Ce savant avait passé sa vie au cœur d'une ville gigantesque. Il ne connaissait absolument rien à la nature. Pour lui, les oiseaux naissaient dans les nuages, les arbres dans les cailloux et les poissons dans la terre, comme les carottes et les fraises.
Maintenant, quand ils la croisent, les gens pensent que c'est une fée, un elfe ou un ange des bois, mais moi, qui la connais bien, je sais que c'est une petite fille, une petite fille chlorophylle tout simplement.
(La fille chlorophylle).
Parfois, quand je suis un peu las, je fais comme eux.
Je pars à la campagne. Près d'un arbre ou d'une rivière, en silence, je m'allonge.
J'observe le ciel et je souffle.
Après, je me sens mieux.
J'imagine que mes soucis s'envolent, qu'ils montent vers les nuages et disparaissent dans les étoiles.
« C'est très difficile d'aperçevoir les pêcheurs de larmes. Ils vivent tout au fond de nos yeux et sortent seulement quand on pleure. Le reste du temps, ils se font tout petits, ils se blottissent au coeur de nos pupilles et ils attendent. Dès qu'une larme apparaît sur le bord de nos paupières, ils se glissent à l'intérieur et attrapent les petits poissons qui s'y cachent. Peu de gens savent que les pêcheurs de larmes existent car la plupart du temps les gens se cachent pour pleurer. Ou, s'ils ne se cachent pas, ils mettent un mouchoir sur leur visage et alors ils les écrasent sans même s'en rendre compte. » Les pêcheurs de larmes.
La fille chlorophylle.
Je connais une petite fille de verre.
Elle est née comme ça. Sa maman n'a pas particulièrement mangé d'herbe verte quand elle était enceinte, et pourtant elle est venue au monde verte comme une feuille.
À sa naissance, les sage-femmes avaient conseillé à ses parents de la relâcher dans une forêt, mais ils trouvaient sa couleur jolie alors ils l'avaient gardée.
« Notre télé grossit.
Elle mange trop.
Elle avale n'importe quoi. Elle absorbe tout ce qui passe.
Surtout les gens. (…)
À la maison, elle occupe de plus en plus de place. Elle coupe la parole à tout le monde. Elle chante à table. (…)
Plus on est petit, plus la télé grossit.
Bientôt, elle sera énorme. (…)
Pour se retrouver, il faudra bien qu'on la coupe la télé. (…)
Il n'y a pas que nos corps qui vont rétrécir.
Nos têtes aussi, je crois. »
J'ai tellement nagé qu'au sommet d'une vague je me suis endormi.
Un long moment j'ai dérivé sans m'en apercevoir, et me suis réveillé chez le semeur de vagues.
À l'endroit même où le ciel et la mer se rencontrent.
Mais le pire, c'est quand ils écrivent des grossièretés sur les murs de la classe pendant la récréation.
Heureusement qu'ils [mes crayons] n'ont pas la même écriture que moi.
« Je suis allé m'observer dans sa salle de bain et là, j'ai découvert que j'avais la tête pleine de fleurs. Un vrai bouquet ! Depuis quelques temps justement, je me disais que le printemps était particulièrement parfumé. Où que j'aille, j'étais toujours accompagné d'une délicieuse odeur. J'avais remarqué aussi que les choses, sous mes yeux, prenaient parfois une teinte assez singulière. Quand je marchais, j'avais devant moi un très léger rideau d'étoiles. Comme si, de ma tête, il tombait de la neige. Pas de la neige blanche, mais plutôt jaune, comme le soleil. J'ai réalisé alors qu'après ma longue sieste, je ne m'étais pas passé la main dans les cheveux pour chasser le pollen resté sur mon crâne. Les petites graines avaient pris racine, les fleurs avaient poussé, et maintenant les pétales, à leur tour, s'envolaient de mes cheveux. Pendant mon sommeil, un jardin avait poussé sur ma tête! » Le jardin sur ma tête.
« (…) il y a beaucoup de choses dans le piano.
De la mousse, des châtaignes, des feuilles mortes, des glands, des fougères... et surtout des arbres.
De grands arbres d'automne.
C'est ma maman qui les fait pousser.
Ils grandissent quand elle joue.
(…) Quand elle joue de la musique joyeuse, ce sont des arbres de printemps, couverts de feuilles vertes et de nids d'oiseaux, mais quand elle joue de la musique triste, je vois des arbres d'octobre, chargés de feuilles d'or et de reflets pourpres.
Et comme en ce moment ma maman est triste, il n'y a que des arbres d'automne.
Mon grand-père est parti.
On ne le reverra plus.
Quand tout le monde est couché, ma maman va dans le salon, elle ouvre le piano et elle joue.
Avec ses yeux, elle arrose les arbres.
Ils poussent vite les arbres de la tristesse.
Étrange forêt... Je voudrais bien l'assécher mais je n'y arrive pas. »