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Le « docteur Mabuse », mentor du peloton, s’intéresse aussi aux athlètes

Bernard Sainz est toujours présent dans le cyclisme français. Selon nos informations, il prodigue aussi des conseils juridiques et a mis un pied dans le sulfureux athlétisme turc.

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Publié le 27 juin 2016 à 16h59, modifié le 29 juin 2016 à 17h04

Temps de Lecture 5 min.

Bernard Sainz, le 20 juin, dans sa demeure d’Almenêches, dans l’Orne.

Y a-t-il des limites aux compétences de Bernard Sainz ? « Homéopathe », « naturopathe », « guérisseur de cancers », « mentor » du peloton cycliste français depuis quarante ans et grand connaisseur des produits dopants, comme l’a montré l’enquête du Monde et de Cash investigation, le « docteur Mabuse » exerce aussi dans le domaine juridique et en athlétisme.

Selon des informations recueillies par Le Monde, Bernard Sainz s’est rapproché ces dernières années de l’athlétisme turc, pour lequel il a favorisé des naturalisations d’athlètes kényans et élaboré un « plan » aux contours inconnus pour un entraîneur lié à la Fédération turque d’athlétisme, le Roumain Carol Santa. Des activités inattendues pour celui qui était jusqu’à présent resté dans des pays francophones – France et Belgique – et s’était restreint au monde de l’hippisme et du cyclisme, dans lequel l’Union cycliste internationale (UCI) lui a désormais interdit de pratiquer.

« J’ai une formation juridique, j’ai fait trois ans de droit. Je connais toutes les procédures pénales mais aussi disciplinaires », se rengorge Bernard Sainz, interrogé par Le Monde à propos de ces activités. Elles l’ont conduit à défendre, avec Me Stéphane Mesonès – fils du footballeur auxerrois Serge Mesonès – les cas d’athlètes français suspendus pour prise d’érythropoïétine (EPO) : Hassan Hirt et Laila Traby, qui n’ont pu être joints.

« Si je pense que ce sont des faux positifs, je m’occupe du dossier. Quand j’ai la conviction que c’est un drame pour eux », certifie Bernard Sainz, pour qui les faux positifs – victimes d’une erreur du laboratoire antidopage – sont donc nombreux, puisqu’il attribue également ce qualificatif au cycliste Lloyd Mondory, dont il s’occupe également. Mondory a été contrôlé positif à l’EPO en mars 2015 alors qu’il collaborait déjà avec Bernard Sainz.

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Bernard Sainz assure ne pas gagner un sou dans ces procédures – « Hassan Hirt était à l’agonie, il n’avait rien » – et faire ça « pour aider », éventuellement pour « un gueuleton ». Même la Fédération turque qui, à l’en croire, lui doit beaucoup, ne l’aurait rétribué pour ses services que par un voyage à Istanbul pendant les championnats du monde d’athlétisme en salle.

En juin 2011, la Turquie, à un an d’accueillir sa première grande compétition d’athlétisme, naturalise trois espoirs kényans. Il faut normalement deux ans entre le moment où l’athlète reçoit son nouveau passeport et celui où il peut disputer une compétition avec son nouveau maillot. La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) enregistre d’ailleurs leur naturalisation et inscrit dans ses dossiers : « éligible au 8 juin 2013 ». Mais les Turcs veulent presser le pas.

L’entraîneur roumain Carol Santa, affilié à la Fédération turque, et son fils Daniel, fondateur d’une agence de management sportif, recommandent les services de Bernard Sainz, qu’ils connaissent déjà. Les trois Kényans sont autorisés à courir pour la Turquie quelques jours avant les Mondiaux d’Istanbul, à la surprise du monde de l’athlétisme, qui y voit un traitement de faveur pour l’hôte de la compétition. Bernard Sainz dit s’être fondé, avec Stéphane Mesonès, sur la libre circulation des travailleurs : « Etant donné le bien-fondé de l’argumentation juridique, la Fédération internationale n’a pas voulu un procès à Monaco [où est sise l’IAAF], car cela aurait démontré que leur réglementation était hors la loi. Ils ont donné l’autorisation. »

Polat Kemboi Arikan devient cette année-là champion d’Europe en plein air du 10 000 m, et Ilham Tanui Ozbilen est médaillé d’argentsur 1 500 m lors des championnats du monde en salle à Istanbul. Ces deux athlètes sont licenciés au club stambouliote d’ENKA Spor, avec lequel Bernard Sainz entretient des relations, puisqu’il conteste également, avec Me Mesonès, la suspension pour dopage de sa plus célèbre représentante, Elvan Abeylegesse (double médaillée d’argent aux Jeux olympiques de Pékin).

« Nous ne savons rien de M. Sainz et ne le connaissons pas », assure la Fédération turque d’athlétisme, qui rappelle que les manageurs sont eux-mêmes chargés des processus de naturalisation.

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En l’occurrence, il s’agit d’Onder Ozbilen, dirigeant d’ENKA Spor, dont le nom est apparu récemment dans les colonnes du Monde : le 4 juin, nous révélions l’existence d’un virement de 62 207 euros fait par le Russe Valentin Balakhnichev, ancien trésorier de l’IAAF, soupçonné de corruption, à M. Ozbilen. Ce transfert effectué le 1er juillet 2015 intrigue particulièrement les juges chargés de l’enquête sur le système de corruption mis en place au sommet de la Fédération internationale. Onder Ozbilen ? « Je suis intervenu sur le cancer de sa mère », explique Bernard Sainz.

« Un plan pour 2015-2016 »

Carol Santa, Daniel Santa et Bernard Sainz affirment dans un premier temps entretenir une relation strictement amicale. Voire aucune relation, dit Daniel Santa : « La relation n’est pas entre moi et lui, c’est avec mon père. J’ai aidé quelque temps mon père à faire la correspondance. »

Daniel Santa a pourtant amené à Bernard Sainz ces quelques affaires juridiques ainsi que de nouveaux clients, comme la Sud-Africaine naturalisée turque Karin Melis Mey : le docteur Mabuse l’a rencontrée il y a un an à Paris avec son manageur. Cette sauteuse en longueur a été contrôlée positive à la testostérone en 2012, l’un des innombrables cas de dopage dans l’athlétisme turc ces dernières années. Charley Strohmenger, son manageur, n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.

Bernard Sainz minimise lui aussi sa relation avec l’entraîneur roumain, avant de concéder « donner des conseils s’il y a des problèmes de santé ». Enfin, pour Carol Santa, ils n’ont « pas de relation professionnelle ». « J’échange des opinions avec lui. Je n’ai pas besoin de travailler avec quelqu’un d’autre », affirme l’entraîneur vétéran, qui vit dix mois sur douze au Kenya, à Eldoret.

Etait-ce pour un échange d’opinions que Daniel Santa sollicitait pour son père une « rencontre très concrète » avec Bernard Sainz en mai 2015, « pour mettre en place un plan pour 2015-2016 » ? Un an plus tard, Carol Santa en réfute l’existence même : « A mon niveau d’expérience, je n’ai pas besoin de quelqu’un qui me prépare un plan. »

Une chose est sûre : il n’a pu être question de produits dopants. « Jamais il ne m’a proposé quelque chose comme ça. C’est une personne dotée de vastes connaissances naturelles, homéopathiques », souligne Carol Santa.

Parmi les athlètes qu’il entraîne sur les hauts plateaux figurent de jeunes athlètes nés au Kenya, dont Ali Kaya (22 ans), spécialiste du fond et champion d’Europe de cross cet hiver, ou Yasemin Can, l’une des meilleures Européennes sur 10 000 m. Aucun athlète n’a jamais été contrôlé positif alors qu’il s’entraînait dans son groupe.

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