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Omar Al-Bachir: « Ça fait longtemps qu’on me traite de dictateur »

Droit dans ses bottes et candidat à sa propre succession en avril, le président soudanais Omar Al-Bachir est toujours sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Dans un entretien accordé au « Monde Afrique », il n’élude aucune question de politique intérieure et livre sa vision de l’échiquier régional.

Propos recueillis par  (envoyé spécial, Khartoum, Soudan)

Publié le 23 février 2015 à 14h01, modifié le 19 août 2019 à 13h21

Temps de Lecture 11 min.

Omar Al-Bachir a reçu « Le Monde Afrique » vendredi 20 février, entre ses deux prières du soir, dans le Palais de l’hospitalité, sa résidence au coeur de l’enceinte des services de sécurité et de renseignement soudanais (NISS) dans le centre de Khartoum. Entretien.

Cette année, plusieurs chefs d’Etats africains s’attellent à changer leur constitution pour tenter de briguer un nouveau mandat. Vous êtes au pouvoir depuis plus de vingt-cinq ans et vous vous représentez à la présidentielle en avril, pourquoi s’accrocher au pouvoir ?

Je n’ai pas de conseils à donner à mes homologues africains. Je suis convaincu qu’ils font au mieux pour préserver l’ordre et la stabilité. En ce qui me concerne, selon la Constitution intérimaire adoptée par l’Assemblée nationale en juillet 2005, le chef de l’Etat peut briguer deux mandats. Pour moi, ce sera donc le dernier mandat et, si je suis élu, je quitterai le pouvoir en 2020.

Où en est le dialogue national avec l’opposition ?

Des arrangements ont été scellés et un accord va être signé. Une assemblée générale, qui se compose de toutes les forces qui ont signé cet accord et sont disposées au dialogue, sera ensuite constituée, de même qu’un comité chargé de suivre ce dialogue et d’en assurer le bon déroulement. Donc les choses sont rentrées dans l’ordre.

Ce n’est pas ce que dit l’opposition qui déplore une répression et un processus de dialogue au point mort. Une vingtaine de partis s’en sont retirés fin janvier.

C’est pourtant la réalité. Et j’ai multiplié les gestes envers l’opposition qui a eu des revendications que j’ai entendues et que j’ai prises en compte. Ce processus de réconciliation entamée il y a une année est sur le point d’aboutir.

Le président soudanais Omar Al-Bachir, à Khartoum, le 10 septembre 2014.

Que pensez-vous de l’appel pour la libération de prisonniers politiques lancé par votre ancien allié passé à l’opposition, Hassan Al-Tourabi ?

Il faut bien faire la distinction entre un prisonnier politique et un criminel condamné par la justice pénale. Je vous le dis : depuis le 1er avril 2013, il n’y a plus de prisonniers politiques au Soudan.

L’opposition dénonce également de graves atteintes à la liberté d’expression. Pourquoi les autorités ont-elles saisi et interdit quatorze journaux, lundi 16 février, ce qui a provoqué l’indignation de la communauté internationale ?

Les lois sécuritaires visent à empêcher et à punir toute action nuisible à la sécurité nationale. Tout ce qui touche à notre sécurité nationale est du ressort des services de sécurité qui agissent conformément à la loi. Cette opération contre la presse se faisait dans ce cadre. Et c’est une affaire intérieure qui ne concerne pas les puissances étrangères qui, pour certaines, se sont permis de la commenter.

« J’ignorais qu’un dictateur permettait l’existence de 120 partis politiques »

Que répondez-vous à ceux qui vous qualifient de « dictateur » ?

Ça fait longtemps, et j’en ai l’habitude. Depuis l’embargo décrété en 1995, je suis considéré comme un dictateur, un criminel de guerre, un génocidaire. Mais j’ignorais qu’un dictateur permettait l’existence de 120 partis politiques, et d’une opposition véhémente. L’élection de 2010 s’est tenue sous la surveillance des organisations internationales et régionales, et nul ne l’a contestée. La Constitution intérimaire a été élaborée par toutes les forces politiques au Soudan. Il en va de même des lois électorales.

Des soutiens du président Omar Al-Bachir lors du premier meeting de sa campagne le 24 février 2015, à Khartoum.

Vous considérez-vous comme victime d’un acharnement ?

Je mène des politiques qui dérangent certaines grandes puissances à commencer par les Etats-Unis. Je dis haut et fort que la résistance palestinienne a le droit de résister à Israël. Je suis clairement contre les interventions américaines dans les pays musulmans, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par la Libye. Ce qui provoque la colère de beaucoup de puissances.

Le Soudan et moi-même dérangeons car nous démontrons que, malgré les sanctions économiques, nous continuons notre développement et je n’infléchis aucunement mon discours. Ce qui semble porter ses fruits puisque les Etats-Unis viennent de lever partiellement les sanctions dans le domaine des technologies de communication.

« Aujourd’hui, la principale menace du Soudan est d’ordre économique »

Mais l’économie soudanaise souffre. Comment faites-vous pour remplacer les revenus pétroliers perdus à la suite de l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 ?

Je ne nie pas nos difficultés économiques causées entre autres par l’embargo des Etats-Unis qui ont incité leurs alliés à faire de même. La création du Soudan du Sud nous a privés de 80 % des revenus pétroliers.

Nous avions un accord pour compenser trois années de perte de ces revenus pétroliers, soit prés de 11 milliards de dollars dont un tiers devait être pris en charge par la communauté internationale. Ce qui ne fut pas honoré.

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Mais nous avons dépassé cela avec des réformes économiques et un plan de relance sur cinq ans que je compte mettre en œuvre lors de mon prochain mandat. Je compte diversifier notre économie, augmenter la productivité pour pouvoir réduire nos importations. Nous avons démontré que nous n’avons pas besoin des Etats-Unis et plus largement des Occidentaux pour nous développer.

Des soldats de l'Unamid, la force mixte de l'ONU et de l'Union africaine, le 12 janvier 2015 à Nyala au Darfour.

Vous êtes sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) qui a interrompu, en décembre, son enquête pour des crimes de guerre, contre l’humanité et génocide au Darfour. Est-ce une victoire ?

Cette CPI fait partie des outils de déstabilisation du Soudan. Ces accusations sont fabriquées de toutes pièces. Ce sont des mensonges. En plus, le Soudan n’a pas ratifié le protocole de Rome (qui instaure la CPI). Donc je ne me plierai pas et résisterai à cet acharnement politique qui instrumentalise la justice internationale. D’autant que les crimes commis par les Américains ne sont pas jugés. Donc pour moi, la CPI n’a aucune légitimité. Il n’y a pas eu de génocide au Darfour. D’ailleurs, les fameux Janjawids (miliciens arabes pro-gouvernementaux) soi-disant responsables de turpitudes auraient subitement disparu.

Un récent rapport (février 2015) de Human Rights Watch accuse l’armée soudanaise d’avoir perpétré, en octobre 2014, des viols contre plus de 200 femmes à Tabit au Nord-Darfour. Avez-vous mené une enquête sur vos hommes ou pris des sanctions ?

Tout cela est grotesque. Je ne peux pas nier qu’il y a un conflit au Darfour. Mais lorsque des groupes armés se constituent et menacent la sécurité nationale et le gouvernement, je me dois de réagir. Ceux qui luttent contre l’occupation en Israël sont considérés comme des terroristes. Il en va de même ici au Soudan où je me dois de défendre l’Etat.

Mais il y a aussi des conflits tribaux animés par des questions complexes de pâturage causées par la sécheresse. Les conflits qui existent au sein des tribus arabes dépassent de loin le conflit entre tribus arabes et les autres (dont les Four et les Zaghawa). A Washington, à Paris, et chez leurs alliés, c’est compliqué pour les diplomates de comprendre ces subtilités.

L’ONU, qui déplore le sort réservé à la force mixte avec l’Union africaine (Unamid), contrainte de diminuer drastiquement ses effectifs au Darfour, a récemment mis en garde contre le risque de voir cette région se transformer en sanctuaire djihadiste…

Ban Ki-moon représente les intérêts américains et s’en prend donc au Soudan. Nous ne l’acceptons pas et nous ne nous laisserons pas faire. Les Etats-Unis nous considèrent comme un soutien du terrorisme. Pourtant, le Soudan est épargné par les actions terroristes qui se nourrissent des injustices occidentales.

Nous avons notre manière à nous de traiter avec les groupes terroristes. Au sein de la jeunesse soudanaise, certains se sont laissé tenter par le radicalisme. Nous avons opté pour le dialogue au lieu de la force. Et nous avons réussi à convaincre nos jeunes d’abandonner ces idées. Toute confrontation directe et militaire avec ces groupes les renforce.

Soutenez-vous la mise en place d’une force mixte adoptée à l’Union africaine contre Boko Haram au Nigeria ?

Les opérations contre Boko Haram, Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique] et les autres n’aboutissent à rien pour le moment. La pensée ne peut être vaincue par la force. Nous avons une expérience en matière de lutte contre le terrorisme et nous sommes disposés à la partager avec nos frères africains. Mais je suis contre toute intervention militaire au Soudan et à l’étranger, que ce soit contre Boko Haram ou d’autres. La solution sortira du dialogue, et des négociations.

« Je suis contre toute intervention militaire au Soudan et à l’étranger, que ce soit contre Boko Haram ou d’autres »

Mais certains pays comme le Niger, le Tchad, le Cameroun sont directement menacés par Boko Haram et se défendent contre le terrorisme.

Je suis prêt à les aider et à leur proposer nos services pour tenter un dialogue. Mais pas mon armée. Je n’interviens pas dans les affaires internes des autres pays africains. Et je demande à ce qu’on n’intervienne pas dans les affaires internes du Soudan.

Ce qui se passe au Nigeria avec la montée en puissance de Boko Haram doit se résoudre par le dialogue et la déradicalisation des jeunes. C’est ce que nous avons fait ici. Et cela fonctionne. Je pense que toutes ces organisations terroristes sont animées par la pensée d’Al-Qaïda, une organisation créée par les services secrets américains. Donc Washington a une responsabilité et fait partie du problème. C’est une guerre contre l’islam.

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Quelles sont les principales menaces pour le Soudan ?

Aujourd’hui, la principale menace du Soudan est d’ordre économique et les mouvements rebelles dans la région du Nil Bleu et du Kordofan du Sud.

Le 24 février 2015 à Kano, au nord du Nigeria, à la suite d'un attentat-suicide commis par Boko Haram.

Quelle est la nature du rapprochement avec l’Ouganda qui s’est engagé à expulser les leaders et les groupes rebelles soudanais de son territoire ?

Ce rapprochement s’inscrit dans le cadre de relations bilatérales. Cette relation ne se fait au détriment de personne, et certainement pas du Soudan du Sud. Les efforts déployés pour parvenir à la paix au Soudan du Sud continuent et nous y contribuons car nous sommes directement affectés par ce conflit à nos frontières. Et nous accueillons des milliers de déplacés que nous traitons comme des déplacés internes. Car je considère le Soudan comme un seul pays. Il n’y a donc pas de camps de réfugiés pour eux, ils sont ici chez eux, et mon gouvernement leur fournit l’aide nécessaire.

Envisagez-vous une option militaire pour mettre fin à la guerre civile au Soudan du Sud ?

Aucunement. Tant que le Soudan n’est pas visé ni menacé directement par les acteurs de ce conflit, je ne vois pas pourquoi je ferais la guerre. Je vous rappelle que nous avons fait la guerre pour parvenir à la paix. Et que nous étions vainqueurs lorsque nous avons accepté la paix.

Comment analysez-vous l’évolution de la situation en République centrafricaine (RCA) ?

L’Etat centrafricain est trop faible et le gouvernement central doit être soutenu et consolidé. Nous avons des forces militaires mixtes avec la RCA pour protéger nos frontières et j’ai fourni une assistance aux forces centrafricaines. Je ferai tout pour sécuriser nos frontières.

Pourquoi avez-vous soutenu la Séléka et quels sont vos liens aujourd’hui avec elle ?

Autrefois, j’ai soutenu financièrement et militairement François Bozizé. J’ai ensuite soutenu la Séléka (et le président Michel Djotodia qui en était issu) car elle était au pouvoir à Bangui. J’ai accepté le changement de pouvoir. Aujourd’hui, je n’ai plus de contact avec les gens de l’ex-Séléka. Je ne sais même pas où ils se trouvent et quelles sont leurs intentions.

Le président soudanais Omar Al-Bachir avec son homologue tchadien, Idriss Déby, à Khartoum le 28 janvier 2015.

Quelles sont vos relations avec votre homologue tchadien Idriss Déby ?

Excellentes. Notre coopération pourrait servir de modèle aux pays africains. Nous avons une coopération commerciale, économique et militaire avec des forces mixtes. En matière de contrôle des frontières, Idriss Déby est exemplaire.

Je lui donne l’accès à Port-Soudan pour ses importations et ses exportations. Le Tchad est directement affecté par la crise en cours en Libye et par Boko Haram. Les routes vers le nord et vers l’ouest par le Cameroun ne sont pas sûres. L’unique route est celle qui passe par le Soudan. Et nous la protégeons pour permettre au Tchad de maintenir son activité économique.

Idriss Déby a toujours joué un rôle majeur en matière de lutte contre le terrorisme. Il a besoin de soutien et il bénéficie de l’aide française mais aussi soudanaise. Il faut aider le Tchad.

« Les Egyptiens ont récemment opté pour une intervention militaire en Libye, ce que je condamne »

En Libye, les autorités de Tobrouk (reconnues par la communauté internationale), que vous avez tardivement reconnues, accusent le Soudan d’avoir livré des armes et des hommes à Fajr Libya (Aube de Libye, la coalition anti-Tobrouk dirigée par Misrata et à dominante islamiste).

J’ai en effet livré des hélicoptères libyens à ces autorités ! Ils étaient alors en réparation au Soudan. Et nous avons des forces communes soudano-libyennes, qui se trouvent actuellement à Koufra et à qui j’ai en effet envoyé des hommes, des équipements et des ravitaillements. Ces forces ont été constituées du temps où Abdallah Al-Thini, l’actuel premier ministre, était ministre de la défense. Des officiers libyens s’entraînent dans nos académies pour ensuite servir la Libye et non des milices ou un camp. Mais je n’ai pas armé ou soutenu des milices islamistes.

Quid de la médiation initiée par le Soudan en Libye ?

Nous avons entamé des discussions avec certains acteurs du conflit libyen dont les autorités de Tripoli (liées à Fajr Libya). Mais j’ai décidé de laisser faire la médiation de l’ONU, en harmonie avec nos interlocuteurs libyens avec qui nous maintenons le contact en vue d’œuvrer à une solution politique en temps voulu. Nos démarches avancent bien et le Soudan pourrait jouer un rôle pour réunir les deux principaux camps libyens.

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Le Soudan continue de collaborer avec les cinq autres pays voisins de la Libye qui sont eux aussi favorables au dialogue et à une solution pacifique. Les Egyptiens ont récemment opté pour une intervention militaire, ce que je condamne. Je pense que c’est une erreur de la part du président Abdel Fatah Al-Sissi qui ne fait qu’aggraver la situation.

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