Du biogaz briard branché avec brio

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Dans leur ferme de Seine-et-Marne, les frères Quaak ont relié leur méthaniseur au réseau de gaz naturel local. Ils produisent et vendent de l’énergie verte.
par Guillaume Maincent
publié le 28 mai 2015 à 18h56

C’est l’état de la chaussée qui met sur la piste. La ferme des frères Quaak n’est pas facile à trouver mais passé Chaumes-en-Brie, les remblais de caillasse crevant l’asphalte indiquent qu’on a creusé une longue tranchée pour poser des canalisations.

Ces tuyaux, ce sont ceux qui évacuent, vers les lieux de consommation alentour, le gaz naturel que Jacques-Pierre et Mauritz Quaak, 39 et 36 ans, fabriquent eux-mêmes avec les déchets de leur exploitation agricole. Du gaz, appelé biométhane, strictement identique au gaz fossile que la France produisait autrefois à Lacq, près de Pau, et qu’elle importe aujourd’hui à grands frais de Russie, de Norvège, du Qatar ou d’Algérie.

Le procédé est connu, c'est la méthanisation. Elle se déroule dans de grands silos vert foncé, «des estomacs en béton», dit Jacques-Pierre Quaak, allusion aux vaches prenant le frais non loin de là au pied de leur étable, un grand bâtiment au toit couvert de panneaux solaires. Les vaches dégazent, donc, et les silos des frères Quaak aussi. «145 mètres cubes par heure à partir de déchets de cultures et d'effluents d'élevage, soit 1,25 million de mètres cubes par an. De quoi alimenter plusieurs milliers de foyers», explique Jacques-Pierre, 1,90 mètre et chemise à carreaux, devant un groupe de spécialistes allemands. Ce jour-là, c'est le monde à l'envers : l'Allemagne vient chez lui, alors que c'est outre-Rhin que la filière a émergé. Mais elle s'est ensuite fourvoyée dans «l'énergiculture» : le gaz vert y est fabriqué surtout à partir de cultures de maïs gourmandes en eau et en phytosanitaires.

Coûts. Chez les frères Quaak, ce n'est pas la géopolitique ou l'écologie qui a motivé le projet au départ. «En 2008, le pétrole était à 150 dollars le baril, renchérissant le prix des engrais de synthèse. L'année suivante, mon blé affichait un coût de production de 140 euros la tonne, alors qu'il valait 90 à 110 euros sur le marché : je vendais à perte», explique Jacques-Pierre. La solution : «Fabriquer nos propres engrais, en l'occurrence avec l'autre produit de la méthanisation : le digestat. De quoi économiser 50 000 à 60 000 euros par an.»

Ce digestat, on l’aperçoit en tas derrière les silos : des petites boulettes, à la bonne odeur de terreau, obtenues au terme du séjour des déchets dans le méthaniseur en présence de micro-organismes, sans oxygène, pendant une quarantaine de jours.

Le biogaz, lui, produit environ 60% de méthane, ce qui exige un passage dans un épurateur pour remonter au-dessus de 98,7%, le seuil fixé par l'opérateur du réseau de gaz pour accepter l'injection. La qualité du gaz est un critère important, et la souplesse en est un autre : les silos des frères Quaak sont donc surmontés d'une membrane rigolote qui se gonfle et se dégonfle au gré des volumes de gaz à stocker. «Nous pouvons accumuler jusqu'à vingt heures de production, par exemple l'été lorsque les ménages ne consomment pas», explique Jacques-Pierre. Son biométhane est acheté à un tarif fixé par la loi, par un énergéticien (Totalgaz) qui trouve là l'occasion de faire un peu de com sur la transition énergétique.

Transition. A Chaumes-en-Brie, on est donc en avance sur cette transition. La France compte six postes d'injection de biométhane dans le réseau, dont quatre à la ferme. Elle en aura 16 fin 2015 et 45 fin 2016, avec comme premier exutoire le réseau local de GrDF. Ce distributeur dit recenser 375 projets, dont 122 avancés. Sur le réseau de transport à plus gros débit, on annonce 200 projets. En Allemagne, 165 méthaniseurs sur les 8 000 du pays injectent des volumes 80 fois supérieurs à ce qui se fait en France.

«Il fallait être un peu cinglé, mais j'ai besoin de quelque chose de motivant quand je me lève le matin. De plus en plus, les agriculteurs devront se diversifier dans d'autres activités», philosophe Jacques-Pierre Quaak, dont le grand-père arriva ici il y a soixante ans avec 50 salariés - dix fois plus que lui. La genèse du projet biométhane fut chaotique, GrDF très réticent et l'investissement douloureux (5,2 millions d'euros), mais depuis l'injection des premiers mètres cubes le 28 août 2013, la courbe de montée en charge annonce un retour sur investissement de dix à douze ans.

Autre signe encourageant : le téléphone de la ferme reçoit de plus en plus d’appels de producteurs extérieurs désireux de valoriser leurs biodéchets à Chaumes. Des supermarchés ou des restaurants, encombrés de restes alimentaires que la loi oblige à orienter vers une collecte sélective et une valorisation adaptée. La ferme Quaak n’en a pas encore le droit, mais on pourrait bien un jour y trouver à l’entrée… un panneau déchetterie.

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