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michael_peyron
20 janvier 2013

Traduction en anglais et en français de textes amazighs en prose et/ou en vers

Traduction en anglais et en français de textes amazighs en prose et/ou en vers.

 

Michael Peyron

Faculté des Lettres, Rabat

Introduction

Le but de cette communication est de démontrer des méthodes de traduction telles qu’elle ont été employées par l’auteur de ces lignes dans un certain nombre de projets livresques visant à mettre la production orale amazighe, peu accessible au grand public pour lequel elle constitue l’altérité par excellence, à la portée d’un lectorat anglo-français.

Partant du principe que chaque langue possède son génie propre on s’est efforcé de restituer l’amazigh dans la langue-cible de la façon la plus cohérente ; la plus agréable à lire, aussi. Deux écueils à éviter : 1) la traduction de type calque, trop heurtée ; 2) commettre le genre d’impair qualifié en italien de traddutore traditore. Egalement, ne pas serrer de trop près l’original au risque de rendre la narration illisible. D’où un soin particulier a apporter au rapport signifiant/signifié ; à la tonalité du discours ; aux qualités langagières du texte d’origine que l’on mettra en exergue dans la traduction. En poésie, les procédés de parallélisme phonique (assonance, allitération, rime, etc.) seront appliqués dans la mesure où ils existent dans l’original. Art difficile nécessitant une connaissance approfondie et de la langue de départ, et de la langue d’arrivée ; de même qu’un apprentissage par la lecture de textes appropriés afin d’engranger une somme de tournures littéraires utiles et pertinentes qui pourront être mises en œuvre au moment voulu.

Sont étudiés ci-après des cas concrets puisés certains de mes ouvrages. Il s’agit pour la plupart de traductions de poèmes berbères, exception faite pour le recueil de contes en prose du Moyen-Atlas, Women as Brave as Men. Pour ce livre, comme pour Rivières Profondes, a été inclus un glossaire/index, outil devant compléter la traduction en permettant au lecteur averti une approche plus incisive, plus critique afin de mieux cerner le passage du texte d’origine en langue amazighe au document traduit. Démarche indispensable pour quiconque aspire à côtoyer valablement l’altérité, comme nous le verrons plus loin.

1)Rivières Profondes / Isaffen Ghabanin, Casablanca, Wallada, 1993.

Dans ce premier recueil de poésies en Tamazight – fruit de ma propre collecte dans la région  Tounfit / Imilchil entre 1980 et 1987 – le défi majeur était de faire honneur à la production orale du Maroc central. Heureusement, sur le plan de la traduction pure nous avons bénéficié d’un avantage de taille. À quelques exceptions près, les informateurs auprès desquels nous avons recueillis ces matériaux (izlan et timawayin pour la plupart, mais aussi quelques timdyazin) nous ont transmis le sens des vers en question, nous facilitant grandement la tache lors du dépouillement des notes ou des bandes magnétiques. Ce fut le cas notamment pour Ali Kadiri et Rachida Yoummouri.

Aussi, faisant bien entendu fi du mot-à-mot, a-t-on visé une traduction cursive correcte, privilégiant l’esprit avant lettre. En effet, on a souvent pu dire que la langue amazighe était un raccourci de la pensée ; que ce soit en prose ou en vers  c’est l’art de beaucoup dire en peu de mots. D’où des rajouts de notre part là où cela a pu paraître opportun.

La rime en fin d’hémistiche ne figurant pas à priori dans la poésie amazighe, on s’est gardé de la pratiquer à outrance. En revanche on a eu fréquemment recours à la rime interne, l’inversion, l’allitération, l’assonance ; bref,  toute la gamme des parallélismes phoniques vu que ceux-ci étaient présents dans les originaux. De façon à mieux cerner l’ambiance de ces poésies exprimant l’amour courtois amazigh, de les rendre en bon français, on est allé puiser inspiration chez leurs équivalents européens, notamment la  fin’amor des troubadours médiévaux : de  Chrétien de Troyes, de Béatrice de Die, de Ronsard, de Louise Labbé, ainsi que chez d’illustres devanciers ayant déjà brillé dans le domaine de la traduction de l’amazigh vers le Français : Mouloud Mammeri, Jeanine Drouin et Paulette Galand-Pernet entre autres.

De ce fait ont pu paraître certains archaïsmes, retenus ne serait-ce que par souci d’élégance. Ainsi, aḥdadi, ‘étalon blanc’ a été rendu par ‘blanc coursier’. Pareillement, la forme a wa-gg, ou a wayd,exprimant un souhait, ‘si je pouvais’, comme dans l’exemple suivant, a wa š ikžemn, a Ɛari, est traduite par ‘Puissé-je entrer dans la forêt…’

Pour les cas où notre traduction dévierait quelque peu de l’original, surtout lorsqu’il s’agit d’éviter des « berbérismes », on a introduit des gloses dans les notes. Par exemple, iy-as ul almu = ‘fait/ à-lui/ cœur/pâturage’, a été traduit par ‘il a le cœur en fête’ pour un homme heureux en mariage, le terme almu recouvrant chez les Imazighen une notion hautement positive de tapis de verdure piquetée de fleurs. Cependant, afin de rendre ces nuances culturelles, les notes infra-paginales s’avèrent un complément indispensable de la traduction.

Également :-

hat adday d ddun sin /

d ssabub l-lḥebs aynnax!

Ce qui se glose par

voilà / lorsque/ viennent / à deux /

cause / de prison / (que) cela !

En traduction cursive cela donne :-

Lorsque se présentent deux galants, /

Cela se termine en prison !

On le sait, également, certaines formes poétiques amazighes ne supportent pas la traduction en français. Je pense notamment à des vocalismes tels que a wa y wa, a wa dawa, ay aytma, a yunu, u ḥeqq imma u ḥeqq imma-nu, Ɛafa-š ay imma-nu, etc. Là aussi, il y a matière à note infra-paginale.

Une fois le manuscrit terminé, je me dois de mentionner que sur le plan des vérifications et de la relecture, plusieurs personnes m’ont été d’un très grand secours : Mohamed Kerouach, Ali Kadiri et Rqiya Montassir. Sans oublier la contribution de Jilali Saib, auteur par ailleurs d’une préface de 5 pages.

2) Poésies berbères de l’époque héroïque, Maroc central (1908-1932), Aix-en-Provence, Édisud, 2002.

S’inscrivant dans la même lignée que le recueil Isaffen ce travail bilingue berbère-français fut mené à bien avec la collaboration de Harry Stroomer et de Claude Brenier-Estrine sur des textes en Tamazight du Maroc central figurant

dans les archives Arsène Roux à Aix-en-Provence. Documents poussiéreux qui dormaient depuis de décennies dans des placards métalliques, certains avaient été recopiés, revus et corrigés de son vivant par Arsène Roux lui-même.

Si ce nouveau travail représentait une continuation logique de mon premier livre sur la poésie du Moyen-Alas, se dressait toutefois un obstacle de taille. Une part considérable des matériaux étaient en friche : originaux plus ou moins bien établis par des élèves de Roux avec lisibilité et notation laissant à désirer, traduction incomplète, voire non-existante. Il a fallu, tout d’abord, photocopier des dizaines de pages manuscrites. Puis les saisir sur un traitement de texte et procéder à une ébauche de traduction. S’agissant, en outre, de textes littéraires émanant de la tradition des imdyazn, y figuraient de nombreux emprunts à l’arabe classique dont il fallait cerner le sens. D’où un effort intellectuel supplémentaire non-négligeable, entraînant plusieurs séjours dans la capitale provençale, complété par des recoupements sur le terrain, une fois revenu au Maroc, auprès de locuteurs natifs tamazightophones. Parmi ceux-ci, nous ne remercierons jamais assez Sidi Moh Azayyyi du village d’Assaka près de Tounfit, ni Labha El Asri et Aïcha ‘Azzaoui, collaboratrices dévouées de nos printemps passés à Ifrane.

Car, il faut avoir la franchise de le reconnaître, on n’est jamais à l’abri d’une erreur de traduction. Ainsi, dans la tamawayt commençant par tenn aš tintġallin… (p. 58, 27) la forme mr a été mal traduite. Je m’en suis rendu compte quelques années plus tard lors de mon enquête sur la bataille de Tazizaout, entre Aghbala et Imilchil,  lorsque j’ai recueilli de la bouche du barde Ou Ben ‘Ali une version locale. J’ai pu ainsi rectifier, grâce à l’aide de Houssa Yakobi :-

tenn aš tawjƐawt, mr idd iziyyan,

mas ġuri yuley wydi bu yferġusn ?!

La colline de Taoujâout vous dit : « N’eut été les Zaïans,

Comment les chiens chaussés de brodequins seraient-ils montés chez moi ?! (Peyron, 2007).

À signaler à cet effet que j’ai dû me prémunir de nombreux dictionnaires et glossaires : notamment les ouvrages de Destaing (1914), de Loubignac (1924), de Laoust (1939), de Harrell (1966), de Taifi (1991), de van den Boogert (1998), etc. Afin d’atteindre un degré suffisant de clarté pour la traduction en langue française, pour respecter les normes poétiques aussi, nous avons également consulté Claude Brenier-Estrine, bibliothécaire au Fonds Arsène Roux à l’IREMAM, que nous remercions à cette occasion pour son encouragement, ainsi que son travail de relecture.

3) Women as Brave as Men: Berber heroines of the Moroccan Middle Atlas, Ifrane, AUI Press, 2003.

Il s’agit d’une sélection bilingue berbère-anglais de contes du Moyen-Atlas recueillis principalement sur bande magnétique chez plusieurs locuteurs Ayt Warayn, forme relativement riche de la znatiya à mi-chemin entre Tamazight et Tarifit, et comportant autant d’emprunts à la dariža que de reliques du vieux berbère. Du reste, Women as Brave as Men constitue une des premières publications dans ce parler limitrophe. En fait, nous avons eu affaire à deux sous-parlers : celui des Ayt Bou Slama de Bab ou Idir ; celui des Ighezrane de la région Oued Zloul / Bou Iblane. Très proches l’un de l’autre, ils ne se distinguent que par des détails phonologiques. Une caractéristique bien connue : l’élision du /f/, comme dans xf sent, qui devient x sent, équivalent de ġifsent en Tamazight standard du Moyen Atlas. En revanche, le lexique peut diverger totalement, réservant au traducteur quelques surprises. Ainsi, pour désigner un ‘jeune homme’ on emploie aharrud en Ayt Bou Slama, axennus en Ighezrane.

Le dépouillement des textes originaux a nécessité de très longues heures de travail, avec la coopération jamais démentie de Kaddour Almou, Touriya Houari, Meriem et Mohamed Kerouach, avant d’aboutir à un brouillon de traduction en français. Ayant laissé reposer celui-ci une dizaine d’années, le projet fut repris sous forme d’un recueil de contes mettant en exergue l’action primordial des femmes dans la société amazighe. Me trouvant alors à l’Université Al-Akhawayn, institution dont la langue véhiculaire est l’anglais, c’est donc cette langue qui fut employée. Il fallut serrer l’original au plus près tout en employant en anglais un niveau de langue adapté au conte folklorique. Recours parfois au dialecte, en particulier à des tournures irlandaises appropriées. Recours, aussi, aux formules du genre « “Once upon a time…”; « “There was and there wasn’t… ”;  “A very long time ago when our reserves of fat were the size of wild boars”, etc. Tout ceci afin de faire pénétrer le lecteur dans un monde magique, hors du temps, celui du conte merveilleux avec ses signes caractéristiques, son discours à la tonalité si particulière.

D’autres procédés, tels les marqueurs de temps, les répétitions, le non-respect de la chronologie, propres à la littérature orale, furent respectés par souci d’authenticité. Le tout fut saisi sur ordinateur, puis plusieurs collègues m’ont aidé avec la relecture, dont Paula Pratt, Lynne Dahmen, Susan Schaefer Davis et Abdslam Khalafi. Enfin, la mouture finale a vu le jour sous les auspices des presses universitaires d’Ifrane. Curieusement, l’ouvrage connut un succès considérable ; une revue féministe américaine nous demanda la permission d’en publier de larges extraits !

4) Tassawt Voices (trad. des Chants de la Tassaout), Ifrane, AUI Press, 2008.

René Euloge avait recueilli à Azilal (Haut Atlas central), de la bouché d’une hétaïre du coin, un nombre appréciable de poésies en Tachelhit qu’il avait traduit en français, ce qui avait donné lieu à un ouvrage célèbre, apprécié des connaisseurs, Les Chants de La Tassaout. Malheureusement, il n’a jamais présenté les originaux et bon nombre de critiques lui en ont fait grief ; mais cela est un faux problème. N’empêche que ses traductions en français ne peuvent dissimuler le fait que les originaux étaient clairement de facture berbère

Chargé par l’Université Al-Alkhawayn de préparer une traduction en anglais des vers en question, je n’avais donc comme matériau que les trois éditions en langue française du livre en question. L’exercice s’est trouvé par conséquent grandement simplifié puisqu’il ne s’agissait plus que d’une traduction du français vers l’anglais. Bien entendu, l’expérience gagnée par ailleurs avec mes précédents travaux consacrés à la littérature orale amazighe m’a été d’un grand secours.

L’anglais auquel j’ai eu recours est un langage du terroir, avec parfois des accents néo-celtiques, le tout émaillé d’allitération et d’assonance. De nombreuses notes supplémentaires infra-paginales ont été ajoutées afin de mieux expliciter certains traits culturels amazighs. Quelques unes des photos en noir et blanc de la première édition d’Euloge furent gardées, complétées par quelques échantillons de ma propre iconographie. Sinon, on s’est attaché à ne pas trahir le travail considérable accompli par Euloge, dont l’un des fils m’a par ailleurs aidé et encouragé pour mener à bien cette tache.

5) Berber Odes, Poetry from the Mountains of Morocco, London, Eland Books, 2010.

Dernier de mes recueils de poèmes traduits de l’amazigh, c’est plutôt d’une anthologie de la poésie berbère marocaine qu’il s’agit. La part du lion a été accordée aux poésies en Tamazight traitant de la période de résistance à l’invasion coloniale dans le Maroc central. Mais le Rif n’a pas pour autant été négligé, sans parler des poésies de la tradition amarg du Souss et de l’Anti-Atlas. Pour cette dernière région j’ai largement puisé dans le corpus du Cne. Justinard et remercie à cette occasion pour son aide Rachid Agrour (2007), auteur d’une thèse sur le qebṭan šluḥ, ainsi que le fils du Capitaine.

L’anglais plutôt rustique employé dans ces traductions rappelle les accents de la poésie classique du XIXème siècle et ses ballades lyriques, avec ses archaïsmes, auxquelles font penser les qasida-s du Souss. Là aussi, afin d’étoffer la traduction « sèche » des textes, de nombreuses notes ont dû être ajoutées. Pour sa relecture de mes textes, enfin, je dois à mon éditeur, Barnaby Rogerson de Eland Books, une fière chandelle.

6) Master de L. & C. amazighe

Il sera également fait mention d’une expérience menée récemment  à la Faculté des Lettres de Rabat (automne 2011): l’enseignement de la littérature orale berbère dans le cadre d’un Master de Langue et Culture amazighe et portant notamment sur la traduction en français, ainsi que le résumé croisé de textes amazighs vers le français.

Expérience innovante, riche en enseignements, celle-ci a cocnerné 23 étudiants marocains (16 garçons, 7 filles) parlant tous un des dialectes de la langue amazighe. Un élément connaissait le rifain, deux filles était de Figuig ; le reste était assez également réparti entre locuteurs de Tachelhit et de Tamazight. La plupart, cependant, du fait de leurs fréquentations estudiantines à Oujda, Agadir, ou Marrakech, avaient tous appris une deuxième variante de la langue amazighe. Phénomène qui devait grandement les servir dans l’épreuve de traduction, et démontrant au passage, si besoin était, l’unité avérée de cette langue.

Les étudiants eurent à traduire pendant le trimestre un certain nombre de textes courts en Tamazight du Moyen-Atlas en français. Dans l’ensemble leurs connaissances dans cette langue d’arrivée se situaient entre moyenne et assez bonne, mais chose intéressante, grosso modo les étudiants se sont montrés capables de comprendre l’essentiel du sens des devoirs proposés. Pour des textes plus longs on a retenu la formule du résumé croisé de 150 mots en langue française, faisant appel autant à la compréhension, qu’à l’art de la traduction et de la synthèse.

Dans ce genre d’exercice on a insisté auprès de l’étudiant afin qu’il évite de se laisser dominer par le texte de départ, c’est dire qu’il devait expurger de sa mouture tout ce qui pourrait ressembler à un « berbérisme ». Également soigner la traduction en langue française, et pour ce faire ne pas avoir peur de consulter un dictionnaire. Ce qui ne fut hélas ! pas toujours le cas.

L’une des pierres d’achoppements les plus couramment relevées : l’absence d’article défini, celui-ci faisant défaut en langue amazighe, comme dans (les) ‘Imazighen sont courageux’, ou (le) ‘berger rentre le soir’. Sinon, il y eut de petites fautes de compréhension dues à des confusions : par exemple iggwez rendu par ‘il eut peur’, au lieu de ‘il descendit’, suite à une confusion entre (z) et (d), incartade excusable si l’on tient compte de l’évolution phonologique du berbère (Allati, 2012, p. 50).

7) Recueil de contes du Maroc central (zone Tamidoulit/ Tamazight)

Travail actuellement en cours avec comme finalité une série de contes inédits en édition bilingue tamazight-français. L’essentiel des matériaux a été recueillis entre 1980 et 1994 dans l’Atlas oriental entre Zaouit ech-Cheikh au nord-ouest et le pays Ayt Merghad au sud-est, pour l’essentiel grâce à la collaboration de Rqiya Montassir, Ali Kadiri et Mina Chahoua.

À 90% l’ensemble comprend des textes enregistrés sur bande magnétique ; le reste a été copié à la main. Le corpus a été ensuite saisi sur une machine à traitement de texte, en version originale tamazight en caractères latins, dont une copie papier de 80 pages en notre possession.

Ces matériaux ont donc été en sommeil pendant une quinzaine d’années. À présent, nous allons reprendre ce travail. La traduction en français sera cursive, comportant un minimum de notes et privilégiant la lisibilité.

Conclusion

Rendre des textes en langue amazighe en français ou en anglais, on l’aura compris, n’est pas une mince affaire. Le corpus doit être enregistré de façon claire sur bande magnétique, puis correctement noté sur brouillon lors du dépouillement. Un très grand soin doit être apporté à l’établissement du texte traduit, de façon à ce que le « produit » fini soit expurgé de tout « berbérisme » de façon à le rendre abordable, lisible. Pour ce faire le traducteur ne doit pas hésiter de recourir aux dictionnaires, glossaires et notes dont il dispose ; ni de questionner à l’occasion des locuteurs natifs de langue amazighe. Se faire relire par d’autres, autant que faire se peut. Le cas échéant, trouver un préfacier faisant l’autorité dans la discipline.

En dernier lieu, peut-on prétendre par ses divers travaux avoir pour autant établi un  lien valable avec l’altérité ? On a, certes, restitué le texte dans la langue d’arrivée, le français ou l’anglais, mais il est difficile en se cantonnant dans le domaine de la traduction pure, de cerner l’altérité dans ce qu’elle comporte de  génie intrinsèque. Pour celui qui se contente uniquement du sens du texte il y a sans doute satisfaction, à l’instar du cinéphile qui visionne un film doublé dans sa propre langue. Démarche superficielle…  Mais pour celui qui aspire à franchir un stade plus poussé du savoir, à se sentir habité en, quelque sorte par cette altérité, il importe d’avoir accès au texte dans la langue de départ,  raison pour laquelle nous avons choisi des éditions bilingues. Sinon c’est à un résultat imparfait que l’on aboutit.

Comment, en faisant œuvre de traducteur, peut-on pleinement apprécier l’altérité, en particulier en poésie, si l’on ne se pénètre pas du sens profond des termes qui font le charme de la langue de départ ? En effet, si l’on passe à côté de certains termes poétiques choisis (almu, amarey, amšerdul, amuttel, asawn, baḍaḍ, taġufi, Ɛari, etc.) comment être à même de saisir cette altérité dans sa plénitude ? En effet, les termes en question dans la langue de l’altérité, en l’occurrence l’amazigh, ont leur charme, leur sonorité propre, que la langue de traduction ne peut jamais rendre entièrement. Tout au mieux aura-t-on substitué de bien imparfaits palliatifs.

Lorsqu’on entend un homme amazigh de la région de Tounfit dire :-

šrad lḥwayž ayd llan i ddunit : tiwtmin nna zzilint,

tuga n-ilmutn adday dzizaw d-izlan n-uḥaydus !

On sait que pour lui il n’existe que trois choses valables au monde : les jolies femmes, les verts pâturages et les chants de l’haidouce. Vision quelque peu simpliste du monde, certes, mais empreinte d’une fraîcheur si désarmante que l’on se sentirait tenté de l’accepter !

BIBLIOGRAPHIE

Agrour, R., Léopold Justinard, missionnaire de la tachelhit 1914-1954, Paris,

Bouchene, (2007).

Allati, A., Histoire du berbère, I : phonologie, Tetouan, PUAEFL, (2012).

Boogert, van den, N., The Berber literary tradition of the Sous, Leiden, De

Goeje Fund (1997).

Destaing, E., Dictionnaire français-berbère: Dialecte des Beni-Snous, Paris, E.

Leroux (1914).

Harrell, A dictionary of Moroccan Arabic: Moroccan-English, Georgetown

(1968).

Laoust, E., Cours de Berbère marocain, dialecte du Maroc central, Paris,

Geuthner (1939).

Loubignac, V. Étude sur le dialecte berbère des Zaïans et Aït Sgougou, Paris,

Leroux, (1924).

Peyron, M., « Beni Bou Zert, Ayt Warayn aperçu linguistique », Encyclopédie

berbère, X/1991 : 1579-1584.

Peyron, M., « Oralité et résistance : dits poétiques et non poétiques ayant pour thème le siège du Tazizaout (Haut Atlas marocain, 1932) », Études & Documents Berbères, 25-26, 2007 : 307-316.

Taifi, M., Dictionnaire Tamazight-Français, (Parlers du Maroc central), Paris L’Harmattan-Awal (1991).

 

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