Farid Abdelkrim, écrivain, ancien membre des Frères musulmans en France
Après les folies terroristes en France, nos morts nous interrogent. Ils réclament des coupables. En attendant de les identifier, le monde des vivants se déchire avec d’un côté ceux qui incriminent, convaincus d’être dans le camp des « bons », et de l’autre ceux qui, clamant leur innocence, se défendent d’appartenir à celui des « mauvais ». Notre société aurait-elle basculé dans une culture binaire ?
Loin s’en faut, car consentir une part de responsabilité dans ce qui nous arrive est une option supplémentaire. Ce que je décris ici est une critique qui se veut constructive. Elle est le fruit de près de trente années d’observation participante, agrémentée de ce qu’il faut de rupture au cœur des populations musulmanes de notre pays. C’est bien de là que je tire ma légitimité à m’exprimer.
En revanche, ma démarche ne s’inspire ni ne sert quelques postures identitaristes. En réalité, je cherche à contribuer honnêtement au débat. Aussi, à défaut d’incriminer ou de me défendre, je préfère relater ici ma complicité, certes relative mais réelle, dans la production et la diffusion d’un discours très problématique auprès d’un public en quête de sens.
Un discours qui a d’abord contribué à façonner l’esprit et l’action de nombreux islamistes. Un discours transpirant la haine d’un Occident responsable de tous nos maux en raison de son athéisme, de son matérialisme et de sa permissivité. Mais surtout pour avoir démantelé le califat et colonisé les terres d’islam.
Grand bricolage idéologique
Un discours habité par un esprit revanchard, dopé par les récits héroïques des guerres de libération, des résistances afghane, palestinienne, tchétchène face à cette volonté internationale inavouée d’empêcher le rayonnement de l’islam.
Un discours qui justifiera notre présence en France seulement pour exiger qu’elle s’incline face au sang et à la sueur versés pour elle par nos ancêtres. Un discours qui prendra fait et cause pour les banlieues en condamnant un néocolonialisme sévissant sur des générations d’enfants nés ici mais que Mère patrie refuse de reconnaître comme les siens.
Racisme, discriminations, stigmatisation seront convoqués tous azimuts dans ce grand bricolage idéologique alimentant un discours de victimisation faisant fi de la moindre allusion à une possible part de responsabilité. Mais si cette dernière venait à être indiscutablement établie, le discours abattait alors sa dernière carte, son joker, l’argument suprême : « Ce qui arrive est de l’entière responsabilité des Juifs. »
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