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Francisco Benitez: Le carnet rose du légionnaire - Ces crimes qui résistent aux experts

Escapade amoureuse en 2008 à Marseille, avec Monique. Il est marié depuis deux ans avec Marie-Josée.
Escapade amoureuse en 2008 à Marseille, avec Monique. Il est marié depuis deux ans avec Marie-Josée. © DR
Par Pauline Lallement , Mis à jour le

Au XXIe siècle, les nouvelles techniques devaient avoir raison des  crimes parfaits. Paris Match revient sur trois faits divers récents non résolus. Suivront la tuerie de Chevaline et l’affaire Dupont de Ligonnès. A 49 ans, l’adjudant-chef Francisco Benitez était soupçonné d’un crime affreux : avoir tué sa femme et leur fille adorée de 19 ans, avant de faire disparaître leurs corps. Et il s’est pendu. Depuis, les recherches sont vaines. Mais pour sa maîtresse, il est toujours un dieu auquel, dans le secret de son appartement, elle voue un culte.

Un képi blanc accroché au mur, une chemise à trois plis parfaitement repassée, une bouteille vide siglée « Aubagne Légion étrangère  »… bienvenue dans le musée Francisco Benitez. Monique* cultive les souvenirs comme d’autres les géraniums. Elle soulève une petite valise, laisse ses mains en effleurer la fermeture Eclair. Strip-tease mental. Erotique et nostalgique à la fois. Il était son amant. Deux ans après sa mort, la blessure n’est pas totalement refermée. Alors elle ouvre l’album photo, relit les lettres, respire le tee-shirt jamais lavé et même… des chewing-gums. Une mine pour un chercheur d’ADN. Et Monique pose les yeux sur la première photo. Elle a 61 ans, lui 41.

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C’était dans une tribune officielle sur les Champs-Elysées , lors du défilé du 14 juillet 2004. En uniforme beige, il avait tout du beau ténébreux espagnol. Elle était blonde, d’allure élégante. Au dos du cliché, il a écrit en caractères appliqués, presque féminins : « Moi made in Espagne… Le destin nous a mis sur le même chemin, j’aime aller vers l’inconnu… ça fait partie de l’aventure. Amitiés, votre légionnaire Benitez. » Il aime les femmes, Benitez, toutes les femmes. Les jeunes, les vieilles, les Espagnoles, les ­Sud-Américaines et les Françaises. Un tombeur andalou... comme don Juan.

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Monique a revêtu le treillis que son amant porte sur la photo glissée dans son képi.
Monique a revêtu le treillis que son amant porte sur la photo glissée dans son képi. © DR

Francisco Benitez est né le 13 décembre 1963 à Algésiras. Il grandit dans un pensionnat catholique du côté de Ceuta et déménage à Séville peu après ses 20 ans. C’est à la Légion qu’on le retrouve, à l’âge de 23 ans, inscrit en tant que première classe. Les raisons de son engagement restent obscures : « Legio patria nostra » [« La Légion notre patrie »], point barre, c’est la devise des képis blancs. Tout ce qui doit être retenu figure sur le livret matricule : campagnes et médailles, celles du Golfe, du Koweït, de Sarajevo, entre autres. Avec la gent féminine, le tableau de chasse est tout aussi fourni. Mais beaucoup plus discret.

Francisco Benitez et Maria Teresa, espagnole, son ultime conquête. Il l’appellera juste avant de se donner la mort, à l’aube du 5 août 2013.
Francisco Benitez et Maria Teresa, espagnole, son ultime conquête. Il l’appellera juste avant de se donner la mort, à l’aube du 5 août 2013. © DR
2. Simone de Oliveira Alves, brésilienne, mère de quatre enfants, disparue en 2004. Avec elle, il menait une double vie. 3. Valérie, rencontrée au printemps 2011 sur une plage naturiste. Leur relation durera deux ans. 4. Francisco Benitez et son épouse, Marie-Josée, dans leur maison de Perpignan, en octobre 2011.
2. Simone de Oliveira Alves, brésilienne, mère de quatre enfants, disparue en 2004. Avec elle, il menait une double vie. 3. Valérie, rencontrée au printemps 2011 sur une plage naturiste. Leur relation durera deux ans. 4. Francisco Benitez et son épouse, Marie-Josée, dans leur maison de Perpignan, en octobre 2011. © DR

D’abord il y a l’officielle. C’est en 1988, à Marseille, qu’il rencontre Marie-Josée Barbet, une mère célibataire de quatre enfants nés de pères différents. Elle travaille dans des bars à hôtesses proches du port, il est un de ses clients. Les enfants l’acceptent immédiatement en tant que nouveau papa. Il achète hamburgers et jouets. Les missions sont fréquentes et les absences composent le quotidien de Marie-Josée, mais peu importe, elle n’a jamais été aussi heureuse. De leur union naît, le 24 mai 1994, Allison Solène Benitez. La seule et unique fille de ­l’Espagnol, pour laquelle il nourrit un amour ­démesuré. Sur le papier, tout est parfait. A la Légion, on a une autre vision du personnage, moins idyllique. « Francisco était un “queutard”. Si on voulait aller voir des filles, il fallait s’adresser à lui », lâche un camarade.

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Il aime les femmes, toutes les femmes. Mais la prunelle de ses yeux, c’est Allison

Allison n’a pas 4 ans lorsque son père rencontre Simone de Oliveira Alves, 23 ans. Une Brésilienne, séduite à La Coupole, un bar d’entraîneuses à Nîmes. Avec cette mère de quatre enfants, Francisco mène une double vie, part en week-end en Espagne, ouvre des comptes communs, célèbre la Saint-Sylvestre… Bref, il jongle. Aucune ne se doute de rien… Au début. Mais, six ans plus tard, les choses tournent à l’orage. Imaginer Simone dans les bras d’un autre rend Francisco complètement dingue. Une amie de Simone raconte même que, dans un élan de colère, il n’aurait pas hésité à la déshabiller et à la laisser nue sur le bord de la route pour l’humilier. Les crises de jalousie quotidiennes n’en finissent plus d’abîmer la belle histoire. De son côté, Marie-Josée n’est plus dupe. Elle a découvert la présence d’une autre femme. Au sein du domicile conjugal vient le temps des reproches. Fin novembre 2004, l’idylle brésilienne bascule. Simone est hospitalisée. Tentative de suicide ou fausse couche ? Les raisons restent floues. Puis, le 29 novembre, nouveau tumulte : cette fois, Simone disparaît sans crier gare, laissant derrière elle quatre orphelins. Francisco est brièvement entendu dans le cadre d’une enquête pour disparition inquiétante. Sa déposition est lapidaire. Il dit avoir mis un terme à sa relation extraconjugale lors d’un dîner le 1er décembre, deux jours après la disparition officielle de Simone, et ne plus avoir eu de nouvelles. La jeune femme ne sera jamais retrouvée et Francisco pas plus inquiété que cela. Dix ans plus tard, les policiers envisagent l’hypothèse du crime passionnel parfait. Sans esclandre ni traces. « Les légionnaires savent y faire », insinue l’entourage de Simone.

Avec Allison, qu’il appelait « Pépette ». Une photo de sa fille qu’il nous a lui-même donnée quelques heures avant de se suicider.
Avec Allison, qu’il appelait « Pépette ». Une photo de sa fille qu’il nous a lui-même donnée quelques heures avant de se suicider. © DR

Début 2005, Benitez quitte la métropole, direction Mayotte, pour une courte mutation de deux ans. Sous les cocotiers, Marie-Josée accepte d’oublier ses faux pas. Le 10 novembre 2006, ils décident même de se marier. Mais on ne change pas si facilement d’habitudes. A peine revenu à Paris, Francisco se précipite chez Monique. Depuis ce fameux 14 juillet 2004, leur relation est épistolaire. Le sous-officier crée spécialement des boîtes mail destinées à sa chère et tendre : d’abord 14072004@… qui évoque leur première entrevue. Ou encore : inseparables@… Leur vouvoiement dure trois ans. En 2007, lorsqu’ils se revoient, ils oublient les politesses et tombent dans les bras l’un de l’autre. De vingt ans son aînée, Monique ne demande rien, n’exige rien. Elle n’imagine pas avoir une réelle vie commune, ses visites inopinées dans son petit deux-pièces parisien lui suffisent. Les virées avec son jeune amant la transportent. Elle n’ose même pas lui demander s’il est marié, ce dont elle se doute. « C’est un légionnaire, plutôt du genre ­taiseux », dit-elle avec une adoration jamais éteinte. Leur relation se poursuit, d’année en année, malgré les mutations dans le Sud.
En 2010, il est passé adjudant-chef, sédentarisé à Perpignan, à la tête du poste d’information de la Légion étrangère. Son ultime affectation. De leur côté, Marie-Josée et sa fille ont appris à se passer de lui. L’adolescente termine ses études de coiffure, mais se rêve Miss France. Marie-Josée, seule, sans emploi, patiente sagement à la maison. Francisco Benitez, lui, continue sa petite vie. De relation en relation… simultanées. Il est rarement à la caserne, ses ordres, il les donne surtout par ­téléphone.

Monique a vingt ans de plus que Francisco. Elle n’exige rien. Ses visites inopinées lui suffisent

Dès que les beaux jours arrivent, l’adjudant peaufine son bronzage sur les plages, souvent naturistes. Il arrive avec son matelas gonflable, au milieu des habitués flanqués de leur simple serviette de bain. Et ne passe pas inaperçu. C’est comme ça qu’il rencontre Valérie*, au printemps 2011. Comme à son habitude, Francisco repère sa proie, tente l’approche. Infructueuse. Nombreux sont les tordus à traîner dans les parages, et son mauvais français ne convainc guère l’habituée. Mais il en faudrait plus pour le faire reculer. Le légionnaire n’abdique jamais. Quelques jours plus tard, il revient à la charge. Avec une lettre manuscrite en français. C’est rare comme façon de draguer... Valérie hésite. Elle hésite. Puis accepte un premier rendez-vous. Le voilà qui ose une stratégie révolutionnaire : l’honnêteté. « Il me disait que sa femme ne voulait plus de lui, qu’il se sentait seul. » Les défenses de Valérie ne résistent pas longtemps. Leur relation durera deux ans. Chaque jour, été comme hiver, il lui demande de le rejoindre dans les herbes folles près de la plage, entre deux parasols ou encore dans une voiture en plein cagnard. « Il était insatiable pendant nos ébats, je n’oublierai jamais son regard de bête. » Pour lui, tout est clair. Il s’agit d’assouvir un besoin, sans y mettre aucun sentiment. Finalement, c’est excitant aussi. Il insiste même sur ce point : « Jamais tu dois me dire que tu m’aimes. » Mais il n’est pas pour autant dépourvu d’ego. Un soir Valérie, un peu lasse, refuse de le rejoindre. Furieux, il l’appelle et, dans son mauvais français, lui assène : « Tu oses me faire le coup du lapin ? » Et il la somme de se rendre chez lui. Le champ est libre, sa femme et sa fille sont en voyage. Décidée à le remettre en place, Valérie accepte. Il ouvre la porte, la fait entrer et ferme à double tour derrière elle. Elle tente de le calmer, mais passe finalement la nuit avec lui. Au matin, elle découvre qu’il a placé une cordelette et un sac-poubelle près du lit. Un détail qu’elle ne saurait encore expliquer aujourd’hui.

Le jour de la rencontre, pendant le défilé du 14 juillet 2004 : Monique et Francisco dans la tribune réservée à la Légion, sur les Champs-Elysées. L’un des souvenirs classés et répertoriés par Monique.
Le jour de la rencontre, pendant le défilé du 14 juillet 2004 : Monique et Francisco dans la tribune réservée à la Légion, sur les Champs-Elysées. L’un des souvenirs classés et répertoriés par Monique. © DR

Si Benitez est précautionneux, s’il fait toujours attention à soigneusement faire le ménage derrière lui, il oublie ce qu’est la curiosité d’une adolescente.
En 2012, quand ce bon père fête Noël en famille, sa fille Allison en ­profite pour fouiller dans son portable. Elle y découvre les messages enamourés d’une certaine Dolorès. Une militaire de Perpignan, éperdument amoureuse depuis six mois. Suit une violente dispute. Francisco claque la porte du ­domicile conjugal et se défend dans un message adressé à sa femme le 30 décembre : « Ça fait plus d’un an que je n’ai pas un câlin, pas une caresse de toi, que tu me parles de divorce… Je vais mettre mes affaires au garage et je ne vous dérangerai plus jusqu’à ce que ma fille décide de me revoir. »

Benitez menait une double vie : amoureux transi d’un côté, père idéal de l’autre

Francisco Benitez reprend ses quartiers à la caserne. Loin de sa fille, « la prunelle de ses yeux » comme le répète machinalement chacune des maîtresses. La nuit, il épluche les sites de rencontres ou se déplace à La Jonquera, à la frontière espagnole, dans les hangars à hôtesses. Au printemps, il congédie brutalement Dolorès. Elle veut quitter mari et enfants pour son légionnaire... C’est trop. Il prend peur et parle de rester bons amis. Il tente bien quelques retours avec Marie-Josée, mais celle-ci refuse. Reste Monique, elle est loin. Quant à Valérie, la relation s’étiole. Il repart en chasse. Le prénom de Maria Teresa lui revient à l’esprit. C’est la vigile du consulat français à Barcelone. Leurs seuls échanges sont électroniques et d’ordre professionnel. Régulièrement, elle dirige des candidats à la Légion vers le bureau de Perpignan : « Jamais on ne s’était croisés par le passé, je crois qu’il est allé scruter ma page Facebook, avant de venir jusqu’à Barcelone pour m’offrir un café. » Il la découvre dans sa guérite de surveillance, uniforme bleu et longue chevelure blonde nouée. Elle a 39 ans, et pas besoin de plus d’artifices pour le convaincre : elle sera la prochaine sur sa liste. De café en café, il obtient ses confidences puis ses faveurs. Et cela malgré sa mauvaise conscience vis-à-vis de son mari et de leurs deux filles. Avec Maria Teresa, Benitez se voit déjà en Galice, dans le village d’enfance de sa douce, ou encore à Barcelone, où elle souhaite continuer à travailler… Bref, une vraie vie de couple. Et en attendant, une double vie.

Amoureux transi d’un côté, père idéal de l’autre, jusqu’à ce 14 juillet 2013 où Marie-Josée et Allison ne donnent plus signe de vie… La jeune fille ne s’est pas présentée aux épreuves du concours de beauté auquel elle prétendait. Il est la dernière personne à l’avoir vue ainsi que sa mère, et évoque un départ précipité pour Toulouse, où personne n’a jamais trouvé leur trace. Alors que les amis ­d’Allison s’inquiètent, Francisco joue l’acte 2 et invite sa blonde au domicile conjugal. Sans doute la scène du crime trois jours plus tôt. Maria Teresa avouera à la police française avoir senti une odeur nauséabonde dans l’appartement. L’affaire fait les grands titres, Benitez garde le silence. Il est le ­suspect idéal. Pourtant, il ne sera jamais placé en garde à vue.

Dans la vidéo ci-dessus remise à Paris Match, le 4 août, le légionnaire montrait un tout nouveau visage. Il avait perdu de sa superbe. Amaigri, larmoyant, il clamait son innocence. Après une ultime tournée d’adieux dans la nuit du 4 au 5 août, un ultime coup de téléphone à Maria Teresa pour la rassurer, lui dire qu’il l’aimait et lui adresser un dernier selfie, il a préparé son uniforme. Méticuleux comme toujours. Il s’est taillé la barbe, s’est couvert le visage d’un foulard sombre et s’est pendu dans les sanitaires de la caserne.
Incinéré à Perpignan, Francisco Benitez est enterré dans le cimetière de Séville, allée de l’Amertume, dans le même caveau que sa grand-mère. Sur le granit, aucune épitaphe. Francisco Benitez est un anonyme parmi les milliers de tombes. Ne reste du légionnaire qu’une boîte de souvenirs, conservée précieusement dans l’appartement de Monique. La fidèle, celle qui pleure, encore aujourd’hui, le départ précipité de son don Juan.

 Enquête à Séville de Nathalie Hadj

* Les prénoms ont été changés.

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