Vaujour, roi de la cavale et détenu amoureux.En 1993, Jamila a tenté de le faire évader deux fois. Ils sont jugés cette semaine avec deux complices.

par Michel Henry
publié le 12 décembre 1996 à 3h13

Vaujour l'amour. On l'avait laissé avec Nadine, sa femme devenue

pilote d'hélico pour le tirer de la prison de la Santé en 1986. On le retrouve avec Jamila Hamidi, 27 ans, étudiante en droit. Jamila aime Dali, Magritte, Matisse. Et Vaujour. Elle avait vu Nadine à Ex Libris présenter son livre, la Fille de l'air. C'était en 1992, Jamila rêvait de devenir magistrate. Pour se rendre compte des «conséquences psychologiques» de la détention, elle a écrit à Vaujour. Il a répondu. Jamila a obtenu un permis de visite, ils sont tombés amoureux.

A sa demande, Jamila a essayé de le faire évader, deux fois, en juin et août 1993, de Saint-Maur (Indre-et-Loire), puis de Fresnes (Val-de-Marne), en prenant en otages des pilotes d'hélicoptère. Echecs. Elle a fini au trou, trois ans. Jamila est sortie en octobre dernier. Aujourd'hui, elle est en maîtrise de droit. Depuis mardi, elle est aussi jugée par les assises des Yvelines, avec Vaujour. Ils se tiennent la main, s'embrassent. L'amour dans le box.

«C'était trop tard». A leur côté, un autre couple roucoule. Leur double. Stéphanie Lorenzini, 25 ans, copine de Jamila, fascinée par elle, et Eric Grebeauval, 30 ans, collègue de Vaujour en détention, en qui Eric a trouvé «un père, un frère». Au cours d'une permission, Eric a voulu donner un coup de main à Vaujour pour le faire sortir. Jamila lui a présenté sa copine. Eric et Stéphanie sont tombés amoureux. Puis ils sont tombés tout court, après les deux tentatives d'évasion ratées.

Michel Vaujour se lève. Il est maigre et souriant. Il veut tout expliquer, depuis l'enfance à Vertus (Marne), à courir dans les bois avec le curé du coin, jusqu'au détenu théoriquement libérable en 2013. «Avant, j'étais un gamin, un petit con. Après, je me suis retrouvé dans une merde pas possible. Quand j'ai réalisé, c'était trop tard. J'ai essayé d'y remédier, ça a été de pire en pire.» On l'a surnommé «le roi de la cavale». Malgré quatre évasions, c'est plutôt un cumulard de la détention. Vaujour, combien d'années en taule? «21... 22... 23...» Il a 45 ans. Et ce n'est pas fini.

Il raconte. L'enfance à la campagne, puis le déménagement à la ville, Châlons, la bande des HLM, «avec jeans et casquettes, comme dans les bandes dessinées». A 16 ans, il se bagarre, dix jours de prison. A 18 ans, il vole des voitures, cambriole, un an de prison. A la sortie, il remet ça, trente mois. Ressort, revole, un an. «Là, en prison à Mâcon, une porte s'ouvre, et je passe en courant.» «Mort dans la tête». Pendant la cavale, tentative de cambriolage, quatre ans. Cette fois, il scie les barreaux. «Je suis parti, j'allais nulle part. Pour moi, la prison, c'était fait pour s'évader. Ça paraît dingue! Et j'ai continué comme ça. Evadé deux fois, évadé trois fois. Plus ça avançait, plus c'était foutu. Alors, je ne voyais pas de raison de rester en prison.»

En 1976, il prend quinze ans pour deux braquages sans violence. A cause des évasions, on le met en QHS (quartier de haute sécurité), pendant quatre ans: lumière 24 heures sur 24, pas d'activités, pas de communications. «J'avais 25 ans, j'étais seul. J'avais jamais fait de violence. Je me suis vu dans un cul-de-sac complet. Mort dans la tête.» Il s'échappe par le yoga. «Trois ans sans parler. Puis un jour, j'ai décidé qu'il fallait agir.»

1979, tribunal de Châlons: il braque sa juge d'instruction avec un pistolet en savon. Cavale. Il rencontre Nadine, soeur d'un confrère braqueur. Amour. Mais il est repris. Nadine suit des leçons d'hélico et, en mai 1986, le fait évader de la Santé. Trois mois, ils vivent ensemble, tranquilles, dans le Périgord, avec leurs enfants.

Mais il faut de l'argent. Braquage, fusillade: «Je suis couché sur le gravier, totalement détaché de moi-même. Une sorte d'hyperconscience. J'ai une balle dans le cerveau. C'est sans problème, mieux que sans problème. J'ai accepté la mort. Un philosophe a dit: "Même la pire des canailles peut trouver la grâce, à ce moment, je suis d'accord avec lui. Mais je me réveille à l'hôpital, hémiplégique.»

La présidente enchaîne: «Vous avez récupéré votre mobilité...» Vaujour: «Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose. Quand je suis sorti du coma, j'ai reçu une lettre de Nadine: "J'ai encore besoin de toi. Alors j'ai décidé de ne pas déserter, pour elle.» Il fait sa rééducation tout seul, rampant dans la cellule. Problème: «Comment trouver la force pour se battre, afin de vivre la pire des choses, trente ans en prison?» Il trouve, pourtant. Pour Nadine. Mais leur relation se détériore. «On se détruisait. J'étais resté bloqué sur mon truc. Elle, me parlait d'espoir. L'espoir, c'est pas mon truc.» Vaujour se dit aujourd'hui «séparé» de Nadine, mais toujours marié avec elle.

«Tu m'as rendu à moi». 1986-1991, cinq ans d'isolement, à nouveau. «J'avais l'impression d'être une vache. Je me faisais des scarifications.» La douleur physique l'aide à ne plus penser à son enfermement. Mais l'administration reste intraitable: «A Fresnes, on m'a donné des soins psychiatriques pour que je puisse poursuivre l'isolement.»

Et puis, les premières lettres de Jamila. «Au début, on était très réservés. Puis elle est devenue de plus en plus importante. Un jour, je lui ai dit: "Tu m'as rendu à moi. Parce que j'avais complètement pété les plombs.» Alors, en 1993, il repense à l'évasion. «C'est la seule chose qui l'a tenu en vie», témoigne sa soeur Chantal.

Vaujour se rassied. Jamila explique ses premières visites: «Je ne supportais pas sa souffrance. Il butait sur chaque mot. Il avait un regard vraiment spécial. C'est difficile de ne pas être sensible à cela. On se dit: on va l'aider si on peut, même s'il faut pour cela employer des moyens illégaux et faire souffrir d'autres gens. Ne rien faire, ç'aurait été le trahir.»

«J'assume tout». Eric enchaîne: «Je me serais fait tuer pour lui. Il était inconcevable de pouvoir vivre dehors en sachant qu'il était à l'intérieur. On le dépeint comme un fauve. Il n'a jamais tué personne. Il est très sensible. Je suis admiratif de lui. Pas pour son passé judiciaire, mais parce qu'il a réussi à survivre.»

Depuis les faits, Vaujour niait toute implication. Hier, il a dit: «J'assume tout.» Il pilotait l'opération depuis sa cellule, à Saint-Maur puis à Fresnes. Il avait même enregistré une cassette, diffusée aux otages. Mais la première fois, la prison a été prévenue par des otages qui avaient réussi à se libérer, et au deuxième coup, l'arrivée inopinée de gendarmes à l'héliport a tout fait flancher. Le quatuor risque un maximum de trente ans de réclusion.Rectificatif Illustrant l'article sur Michel Vaujour, la photographie parue hier en page 15 n'était pas celle de son amie Jamila Hamidi, mais de Stéphanie Lorenzini, autre accusée. Nos excuses pour cette inversion.

Verdict prévu demain.

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