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Balade au fil des marionnettes à Charleville-Mézières

Pour le Festival mondial des théâtres de marionnettes, la ville ardennaise accueille des créatures aux histoires insolites.

Par  (Charleville-Mézières (Ardennes))

Publié le 26 septembre 2015 à 08h06, modifié le 26 septembre 2015 à 17h22

Temps de Lecture 9 min.

Le 18e Festival mondial des théâtres de marionnettes se tient à Charleville-Mézières (Ardennes) du 18 au 27 septembre 2015.

Si Cannes se transforme chaque année en capitale du cinéma en mai, Avignon en celle du théâtre en juillet ou encore Aurillac en rendez-vous international des spectacles de rue en août, Charleville-Mézières (Ardennes) est sans conteste la cité de la marionnette. Non seulement tous les deux ans, en septembre, avec le Festival mondial des théâtres de marionnettes, mais aussi tout au long de l’année grâce à plusieurs structures dédiées comme l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette (Esnam) et l’Institut international de la marionnette (IIM) dont elle dépend.

Pour la 18e édition du Festival mondial des théâtres de marionnettes (du 18 au 27 septembre), dès son arrivée à la gare, le visiteur est accueilli par une série de grandes affiches de films célèbres détournées par le photographe Petr Kurecka pour son exposition « Puppet Fiction », qui dure le temps du festival.

Les actrices Audrey Tautou (Amélie Poulain), Marion Cotillard (Edith Piaf), Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s), de Blake Edwards ou encore Uma Thurman dans Pulp Fiction, de Quentin Tarantino, ont le visage de Porshia, l’une des marionnettes fétiches en mousse de l’artiste d’origine brésilienne Duda Paiva, invité de cette édition 2015. En descendant du train, les festivaliers plongent ainsi d’emblée dans l’univers irréel de ces acteurs et actrices de chiffons (et de bien d’autres matières) qui envahissent la ville pendant ces dix jours.

Le tableau récapitulatif de tous les spectacles proposés dans la programmation

580 représentations en dix jours

Et c’est peu dire que Charleville-Mézières vit au rythme de ces créatures à fils. Le Festival mondial des théâtres de marionnettes, ce sont 115 compagnies venues de plus de 25 pays différents qui s’installent pour 580 représentations, dont 14 coproductions et 41 premières en France. Mais derrière ces chiffres se cache aussi une réalité au quotidien : pendant dix jours, tous les habitants de Charleville-Mézières mangent, dorment et parlent marionnettes, qu’ils soient bénévoles, commerçants, étudiants ou eux-mêmes artistes. Les vitrines des magasins du centre-ville cultivent l’ambiance à grand renfort de Guignols, Polichinelles et autres figures emblématiques des arts de la marionnette.

L'une des nombreuses vitrines du centre-ville de Charleville-Mézières décorées avec des marionnettes, le 25 septembre 2015.

En ville, les marionnettes semblent ne jamais faire relâche : il y a des spectacles presque toutes les heures chaque jour entre 10 heures et 23 heures. Et cela ne concerne que la programmation du « in », car le « off » attire dans les rues une multitude de micro-compagnies et d’artistes en tous genres venus tenter leur chance et récolter auprès des badauds quelques euros « au chapeau ». Pas un seul coin de rue où l’on ne croise de jour comme de nuit de courtes représentations, parfois faites de bric et de broc, parfois plus élaborées.

La place Ducale au cœur du festival

La place Ducale, version locale de la place des Vosges parisienne, devient une « cour des miracles » où se mêlent dans une confusion bariolée artistes de rue, festivaliers, camelots exposant des marionnettes de toutes tailles et qualités, vendeurs de gaufres, crêpes, sandwichs et autres. Elle est régulièrement envahie par des ribambelles d’enfants, vêtus de gilets jaune ou orange fluo portant les noms de leurs écoles, le festival mettant un point d’honneur à ouvrir largement ses portes aux scolaires.

La place Ducale à Charleville-Mézières, centre névralgique du Festival mondial des théâtres de marionnettes, le 25 septembre 2015.

Sur la place, outre les désormais célèbres « Polichucales », des 5 à 7 quotidiens où se donnent rendez-vous des Polichinelles venus de tous les pays, la principale attraction est indéniablement la « performance poétique pour l’espace public » proposée par la compagnie Créature, originaire de Blagnac (Haute-Garonne), et baptisée Les Irréels. Soit douze petites cabanes qui se peuplent de créatures hybrides mi-humaines mi-animales aux noms évocateurs comme « La Lessiveuse de malheurs », « La Tisseuse de liens », « La Dorloteuse d’enfance » ou « Le Rafistoleur de mémoire ».

Rompre avec l’image d’Epinal de Guignol

Dans le « in », le Festival mondial des théâtres de marionnettes veut rompre avec l’image d’Epinal traditionnelle, un peu ringarde et infantile, de Guignol et compagnie. Comme l’explique Anne-Françoise Cabanis, directrice du festival, « c’est bien dommage que la marionnette continue de véhiculer encore l’image réductrice de spectacle pour enfants ». Et ce alors qu’il y a « tant de spectacles de marionnettes formidables et surprenants à découvrir pour les adultes ». « Spectacle de marionnettes pour enfants ne rime pas avec spectacle niaiseux et infantilisant, martèle-t-elle. Bien au contraire, la création pour jeune public en la matière est innovante ».

Assister en une seule journée à cinq spectacles d’affilée, soit un infime pourcentage des 580 représentations proposées pendant ces dix jours de festival, permet de se rendre compte de l’infinie richesse des sujets traités et des formes d’expression utilisées par les compagnies présentes pour cette 18e édition.

Tout un univers sépare les sculptures éphémères en terre qui naissent, le temps d’une représentation de Count to One, sous les mains des artistes de la compagnie iranienne Yase Tamam, des marionnettes à taille humaine plus vraies que nature qui peuplent Le Rêve d’Anna, un spectacle proposé par la compagnie Trois-Six-Trente. Dans ce dernier, une fillette et un cheval blanc sont si criants de vérité que certains jeunes spectateurs se sont totalement laissés prendre par l’illusion, jusqu’à s’exclamer au début de la représentation : « Oh, regarde ! C’est un vrai cheval ! Comment ils ont fait pour le faire monter sur scène ? »

De même, la marionnette géante à mi-chemin entre la pieuvre et la sirène, le monstre et la femme, dans Squid, de la compagnie Pseudonymo n’a pas grand-chose en commun avec les petites marionnettes du spectacle Les Nuits polaires, de la compagnie Les Anges au plafond, invitée de l’édition 2015 – elles tiennent dans l’igloo qui sert de salle de représentations. Ni avec celles de Schweinehund, d’Andy Gaukel et Myriame Larose : des pantins squelettiques d’environ 30 centimètres de hauteur aux visages grossièrement figurés, qui sont manipulés sur une simple table par deux marionnettistes vêtus de noir dont seules les mains restent visibles.

A mi-chemin entre rêve et réalité

Par-delà ces différences, la magie de ces créatures de chiffons opère. Quand bien même les sujets abordés sont des plus sombres : la monstruosité et la perte d’identité dans Squid ; la guerre dans Count to One ; le chômage et les peurs de l’enfance dans Le Rêve d’Anna ; la dépression et la solitude dans Les Nuits polaires ; la déportation et l’extermination des homosexuels dans Schweinehund. Des spectacles à mille lieux de l’univers aseptisé d’un Guignol pour enfants mièvre et désuet.

« La foisonnante et pertinente diversité de la marionnette envahit les scènes contemporaines pour questionner notre époque, ses crises et notre humanité, écrit d’ailleurs Anne-François Cabanis dans son texte d’introduction de la brochure du festival. Ni secondaire, ni marginale, ni annexe, la marionnette sait produire le sens et conduire la réflexion dont nous avons besoin pour raconter et comprendre le monde déstabilisant et en mutation dans lequel nous vivons. »

Une première pierre posée par Fleur Pellerin

Signe que les créatures de chiffons et à fils ont durablement élu domicile à Charleville-Mézières, un nouveau bâtiment est en construction pour l’Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette. La ministre de la culture, Fleur Pellerin, en a posé la première pierre en ce vendredi 25 septembre, il devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2016. Des rencontres professionnelles à l’échelle mondiale sont aussi régulièrement organisées dans la ville par l’Institut international de la marionnette.

Un rayonnement mondial qui permet à Charleville Mézières de gommer l’image négative qu’en avait donnée au XIXe siècle l’un de ses plus célèbres enfants, Arthur Rimbaud (1854-1891). Le poète, qui la surnommait « Charlestown » en référence à son fondateur en 1606, Charles de Gonzague, écrivait à son sujet, dans une lettre à Georges Izambard datée du 25 août 1870 : « Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province ».

18e Festival mondial des théâtres de marionnettes, à Charleville-Mézières (Ardennes), du 18 au 27 septembre 2015. www.festival-marionnette.com

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