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Pour Mika, la fête est finie

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Mika dans une des nombreuses discothèques qu’il s’est offertes. Il a baptisé celle-ci L’Etoile, comme son club parisien préféré.

Mika dans une des nombreuses discothèques qu’il s’est offertes. Il a baptisé celle-ci L’Etoile, comme son club parisien préféré.
© DR
Arnaud Bizot

Michael Escoubeyrou, le roi du fromage de pays, régnait sur les nuits de Narbonne. Il a disparu en abandonnant ses 27 sociétés

Dix jours avant sa disparition , Michael Escoubeyrou, 32 ans, est un homme qui a peur. C’est une évidence pour les deux amis à qui il a demandé, ce soir-là, de passer le voir au plus vite. « Mika » ne frime pas, comme à son habitude.

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« Je suis à bout, je vais tout perdre », leur dit le propriétaire de La Fromagerie. Assise à côté de lui, sa femme, Katia, 42 ans, est tremblante. « Nous devons mettre les enfants à l’abri », dit-elle confusément. Antoine, 18 ans, et Marie, 16 ans, nés d’un premier mariage de Katia, puis ­Julie, 6 ans, et Lisa, 5 ans, dorment à l’étage. Les deux amis conseillent à Mika d’assumer s’il a « fait des bêtises ». Mais sa décision de quitter Narbonne semble irréversible. L’effroi règne dans cette maison où les travaux engagés depuis deux ans ne sont pas achevés, ce qui ressemble tout à fait au personnage de cette histoire, une énigme pour les autres et pour lui-même, qui pleure maintenant devant ses visiteurs.

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Quelques jours plus tard, un de ses avocats, Me Pinet, reçoit « un homme décomposé, désespéré ». Le lendemain soir, Mika passe seul au Chakana, « la » boîte de nuit de ­Narbonne où il a si souvent fait la fête, rinçant tout le monde à coups de Dom Pérignon, douze bouteilles certains soirs, à 350 euros l’unité. Il reste là une petite heure, sombre et absent, sans même déboucher le champagne qu’il a commandé.

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Michael Escoubeyrou s’installe à Narbonne en 2004 avec Katia et les enfants. Il fascine. Une Ferrari, un bagout insensé, un sens inouï du commerce. « On adorait tous ce gamin d’une maturité incroyable », raconte un ami. Mika revend sur les marchés des tonnes de fromages des Pyrénées, d’Auvergne, du Jura, de Corse et de la côte basque. Il fait vivre une vingtaine d’artisans producteurs. Soixante camionnettes à l’enseigne Les authentiques ­d’Escoubeyrou sillonnent la France.

Ce fromager-là n’est pas une pâte molle : « Il avait plusieurs idées à l’heure, souvent géniales, dit un de ses collaborateurs. Pour leur mise en pratique, c’était plus compliqué. Il n’écoutait pas les conseils, coupait court à la conversation : “Le patron, c’est moi.” » Mika veut ­décider de tout. « Il s’ennuyait très vite. » Aucun des salariés de La ­Fromagerie n’enfonce « monsieur ­Escoubeyrou », qui leur a « tout appris ». Ils décrivent une personnalité complexe et fragile. « Gentil puis furieux l’instant suivant, il n’a jamais exploité quiconque. Mais il s’invitait dans votre vie ou voulait vous faire partager la sienne. »

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Il fréquente le gratin de Narbonne qui bientôt va le lâcher

A 30 ans, il connaît tout ­Narbonne et préside La Table ronde, un club d’une vingtaine de patrons de PME locales. Il régale le gratin, qui va bientôt le lâcher, dans les bars, les discothèques où il « flambe grave ». Mika a besoin de reconnaissance. Il fait parfois la fête à Paris, au Club de l’Etoile, pour lui le plus beau lieu de France. A Narbonne, le V12 de sa Maserati s’entend de loin. Il a besoin de briller. Deux mois plus tard, il s’en lasse. Le voilà qui parade en Hummer. Puis c’est une Porsche. Ses proches, dont certains estiment qu’il ferait mieux de ­dépenser ses sous sur le divan d’un psy, le mettent en garde : « Narbonne est une petite ville, tu ne devrais pas rouler là-dedans. » Il finit par ­l’admettre et s’achète une Fiat 500. « Il l’a gardée trois semaines ! » Il craque alors pour une nouvelle ­Ferrari, que Katia trouve « tape-cul ».

Elle, elle se lève tous les matins à 5 heures, conduit son Kangoo et sa remorque pleine de fromages sur les marchés de la région. « Une vraie bosseuse » qui ne « traîne pas la nuit », fière de « son gars » qu’elle protège. Mika diversifie ses affaires. Il dort deux ou trois heures, passe sa vie au téléphone et devant son ordi à créer de nouvelles sociétés. Montages financiers sophistiqués, à la limite de la légalité. Il trouve des partenaires dans les extincteurs, l’élagage. Puis c’est un garage automobile. « Il voulait acheter tout ­Narbonne », dit un ex-associé.

Sans cesse en quête de fonds, il emprunte 5 000 euros par-ci, 10 000 par-là. « C’est pour mon ­dévelop­pement », dit-il. « Il aurait endormi un chat sur une caisse de poissons », affirme un autre associé. Mika ne rembourse pas toujours, balade ses créanciers, en invite certains pour son anniversaire, une soirée somptueuse au Chakana. « 30 ans, 30 000 euros ! » annonce-t-il au propriétaire du club. Traiteur pour 400 convives, chambres d’hôtel louées, flyers, DJ célèbre à 15 000 euros, VIP réservés. Toute la région ­débarque. « Il voulait qu’on l’aime, témoigne un proche, mais on n’achète pas ses amis. Mika payait des coups à des gens qui ne le calculaient même pas. Lorsqu’on venait le saluer dans un bar, il me demandait : “Il m’aime, celui-là ? Tu es sûr ?” C’était un spectacle assez triste. »

Il est associé à hauteur de 25 % dans un petit club de plongée en Martinique, où il n’a, quoi qu’affirment les rumeurs, aucune demeure grandiose. Là-bas, il ne profite de rien, rivé à ses affaires. Le cyclone, les moustiques puis les mouvements sociaux grèvent les finances du club. Mika prétend ne pas pouvoir remettre des fonds, mais il claque au même moment 15 000 euros pour les 18 ans de son beau-fils, Antoine, à qui il offre de surcroît une Audi S3, payée cash à Marseille 30 000 euros.

« S’il fait ça, on est morts ! » s’exclame il y a un an un employé de La Fromagerie. Mais Mika ne reviendra pas sur sa décision : il entre dans le monde de la nuit. « Tu vas te brûler, dans ce monde-là », lui ­disent des proches. Mika perd en chemin un ou deux associés dans d’autres affaires, qui craignent pour leur réputation. A Saint-Pierre, sur la route des plages, il achète le Charly Bar et le Charly White, la petite discothèque voisine, qui ouvrent seulement l’été. Sur la route de Perpignan, il reprend une autre discothèque qu’il baptise L’Etoile, sa référence parisienne, dont il s’inspire pour la décoration : écrans plats sur des murs blancs. Veut s’offrir le dernier laser à 25 000 euros, « un truc à percer un œil à quelqu’un dans un espace aussi réduit », ironise un témoin. L’Etoile ne marche pas fort. Mika était peu accueillant, pas très commercial, affirme-t-on. S’est-il fait rançonner ou, refusant de l’être, a-t-il dû partir sous la menace ?

Il confiera, en mai, qu’un contrat a été passé sur lui et sa famille. « Impossible, explique Jean-Claude, “l’ancien” de la nuit, propriétaire du Boulbar. Les mafias organisées, ici, ça n’existe plus. Les lieux ­nocturnes survivent à peine. »

Un « type pas commode » et armé cherchait partout Mika pour une dette de 20 000 euros

Juin 2009. Un article du « Midi Libre » relate la condamnation des Authentiques d’Escoubeyrou, 6 000 euros d’amende pour un défaut d’appellation légale. En 2004, un vendeur a mis l’étiquette AOC sur un fromage. L’article fit l’amalgame entre fromages périmés et fromages déclassés. Cette broutille affecte grandement Mika et Katia. « Mon nom et ma réputation ont été salis », se lamente-t-il. Distillés par Dieu sait qui, les plus mauvais renseignements courent alors en ville. On parle de sociétés Escoubeyrou radiées en Gironde en 2002, puis en Dordogne en 2004. En 2008, Mika a fait entrer à La Fromagerie un nouvel actionnaire qui s’est fait « farcir » de 200 000 euros. Au début de l’été, il négocie la vente de l’entreprise, ­actuellement en redressement ­judiciaire. Trois de ses salariés, qui veulent la racheter, découvrent, stupéfaits, un lourd passif. Le deal ne se fait pas. Une à une, les banques le lâchent : Mika aurait fait de la cavalerie entre ses diverses sociétés.

De fortes sommes dont la brigade financière de Montpellier étudie en ce moment les flux et les destinations, sans doute clés du mystère. Ses bolides étaient tous achetés en leasing et, malgré cela, revendus cash. A cette époque, plusieurs visiteurs apercevront au domicile de Mika « des montagnes de cash » dans des sacs en plastique transparent. Il se vante de faire, toutes ­affaires confondues, « 1 million d’euros par an » en liquide. « Peut-être a-t-il emprunté à de sombres clients de la nuit, en leur faisant miroiter de belles affaires. Mais dans ce monde-là, si on ne rembourse pas recta, c’est une autre musique », déclare un enquêteur.

Bertrand Baboulenne, procureur de Narbonne, a ouvert une enquête pour « disparition inquiétante ». Aucune plainte n’est à ce jour déposée. Les policiers pensent que le départ du couple et de ses quatre enfants a été planifié, organisé. Quarante-huit heures avant, Katia a vendu sa propre société, Katou, filiale des Authentiques d’Escoubeyrou, à une amie du couple. Son mari a cédé ses parts de L’Etoile et des deux Charly. Les enquêteurs pensent que la famille est en vie, sans savoir où. Cet été, Mika s’est rendu à deux reprises en Egypte – c’est du moins la destination qu’il a annoncée – avec son beau-fils Antoine. Etait-ce pour préparer la suite ?

Il a retiré 50 000 euros de ­différents comptes courants. C’est ­officiellement la somme avec laquelle il serait parti. Elle soulève un grand rire chez un de ses confidents, qui l’a vu peu de temps avant sa disparition. « Il n’avait pas peur du tout. S’il a dit ça, c’est à des crédules qu’il a cherché à apitoyer. Un contrat ? C’est risible. Mika faisait avaler n’importe quoi à n’importe qui. Il a vu venir sa faillite, et le château de cartes s’écrouler. Ces derniers mois, il a organisé sa retraite au soleil par virements bancaires successifs. Croyez-moi, il est parti avec du lourd ! » La somme de 5 millions d’euros est évoquée. Pourtant, une semaine après sa disparition, un ex-associé reçoit la visite d’un « type pas commode » cherchant partout Mika. « Il me doit 20 000 euros. J’ai un fusil dans la voiture et un sécateur pour lui couper les doigts. » Sur l’authentique Escoubeyrou, la légende commence.

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