J'ai testé un bar à sourire (ou presque...)

Bravant les alertes martelées par l'Ordre national des chirurgiens-dentistes, et n'écoutant finalement que mon courage (enfin surtout ma chef qui menaçait de me licencier si je ne testais pas ! D'ailleurs, pourquoi elle ne le teste pas, elle ?! Y a des risques ?), j'ai poussé la porte d'un bar à sourire parisien. Aucun mur blanc ni d'odeur javellisée à l'horizon, l'ambiance aseptisée façon hôpital n'est pas au goût de la maison. Les codes médicaux sont gommés, et le message est clair :  ici, c'est plutôt "bienvenue chez Marco mon coiffeur branchouille", que "vive les roulettes et plombages de monsieur le dentiste". L'esthétique prime !

Pas de rock star et pourtant le bar à sourire fait salle comble. On attend son tour sans faire de vagues, avec ou sans rendez-vous, pour se payer un sourire plus blanc que blanc. Tiens, c'est à moi. Allez, ne claque pas des dents, la petite jeune femme qui t'apostrophe ne va pas te manger ! "Vous voulez des renseignements ?". Pas le temps de m'étendre sur mes appréhensions, elle déballe son discours. Dents blanches, émail brillant, et sans que ça vous coûte un bras... J'adhère illico à sa promesse. Les bars à sourire feraient donc aussi bien que mon dentiste, sans que je casse mon PEL ?!

Totalement emballée, je me promets de ne plus injurier ma boss en me demandant dans quel traquenard elle m'a envoyé. Mince, je n'ai pas mon certificat médical en bonne et due forme pour montrer patte blanche. Comment vais-je prouver que j'ai la dent et la gencive saines ? Baliverne. La jeune femme se borne à de simples questions : des caries ? Une tendance à avoir des gingivites ? Même pas un questionnaire à remplir ou une décharge à signer. Je me demande si finalement traquenard il n'y aurait pas !

Je vais pouvoir gagner deux teintes en 20 minutes

Elle me tend un présentoir sur laquelle sont alignées de fausses quenottes toutes plus blanches les unes que les autres et déclare que je suis "N32". C'est grave ça ? " Non, vous êtes comme la grande majorité des clients", rétorque-t-elle. Me voilà rassurée. Elle affirme que je vais pouvoir au moins gagner deux teintes en 20 min pour seulement 79 €. J'ai bien envie de me laisser prendre au jeu. C'est quoi le protocole ?

Avec un petit « chiffon » imbibé de produits nettoyants ficelé sur le bout de l'index, elle m'indique comment nettoyer mes dents. Et le coton-tige, là, c'est pourquoi faire ? "Les gencives, madame, les gencives !" Je tombe des nues : pas de brossage approfondi, aucun détartrage. C'est le strict minimum. Je demande à en voir plus avant de sauter le pas. Elle me montre l'alignement de fauteuils oeuf ultra-design, dans lequel les clients, la bouche obstruée par une gouttière, attendent patiemment une paire de lunettes sur le nez. Pourquoi un tel accoutrement ? "Pour se protéger de la lampe led électroluminescente qui va être placée devant les dents afin d'activer les propriétés du gel WHG1". Ah bon, c'est dangereux ? Y a quoi dans ce gel ? Elle me déballe son jargon scientifique et insiste sur le fait que tout est faiblement dosé, et que mes dents ne craignent absolument rien !

La jeune femme me tend une gouttière de dimension standard remplie du fameux gel. Elle m'explique que ce sera à moi de la placer comme une grande. Et elle ne compte pas m'aider. En fait, elle n'a pas le droit d'avoir le moindre contact avec la bouche du client. Ah bon ? Et si la gouttière tombe malencontreusement par terre je fais quoi ? Je la replace ? Elle m'affirme qu'elle sera là si besoin. Je l'informe que je me suis renseignée et que le goût du gel est loin d'être agréable tout comme la sensation de froid qui se propage dans la bouche. Elle ne me contredit pas. Faut-il réellement souffrir pour être belle... de la bouche ? L'enthousiasme collectif des clients aux sourires ultra bright, finit par me convaincre.

Allez, je saute le pas semaine prochaine ? Au moment de prendre rendez-vous, la jeune femme me met en garde : " Passé 6 mois, vos dents ne seront plus si blanches. Va falloir revenir au moins deux fois par an pour un résultat optimum". Je suis dépitée en faisant mon calcul pour garder le sourire ravageur : 79 € x 2 passages = 158 €. Aie, va p'être falloir que je pense à demander une augmentation à ma boss.... Après tout, c'est pour l'enquête ! 

Le blanchiment des dents, un acte esthétique ou médical ?

Les bars à sourire affirment que le blanchiment des dents est un acte esthétique et non médical. Et qu’ils ne prétendent pas remplacer les dentistes et hygiénistes dentaires.

Qu’en pense Roland L’Herron, chirurgien-dentiste et président de la CNSD ?Contrairement à ce que prétendent les bars à sourire, le blanchiment des dents apparaît dans le registre des actes médicaux. Les six années de médecine d’un chirurgien-dentiste ne sont pas là pour rien, il faut une réelle compétence pour réaliser un blanchiment. Une préparation minutieuse est nécessaire avant tout acte. Notamment vérifier que le patient n’a pas de carie et polir l’émail avant et après le blanchiment. Ce qui n'est pas réalisé dans les bars à sourire. De plus, dans certains cas, le blanchiment est inefficace. Par exemple, si un patient a les dents jaunis par la prise d’antibiotiques, l’émail ne pourra pas blanchir. Enfin, les gouttières sont réalisées sur mesure par un prothésiste avec des réservoirs à des endroits précis pour blanchir seulement là où les dents en ont besoin. 

Le blanchiment des dents, totalement inoffensif ?

Selon les bars à sourire, le blanchiment est un processus simple et sans danger pour les gencives et les dents. Ils utilisent un gel sans peroxyde d’hydrogène (eau oxygénée) ou à un taux inférieur à 0,1% comme l’impose la Commission européenne pour les bars à sourire, et tout ceci serait strictement inoffensif.

Qu’en pense d’Isabelle Zabiego, chirurgien-dentiste ?Suite à un contrôle mené cet été par le Conseil national des chirurgiens-dentistes, il a été découvert que les bars à sourire utilisaient un gel contenant du parborate de sodium. Une substance toxique qui peut diminuer la fertilité mais aussi et surtout un composant qui se transforme en peroxyde d’hydrogène au contact de l’eau. En clair, le gel utilisé dans les bars à sourire contient bien du peroxyde d’hydrogène à un taux impossible à mesurer. En outre, lorsque vous utilisez le peroxyde d’hydrogène à 0,1 % comme devraient le faire ces bars à sourire, il est impossible de gagner de 2 à 7 teintes en 20 minutes. Or c’est ce que proposent ces établissements. Il faut comprendre que ces bars à sourire ne respectent finalement pas les normes imposées. On ne connait pas les taux de peroxydes d’hydrogène utilisés mais ils sont forcément supérieurs à 0,1%.  

Plus on fait un blanchiment des dents, mieux c’est ?

Les bars à sourire recommandent de refaire un blanchiment des dents tous les six mois pour un résultat optimal et contrer le jaunissement artificiel apporté par le tabac, le thé ou le café.

Qu’en pense Isabelle Zabiego, chirurgien-dentiste ?Il n’est pas bon pour les dents d’effectuer un blanchiment trop souvent. Tous les 4-5 ans est une bonne fréquence, elle est préconisée par les chirurgiens-dentistes. Avec les bars à sourire, vous pouvez réaliser un blanchiment quand vous le souhaitez, sans se soucier d'un avis médical. Effectuer tous les six mois un blanchiment peut endommager les dents. 

Les bars à sourire : bientôt la fin du phénomène ?

Depuis plusieurs mois, les bars à sourire pullulent et les enseignes fleurissent : « Point Sourire », « Pure Smile », « Magic Smile » ou encore « Smile Club ». Pourtant, en France, le phénomène risque de s’arrêter brutalement. Qu’en pense Roland L’Herron, chirurgien-dentiste et président de la CNSD ?Le Bureau des dentistes européens, le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes, entre autres, construisent un projet de loi réglementant la pratique du blanchiment en le réservant seulement aux personnes compétentes : les dentistes et chirurgiens-dentistes. Les risques sont réels pour la santé. L’utilisation du perborate de sodium par des personnes non qualifiées peut devenir toxique pour l’organisme et endommager la dentition. Ce projet de loi qui sonne la fin des bars à sourire en France devrait entrer en vigueur d’ici novembre 2012.