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10 avril 2011

Yann QUEFFÉLEC (1949) - Les Noces barbares (1985)

Yann  QUEFFÉLEC (1949) - Les  Noces barbares (1985)

 

Déroulement du récit :

     Tout a commencé par un mensonge l’après-midi de la Saint-Jean. Une adolescente de treize ans, Nicole, n’était pas à la plage comme le croyaient ses parents, mais au dancing du bar du Chenal. C’est là que Will l’a abordée. Will disait être un pilote militaire américain d’une base de Gironde. Ses compliments flatteurs, ses yeux verts fascinants avaient ému la jeune fille. Le charme de Will avait aussi agi sur madame Blanchard et sur son époux. Depuis deux mois, le jeune homme menait sa cour rondement, avait même parlé mariage. Nicole irait vivre dans le Michigan en Amérique ! « Hé bé... faudra voir avec le temps... Faudra voir à voir. », avait conclu sentencieusement monsieur Blanchard.

      La présence du camp américain ne se justifie plus en ce début des années 1950. Il ferme. Les soldats retournent au pays. Une soirée d’adieu y serait organisée. Grâce à un nouveau mensonge, pour rejoindre Will, Nicole a pu échapper à la vigilance de ses parents comme à celle de Nanette, sa cousine, chez qui elle est censée passer la soirée.

     La réalité de la fête est un horrible traquenard que Will a tendu à l’adolescente. Le camp est désert, son évacuation est terminée. Dans une débauche alcoolique et obscène, ils sont trois à se la disputer, à la bousculer et à la violer, la nuit durant. C’est une Nicole en larmes, détruite, ensanglantée, robe en lambeaux qui, au petit matin, se réfugie chez Nanette.

     De ces « noces barbares », un garçon est né. Ludo a pour tout héritage, les yeux verts de Will. À la naissance, Ludo a déjà un lourd passé. Il a dû surmonter les effets des diverses potions abortives, solutions de bonnes femmes et les multiples manœuvres imposées par madame Blanchard à sa fille pour « décrocher » le fœtus. L’enfant, nié par sa mère, refusé par ses grands-parents, est relégué dans le grenier.

Dessin_de_Ludo_3

     Autodidacte, Ludo tente d’interpréter le monde de la lucarne donnant sur la cour, à travers une fente du plancher au-dessus de la chambre de Nicole et par les éclats des imprécations des habitants de la maison. Coupable d’être né, il voudrait être pardonné, regardé par sa mère. Comment, cette gamine de quatorze ans pourrait-elle ne pas revivre à travers lui et ses yeux verts le cauchemar de sa nuit au camp d’Arzac ? - L’enfant n’est pas normal, « Il a le singe », il faut le placer, scande la boulangère. Nanette qui l’a élevé dans sa petite enfance, est seule à s’intéresser à lui et à lui porter affection.

Dessin_de_Ludo_2     Nicole se marie avec un mécano enrichi, Michel Bossard. Les boulangers sont satisfaits de ce mariage de convenance. Si Micho a quinze ans de plus que leur fille et est père d’un gros garçon d’une dizaine d’années surnommé Tatav. Le prétendant est disposé à épouser la fille-mère incasable et reconnaît même l’enfant. De plus, il possède, la plus belle propriété du pays.

     Dans sa septième année,  Ludo quitte donc son antre-grenier pour une chambre aux  Buissonnets où il agrémente de rituels ésotériques les charges domestiques que Nicole lui impose. Quêtant en vain d’obtenir une preuve d’amour ou seulement le regard maternel, il est balloté entre les exigences, les rebuffades, les reproches, les accusations de la jeune femme. Souffre-douleur de Tatav, à qui il sert de faire-valoir dans ses passions sadiques et scatologiques, tout en partageant avec lui une certaine complicité.

 Dessin_de_Ludo4

     Conduit par Nanette, l’enfant « asocial» fait son entrée à l’école du village où il est en proie à la solitude et aux sarcasmes cruels des grands, mais se montre capable de lire et écrire. En l’absence de Tatav, aux Buissonnets, le garçon est livré à lui-même en dehors de son service. Au retour de l’école, il fait un détour par le port. De son nouveau « niglou » du côté du wharf,  il laisse divaguer son imagination et donne consistance à ses rêves, contemplant la mer.

Dessin_de_Ludo_5     Nicole, toujours hantée par son amour brisé, ne trouve pas la paix. Elle cherche vainement une issueLa_Floride_Renaultdans l’alcool et la vitesse à bord de la Floride[1] que Micho lui a offerte. Malgré la patience et les attentions généreuses deMicho, elle méprise son mari plus âgé qu’elle et rustique à ses yeux. Soutenue par le harcèlement continu de sa mère, elle n’aura de cesse de convaincre Micho de faire enfermer Ludo dans une institution pour débiles mentaux. Mademoiselle Rakoff, une cousine de Micho, accepte de prendre l’enfant dans le pensionnat « spécialisé » privé, qu’elle  dirige.

     De nombreux pensionnaires de l’établissement sont des adultes atteints de débilité ou de divLes_dessins_de_Ludo_2erses pathologies mentales, placés là par des familles fortunées. « Calmés » par de mystérieuses pilules blanches, ils sont confinés dans leur déficience par les surprenantes méthodes psychothérapiques et pédagogiques de Melle Rakoff. Ludo souffre de cet enfermement. Les mois se succèdent, presqu’une année passe. Il attend en vain une visite dominicale ou une réponse de sa mère à ses lettres. Dans sa chambre illustrée de ses étranges dessins reproduits à l’infini, en proie à des rêves récurrents, désespéré, Ludo se laisse dépérir ou, mouton noir d’un troupeau de moutons blancs, il défie la discipline de l’établissement. La nuit, déjouant l’espionnage d’Odilon le nain cafteur, il se faufile dans les couloirs, le réfectoire vide, les caves et le parc du château et découvre la sexualité et les secrets des habitants des lieux. Révolté, il s’enfuit le soir de Noël, après avoir mis le feu à la crèche perpétuelle.


     Le fugueur, après avoir erré sans repère dans la forêt de pins, arrive sur une plage bordelaise déserte et trouve asile dans l’épave d’un bateau échoué, en attente de découpage par les ferrailleurs. Devenu «saisonnier, hors saison », il  y vit protégé par les tenanciers de l’épicerie-buvette du village voisin et Francis Couélan, un ex-bagnard de Cayenne qui habite une caravane près de la plage. Toujours habité par l’obsession de la reconnaissance maternelle, il écrit des lettres enflammées à Nicole.

 Mademoiselle Rakoff imagine déjouer la méfiance de Ludo par une ruse afin de le capturer et le faire enfermer dans un asile d’aliénés. Nicole servira d’appât. Dans ce but, cette dernière vient voir son fils et joue la comédie. Dans le bateau-maison, au cours de la confrontation, le garçon plonge enfin les yeux dans le regard qui le fuyait derrière la main noire auréolée de roux. Une métamorphose se produit, ébauche de l’épisode qui achèvera leurs noces barbares.


Les_dessins_de_Ludo

 

Commentaire :

La narration est faite avec sensibilité et empathie.  Yann QUEFFELEC se place aux côtés des victimes, Nicole l’adolescente naïve, Ludo l’enfant rejeté et enfermé. La presse et les médias d’actualité font état régulièrement, hélas, de faits similaires de jeunes adolescentes violées « en réunion », de la découverte d’enfants martyrs séquestrés durant des années à l’insu de tous, ou de conséquences terrifiantes de « déni d’enfant ». On souhaiterait que cette histoire ne soit qu’une accumulation de situations singulières. Il est, hélas, des êtres sur qui le malheur s’acharne !

      Dépassant le réalisme, Yann QUEFFÉLEC a su jouer de cette accumulation pour faire une épopée du passage sur terre de Ludo. L’intérêt du roman est aussi dans la psychologie des personnages. Le roman a été écrit dans la première moitié des années 1980. Yann QUEFFÉLEC a été sensibilisé depuis plus d’une décennie à l’expérience de psychanalystes américains mise à la portée de non-spécialistes par des émissions de télévision et la parution de leurs ouvrages destinés au grand public.

Les personnes qui évoluent dans l’univers de Ludo sont socialement considérées saines d’esprit. Cependant, au fil des pages, on s’aperçoit que le garçon est cerné par une fatalité implacable. Il est entouré d’êtres dans l’incapacité de le comprendre, habités par leurs propres psychoses : les parents Blanchard obsédés par le « Qu’en dira-t-on ? », un compagnon pervers, Tatav, élevé aussi sans mère, Mademoiselle Rakoff fétichiste morbide. Ils s’acharnent sur le plus faible. Ludo cumule sa détresse affective avec son ignorance des codes sociaux habituellement transmis par la famille.

Nanette souffrait de la mort en bas âge de son fils. Nanette a aidé le petit garçon, mais elle est morte. Micho était meurtri par la mort tragique de sa première épouse. Il pensait que Ludo n’était pas aussi bête qu’on prétendait, qu’il pourrait lui apprendre son métier. Micho était généreux mais complexé par ses origines très modestes. Il n’était pas armé pour s’opposer aux exigences de Nicole, laquelle savait habilement user de chantages pour faire aboutir ses désirs. Au village des Forges, il a trouvé des protecteurs discrets le couple illégitime des épiciers-cafetiers et un ancien bagnard violeur d’une vieille femme qui a payé sa dette à la société. Tous trois marginaux ! Sans pouvoir !

Au fur et à mesure du déroulement du récit, l’étau se serre sur Ludo, la fin tragique du récit devient inéluctable.

On ne peut qu’applaudir ce choix fait par le jury du Prix Goncourt qui a récompensé en 1985 ce second livre de Yann QUEFFÉLEC.

 

Voir : Yann QUEFFÉLEC (1949) – BIOGRAPHIE – BIBLIOGRAPHIE

[1] Lancée en 1959, la Floride marque l’avènement de l’automobile plaisir. L’élégance raffinée de cette jolie décapotable séduit. Sa ligne pure, née d’une collaboration avec les carrossiers italiens Ghia et Frua, ainsi que ses teintes recherchées en font une voiture raffinée qu’adoptent certaines vedettes du spectacle.

http://www.renault.com/fr/passionsport/les-vehicules-historiques/pages/renault-floride.aspx

 


 

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