Cheb Aïssa

Le chanteur algérien a célébré la sortie de son deuxième album dans un cabaret marseillais. Nul doute que la bonne étoile a veillé sur notre graine de star. Aïssa a sacrément du talent.

Le raï de la mémoire et de la terre

Le chanteur algérien a célébré la sortie de son deuxième album dans un cabaret marseillais. Nul doute que la bonne étoile a veillé sur notre graine de star. Aïssa a sacrément du talent.

Quel meilleur parrain que Cheb Mami quand on veut creuser son sillon dans le raï ? Cheb Aïssa, né en 1972 à Saïda (à quelques 200 kilomètres d'Oran), mérite les encouragements du grand chanteur algérien. Il ne s'agit pas de copinage, mais tout bonnement de talent. Comme la plupart des artistes issus de conditions modestes, Aïssa a emprunté le parcours du combattant. Misère, galère, maigres salaires, persévérance, patience... et la chance déboula, un jour.

Pour les raïmen, la bonne fortune passe souvent par Marseille, creuset multi-millénaire (la ville a fêté ses 2600 ans en 1999), dont le port a été franchi par d'innombrables mouvements migratoires. Marseille, porte de l'Afrique, le soleil et l'hospitalité peignent, dans ses rues animées, des couleurs bigarrées, des rêves de fraternité. Le raï ne pouvait qu'élire domicile dans la cité phocéenne. Et cela, bien avant que la mode ne daigne enfin s'en mêler. Les cabarets n'ont cessé d'être de vrais tremplins pour les vedettes en herbe. Cheb Mami et Khaled y ont fait leurs armes. En général, l'artiste s'y produit chaque fin de semaine pendant plusieurs mois, voire un an. En 1993, Cheb Aïssa a commencé dans le cabaret le plus coté de la ville, Les Mille et Une Nuits, fermé il y a trois ans. 1995-1996, il "fait" la Palmeraie (sur la célèbre Canebière), avant de partir, en 1997, chez un concurrent sis à quelques encablures, le Sultan (rue Colbert).

Le 16 septembre dernier, il est revenu à la Palmeraie pour célébrer la sortie de son deuxième album, Nouara. Nasr Mahmoudi, patron du night-club depuis deux ans, est content que l'événement, filmé par M6 et MCM, ait lieu au sein de ces murs chargés d'histoire - outre Khaled et Mami, c'est là que chanta, au début des années quatre-vingt-dix, le regretté Cheb Hasni, assassiné par les forces obscures du fanatisme en 1994. Accompagné d'un clavier et d'une derbouka, Cheb Aïssa impose avec aisance sa voix, pétrie dans la mémoire et la terre de son pays natal, du côté de l'Oranais. Il chante le "trab", terme campagnard désignant la poussière et, à la fois, un style issu du chant de la flûte (gasba). Maintenant, il entonne "Kladar", un traditionnel légué par les cheikhates (vieilles chanteuses, le mot "cheikh" signifiant vieux, tandis que cheb veut dire jeune). "J'y ai rajouté des paroles de mon cru. Des mots qui se sont échappés de mon cœur", précise Aïssa. "Car le trab, c'est avant tout des paroles de hasard, des improvisations".

Quatre producteurs ont apporté leur empreinte à l'album Nouara, chacun ayant travaillé sur un ou plusieurs titres : le guitariste camerounais Yves Ndjock, Eric Bono (disques d'Alpha Blondy, Xalam...), le guitariste Edouard Papazian et le bassiste breton Alain Genty (dans le CD Meli Meli de Cheb Mami, l'alchimie sonore d'Azwaw, duo avec Idir, est de lui). De la belle ouvrage. En effet, si les traitements appliqués par ces tailleurs de son aux sensibilités différentes optent résolument pour la modernité, l'essence du raï n'est en rien sacrifiée. Ici, riff rutilant de cuivres et funky-raï ; là, blues, batterie binaire et slide guitare ; ailleurs, joyeux feeling zouk ou triste romance bercée d'accordéon... Le single, Vivre ma vie, a été réalisé par Eric Bono et mixé par Mario Rodriguez, New-yorkais très sollicité (Mobb Deep, Fonky Family). On y entend Aïssa avec le rappeur Fresh.K, son pote de Belsunce - le cheb a habité dans ce quartier, foisonnant vivier d'artistes (IAM, Freeman, K.Rhyme le Roi...).

Dans ce nouvel opus, les atmosphères défilent, variées, luxuriantes, comme autant de paysages du raï. A travers la diversité des contextes, on se rend mieux compte des progrès effectués par le natif de Saïda. Sa voix a gagné en présence et en virtuosité. Loin de se laisser dominer par la technologie et par les effets qui l'entourent, elle s'élève, libre, et sème aux quatre vents des poignées de frissons.

Albums : Nouara (Globe Music/Sony), à paraître le 5 octobre 1999 ; Chira France, 1998. Single : Vivre ma vie.