Le marché du jean se rétrécit, Levi Strauss taille dans ses effectifs européens

Après les Etats-Unis, Levi Strauss restructure ses usines européennes. Le leader mondial du jean redimensionne son outil de production, conçu pour l'ère des produits simples et des grands volumes. Résultat : 1 461 victimes de la mode.
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Pour les piqueuses de jeans de La Bassée (Nord), le rêve a tourné au cauchemar. Robert Haas, le patron californien de Levi Strauss, avait promis une maxi-prime. Si l'entreprise atteignait ses objectifs, les 36 000 salariés du leader mondial du jean toucheraient une année de salaire supplémentaire en 2002. Mais le marché en a décidé autrement. Le 29 septembre, Carl von Buskirk, président de Levi Strauss Europe, annonçait la fermeture de quatre sites de production en Europe : trois en Belgique (Deurne, Gits et Wervik) et l'usine française de La Bassée en France ; 1 461 emplois supprimés. La faute à la mode et à la dénatalité, selon la direction. Comme à El Paso, Texas, ou à Knoxville, Tennessee. L'an passé, les employés des onze usines américaines de Levi Strauss apprenaient que plus d'un tiers des effectifs était supprimé. C'est à présent le tour de l'Europe, où 20 % des postes seront éliminés. Avec des raisons identiques des deux côtés de l'Atlantique : " Le marché a radicalement changé. Nous sommes une entreprise déjà ancienne. Quand nous avons construit nos usines, c'était indispensable pour fabriquer des produits de bonne qualité. Aujourd'hui, il y a des milliers de sites de production textiles dans le monde capables de travailler avec nous ", explique Clarence Grebey, porte-parole de Levi Strauss à San Francisco. Le " jeaneur " travaille déjà avec quelque 400 sous-traitants dans plus de 60 pays. En fait, Levi Strauss se retrouve pris en tenaille entre un marché peu favorable au denim et une structure de production vieillissante et surdimensionnée. Son produit phare, Levi's, demeure le leader incontesté du marché. Mais, depuis l'après-guerre, la production est organisée pour les grands volumes. Un schéma que récuse la démographie actuelle.

Les jeunes préfèrent les pantalons plus amples

En effet, le coeur de cible du pantalon cinq poches en denim bleu, ce sont les 15-29 ans, qui réalisent à eux seuls 54 % du marché. Or cette classe d'âge diminue dans le monde occidental. De plus, ses goûts ont évolué. Influencés par la mode de la rue - le " streetwear " -, les jeunes préfèrent les pantalons aux coupes plus amples, comme le " baggy " que portent rapeurs et skateurs. " Le jean ne fait plus partie de leur panoplie. Le denim est trop lourd pour les sports de glisse ", explique Serge Rebiard, directeur de marketing de VF (J) France, la division jeans du concurrent américain de Levi Strauss, qui a aussi réduit ses effectifs en 1997. Produit culte de plusieurs générations, voilà le légendaire " 501 " relégué au rayon ringard ! L Jeans, le nouveau concept de jeanerie conçu par les magasins Leclerc, le propose même à prix cassé. Les femmes aussi se sont détournées du " bleu ", comme l'appellent les professionnels. Elles préfèrent le confort des modèles ex- tensibles ou des pantalons de loisirs en gabardine, plus conformes aux diktats de la mode. Selon les fabricants, le marché français enregistre depuis deux ans une baisse de 2 %. Une situation qu'avait anticipée le marché nord-américain. " Levi Strauss a trop misé sur une culture monoproduit. Il a investi des millions de dollars sur le 501. La marque rencontre un problème de saturation ", analyse Serge Rebiard. Le groupe VF (33 milliards de francs de chiffre d'affaires, dont 250 millions en France), qui commercialise les marques Lee, Wrangler, Maverick et Oldaxe, a diversifié ses gammes en multipliant les coupes et en ciblant la clientèle féminine avec des modèles adaptés, plus larges, dans des matières stretch ou des gabardines de couleur. Levi Strauss a peut-être été lent à sentir le vent tourner, mais on serait en mal de le prendre en défaut sur le fond. La marque Dockers, et maintenant Dockers for Women, joue la carte du " nondenim " et du sportswear. Selon l'entreprise, non cotée et peu bavarde en matière de chiffres, ces lignes connaîtraient cette année une croissance record. Levi Strauss joue aussi de son expérience pour ressusciter des produits vedettes du passé. Depuis quelques semaines, le groupe a, par exemple, lancé à Rome une ligne de pantalons infroissables en fibre synthétique, Sta-Press, qui est en fait la modernisation d'un produit populaire aux Etats-Unis au début des années 60. Mais Levi Strauss n'est pas qu'une " fashion victim ". La direction européenne du groupe justifie les licenciements par des coûts de fabrication trop élevés. Douze minutes pour faire un jean à La Bassée coûtent 28 francs, et 9 à 11 francs en Turquie ou en Pologne. Selon la direction, le coût moyen en main-d'oeuvre d'un jean au niveau mondial ne dépasse pas 19 francs. A La Bassée, le coût minute (2,33 francs) reste plus cher que celui pratiqué par les façonniers de la région (1,80 franc). " Le repli de Levi Strauss est mauvais pour tout le monde. On ne peut pas maintenir un outil de production performant avec des coûts de fabrication énormes, comme les imposent les politiques sociales de ce pays ", s'emporte Raymond Obermajster, P-DG de la société Ober, l'un des leaders du jean à la française. Comme les autres industriels du secteur, le jeaneur américain est condamné à rechercher plus de marge et d'identité de marque. Depuis quelques années, le groupe peaufine ses plans de " mass customization ". La première phase du programme PPP de personnalisation permet au client d'obtenir rapidement un pantalon sur mesure.

Personnaliser les produits pour générer des marges juteuses

La deuxième phase, " Original Spin ", lancée cet été en Californie, permet à l'acheteur de devenir son propre styliste. Levi Strauss travaille déjà sur les phases trois et quatre du programme. Si le pari de la personnalisation des produits réussit, il générera des marges juteuses. Mais il reléguera encore plus à l'arrière-plan les sites de production opérant encore sur un mode traditionnel, auquel Levi Strauss ne croit plus. Une analyse que refusent les syndicats belges et français. Dans les trois unités belges, les salariés ont cessé le travail. A La Bassée, l'argumentaire de l'intersyndicale tient en deux chiffres : le site produit 3,8 millions de jeans par an, et les Français achètent 5 millions de Levi's par an. Pour l'institut d'études Secodip, la désaffection des consommateurs est à relativiser : " Le jean reste un produit dy-namique, avec un coeur de marché solide. " La firme américaine continue d'ailleurs de mener une politique commerciale agressive. Après Londres, Levi Strauss a inauguré en août un mégastore à Berlin. , à Lille







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