu'ils donnassent à leur pourpre plus de teint qu'aux pourpres ordinaires ; de là vient qu'on lit dans les poètes :

« . . . . Tyrioque ardebat murice lana. »

Horace appelle la pourpre par excellence lana Tyria. La beauté et la rareté de cette couleur l'avaient rendue propre aux rois de l'Asie, aux empereurs romains et aux premiers magistrats de Rome. Les dames mêmes n'osaient l'employer dans leurs habits ; elle était réservée pour les robes prétextes de la première magistrature. De la ces expressions vestis purpurea, pour signifier une robe éclatante, et au figuré, un sénateur, un consul. Encyclopédie, au mot Ponant.

Sardanapalicum in morem. — « Exquisitae epulae, regius apparatus, Neronis et Sardanapali nuptias loquebantur. » Hieron. Epist. LXVII.

Panis e ... leontina segete. — Léontium était une ville de Sicile, située sur le fleuve Tyrias ou Térias, à quelque distance da la mer. « Caput est rei frumentarite campus Leontinus, » dit Cicéron In Verrem, art. II, lib. III, 18 ; — Sidon. Carm. XXII, v. 17I On lit au IIe livre de Prudence contre Symmaque :

« Nonne Leontini sulcator solvere campi

Cesset frugiferat Lylibaeo ex littore cymbas ? »

Spumarent Falerno gemmae capaces. — On avait des coupes faites avec des pierres précieuses, et de la sont venues ces expressions gemma bibere. « Pueri calamistrati, dit Apulée, pulchre indusiati, gemmas formatas in pocula vini vetusti frrquenter offerre. » Metam. lib. Il, p. 53 ; — Senecae De Benef. VI, 9 ; — Virg. Georg. II, 506 ; — Juven. Sat. X, 37 ; — D. Cypriani Epist. II, 2 ; — Hieron. In Paulo.

Le territoire de Falerne était dans la Campanie ; il produisait un vin qu'Horace n'a pas oublié ; Od. I, 17.

Ne cibi ingressi per ora. — Nous avons essayé de déguiser un peu ce qu'il y a de puéril et de ridicule dans cette antithèse.

Qui septus armis ac satellitibus. Senecae Epist. 94 ; Cypriani Epist. II, 3. — Boetii De Consolat., lib. III, prosa 5.

Raptis incubans opibus. — Virg. Georg. II., v. 507 ; — Senecae De irae, 16; — Sidon. Epist. VIII, 7.

LETTRE XIV.

In pago Vialoscensi. — Le nom actuel de Vialosc ou de Martial est incertain ; Savaron pense que c'est Martial, bourg situé auprès de Riom, au sud-ouest de cette ville et voisin de Volvic Le P. Sirmond approuve la conjecture.

Aetati citeriore. — C'est-à-dire, superiore ; voyez Sidonius, Epist. V,  6; —VIII, 1.

Jani Numaeque numimdos menses. — On attribue à Romulus la division de l'année en dix mois ; Numa en ajouta deux autres, le premier appelé Januarius, de Janus ; et l'autre Februarius, parce que le peuple était alors purifié, februabatur, id est purgabatur, vel lustrabatur, par un sacrifice expiatoire (februalia) de toutes les fautes qu'il avait commises pendant l'année. Adam, Antiquités Rom., tom. II, p. 85 ; Censorin. De Die nat. XX. — Sidon. Epist. IX, 16.

Tunicata quiete. — Dans la cité, la toge était le vêtement que portaient les Romains ; à la campagne, les personnes distinguées, soit par leur fortune, soit par leur rang, prenaient la tunique pour tout habillement. Juvénal. III, v. 179 ; dans l'hiver ils en prenaient plusieurs. Auguste avait coutume d'en mettre quatre. Suet. Aug. 82 ; — Martial nous présente le tunicata quies de Sidonius, Epig. X, 51.

 

 


 

[1] Sidon. Epist. III, 6.

[2] Ravardi Varior., I, 4.

[3] Synnade, ville de Phrygie ; Pline, Hist. nat. V, 29. — Ptolémée, V, 2 — Strabon, XII— Martial, Epig. IX, 76.

[4] Epist. I, 95. Il y a, dans Symmaque, plusieurs lettres adressées à Syagrius: je pense, avec Tillemont, que c'est bien notre Syagrius lyonnais.

[5] Idatii Chron. Ad annum 464. — Dubos, Hist. crit. De la monarchie franç., tome I, p. 509.

[6] In Vita Epiphanii, œuvres du P. Sirmond, tom. I, p. 1686.

[7] Acharn., v. 693. Vesp., v. 93

[8] 1815, Alais, chez J. Martin, imprimeur-libraire.

[9] Tome III, p. 282.

[10] Hist. générale du Languedoc, p. 93.

[11] Exped. Alex., VI. p. 311, édit. de Gronovius.