Que ReFaire ? Pour des Fab Labs en entreprise

Ateliers ouverts dédiés au prototypage rapide, les Fab Labs se multiplient et s’interconnectent partout dans le monde [1]. On les rencontre aussi bien dans les capitales de pays en développement que sur des campus universitaires, ou des quartiers branchés des villes californiennes. Les pratiques à l’oeuvre dans ces différentes formes d’espaces intéressent de plus en plus les entreprises : innovation ouverte, collaboration entre pairs, prototypage rapide en mode “essai-erreur”, documentation ouverte des projets, partage de savoir faire, communautés d’innovateurs, management horizontal, etc.

Plusieurs entreprises envisagent ainsi de s’appuyer sur un dispositif de type Fab Lab [2] pour explorer et tester de nouvelles formes d’innovation plus ouverte, plus agile, plus inattendue.

Dans le cadre de l’expédition ReFaire lancée par la Fing, le Groupe Seb et Renault ont saisi l’opportunité d’expérimenter l’ouverture de Fab Labs en leur sein. Dans quel but, de quelle manière, avec quels (premiers) résultats ? Les responsables de ces projets ont accepté de répondre à nos questions à travers de courtes interviews vidéos. Cette synthèse conclusive de ce travail prolonge leur témoignage en fournissant un premier « guide » à ceux qui souhaiteraient explorer la possibilité de créer à leur tour un Fab Lab au service de leur entreprise :

  • A quels besoins des entreprises un Fab Lab peut-il répondre ?
  • Comment peut-il y répondre ?
  • Quelles sont les conditions de réussite ?

Qu’est-ce qu’un Fab Lab ?
Un Fab Lab ressemble à un atelier auquel on aurait ajouté des ordinateurs et des machines modernes de prototypage rapide, ainsi que d’autres caractéristiques : l’ouverture à toutes sortes de participants plus ou moins experts, le partage des connaissances et bien souvent des résultats du travail, l’interconnexion avec les autres Fab Labs du monde (il en existe plus de 150).
Un Fab Lab offre à ses utilisateurs la possibilité d’imaginer, concevoir, prototyper, mettre au point et tester pratiquement n’importe quel type d’objet ou d’installation. Dans ce but, il regroupe dans un lieu de 100 à 150 m2 un ensemble de machines à commande numérique de niveau professionnel, mais standards et peu coûteuses. Le MIT, à l’origine du concept de Fab Lab, a publié une charte de ces espaces et décrit l’équipement minimal qu’ils doivent réunir.
Le tableau de l'équipement minimal des Fab Labs
Une animation assurée par des « fab managers » en charge de la gestion de l’espace et de son occupation, de l’accueil et l’accompagnement des utilisateurs, de la collaboration entre les compétences…Mais un Fab Lab ne se résume pas à son équipement. Son succès repose également sur :

  • Une communauté active. C’est elle qui fait vivre le lieu, lui donne sa couleur et est à l’origine des projets, des pratiques, des savoir-faire, des compétences, etc.
  • Une pratique et une éthique de l’expérimentation et de l’essai/erreur, de l’entraide et du croisement entre projets et compétences, du partage d’informations et de résultats.
  • L’absence de hiérarchie a priori entre des projets à forte dimension technologique et d’autres beaucoup plus pratiques, entre les participants dont le niveau hiérarchique importe peu, entre travail manuel et travail intellectuel, entre professionnels et amateurs…

Un Fab Lab en entreprise, pourquoi faire ?

« Une des inspirations de la création de ce Fab Lab interne vient des projets « temps libre » de Google et Pixar. L’idée était d’amener cette inspiration dans la culture renault, beaucoup plus hardware et ingénieur, avec des produits ancrés dans du réel plus que dans le logiciel. On veut que les gens aient un peu de temps pour aller explorer des choses qui ne sont pas dans leur mission. » – Lomig Unger, Renault.

L’objet central d’un Fab Lab d’entreprise pourrait se résumer ainsi : innover autrement, dans un monde plus ouvert, en allant chercher les idées, les énergies et les compétences partout où elles se trouvent (y compris à l’extérieur, y compris à la base de l’entreprise), en favorisant les croisements et les métissages et en expérimentant le plus tôt possible.

Quelles complémentarités avec les autres dispositifs d’innovation des entreprises ?

Pour toutes sortes de raison, les entreprises ont été amenées à formaliser leurs processus d’innovation jusqu’à un point où il devient très difficile pour des idées hors normes de faire leur chemin. Les Fab Labs représentent l’une des manières d’aérer ces processus, d’aller chercher d’autres idées, d’autres solutions aux problèmes de l’entreprise :

  • Par rapport aux techniques de créativité, ils s’ouvrent à d’autres participants et d’autres approches (par exemple, des collaborateurs de terrain, des techniciens plus à l’aise avec le fer à souder qu’avec les post-its).
  • Par rapport aux outils existants de « prototypage rapide », ils mettent à disposition des machines moins coûteuses et sophistiquées et marient plus étroitement le fer à souder, des machines classiques et d’autres plus avancées telles que les imprimantes 3D.
  • Par rapport aux démarches d’open innovation, ils offrent plus de spontanéité, d’agilité et se situent plus en amont, là où des besoins et des idées cherchent à s’exprimer et à se traduire aussi rapidement possible en maquettes ou en prototypes.

L’innovation dans ces lieux est donc plus « plastique » qu’ailleurs, les idées y circulent, y évoluent et y mutent sans cesse grâce à l’échange entre les participants et à la confrontation rapide à leur incarnation physique. L’ingénieur, le marketeur, l’opérateur de terrain, le client, y trouvent tous leur place dès lors qu’ils se prêtent au jeu. Cette innovation se prête à l’itération, au prototypage rapide pour tester rapidement et s’appuyer sur le feedback des utilisateurs potentiels, voire pour concevoir avec eux.

Innover autrement

Du point de vue des processus d’innovation, les apports des Fab Labs d’entreprises peuvent se classer en 5 catégories : tangible, agile, coopératif, ouvert, ascendant.

les 5 apports des Fab Labs en entreprises
Image : les 5 apports des Fab Labs en entreprises.

Tangible : du concret au concret

« La capacité à faire des maquettes permet de se projeter dans le réel. Il s’agit de remettre le ‘faire’ dans la conception. » – Lomig Unger, Renault.

Dans un Fab Lab, la main s’exprime autant que le cerveau, la pratique autant que la théorie. Une innovation peut commencer par un bricolage, plutôt que par un concept. L’idée s’incarne rapidement en objet. L’essai-erreur s’érige en méthode. L’interaction entre designers, ingénieurs, praticiens et utilisateurs s’organise autour de l’objet, ce qui facilite l’échange malgré les différences de cultures et de compétences.

Agile : plus vite, plus modulaire

« L’un des rôles du Fab Lab interne est de réduire la distance entre l’idée et sa concrétisation » – Karim Houni, SEB.

Extreme programming, Lean software, Scrum… depuis une quinzaine d’années, les méthodes « agiles » ont transformé le développement de logiciels. On est passé de développements longs, fondés sur d’énormes cahiers des charges, à des méthodes itératives, incrémentales et adaptatives” : les projets sont découpés en cycles de développement courts, où la conception s’effectue en dialogue avec les utilisateurs et débouche sur des modules opérationnels, qui peuvent ensuite être améliorés lors d’autres cycles. L’objectif : des projets qui répondent mieux aux besoins, qui produisent plus vite des résultats utilisables et qui s’adaptent en continu à l’évolution des besoins comme aux retours d’expérience.

Ces méthodes s’appliquent également à la production de connaissances ou de contenus, au management… et à la conception industrielle, comme le démontre le projet Wikispeed, dont les participants se sont largement appuyés sur le réseau des Fab Labs [3].

Wikispeed : une automobile créée en 3 mois !
Les membres de la fondation X-Prize, connue pour l’organisation de compétitions richement dotées, et ses thématiques prestigieuses (vol spatial privé, séquençage de 100 génomes humains en moins de 30 jours et passant par l’envoi d’un robot sur la lune, etc.) ont du s’étonner en découvrant une des équipes candidates de leur concours pour la réalisation d’une automobile capable de consommer très peu de carburant. En effet, les équipes sont généralement constituées de professionnels des secteurs, d’entreprises performantes et de laboratoires universitaires. Pourtant, une équipe d’amateurs passionnés, dont aucun ingénieur automobile et avec un budget de quelques milliers de dollars a souhaité participer. Si elle n’a pas gagné le X-prize, l’équipe Wikispeed a tout de même fini 10e sur 136 face à des ténors de l’automobile. Si le défi pouvait paraître inatteignable, un premier prototype est néanmoins sorti du « garage » de l’équipe au bout de 3 mois et a passé les tests afin de recevoir l’agrément pour rouler sur les routes américaines.

Pour arriver à développer un premier prototype « beta » mais fonctionnel, l’équipe de Wikispeed dont une majorité des membres viennent du secteur du logiciel, s’est appuyée sur les méthodes de conception dites agiles.

La démarche agile s’appuie sur la même boucle de conception classique (besoin, design, implémentation, vérification, maintenance), néanmoins, celle-ci est reprise tous les 7 jours.

Wikispeed s’appuie sur cette méthode pour développer son véhicule : le développement du véhicule est incrémental, en reprenant le cycle de production tous les 7 jours. Pour se faire, le véhicule est « découpé » en 8 parties modulaires et indépendantes. Pour reprendre le vocabulaire du développement logiciel et en particulier de la programmation orientée objet, on parle de object oriented engineering (ingénierie orientée objet).

Cette méthode agile a permis d’obtenir très rapidement un premier prototype. Celui-ci est présenté toutes les semaines au « client » afin d’avoir ses retours, lui présenter des scénarios d’évolution, etc. Qui plus est, les plans du prototype ont été publiés en ligne sous une licence libre ce qui a permis à de nouveaux contributeurs de proposer des solutions et des modifications des designs proposés.

Au delà d’une automobile, pour son créateur, Wikispeed est une méthode, la transposition au « monde physique » d’une forme particulière de développement logiciel. Le projet Wikispeed est par ailleurs aujourd’hui complètement distribué avec des équipes dans plusieurs parties du monde ainsi que des déclinaisons aussi bien pour réaliser des vélos électriques que des plates-formes de distribution.

Coopératif : innover ensemble

« Quand on fait de l’introspection sur nos projets, les produits les plus réussis sont ceux qui ont été conçus en ayant mis autour de la table de nombreuses compétences en ayant mis une ambiance qui permet de se tromper, de dire des bêtises » – Karim Houni, SEB.

L’espace ouvert du Fab Lab, les différents projets qui s’y réalisent simultanément, les différentes compétences qui s’y expriment (design, modélisation 3D, travail de différents matériaux, électronique, etc.), invitent par construction ses participants à collaborer : on a toujours besoin des autres, mais on peut aussi toujours avoir une idée inattendue à partir des projets des autres. La « sérendipité » (les heureuses découvertes issues du hasard) joue à plein dans un Fab Lab. La multiplication des regards autour de chaque projet, la mobilisation à égalité de compétences conceptuelles et pratiques, enrichit les projets comme les participants.

En travaillant également sur la documentation des projets, et éventuellement en partageant cette documentation avec d’autres Fab Labs (voire plus largement), les Fab Labs étendent également cette collaboration dans l’espace et le temps : un projet pourra continuer d’évoluer bien après avoir été conclu par ses initiateurs.

Ouvert : tirer parti de toutes les intelligences

« Ce qui définit un innovateur, c’est sa capacité à faire d’une nouvelle idée un comportement collectif. Cette capacité n’est pas plus rare en bas qu’en haut de la hiérarchie. Et comme la « base » est composée de plus d’individus que le sommet, elle est finalement plus fréquente en bas qu’en haut.” – Norbert Alter, Mon voisin l’innovateur, 2001.

“On ne peut pas savoir d’où va venir la bonne idée. Il y a des gens qui ont de l’énergie mais ce n’est pas forcement leur mission principale, il faut être capable de le détecter. On leur offre un lieu dans lequel c’est possible.”- Lomig Unger, Renault

Le Fab Lab ouvre d’abord les processus d’innovation en interne à l’entreprise, à des gens qui ne se seraient jamais pensés comme des innovateurs : ouvriers, opérateurs, commerciaux, techniciens… Par rapport à l’expérience des « boîtes à idées » et autres concours, dont les processus de sélection produisent le plus souvent frustration et découragement, le Fab Lab s’ouvre aux idées de ceux qui savent mieux les exprimer en pratique qu’en mots, et leur permet de montrer rapidement leur idée en actes.

Mais le Fab Lab est également un outil des stratégies d’innovation ouverte. L’open innovation repose sur l’idée que les réponses aux questions que se pose l’entreprise, comme les manières créatives de valoriser ses innovations, se trouveront souvent en dehors de l’entreprise : chez ses fournisseurs, ses partenaires, ses clients, dans des laboratoires ou des startups… Plutôt que de penser l’innovation comme un processus linéaire qui va de la recherche à l’application, on la conçoit alors au sein d’un écosystème dont tous les participants sont interdépendants et peuvent s’apporter quelque chose.

Les Fab Labs offrent des espaces à ces collaborations nouvelles, pour travailler les idées, mettre en relation ceux qui les portent, organiser la rencontre et le partage, multiplier les domaines de compétence, faire avancer des projets communs.

Ascendant : les clients innovateurs

“Les consommateurs dépensent deux fois plus que les industriels dans le développement ou l’adaptation de produits !” – Eric von Hippel, Democratizing Innovation, 2006.

Le skateboard, le kitesurf… et le web sont des innovations de rupture créées par des utilisateurs actifs, les lead users qu’étudie le chercheur du MIT Eric von Hippel. L’innovation ascendante est le d’utilisateurs qui ont acquis des compétences par leurs pratiques quotidiennes et/ou leur hobby. Elle intervient lorsque ces praticiens ne trouvent pas dans l’offre industrielle les réponses à des problèmes qu’ils rencontrent. Cette pratique a toujours existé, mais le numérique « a permis aux consommateurs d’innover plus facilement et a rendu cette innovation plus visible » : les « pro-amateurs » [4] peuvent publier leurs modèles et leurs schémas techniques, ils peuvent collaborer en réseau, ils peuvent même faire produire et vendre leur production.

L’innovation par l’usage va bien au-delà de l’innovation « centrée utilisateurs », dans laquelle les clients ne sont impliqués que d’une manière très contrôlée dans une partie de la conception. Comment les industriels peuvent-ils se rapprocher de cette dynamique d’innovation ascendante ? Le Fab Lab en offre l’occasion, en offrant aux lead users (les utilisateurs pilotes) des outils et des moyens de tester, en reconnaissant leur travail, en s’intéressant d’emblée au passage possible d’une réalisation individuelle à l’échelle industrielle. En documentant en publiant certains projets, il peut à son tour nourrir la communauté informelle des lead users partout dans le monde et les inviter à faire savoir à l’entreprise ce qu’ils ont transformé, ou inventé.

A plus long terme : anticiper les transformations liées à la fabrication additive

Contrairement aux techniques d’usinage classiques qui, le plus souvent, consistent à supprimer de la matière jusqu’à parvenir à la pièce souhaitée, la fabrication « additive » fonctionne par assemblage ou par ajout de couches successives de matière. Les imprimantes 3D en ont popularisé l’utilisation. L’un de leurs avantages consiste à permettre la production de prototypes ou de pièces directement issus des modèles de conception en 3 dimensions : la « boucle » entre le modèle numérique et son incarnation est considérablement raccourcie. Cette technologie permet également de rapidement créer des pièces impossibles a réaliser par de l’usinage. La technologie d’impression 3D s’applique aujourd’hui à des matériaux de plus en plus exigeants. Certains grands groupes y ont recours afin de produire des pièces complexes, à l’image d’Airbus ou de certains constructeurs automobiles.

Mais la fabrication additive ne s’arrête pas à l’impression 3D. Dans les laboratoires des universités et des grands groupes industriels, s’invente la fabrication additive de demain. Les matériaux eux-mêmes deviendraient « numériques » et se composeraient de « briques » élémentaires dotées de propriétés différentes. Plus loin encore, la matière elle même devient « programmée » pour s’organiser sous différentes formes, on parle alors d’autoassemblage. Les pièces peuvent « s’autoreconfigurer », à l’image du vivant.

Comme toute les technologies émergentes, la fabrication additive promet beaucoup ; une nouvelle révolution industrielle, la relocalisation de la production, la fabrication d’objets inédits, intelligents, chez soi, etc. Si son impact à court terme paraît nettement plus modeste, certains y voient cependant une opportunité majeure à plus long terme. Le gouvernement Américain, par la voix du Président Obama, a annoncé en 2012 la création d’un Institut pour la fabrication additive qui rassemblera des universités, associations, entreprises et grands groupes. En France, le pôle de compétitivité Materalia a lancé une initiative dans le même domaine.

Si les imprimantes 3D dont disposent les Fab Labs restent souvent très simples par rapport à du matériel professionnel, elles permettent de s’intéresser à ce modèle de prototypage et de fabrication et de l’inclure comme une pratique presque courante.

Un Fab Lab en entreprise, comment faire ?

Si de nombreuses entreprises disposent de moyens de prototypage rapide, peu d’entre elles les ont encore mobilisés dans le cadre d’un dispositif ouvert et souple tel qu’un Fab Lab. On dispose donc de très peu de recul sur leur expérience. Cependant, de l’observation des différents Fab Labs ouverts dans le monde, ainsi que de l’échange entre les participants de l’expédition ReFaire, émergent à la fois une première typologie des Fab Labs en entreprise, et des conditions de réussite.

Trois modèles de Fab Labs d’entreprise

Une entreprise peut développer son propre Fab Lab, collaborer à un projet commun avec différents partenaires, ou même faire le choix de participer à un Fab Lab totalement ouvert :

Le Fab Lab « interne »

Un Fab Lab interne reprend la configuration, outils, pratiques et savoirs d’un Fab Lab classique tel que le définit le MIT, mais se destine en priorité à des collaborateurs de l’entreprise. D’autres participants – partenaires, chercheurs, clients… – peuvent y être conviés, mais dans des contextes et à des fins précises.

Ce choix facilite le contrôle de la circulation des idées et des projets. Il présente en revanche l’inconvénient de ne pas inviter des énergies et des idées venues d’ailleurs à s’y exprimer et à questionner les certitudes de l’entreprise. Le succès repose alors :

  • Sur la capacité d’attirer des collaborateurs très divers (y compris tout en bas de l’échelle), d’organiser le croisement des métiers et des statuts et de donner une vraie chance aux projets de se développer – y compris, pourquoi pas, lorsqu’ils ne sont finalement pas retenus par l’entreprise elle-même (essaimage, publication…) ;
  • Sur la construction d’une « communauté » d’utilisateurs réguliers, qui peuvent considérer le Fab Lab comme un lieu d’expression, de respiration, d’échanges conviviaux et professionnels à la fois.

Le « Creative People Lab » de Renault

Lomig Unger, Renault Creative People Lab from videosfing on Vimeo.

Lomig Unger et Mickaël Desmoulins sont les deux porteurs de l’espace de créativité « Creative People Lab » ainsi que sa composante « Fab Lab » interne.

Lomig Unger, Le Fab Lab du Creative People Lab from videosfing on Vimeo.

Le Fab Lab « coopératif »

Le Fab Lab « coopératif » est un Fab Lab semi-ouvert vers l’extérieur, souvent créé et exploité en commun par plusieurs partenaires : les entreprises d’une filière ou d’une zone industrielle, les acteurs (entreprises, enseignement, recherche…) d’un campus universitaire, etc.

Du point de vue de l’entreprise, un tel lieu doit favoriser la rencontre avec son écosystème, la collaboration avec la recherche, la conception collaborative (avec ses prestataires et sous-traitants par exemple), l’innovation ouverte (collaboration avec des startups ou des entreprises d’autres secteurs), voire le « prototypage ouvert ». Chacun des participants à cet espace porté par plusieurs acteurs mobilisant son propre écosystème, le Fab Lab coopératif peut produire des interactions riches et des résultats inattendus.

La collaboration du Groupe Seb avec le Master IDEA et la création du Fab Lab

Karim Houni, Partenariat Ecole/Entreprise pour la création d’un Fablab. from videosfing on Vimeo.

Karim Houni du Groupe SEB revient sur la collaboration entre le Master IDEA et leur contribution à la création d’un Fab Lab en son sein.

La collaboration avec des Fab Labs « externes »

Dans ce troisième cas, l’entreprise choisit de travailler avec des espaces existants à proximité de ses centres de R&D, de design ou de production, plutôt que de créer son propre Fab Lab.

Cette collaboration peut prendre deux formes distinctes :

  • Un partenariat construit entre l’entreprise et le Fab Lab. L’objectif est de se frotter à d’autres formes de collaboration et d’innovation, de rencontrer la communauté des makers (les bricoleurs « pro-amateurs » de l’ère numérique), voire d’en faire partie. L’entreprise peut par exemple accompagner certains projets, apporter son expérience et le savoir faire de ses salariés, mettre à disposition certaines capacités techniques, etc. En retour, elle peut s’appuyer sur la communauté présente pour chercher la réponse à des questions difficiles, explorer avec elles certaines idées nouvelles, y détecter des talents et des projets…
  • Il peut s’agir plus modestement d’offrir à certains employés de l’entreprise du temps pour développer leur projet, dans un lieu différent de l’entreprise et propice à l’expression de leurs capacités.

Des entreprises comme Ford et Airbus s’intéressent à ce type de partenariat.

Ford et le TechShop de Detroit : accélérer l’innovation de l’extérieur

Sortes de Fab Labs commerciaux, les TechShops sont de grands espaces privés (environ 1500 m²) dont le principe fondateur est de rendre accessible et à bas coût un ensemble de machines, d’outils et d’équipements dédiés à la fabrication personnelle. Ils s’adressent aux inventeurs, aux bricoleurs, aux entrepreneurs, aux artistes, aux designers, etc. qui ne disposent pas d’ateliers de fabrication, de matériels, voire des compétences nécessaires pour réaliser leurs projets.

Le premier TechShop a été ouvert en 2006 à Menlo Park (Californie) et accueille plus de 500 membres qui règlent une adhésion mensuelle, bien qu’il existe également un forfait à journée. L’adhésion permet d’utiliser toutes sortes de machines ainsi que tout le petit matériel (oscilloscope, fer à souder, perceuse, etc.). Le TechShop est ouvert 7 jours sur 7 de, 9h à minuit. Il offre également divers services : du conseil pour réaliser ses projets, des cours d’utilisation des machines, ainsi que la réalisation de projets personnels par des professionnels.

A Detroit, capitale de l’industrie automobile Américaine, le constructeur Ford a cofinancé l’ouverture d’un Techshop, pour en faire bénéficier la communauté de makers très actives dans cette ville, mais également ses propres salariés. L’objectif est de permettre aux salariés de s’exprimer, de développer des pratiques innovantes et des projets parfois en rupture, que les modèles organisationnels des grandes entreprises ne savent pas détecter. Selon Ford, le nombre propositions innovantes issues du personnel aurait augmenté de 30 % depuis le démarrage de cette initiative.

Conditions de réussite

Accessibilité et décloisonnement

« Le Fab Lab ne porte pas le nom d’une direction, il ne ressemble pas au lieu de travail habituel, ce qui fait que tout le monde laisse sa casquette à l’entrée, oublie son rôle habituel et vient jouer dans une posture différente. » – Lomig Unger, Renault.

« La dernière petite imprimante 3d que l’on a acheté, on l’a laissée dans le couloir pour créer de la discussion avec des collègues qui ne sont pas de notre équipe. »- Karim Houni, SEB.

Les Fab labs se distinguent principalement des centres de prototypage rapide par leur niveau d’ouverture. Un lieu comme le FacLab (un Fab Lab francilien porté par l’université de Cergy-Pontoise) est ouvert à tous tous les après-midis, gratuitement. Cette caractéristique offre un terrain propice à la rencontre et à l’interdisciplinarité. De même, l’accès à un Fab Lab interne doit être possible sans procédure lourde, sans différenciation en fonction du statut.

Dans une entreprise, l’accès pourrait prendre plusieurs formes :

  • S’inspirer du « 20 % » de temps de travail dédié aux projets personnels en place chez Google ou Pixar, qui remettent au goût du jour de ce que proposait déjà la société 3M [5] dans les années 1950 ;
  • Donner aux collaborateurs qui ont émis une idée innovante l’occasion de la pousser plus loin ;
  • Faire de l’accès au Fab Lab une manière de récompenser l’investissement de certains salariés, etc.

Ouverture à l’écosystème

« Les « Fab managers » sont très en lien avec l’écosystème. Une grande partie de leur travail consiste à sortir de Renault pour aller rencontrer l’écosystème et le ramener dans le Fab Lab interne. » – Lomig Unger, Renault.

Si la première ouverture à réussir est l’ouverture en interne, ce type de lieux doit s’ouvrir à un écosystème plus large dans le cadre de stratégies d’innovation ouverte : partenaires et fournisseurs, campus, écoles, startup, voire makers. Dans les Fab Labs, on parle de « communauté ». C’est cette communauté qui va faire vivre le lieu, lui donner sa couleur, la nourrir de ses savoir-faire et de ses pratiques et être à l’origine des projets. Elle s’approprie l’espace et lui donne sa dynamique propre, avec des degrés d’investissements multiples et variables.

Comment gérer les degrés d’ouverture pour, par exemple, permettre au Fab Lab de former le support de certains projets confidentiels tout en restant ouverts à l’extérieur ? Par une gestion d’agenda assez fine. Dans les Fab Labs, plusieurs journées, les “open-days” sont ouverts à tous : on y vient pour échanger, rencontrer la communauté, parler de ses projets, etc. D’autres journées vont être réservées pour des projets spécifiques, par des équipes ou des entreprises, voire pour louer l’usage de machines. Enfin sous certaines conditions, le lieu peut être privatisé pour une journée.

Autorisation de déranger et de se tromper

« Pour se permettre de se tromper et d’améliorer, plusieurs équipes se sont équipés de petites imprimantes 3D à 1000 euros C’est un cran intermédiaire entre la cellule de prototypage et la R&D. » – Karim Houni, SEB.

« Il y a la dimension apprentissage avec les pairs dans ce lieu, ça fait partie de la fluidification organisationnelle à mettre en place. Ca revisite des aspects de compétences : est-ce que les compétences s’acquièrent uniquement par une formation validée par les RH, ou aussi par la pratique avec ses pairs ? » – Lomig Unger, Renault.

Dans un Fab Lab, on avance en marchant, on innove en passant par de multiples itérations de manière agile. Le Fab Lab donne le droit de se tromper, de recommencer, de tester des idées hétérodoxes, exploratoires, peu fondées sur des études formelles. Les “débutants”, les praticiens, ont leur place dans les Fab Lab. Ici, il s’agit de réaliser et tester tout de suite des prototypes, dans des postures d’essai/erreur, et favoriser le développement par itération, incrémentation et adaptation.

Cet apprentissage se réalise également de pair à pair : les individus déjà formés à l’usage des machines, à la programmation, ou ayant des compétences particulières, sont invités à partager leurs connaissances avec les autres membres du lieu. Le recours à la matière, à la réalisation, permet en outre a certaines personnes mal à l’aise avec l’abstraction (ou avec la « novlangue » technique ou marketing) de s’exprimer plus facilement.

Accompagnement et médiation

Bien que le Fab Lab soit ancré dans une culture du « faire soi-même » (Do-It-Yourself), ses utilisateurs ne sont pas abandonnés à leur sort. Des animateurs, les fab managers (1 à 2 Fab Managers suffisent en général), accompagnent et organisent la médiation entre les publics, les outils techniques, les projets et les pratiques innovantes. Ils sont un élément essentiel pour aider à traduire les idées et envies en projets et accompagner dans le maniement des machines et des outils. Ce sont eux qui organisent les évènements du lieu pour le faire vivre et lui impulser une dynamique. Cette médiation est une des conditions pour que ces lieux rencontrent leur public.

Il en est de même au sein des Fab Labs d’entreprise interne. Attirer du public en offrant un espace ouvert, propice à l’échange, sans jugement a priori, est du ressort de l’équipe d’animation. L’équipe en charge du lieu doit pourvoir aider, mettre en relation et donc connaître les bonnes « personnes ressources » disposant des compétences recherchées, faire éclore des projets, gérer le lieu et ses ressources, etc. Elle doit aussi se préoccuper de l’articulation entre cette innovation très « plastique » avec les processus plus standards d’innovation de l’entreprise.

Un dispositif de « problem solving »

« Une équipe pluri-disciplinaire visant à accélérer l’innovation, par des méthodes d’idéation, d’agilité, de prototypage et de travail collaboratif. » – Définition de l' »Acceleration Platform » (AxP) d’Alcatel Lucent Bell Labs.

« Le « Creative People Lab » mis en place au Technocentre de Renault compte également parmi ses missions, la création d’une plate-forme permettant de répondre à des questionnements complexes ou inhabituels par la pratique et la transdisciplinarité. »

Le Fab Lab et son équipe d’animation doivent devenir un dispositif à part entière capable de répondre à des demandes des métiers de l’entreprise pour explorer des questions et problèmes sous un angle créatif et « agile ». Il s’agit ici de répondre à des clients internes, leur proposer un espace, avec des méthodes d’animation, des compétences transdisciplinaires capables d’apporter un regard neuf.

Dans un Fab Lab, on va au delà de scénarios sous forme de représentation graphique : des prototypes fonctionnels peuvent être réalisés, il s’agit de montrer des produits tangibles. Le Fab Lab interne n’est néanmoins pas qu’un « prestataire » des business units. Les « clients » participent au processus de scénarisation, de création et de prototypage, dans des logiques de co-conception. L’expérience acquise lors des séances de travail est accumulée par les équipes.

Connexion avec les métiers, les relais : comment les projets réussissent

« Les idées ne sont pas traitées que sous l’angle des experts : “ce n’est pas mon idée mais elle m’intéresse, j’y mets mon grain de sel.” Ca fait partie du début de l’appropriation des idées, on n’est pas qu’entre experts, ça permet de faire participer les clients internes. » – Lomig Unger, Renault.

La spécialisation des métiers, le cloisonnement des organisations, rend difficile la circulation des idées au sein de l’entreprise, ainsi que la transformation d’une idée venue de la base en projet. Les projets du Fab Lab doivent être pensés multimétiers, dans des logiques de co-conception dès leur développement, et ce qui en sort doit s’articuler avec les processus d’innovation de l’entreprise.

La détection, l’organisation et l’accompagnement de projets féconds est un point central. Le fabricant de biscuits Poult, qui développe un centre de prototypage ouvert à tous ses collaborateurs, s’appuie sur une cartographie des compétences de l’ensemble du personnel afin d’organiser un accompagnement en fonction des projets.

Les projets que l’entreprise ne retiendrait pas dans ses programmes d’innovation ne doivent pas devenir des points de frustration qui finiraient par remettre en cause le dispositif. Plusieurs pistes peuvent être explorées : encourager les porteurs du projet à pousser l’idée plus loin et leur en donner le temps, favoriser l’essaimage, voire rendre les projets publics pour que d’autres s’en emparent…

Freins et risques

Ces formes d’innovation inédites et relativement peu « cadrées » peuvent bien évidemment susciter des interrogations, d’autant que l’on ne dispose guère de recul sur les premières expériences.

Quel retour sur investissement ?

On se trouve ici dans un modèle plutôt proche de la R&D ou du capital d’amorçage : parmi les projets, peu d’entre eux déboucheront sur des innovations à succès, mais le retour sur investissement de ces
quelques projets devrait justifier les pertes sur les autres. De ce point de vue, le Fab Lab dispose de beaucoup d’atouts :

  • Son coût est beaucoup plus faible que les dispositifs de R&D et d’innovation classiques ;
  • Il est mutualisé entre beaucoup de personnes, de métiers, de projets ;
  • Il se prête à des types d’innovation qui n’émergeraient pas ailleurs, souvent assez transversales ;
  • Il contribue également à la motivation du personnel, au décloisonnement des métiers.

Et la propriété intellectuelle ?

C’est une des questions qui revient très fréquemment. Plus le lieu va être ouvert sur l’extérieur, plus mécaniquement, il va être difficile de produire ou de défendre de la PI. Les modèles innovants que l’on rencontre, les projets développés dans les Fab Labs sont peu propices au dépôt de brevets. La balance va se jouer entre la fécondité des échanges avec l’extérieur et les enjeux de protection. Et c’est en grande partie le niveau de protection attendu qui va légitimer le choix d’une forme de Fab Lab plus ou moins ouvert, tout en voyant bien que le niveau de protection et d’ouverture va avoir un impact sur l’inventivité ou la capacité à produire de l’innovation de rupture.

L’innovation, c’est du sérieux !

Par rapport aux processus d’innovation très formalisés dont les entreprises ont aujourd’hui l’habitude, les pratiques d’innovation au sein des Fab Labs sont forcement plus souples et pourraient prêter le flanc à l’accusation « d’amateurisme », d’une innovation pas « sérieuse ». C’est pourtant un dispositif qui est de plus en plus étudié et mis en place par des groupes comme Ford, Airbus ou les Bell Labs. Le Fab Lab d’entreprise est un dispositif pour mettre en lumière les capacités d’innovation qui ne trouvent pas à s’exprimer dans des processus linéaires dominants. Beaucoup d’innovation de rupture paraissent d’abord « amateures », voire farfelues : les recherches d’Eric von Hippel sur l’innovation ascendante regorgent d’exemples.

Un révélateur des lacunes du management

Les pratiques au sein des Fab Labs sont très transversales, horizontales et multi-métiers. L’information va circuler entre les unités plus facilement et poser des questions de management. Le partage d’informations, l’échange font partie de l’ADN d’un Fab Lab, tenter de le contrôler ferait perdre une des raisons premières de son intérêt. Lors de la conférence Fab Lab 2012 à Toulouse, Alain Fontaine, VP chez Airbus, déclarait qu’Airbus souhaitait s’appuyer sur les Fab Labs pour repenser leur approche quant à la manière de concevoir leur produits et également pour intégrer les manières de penser des jeunes générations : le Fab Lab devient alors, aussi, un outil pour tester des nouvelles formes de management, permettant de retenir les jeunes ingénieurs proches de la culture web du partage.

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L’ouverture d’un Fab Lab interne doit être vu comme une expérimentation, forcément évolutive. L’expérience des Fab Labs montre que ceux-ci se construisent « en marchant ». La constitution d’une communauté réactive, le développement de projets collectifs et collaboratifs, la capacité à répondre à des demandes internes, la mise en place de stratégie de co-conception et de croisement des écosystèmes, etc., prendront du temps et suivront des chemins souvent peu prévisibles. Les trois types de Fab Labs décrits peuvent être déployés pour répondre à des problématiques plus spécifiques, mais également s’inscrire dans une gradation de niveaux d’ouvertures.

Dans une économie où la capacité d’innovation devient la clé de la compétitivité, beaucoup d’entreprises auraient cependant intérêt à explorer la piste des Fab Labs. Il en émanera des innovations plus imprévues, plus transversales et parfois plus différenciantes que celles que savent produire les bureaux d’études et les studios de design internes. Ouvrir un Fab Lab est aussi un acte de management : c’est passer à ses collaborateurs, à ses partenaires et à son marché le message selon lequel l’entreprise a compris qu’on n’innove plus seulement « d’en haut », ni tout seul. Attendez-vous à ce que le message soit reçu !

Fabien Eychenne

Fabien Eychenne est coresponsable du programme ReFaire (@Re_faire) de la Fing (@la_fing). Cette réflexion est le second résultat de travail du programme Refaire. D’autres suivront…

En savoir plus sur les Fab Labs

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Notes

1. Voir Fab Lab : L’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle, Fabien Eychenne, Fyp édition, 2012, ainsi que le rapport Tour d’horizon des Fab Labs publié par la Fing qui a conclut le programme de travail Fab Lab Squared de la Fing, qui s’est tenu en 2011-2012.

2. Il s’agit ici de s’appuyer sur les « pratiques et usages » à l’oeuvre dans les Fab Labs pour créer des dispositifs proches, qui pour certains, respecteront la charte des Fab Labs et pour d’autres pourront s’en éloigner.

3. Fabien Eychenne, « Méthodes agiles : la conception logicielle appliquée au monde physique », InternetActu.net, 31/10/2012.

4. Fabien Eychenne, Makers, pro-amateurs, consom’acteurs… de qui parle-t-on ?, InternetActu.net, 12/07/2012.

5. Les fameux Post-its viendraient d’une idée développée durant ces 20 % de temps dédiés à des projets personnels : http://creativityandinnovation.blogspot.fr/2006/12/3m-innovation-machine.html.

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