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Littérature gabonaise : parcours générale et évolution par Hémery-Hervais Sima Eyi

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Introduction 

La littérature d’Afrique subsaharienne d’expression française se compose aujourd’hui d’un ensemble de littératures par pays qui tendent à revendiquer de plus en plus leurs identités nationales. Ces littératures nationales se sont construites essentiellement sur la base des acquis institutionnels et des productions littéraires locales. A l’opposé des littératures occidentales françaises, anglaise, allemande, espagnole, italienne, portugaise, où la langue nationale participe du caractère identitaire, les littératures d’Afrique subsaharienne d’expression française sont produites dans une langue commune, le français. Au nombre de ces littératures d’Afrique subsaharienne, il y a la littérature gabonaise. Cependant, par rapport aux autres littératures d’Afrique subsaharienne francophone qui sont plus connues, la littérature gabonaise souffre encore d’un manque de visibilité et d’auteurs de renommée internationale. Et pourtant, il y a dans ce pays une vie et surtout une pratique de la littérature où les genres littéraires ont réussi à s’imposer. Nous donnerons d’abord un aperçu des premières écritures au Gabon; puis, à partir de cinq genres majeurs de la littérature gabonaise bien identifiés, à savoir le théâtre, l’essai, la nouvelle, le roman et la poésie, nous étudierons leur parcours général et leur évolution, depuis les premières publications jusqu’à celles de nos jours. 

 Les premières écritures ou la naissance de la littérature gabonaise

La presse écrite inaugure réellement les premières marques de l’écriture par les Gabonais. Deux cousins, Louis Bigmann et Laurent-Cyr Antchouey animent depuis Gorée, au Sénégal, le journal L’Écho gabonais. Ce journal paraîtra deux fois, en 1922. Sous-titré « Organe d’Union et de Défense des Intérêts Généraux de l’A.E.F. », sa vocation était l’éveil des consciences de l’élite africaine. Dans sa rubrique « Politique coloniale », L’Écho gabonais dénonce, dans son dernier numéro, d’août-septembre 1922, la politique coloniale et ses méthodes. 

Les excès auxquels se livrent, dans nos possessions, bon nombre de colons désireux d’y instaurer un nouveau régime féodal, ont fait apparaître la nécessité impérieuse de raffermir le contrôle métropolitain, contrôle jusqu’ici inexistant, et d’adopter une meilleure politique indigène telle que M. A. Sarraut l’a d’ailleurs si judicieusement exposée dans son projet de mise en valeur des colonies. A vrai dire, ce qui conviendrait mieux dans notre empire d’Outre-mer, ce serait la suppression de la politique d’assujettissement, cette politique purement égoïste qui ne tient aucun compte du droit de l’habitant. 

L’Européen se fait mal à l’idée que des gens qui ne sont pas encore arrivés au stade d’évolution indispensable, aient des droits sur un sol qui semble pouvoir leur être contesté. Il s’imagine ces primitifs errant de régions en régions, avant l’occupation de leur pays et poussés par je ne sais quels besoins, continuer leur course à travers des terres nouvelles. Aussi beaucoup de coloniaux arguent-ils que le fait d’enlever sans compensation à ces « nomades » des terres dont ils ne sont que les occupants provisoires, ne constitue en aucun cas violation de leurs droits. Rien n’est cependant plus faux. 

En 1928, suite à son exil à Nice, en France, Laurent-Cyr Antchouey change le nom L ‘Écho gabonais qui devient La Voixcoloniale, de 1924 à 1928. Après Louis Bigmann et Laurent-Cyr Antchouey qui inaugurent l’écriture des Gabonais par l’écriture de presse, les lendemains de la seconde guerre mondiale révèlent cette fois un jeune prêtre catholique, André Raponda-Walker. En effet, le pionnier de la littérature gabonaise est sans conteste Monseigneur Raponda-Walker. Quand celui-ci publie au début des années 1950 Les contes gabonais, il inaugure une pratique nouvelle d’écriture chez les missionnaires de cette époque; la rupture sur le plan de l’écriture avec les thèmes à caractère linguistique comme ce fut le cas chez Bessieux et Wilson3. Ce recueil compte cent cinquante six contes et légendes appartenant à vingt-deux groupes ethniques du Gabon. Principalement les Apindji, Baduma, Bakèlè, Balumbu, Banzabi, Bapunu, Bavili, Bavungu, Benga, Enenga, Eshira, Fang, Galoa, lvéa, Masango, Mindumu, Mitsogo, Mpongwè, Ngowè, Nkomi, Orungu, Sékyani. 

[…] En choisissant de publier les contes de son pays, Raponda-Walker fait œuvre d’ethnologue de la littérature gabonaise. Par la collecte de ces contes, leur transcription en graphie latine et leur traduction en français, l’auteur des contes gabonais révèle au monde, par le biais de l’écriture, les univers socioculturels du Gabon et parfois leur philosophie. Après cet aperçu des premières écritures au Gabon, nous allons voir comment les différents genres littéraires se sont construits et ont évolué. D’abord le théâtre. 

Le théâtre 

Le théâtre gabonais est né avant la colonisation. Les missionnaires l’ont introduit au Gabon : Bessieux, Grégoire, Adam. Ils vont se servir de l’espace théâtral dans une optique essentiellement didactique. Pour apprendre aux jeunes Gabonais à avoir une bonne élocution; ce théâtre était un moyen d’instruction de la religion chrétienne. La pratique du théâtre dans l’État gabonais n’est pas née avec l’École de William Ponty. Le conditionnement socioculturel est à l’origine de sa création. C’est autour de 1942 que l’on sort du cadre essentiellement religieux. Cette année, 1942, le Cercle culturel catholique dirigé par le Révérend Père Lefèbvre donne une représentation théâtrale : « Ganiha féte ses galons ». Peu avant cette année 1942 Le Père Gautier fait jouer dans un établissement scolaire catholique de Libreville, en 1921, la pièce « La revanche de Jeanne d’Arc », à l’occasion de sa canonisation. Autour des années 1950, sera créé au Gabon, comme dans toute l’Afrique francophone, un Centre culturel français où la pratique du théâtre occupe une grande place. Jusque-là, la pratique du théâtre n’est effective qu’à Libreville, Port-Gentil et Gamba. Le théâtre est vulgarisé à travers le territoire national surtout après 1960. Toutefois, le théâtre se fait connaître dans d’autres localités après la deuxième guerre mondiale. Il s’agit d’un théâtre scolaire et non professionnel. Après les missionnaires catholiques qui animent l’activité théâtrale au Gabon jusqu’à l’indépendance en 1960, ceux-ci seront rejoints, après 1960, par les coopérants et quelques nationaux qui vont, eux aussi, s’impliquer dans la pratique théâtrale. 

Parmi les nationaux, citons Vincent de Paul Nyonda. Celui-ci est le véritable pionnier et initiateur du théâtre moderne au Gabon. Il est l’auteur de sept pièces publiées, dont deux trilogies : la première trilogie, publiée chez François Reder à Paris en 1979, est composée de : Le Combat de Mbombi, suivi de L’Emergence d’une nouvelle société et de Bonjour, Bessieux. La deuxième trilogie est publiée, quant à elle, chez L’Harmattan en 1981. On trouve : La  Mort de Guykafi, suivi de Deux albinos à  la Mpassa  et de Le Soûlard. 

En 1988, il publie aux éditions Multipress de Libreville Le Roi Mouanga. Dramaturge confirmé, Vincent de Paul Nyonda est nommé Ministre d’État chargé des Affaires culturelles en 1965. Étant à la tête de ce département ministériel, Monsieur Nyonda organise un concours de recrutement des acteurs; c’est la naissance de « La troupe permanente du Théâtre national », dont la première sortie au Sénégal en Avril 1966 au Festival des Arts Nègres à Dakar se traduit par une brillante participation. De retour du Sénégal, les jeunes acteurs sont envoyés en formation dans diverses disciplines qui concernent la création théâtrale. Au terme de cette formation, les comédiens (dont Rosira Nkiélo) de retour de France et du Sénégal montent deux troupes de théâtre : « Le théâtre du silence » et le « Théâtre de la recherche ». Ces deux troupes de théâtre seront les deux principales écoles de théâtre de Libreville du début des années 1970. L’une créée en 1970, est dirigée par un coopérant français, Michel Masse (il crée un groupe de recherche théâtrale formé de lycéens et de sociétaires du Théâtre National); l’autre, dirigée par Rosira Nkiélo, qui, en 1971, crée le groupe théâtral « Le Théâtre du silence ». C’est dans cette école de théâtre dirigée par Rosira Nkiélo que va se former Vickoss Ekondo. Celui-ci, après le théâtre, va confirmer ses talents d’artiste dans la chanson. 

Le théâtre gabonais va connaître une réelle vitalité scénique et textuelle, dès le début de 1970, avec Richard Moubouyi, Francis Taïka, Vincent de Paul Nyonda et les candidats au concours du théâtre interafricain de l’Office de Radiodiffusion et Télévison française. Le théâtre de Richard Moubouyi est essentiellement radiophonique. Journaliste employé à la Radio Télévision gabonaise (R.T.G.), il diffusera à la radio ses créations théâtrales dont : Boussoudou, La Circoncision, Le Nouveau système des choses. Ces trois pièces ont été primées au concours théâtral interafricain. Le théâtre au Gabon dans les années 1970 est également marqué par son adaptation au cinéma. Parmi les pièces adaptées, on peut citer Le Réconciliateur d’El Hadj Omar Bongo, publié aux éditions Multipress de Libreville. L’histoire de cette pièce a fait l’objet d’un scénario : Demain un jour nouveau. Il s’agit dans cette pièce (également de son adaptation au cinéma) de « l’action d’un jeune Président africain qui se préoccupe, avant toute chose, d’organiser sa République, son État en un cadre politique moderne viable : unifier les hommes par la paix entre les groupes tribaux, unifier les idées par un programme approprié qui porte le nom de Rénovation nationale, bref réunir tout le monde autour de cet idéal (d’où le nom de Réconciliateur).» Ô terre de mes aïeux, Porter à trente ans Un si lourd fardeau? (Il marche : va et revient.) Toi millénaire, Toi si pesante avec tes parures Luisantes comme la mer ou la chair cuivrée de l’okoumé. Avec tes entrailles de fer, de mines et de pierres de corail Avec ta houle de générations éternellement vivantes et tes cent peuples Que n’as-tu, pour ta marche en avant choisi un autre athlète? (Il va et vient.) À trente ans, avec des bras si juvéniles Saurai-je, par exemple, maintenir tes frontières libres et ta haute statue toujours en équilibre Dans le vent et la tempête? Avec des mains si fragiles Saurai-je toujours fixer l’horizon Sans baisser les yeux sous les rayons Ou le poids de l’épreuve Ou celui du sel amer du découragement? N’est-ce pas vraiment trop tôt, pour moi, Terre millénaire de mes aïeux De passer en avant? Outre la pièce, Le Réconciliateur, d’El Hadj Omar Bongo, celle de Joséphine Kama, Obali(pièce en cinq actes), a été également adaptée au cinéma sous le même titre. Elle fut jouée la première fois le 25 mars 1974 à Libreville. L’éveil du théâtre est observable, dans la même période, dans d’autres localités et provinces du Gabon. 

Dans le Moyen-Ogooué, province du centre du Gabon, une première grande école du théâtre naît dans les années 1960. Cette école théâtrale a pour berceau le Collège protestant Michel Fanguinovény de Lambaréné qui a attiré en même temps des jeunes acteurs inscrits au Collège catholique de la ville. Parmi les acteurs de renom de cette école, il y a Daniel Odimbossoukou et Ndong Damas. C’est l’une des rares écoles théâtrales gabonaises qui aura porté ses acteurs de la scène théâtrale au cinéma. En dehors de Ndong Damas qui joue le rôle principal dans

vas-tu Koumba? Et Amélie Joktane aux côtés de Philippe Mory dans Les Tam-tams se sont tus, Daniel Odimbossoukou a su exporter ses talents d’acteurs hors duGabon en jouant dans le film Camp thiarove du Sénégalais Sembene Ousmane. Dans cette école, une place de choix sera accordée à la représentation des pièces de théâtre classique français: dans le même temps, une place de moindre importance est réservée aux textes inédits écrits par les acteurs eux-mêmes. 

Dans le sud du Gabon, la période allant de 1974 à 1979 voit la création d’un certain nombre de troupes, dont la plupart sont scolaires. II s’agit de « Bawulu » de Mablème Mambinga. « Murima » de l’école catholique, « Duera » de Kokolo Étienne, « Moatchim et Fosam » du Lycée. Cette école du sud du Gabon produira des acteurs de renom comme Dominique Douma, Angélique Ngoma, Gertrude Biviga, Moukétou Ywangou, Kokolo Étienne, Jean Bibaya Moussotsi, Fanfan, Jean Divassa Nyama etc. Les pièces jouées n’ont pour la plupart. jamais été publiées. On peut citer Le Faux Voyant d’Alphonse Mabiala, Exode rural de Hyppolite et Maroundou n’ira pas à l’école de Jean Divassa Nyama. Contrairement à l’école du Moyen-Ogooué qui a mis en scène des grands classiques français comme Le Cid de Corneille, l’école du sud du Gabon a plus joué des textes souvent inédits écrits par des Gabonais. 

Dans le nord du Gabon, le théâtre est à son apogée dans la période allant de 1972 à 1979. A Oyem, la capitale provinciale, où cette activité est plus visible, deux troupes dominent la scène : la troupe Biéri et Tama du Collège catholique d’Angone. Si le théâtre est fortement dominé par les troupes scolaires, surtout de 1970 à 1980, le théâtre universitaire, lui, émerge en 1980. D’abord avec la création d’une troupe fédératrice intégrant les étudiants de toutes les facultés, « Ndzimba Théâtre ». Nom aux allures opportunément culturelles, « Ndzimba théâtre » va se révéler au public dans les années 1980, suite à l’entrée à l’université des anciens acteurs des troupes théâtrales scolaires de Libreville et de l’intérieur du pays. Il y a aussi le département de Lettres Modernes qui a vu naître en son sein deux troupes « Le théâtre express », né en 1993 et dirigé par Pierre Monsard, et « Le théâtre de l ‘ailleurs », né une année après, dirigé par Grégoire Biyogo. Le département d’Anglais crée lui aussi sa troupe, « Wolespeare », née en 1998, et dirigée par Justine Mintsa. Avec la création d’un département de Littératures Africaines en 2003, « Le théâtre express » devient la propriété de ce nouveau département; et dans le même temps, « Le théâtre de l’ailleurs » se rattache à l’Institut Cheick Anta Diop de l’université Omar Bongo. La période des années 1980 à 1990 sera marquée par un tâtonnement au niveau de l’écriture dramaturgique, il y a un passage à vide du point de vue textuel : c’est une période de désillusion. C’est en 1991 que l’on assiste véritablement à la parution de la plus grande pièce du théâtre gabonais avec La folle du Gouverneur de Laurent Owondo et la publication, en 2001 d’une comédie dramatique en trois actes, Péronnele, de Ludovic Émane Obiang. 

Ce qui va caractériser la pièce écrite par Ludovic Émane Obiang, c’est sa représentation de la société coloniale. Dans cette pièce, les rapports entre Blancs et Noirs sont marqués par le racisme qui est pratiqué par les colons blancs. Péronnelle souligne aussi la violence, le refus d’acceptation et d’intégration du Noir dans le cercle des Blancs. Le personnage éponyme, Péronnelle, n’y échappe pas. Servante chez le Gouverneur blanc, cette femme noire est exploitée abusivement et exposée aux exactions du Gouverneur et sa femme; comme en témoigne ce dialogue 

Péronnelle, Madame le Gouverneur. 

Madame 

Péronnelle, arrête tout de suite ce raffut! Je ne sais pas qui t’a mis dans le crâne que tu avais de la voix.Et avec ça tu persistes à copier nos divas. Mais tu nechanteras jamais comme elles. Les Nègres ont leurchant, nous les nôtres. 

Péronnelle 

Oh Madame, Madame me traite encore de négresse? Par rapport à son parcours, le théâtre au Gabon s’avère le genre littéraire le plus ancien et celui qui, au plan évolutif, a été pratiqué successivement par les missionnaires, en tant que pionniers, et les nationaux. Ce genre, depuis sa pratique par les missionnaires, n’a jamais connu de période de grand silence. 

Essai et nouvelle 

Avec la jeune élite gabonaise, apparaît après la Grande Guerre, une nouvelle génération qui va se mettre à l’écriture de deux nouveaux genres littéraires, l’essai et la nouvelle. Suite à l’inféodation du système scolaire gabonais dans la période de l’après-guerre, dans l’Institut pédagogique africain et malgache (1PAM), nombre d’anciens instituteurs de l’époque et autres lettrés vont proposer des textes littéraires qui parlent des réalités et du vécu socioculturel du Gabon. Généralement ces textes présentés dans les manuels scolaires destinés aux écoliers comme étant des nouvelles littéraires s’apparentent à des essais comme en témoignent leurs titres : « M’Vôn chezles Fangs d’autrefois » de G. Ango (Liaison 20-21, 1952, p. 33.); « Le cannibalisme chez les Fans; d’autrefois » de J-B, Ango (Liaison 22, 1952, p. 29.); « Un trait sur la pratique des fétiches et la sorcellerie chez les Fangs » du Frère Ndongo (Liaison 35, 1953, p. 37-38.); « Le mariage chezles N’Toumou » de Daniel [bang (Liaison 22, 1952, p. 25-26.): « L a circoncision chez les Ikotas » de Simon Essimengane (Liaison 13. 1951. p. 16-18.): « Iboga arbre de science » de B. Ilougou (Liaison 23. 1952. p. 27­28.); « Un mariage chez les Bapounous » de F.F.R. Mendome (Liaison 13. 1951, p. 15.); « La crainte des morts dans la région du Haul-Ogooué » de J.­B, Menie (Liaison 36, 1953, p. 46-47.); « Chez les M’fangs : à la mort du chef de clan » de J. Ndong (Liaison 35, 1953, p. 33-36.); « Les préparatifs de chasse chez les fang.s d’autrefois » de F. Ndong (Liaison 49-50. J 955, p. 31-33.) « Edzoh l’homme-panthère » du même auteur (Liaison 55, 1957, p. 45-49.); « Les fiançailles chez les Obamba une des peuplades du Haut­Ogooué » de Moïse-O. Nkogho-Mve (Liaison 20-21, 1952, p. 13.) et « Djobi, nouveau-né des fétiches du Haut-Ogooué » (Ibid., 49-50. 1955. p. 52-54); « L’Epreuve » de Jean-François Ondo (Liaison 12, 1951, p. 35.); « La naissance chez les Galoas » de Paul-Vincent Pounah (Liaison 16, 1951, p. 9-10.); « Le N’Guéngang au travail chez les Pahouins » de D. Situa (Liaison 42, 1954, p. 62.); « La mort du gorille. Une coutume gabonaise des Massango » de P.-G. Tchipala (Liaison 33, 1953, p. 32-33.); de Raponda­Walker : « Coutumes gabonaises » (Liaison, 31, 1953, p. 30-32); « Coutumes gabonaises. Noms protecteurs » (Ibid, 40, 1954, p. 32-34); « Les coutumes gabonaises. Noms de mariage » (Ibid, 36, 1953, p. 44-45); « Croyances populaires chez les anciens Mpongwè» (Ibid, 45, 1955, p. 33­35); « Chants funèbres chez les M’Pongoués » (Ibid, 38, 19553, p. 77); « Les perroquets, protecteurs de la race des Angéndjé » (Ibid, 67, 1959, p. 67); « Invitation à payer sa contribution au Bouïti » (Ibid, 46, 1955, p. 47); « En l’honneur du fétiche N’déa » (Ibid, 55, 1957, p. 42-43); « Les tatouages au Gabon » (Ibid, 65, 1958, p. 34-39). La revue Liaison, revue de 1′A.E.F., basée à Brazzaville au Congo publie la plupart de ces textes.    

a. L‘essai 

La première génération des essayistes gabonais date des années 1950. Elle compte, entre autres, Jean-Rémy Ayoune, Simon Essimengane, Léon Mba, Daniel Ebang, G. Ango, Raponda-Walker, Bodinga Bwa Bodinga, J.B. Menie, François Meye, Issembè, Moïse Nkoghe-Mvé, Adrien Nguemah Ondo, Louis-Bernard Nyama, B. Ilougou. Dans leurs écrits, ces auteurs font essentiellement ce que Yvonne Léyimangoye et Blaise Nicolas désignent par les : « descriptions minutieuses des coutumes et croyances qui régissent encore le comportement des hommes et qui, héritées d’un très lointain passé, semblent si solidement enracinées. Avec Sébastien Bodinga Bwa Bodinga, nous pénétrons dans le monde ésotérique des morts; Léon Mba nous initie au secret de la création; Adrien Nguemah-Ondo traduit pour nous le langage du Nkul et avec Louis-Bernard Nyama et André Raponda-Walker, nous frôlons le monde mystérieux des rites initiatiques, satisfaisant ainsi le goût du mysticisme qui existe en chacun de nous ». 

 

D’autres thèmes qui ne relèvent plus essentiellement de la sociologie et de l’anthropologie des peuples gabonais vont apparaître. Parmi ceux-ci, l’Afrique présentée dans son contexte colonial, puis les questions de politique qui commencent à occuper une place fondamentale. C’est aussi le signe de l’intérêt que la jeunesse intellectuelle de l’époque accorde déjà aux enjeux nouveaux qui se posent dans la société. Ces thèmes nouveaux qui se situent entre le discours de De Gaulle à Brazzaville en 1944 et l’indépendance du Gabon le 17 août 1960, en passant par la promulgation de la loi Cadre de 1956 et le référendum de 1958, vont, en effet, dominer l’essai au Gabon jusque dans les années 1970. On peut relever ici quelques titres comme « Africanisme et occidentalisme », « Valeurs africaines et christianisme » de Jean-Rémy Ayoune; « Traditions orales de la race Eviya » de Sébastien Bodinga-Bwa-Bodinga’; « Gouverner le Gabon », « Dialogue et participation », « Pensée et action sociale » et « Le petit livre vert » d’Albert Bernard Bongo; L ‘Homme noirde Georges Damas-Aléka; « Essai sur le droit coutumier fang », « Le Capitaine N’Tchoréré » de Léon Mba; « Les jumeaux chez les Bapounous » de Louis-Bernard Nyama. L’essai se fera très silencieux au cours des décennies pour réapparaître avec un jeune journaliste, Luc Ngowet qui publie en 2001, Petites misères et grand silence. Culture et élites au Gabon. La même année, Marc Mvé Bekale publie un autre essai littéraire, Pierre-Claver Zeng et l’art poétique fang :esquisse d’une herméneutique ; deux années après, il publie un essai politique intitulé Gabon : la postcolonie en débat. 

b. La nouvelle 

La nouvelle apparaît au Gabon avant la fin de la seconde guerre mondiale. Dès 1944, Tsira Ndong Ndoutoume publie Que les pieds voyagent

afin que les yeux voient. A la suite de Tsira Ndong Ndoutoume, d’autres nouvellistes vont se révéler. Ceux-ci, bénéficiant de la présence des revues sous-continentales comme Liaison et Réalités gabonaises, vont s’appliquer davantage à l’écriture de la nouvelle au détriment d’autres genres littéraires. Dans son évolution, c’est la génération des années 1950 à celles de 1960, qui va réellement inaugurer la nouvelle dans la littérature gabonaise. Cette première génération sera suivie de celle des années 1970 à 1980. Parmi les écrivains gabonais de la deuxième génération qui vont marquer la nouvelle durant ces années, il y a : Georges-Gauthier Révignet-Ngote, Nding Dyatelm, Philippe Tsira Ndong Ndoutoume, Maurice Okoumba-Nkoghé, Nicolas-Yves Monsard. Depuis les premières publications de nouvelles des années 1950 à celles des années 1970 à 1980, la nouvelle gabonaise a toujours été produite à travers des revues. Cette attitude s’observe encore avec la nouvelle génération. C’est le cas de certaines nouvelles de Ludovic Émane Obiang, La passeuse, On a perdu Monsieur Paul, D’où naît le chant des oiseaux?et Pour jouer du tambour-maître, celles de Jean Divassa Nyama, Le Nganga blancet Ferdinand Allogho-Oke, Lamésaventure de Nguéma. Les premières publications d’oeuvres littéraires gabonaises portant la mention « nouvelle » pour désigner leur appartenance à ce genre littéraire sont, entre autres, L’Enfant des masques : nouvellesde Ludovic Emane Obiang, Nouvelles d’Ivoire et d’outre-tombe de Jean-Juste Ngomo, Au pays de Mbandong : nouvelle et Le voleur de rêves d’Eric-Joël Békalé. 

Dans sa construction, la nouvelle gabonaise obéit généralement aux règles du conte traditionnel : établissement d’un contact _ récit – morale (souvent accompagnée de proverbes). C’est le cas surtout des nouvelles publiées avant les indépendances. Celles-ci se donnaient à lire comme des contes modernes. « La saison des courges », une nouvelle écrite par Philippe Tsira Ndong Ndoutoume avant l’indépendance, participe de cette lecture ou vision de la nouvelle qui s’apparente au conte traditionnel : La saison sèche avait amené avec elle la récolte des courges. La cour du village Engongome revêtait alors de larges cercles de grains jaunes que les femmes séchaient au soleil, après les avoir auparavant badigeonnés de pâte de latérite dans de grands paniers de lianes tressées. (…) Mais tout s’achevait dans l’ordre et le rire. Puis l’on reprenait le chemin du village après avoir ouvert les digues. 

La rupture par rapport aux textes oraux comme le conte traditionnel, apparaît dans les années 1980. Cette génération fixe réellement la nouvelle comme genre littéraire autonome. La fiction a ainsi pris le pas sur la transposition en langue française des récits oraux qui caractérisaient les premières nouvelles gabonaises. Sur le plan de l’évolution de la littérature gabonaise, la nouvelle annonce le roman. Ce passage de la nouvelle au roman s’opère dans la continuité. Au départ, les Gabonais s’activent, dès 1944 avec la première nouvelle de Tsira Ndong, à écrire de brefs récits de fiction. Mais ces premiers récits sont tributaires de la littérature orale et singulièrement du conte. En 1968, Paul-Vincent Pounah publie une œuvre particulière, faite de poèmes et d’essais : Concept gabonais. Cette œuvre à deux composantes littéraires va, en effet, annoncer la naissance du roman gabonais qui n’est qu’un aboutissement préparé par les autres genres. 

Le roman 

Commencé timidement en 1971 avec Histoire d’un enfant trouvé de Robert Zotoumbat, le roman gabonais atteint sa majorité à partir de 1980 avec la publication du premier roman d’Angèle Rawiri, Elonga. Dès cette année, le roman s’est imposé sur la scène littéraire gabonaise jusqu’à nos jours. Cette maturation du roman est en partie favorisée par l’avènement de nouveaux acteurs institutionnels comme les maisons d’édition locales, l’éveil d’une nouvelle génération d’écrivains qui va préférer le roman aux autres genres, et la création de l’Union des écrivains gabonais, en avril 1987. La particularité du roman gabonais par rapport aux autres genres tels le théâtre, c’est qu’il n’a pas des origines lointaines et coloniales impliquant par exemple les missionnaires catholiques. Le roman est un genre littéraire post­colonial inauguré par les Gabonais eux-mêmes. Dès l’avènement de I’œuvre de Zotoumbat en 1971, l’attitude de la critique universitaire gabonaise, quelques décennies plus tard, va différer de celle de l’éditeur et des anthologies sur la littérature gabonaise qui la valident comme roman. En effet, quelques travaux universitaires consacrés par des publications la présentent plutôt comme œuvre autobiographique. Ainsi, autour de cette première œuvre gabonaise à vocation romanesque, est née une querelle opposant les critiques universitaires. Pour certains, l’œuvre de Zotoumbat est un roman; tandis que, pour d’autres, il ne s’agit pas exactement d’un roman mais d’un récit autobiographique. Le débat reste jusqu’à ce jour non tranché. Le critique universitaire gabonais, Magloire Ambourhouët-Bigmann écrira à ce propos : « Pour certains spécialistes, le premier livre gabonais à vocation romanesque est le récit autobiographique de 58 pages de Robert Zotoumbat, 

Histoire d’un enfant trouvé, qui paraît en 1971 chez Clé à Yaoundé.» L’acueil réservé à cette œuvre de Zotoumbat au moment de sa parution est sans éclat et ne suscite pas une grande curiosité de la part du lectorat. Elle se retrouve noyée dans un océan littéraire encore dominé par d’autres genres plus appréciés comme la poésie, le théâtre et surtout l’épopée Mvett avec deux publications successives en deux ans, celle de Tsira Ndong Ndoutoume (en 1970) et celle de Paule et Paul De Wolf (en 1972). 

Durant une décennie après la parution de Histoire d’un enfant trouvé de Robert Zotoumbat, l’écriture au Gabon restera dominée par d’autres genres littéraires, notamment la poésie, l’épopée et le théâtre. En 1980, Angèle Rawiri publie Elonga, véritable premier roman gabonais. Ce roman inaugure en même temps l’avènement de l’écriture féminine au Gabon. A la suite d’Angèle Rawiri, d’autres romanciers vont se révéler, comme Maurice Okoumba-Nkoghé, Ferdinand Allogho-Oke, Laurent Owondo, Hubert­-Freddy Ndong Mbeng. Ces romanciers qui publient entre 1980 et 1992, écrivent sur une référence commune qui est le village, avec des thèmes récurrents comme la sorcellerie, le fétichisme, la vie au village, le merveilleux etc. C’est le roman de Hubert-Freddy Ndong Mbeng, Les Mattitis, qui va constituer la charnière dans l’évolution de la thématique du roman gabonais; même si d’autres romans publiés avant lui comme La mouche et la glu de Maurice Okoumba-Nkoghé, publié en 1984, Au bout du silence de Laurent Owondo, et Biboubouah de Ferdinand Allogho-Oke, publiés en 1985, présentent quelques scènes de la vie en ville. Construit autour du chronotope de la ville, Libreville, le roman Les Mattitis évoque néanmoins la vie au village, sans pour autant éclipser la ville. C’est ce roman qui marque le réel passage, dans l’écriture romanesque, du thème du village à celui de la ville. D’où vient, en fait, ce changement thématique dans le roman gabonais depuis 1990? 

C’est que, marquée par des événements politiques majeurs dès le début des années 1990 comme
la Conférence nationale d’avril 1990 et les crises sociales subséquentes, l’écriture romanesque au Gabon va se révéler satirique et parfois engagée. La politique et les habitudes sociales des populations urbaines vont prendre place dans la société construite par le roman. Mieux que le village, la ville va apparaître désormais comme le lieu d’ancrage de la nouvelle thématique romanesque. Contrairement au thème du village intégrant la sorcellerie, le fétichisme et la vie au village, le thème de la ville a su révéler des facettes nouvelles de la société gabonaise prise dans un autre espace. Il s’agit, entre autres, des inégalités sociales, de l’injustice, de l’arbitraire, de la pauvreté, de la politique et de la religion. On peut déceler parmi les romans qui prennent appui sur le monde urbain, d’abord le roman satirique, avec Hubert-Freddy Ndong Mbeng, dans Les Mattitis, Justine Mintsa, dans Un seul Tournant Makôsu et Histoire d’Awu; puis le roman politique avec Armel Nguimbi, dans Le bourbier, Maurice Okoumba-Nkoghé, dans La courbe du soleil et Chantal Magali Mbazo’o­Kassa, dans Fam! et le roman psychologique avec Janis Otsiémi, dans Tous les chemins mènent à l’autre et Hervé Ona Ndong, dans Jardins intimes. Ces trois types de romans qui se construisent autour du chronotope de la ville apportent des thématiques nouvelles dans le genre romanesque; et surtout ils participent de la rupture avec l’ancrage anthropologique qui a dominé la thématique romanesque pendant longtemps. 

La présence de la femme dans l’écriture du genre romanesque au Gabon est porteuse, elle aussi, d’une thématique nouvelle. En effet, les romans écrits par les femmes abordent généralement des thématiques féministes, comme l’émancipation de la femme, la valorisation de la femme et la reconnaissance par les hommes de son rôle social; c’est le cas, par exemple, d’Angèle Rawiri, dans Fureurs et cris de femmes, et de Justine Mintsa, dans Histoire d’Awu. C’est par la plume féminine que le roman gabonais intègre des thèmes comme la sexualité. Ce thème apparaît pour la première fois chez Angèle Rawiri, en 1989, quand elle publie Fureurs et cris de femmes. Ce roman gabonais est le premier à aborder la question de l’homosexualité féminine. Viendra ensuite Bessora, écrivaine romancière gabonaise vivant en France, et auteure de cinq romans, dont la plupart abordent la question de la sexualité féminine, surtout dans 53 cm. Chez Justine Mintsa et Chantal Magali Mbazo’o-Kassa, on remarque une écriture ancrée dans la thématique féministe classique. On y décèle notamment la valorisation du personnage féminin, qu’il soit femme en milieu traditionnel ou femme en milieu urbain. Dans leurs œuvres, les questions à caractère politique prennent une place de choix, comme Un seul tournant Makôsu et Fam ! 

Dans une vision globale, le roman gabonais compte à ce jour un peu plus d’une cinquantaine de parutions pour plus d’une trentaine d’auteurs. La progression est plus significative depuis 1992 avec, en moyenne, trois œuvres par an. Ces deux éléments, nombre d’auteurs et nombre de parutions, font du roman le premier genre littéraire de l’heure dans l’ensemble de la production littéraire gabonaise intégrant tous les genres. 

La fable et la poésie 

Le pionnier de la fable au Gabon est sans conteste Monseigneur Jean-Jérôme Adam,qui est considéré comme le traducteur de la littérature orale du Gabon. Il est auteur de deux recueils sur les fables : Proverbes,

devinettes et fables Mbédéet Fables et Proverbes du, Haut-Ogooué. Parmi ses fables célèbres, on peut citer : « La première femme », « L’homme aux trois femmes », « L’homme à l’œil  », « Les deux chefs de village », « La botte de feuille », « La panthère qui simule la mort.» et « La famille », (sous-titrée : Le fils du rat qui renia son père). Dans cette fable, on peut lire cette morale : « Ne renie pas ton père parce qu’il est petit : si tu as un palabre, c’est lui qui le finit.». La fable de Monseigneur Jean-Jérôme Adam est généralement l’évocation et la transposition des traditions, desmœurs et des coutumes des ethnies Ambédés et Mindoumous du Haut­Ogooué. La passion pour la fable gagnera ensuite les nationaux gabonais, dont Pierre Akendengué, Haubam Bidzo, Ndouna Dépeneaud, Moïse Nkoghe-Mvé, Jean-Claude Quentin,etc. Pierre Akendengué est auteur de deux fables célèbres : « Nandipo » et « Oma Ayiya ». Dans la fable « Oma Ayiya », on peut lire 

Mon camarade Eziwo « l’antilope cochon » le matinal, 

A coutume de faire pipi aux aurores. 

On en a conclu que personne d’autre que lui N’a pu faire caca très tôt ce matin 

Sur la place publique. 

C’en est fait de sa renommée 

Et on l’accuse et on l’accuse 

[...] 

Il y a des noirs; Il y a des clairs, 

À chacun son étoile Et toi pauvre Nkambi, Naguère entouré Tu te retrouves sans un seul ami 

La poésie véritable apparaît vers la fin des années 50 et après les indépendances. La génération qui anime ce genre dans les années 50 et quelques années après l’indépendance est composée de Georges Damas ­Aléka, auteur de l’hymne national du Gabon, «
La Concorde »

(poème chanté), Henri Walker-Deemin, auteur du recueil Poèmes de France publié en 1963, etc. La décennie 1970 révèle une nouvelle génération de poètes au Gabon. Celle-ci va dominer la scène littéraire gabonaise, à partir de 1974. De 1974 à 1979, de jeunes poètes se font connaître comme Edgar Moundjégou, Okoumba-Nkoghé, Georges Rawiri, Ruffin Koumba-Koumba et bien d’autres. 

La poésie gabonaise des années 1974 à 1979 est construite autour de l’idée de l’engagement et celle de la désillusion. Le héraut de cette forme de poésie est sans conteste Edgar Moudjégou dont les textes et la portée idéologique seront rendus sonores par la voix de Pierre Akendengué qui saura adapter en musique les poèmes de son camarade de lycée. Cette poésie se construit autour de la défense des valeurs de la liberté. La désillusion inscrite dans cette poésie rejoint celle dont font écho les textes romanesques négro-africains des années 1970 avec le bilan désastreux des chefs africains sur lesquels on comptait pour construire une Afrique forte et enviable. La poésie d’Edgard Moundjégou (ou Magang-Ma-Mbuju-Wisi) va reprendre l’une des thématiques ayant dominé l’écriture de l’essai au Gabon entre les années 1944 et 1970 ; à savoir l’Afrique : 

Afrique 

mère 

me voici nostalgique 

surpris par les premiers chants du coq 

et jaloux de ma dernière nuit 

creusé dans la pierre des totems 

je les ai pliés parmi mes bagages 

tous nos adieux hier épars 

sur le couvercle des saisons 

sur la croûte des continents 

sur la cendre des âges de mon 

âge d’initié 

les battements de mon coeur 

à l’instant solennel 

tombent en cataractes par-dessus 

l’épaule de ma révolte en-bras de 

chemise 

partir et aimer une terre pillée 

partir et oublier la transe 

des mouchoirs 

à la ronde des brises matinales 

partir et enjamber avec regret 

un rythme de tam-tam 

moi esclave d’hier 

moi cible d’aujourd’hui 

moi homme libre de demain 

j’attends avant de te quitter 

encore 

mère 

ce qui n’a pas été l’aube humide 

baignée des rosées de la liberté. 

A cette forme de poésie aux relents révolutionnaires et nostalgiques, Georges Rawiri oppose un autre discours poétique. Sa poésie chante et célèbre la grandeur et la beauté de la culture gabonaise. Elle invite à la communion des valeurs culturelles nationales des peuples du Gabon à travers le thème de l’Unité nationale. Dans son recueil au titre évocateur, Chants du Gabon, on retrouve chez le poète cette volonté de célébration dela culture de son pays : Ô masque Bakota, tes profondes orbites Regardent le présent, masque au teint effacé, Qui a su résister au temps comme aux termites, Impassible témoin d’une ère dépassée. Ton air grave, ton front haut et puissant abritent L’ombre mystérieuse où survit ta pensée, Tu es le livre clos où dorment les vieux rites, Et tu veilles sur nous, austère et compassé. Tu es l’ancêtre aimé, le symbole suprême De toute une famille aujourd’hui dispersée, Mais que chaque saison autour de toi ramène. Tu es l’élan vital, par les dieux dispensé, Le messager lointain d’une histoire africaine Dont le présent jamais n’oubliera le passé. 

Avec la poésie d’Okournba-Nkoghé, le vers chante et célèbre l’amour et la nostalgie d’un fils loin de sa terre natale. D’autres poètes suivront, surtout la génération des années 1980 et 1990 avec Pierre Odounga Pépé, Janvier Nguema Mboumba, Eric-Joël Békalé, Anges-François Ratanga-Atoz, Joseph Bill Mamboungou. Cette génération de poètes de la fin du siècle dernier est suivie d’une autre génération qui ouvre le nouveau millénaire avec Ferdinand Allogho-Oke, Lucie Mba et Gustave Bongo. Les deux dernières générations de poètes gabonais n’inaugurent pas de thématique nouvelle, sauf chez Allogho-Oke, dans Vitriol Bantu. On retrouve généralement chez ces derniers les thématiques déjà présentes dans la poésie gabonaise depuis son avènement au début des années 1960 avec Poèmes de France d’Henri Walker-Deemin. 

Conclusion 

Nous pouvons dire au sujet du parcours et de l’évolution des genres littéraires au Gabon, que la période coloniale et celle post-coloniale ont réellement marqué la littérature gabonaise, de son avènement à son développement. Deux principaux acteurs, comme agents culturels, marquent sa pratique : les missionnaires catholiques et les écrivains nationaux. Dans la logique d’évolution et de développement des genres littéraires au Gabon, on peut voir que chaque genre littéraire a eu, en effet, sa période phare et de domination sur les autres. C’est ainsi qu’on peut relever que la période de 1944 à l’indépendance le 17 août 1960 a été dominée par deux genres, la nouvelle et l’essai. La poésie prendra le pas par la suite en dominant la littérature gabonaise de 1960 à l’orée des années 1980, quand paraît le premier roman gabonais; la période phare de la poésie gabonaise jusqu’à ce jour étant les années 1974 à 1979. Quant au théâtre, il est présent dans la vie littéraire au Gabon depuis les missionnaires et avant l’indépendance. II reçoit sa réelle impulsion en 1965 grâce à Vincent de Paul Nyonda qui a dominé ce genre durant trois décennies en publiant plusieurs pièces. Ce genre a connu son apothéose dans les années 1970 avec l’avènement de nouveaux dramaturges. Le théâtre ne cesse pas ses productions malgré la domination remarquée d’autres genres littéraires. Le roman est incontestablement le genre dominant de la littérature gabonaise, malgré une naissance tardive (1971 pour certains avec Histoire d’un enfant trouvé de Robert Zotoumbat, et 1980 pour d’autres, avec Elonga d’Angèle Ntyugwetondo Rawiri). Sur le plan de l’évolution de la littérature gabonaise, le roman est annoncé par la nouvelle. Ce passage s’opère dans la continuité. À sa naissance, le roman apparaît comme un aboutissement préparé par les autres genres. Il va se révéler comme genre majeur parce que la majorité des auteurs de la littérature gabonaise participent par leurs écrits à son rayonnement et à son essor. Contrairement à la poésie des années 1980 et 1990 au Gabon, le roman gabonais décrit et explique davantage les conditions de vie des Gabonais. Parallèlement à l’avènement du roman au Gabon, le théâtre gabonais du début des années 1970 a su se frayer une voie. Il devient, tout comme la poésie de ces années, un genre militant. Une grande part de la production de la poésie au Gabon dans les années 1970 s’est construite autour de la révolte; surtout avec un poète comme Edgar Moundjégou

Le début des années 1980 voit l’entrée en scène de la femme avec Angèle Rawiri qui publie en 1980 son premier roman, Elonga. D’autres auteurs vont suivre, tels Maurice Okoumba-Nkoghé, Laurent Owondo, Auguste Moussirou-Mouyama, Ferdinand Allogho-Oke, Justine Mintsa, Hubert-Freddy Ndong-Mbeng, Jean Divassa-Nyama, Joseph Ondo Obiang Biyoa. Depuis plus de quinze ans des auteurs nouveaux sont de plus en plus nombreux à se faire connaître. Dans la dernière décennie, il y a eu, entre autres, Otembe-Nguema Junior, Chantal Magalie Mbazo’o-Kassa, Peggy Oléley, Eyi Menie, Lucie Mba, Hervé Ona Ndong, Janis Otsiémi, Sylvie Ntsame, Ludovic Emane Obiang, Nguema-Mboumba Janvier, Jean-René Ovono Mendame, Jean Marcel Essockamba M’Abiri. Depuis l’implantation des maisons d’éditions locales, la littérature gabonaise connaît un véritable essor. 

 Hémery-Hervais  Sima  Eyi, enseignant-chercheur au département de Littératures africaines de l’université Omar-Bongo, est directeur du centre d’étude en littérature gabonaise (CELIG). Son article sur la

« Littérature gabonaise : parcours général et évolution », a paru  dans Hispanitas, revue d’études afro-hispaniques. 2ème année.  N°2. Novembre 2006. Libreville, 2006, 269 pages

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