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Fnac-Darty, les coulisses d’un mariage de raison

Le spécialiste de l’électroménager a accepté, vendredi, l’offre légèrement améliorée de son récent rival. Une opération de 860 millions d’euros.

Par , et (avec AFP)

Publié le 06 novembre 2015 à 09h57, modifié le 06 novembre 2015 à 11h31

Temps de Lecture 7 min.

Il a dit oui ! Après quatre mois d’une cour pressante et quatre semaines de négociations intenses, Darty a accepté de convoler en justes noces avec la Fnac. Les deux groupes ont annoncé vendredi 6 novembre avoir trouvé un accord pour marier disques et réfrigérateurs, livres et cuisines. Sous réserve du feu vert des autorités de la concurrence, deux des enseignes les plus connues des Français seront bientôt réunies sous une même ombrelle.

Comme le lui demandait Darty, la Fnac a un peu relevé son offre. Elle propose désormais d’échanger 37 titres Darty contre une de ses actions. Cela valorise le spécialiste de l’électroménager à 615 millions de livres (860 millions d’euros), soit 47 % de plus que ce qu’il valait avant l’officialisation des premiers contacts. La Fnac a aussi accepté de payer 10 % de la facture en cash, comme le souhaitait la City, où est coté Darty.

C’est le soutien des investisseurs au projet d’Alexandre Bompard, le PDG de la Fnac, qui a vaincu les réticences initiales de Darty. Depuis l’annonce de ses intentions, l’action Fnac a grimpé de plus de 10 %, améliorant d’autant la valorisation de Darty. « Pour les administrateurs de Darty, cela devenait irrésistible », estime un proche de la Fnac.

« C’est un mariage de raison. Ni Darty ni la Fnac n’ont d’avenir dans le célibat. La seule réponse possible face à la concurrence d’Amazon et des autres est dans l’union de leurs forces », martèle Jean-Charles Mériaux, fondateur de la société de gestion DNCA Finance, actionnaire des deux enseignes.

« C’est une bonne opération financière, reconnaît Régis Schultz, le directeur général de Darty, réservé depuis le départ. Elle valorise le travail de redressement effectué depuis deux ans et demi. »

Mesures d’économies

Trouver un terrain d’entente entre les deux groupes n’a pas été facile. Un tour au centre commercial Italie 2, dans l’est de Paris, suffit pour mesurer à quel point les deux maisons sont de plus en plus rivales. Darty et la Fnac y sont tous deux présents. A deux étages d’écart, l’un comme l’autre proposent des cafetières high-tech, des montres connectées Apple, d’immenses écrans plats. Une compétition farouche ? Au sous-sol, un vendeur vêtu du veston jaune et vert de la Fnac évacue la question d’un revers de main : « Cela fait très longtemps que je ne suis pas monté chez Darty. Il n’y a personne, je crois… »

Au premier étage, au rayon télévision de Darty, Jean-Pierre se montre tout aussi fier de son entreprise : « Au début, on s’est inquiété du projet de fusion. Maintenant, on a compris que ce qui intéresse la Fnac, c’est notre service après-vente et l’électroménager, deux domaines dans lesquels ils ont beaucoup moins d’expérience que nous. Et puis on est moins chers qu’eux. Donc ça ne devrait pas changer grand-chose. »

Un cadre de Darty laisse percer un peu plus de dépit : « Dire qu’il y a deux ans nous étions meilleurs que la Fnac. Aujourd’hui, c’est eux qui sont en position de nous acheter… »

Car l’histoire de cette OPA est avant tout celle d’une hiérarchie qui s’est inversée. A la fin janvier 2014, Darty vaut deux fois plus que la Fnac, qui effectue dans la douleur ses premiers pas en Bourse. Faute d’avoir réussi à vendre sa filiale à problèmes, le groupe Kering (ex-Pinault Printemps Redoute) a choisi de distribuer les titres Fnac à ses actionnaires. Ceux-ci s’empressent de revendre leurs actions, à l’exception de la famille Pinault, qui s’est engagée à garder ses 39 % du capital.

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« Comment a-t-on pu laisser entrer en Bourse une entreprise condamnée par la baisse de la lecture, la crise du disque et la concurrence d’Amazon ? C’est un scandale ! »,vitupère alors un financier. Aux yeux de beaucoup, la Fnac risque de sombrer à court terme, comme Virgin, mais aussi Surcouf, ou les librairies Chapitre. A l’époque, l’équipe de la Fnac craint que Darty ne profite de cette période difficile pour racheter son concurrent à bon compte. C’est d’ailleurs une idée que plusieurs banques viennent souffler au roi de l’électroménager.

Vingt mois plus tard, c’est l’inverse qui se produit, avec la Fnac à la manœuvre. Que s’est-il passé ? Côté Fnac, Alexandre Bompard, le transfuge d’Europe 1 à qui les Pinault ont confié les clés de l’entreprise en 2011, a mis en œuvre un programme vigoureux pour adapter au nouveau monde l’ex-Fédération nationale d’achats des cadres fondée en 1954 par deux anciens militants trotskistes, Max Théret et André Essel.

Le premier ingrédient de ce cocktail détonnant est classique : des mesures d’économies. « Des centaines de salariés ont été rayées des registres », regrette Bruno Marc, de la CFTC. Les coûts ont ainsi été rabotés de 12 %, et ce n’est pas fini : ils doivent encore baisser de 30 à 40 millions d’euros en 2015.

Un plan « parfaitement exécuté »

Dans le même temps, tout est fait pour enrayer la chute des ventes. Pour redevenir compétitive face à la montée en puissance d’Amazon, la Fnac baisse ses prix et investit dans un nouvel entrepôt, afin que les clients soient livrés aussi vite que ceux du géant américain. En parallèle, elle se met à vendre de nouveaux articles, plutôt haut de gamme et peu menacés par l’essor d’Internet : des cafetières, de la papeterie de luxe, des téléphones mobiles, etc. Ensemble, ils représentent à présent 16 % du chiffre d’affaires.

« Le plan a été parfaitement exécuté », constate Marie-Line Fort, analyste à la Société Générale. En dépit de marchés toujours en berne, l’« agitateur culturel » sort du rouge, après avoir accumulé 170 millions d’euros de pertes en deux ans. L’entreprise cesse de brûler de la trésorerie, les marges s’améliorent. La Bourse applaudit : en un peu plus d’un an et demi, le titre bondit de 130 % !

L’action Darty, elle, recule de plus de 30 % durant la même période. « La Fnac a été très performante en matière de gestion des coûts ces dernières années. C’est un très beau succès. En revanche, le redressement de Darty se fait attendre », déplore M. Mériaux, de DNCA.

Là aussi, pourtant, la direction tente de relancer la vieille maison, fondée par les trois frères Darty en 1957, trois ans après la Fnac. Là aussi, Régis Schultz, le nouveau directeur général, réduit les coûts, supprime des centaines de postes, stoppe des activités déficitaires. Pour retrouver de la croissance, il mise sur le développement de la franchise et la vente par Internet avec l’achat, en 2014, du site Mistergooddeal. « Il a fait un travail exceptionnel », juge un syndicaliste CFDT.

Les comptes de l’exercice 2014-2015, clos fin avril, ont d’ailleurs été marqués par le premier bénéfice net après quatre années de déficit. Pas suffisant pour les investisseurs. « La nouvelle direction de Darty avait présenté en 2014 une stratégie ambitieuse. Ses effets tardent à se matérialiser dans les chiffres, contrairement à ce qui s’est passé à la Fnac », souligne Marie Guigou, gérante chez Mandarine Gestion.

La diversification dans la pose de cuisines s’est révélée un peu décevante, l’intégration de Mistergooddeal plus coûteuse que prévu, et la concurrence, notamment de Cdiscount, fait craindre de nouvelles difficultés. A cela s’ajoute l’héritage de l’histoire : de son ancien actionnaire britannique Kingfisher, Darty a gardé un passif élevé, et deux sièges, l’un en région parisienne, l’autre à Londres.

Le défi industriel de Bompard commence

Evidemment, ce nouveau rapport de force n’a pas échappé à M. Bompard. Début 2015, lorsqu’il lance ses équipes sur le chantier du nouveau plan stratégique à l’horizon 2020, le dirigeant se garde bien de leur dire que lui-même et son directeur financier, Mathieu Malige, étudient d’autres pistes. Très vite, il n’en reste qu’une seule : Darty. Au début de l’été, M. Bompard prend l’Eurostar pour rencontrer Alan Parker, le président du distributeur. Mais ce dernier ne donne pas suite.

M. Bompard ne renonce pas et va sonder les actionnaires de Darty, dont le principal, le fonds Knight Vinke, ne cache pas depuis des années qu’il rêve de sortir du capital. Face à la détermination de la Fnac, le conseil d’administration du groupe britannique rend finalement publique l’approche de son concurrent.

Les vraies négociations démarrent. Elles se sont intensifiées cette semaine. Lundi 2 novembre, Alexandre Bompard a présenté son offre améliorée à Alan Parker à Londres. Côté Fnac, les banquiers de Rothschild et Ondra, les avocats de BDGS et Simpson Thatcher se sont activés d’arrache-pied en face de Lazard, Morgan Stanley, Bredin Prat et Slaughter and May. Jeudi soir, le conseil de Darty a cédé. Pour M. Bompard, le défi industriel commence.

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