Chapelle de la Médaille miraculeuse, rue du bac, à Paris (Photo Pinogès/Ciric).

Le jeune homme semble un peu impressionné par les lieux et la tâche à accomplir : «Je dois livrer un bouquet pour la Vierge Marie, c'est bien ici ? » Un sourire en guise d'accueil et quelques explications ont tôt fait de le rassurer : « Oui, il vous suffit de prendre l'allée, entrer dans la chapelle, et déposer les fleurs au pied de l'autel ! » Inédit à ses yeux, le chemin que prend ce matin le salarié d'une célèbre enseigne de livraison florale ressemble en tout point à celui qu'empruntent cha­que année près de 2,4 millions de pèlerins en franchissant le porche du « 140 » de la rue du Bac. Nous sommes en plein coeur de Paris, à deux pas du Bon Marché, dans le 7e arrondissement.

140, rue du Bac : l'adresse est presque aussi célèbre que le nom du sanctuaire abrité en ces lieux, la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse. Ici, à trois reprises au cours de l'année 1830, la Vierge Marie apparaissait à Ca­therine Labouré, jeune novice des Filles de la Charité. Et lui confiait la mission de faire frapper une médaille à diffuser au plus grand nombre, assurant des « grâces » à tous ceux qui la porte­ront avec confiance.

Depuis, la médaille a fait le tour du monde. Et le monde entier, dans un signe de gratitude universelle visible ici à travers une impres­sionnante série d'ex-voto, s'invite en pèlerinage à la chapelle.

"L'autre jour, nous avons reçu des chrétiens d'Irak"

Dans un joyeux « ping-pong » verbal, les personnes de « l'équipe-chapelle » égrènent le nom des pays récem­ment accueillis : « Chine, Vietnam, Liban, Albanie, Italie, Canada » « L'autre jour, nous avons reçu des chrétiens d'Irak », ajoute Soeur Antoinette-Marie, coordinatrice de l'équipe avec le P. Bertrand Ponsard, lazariste et chapelain du site. « Cela donne des célébra­tions très festives, relève Soeur Marie Conceiçao, brésilienne, au service de la sacristie. Je garde un grand souvenir d'un groupe de quatre cents Sénégalais. Même leur télévision nationale était là ! »

Il est courant que des nationalités différentes soient obligées de faire « messe commune ». Qu'importe. Ce qui compte ici, c'est le langage du coeur, la communion d'âme. « La langue n'est pas un souci, ex­plique Soeur Lilybeth, arrivée il y a quatre ans des Philippines. Avec les pèlerins, tout passe par un regard, un geste, un sourire. »

Depuis l'allée bitumée menant à la chapelle, tout est signe et éclat de cette Pentecôte universelle: drapeau du Sri Lanka, étole co­lorée offerte par deux femmes du Guatemala aux Soeurs de l'accueil, langage des signes entre une béné­vole et un couple de Coréens qui souhaite ramener des médailles, dépliant traduit en vingt-deux langues (dont le japonais, l'arabe, le russe et le coréen)

Le site Internet, lancé en 2002, s'inscrit dans cette perspective : « Proposé en cinq langues, il sera bientôt enrichi de l'allemand et nous nous attelons à une traduction chinoise », avance Sharon Defruyt, webmes­tre bénévole. Michel, lui, se sent à l'aise ici. D'origine syrienne et de rite grec-catholique, ce chrétien d'Orient exhibe fièrement une icône de Notre-Dame de Damas : « La découverte de ce brassage des peuples, ça m'a ému. » « Ici, pas une catégorie de l'hu­manité n'est oubliée de Marie», poursuit Soeur Antoinette-Marie.

mpossible de définir un profil type du visiteur de la rue du Bac

Pas seulement sur un plan inter­national, car beaucoup de pèlerins viennent de France, de la banlieue jusqu'à la province : « C'est un lieu qui rassemble l'échelle sociale au grand complet, des célébrités venant incognito jusqu'aux plus petits et aux plus humbles. » Impossible de définir un profil type du visiteur de la rue du Bac. Une diversité qui réjouit Béatrice, parisienne : « Ni couleurs, ni diplômes : ici se vérifie le fait que nous sommes tous enfants de Dieu. Des enfants vraiment gâ­tés, avec une seule famille et un seul Père ! », s'enthousiasme-t-elle.

Ce paradoxe d'unité et de di­versité, comment ne pas mieux l'apprécier que sur les petites mar­ches de l'autel, dans la chapelle, où chaque visiteur, tour à tour, s'agenouille à l'invitation de Marie. S'y retrouvent tous les codes vesti­mentaires : le jean-baskets côtoie d'élégants ensembles féminins, le costume-cravate se fraie une place à côté des tenues ecclésiastiques et des boubous africains. Les coiffes antillaises se mêlent aux fichus des « mamies » européennes.

Symphonie de couleurs et de styles, dans une ferveur com­mune où peut se lire toute la gamme du recueillement : abandon total, front et lèvres effleurant le marbre, mains nouées, jointes et implorantes, ou simples paumes ouvertes comme un geste d'offrande. Des bouches murmu­rent une prière, beaucoup de visa­ges et de regards se tendent vers les statues de la Vierge. Corps frêles ou démarches plus assurées : tous déposent au pied des marches leur fardeau. Au sens propre : sac à dos, valise à roulettes, cabas Comme au sens figuré : souffrances en tous genres. La maladie d'un proche, le chômage d'un voisin, l'avenir des petits-enfants, une espérance

Maxime, lui, est venu en RER et métro depuis Valenton (Val-de­Marne). Le lycéen, qui prépare un bac restauration, veut confier à Ma­rie « (ses) doutes et (ses) inquiétudes, à la veille des épreuves ». « On décèle des parcours philosophiques et spi­rituels très variés. Tous ne sont pas des chrétiens et croyants convaincus, certains sont dans une quête de re­ligiosité mal définie, une recherche existentielle, constate le P. Ponsard.

"Un lieu où l'on peut "raccrocher les wagons""

La chapelle est un lieu où l'on peut "raccrocher les wagons". » Marie-Rose, elle, habite Bou­logne, mais se souvient de ses années d'adolescente, quand elle désertait la cantine de son collège parisien pour se rendre chaque midi à la chapelle: «Le monde a besoin de notre prière, de notre attention », martèle dou­cement la jeune femme, arrivée en France après les événements du Rwanda en 1994. Lucienne, jeune Antillaise installée à Paris, parle de « soulagement » : « Je viens puiser de la force : ici, je sais que je suis écoutée. »

« On reçoit beau­coup de grâces», raconte Jacques, un Francilien. « Pas toujours celles que l'on a demandées », ajoute-t-il, un sourire au coin des lèvres. « Ce qui me frappe toujours, c'est la soif des gens», résume le P. Guénolé Feugang, Camerounais, chargé de la pastorale des jeunes.

D'où une prière spontanée et vivante, avec « une participation du coeur plus forte que l'obligation de rite », analyse le P. Ponsard. « J'ai déjà vu une intention de prière écrite sur un ticket de métro», raconte Soeur Marie-Madeleine pour témoigner de cette spontanéité.

Impression confirmée par Claudine et Christophe, deux jeunes mem­bres de « Coeur de Jésus et Marie », un groupe qui propose le rosaire un dimanche par trimestre : « Les gens ne récitent pas le rosaire, ils ont vraiment à coeur de le vivre. »

«Tous enfants de Dieu», avait prévenu plus haut Béatrice l'accueil à la chapelle est bien inconditionnel. Que l'on y vienne chaque jour, avant ou après avoir travaillé dans le quartier, ou plus loin, en banlieue. Que l'on y passe un quart d'heure, entre deux courses dans les rues voisines Ou encore parce que l'on dispose d'une paire d'heures lors d'une escale aérienne : le passage par la rue du Bac, entre les tarmacs de Roissy et Orly, offre une halte spi­rituelle. C'est aussi l'occasion pour ces voyageurs de pouvoir ramener des médailles à leurs proches. Ou de venir, au pied de Marie, déposer un bouquet de fleurs.